CAIRN.INFO : Matières à réflexion
LE SENTIMENT INITIATIQUE DE LA VIE
par Frédéric Vincent
Editions Pierre Guillaume de Roux, collection Initiatiques, Paris 2017, 226 pages, 23 €.

1Le dernier ouvrage de Frédéric Vincent analyse le concept d’imaginaire pour nous révéler les liens entre initiation et sentiment. Un beau livre ardu qui mobilise de puissants concepts philosophiques.

2C’est une belle idée que de rejoindre les mots de sentiments, d’initiation et de vie dans un même titre. Voilà déjà ce que l’on aime dans le dernier livre de Frédéric Vincent. Si les deux derniers associés nous paraissent à nous, francs-maçons, aller de soi tant nous savons que l’initiation, ce moment exceptionnel, nous emplira tout au long de notre vie, il est moins courant de leur accoler le mot de sentiment. Quoi ? Est-ce là ce sentiment amoureux, aimer la vie, aimer d’amour l’initiation ? Et pourquoi pas ? Est-ce cette sensation étrange qui occupe notre esprit et lui fait commettre de douces folies comme se livrer aux épreuves du feu, de la terre et de l’eau ? Est-ce alors que ces épreuves nous permettent un autre sentiment, accéder à une dimension mythique ?

3Frédéric Vincent dispose des armes adéquates pour décrypter les sentiments, lui qui exerce la profession de psychanalyste. Il semble nous convier à une plongée dans l’inconscient, usine à sentiments. Mais, non. C’est plutôt une exploration de l’imaginaire qui est la ligne de vie —si l’on ose dire — de son ouvrage. Cet imaginaire qui conduit nos vies. Cet imaginaire qui est, si je comprends bien l’auteur, une « des modalités secrètes du sentiment initiatique », comme il l’écrit, modalité qui lui permet de transcender sa vie. L’imaginaire est une invitation au sentiment initiatique de la vie, affirme Vincent.

Profondeur de la réflexion

4Il faut, pour apprécier la profondeur de la réflexion de l’auteur, ne pas lui reprocher quelques étrangetés, comme ce bizarre passage (p. 184) où il répète la même idée de l’homme disposant de sa liberté de choisir l’objet de son aliénation. Idée intéressante, mais bien connue et ne nécessitant pas une telle insistance. Profondeur de la réflexion, car, disons-le tout net, cet ouvrage n’est certes pas un « polar » dont on parcourt quelques lignes avant de plonger dans les rêves.

5C’est un travail ardu qui mobilise un puissant appareillage philosophique, surtout Heidegger, le plus fréquemment cité dans l’ouvrage et, comme le savent ceux qui ont fréquenté les concepts du moustachu de Fribourg, n’est pas des plus accessibles — mais, malgré l’opprobre dont il est marqué pour cause de nazisme militant, il a inspiré une large part de la philosophie contemporaine depuis Hannah Arendt jusqu’à Sartre en passant par Derrida. Vincent mobilise également beaucoup (trop ?) les thèses de Maffesoli. J’ai ressenti son dernier chapitre comme un ajout superfétatoire, peut-être un hommage à son maître, alors que le chapitre précédent pouvait servir de conclusion élégante. Curieusement, je n’ai pas trouvé dans l’ouvrage de cet homme de l’art, de référence aux réflexions de Freud ou de Lacan. Ils auraient peut-être pu être mis à contribution : la vie et le sentiment ne sont-ils pas, après tout, leur univers ? Ainsi, l’imaginaire se trouve au centre de la réflexion de Vincent. Cet imaginaire qu’il décrit comme au-delà du bien et du mal possède une dimension sacrée. Les hommes doivent y être initiés. Alors, il permet de transcender la peur que ressentent les hommes, à peine sortis de leurs cavernes matérielles ou intérieures. Il donne un sens, une brillance à la dure réalité de la vie pour que les humains puissent l’accepter, s’accepter et vivre. Vincent a une jolie formule : « l’homme poétise la réalité opaque ». Et cette autre : l’imaginaire est « une transcendance du quotidien ». L’imaginaire crée alors un univers bien à soi, intime, un être personnel. « Plus un imaginaire se fait secret, plus il devient unique », note Vincent.

Vie intime, vie sociale

6L’imaginaire construit ainsi notre vie intime, mais aussi sociale. Vincent démontre comment les grands mythes, le sacré, les religions sont le produit de l’imaginaire des hommes vivant en société. C’est ce sacré qui, en fait, fonde société.

7Il convient donc d’« utiliser les forces transcendantes pour se construire socialement », analyse Vincent. Ainsi, à cette question à laquelle nous consacrons tant de temps dans nos Loges et dans notre vie sociale, celle du vivre-ensemble, Vincent apporte une réponse neuve. Il mobilise l’imaginaire (souvent initiatique) qui produit des symboles, des mythes qui donnent sens et permettent de construire un Ego collectif. L’imaginaire permet de fusionner avec les autres pour construire un être-ensemble, analyse-t-il. C’est donc la vie — intime, mais aussi sociale — qui naît des tréfonds de notre conscience, laquelle produit ce sentiment de l’imaginaire après l’étincelle de l’initiation.

Pascal Junghans
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 28/05/2021
https://doi.org/10.3917/cdu.084.0019
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