CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Le terme géopolitique est peu usité en dehors du champ de la géographie dans le monde anglo-américain mais gagne en notoriété depuis deux décennies. L’étude des rivalités de pouvoir sur des territoires, à différents niveaux d’analyse, n’est pour autant pas absente de la littérature scientifique, pas plus que la question des représentations et de leur fonction dans les conflits locaux, régionaux ou internationaux. La prise en compte du rôle des acteurs, des intérêts et représentations contradictoires dans les rivalités entre États ou entre forces politiques est largement répandue dans les études stratégiques de politique internationale comme dans les rivalités locales autour de projets d’aménagement ou de redécoupage de circonscriptions électorales. La cartographie, en revanche, est nettement moins abondante et sophistiquée qu’en Europe. Ainsi, des études que nous pourrions considérer, à Hérodote, comme s’apparentant à une analyse géopolitique ne sont pas nécessairement considérées comme telles. Et la référence à la démarche géopolitique suscite des interrogations, des réticences – voire des suspicions liées à son histoire – et une certaine confusion quant à la multiplicité croissante des approches et des problématiques qu’elle recouvre.

2 Le concept de « géopolitique critique » a émergé dans les années 1970, en réponse à la « géopolitique classique » qui, inspirée des écrits de Friedrich Ratzel et Rudolf Kjellen, mettait en avant le déterminisme géographique pour justifier l’exercice du pouvoir politique sur un territoire et le recours à l’action militaire. Dès novembre 1939, Life Magazine publiait un article sur Karl Haushofer, présenté comme le gourou de la géopolitique allemande, une démarche scientifique qui légitimait l’action des nazis et conférait même au national-socialisme une sorte de pseudo-spiritualité [Dodds, 2007]. À l’automne 1941, le Reader’s Digest dénonçait l’influence d’un Institut de géopolitique qui, armé de plus de mille scientifiques, alimentait dans l’ombre les plans d’Hitler pour dominer le monde. Qualifié en 1954 de « poison intellectuel » par le géographe Richard Hartshorne, conseiller en intelligence géographique pour l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale, le terme géopolitique a soigneusement été évité par toute une génération de géographes pendant la période d’après guerre. Il revient progressivement dans la littérature à partir des années 1970 avec les écrits de Saul Cohen puis devient de plus en plus usité à partir des années 1990, notamment sous la plume de John Agnew et Gearóid Ó Tuathail.

3 La plupart des définitions contemporaines articulent la relation entre pouvoir (militaire, politique ou capacité d’influence) et l’espace (territoires, nations, groupes de nations) dans le contexte des conflits entre États. La littérature anglo-américaine présente ainsi souvent la géopolitique comme un discours sur les relations internationales. Dans son livre Geopolitics : Re-visionning World Politics, John Agnew [2003] considère que pour comprendre la géopolitique, il faut se livrer à un examen critique de ce qu’il appelle l’« imagination géopolitique moderne », autrement dit apprendre à penser de façon globale sur les questions de politique internationale. Il est cependant difficile de trouver une définition claire et consensuelle de ce qu’est la géopolitique, plus souvent définie par les thèmes de plus en plus vastes et variés qu’elle aborde que par l’évocation d’une véritable démarche, dotée d’outils conceptuels spécifiques. La géopolitique dans le monde anglo-américain est le fruit d’une longue évolution historique qui a donné lieu à des théories visant à expliquer le monde et orienter l’action politique ; elle ne se recoupe que partiellement avec la conception et l’usage de notre démarche, souvent référencée comme French school of geopolitics, développée par Yves Lacoste que l’on retrouve fréquemment cité dans la littérature anglo-américaine.

La géopolitique anglo-américaine depuis Mackinder

4 Le terme « géopolitique », introduit pour la première fois en 1899 dans le monde anglo-américain par Rudolph Kjellen, politologue suédois influencé par le géographe allemand Friedrich Ratzel, y a connu une histoire longue et contrastée. Les deux premiers à théoriser cette approche furent l’Américain Alfred Mahan (1840-1914) et le Britannique Halford Mackinder (1861-1947). Alfred Mahan s’est intéressé à l’importance de la puissance maritime de certains pays pour assurer leur suprématie mondiale (flotte de guerre, marine marchande, bases maritimes), un facteur indéniable de domination et de prospérité de l’Empire britannique. Les thèses d’Halford Mackinder, largement explicitées par Yves Lacoste dans ce numéro, s’appuyaient au contraire sur le développement des infrastructures de transport routières et ferroviaires, et à la façon dont leur développement a créé des opportunités pour les grandes puissances d’assurer leur domination mondiale. Malheureusement pour le champ de la géopolitique, les promoteurs les plus actifs et les plus influents de la démarche furent les nazis. Ils cherchèrent à mettre en pratique certaines des idées développées par Karl Haushofer, qui avait fondé un journal de géopolitique (Zeitschrift für Geopolitik) en 1924, dans leur stratégie de conquête de l’Europe de l’Est et de la Russie. Nombre des idées et théories de cette période étaient imprégnées d’un solide déterminisme géographique, basé sur l’idée que l’environnement façonne les cultures et que, de fait, certaines cultures étaient « naturellement » supérieures à d’autres.

5 En raison de son association avec les ambitions nazies, le terme géopolitique est tombé en disgrâce après la Seconde Guerre mondiale, aux États-Unis comme en Europe. Cela n’a pour autant pas empêché les experts en politique étrangère américaine d’adopter certains principes géopolitiques pour élaborer leur représentation du monde. Dans l’immédiat après-guerre, le monde était dans leur esprit divisé en deux camps : le monde libre et capitaliste, conduit par les États-Unis, et le monde communiste, conduit par l’Union soviétique. Cette vision schématique a guidé d’importantes orientations politiques. La première est la politique d’endiguement (containment), exposée par le président Harry Truman devant le Congrès en 1947, qui vise à limiter la progression des Soviétiques dans les pays non-alignés – qui ne se sont ralliés ni à l’Union soviétique, ni aux États-Unis – afin de contenir l’expansionnisme communiste, perçue comme une menace pour la démocratie américaine. Une autre politique s’est inspirée de la théorie des dominos, qui conçoit tout changement de régime politique ou de gouvernement d’un pays comme un domino, qui peut entraîner dans sa chute d’autres dominos dans une réaction en chaîne. Dans le contexte de la guerre froide, les États-Unis redoutaient que tout nouveau pays communiste dans une région favorise la conquête de ses voisins – et par là même de toute la région – par l’Union soviétique. Dans une vision extrême, les États-Unis auraient pu être le dernier domino. Or c’est bien la mise en danger de l’« expérience américaine », dans ses valeurs de démocratie d’exception et de libre marché, qui a servi à justifier ces politiques, particulièrement lorsqu’elles entraient en totale contradiction avec certains principes fondateurs de la nation américaine. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la protection des libertés individuelles, la liberté d’expression ont été largement malmenés pendant la chasse aux sorcières orchestrée par le sénateur Joseph McCarthy ou pendant la guerre du Vietnam. Les leaders de l’Union soviétique avaient aussi de leur côté adopté des stratégies géopolitiques, en particulier l’idée de s’étendre le plus possible tout en contrôlant leurs frontières par la création d’une série d’États satellites. Les soulèvements démocratiques en Hongrie ou en Tchécoslovaquie furent brutalement réprimés par l’Union soviétique, de crainte qu’ils n’ouvrent une brèche vers la mère patrie.

6 Par la suite, de nouvelles conceptions géopolitiques, débarrassées d’ambitions impérialistes, ont émergé pour analyser la période de guerre froide et post-guerre froide. Dans les années 1970, le géographe américain Saul Cohen a élaboré une série de cartes pour montrer l’évolution d’un monde bipolaire de la guerre froide à la fin du XXe siècle à un monde divisé en grandes régions géopolitiques du XXIe siècle. D’après Cohen [2003], si l’affrontement des États-Unis et de l’Union soviétique pendant la guerre froide a conduit à l’émergence de deux blocs, deux réalités géopolitiques bien distinctes, le monde d’après guerre froide se comprend mieux à travers une division en entités géopolitiques régionales, qui s’organisent en réseau permettant d’expliquer le système mondial. Ces grandes régions se définissent en fonction de leur contiguïté territoriale et de leurs politiques, militaires, économiques et culturelles. Le système s’articule ainsi autour de données géographiques, mises en lien avec des changements politiques et des forces économiques dans une dynamique d’interaction entre les entités. Il distingue deux types d’États ou de régions qui jouent un rôle clé dans la stabilité mondiale. Les shatterbelts – que l’on pourrait traduire par zones frontalières éclatées – sont des régions politiquement fragmentées qui servent de zone tampon entre deux grandes zones idéologiques ou religieuses qui s’y trouvent souvent en concurrence. L’Asie du Sud-Est était par exemple représentée comme une shatterbelt, parce qu’elle était une zone de conflits entre l’Union soviétique et les États-Unis, notamment au moment de la guerre du Vietnam. Elle s’est, depuis, transformée en zone géopolitique plus stable. Les Gateways ou Gateway States, d’après Cohen, ont acquis une grande importance au cours du XXIe siècle. Ces États ou régions, qui bénéficient d’excellents accès par la mer ou les infrastructures terrestres – d’où le terme port d’entrée –, jouent un nouveau rôle de mise en lien des différentes parties du monde, en facilitant la circulation des personnes, des biens et des idées. Certaines parties du célèbre heartland de l’Eurasie (Europe de l’Est, Transcaucasie, Asie centrale) pourraient ainsi basculer dans une catégorie ou dans l’autre en fonction des choix politiques de coopération ou de compétition des grandes puissances, affectant ainsi la stabilité mondiale.

Trois visions géopolitiques du monde

7 Les grands bouleversements politiques occasionnent souvent un questionnement accru sur la façon dont le monde fonctionne. La chute du mur de Berlin entraîna l’effondrement de tout un système d’organisation des sociétés autour de grandes idéologies, laissant ouverte la question sur les grandes forces qui, à l’avenir, régiraient le monde. Dans la multitude de théories et autres modèles du futur qui vinrent combler ce vide, trois se distinguent. Bien que ne revendiquant pas une approche géopolitique, Francis Fukuyama (The End of History and the Last Man, 1992), Samuel Huntington (The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, 1996) ou John Mearsheimer (The Tragedy of Great Powers, 2001) élaborèrent chacun un discours géopolitique offrant un nouveau cadre pour comprendre le monde d’après guerre froide. Chacune de ces visions entrait, à des degrés divers, en contradiction avec les autres, suscitant de vifs débats d’experts. Fukuyama expliquait que l’effondrement de l’Empire soviétique rendait moins pertinentes les questions idéologiques et géopolitiques. Avec l’universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme de gouvernement s’achevait l’évolution idéologique de l’humanité ; selon son point de vue, plutôt optimiste, les conflits finiraient par décroître. Selon les théories d’Huntington, en revanche, un nouvel ordre mondial devait émerger en lieu et place de l’ancien, basé sur de vastes critères culturels plutôt qu’idéologiques. Le point de vue d’Huntington est particulièrement instructif en raison de la grande influence qu’il a pu avoir dans les cercles politiques comme dans l’opinion publique, mais aussi parce que beaucoup de ses idées ont semblé être corroborées par les événements du XXIe siècle. Pour l’essentiel, Huntington avançait que le monde était divisé en neuf « civilisations ». La civilisation « occidentale » – qui inclut toute l’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest, l’Australie et la Nouvelle-Zélande – était menacée avant tout par son propre déclin et l’illusion de transmettre, par la mondialisation de l’économie et de la culture de consommation, les valeurs politiques du monde occidental comme la démocratie, l’individualisme, la suprématie du droit, etc. Le clash serait entre la civilisation occidentale et les autres ; elle s’opposait principalement à la civilisation « islamique », dont l’étendue couvrait l’islam du Sahara occidental jusqu’à l’Indonésie. La Chine, à la recherche de l’hégémonie en Asie, était également pointée comme une menace. Pour John Mearsheimer, la Chine est justement la menace principale. Mearsheimer offre un point de vue généralement qualifié de « réalisme offensif », dans une conception des relations internationales basées avant tout sur des rapports de forces d’un jeu à somme nulle. La montée en puissance de la Chine pourrait conduire à l’émergence d’une deuxième superpuissance et au retour d’un monde bipolaire.

8 Chacune de ces théories a rencontré un écho dans l’opinion publique, en partie accréditée par l’effondrement de l’Union soviétique pour celle de Fukuyama, le 11 septembre 2001 pour Huntington et peut-être, un jour, l’avènement de la Chine comme superpuissance pour Mearsheimer. Aucune n’a pour autant résisté à l’épreuve des faits, ni guidé efficacement l’action politique, ce qui n’enlève rien à leur influence d’après Richard K. Betts.

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Ces trois visions restent un véritable point de repère car même les décideurs politiques pragmatiques qui fuient les grandes théories ont tout de même tendance à inscrire leur analyse dans l’une d’entre elles, et aucune autre théorie n’a pour l’instant émergé qui soit d’une aussi grande portée et profondeur. Chacune éclaire le chemin vers la paix et la stabilité si les décideurs font les bons choix – mais aucune n’offre l’assurance que les mauvais choix seront évités [Betts, 2010, p. 186].

10 Dès lors, il importe de savoir par qui sont élaborés ces cadres de réflexion et dans quel but. C’est précisément dans le but de comprendre comment se construisent ces représentations géopolitiques qu’est née l’idée de la « géopolitique critique », par opposition à une « géopolitique classique » que nous venons d’évoquer.

11 La géopolitique critique ne propose pas de grande théorie comme celles de Mackinder ou Huntington mais plutôt une analyse des représentations – souvent contradictoires – à propos des frontières des États, des relations entre États, voire des représentations du monde. Toute vision politique du monde, comme la théorie des dominos, s’appuie sur un ensemble de convictions. Ces convictions peuvent être élaborées par des acteurs individuels, qui tentent de mobiliser les populations à travers un ensemble de critères géographiques. La formation de ces représentations géopolitiques peut être intentionnelle, notamment lorsqu’un pays cherche à justifier son entrée en guerre. Elles peuvent aussi se développer sur une période de temps plus long, sous l’influence de leaders politiques mais aussi de mouvements associatifs ou d’écrits journalistiques, littéraires ou universitaires. Dans son ouvrage Orientalism, Edward Said [1978] explique comment le monde occidental a construit ses représentations du Moyen-Orient. Des termes comme « axe du mal », « tiers monde » ou même « Europe de l’Est » véhiculent des représentations géopolitiques particulières et puissamment évocatrices. Ils sont désignés, dans le jargon anglo-américain, comme des « codes géopolitiques », et servent en quelque sorte d’abréviation pour définir le monde selon un certain point de vue (identifier les alliés et les ennemis potentiels) et fournir des justifications clé en main de l’action géopolitique, comme une invasion militaire [Flint, 2006]. Le champ de la géopolitique, dans le monde anglo-américain, est ainsi vaste et difficile à définir, d’autant qu’il ne cesse d’évoluer pour englober des préoccupations plus concrètes et locales.

Des concepts et des démarches géopolitiques

12 Il n’existe pas vraiment de définition consensuelle de ce qu’est la géopolitique aux États-Unis. Selon Klaus Dodds [2007], c’est un champ d’études qui s’intéresse à la géographie des frontières, des ressources, des flux, des territoires et des identités et à la façon dont ces questions affectent la politique au niveau mondial. Mais il s’agit plus d’un catalogue de sujets que d’une définition claire. Dans sonDictionary of Geopolitics, O’Loughlin [1994] définit la géopolitique comme les relations entre les pays et la façon dont les États administrent leurs territoires, en particulier leurs colonies. John Agnew propose une interprétation encore plus large, la définissant comme une « analyse des présupposés, dénominations et connaissances géographiques » qui entrent en compte dans la politique mondiale [2003, p. 6]. Cela implique que certains concepts sont nécessairement liés à la géopolitique : l’échelle, les acteurs, l’objectivité ou le point de vue.

La question de l’échelle

13 Traditionnellement, la géopolitique s’est surtout préoccupée de l’activité des gouvernements nationaux, avec très peu d’attention portée aux activités se situant à d’autres échelles – que ce soit au niveau inférieur ou supérieur à celui de l’État-nation. L’idée d’un État comme « super-organisme », avancée par l’école allemande de géopolitique, renfermait le plus clairement cette idée [Dodds, 2007] mais la suprématie de l’État dans la conduite des affaires géopolitiques était également prédominante dans la tradition anglo-américaine. Quasiment toutes les perspectives géopolitiques étaient clairement ancrées dans le pouvoir de l’État-nation [Agnew, 2003]. Pourtant, les enjeux et rivalités de pouvoir s’exercent aussi à de plus grandes et plus petites échelles que l’État. On en trouve quelques exemples dans la littérature. La géopolitique peut ainsi prendre en compte l’émergence d’identités régionales, comme on peut le trouver avec l’idée de l’« Europe » ou d’un « foyer arabe » (Arab homeland) [Culcasi, 2011]. C’est également le cas au niveau infranational. Les groupes séparatistes régionaux pratiquent leur propre forme de géopolitique mais les États peuvent réagir, en employant ce que les Anglo-Américains nomment les codes géopolitiques comme les thèmes de la « sécurité nationale », une bonne excuse pour réprimer les aspirations régionalistes. Il est toutefois significatif de constater que l’État-nation reste l’échelle de référence, qu’il s’agisse de l’action géopolitique de l’État lui-même ou des identités supranationales ou infranationales qui défient l’État. Pourtant, contrairement à la géopolitique française qui s’est progressivement développée au niveau régional [Giblin, 1986 ; Loyer, 1997], puis local [Subra, 2007] et même urbain [Douzet, 2001, 2007 ; Papin, 2010], la géopolitique anglo-américaine est restée pour l’essentiel à l’échelle des États. Il n’y a pas eu d’engagement délibéré pour développer la recherche géopolitique à l’échelle de la ville ou du quartier. En revanche, quelques travaux portent sur les résistances locales et montrent plus particulièrement comment l’utilisation de vidéosurveillance pour rendre compte des violences contre les femmes pourrait être considérée comme une sorte de géopolitique par le bas [Fluri, 2009].

La question des acteurs

14 Traditionnellement, la géopolitique anglo-américaine s’intéresse à l’action des gouvernements. On retrouve d’ailleurs souvent des raccourcis de langage qui évoquent la position de « Washington » ou de « Moscou » pour désigner les pays respectifs, sans forcément d’analyse des rivalités de pouvoir interne à ces gouvernements ou des contraintes de géopolitique internes susceptibles de guider leur action. On retrouve toutefois d’autres acteurs impliqués – les intérêts corporatistes, les journalistes, les ONG, les cinéastes qui « font » en pratique de la géopolitique. Cela renvoie à la question de l’échelle mais ces acteurs sont tout aussi importants dans la mesure où ils prennent part à l’élaboration et à la diffusion de représentations géopolitiques qui peuvent, ou non, conforter la position « officielle » du gouvernement. Certaines études examinent différents types d’acteurs, s’intéressant même à l’impact des pratiques matrimoniales et éducatives – en accord ou en violation de la prohibition des unions entre bouddhistes et musulmans – sur l’avenir politique en Inde du district Leh, près du Pakistan [Smith, 2009].

La question de l’objectivité et du point de vue

15 Les premiers travaux de géopolitique adoptaient le ton neutre de l’objectivité. La géopolitique critique, en revanche, a montré l’importance de connaître les représentations des auteurs eux-mêmes. En d’autres termes, l’analyse géopolitique ne serait pas neutre mais en quelque sorte prisonnière d’une certaine conception du monde. En cela, elle rejoint l’école française de géopolitique qui invite les chercheurs à adopter un certain recul critique sur leurs propres représentations, à préciser au lecteur « d’où ils parlent », et à confronter les représentations contradictoires des différents acteurs pour échapper au risque de s’enfermer dans une représentation, un point de vue. La géopolitique critique a, par exemple, montré à quel point la discipline s’est d’abord construite de manière écrasante selon une perspective masculine, représentant le monde selon le point de vue de certains pays seulement. Ces représentations définissent un certain « ordre géopolitique » et les plus puissantes peuvent exercer une influence énorme. L’ouvrage Orientalism d’Edward Said a eu une influence considérable en montrant comment les représentations géopolitiques profondément ancrées dans une culture européenne et nord-américaine avaient marginalisé les pays à l’est de l’Europe. Les recherches les plus récentes ont tenté de faire émerger une perspective féministe ainsi que d’autres points de vue qui représentent d’autres acteurs qui sont eux-mêmes engagés dans des conflits géopolitiques ; souvent ceux qui résistent à l’ordre établi [Gilmartin et Kofman, 2004].

16 Ces grands thèmes ne représentent pas réellement une définition de la géopolitique mais en montrent les points de cohérence. La préoccupation du conflit est ainsi nettement moins marquée que dans la géopolitique française, alors qu’il est beaucoup plus clairement question d’ordre du monde, de système dont le maillon central reste l’État-nation. La géopolitique critique, celle dont l’école française de géopolitique d’Yves Lacoste se rapproche le plus, tente d’ouvrir les perspectives et la prise en compte de représentations contradictoires des acteurs. La géopolitique diffère aussi dans ses pratiques. On en identifie trois types principaux qui, ensemble, créent une perspective géopolitique, ce que les Anglo-Américains appellent imagination.

17 La géopolitique formelle est pratiquée par les universités et les think-tanks. Elle regroupe les grandes théories géopolitiques particulièrement influentes qui se sont développées pour expliquer le monde. Bien qu’elles présentent souvent leurs résultats de façon neutre et objective, elles relèvent souvent d’un point de vue particulier – ce que dénonce la géopolitique critique, également universitaire –, voire servent directement les intérêts de leurs adeptes ou de leurs financeurs. Les think-tanks sont parfois neutres mais parfois créés et financés dans le but de faire avancer une cause politique. Les exemples les plus connus de la géopolitique formelle pratiquée par le monde académique sont ceux que nous avons évoqués plus haut, les travaux de Mackinder en Grande-Bretagne, Mahan et plus tard Huntington aux États-Unis, Haushofer en Allemagne.

18 La géopolitique pratique est la mise en pratique de ces idées, souvent par les gouvernements mais aussi par d’autres acteurs. L’influence de George Kennan dans la période d’immédiat après-guerre est un bon exemple de la façon dont la géopolitique formelle se change en géopolitique pratique. George Kennan, qui a fait carrière comme agent des services extérieurs, a introduit la politique d’endiguement (containment). Dans un article non signé de Foreign Affairs [X, 1947], il écrit : « L’élément principal de toute politique des États-Unis à l’égard de l’Union soviétique doit être un endiguement vigilant, patient mais ferme et à long terme de velléités expansionnistes de la Russie. » Cette politique d’endiguement était clairement géopolitique et a guidé les actions de l’administration américaine tout au long de la guerre froide. D’autres exemples plus récents incluent les lendemains du 11 septembre 2001 et l’invocation par George Bush de l’« axe du mal » qui incluait l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord, tous trois perçus comme développant des « armes de destruction massive » – une autre représentation puissante –, et, de ce fait, constituait un danger clair et imminent pour les États-Unis. La doctrine Bush de « guerre préventive » repose sur ces représentations, qui ont été utilisées pour justifier les frappes militaires puis l’intervention en Irak. Ces idées ont été largement développées et diffusées par quelques néoconservateurs particulièrement influents au sein de l’administration Bush, qui ont mis en pratique des théories élaborées dans des think-tanks comme Project for the New American Century (« Projet pour le nouveau siècle américain »), fondés par William Kristol et Robert Kagan.

19 La géopolitique populaire désigne la façon dont ces « imaginations géopolitiques », ces représentations et perspectives se diffusent dans la conscience populaire par le biais des différents médias : romans, films, programmes télévisés, chansons, dessins animés, jeux vidéo. Les populations de sociétés différentes, exposées à différents types de médias, développent des représentations qui peuvent s’avérer très puissantes. Qui sont les bons et les méchants ? Qu’est-ce qui représente l’intérêt national ? La lecture du Reader’s Digest est riche d’enseignements pour comprendre comment ces codes géopolitiques ont été transmis à l’opinion publique par les publications populaires. Le cadre de la « guerre froide » qui divisait le monde en deux camps, « libre » et « communiste », a continuellement été revendu dans la presse populaire comme étant l’ordre naturel des choses. C’est vrai aussi des bandes dessinées, les comic books qui ont créé de véritables icônes pour représenter les États-Unis. Le héros de comic book Captain America a commencé sa carrière en combattant les nazis, a traversé les années 1950 comme ennemi juré des communistes et s’est réveillé dans les années 1970 promoteur de la tolérance multiculturelle [Dittmer, 2010].

20 Enfin, la cartographie mérite une mention spéciale pour son rôle dans la construction des discours géopolitiques. La plupart des grandes théories géopolitiques sont accompagnées de cartes qui montrent comment les pays sont juxtaposés les uns par rapport aux autres, la façon dont ils forment des ensembles plus ou moins stratégiques. Ces représentations visuelles servent d’élément rhétorique, que ce soit conscient ou non [Harley, 1989]. Les géographes montrent comment les projections cartographiques et le placement du centre d’une carte peuvent distordre la façon dont on voit le monde – la fameuse projection de Mercator dans laquelle les pays tempérés du Nord sont représentés comme bien plus grands que les pays tropicaux du Sud est un exemple bien connu. Les cartes sont des documents qui font autorité et peuvent défendre le statu quo ou, au contraire, nourrir la résistance [Harley, 1989], mais qui ne sont jamais neutres. Après la séparation de l’Allemagne de l’Est et de l’Ouest en 1949, les deux nouveaux pays ont eu recours à toute une cartographie stratégique pour affirmer leur nouvelle identité. L’Allemagne de l’Ouest a commencé par étendre ses frontières réelles pour englober toute l’Allemagne de 1937, refusant de reconnaître les séparations comme permanentes. Après quelques années, l’Allemagne de l’Est s’est représentée comme un pays séparé, plus connecté à ses frères socialistes de l’Est qu’à un autre État allemand de l’Ouest [Herb, 2004]. Les cartes sont aussi utilisées pour construire la représentation d’un panarabisme (Arab homeland) à travers toute l’Afrique du Nord et le long de la péninsule Arabique. Ces cartes, produites dans plusieurs pays, décrivent un monde arabe unifié, par l’utilisation d’épaisses frontières externes, avec une couleur unique pour tous les pays, voire sans distinction de pays [Culcasi, 2011]. Dans la cartographie utilisée en géopolitique formelle ou pratique, c’est encore l’échelle de l’État qui prédomine largement. Par ailleurs, il est important de noter les différences fondamentales d’éducation à l’analyse spatiale avec la France. Dans le monde anglo-américain, les cartes sont en général extrêmement simples, ne comportant que des données factuelles et quantifiables (hard data), et se limitant à une ou deux données. On ne trouve pas de cartes géopolitiques complexes comme l’école française de géopolitique en réalise, des cartes aux multiples données hiérarchisées qui allient représentation de taux, de valeurs absolues, de flux, comme on demande aux élèves qui passent le bac d’être capables d’en dessiner à partir d’un fond de carte vierge. Les géographes, comme les journalistes, sont très réticents à les employer, avant tout en raison du manque d’éducation du lecteur et des difficultés de compréhension qu’elles poseraient. La représentation graphique de la subjectivité ou des enjeux à différents niveaux d’analyse ne fait pas partie des pratiques et suscite néanmoins beaucoup d’intérêt mais aussi de défiance dans une culture scientifique très axée sur le quantitatif. La carte est dès lors un outil simple et efficace pour convaincre du bien-fondé d’une théorie ou d’une stratégie mais ne fait pas partie intégrante du raisonnement géopolitique spatial comme c’est le cas dans la géopolitique française.

21 Il faut préciser que bien des géographes se sont détournés des études qualitatives pour se lancer, à la suite des politologues, dans la modélisation et le tout-quantitatif. Au cours des dernières décennies, nombre de départements de géographie se sont trouvés en perte de vitesse voire ont tout simplement fermé, y compris dans de grandes universités. Les systèmes d’information géographiques (SIG) donnent aujourd’hui un nouveau souffle à la géographie et à la cartographie en particulier. Les chercheurs d’autres disciplines, notamment politologues, découvrent les potentialités que la géolocalisation des données ouvre, ce que le géomarketing et les équipes de campagne électorales avaient déjà perçu depuis longtemps. La disponibilité des données et les progrès de la technique rendent la carte de plus en plus présente mais la réflexion sur son exploitation dans le raisonnement géopolitique est encore largement en deçà des avancées techniques.

22 En l’absence de définition précise de l’approche géopolitique dans le monde anglo-américain, cette typologie peut ainsi aider à mieux cerner la discipline. Les sujets abordés sont une autre fenêtre dans cette littérature foisonnante qui se diversifie de plus en plus.

Le champ de plus en plus vaste des études géopolitiques

23 La géopolitique classique s’intéresse prioritairement à l’État et aux relations entre les États. Le premier objectif était de déterminer comment l’État pouvait au mieux exercer son pouvoir, étendre et/ou préserver son influence et comment il se positionnait dans un ordre global incluant tous les États. De ce point de vue, les débuts de la géopolitique classique anglo-américaine partageaient les objectifs de la géopolitique allemande. Haushofer, par exemple, sous le régime nazi, décrivait les diverses sphères d’influence, avec les États-Unis comme leader des Amériques, le Japon de l’Asie et l’Allemagne à la tête de l’Europe et l’Afrique. Pendant toute la Seconde Guerre mondiale, puis la guerre froide, l’État est resté le sujet géopolitique principal pour les décideurs politiques américains, comme pour les chercheurs. D’un point de vue académique, on retrouve clairement cette préoccupation dans le dictionnaire de géopolitique de John O’Loughlin, publié en 1994 et qui se concentre délibérément sur les États-nations et les instruments de leur puissance. De manière intéressante, c’est de France, et plus particulièrement d’Yves Lacoste, qu’est venue la critique du fétichisme de l’État ; et c’est au sein de l’école française de géopolitique qu’il a fondée que ce sont développées des études à différents niveaux d’analyse, touchant à des sujets plus variés et complexes. La conceptualisation rigoureuse de la démarche par Lacoste, définissant clairement l’approche géopolitique comme l’analyse des rivalités de pouvoir sur des territoires, a sans nul doute favorisé l’appropriation des outils de la géopolitique – eux aussi clairement identifiés comme les représentations, l’analyse multiscalaire, les stratégies d’acteurs, etc. – par des chercheurs intéressés par la compréhension de situation de conflits et d’enjeux de pouvoir sur des territoires de plus petite taille.

24 La géopolitique anglo-américaine, en revanche, a évolué beaucoup plus lentement vers d’autres sujets et d’autres échelles mais les progrès sont encore lents. L’avènement de la géopolitique critique a permis des avancées significatives, remettant en question le déterminisme géographique et la primauté de toutes sortes d’objets géographiques. L’un des sujets qui font l’objet de récents développements est la question des diasporas. Composées de personnes partageant une affinité culturelle ou nationale mais dispersées sur plusieurs territoires, souvent éloignées de leur pays d’origine, les diasporas occupent une place particulière dans de nombreuses sociétés. Elles vivent parfois dans ces sociétés sans en faire – ou avoir le sentiment d’en faire – pleinement partie ; c’est pourquoi le terme est souvent employé pour désigner les Juifs, les Arméniens et les multiples communautés chinoises qui essaiment de l’autre côté du Pacifique. Les diasporas véhiculent souvent leurs propres représentations géopolitiques et développent des pratiques culturelles qui tendent à les renforcer. L’État-nation peut également entretenir un lien avec ses diasporas à travers le monde, percevant ces groupes de citoyens ou de ressortissants qui vivent au-delà de ses frontières comme faisant partie d’une stratégie géopolitique globale [Gamlen, 2008].

25 Un autre domaine de développement des études géopolitiques est celui de l’environnement. Bien entendu, la question du contrôle des ressources environnementales fait depuis longtemps partie de la stratégie géographique d’un État et des politiques comme le mercantilisme et le néocolonialisme ont énergiquement cherché à s’accaparer les ressources naturelles de certains territoires afin d’accroître leur puissance économique et militaire. De fait, la théorie de Mackinder affirmait l’importance de s’assurer les ressources de l’Eurasie centrale [Dodds et Sidaway, 2004]. Les stratégies d’entrée en guerre des belligérants peuvent aujourd’hui être motivées par la volonté de contrôler certaines ressources, notamment énergétiques, de même que certaines de ces ressources peuvent ralentir les efforts pour résoudre ces conflits [Le Billon, 2011]. Plus récemment, Hommel et Murphy [2012] ont abordé le rôle du réchauffement climatique et la façon dont les transformations physiques qu’il engendre peuvent influencer de façon décisive les contours futurs de la politique mondiale. Chacun des scénarios pour l’avenir du monde – un monde divisé en grandes puissances régionales, un monde unipolaire, ou un monde issu du clash des civilisations – pourrait être affecté par le réchauffement climatique et ses conséquences sur les infrastructures, les routes de navigation, la productivité agricole, les risques naturels ou les ressources en eau.

26 Les questions de sécurité liées au cyberespace ont depuis quelques années adopté le terme géopolitique, alors que pendant longtemps ce furent les termes d’information warfare ou de cyberwar qui prédominaient [Brunn, 2000]. On retrouve cependant des penchants naturalistes, évoquant les « plaques tectoniques du cyberespace » ou encore l’« écosystème de crime et d’espionnage » qui prospère sur l’Internet.

27 En revanche, bien que les études de géographie urbaine soient très développées aux États-Unis et prennent parfois en compte les rivalités de pouvoir politique, les jeux d’acteurs et les configurations spatiales des villes, elles ne sont jamais présentées dans le cadre d’une démarche géopolitique. Il en va de même des questions d’aménagement du territoire et de redéveloppement qui sont traitées par les urbanistes, les départements de planning, les études urbaines (urban affairs, qui regroupent plusieurs disciplines dont de nombreux sociologues), voire éventuellement les géographes, mais sans référence à la géopolitique. La très grande fragmentation politique des territoires – en raison de la décentralisation importante des États-Unis et de la forte autonomie locale, en connexion avec des enjeux de ségrégation urbaine – rend pourtant les décisions d’aménagement et d’urbanisme particulièrement géopolitiques. Or l’analyse se trouve souvent segmentée entre plusieurs disciplines qui ne communiquent pas nécessairement entre elles. De même, si les journaux en cette année électorale regorgent de cartes et que les équipes de campagne s’entourent de géographes, la géographie électorale n’est pas pour autant considérée comme pouvant se rattacher à l’analyse géopolitique.

Conclusion

28 La géopolitique anglo-américaine s’est ainsi, dans un premier temps, développée parallèlement à la géopolitique européenne, avec le même rejet occasionné par l’association de la géopolitique allemande au régime nazi. La géopolitique classique est toutefois restée sur le modèle déterministe et naturaliste de la géopolitique allemande jusqu’à l’émergence de la géopolitique critique dans les années 1970, puis celle de grandes théories concurrentes et influentes visant à expliquer l’ordre mondial et ses évolutions possibles. Bien que s’intéressant prioritairement à l’action des gouvernements à l’échelle de l’État-nation, elle s’ouvre de plus en plus vers des sujets plus larges, touchant à l’environnement ou au rapport à l’État des populations dans leur vie quotidienne. L’évolution reste toutefois lente vers la prise en compte d’autres niveaux d’analyse et de sujets de politique intérieure ou locale qui ont une dimension spatiale. Lorsque ces études existent, elles ne sont généralement pas considérées comme géopolitiques. Le développement des systèmes d’informations géographiques offre toutefois un second souffle à la géographie aux États-Unis, créant des opportunités de collaborations entre disciplines qui ne peuvent être que bénéfiques au développement de la démarche.

29 La géopolitique, dans le monde anglo-américain comme en France, n’est pas une discipline figée et n’a cessé d’évoluer au fur et à mesure des défis méthodologiques qu’engendrent les effets de la mondialisation, du développement des nouvelles technologies de guerre, d’information et de communication, de l’émergence au niveau global de questions de société, et de la multiplication des conflits à tous les niveaux d’analyse, avec une interaction de plus en plus importante entre les différents niveaux d’analyse.

30 L’école française de géopolitique s’est emparée d’un certain nombre de ces défis, tentant d’adapter les outils conceptuels et méthodologiques à l’étude de questions dont la dimension territoriale est parfois complexe à appréhender mais dont l’importance dans le débat démocratique et l’enjeu dans les conflits géopolitiques les rendent incontournables. La géopolitique des femmes, des enjeux économiques et financiers, du droit international ou encore du cyberespace sont autant de sujets à défricher d’un point de vue géopolitique et l’on ne peut qu’espérer que la ou, plutôt, les démarches géopolitiques anglo-américaines s’en emparent aussi pour faire avancer la réflexion et favoriser le dialogue entre nos deux cultures académiques.

Français

La géopolitique dans le monde anglo-américain relève de conceptions différentes de celles de l’école française. Cet article analyse l’évolution de la géopolitique anglo-américaine, des modèles d’Alfred Mahan et Halford Mackinder à la déconsidération de la période nazie puis à sa renaissance aujourd’hui avec de nouvelles formes de raisonnement géopolitique, en particulier dans l’application de la géopolitique critique. Bien que bannies du monde académique pendant l’essentiel de la seconde moitié du XXe siècle, les idées géopolitiques ont eu de l’influence auprès des décideurs politiques au cours de la guerre froide, notamment l’endiguement. Plus récemment, des théories populaires comme celles de Fukuyama, Huntington et Mearsheimer ont gagné en notoriété. La géopolitique anglo-américaine reste très centrée sur les relations entre États-nations mais elle évolue vers une approche à différentes échelles, la prise en compte de l’importance des acteurs, et l’attention au fait que les représentations géopolitiques ne sont pas neutres mais proviennent d’un point de vue qui peut être utilisé pour renforcer ou défier l’ordre établi. De plus, la géopolitique anglo-américaine s’intéresse à de nouveaux sujets comme les diasporas, l’environnement ou le cyberespace. Mais il reste des sujets, notamment dans le domaine des études urbaines, qui ne font toujours pas partie de la démarche géopolitique.

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Frédérick Douzet [1]
  • [1]
    Maître de conférences à l’Institut français de géopolitique de l’université Paris-VIII et membre honoraire de l’Institut universitaire de France.
David H. Kaplan [2]
  • [2]
    Professeur de géographie à Kent State University, Ohio.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2012
https://doi.org/10.3917/her.146.0237
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