Dans la comédie The invention of lying (2009), Ricky Gervais et Matthew Robinson imaginent une réalité alternative dans laquelle le mensonge n’existerait pas. Mark Robinson, le personnage principal, est scénariste mais son travail se limite à des récits historiques dans la mesure où un monde sans mensonge ne laisse pas de place à la fiction. Alors qu’il se rend à la banque pour fermer son compte, les ordinateurs ne fonctionnent pas. L’employé lui demande alors le montant restant sur son compte et Mark se trouve alors dans la situation de dire avec succès le premier mensonge au monde. L’écart qui se crée entre une réalité et les possibilités ouvertes par le mensonge fait alors surgir toute la complexité des phénomènes sociaux. Le mensonge permet à Mark d’introduire une multiplicité de versions du monde. Il en arrive pourtant à évacuer ces possibilités par l’énoncé d’un monde sous la forme de dix règles grâce à une relation exclusive qu’il entretient avec un homme dans le ciel qui contrôle tout et promet des récompenses après la mort à ceux qui ne commettent pas plus de trois mauvaises choses. En somme le mensonge d’un seul individu – tel un dictateur – en arrive à ne produire qu’un seul arrangement du monde. L’organisation du monde se joue dans l’arrangement temporaire, parfois stabilisé, d’une myriade de mensonges parfois concurrents, de versions du monde, d’écarts entre ces versions et ce qui fait sens commun. Alfred Schütz (1946 /2007) l’a merveilleusement illustré dans son interprétation de Don Quichotte qu’il examine comme la confrontation d’ordres de réalité, tous tenus pour vrais par ceux qui les portent et possédant des styles d’existence spécifiques et indépendants…