1Le rôle de la finance dans l’économie se révèle central. La financiarisation de l’économie s’est accrue depuis le milieu des années 80, pour toucher aujourd’hui toutes les activités économiques et même étatiques, voire sociétales. À l’aube des années 2010, les flux financiers qui parcourent la Planète, de plus en plus opaques, exigent une attention des acteurs de l’IE. Enfin, les flux financiers sont également des flux d’information.
2Cela justifie qu’une réflexion pertinente interroge la finance avec les outils de l’intelligence économique. Depuis plusieurs années, finance et intelligence économique entretiennent des rapports conflictuels. Si, à l’aube des années 90, les deux domaines étaient bien séparés, dans les années 2000, plusieurs dossiers ont montré la nécessité d’une action d’intelligence économique pour contrer des menées financières. Or, si la pratique a développé certains outils, la recherche académique ne s’est pas encore totalement penchée sur les relations entre finance et intelligence économique. Ainsi, il n’est fait nulle mention de recherche sur les liens entre finance et intelligence économique dans un ouvrage de référence (Knauff, 2010).
3En cherchant bien, on constate pourtant que quelques trop rares chercheurs se sont intéressés aux rapports entre les deux disciplines. Quelques ouvrages ont travaillé sur le monde de la finance avec les outils conceptuels de l’analyse criminologique en dépassant la simple mise en cause de mafias mais en allant rechercher les lignes de force criminelles du monde de la finance (Dupuis-Danon, 1998 ; Gayraud, 2011) mais ces recherches ne travaillent pas avec les outils de l’intelligence économique ni ne portent leurs efforts sur notre sujet.
4Curieusement, les premières réflexions théoriques sur les rapports entre finance et intelligence économique, sans que ce dernier concept soit explicitement prononcé, viendront des théoriciens de la régulation. Ils ont établi un certain nombre de résultats concernant le rôle régulateur de la finance et les rapports de la finance avec l’État, donc la souveraineté de ce dernier. Ainsi, il est établi que la finance régule l’économie et influence fortement les économies nationales. Le degré d’équilibre de l’économie réelle dépend de l’organisation de son système financier (Aglietta et Orlean, 1982). Il est également établi que, dans un monde ou la finance domine, le protectionnisme et des stratégies par trop volontaristes sont vouées à l’échec même si « des politiques bien tempérées » peuvent ouvrir de nouvelles voies de recomposition (Boyer, 2006).
5Allant plus loin, des recherches s’intéressent à des questions plus précises. Les paradis fiscaux sont l’objet d’une étude qui vise à montrer quels acteurs et puissances usent et abusent des paradis fiscaux à partir des stratégies de cotation des firmes (Sainteville, 2011). Le rôle des fonds souverains, suspectés de servir de bras armé à des intérêts et financiers et stratégiques, est ainsi étudié. Ces recherches montreront qu’il n’en est rien. Les fonds souverains entretiennent avec le monde politique des rapports plus complexes (Jégourel, 2007). Ils serviraient en fait des stratégies patrimoniales extrêmement puissantes (Junghans, 2008). Une recherche étudie le rôle de la publicité légale à laquelle sont soumises les entreprises françaises. Celle-ci est une source d’information majeure pour d’éventuels agresseurs et devrait faire l’objet de contre-mesures d’intelligence économique (Danet, 2007). Une autre recherche vise à développer une démarche nouvelle en matière d’intelligence économique qui consiste à mesurer la performance boursière des actions de lobbying des entreprises (Rival, 2007).
6Ainsi, les travaux de recherche sur les liens entre intelligence économique et finance semblent très – trop - peu nombreux. Cela tient à notre sens, cela tient à un positionnement particulier de la discipline intelligence économique dont le champ épistémologique, en construction, est rarement porté par des chercheurs en finances ou par des équipes comprenant ce type de spécialité scientifique. Or, la technicité de ces questions appellerait la collaboration avec ces « financiers ».
7Deuxième explication, le concept d’intelligence économique a été porté par des chercheurs, dotés de très fortes convictions, tant intellectuelles qu’idéologiques. Pour eux, la finance – américaine, forcément américaine – était l’ennemi, sauf lorsqu’elle était contrôlée par l’État et au service de l’industrie pilotée par l’État-stratège. De cette origine, réside la difficulté conceptuelle à appréhender de manière distanciée la finance d’aujourd’hui, déréglementée et mondialisée.
8Pour avancer dans l’étude de ce champ considérable tant en étendue qu’en intérêt, nous avons souhaité passer en revue les divers champs de l’intelligence économique dans une perspective interdisciplinaire. Un texte théorique de Gregory Moscato, directeur du Msc finance de l’International University of Monaco, l’un des rares « financiers » travaillant également dans le champ de l’intelligence économique, met en exergue le rôle essentiel que joue l’information financière et, à travers cette analyse, suggère quelques pistes concrètes afin de permettre un rapprochement les deux champs scientifiques de la finance et de l’intelligence économique.
9L’article de Myriam Quéméner, doctorante et avocat général à la Cour d’appel de Versailles, passe en revue les potentialités du procureur financier prévu par la récente loi française et son rôle dans le volet sécurité de l’intelligence économique. Cet article souligne avec vigueur les difficultés de l’intelligence économique au plan étatique, lorsqu’elle agit vraiment.
10L’article de Philippe Tauzin, consultant financier international et ancien dirigeant de banque, étudie la place des banques dans la lutte contre le blanchiment et l’évasion fiscale, mettant en exergue le paradoxe qui veut que ces établissements soient chargés de surveiller les mouvements de fonds sans en disposer des moyens et en étant en porte à faux vis-à-vis de leurs clients. À travers cet exemple, est mise en évidence la place délicate dans laquelle se trouvent placées les cellules intelligence économique des entreprises.
11Le dernier texte, de Pascal Junghans, relève à travers une étude de cas portant sur un produit financier, les difficultés d’utilisation des signaux faibles, une fois acquis et traités.
12Nous espérons que ces articles susciteront des réactions, de réflexions et contribuerons à faire avancer la recherche en intelligence économique.
13Nous vous en souhaitons une bonne lecture.