CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’importance de la religion dans la structuration des attitudes et des comportements politiques a été mise en évidence très tôt dans la littérature nationale et internationale de sociologie politique et électorale [1]. André Siegfried (1913) fut même pionnier en la matière, montrant le fort impact de l’emprise catholique sur les électeurs du grand Ouest de la France. Mais son livre n’a pas eu beaucoup d’écho immédiat, en France et à l’étranger. Il revint cependant à la géographie électorale dans les années 1930 et montra alors l’importance des appartenances catholiques et protestantes sur le vote (Siegfried, 1949).

2Dans l’ouvrage séminal de Paul Lazarsfeld (1944) [2], le comportement électoral des votants était essentiellement expliqué par des caractéristiques situationnelles : selon qu’ils habitaient en ville ou à la campagne, selon leur statut social (profession et revenu) et selon leur religion, les Américains votaient très différemment. Les ruraux, protestants, favorisés votaient en grand nombre pour les Républicains alors que les urbains, catholiques, de catégories populaires votaient très largement Démocrate.

3Deux décennies plus tard, les ouvrages – eux aussi séminaux – de Lipset & Rokkan (1967), puis Rokkan seul (1970) proposent une théorie générale comparatiste pour classer les partis politiques et comprendre le vote en leur faveur. Quatre clivages fondamentaux structureraient sur le long terme la formation des partis et le vote des électeurs. Les deux conflits les plus anciens ont opposé les Églises aux États naissants et les centres de pouvoir à leurs périphéries. Plus récemment les conflits entre possédants et travailleurs, ainsi qu’entre urbains et ruraux sont apparus. Selon cette thèse, chaque conflit perdure au fil du temps, il est institutionnalisé dans des familles de partis et explique aussi les choix des électeurs. Le choix entre défense des religions et de leur vision du monde d’un côté, soutien de la domination de l’État sur les religions et défense de la laïcité serait donc un des déterminants des choix électoraux – selon des modalités variées – dans tous les pays occidentaux.

Illustration sur le cas français

4La France est probablement l’un des pays européens où le clivage entre une religion catholique très conservatrice et une République défendant une démocratie laïque et progressiste a été le plus fort. Ce qui pourrait contribuer à expliquer, encore aujourd’hui, la force de la relation entre intégration au catholicisme et vote à droite. Les politistes français considèrent généralement aujourd’hui que la religion reste la variable la plus prédictive des comportements électoraux [3], même si son impact est un peu moins fort qu’il y a une cinquantaine d’années (Michelat & Simon, 1977 ; Bréchon, 2000 ; Dargent, 2004 ; Michelat & Dargent, 2015 ; Dargent, 2019). Alors qu’en 1965, le vote à gauche était, au second tour de l’élection présidentielle, d’environ 20 % chez les catholiques pratiquants réguliers, mais de 80 % chez les sans religion, soit 60 points d’écarts, il est aujourd’hui plutôt autour de 25/30 % chez les premiers et 60/70 % chez les seconds, avec donc un écart de l’ordre de 35 points. Les chiffres varient un peu selon les conjonctures électorales et la qualité des enquêtes. En 2017, au premier tour de l’élection présidentielle, les candidats de gauche ne recueillent que 9 % du vote des catholiques pratiquants réguliers, mais 38 % du vote des sans religion (French Election Study, FES 2017).

5Le tableau 1 précise le lien entre implication religieuse et vote en 1981 et 2012 au second tour de l’élection présidentielle française [4]. En 1981, entre François Mitterrand, candidat socialiste proposant notamment d’intégrer l’école catholique dans un grand service public de l’éducation, soutenu au second tour par les communistes, et Valéry Giscard d’Estaing, candidat de centre droit, les catholiques pratiquants n’hésitèrent pas beaucoup. De même, les sans religion avaient soutenu la gauche sans restriction. Les résultats de 2012 montrent un certain affaiblissement de la liaison, mais il y a toujours une majorité des sans religion qui votent à gauche et une majorité de catholiques pratiquants réguliers qui votent à droite, une droite qui défend la famille traditionnelle alors que la gauche a promu des lois de libéralisation des mœurs. Les différences de programme des candidats et probablement surtout les différences de valeurs entre catholiques pratiquants et sans religion sont susceptibles d’expliquer l’importance sur le vote de l’intégration ou de la non-intégration à un univers religieux, comme le montrent les travaux préalablement cités [5].

Tableau 1

Vote au second tour présidentiel français selon le positionnement religieux*

En % des suffrages exprimés pour chaque catégorie19812012
MitterrandGiscardHollandeSarkozy
Catholique pratiquant régulier20803367
Catholique pratiquant occasionnel40603367
Catholique non pratiquant61394654
Sans religion88126634

Vote au second tour présidentiel français selon le positionnement religieux*

* Extrait d’un tableau dans Bréchon, 2013a, p. 159.

6En fait, si les politologues français ont souvent mis en avant le fort et persistant poids de la variable religieuse dans les comportements électoraux, il n’en était souvent pas de même dans les années 1990-2000 dans d’autres pays européens. Broughton et ten Napel (2000, p. 4) s’étonnent que souvent la religion ne soit mentionnée par les électoralistes en Europe que pour évoquer l’histoire ou expliquer le fort déclin de son impact.

Différentes théories sur les relations entre religion et valeurs politiques

7L’affirmation de l’importance de la religion sur les comportements politiques a en effet été discutée à la fin du siècle dernier. Ainsi, contre l’hypothèse rokkanienne du « gel des clivages » (Escudier, 2021), certains ont insisté sur leur déclin (Enyedi, 2008 ; Bornschier, 2010), notamment affaiblissement du conflit religieux et des oppositions de classe, au profit de nouveaux conflits structurants comme le postmatérialisme opposé au matérialisme (Inglehart, 1977), l’écologie au productivisme (Oesch, 2012), les gagnants aux perdants de la mondialisation (Kriesi et al., 2006 ; Bornschier & Kriesi, 2012 ; Martin, 2018) ou encore le conflit entre les personnes hostiles aux migrants et les citoyens favorables à leur accueil (Dennison & Geddes, 2019), plus largement les partisans de valeurs fermées aux tenants de valeurs d’ouverture (Johnston, Lavine & Federico, 2017).

8D’autres critiques se sont fait jour. Avec la sécularisation et la perte de prégnance des religions dans les sociétés occidentales (Norris & Inglehart, 2004 ; Inglehart, 2021), les attitudes dans ces deux domaines seraient progressivement déconnectées (Martin, 2000). La sécularisation interne [6] des religions ferait que les croyants n’intégreraient plus un système spécifique de valeurs. Et, de toute façon, étant de moins en moins nombreux, ils influeraient moins sur les résultats électoraux, sur les débats de société et sur les législations.

9Pour d’autres auteurs au contraire (Knutsen, 2004 ; Brooks et al., 2006 ; Esmer & Pettersson, 2007, van der Brug et al., 2009 ; Jansen, 2011), le processus de sécularisation, bien réel, ne conduit pas à la perte d’influence du facteur religieux sur les attitudes, qu’il s’agisse des valeurs familiales, des conceptions de la morale, de l’agir individuel ou du vote. Car l’affaiblissement des religions a son pendant dans le renforcement des attitudes d’indifférence et même de rejet des religions (Bréchon & Zwilling, 2020). C’est en fait cette orientation favorable ou défavorable aux croyances religieuses qui influence le système de valeurs et les comportements politiques. Si les personnes religieuses tendent encore le plus souvent à intégrer un système de valeurs conservatrices, les sans religion et les athées développent un système plus progressiste, fondé notamment sur l’autonomie des individus dans tous les domaines de leur vie. De son côté, Zuckerman (2008 ; 2014) montre que les irréligieux sont très humanistes et al.truistes.

10Ces dernières années, certains auteurs insistent aussi sur des formes de retour du religieux, notamment chez les jeunes musulmans, mais aussi dans les milieux du protestantisme évangélique, et chez des catholiques de plusieurs pays d’Europe de l’Ouest où les fidèles plutôt orientés à gauche tendent à être remplacés par une jeune génération plus conservatrice. Dans ce contexte, les liens entre convictions religieuses et conservatisme reprendraient des couleurs (Evans & Kirk de Graaf, 2013 ; Casanova, 2019). C’est particulièrement net aux États-Unis où l’électorat républicain est très religieux et très conservateur, ce qu’on observe aussi bien dans les enquêtes sur le vote présidentiel de 2016 et 2020 (Olson, 2007 ; Gayte et al., 2018 ; Chelini-Pont et al. 2021).

Hypothèses testées

11On a pu montrer sur des données d’enquêtes européennes que les attitudes religieuses ont toujours de l’impact (Bréchon, 2002a, 2002b, 2005, 2006, 2021a). Les orientations religieuses des individus (identité religieuse ou séculière, pratiques et croyances intenses ou inexistantes) ont des effets importants sur les valeurs politiques et sur les comportements électoraux. C’est la première thèse que nous allons tester sur un nouveau jeu de données. Selon leur degré d’intégration à une religion, les individus ont-ils les mêmes idées politiques ? Ont-ils ou non la même présence en politique, aussi bien par le vote que par l’action protestataire ? Qu’en est-il de leurs orientations électorales et partisanes ? Peut-on dire que l’influence de la religion sur la politique a baissé au fil du temps ? Et comment expliquer ces différences de valeurs politiques entre croyants convaincus et sans religion ?

12Notre seconde hypothèse concerne non plus l’effet de l’intensité de la religiosité, mais celui de l’appartenance confessionnelle. Chaque religion a son propre système de croyances. Même à l’intérieur du christianisme, les représentations religieuses sont plurielles, ce qui peut influer sur le système de valeurs de chaque groupe d’adeptes. L’hypothèse a déjà en partie été validée dans des papiers préalablement cités. Elle l’est aussi sur les données de la World values Study. Inglehart et Wetzel ont publié des cartes culturelles du monde [7]: les pays sont positionnés dans un plan selon deux dimensions censées résumer le système de valeurs des habitants (selon qu’ils sont traditionnels ou séculiers et selon qu’ils sont pour des valeurs de sécurité ou d’auto-expression). Il s’avère que le positionnement des pays correspond aussi à des zones dans lesquelles une religion est historiquement dominante. Mais il est très difficile – voire impossible – de distinguer aujourd’hui l’effet de la tradition religieuse sur les valeurs de l’effet de la culture nationale, les deux étant intimement liés dans une histoire longue. Nous nous demanderons donc dans quelle mesure l’impact des religions sur les attitudes politiques est spécifique selon la tradition religieuse et culturelle de chaque pays, notamment selon que l’on est dans un pays marqué par le catholicisme ou par le protestantisme. Dans la première situation, le pouvoir politique s’est davantage construit en opposition aux États alors que dans la seconde, pouvoir politique et institution religieuse se sont davantage épaulés. Le catholicisme en réfère toujours au centre romain et au pouvoir du pape (Le Brun, 1999), alors que le protestantisme ne connaît que les Églises locales et nationales (Baubérot, 2007). La structure organisationnelle catholique est très pyramidale et hiérarchique, l’autorité y est sacralisée (Jaume, 2002) alors que le protestantisme a très tôt valorisé la participation des fidèles aux décisions de l’église locale (Lessay, 2002). Ces différences fortes ont toutes chances de produire des systèmes de valeurs différenciés entre fidèles catholiques et protestants.

Données

13Nous testerons ce poids des identités religieuses sur les attitudes politiques à partir des données du module « Citoyenneté » de l’enquête International Social Survey Programme (ISSP). Ce programme administre un module annuel dans une quarantaine de pays sur les cinq continents (www.issp.org). Le thème retenu a vocation à être répété environ tous les dix ans avec un questionnaire au deux tiers semblable. Le module « Citoyenneté » a été administré pour la première fois en 2004 et répété en 2014 [8]. Ce module permet de tester nos hypothèses puisque de nombreuses variables politiques y figurent ainsi que trois indicateurs religieux (Scholz et al., 2017) : se considérer comme membre d’une religion, identifier celle-ci, énoncer la fréquence de son assistance aux offices. On peut donc étudier les relations entre religion et politique et voir si, à dix ans d’intervalle, celles-ci se sont maintenues ou affaiblies.

Les pays retenus

14En Europe, la plupart des pays conservent une religion qui reste numériquement dominante du fait de sa tradition historique, même si une tendance pluraliste est apparue depuis quelques décennies en lien notamment avec les migrations internationales. La carte de l’Europe des appartenances confessionnelles (Bréchon, 2013c) montre la répartition de ces dominantes entre pays catholiques, protestants, orthodoxes et même musulmans. Nous limiterons notre travail à des pays de l’Union européenne. Ce choix a l’avantage de limiter les situations retenues à des pays ayant certaines politiques communes et des cultures assez proches, allant des pays nordiques à l’Europe du Sud.

15Tous les pays de l’Union n’ont pas participé à l’enquête ISSP en 2004 et 2014. Il n’est ainsi pas possible de prendre en compte les pays à majorité orthodoxe, aucun d’entre eux n’ayant réalisé à la fois l’enquête de 2004 et de 2014 [9]. Nous retenons donc huit pays, trois de tradition catholique (Autriche, France, Espagne), trois de tradition protestante (Danemark, Finlande, Suède) et deux pays biconfessionnels (Allemagne et Pays-Bas). Un tel choix a l’avantage d’avoir plusieurs pays pour chaque appartenance confessionnelle. Et donc en dépit de chaque contexte national, on pourra observer s’il existe des parentés de valeurs selon l’attachement au catholicisme, au protestantisme ou à la non-religion.

16Le tableau 2 présente la distribution religieuse dans les huit pays pris en compte. Observons d’abord qu’il y a beaucoup plus de non pratiquants que de pratiquants. Si 66 % se réclament du catholicisme et du protestantisme, seulement 12 % sont pratiquants réguliers. Ce qui dénote – depuis longtemps – un faible investissement religieux de beaucoup d’adeptes des religions [10]. Même si les deux vagues d’enquêtes ne sont séparées que par dix années, on observe une décroissance du catholicisme et du protestantisme entre 2004 et 2014 dans pratiquement tous les pays, plus particulièrement chez les catholiques pratiquants, les protestants étant peu pratiquants depuis longtemps.

Tableau 2

La situation religieuse par pays*,**

Tableau 2
% vertical Pays de tradition catholique Pays de tradition protestante Pays biconfessionnels Ensemble** Autriche Espagne France Danemark Finlande Suède Allemagne Pays-Bas 2004 2014 2004 2014 2004 2014 2004 2014 2004 2014 2004 2014 2004 2014 2004 2014 2004 2014 Catholique pratiquant 28 23 30 20 11 8 0 0 0 0 0 1 11 8 5 5 12 8 Catholique non pratiquant 49 47 51 50 40 39 0 0 0 0 0 1 15 22 23 21 25 23 Protestant pratiquant 1 1 0 1 1 1 6 4 7 6 6 5 6 5 12 7 5 4 Protestant non pratiquant 4 5 0 1 1 1 81 77 75 64 63 65 26 27 12 10 29 31 Sans religion 15 18 18 25 43 46 11 17 15 25 29 25 36 31 43 49 27 29

La situation religieuse par pays*,**

* Dans chaque colonne, la différence de pourcentage pour atteindre 100 représente les adeptes des autres religions.
** Les chiffres moyens présentés dans la colonne Ensemble, pour ce tableau comme pour les suivants, ne sont pas pondérés par le poids démographique des pays ; ils le sont seulement selon les critères sociodémographiques.

17En Europe, les pays de tradition catholique ont évolué de manière très différente ces dernières décennies : si la religion a plutôt bien résisté dans certains pays comme la Pologne, l’Irlande, l’Autriche ou l’Italie, elle s’est effondrée dans d’autres. Les pays choisis représentent une grande diversité de situations religieuses. La France se distingue de l’Autriche et de l’Espagne par une forte proportion de personnes qui se déclarent sans religion : les sans religion y sont aujourd’hui plus nombreux que les catholiques. Alors que les deux autres pays gardent des taux de catholiques pratiquants importants, et que les sans religion y sont peu nombreux. En fait, l’Espagne, qui était massivement catholique jusqu’aux années 1980, connaît une sécularisation rapide, mais elle garde encore un nombre de pratiquants plus important que la moyenne des pays retenus.

18Le protestantisme est concentré dans quelques pays, dont seulement trois à nette majorité protestante [11] : le Danemark, la Finlande et la Suède. Ils sont de tradition luthérienne, ils se caractérisent par un très fort pourcentage de membres (il y a donc peu de gens qui se définissent comme sans religion), mais un très faible pourcentage de pratiquants. Ce sont des pays très sécularisés, mais où l’appartenance à l’Église luthérienne signifie surtout un attachement identitaire à la nation (Riis, 1996). La construction de l’État s’y est faite en lien étroit avec les Églises. Contrairement à la théorie de Grace Davie (1994) sur la situation de believing without belonging en Grande-Bretagne, où les croyances privées se maintiendraient (au moins sous forme atténuée) lorsque les appartenances ont largement disparu, les pays nordiques correspondent à un modèle inverse souvent qualifié de belonging without believing . L’appartenance va de soi puisque les Scandinaves sont fiers de leur pays et de leur Église nationale, mais cela n’indique pas souvent un attachement à des croyances religieuses ou une propension à fréquenter les cultes. Aujourd’hui ce modèle est critiqué, car l’appartenance religieuse décroît assez sensiblement dans les pays nordiques (Furseth, 2018).

19Dans les deux pays biconfessionnels retenus, le pluralisme religieux est très ancien et remonte à la période où la religion du roi ou des princes dictait largement celle de leurs sujets. Mais il faut souligner que si le pluralisme confessionnel allemand tient effectivement à la division entre des principautés protestantes au nord et catholiques au sud, le biconfessionnalisme néerlandais a des origines différentes : la Belgique catholique a évincé sa minorité protestante vers les Pays-Bas alors que les catholiques du sud des Pays-Bas sont restés sur place, tolérés par l’État protestant comme citoyens de seconde zone (Boyer, 1996).

20Aujourd’hui, l’Allemagne apparaît plus religieuse que les Pays-Bas. Le catholicisme et le protestantisme sont en Allemagne des corporations de droit public, bénéficiant de nombreuses aides de l’État, notamment à travers un impôt payé par les membres déclarés, dont le montant est reversé aux Églises (de Galembert, 2005). Même peu croyants et non pratiquants, beaucoup d’Allemands hésitent encore souvent à se désaffilier pour avoir droit à un enterrement religieux et pouvoir accéder aux services sociaux de leur confession [12].

21Les Pays-Bas sont aujourd’hui très sécularisés alors qu’ils étaient à forte religiosité jusque dans les années 1960. La révolution religieuse a été très forte, particulièrement chez les catholiques (Brachin, 1984) [13]. Beaucoup de Néerlandais sont aujourd’hui critiques à l’égard des grandes institutions religieuses, mais gardent certaines croyances et recomposent du religieux (Kennedy & Zwemer, 2010).

Les variables au centre de l’analyse

22L’intégration à un univers religieux est mesurée par une échelle classique croisant la dénomination religieuse [14] et l’intensité de la pratique (Tableau 2). Du fait des effectifs enquêtés (en général entre 1 000 et 1 500 par pays), on ne peut pas traiter dans ce texte la question de l’impact des religions minoritaires, notamment de l’islam, sur la politique. On peut seulement comparer les attitudes politiques des catholiques, des protestants et des sans religion, en prenant aussi en compte le fait d’être pratiquant ou non pratiquant [15].

23Du point de vue politique, nous prenons en compte les différentes facettes du rapport des individus à la politique en deux grandes parties, d’abord sous l’angle de la politisation et de la participation politique, ensuite sous l’angle de l’orientation politique.

24La politisation et la participation sont deux dimensions différentes, mais assez fortement liées. La politisation correspond à la valorisation de la politique, au fait de s’y intéresser, à être compétent, capable d’en comprendre les enjeux et à en discuter avec d’autres (Bréchon, 2002a ; Lagroye, 2003 ; Aït-Aoudia et al., 2011). Dans l’enquête, elle peut être mesurée à partir de trois indicateurs : l’intérêt déclaré pour la politique ; la fréquence des discussions politiques avec ses amis, parents ou collègues de travail ; les efforts faits pour les persuader d’adopter ses opinions [16].

25Les personnes politisées ont aussi tendance à valoriser la citoyenneté (Lister & Pia, 2008), concept qui peut prendre des sens variés selon les individus (Stewart, 1995 ; Mason, 2012) [17]. On peut distinguer deux grandes tendances, l’une qui insiste sur une vision plus traditionnelle des devoirs que le citoyen doit respecter, notamment aller voter, l’autre qui valorise plutôt les droits des individus. Si la première perspective est fréquente dans les milieux religieux et chez les personnes nationalistes, la seconde l’est surtout dans les environnements séculiers (Duchesne, 1996). La citoyenneté ne peut être réduite à la simple appartenance à une nationalité, mais doit être comprise comme l’idéal du bon citoyen qui respecte certains devoirs liés à son appartenance nationale, mais qui a aussi des droits. Dans l’ISSP, une longue question est articulée à une conception des responsabilités des citoyens. Les enquêtés doivent dire ce qu’est pour eux un bon citoyen en testant l’importance accordée à neuf aspects potentiels de la citoyenneté : toujours voter aux élections, ne pas frauder le fisc, obéir aux lois, surveiller les actions du gouvernement, être actif dans les associations sociales ou politiques, chercher à comprendre les raisonnements des autres, choisir les produits que l’on consomme, aider les défavorisés dans son pays ou dans les pays étrangers. Pour chacun d’entre eux, le répondant estime sur une échelle de 1 à 7 si c’est pour lui pas du tout ou très important. À partir de cette question, on pourrait faire apparaître deux conceptions de la citoyenneté, mais notre objectif est de considérer plus globalement son degré de valorisation, certains ayant un très haut idéal et d’autres n’ayant que de faibles attentes. On sélectionne donc ceux qui ont tendance à tout trouver important, c’est-à-dire à multiplier les conditions nécessaires pour être un bon citoyen, soit 30 % de la population en 2004 et 32 % en 2014 [18]. Ce sont des citoyens très exigeants.

26La politisation conduit assez souvent à mieux comprendre et accepter les discours politiques. On testera donc le niveau de confiance aux hommes et aux partis politiques (Listhaug, 1995) dont on sait qu’il est aujourd’hui affaibli dans de très nombreux pays. Quatre affirmations sont prises en compte, deux formulées positivement, deux négativement : « La plupart du temps, on peut faire confiance aux membres du gouvernement pour réaliser ce qui est bien », « La plupart des hommes politiques ne font de la politique que pour en retirer des avantages personnels », « Les partis politiques encouragent les gens à être actifs dans la vie politique », « Les partis politiques ne proposent pas aux électeurs de véritables choix entre différentes politiques » [19].

27Si la politisation est de l’ordre des valeurs, la participation politique désigne des comportements et des actes d’implication (Mayer, 2010). Évidemment, plus on est politisé, plus on tend à être un acteur impliqué dans le domaine politique. Mais la relation n’est pas totale, certains pouvant être très politisés, mais peu actifs, d’autres pouvant être actifs tout en ayant peu de compétences politiques.

28Le vote est l’acte de participation politique le plus simple et le plus fréquent dans une démocratie représentative. Appelés par le système politique à choisir régulièrement leurs représentants, les citoyens sont incités à s’exprimer dans l’urne (Franklin, 2004). On prend donc en compte la participation électorale, mesurée par le fait d’avoir voté ou de s’être abstenu à la dernière élection nationale [20]. Mais on considère aussi la participation plus exigeante et plus critique qu’on trouve chez les citoyens actifs au-delà du seul comportement électoral (Dompnier, 2014). On a donc construit un indice de « potentiel protestataire » avec huit comportements : signer une pétition, boycotter ou acheter des produits pour raisons politiques, manifester, assister à un meeting politique, contacter un homme politique, donner de l’argent pour une cause, contacter les médias pour exprimer ses opinions, les exprimer sur internet. Chacun est invité à dire s’il l’a fait dans l’année, s’il l’avait fait auparavant, s’il pourrait le faire, ou s’il ne le ferait jamais [21]. Nous retenons comme variable les individus à fort potentiel d’action (de 8 à 19).

29L’autre dimension centrale du rapport à la politique est évidemment l’orientation politique (Bréchon, 2006), le fait de revendiquer des valeurs de droite ou de gauche, de se sentir proche d’un parti ainsi étiqueté et de voter pour lui. Dans les données ISSP, nous disposons seulement en 2004 de la déclaration de proximité avec un parti politique, alors qu’en 2014 est dénombré le parti pour lequel on a voté lors de la dernière élection générale ainsi que le positionnement sur une échelle gauche-droite (de 0 à 10). Le plus simple aurait été d’utiliser l’échelle gauche droite, mais cela aurait empêché de comparer l’effet de la religion sur l’orientation politique à dix ans d’écart. On a donc retenu les indicateurs sur le parti politique, qui ne sont pas identiques, mais la comparaison fait cependant sens comme on l’observera au tableau 5 (stabilité des résultats à dix ans d’écart). Le classement des partis sur une échelle gauche droite pour chaque pays est assuré par la coordination européenne de l’ISSP, sur la base de jugements experts [22].

30Ayant présenté l’ensemble des variables qui seront au cœur de l’analyse, entrons à présent dans les résultats, selon les deux parties annoncées.

Politisation, confiance et participation politiques

31Le tableau 3 présente les résultats de différentes dimensions du rapport des individus à la politique, selon leur degré d’intégration religieuse en 2004 et 2014, quel que soit leur pays de résidence. Du point de vue de la politisation, il apparaît, aussi bien pour 2004 que 2014, que les protestants pratiquants et les sans religion sont plus politisés que les catholiques : quel que soit leur degré de pratique, ceux-ci sont peu politisés [23].

32Le deuxième indice – le fait de valoriser la citoyenneté – montre que les pratiquants – qu’ils soient catholiques ou protestants – ont un idéal très élevé de citoyenneté, étant plus exigeants dans la définition du bon citoyen que les non pratiquants et les sans religion [24]. Pour eux, le bon citoyen doit être impliqué sur tous les fronts potentiels de la citoyenneté, le vote, le respect des lois, le paiement de taxes, l’action sociale, l’action humanitaire et caritative [25].

33Comme pour la politisation, les protestants, qu’ils soient pratiquants ou non pratiquants, apparaissent spécifiques, manifestant une confiance plus élevée dans les hommes et les partis politiques que les catholiques et les sans religion [26]. Ces derniers, probablement parce qu’ils sont marqués par une culture politique critique, font montre d’une faible confiance aux élites politiques.

34Lorsqu’on considère le comportement le plus fréquent des citoyens, à savoir le fait de voter à la dernière élection nationale (4e partie du tableau 3), les différences selon l’intégration religieuse ne sont pas très fortes, [27] mais, de manière assez cohérente avec l’idéal du bon citoyen, on observe une participation électorale plus forte des pratiquants protestants et catholiques, plus faible des non pratiquants et des sans religion. Les institutions politiques, tout comme les Églises, ont souvent insisté sur le devoir du vote [28]. Cette conception perd aujourd’hui du terrain, le vote étant davantage considéré comme un droit que l’on utilise si on est convaincu qu’un candidat ou une liste est meilleur (ou moins mauvais) que les autres. Mais la culture du devoir reste forte dans les milieux catholiques comme le montre par exemple l’enquête de 2017-2018 sur les valeurs des Européens (Bréchon, 2021b). On aurait donc pu s’attendre à des différences concernant le vote entre pratiquants catholiques et protestants. Ce n’est pas le cas, car les protestants, s’ils font moins référence au devoir du vote, insistent sur l’éminente responsabilité du citoyen qui doit être actif dans la société, notamment en période électorale. La conscience assez générale de l’importance du vote semble avoir surtout conduit toutes les catégories à surdéclarer leur participation électorale [29] !

Tableau 3

Dimensions du rapport au politique selon l’intégration religieuse

Tableau 3
En % Catholique pratiquant Catholique non pratiquant Protestant pratiquant Protestant non pratiquant Sans religion Ensemble Politisation forte 2004 41 42 58 46 56 48 2014 44 46 63 49 56 50 Forte valorisation de la citoyenneté 2004 45 34 41 23 25 30 2014 46 36 45 26 28 32 Confiance hommes/partis poli. 2004 47 39 56 54 36 44 2014 41 32 60 60 37 45 À voté à dernière grande élection 2004 90 84 93 86 82 85 2014 92 87 93 92 84 88 Potentiel fort d’action politique 2004 19 18 31 25 33 25 2014 22 21 38 27 32 27

Dimensions du rapport au politique selon l’intégration religieuse

35En ce qui concerne le potentiel d’action politique (bas du tableau 3), les relations avec l’intégration religieuse sont assez semblables à ce qu’on a observé pour la politisation [30]. Si les protestants pratiquants montrent un fort potentiel d’action, ce n’est pas le cas des catholiques. Les catholiques pratiquants ont donc un idéal exigeant de citoyenneté, mais ne semblent pas beaucoup le mettre en œuvre, au-delà du vote. À l’inverse les sans religion, qui valorisent peu la citoyenneté, mais sont plus nombreux à la pratiquer sous la forme d’actions de mobilisation (à l’instar des protestants pratiquants).

36Les différences observées dans le rapport au politique des différentes catégories religieuses et irréligieuses ne sont pas considérables ; elles sont néanmoins significatives, d’autant plus qu’elles sont très stables à dix ans d’intervalle. Mais ces différences sont-elles bien le produit de cultures politiques différentes selon le degré d’intégration religieuse, ou n’y aurait-il pas d’autres variables plus explicatives, qui annuleraient l’effet de l’identité religieuse personnelle ? Pour essayer de répondre à la question, nous avons produit une analyse de régression (tableau 4). Notre variable dépendante est un indice d’implication politique qui agrège les indices de politisation et de potentiel d’action [31]. En variables explicatives, nous introduisons, outre la variable religieuse, le sexe, la classe d’âge, le niveau de diplôme, la position sociale subjective (se sentir en haut ou en bas de la société), le pays et le lieu de résidence (urbaine ou rurale), dimensions dont on sait par la tradition d’enquêtes qu’elles peuvent influencer le rapport des individus à la politique (Bréchon, 2007). Et ces dimensions sont souvent liées entre elles. Ainsi les sans religion sont plutôt jeunes, les pratiquants sont souvent âgés et à bas niveau de diplôme, les catholiques sont nettement moins diplômés que les protestants et les sans religion. Tout ceci pousse à introduire une analyse de régression pour identifier les variables les plus prédictives de l’implication politique, toutes choses égales par ailleurs.

Tableau 4

Régressions logistiques binaires sur l’implication politique et l’orientation politique en 2014

Implication politiqueOrientation politique
Wald*Exposant de BWald*Exposant de B
Seulement études primaires89Réf.3Réf.
Secondaire incomplet1.51.1
Niveau baccalauréat0.91
Post secondaire pratique1.11.2
Premier cycle universitaire0.61
Second cycle universitaire0.40.9
Catholique pratiquant20Réf.58Réf.
Catholique non pratiquant1.21
Protestant pratiquant0.61.4
Protestant non pratiquant1.40.8
Sans religion0.90.5
Homme19Réf.18Réf.
Femme1.10.9
Autriche17Réf.20Réf.
Danemark0.71
Finlande1.62
France10.9
Allemagne0.80.7
Pays-Bas1.11.7
Espagne1.30.9
Suède0.80.9
Haut de l’échelle sociale 1-27Réf.22Réf.
Niveau 3-40.83.1
Niveau 5-61.12.1
Niveau 7-811.5
Bas de l’échelle sociale 9-101.41.1
Habite une grande ville3.5Réf.91
 les environs d’une grande ville1.10.9
 une petite ville1.10.9
 un village1.10.9
 une maison isolée dans la campagne0.91.5
18-24 ans2Réf.15Réf.
25-34 ans11.2
35-49 ans11.2
50-64 ans0.90.7
65 ans et plus1.10.9

Régressions logistiques binaires sur l’implication politique et l’orientation politique en 2014

* par degré de liberté.

37Comme on pouvait s’y attendre en fonction de nombreuses autres enquêtes, c’est le niveau de diplôme qui joue le rôle de plus fondamental. On est d’autant plus impliqué dans la politique qu’on a fait des études (Wald par degré de liberté à 89). Mais la religion, le sexe et le pays de résidence ont un poids qui reste significatif et d’intensité voisine (Wald à 20 pour la religion, à 19 pour le sexe et à 17 pour le pays de résidence). Toutes choses égales par ailleurs, ce sont bien les protestants pratiquants qui ont la plus forte propension à l’implication politique, suivis par les sans religion, les catholiques pratiquants, les catholiques non pratiquants, les protestants non pratiquants. Chez les protestants, le fait d’être pratiquant ou non introduit des différences d’implication politique particulièrement importantes [32].

38L’éducation et l’identité religieuse des individus ne sont pas les seules variables contribuant à l’explication de l’implication politique. Le sexe joue nettement, c’est la seule variable proprement situationnelle qui ait un tel impact non seulement sur l’implication politique, mais aussi sur d’autres dimensions, et notamment la religion (Magni Berton, 2014 ; Emmenegger & Manow, 2014)) : les femmes, qui restent plus religieuses que les hommes, sont moins impliquées qu’eux en politique, selon un schéma bien connu de répartition sexuée des rôles.

39Le résultat par pays montre qu’il y a bien des cultures politiques nationales qui favorisent l’implication politique (Wald=0.17). On l’observe notamment pour le Danemark, l’Allemagne [33] et la Suède, alors que l’Espagne et la Finlande [34] valorisent peu le rapport au politique [35]. L’histoire de l’alphabétisation [36], la manière dont la politique est considérée dans chaque pays, en fonction de son histoire et de ses traditions, notamment religieuses, peut expliquer ces différences nationales. La matrice religieuse des cultures peut expliquer la forte implication politique des pays scandinaves. La culture protestante a généré dans ces pays une passion pour l’alphabétisation (pour lire la Bible dans la langue du pays) et le goût pour la démocratie. C’est notamment ce qui explique leur forte civic literacy[37] (Milner, 2004 ; Bréchon, 2002a).

40Les trois autres variables de la régression n’ont pas vraiment d’effet significatif. Pour la position sociale subjective (Wald à 7), on observe un petit effet net chez les personnes qui se sentent en haut de l’échelle sociale et ont tendance à s’investir davantage en politique (mais c’est surtout un effet de diplôme). Le lieu de résidence est à peu près sans effet, toutes choses égales par ailleurs. Tout comme l’âge, clairement pas significatif : à même niveau de diplôme, les jeunes s’impliquent en politique autant que les personnes âgées.

41Lorsqu’on exécute une analyse de régression semblable pour 2004 avec les mêmes variables [38], on retrouve le poids explicatif très fort du niveau scolaire (Wald à 96). Par contre, l’influence du pays de résidence est plus forte (Wald à 52), de même que celle du genre (Wald à 41). L’âge a un effet spécifique par rapport au diplôme (Wald à 24). Tandis que la religion a étonnamment un effet moins important que 10 ans plus tard (Wald à 15) [39]. Cependant la structure des relations entre implication politique et religion est la même : forte implication politique des protestants pratiquants et des sans religion, position moyenne des catholiques pratiquants, faible implication des non pratiquants protestants et catholiques.

Orientation politique

42Les spécificités mises en évidence pour l’implication politique se retrouvent-elles pour l’orientation politique ? Autrement dit, l’intégration à un univers religieux ou séculier a-t-elle un impact sur les idées et les positionnements politiques des individus ? Sur la totalité des pays concernés (tableau 5, ligne Ensemble), la relation est nette (V=0.18 en 2014 et 0.20 en 2004). Si les différences d’orientation politique sont très minimes selon qu’on est protestant ou catholique [40], elles sont particulièrement importantes selon qu’on est pratiquant ou non. Plus on est intégré à un système religieux – qu’il soit protestant ou catholique –, plus on est orienté au centre et à droite. Alors que les personnes sans religion sont beaucoup plus tournées vers la gauche, les croyants non pratiquants étant en position intermédiaire.

Tableau 5

Proximité avec la droite et le centre, selon l’intégration religieuse et le pays

Tableau 5
En % Catholique pratiquant Catholique non pratiquant Protestant pratiquant Protestant non pratiquant Sans religion Ensemble 2004 2014 2004 2014 2004 2014 2004 2014 2004 2014 2004 2014 Autriche 70 67 51 60 67 70* 46* 52* 31 47 52 59 Espagne 71 78 51 55 - - - - 31 32 52 55 France 67 74 51 60 - - 50* - 24 41 41 52 Danemark - - - - 75 54 62 59 49 47 61 57 Suède - - - - 75 62 46 51 43 49 47 51 Finlande - - - - 83 92 51 74 22 53 49 71 Allemagne 69 74 47 54 57 58 48 42 34 44 45 49 Pays-Bas 67 79 53 68 77 89 50 72 36 51 47 62 Ensemble 70 74 51 59 73 72 52 59 34 46 49 57

Proximité avec la droite et le centre, selon l’intégration religieuse et le pays

43La structure du tableau est très semblable à dix ans d’écart : dans tous les pays, aux deux dates, les pratiquants, quelle que soit leur confession, sont plus favorables à la droite que les non pratiquants [41]. Et les sans religion sont largement moins droitiers que les non pratiquants. La seule évolution globale consiste dans une atténuation des écarts. La dernière ligne du tableau 5 montre qu’en 2004, le vote de droite et de centre allait de 73 % à 34 % entre les plus religieux et les sans religion, soit 39 points d’écart. En 2014, le même vote va de 74 % à 46 %, soit une différence de (seulement) 28 points. Ce qui semble confirmer l’hypothèse d’une lente baisse de l’influence des valeurs religieuses sur l’orientation politique. Il faut cependant rester prudent, car l’orientation du vote peut varier assez fortement selon la conjoncture de l’élection dans chaque pays [42].

44Les choix politiques des catholiques et des protestants dans les pays biconfessionnels méritent un commentaire particulier. Ils montrent des situations nationales opposées : en Allemagne, les catholiques votent sensiblement plus pour la droite et les protestants pour la gauche, [43] mais c’est l’inverse aux Pays-Bas : les protestants y sont plus à droite que les catholiques [44]. Ces différences nationales peuvent tenir à l’histoire des relations entre les Églises et les forces politiques, [45] mais aussi au type de protestantisme (et peut-être de catholicisme) implanté dans le pays. De nombreux travaux sur la France ont montré que les protestants réformés du midi étaient très favorables à la gauche (Charreyron, 2011) alors que les luthériens alsaciens étaient beaucoup plus composites politiquement (Schwengler, 2005). On sait aussi que, dans de très nombreux pays, le courant évangélique – en forte progression – est fortement articulé à des valeurs de droite.

45Les relations majoritaires qui ressortent des analyses précédentes par pays fonctionnent comme des moyennes qui révèlent une dominante, mais il existe souvent des relations inversées sur des sous-groupes particuliers. On repère deux modèles majoritaires d’articulation du religieux et du politique, un système religieux conservateur d’un côté, un système indifférent ou antireligieux relié à des valeurs de gauche. Mais évidemment il existe des modèles minoritaires (avec par exemple des chrétiens – catholiques ou protestants – pratiquants de gauche et des sans religion de droite). On retrouve ainsi au niveau européen ce que Michelat et Simon (1977) et Donegani (1993) avaient montré sur la situation française, les premiers insistant sur les modèles majoritaires, le second montrant qu’il existait une pluralité d’identités catholiques, conduisant aussi à des articulations différentes du religieux et du politique.

46Une analyse de régression, avec les mêmes variables que la précédente (tableau 4, partie droite) montre clairement que le niveau d’intégration religieuse est le critère le plus explicatif de l’orientation politique (Wald=58). Toutes choses égales par ailleurs, les protestants pratiquants sont nettement plus droitiers et les sans religion plus à gauche. Le statut social (se sentir en haut ou en bas de l’échelle sociale) a aussi un impact non négligeable (Wald=22), montrant que l’orientation politique reste marquée par les positions sociales. Le pays de résidence joue un rôle semblable (Wald= 20), semblant indiquer qu’il y a des pays où les cultures de droite semblent plus prégnantes (Finlande et Pays-Bas). L’âge a un petit impact (Wald=15), les 18-49 ans étant un peu plus à droite que les 50 ans et plus. Vivre en ville ou à la campagne influe peu (Wald=9), alors que le niveau d’études, qui était très déterminant de l’implication politique, n’a aucun effet sur l’orientation idéologique (Wald=3).

47La même régression est pratiquée sur les données de 2004. On trouve un impact beaucoup plus fort de la religion sur la proximité partisane (Wald=110) avec, comme 10 ans plus tard, des protestants pratiquants très enclins à voter à droite, beaucoup plus que les catholiques, les sans religion étant à nouveau beaucoup plus favorables à la gauche que les chrétiens non pratiquants. L’effet de la position sociale subjective (Wald=23) arrivait déjà en second, au même niveau qu’en 2014. Plus étonnant est le faible impact du pays (Wald=11), ce qui rend fragile l’hypothèse de cultures de droite prégnantes dans certains pays : on retrouve une orientation droitière en Finlande comme en 2014, mais pas aux Pays-Bas. Il est probable que l’orientation politique dominante d’un pays tienne autant, voire plus, à la conjoncture nationale du moment qu’à une culture droitière pérenne. Notons encore un petit effet du lieu d’habitation avec le même phénomène que 10 ans plus tard : les personnes vivant en maisons à la campagne ont plus tendance à voter à droite [46]. Le sexe, l’âge et le diplôme n’ont pas d’effet significatif (avec un Wald respectivement à 7, 4 et 2).

Conclusion

48Il apparaît assez clairement que l’intégration forte aux principales religions d’Europe occidentale (catholicisme et protestantisme), tout comme l’irréligion, continuent d’avoir un impact très important sur le rapport au politique. Les effets repérables sur l’implication et l’orientation politiques dépendent à la fois du positionnement général des individus (être pratiquant régulier, simple appartenant non pratiquant ou sans religion) et de la dénomination religieuse. Selon que l’on a une identité protestante ou catholique structurée, selon aussi que l’on vit dans un pays de culture protestante ou catholique, le rapport à la politique varie.

49Les relations de l’intégration à un univers religieux avec l’implication d’une part, l’orientation politique d’autre part, ne sont pas identiques. L’intégration religieuse n’est pas la variable la plus prédictive de l’implication politique, mais elle joue quand même assez fortement, avec des sans religion qui sont les plus impliqués en politique, suivis par les protestants pratiquants, les catholiques s’impliquant plutôt faiblement.

50En ce qui concerne l’orientation politique des individus, l’intégration à un univers religieux est bien la variable la plus prédictive. Les sans religion sont fortement orientés à gauche alors que les pratiquants, tout particulièrement les protestants, sont nettement orientés à droite. Les cultures nationales, qui sont indirectement liées à la religion en tant que matrice historique des cultures, jouent surtout un rôle sur les valeurs d’implication politique, l’idée d’un tempérament national de droite ou de gauche semblant exagérée au vu des différences observées à dix ans d’écart dans les données.

51Rappelons que beaucoup d’Européens de l’Ouest n’ont pas de positionnement religieux très tranché et qu’ils manifestent souvent beaucoup d’indifférence religieuse ou des formes de religiosités flottantes et vagues (Voas, 2009 ; Bréchon & Zwilling, 2020). Les relations fortes entre religions et politique s’observent en fait essentiellement aux extrêmes, chez les individus bien intégrés à un système religieux (très souvent entre 10 et 15 % de la population) et chez ceux qui rejettent la religion, le premier groupe étant de plus en plus restreint, le second de plus en plus large [47]. C’est donc chez les plus convaincus qu’on observe des cohérences fréquentes entre religion et politique. Chez les personnes religieusement flottantes, aux appartenances confessionnelles très relâchées et chez les simples indifférents aux phénomènes religieux, les relations deviennent beaucoup plus douteuses.

52Comment expliquer ces différences d’attitudes politiques selon les identités religieuses ? Ce ne sont pas les injonctions des autorités ecclésiales ou des défenseurs de la laïcité qui – pour l’essentiel – les expliquent. Les incitations des responsables protestants et catholiques à être des citoyens actifs semblent avoir plus d’effets sur la conception de ce que doit être le bon citoyen que sur les comportements des pratiquants. Par ailleurs, les autorités religieuses, surtout catholiques, profèrent de très nombreux discours de défense d’un modèle familial traditionnel (Derks & van Den Berg, 2020), qui semblent relativement bien perçus par leurs adeptes, d’après ce que montrent les enquêtes. Alors que les discours, assez fréquents, sur l’accueil des étrangers [48], les politiques sociales ou plus récemment l’écologie intégrale, ont beaucoup moins d’efficacité. Autrement dit, les discours n’ont pas le même effet parmi les récepteurs, du fait des valeurs intériorisées par les différents publics.

53Dans la plupart des pays occidentaux, les acteurs religieux et laïques ne donnent pas de consignes de vote. Par contre, au cours de la socialisation de la jeunesse et dans les milieux sociaux que fréquentent les fidèles et les sans religion tout au long de leur vie, des systèmes de valeurs sont intériorisés et entretenus. C’est par l’intermédiaire de ces systèmes de valeurs qui d’un côté valorisent la soumission à une autorité divine supérieure, la famille traditionnelle, l’ordre social, les autorités légitimes, le consensus pour améliorer le bien commun, de l’autre l’autonomie des individus, le libéralisme des mœurs, l’esprit critique, les transformations sociales, que les électeurs décident leur comportement électoral.

Notes

  • [1]
    Cet article est issu d’une communication au colloque de l’Association Française de Sciences Sociales des Religions : « Partis politiques et religions (XX°-XXI° siècles) », Paris, février 2017.
  • [2]
    Dans les décennies qui précèdent la Seconde guerre mondiale, alors que les sondages d’opinion n’existent pas encore, l’importance des appartenances religieuses sur le vote est aux États-Unis passée sous silence ou même rejetée. On cite parfois cette phrase de James Bryce, professeur de droit public et ambassadeur britannique aux États-Unis, en 1894 : « Religion comes very little into the American party » (cité par Jensen, 1970).
  • [3]
    Les enquêtes électorales montrent en effet que les différences dans les votes sont – toutes choses égales par ailleurs – beaucoup plus fortes selon la position religieuse que selon d’autres variables telles que la profession, le niveau de diplôme et de revenu des individus ou la classe subjective d’appartenance.
  • [4]
    2012 est le dernier scrutin présidentiel français avec un second tour opposant un candidat de droite et un de gauche.
  • [5]
    De nombreux électoralistes ont discuté l’importance relative du vote en fonction des valeurs de l’individu, des conjonctures et de la personnalité des candidats (Rose &McAllister, 1992).
  • [6]
    Le concept de « sécularisation interne » souligne que la baisse des religions n’est pas seulement liée à la défection de membres, mais aussi à une baisse de convictions chez les adeptes (Isambert, 1976).
  • [7]
  • [8]
    Les questionnaires de 2004 et 2014, ainsi que les résultats complets pour la France figurent sur le site : www.issp-france.fr.
  • [9]
    On aurait pu sélectionner la Russie si on considère ce pays comme européen, mais on n’aurait eu qu’un seul cas, ce qui rendait la prise en compte délicate, d’autant que la Russie est culturellement et religieusement assez différente de la Bulgarie, de la Roumanie, de la Grèce ou de Chypre, pays orthodoxes de l’Union européenne, mais où l’enquête n’a pas eu lieu aux deux dates. Pour une analyse comparative des liens entre religion et politique incluant les orthodoxes, à partir des résultats de la European Values Survey (EVS) voir Bréchon, 2013b et 2021a. Les sociétés à majorité orthodoxe sont en général très religieuses et attachées à des valeurs très traditionnelles.
  • [10]
  • [11]
    Si on ne considère pas la Grande-Bretagne comme un pays protestant. Le pays est en fait religieusement très mixte avec une majorité anglicane, mais aussi des protestants de différentes confessions (calvinistes presbytériens d’Écosse, non conformistes), une minorité catholique et un grand nombre de personnes se déclarant aujourd’hui sans appartenance confessionnelle (Davie, 2015). On ne prend pas en compte non plus la Norvège et Islande, non membres de l’Union européenne.
  • [12]
    Un mouvement de désaffiliation est cependant engagé.
  • [13]
    Les stratégies d’adaptation du catholicisme néerlandais au monde moderne, développées dans la dynamique du concile Vatican 2, ont échoué, en partie du fait d’une reprise en main par le centre romain.
  • [14]
    L’appartenance religieuse est d’abord mesurée par une question filtre : « Considérez-vous que vous appartenez à une religion ? » (oui/non), suivie par une seconde interrogation : « Si oui, laquelle ? ». Une liste est proposée : « catholique », « protestante », « orthodoxe », « autre religion chrétienne », « juive », musulmane », « bouddhiste », « hindoue », « autre religion asiatique », « autre religion ».
  • [15]
    Les catholiques et protestants pratiquants sont définis ici par l’assistance au moins mensuelle à un office religieux.
  • [16]
    L’indice est très homogène (alpha de Cronbach=0.76 en 2014 et 0.78 en 2004). Pour chaque question, les réponses vont de 1 à 4. L’indice additif va donc de 3 à 12. Il est recodé ici pour retenir à peu près la moitié de la population fortement politisée (de 3 à 7).
  • [17]
    Almond et Verba (1963), dans un livre séminal, avaient mis en exergue l’existence de trois cultures civiques (paroissiale, de sujétion, de participation).
  • [18]
    L’indice va de 9 à 63. L’homogénéité de l’échelle est très bonne (alpha=0.79 en 2014 et 0.77 en 2004). Une analyse factorielle montre que le premier facteur explique 38 % de la variance en 2014 (36 % en 2004) avec tous les indicateurs y contribuant fortement. Le deuxième facteur explique 15 % aux deux dates, il oppose une citoyenneté d’engagement à une citoyenneté beaucoup plus conformiste, axée sur les devoirs à respecter.
  • [19]
    L’accord ou le désaccord avec chaque formulation étant mesuré avec cinq modalités, l’échelle va donc de 4 à 20. La forte confiance, ici dénombrée, correspond aux notes 4 à 12. La cohérence de l’échelle est correcte (alpha de Cronbach= 0.60 en 2014, 0.56 en 2004) avec une variance expliquée de 46 % sur le premier axe en 2014, 43 % en 2004.
  • [20]
    L’indicateur est limité, ayant un aspect conjoncturel, mais l’enquête ne considère pas la participation électorale sur une plus longue période de temps.
  • [21]
    Avec quatre modalités de réponses, l’échelle va donc de 8 à 32. L’échelle est très homogène : alpha de Cronbach à 0.81 en 2014 et 0.79 en 2004, 43 % de variance expliquée sur le premier facteur en 2014, 42 % en 2004.
  • [22]
    Évidemment, l’affectation de certains partis à une orientation politique n’est pas toujours évidente, mais ce handicap est indépassable.
  • [23]
    La relation est significative, mais pas très forte. Le V de cramer est de 0.11 en 2014 et 0.13 en 2004. La conclusion énoncée ne vaut qu’en moyenne de l’échantillon : si les catholiques non pratiquants ne sont dans aucun pays fortement politisés, on observe une politisation élevée des catholiques pratiquants en France et aux Pays-Bas.
  • [24]
    La relation est statistiquement significative sans être très forte : V de Cramer à 0.10 en 2014 et 0.13 en 2004.
  • [25]
    Sur les 9 indicateurs de bonne citoyenneté, un seul ne présente pas de corrélation avec l’échelle d’intégration aux religions : chercher à comprendre les raisonnements des autres. Cette volonté de compréhension est jugée importante quelle que soit le positionnement religieux de l’individu.
  • [26]
    La relation est plus forte que pour les variables précédentes : V de Cramer à 0.24 en 2014 et 0.16 en 2004.
  • [27]
    V de cramer à 0.13 en 2014 et 0.15 en 2004.
  • [28]
    Selon le catéchisme de l’Église catholique romaine, « La soumission à l’autorité et la coresponsabilité du bien commun exigent moralement le paiement des impôts, l’exercice du droit de vote, la défense du pays ». (§ 2240). L’abstention, et même le vote blanc, sont souvent explicitement déconseillés par les autorités catholiques. Les discours médiatiques habituels présentent aussi l’abstention comme un signe de mauvaise citoyenneté.
  • [29]
    Aucun des pays concernés n’a un taux de participation électorale de 85 ou 88 %, affiché ici comme la moyenne des huit pays.
  • [30]
    V de Cramer à 0.10 en 2014 et 0.11 en 2004.
  • [31]
    Politisation et potentiel d’action sont intensément liés (V= 0.40 en 2014 et 0.42 en 2004 ; r de Pearson=0.52 en 2014 et 0.54 en 2004), ce qui autorise de les compiler dans un indice synthétique. Compiler les 5 indices en une mesure globale aurait été possible, mais néanmoins quelque peu discutable statistiquement (alpha de Cronbach=0.47, même si 38 % de la variance est expliquée par le premier facteur de l’analyse factorielle). L’indice d’implication est recodé en deux parties à peu près égales.
  • [32]
    L’exposant de B passe de 0.6 chez les premiers à 1.4 chez les seconds. L’implication politique a donc deux fois plus de chances d’être forte chez les protestants pratiquants.
  • [33]
    En Allemagne, la culture protestante a aussi imprégné les catholiques qui se révèlent aujourd’hui presque aussi politisés que les protestants (selon les données ISSP 2014).
  • [34]
    La spécificité finlandaise (qui serait en la matière plus proche de certains pays de l’Europe du Sud que des pays scandinaves) est quelque peu discutée. La Finlande a longtemps été moins développée que les autres pays scandinaves, mais elle a comblé ce retard. Elle est aussi un des pays où le système éducatif est aujourd’hui le plus performant (selon les enquêtes Pisa). La culture politique y est assez conformiste, avec moins d’engagements associatifs et de politique protestataire que dans les autres pays scandinaves (Ersson & Milner, 2007). Et la dernière enquête sur les valeurs des Européens montre que, si les Finlandais ont à peu près le même niveau (très fort) d’individualisation que les autres pays scandinaves, ils s’en distinguent par un individualisme beaucoup plus important : ils sont moins altruistes et moins impliqués dans des actions de solidarité (Bréchon, 2021b).
  • [35]
    Les Pays-Bas, l’Autriche et la France sont à des niveaux très proches, en position intermédiaire.
  • [36]
    Dans l’Europe protestante des pays nordiques, plus de 50 % des hommes de 20 à 30 ans savaient lire au début du XVIIIe siècle alors que dans une large partie de l’Europe du Sud, cette proportion n’a été atteinte qu’au début du XXe siècle.
  • [37]
    En français, la meilleure traduction consiste à parler de « compétence civique » ou de « compétence politique ».
  • [38]
    Entre les deux dates, le codage du diplôme a un peu évolué.
  • [39]
    La place sur l’échelle sociale jouait à peu près comme en 2014 (Wald à 8) et le lieu de résidence était sans effet (Wald à 2).
  • [40]
    En 2014, si 60 % des catholiques ont voté pour un parti de droite ou du centre, c’est le cas de 58 % des protestants, mais seulement de 42 % des sans religion. En 2004, les chiffres étaient respectivement de 56 %, 55 % et 34 %.
  • [41]
    À l’exception des protestants danois en 2014 : le vote à droite et au centre y concerne 54 % des pratiquants, mais 59 % des non-pratiquants.
  • [42]
    Le croisement de l’intégration à une religion et de l’orientation politique par pays est assez fluctuant, selon les conjonctures, comme le montre le tableau ci-dessous des V de Cramer aux deux dates :
    tableau im4

    La relation entre orientation politique et religion s’affaiblit beaucoup en Espagne et aux Pays-Bas, mais progresse fortement en Allemagne, au Danemark et en Finlande.
  • [43]
    Le phénomène se matérialise aussi par la géographie électorale : le vote pour la CDU/CSU est habituellement très fort dans les régions catholiques du sud de l’Allemagne, tandis que le SPD obtient ses meilleurs scores dans les régions protestantes du nord.
  • [44]
    En 2004, 55 % des catholiques néerlandais votaient pour la droite et le centre contre 62 % des protestants. En 2014, le vote catholique de droite et de centre est de 70 %, celui des protestants de 79 %. Mais il faut ajouter que le protestantisme néerlandais est très composite. Trois grandes Églises (calvinistes et luthériennes ont fusionnées en 2004, mais elles ne réunissent qu’environ 60 % des protestants, d’autres relevant de plusieurs autres confessions.
  • [45]
    Avec des retournements possibles. Ainsi, en Allemagne, si au début des années 1930, les catholiques votent très souvent pour le Zentrum (parti de droite), ils ne votent pas pour le parti nazi à la différence des protestants qui se laissèrent très souvent attirer.
  • [46]
    Ce pourrait être un effet du vote des agriculteurs et de catégories favorisées vivant à la campagne et travaillant en milieu urbain.
  • [47]
    Cette tendance est très fréquente en Europe, mais pas vérifiée partout. Par exemple, la religion tend à se renforcer dans beaucoup de pays de l’Europe centrale et orientale d’après les données de la dernière enquête sur les Valeurs des Européens (2017-2020).
  • [48]
    «Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine. Les pouvoirs publics veilleront au respect du droit naturel qui place l’hôte sous la protection de ceux qui le reçoivent.», Catéchisme de l’Église catholique § 2241.
Français

La religion est depuis longtemps considérée comme un élément explicatif du rapport des individus à la politique. Après avoir rappelé cette tradition de recherche, l’article présente l’analyse comparative mise en œuvre dans huit pays de l’Union européenne (à partir des données de l’enquête ISSP en 2004 et 2014) pour tester l’effet des appartenances au catholicisme et au protestantisme, mais aussi l’effet de l’intégration – ou non – à une religion, sur le rapport des individus à la politique. L’implication et l’orientation politiques s’avèrent toujours dépendantes des positionnements religieux selon un modèle dépassant les cultures politiques nationales, même si ces effets semblent plutôt à la baisse.

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Pierre Bréchon
Pierre Bréchon est professeur émérite de science politique à Sciences Po Grenoble qu’il a dirigée de 2002 à 2005, chercheur au laboratoire PACTE (unité mixte de recherche : IEPG/CNRS/UGA). Il travaille sur la sociologie des valeurs et de l’opinion, sur les attitudes religieuses en France et en Europe, sur les comportements électoraux, sur la méthodologie des enquêtes quantitatives et qualitatives. Il dirige les collections Politique en Plus et Libres cours Politique aux Presses Universitaires de Grenoble.
Professeur émérite de science politique, chercheur au laboratoire Pacte (Sciences po Grenoble, CNRS, UGA)
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 06/01/2022
https://doi.org/10.3917/ripc.281.0177
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