CAIRN.INFO : Matières à réflexion
Jean-Michel Quillardet

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Grand-Maître du Grand Orient de France depuis septembre dernier, Jean-Michel Quillardet a entrepris d’insuffler un nouvel élan au sein de la première des obédiences françaises. Un effort qui semble déjà porter ses premiers fruits, tant en ce qui concerne l’image de la maçonnerie dans la société française que dans le domaine de la réorganisation interne, entreprise depuis cinq mois.

2Humanisme : L’obédience a depuis quelques années fait la une de certains magazines, tel que l’Express,et rarement pour en vanter les mérites. Jean-Michel Quillardet, quelle image le Grand-Orient offre-t-il selon vous à la société française ?

3Jean-Michel Quillardet : Nous sortons d’une crise longue au cours de laquelle l’image du Grand Orient a été ternie tant par les supputations de quelques journalistes que par l’écho des remous internes qui ont agité nos instances exécutives depuis le printemps 2005. Ces soubresauts n’ont hélas pas grandi l’image de la maçonnerie dans l’opinion publique et ont failli déstabiliser nombre de maçons. Heureusement, la crise s’est largement dénouée lors de notre dernière assemblée générale.

4Nous sommes parvenus à redresser la barre. Dès à présent, après cinq mois de travail, le Grand Orient retrouve le rayonnement qu’il est en droit d’attendre tant du côté du public que de celui des institutions. Notre discours, nos valeurs retrouvent droit de cité. J’en veux pour preuve le succès des colloques que nous avons organisés à travers la France pour le centenaire de la loi de 1905.

5Ainsi à Nice, pour ne prendre que cet exemple, la conférence à laquelle j’ai participé il y a quelques semaines avec Antoine Sfeir et René Androt.

6Là comme ailleurs, la salle était combleet l’intérêt du public incontestable. Nice-Matin s’en est fait l’écho. Comme quoi, contrairement à ce que répandent quelques esprits chagrins, il y a des journalistes qui présentent la maçonnerie pour ce quelle est, avec ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité et avec son attachement à la République, et non pour l’odeur de souffre qu’y décèlent les narines malveillantes.

Veilleur de la République

7Humanisme : Et au plan national ?

8Jean-Michel Quillardet : L’anniversaire de la loi de séparation a incontestablement marqué les esprits. La manifestation du 10 décembre à laquelle nous avons participé a été commentée sur les grandes chaînes nationales. Le colloque interobédientiel du 9 a lui aussi mobilisé la presse écrite et audio-visuelle. Des sujets de qualité ont été diffusés par la Cinq, LCI ou La Chaîne parlementaire. Cette intérêt des médias pour la franc-maçonnerie au moment de ces célébrations a permis de souligner notre rôle traditionnel sur le chantier de la laïcité. Un principe auquel toutes les enquêtes démontrent à quel point les citoyens français lui sont attachés.

9Humanisme : On parle fréquemment d’effacement de la franc-maçonnerie sur le plan institutionnel. Quel est aujourd’hui le poids du Grand Orient auprès des pouvoirs publics ?

10Jean-Michel Quillardet : Là aussi nous regagnons le terrain perdu. Depuis septembre, les pouvoirs publics nous consultent régulièrement sur les grands dossiers de société. Ainsi de la loi sur l’enseignement de la colonisation et du débat suscité par l’article 4. Le président de l’Assemblée nationale a sollicité notre point de vue, ce qui m’a permis de manifester notre opposition à une version officielle de l’histoire et donc notre souhait de voir cette disposition abrogée. Nous avons également rencontré le ministre à la Promotion et à l’Egalité des chances, Azouz Begag. Enfin, nous participons aux travaux de la réforme du droit de la famille. Autant d’enjeux cruciaux au sujet desquels les francs-maçons de France doivent faire entendre leur voix.

Le Grand Orient et l’Europe

11Humanisme : Le Grand-Orient occupe une place particulière dans le paysage maçonnique international. Comment aujourd’hui s’organisent ses relations avec les obédiences implantées dans d’autres pays et en particulier en Europe ?

12Jean-Michel Quillardet : Même si j’ai pris le parti de me consacrer essentiellement cette année aux affaires intérieures de l’obédience et à sa politique de communication, nous ne restons pas inactifs en ce qui concerne les relations internationales. C’est avant tout notre présence dans le dispositif européen qui a polarisé nos efforts.

13L’assemblée constitutive de l’espace maçonnique européen s’est déroulée à Istanbul. C’est une structure légère qui a pour mission de diffuser nos valeurs auprès des institutions européennes. N’oublions pas que toutes les églises, voir bon nombre de sectes sont présentes à Strasbourg et à Bruxelles. Il s’avère donc indispensable que nous y fassions aussi entendre notre voix, notre son de cloche si vous préférez. Cette organisation compte aujourd’hui une trentaine d’obédiences. Les francs-maçonnerie belge et française en constituent les piliers. Devant le succès de cette initiative, nous devons pourtant faire preuve de vigilance quant à l’afflux de candidatures que nous recevons et nous assurer de la légitimité des associations qui entendent nous rejoindre.

14Nous ne nous sommes pas limités à l’Europe puisque nous souhaitons maintenir la présence de la franc-maçonnerie libérale sur le continent africain et que nous recevons les représentants des grandes obédiences de cette région du monde. Par ailleurs, en Israël, nous avons suscité un nouvel atelier, l’Etoile d’Israël, pour pallier une absence qui durait depuis trop longtemps dans cette partie de la Méditerranée. Souchée sur la loge du Grand Orient Etoile de la Paix, elle devrait contribuer au rassemblement des hommes de bonne volonté. Fait exceptionnel dans ce pays, je suis invité à une réunion publique en juillet. Une manifestation sans précédent en Israël pour notre obédience. En tout cas, le Conseil de l’Ordre a la volonté de renforcer la présence du Grand Orient dans toutes les régions où la maçonnerie adogmatique est encore à l’état embryonnaire.

15Humanisme : Prendrez-vous d’autres initiatives au cours des prochains mois pour la défense des valeurs maçonniques ?

16Jean-Michel Quillardet : Nous continuerons notre combat pour la laïcité. Et la partie est loin d’être gagnée ! Regardez la commission constituée par l’actuelle ministre de l’Intérieur qui est chargée de préparer la révision de la loi de 1905 et qui réunit des représentants des différents cultes chrétiens. Pour répondre à cette tentative, nous avons décidé de constituer notre propre groupe de travail qui a pour mission de présenter une argumentation en faveur des deux principes de séparation et de liberté de conscience. Elle réunit des personnalités appartenant ou non à la Maçonnerie et les anciens Grands Maïtres de l’Obédience qui appartiennent encore à notre association. Dans un autre ordre d’idées, nous organisons le 20 mai un colloque consacré aux crimes contre l’Humanité. Notre souhait consiste à promouvoir la Cour pénale internationale dont la création est aujourd’hui bloquée par l’attitude des Etats-Unis.

17Dans un futur proche, nous prendrons aussi de nombreuses initiatives en commun avec les grandes associations caritatives telles qu’Emmaüs, ATD-Quart Monde entre autres, pour la lutte contre la grande pauvreté. C’est une partie de la vocation maçonnique. Le solidarisme, défendu en son temps par Léon Bourgeois, est un projet éminemment maçonnique.

La culture au cœur

18Humanisme : Je crois que la politique culturelle de l’Obédience vous tient à coeur.

19Jean-Michel Quillardet : C’est en effet une de mes grandes préoccupations. Nous avons mis sur pied une série de manifestations liées à l’année Mozart. Ainsi, nous avons proposé une mise en scène maçonnique de la Flûte enchantée. Nous entendons aussi relancer la réflexion sur le musée de la maçonnerie et mettre mieux en valeur notre patrimoine. Le musée de la rue Cadet participera donc en mai à la Nuit des musées organisée par le ministère de la Culture.

20Nous ouvrirons alors trois temples au public, le grand temple Arthur Groussier, Lafayette et le Temple égyptien pour la première fois. On m’a sollicité pour que je présente l’apport culturel de la maçonnerie lors de cette manifestation. Je ferai donc un exposé sur ce thème vers vingt-trois heures. Mon but est de faire raison des propos fallacieux qui traînent sur notre compte et d’affirmer haut et fort au public : « La franc-maçonnerie n’est pas ce qu’on vous en dit. Elle vaut mieux que l’image qu’en véhicule nos adversaires. » Il ne s’agit pas de rompre le secret de l’initiation. Cela n’aurait aucun sens. Mais de présenter ce qu’est vraiment la vie des ateliers et des maçons.

21Humanisme : Qu’en est-il de la Franc maçonnerie française et de l’Institut Maçonnique de France ?

22Jean-Michel Quillardet : Nous avons voulu revivifier les relations entre les neuf Grands Maîtres. Dans le respect de la personnalité de chaque obédience, le Grand Orient estime qu’il existe bon nombre d’actions à mener en commun. Il n’est pas question de gommer la spécificité de telle ou telle organisation maçonnique, mais de mettre en valeur ce qui nous rassemble, en particulier dans le domaine culturel.

23Humanisme : Quel est, quelques mois après un Convent pour le moins agité, le climat actuel de l’Obédience ?

24Jean-Michel Quillardet : La tendance est incontestablement à l’apaisement. C’est l’impression qui ressort de la vie des régions comme des réunions mensuelles du Conseil de l’Ordre où les votes sont désormais acquis à une large majorité. Même sur les questions les plus importantes. Pourtant, il nous reste du pain sur la planche. Nous avons commencé à assainir la situation financière en prenant la décision de procéder à la liquidation amiable des Edition maçonniques de France. Entendons-nous bien : cela ne signifie nullement que le Grand Orient disparaîtra du paysage de l’édition. Nous passerons un accord avec un éditeur qui portera une collection sous notre marque. De plus, j’ai rappelé dans un courrier récent adressé aux loges que les revues, Humanisme, la Chaîne d’Union et Chroniques d’Histoire Maçonnique continueraient de paraître. Nous allons les rattacher directement au Grand Orient et nous comptons les doter de moyens supplémentaires.

Le changement à l’ordre du jour

25Humanisme : Il y a aussi le chantier de la réforme de l’Obédience.

26Jean-Michel Quillardet : C’est un point fondamental soulevé par le dernier Convent. J’en parle avec d’autant plus d’aisance que son application ne s’effectuera normalement qu’après ma descente de charge. Un premier projet sera élaboré par la commission en charge du dossier puis sera présenté aux loges, avant de revenir vers le Convent.

27En tout cas, il est certain que des changements s’imposent. Je crois qu’aucun membre du bureau ne me démentira si j’affirme que notre action pâtit quotidiennement du manque de durée. Si nous avions le temps devant nous, les décisions prises revêtiraient une autre dimension.

28Humanisme : Le prochain Convent se tiendra à La Rochelle.

29Jean-Michel Quillardet : C’est en effet l’exécution d’une décision de l’assemblée générale. Pour ma part, je m’en réjouis car cette innovation permettra de rompre avec le parisianisme et devrait permettre que les réunions aient lieu dans une ambiance plus sereine, moins marquée par les bruits de couloirs de la rue Cadet. En plus, contrairement à certains bruits, le coût en sera égal sinon moindre qu’à Paris. Une salle susceptible de nous accueillir à La Rochelle est moins onéreuse que dans la capitale.

30Humanisme : Votre prédécesseur à la grande maîtrise, Bernard Brandmeyer, s’inquiétait du vieillissement de la population maçonnique.

31Jean-Michel Quillardet : C’est un phénomène inquiétant que Bernard Brandmeyer avait raison de souligner. Notre obédience compte aujourd’hui quarante six mille membres, mais l’âge moyen s’établit à cinquante-quatre ans. Il nous faut donc attirer les jeunes adultes sur nos colonnes. C’est un des enjeux de l’amélioration de l’image de notre maison et de notre regain d’influence intellectuelle et morale. Pour ce second point, il va nous falloir valoriser d’avantage les travaux des loges. Je suis pour ma part partisan d’une question obligatoire adressée aux loges et dont la réponse ferait l’objet d’une publication et d’un envoi aux pouvoirs publics.

32Humanisme : La communication semble un exercice difficile au sein du Grand Orient.

33Jean-Michel Quillardet : C’est le moins que l’on puisse dire. Lorsque le Conseil de l’Ordre et le Grand Maître parlent, on leur reproche de s’exprimer. Mais s’ils restent muets on leur fait grief de leur silence ! Il faudra un jour ou l’autre que l’obédience se prononce clairement au sujet de ce que les maçons attendent. Et à partir de ce but, il faudra mettre les moyens en place. Pour mener une bonne stratégie de communication, il est indispensable de professionaliser cette mission. Il ne s’agit pas de se montrer tous les jours au journal télévisé, mais d’expliquer ce que nous sommes et nos valeurs auprès des supports médiatiques ad hoc. C’est peut-être sur notre présence médatique que ce joue une grande partie de notre avenir.

Interview de
Jean-Michel Quillardet
Grand Maître du Grand Orient de France
Propos recueillis par
Marc Viellard
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
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Mis en ligne sur Cairn.info le 02/02/2021
https://doi.org/10.3917/huma.272.0004
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