CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Depuis le printemps 2008, chaque semaine est marquée par son lot de mauvaises nouvelles économiques et d’agitations sociales contre la vie chère en Afrique subsaharienne. Certes, l’Afrique n’est pas le seul continent touché, les consommateurs européens eux-mêmes voient leur pouvoir d’achat progressivement rogné, mais l’envolée simultanée des prix du pétrole et des denrées alimentaires de première nécessité affecte dorénavant la stabilité politique même des pays les plus vulnérables, endettés et sans grandes ressources. L’ampleur de ces mouvements populaires, leur spontanéité, leur violence doivent être considérées comme autant de messages adressés aux décideurs politiques à l’heure où le besoin de régulation se fait plus pressant [CCFD, 2008].

2La FAO a dénombré plus de trente pays en crise, majoritairement en Afrique [1] où la flambée des prix des denrées de base a entraîné des manifestations et, parfois, des émeutes qui – pour utiliser les termes du Time Magazine – pourraient se transformer en arme de déstabilisation massive [2]. Le commissaire européen au Développement, Louis Michel, déclarait même être « franchement alarmiste », avertissant qu’« un choc alimentaire mondial se profile, moins visible que le choc pétrolier, mais avec l’effet potentiel d’un vrai tsunami économique et humanitaire en Afrique » [3]. Certaines catégories sociales qui pouvaient se croire à l’abri de la faim y sont aujourd’hui exposées, reposant avec acuité les orientations stratégiques élaborées depuis plusieurs décennies. Ainsi, pour la première fois, il n’est pas sûr que la production mondiale puisse suffire, à court terme, pour nourrir la planète.

3Si la crise a eu des effets déstabilisateurs, elle a également galvanisé les énergies et pourrait même constituer une « chance immense » pour tenter de résoudre certains « problèmes fondamentaux » de l’Afrique. Au-delà des inévitables prises de position politiques, nombreux sont ceux qui pensent que chaque pays ne peut pas résoudre la crise indépendamment les uns des autres. C’est ainsi que le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), le bras économique et social de l’Union africaine (UA), véritable cadre stratégique pour la renaissance du continent, a engagé plusieurs initiatives dont celle du Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA) [NEPAD, 2003]. Avec la crise d’accessibilité alimentaire, ce programme – qui ne constituait qu’un cadre de référence – est confronté à des questions concrètes et à la nécessité des mesures d’urgence.

4Cet article a pour objectif de détailler le PDDAA et les actions mises sur pied ou envisagées afin de répondre à la situation alimentaire actuelle en Afrique. Il ne prétend pas, pour autant, répondre à toutes les interrogations soulevées par la présente crise continentale, encore moins en saisir la diversité des manifestations. Il entend plutôt analyser les efforts en cours à l’échelle continentale (particulièrement ceux initiés ou soutenus par le NEPAD dans le cadre du PDDAA), visant à rechercher une solution durable à la crise. Après avoir présenté la situation agricole immédiate et les leçons tirées dans le cadre du NEPAD, on s’intéressera plus particulièrement à ce programme et aux initiatives prises dans les prémisses de la crise alimentaire avant d’en présenter, de manière critique, quelques résultats, susceptibles de contribuer à une réflexion plus large sur les politiques agricoles continentales pour résoudre les difficultés alimentaires.

Une situation agricole et alimentaire récemment aggravée

5Selon la FAO, tandis que l’indice des prix alimentaires globaux s’est accru de 9% en 2006, de 23% en 2007 et de 54% dans le premier trimestre 2008, en Afrique, les prix des produits de base comme le pain, le riz, la viande et le lait ont en moyenne presque doublé. Jugeant de la sévérité de la hausse des prix des denrées alimentaires, Jacques Diouf et Jean-Michel Severino [4] affirmaient que le prix moyen d’un repas de base a augmenté de 40% en l’espace d’une année dans certains pays africains dont la moitié des populations vivent avec moins d’un dollar par jour. Cela signifie le retour de la faim dans des régions qui s’en étaient émancipées. En effet, la malnutrition augmente sur le continent – certaines sources parlent de plus de 300 millions de personnes mal nourries en Afrique (plus de 30% de la population totale). Si environ 200 millions d’Africains étaient déjà concernés par la malnutrition, quelque 135 millions de personnes supplémentaires seraient touchées par la flambée des prix des produits alimentaires [ICTSD, 2008]. Selon un rapport non publié de la Banque mondiale [5], cette poussée aurait déjà coûté 324 milliards de dollars US aux consommateurs des pays pauvres et pourrait faire plonger 105 millions de personnes supplémentaires, dont la majorité en Afrique, dans la pauvreté [Peskett et al., 2007; ODI, 2008] [6].

6Avec une productivité stagnante depuis les années 1970, l’Afrique est devenue, en l’espace de quarante ans, importatrice nette de denrées alimentaires. Elle importe environ 15% de sa consommation de base, pour un coût de 88 milliards de US$ en 2006 et 119 milliards en 2007 au continent. L’ONU rapporte que la facture totale des importations de céréales des pays à faible revenu et à déficit vivrier (PFRDV) a augmenté de plus de 50% en 2007, ce qui représente une hausse de plus de 7 milliards de dollars. Ce fardeau devrait s’alourdir encore en 2008, le prix des céréales devant augmenter de 74% pour les pays d’Afrique les plus dépendants des importations. Un grand nombre de ces pays souffrent déjà de la faim et de la malnutrition et dépendent d’importations de nourriture même dans les périodes favorables. Leurs gouvernements n’ont que peu de moyens de protéger les populations du choc de la hausse des prix [Fleshman, 2008; Von Braun, 2008].

7Contrairement à la majorité des présentations médiatiques, cette crise n’est pas nouvelle pour l’Afrique; il est également réducteur d’en astreindre les causes à la conjoncture internationale récente des prix. Depuis les années 1990, les signaux d’alerte se multiplient. Ainsi, au Niger, les manifestations contre la vie chère se sont succédé; l’Éthiopie, affectée localement par des déficits alimentaires graves et persistants, a connu plusieurs épisodes violents. Dans d’autres pays africains, le désarroi et le désespoir des populations, dans des contextes sociaux et économiques très difficiles, s’expriment également. Car, si les analystes insistent plutôt sur le caractère conjoncturel de la crise (hausse des prix des carburants, compétition avec les biocarburants, consommation accrue de protéines, baisse des stocks céréaliers, aléas climatiques, etc.), la vacuité des politiques agricoles et la multiplication de cadres d’intervention sans contenu réel depuis plus de deux décennies en constituent des éléments aggravants. En effet, si les textes programmatiques sont nombreux, ils sont souvent peu opérationnels, peu lisibles et insuffisamment réappropriés par les gouvernants. Par ailleurs, les différents contextes nationaux, marqués par l’affaiblissement et la perte de légitimité des administrations publiques et leur relative « mise sous tutelle » extérieure en sont des causes plus fondamentales et tout aussi inquiétantes [Ribier et Le Coq, 2007]. Ne minimisons cependant pas la responsabilité de ces mêmes gouvernants dans la déliquescence progressive des politiques agricoles : le choix de favoriser l’approvisionnement à bas prix des populations urbaines croissantes et souvent de plus en plus pauvres s’est très souvent fait au détriment de politiques de prix rémunérateurs pour les petits agriculteurs et, si besoin, en les taxant via les Offices céréaliers disposant d’un monopole [Lipton, 1984]. Par la suite, lors de la phase des programmes d’ajustement structurel, le désengagement de l’État et la privatisation de nombreuses entreprises publiques, soutenus par les institutions financières internationales privilégiant la bonne gestion macroéconomique, ont conduit à l’abandon des politiques sectorielles agricoles [Anseeuw et Giordano, à paraître].

8Et, lorsque des politiques agricoles existent, elles ne reflètent pas les besoins structurels du secteur mais davantage ceux de l’économie à court terme et de ses élites urbaines. Cette situation est aussi le reflet d’un certain laisser-faire qui prévaut dans les administrations publiques envers un secteur perçu comme émietté, archaïque. Pire, n’exprime-t-il pas, çà et là, un désintérêt patent pour la question agraire et agricole dont on ne percevait pas toujours clairement la contribution dans les stratégies nationales respectives de croissance et de réduction de la pauvreté ? Cette vision des choses aurait été renforcée par l’ouverture des marchés, contrepartie imposée par les différentes organisations de Bretton Woods à une aide globale que les pays en crise ne pouvaient pas refuser. Cette tendance se poursuit avec la signature d’accords commerciaux bilatéraux, régionaux ou multilatéraux (accords de Cotonou UE-ACP ou accords commerciaux de l’OMC). Les importations de denrées alimentaires peu coûteuses et l’intégration économique des « périphéries vulnérables » ont été structurellement privilégiées, selon le principe de « laisser faire le marché » [Anseeuw et Giordano, à paraître]. Dans ce système, les populations rurales – pourtant majoritaires en nombre – ont été délaissées et les potentialités agricoles de certains territoires ont été mises de côté. Faute de mesures d’accompagnement pour s’insérer plus avant dans le marché, ces petits agriculteurs sont parfois condamnés à pratiquer une agriculture familiale de subsistance extensive, en proie aux aléas climatiques et peu commercialisée. Dans certains pays sahéliens, une part croissante des produits de première nécessité, consommés en milieu urbain, est importée, compte tenu de la diversification des modèles de consommation alimentaire et des coûts d’opportunité (le riz thaïlandais, consommé au Sénégal ou au Burkina Faso malgré la production locale, en est un bon exemple).

Le NEPAD agricole : entre principes vertueux et diagnostics récurrents

9C’est pour répondre aux carences des politiques agricoles et à la remise en question des approches institutionnelles actuelles que le NEPAD a mis en place son programme agricole, le PDDAA. Il s’inscrit également dans la prise de conscience de la nécessité vitale de réorienter l’action publique vers le secteur primaire.

10Plusieurs plans d’actions similaires avaient déjà été élaborés dans le passé avec comme objectif de sortir le continent de la pauvreté en promouvant le développement durable. Ces efforts incluent, entre autres, la Déclaration de Monrovia (1979); le Plan d’action de Lagos développé par l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) (1980); le Traité d’Abuja (1991), le Programme prioritaire pour le rétablissement économique de l’Afrique de l’OUA (1986-1990); le cadre alternatif africain au Programme d’ajustement structurel pour la transformation socioéconomique promu par la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (UNECA) (1989); le Relancement du développement économique et social de l’Afrique de l’OUA (1995) [Bujra, 2004]. Deux décennies plus tard, le bilan que l’on peut en faire n’est pas très encourageant : ces dernières initiatives n’ont pas suscité l’engouement des gouvernements nationaux respectifs. Mieux, aucun n’a vraiment eu d’impact significatif et la majorité a été dissoute. Peut-être est-ce parce qu’ils étaient promus de l’extérieur par les pays occidentaux les plus riches et les institutions internationales sans qu’eux-mêmes ne fassent d’effort pour ouvrir leurs propres marchés intérieurs, ne laissant pas d’autre alternative aux pays les plus pauvres [Stiglitz, 2002]. Par ailleurs, le paradigme de la « solution unique » (« one-size-fits-all »), mis en avant à travers le sacro-saint principe de rigueur et de stabilité macroéconomique, est lui-même actuellement questionné. Qui plus est, dans des contextes politiques, sociaux et économiques marqués par des changements rapides, le besoin de se réapproprier les concepts et les outils de son propre développement est devenu une évidence pour de nombreux pays, avec l’idée que l’agriculture devait servir de base. Ceci a soutenu la vision Sirte de 1999 à l’origine du changement de discours économique de l’OUA. Ce dernier est également appuyé par l’idée (parfois controversée) de (la) renaissance africaine, afin de promouvoir un nouveau type de régionalisation sur la base de partenariats actifs et exigeants avec les acteurs régionaux et internationaux majeurs [Kouam, 2005]. Cette évolution, tant idéologique que politique, est parfaitement illustrée par les initiatives stratégiques africaines récentes, comme celle du Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA).

11Certes, ce dernier s’inscrit dans un contexte macroéconomique relativement déprécié et inquiétant. Ainsi, même si le secteur agricole a fait les preuves de sa capacité à répondre à la croissance urbaine rapide (et à la demande de consommation), ses performances restent encore médiocres et aléatoires. La majeure partie des agriculteurs familiaux restent très pauvres, sensibles aux aléas bioclimatiques et réceptifs aux chocs extérieurs, et c’est le secteur agro-industriel exportateur qui concentre la plupart des investissements et qui a accès au crédit. En termes financiers, le continent souffre encore du manque d’investissements dans les secteurs de base (agriculture, santé, éducation) au profit de certaines niches sectorielles et urbaines (télécommunications). Enfin, les programmes macroéconomiques d’envergure, sur fond de globalisation, ont également fait la preuve de leur caractère normatif ne tenant pas assez compte des inégalités spatiales et sociales de développement et des besoins spécifiques des sociétés africaines.

12Le PDDDA a toutefois le mérite de reposer la question de l’urgence du renouvellement des politiques agricoles, compte tenu des défis qui s’imposent à ce continent. Elle ne pourra se réaliser sans un changement important de mode de gouvernance (à moyen terme) fondé sur l’élargissement du spectre des acteurs et la définition contractualisée de cahiers des charges exigeants (démocratisation, lutte contre la corruption, transparence des décisions). Apparemment, le PDDAA semble né sous de bons auspices et les principes politiques vertueux du NEPAD [NEPAD, 2003]: la prise d’initiative par « les Africains eux-mêmes pour servir les intérêts de l’Afrique » dans les différents domaines stratégiques; la rénovation des processus d’élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques (en particulier dans le domaine agricole) par une approche consultative de l’ensemble des protagonistes impliqués afin de ne pas « faire du passé et des différences table rase ».

13Préparé entre 2001 et 2003 par la FAO, le PDDAA a été approuvé en juillet 2003 par les leaders africains pendant la deuxième assemblée ordinaire de l’Union africaine à Maputo. Après la préparation d’une feuille de route en 2003-2004, le document de base du PDDAA a ensuite été discuté et approuvé par cinq Rencontres régionales de planification de la mise en œuvre. Ces rencontres incluaient les représentants des Communautés économiques régionales (CER) – avec lesquelles le NEPAD est appelé à travailler plus directement au nom du principe de subsidiarité (CEEAC, CEDEAO, COMESA, SADC et UMA pour les différentes régions d’Afrique) –, mais elles étaient également censées regrouper tous les protagonistes du secteur (organisations professionnelles, société civile, entrepreneurs privés, bailleurs de fonds). Ces rencontres ont permis d’identifier des structures de gouvernance et de coordination ainsi que des instruments d’évaluation des performances réalisées. Selon le NEPAD, cette approche aurait un caractère implicatif et itératif, censé permettre aux différents acteurs de s’impliquer activement. La phase initiale a culminé avec la rencontre continentale de synthèse à Accra en mai 2005 au cours de laquelle un bilan des avancées a pu être fait aux différents chefs d’État, de gouvernement africains et du G8, aux cadres des CER, aux responsables des agences bilatérales et des organisations multilatérales de développement, aux leaders des organisations des producteurs, aux agroentrepreneurs. Tous ces acteurs en ont profité pour s’accorder sur les actions à mettre en œuvre pour mettre le PDDAA sur orbite.

14Comme le « NEPAD économique » qui vise à soutenir la croissance économique, le PDDAA est ambitieux : il table sur une croissance sectorielle de 6% afin de respecter les Objectifs du Millénaire (ODM) de diviser par deux la pauvreté extrême et la faim avant 2015. Le document de base brosse un large éventail de priorités assorti de perspectives d’appui politique, technique et financier. Les investissements seraient concentrés autour de quatre « piliers »: gestion durable du foncier et des ressources en eau; développement des infrastructures rurales et commerciales pour un accès renforcé au marché; amélioration de l’approvisionnement alimentaire et des réponses en cas d’urgence; appui à la recherche agricole et à la diffusion des innovations technologiques (pilier transversal).

15La mise en œuvre harmonisée et partagée de ces volets s’appuie, pour sa part, sur plusieurs processus. Le premier vise à opérationnaliser les décisions en s’appuyant sur quatre consortiums spécialisés à base régionale : un premier, regroupant le Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) et le Collège de développement des ressources naturelles de l’Université de Zambie, en liaison avec le secrétariat de la COMESA, est déjà actif depuis longtemps; un deuxième, fonctionnel, est constitué par la Conférence des ministres de l’Agriculture de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (CMA/WCA); un autre inclut le Centre africain pour la sécurité alimentaire (ACFS) de l’Université du KwaZulu Natal et le CILSS; le dernier en devenir, enfin, est le Forum de la recherche agricole en Afrique (FARA).

16Le deuxième s’efforce de multiplier les tables rondes nationales avec l’appui de l’IFPRI afin de mettre à plat l’ensemble de la politique agricole existante, d’identifier les lacunes et de préparer des plans d’action tout en remplissant l’objectif d’assignation budgétaire de 10% à l’agriculture. Ce processus doit être piloté par les gouvernements nationaux respectifs, accompagnés par les Communautés économiques régionales (CER) et le secrétariat du NEPAD. Le Rwanda, avant le COMESA, est le premier pays à avoir développé et signé le « compact pays » [Gouvernement du Rwanda, 2007]. D’autres pays s’y sont engagés (voir ci-après) [Bartelt, 2008].

17Le troisième, en latence, est le processus NMTIPS/BIPPS. Il consiste à préparer, avec l’aide la FAO, des Programmes nationaux d’investissements à moyen terme (NMTIPS) qui doivent accompagner, entre autres, les stratégies nationales de réduction de la pauvreté. Basés sur ces programmes, les profils de projets d’investissement bancables (BIPPs) ont été préparés pour tous les États membres du NEPAD et peuvent être financés par les États, les institutions internationales ou les coopérations bilatérales [7].

18On remarque donc que le PDDAA ne traite pas spécifiquement de la question de la lutte contre l’insécurité alimentaire : seul sa troisième composante l’aborde directement. Ce n’est que très récemment, après le sommet d’Abuja sur la sécurité alimentaire, organisé du 4 au 7 décembre 2006, qu’un document a proposé un grand nombre de mesures relevant tantôt du court terme, tantôt du long terme (NEPAD, 2008b). On y retrouve un panel très complet de propositions pour accroître et sécuriser la production agricole, réduire la faim et la malnutrition, renforcer les actions anticipatrices et de réponse aux crises.

19Le premier volet souhaite valoriser l’ensemble des filières africaines céréalières, animales et maraîchères afin d’atteindre l’autosuffisance en 2015 en facilitant l’accès aux intrants, aux technologies nouvelles, en promouvant la transformation des productions et la diversification des activités. L’appui à la commercialisation (uniformisation des politiques commerciales et des réglementations, diminution des barrières tarifaires, annulation des barrières non tarifaires, amélioration des infrastructures et de l’information sur les marchés) devrait également constituer un axe d’intervention important. La gestion durable des ressources naturelles (eau et foncier principalement) pouvant être considérée comme une relative nouveauté.

20Le volet alimentaire et nutritionnel associe des actions préventives et curatives déjà éprouvées, à la fois ponctuelles et de long cours : amélioration de l’accès à une ration adéquate (distributions, coupons alimentaires, cantines scolaires etc.); mise à niveau des connaissances (éducation sanitaire et hygiène alimentaire, promotion des produits locaux).

21Enfin, le dernier vise à accroître les capacités continentales à faire face aux situations à risque humanitaire élevé. Il s’agira de renforcer les dispositifs multiéchelles et multiacteurs institutionnels de prévoyance, de prévention et de suivi des catastrophes qui existent déjà. Quant à la gestion ex post des crises locales, elle devrait être facilitée par l’adoption de mesures visant à fluidifier les échanges de produits alimentaires entre zones excédentaires et zones déficitaires, à stabiliser les stocks et les prix d’urgence et à reconstituer des réserves. Dernier point dans ce cortège : le renforcement des institutions et des politiques d’intégration du risque par la préparation de plans d’aide et de reconstruction.

22Le budget nécessaire à la concrétisation de ces mesures continentales a été chiffré à 7,5 milliards de dollars US (dont 6,5 milliards au niveau national). Aucune n’a encore été mise en œuvre. Toutefois, avec les « émeutes de la faim », le NEPAD agricole a été réactivé. Ainsi, un atelier sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle a bien eu lieu à Prétoria (29 au 31 mai 2008), « en réponse à la flambée des prix des denrées alimentaires et à l’insécurité alimentaire ». Seize pays africains sélectionnés y participaient [8]; ses membres étaient des représentants d’ONG, d’organisations de producteurs agricoles, des institutions de recherche, des Communautés économiques régionales (CER), des experts et autres spécialistes [UA/NEPAD, 2008]. Ce travail en réunion visait surtout à éclairer et à appuyer les dispositifs nationaux respectifs de lutte en situation d’urgence et à proposer des actions concrètes immédiates comme des plans d’action à moyen terme [AU/NEPAD, 2008]. Les éclairages apportés seront-ils suffisamment pertinents et insistants pour être suivis de décision ? Pour l’heure, il semblerait que l’on se situe plutôt dans un processus roboratif de « suivi des recommandations ». Un groupe de travail ad hoc a d’ailleurs été mis sur pied, conduit par l’AU/ NEPAD, appuyé par la FAO, le Programme alimentaire mondial, la Banque mondiale, les institutions en charge des « piliers » et les CER. Une réunion de la Taskforce a également eu lieu fin juin 2008 à Tunis pour confronter les analyses [UA/NEPAD, 2008b]. Espérons qu’avec tant de « bonnes fées penchées sur son berceau » le processus « nouveau-né » évolue correctement !

Un programme agricole aux résultats signifiants mais peu significatifs

23Certes, les mesures détaillées dans le PDDAA sont encore à l’état d’initiative. Rien n’a encore été concrétisé. Mais, malgré les réserves critiques émises, tout n’est pas négatif. En effet, ce programme a fait le pari affiché d’éviter, autant que faire se peut, l’approche normative imposée de l’extérieur qui prévalait habituellement. Il ne se définit pas comme un « blueprint », ni comme un manuel pour l’action dans le domaine agricole et alimentaire. Il veut avoir une portée quasi-heuristique afin de sensibiliser les décideurs à la nécessité d’une action immédiate et durable afin de remodeler les systèmes agricoles et alimentaires africains fortement déficients. De fait, son mandat est très différent de celui d’une agence d’exécution ou d’un organisme de développement. Il ne s’agit pas, non plus, d’une nouvelle initiative continentale tortueuse et stérile. Sa mise en œuvre s’appuie au contraire sur des institutions en place, respectueuse des initiatives antérieures et des cadres existants. Elle devrait d’ailleurs être réalisée non pas par le NEPAD mais par les REC en coopération avec les partenaires régionaux et nationaux. Le NEPAD estime, de son côté, que les progrès accomplis peuvent déjà se mesurer par des indicateurs au niveau continental, régional et national.

24Ainsi, les chefs d’État et de gouvernement se sont mis d’accord pour relever en cinq ans à 10% la part du budget national allouée à l’agriculture (Déclaration de Maputo, réitérée dans la Déclaration Sirte adoptée en Libye en février 2004, d’après [NEPAD, 2003]). À la fin de l’année 2008, on estime que ce chiffre devrait être atteint pour les trois quarts des pays concernés. Les plans régionaux d’action du PDDAA ont été élaborés : ils étaient prêts dans cinq régions dès décembre 2005; douze pays ont effectivement amorcé le processus à partir de 2006. Les futurs programmes assimilés aux initiatives liées à la réduction de la pauvreté sont entièrement alignés sur les priorités du PDDAA, ce à compter de 2006. En outre, à partir de 2006, tous les futurs programmes bilatéraux et multilatéraux d’assistance au développement agricole seront alignés sur les priorités nationales du PDDAA. Les partenaires bilatéraux se sont engagés à augmenter la part de financement destiné au développement agricole à compter de fin 2007; les agences multilatérales de développement auront doublé les prêts accordés à l’agriculture, notamment avec une augmentation de la composante « don » nécessaire à la soutenabilité de la dette d’ici la fin 2007. Un Forum du partenariat pour le PDDAA (FP-PDDAA) est établi et opérationnel pour offrir une plate-forme d’échange sur la mise en cohérence, les progrès de la mise en œuvre et l’efficience du processus de développement agricole durable.

25Le PDDAA n’est pas loin d’avoir atteint certains résultats significatifs, même s’ils restent souvent indirects. Ainsi, plusieurs pays, à l’instar du Rwanda, ont des réflexions constructives sur la revitalisation de leur secteur agricole. Les plans d’action sont même parfois proches d’être finalisés. Le Malawi, l’Ouganda, la Zambie, le Togo, le Mali, le Niger et le Ghana ont bien avancé les rapports détaillant leur situation agricole et alimentaire et leurs besoins respectifs. De plus, vingt-quatre des trente-quatre membres de la COMESA et la CEDEAO ont désigné des personnes pour la mise en œuvre du PDDAA, dix-sept ont déjà engagé des experts pour entreprendre le travail analytique exigé [Bartelt, 2008].

26À l’échelle régionale, les choses avancent aussi. Ainsi, la COMESA a développé un TEC équivalent à l’UEMOA ou la CEDEAO. Nombre d’organisations ont été revitalisées, légitimées ou créées afin de plaider la « cause agricole »: c’est le cas par exemple des organisations professionnelles agricoles d’Afrique australe et de l’Est (EAFF en 2002 et SACAU en 2003). Le cas du ROPPA en Afrique de l’Ouest doit être nuancé : il a certes été créé avant le NEPAD, mais sa légitimité extérieure a été accrue par sa participation aux négociations agricoles sous-régionales.

27Au niveau continental, l’agriculture est désormais affichée clairement comme une priorité politique et économique (objectif des 10% depuis l’Accord de Maputo) dans les agendas de la Commission de l’Union africaine et de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (UNECA), et ceci pour la première fois depuis la fin des années 1970. Ce n’est pas une nouveauté mais le fait qu’elle semble devoir persister l’est, en revanche.

28Au niveau international, la contribution du PDDAA va dans le sens d’une harmonisation des actions des coopérations et des financements destinés à permettre le développement agricole. Même si les bailleurs de fonds non africains y occupent une place sans doute excessive, le PDDAA a le mérite de fédérer les « bonnes volontés » internationales (CAADP Support Group, The African Partnership Forum, The Global Donor Platform for Rural Development et The CAADP Partnership Platform). Une discussion est même en cours sur l’intérêt de créer un trust fund agricole en Afrique susceptible d’augmenter le volume des financements. De fait, le PDDAA peut aujourd’hui revendiquer une certaine légitimité dans le domaine agricole du fait de son processus participatif. Pour la Banque mondiale, les États-Unis (en 2007) et l’Union européenne (en 2008), il constitue le point focal pour toute action de développement agricole. Quant au NEPAD, il devient peu à peu la plate-forme partenariale où convergent, avec la crise alimentaire, un nombre croissant de demandes et d’attentes [parmi d’autres, Commission for Africa, 2005; AU/NEPAD, 2008].

Les limites du plaidoyer agricole du NEPAD en situation d’urgence

29Un des atouts du programme agricole du NEPAD est qu’avec la crise alimentaire ses bonnes intentions sont dévoilées et ses premiers résultats très attendus. Mais le « plaidoyer politique », le « ballet diplomatique » et l’« activisme administratif » déployés dans ce cadre seront-ils suffisants pour inciter les différents bailleurs à investir massivement dans le secteur agricole pour faire face à de futures crises alimentaires ?

30Les gouvernements n’ont pas attendu le NEPAD pour discuter et mettre en œuvre des mesures spécifiques de réponse à la crise des prix alimentaires. Dès le 20 mai 2008, les ministres de l’Agriculture et des Finances des pays de la CEDEAO se sont réunis à Abuja, puis un Conseil des ministres de la CEEAC s’est tenu à Kinshasa à la fin juillet, avec un impératif : développer « une réponse sous-régionale complète » [CEEAC, 2008]. Même si ces initiatives mentionnent le cadre agricole du NEPAD, elles ont existé indépendamment de lui. D’autres États avaient même déjà réagi. Le Sénégal, par exemple, avait annoncé une subvention de 40% pour la farine de blé, une suspension des droits de douane sur les importations de produits alimentaires de base (comme le Libéria et la Côte d’Ivoire) et l’imposition d’un contrôle des prix. En Éthiopie, la menace d’une famine généralisée pour cause de sécheresse avait conduit le gouvernement à suspendre la taxe à la valeur ajoutée (qui affecte indirectement les consommateurs) sur les céréales et la farine, à subventionner le blé et à organiser des distributions alimentaires d’urgence pour 800000 citadins. De son côté, l’Afrique du Sud rationnait l’utilisation du maïs pour la production d’éthanol. La Tanzanie, outre la levée des droits de douane sur 300000 tonnes de maïs importé, interdisait l’exportation de produits alimentaires. Le Ghana, quant à lui, appliquait un train de mesures évalué à un milliard de dollars pour les consommateurs en difficulté, annulait la taxation du carburant maritime, subventionnait les engrais agricoles. Le gouvernement tunisien mettait en place une prime exceptionnelle – de 10 à 15 DT (dinar tunisien) par quintal de blé et d’orge – et ouvrait des lignes de crédit bancaire pour aider les agriculteurs à acquérir des intrants. Il décidait enfin, pour améliorer son indépendance alimentaire, de consacrer la majeure partie des terres domaniales à la production céréalière [Fleshman, 2008].

31Si certains pays ont tenté de sécuriser leurs disponibilités alimentaires (en contrôlant, par exemple, les flux exportés), d’autres ont préféré modifier la fiscalité sur les produits de première nécessité (abaissant ou reportant les droits de douane ou enflant les subventions). Il s’agissait de répondre rapidement au mécontentement populaire grandissant. Ces mesures temporaires restent cependant des palliatifs coûteux qui ne pourront être maintenus très longtemps. De fait, toutes ces mesures financières d’urgence sont parfois en totale contradiction avec les plans structurels d’investissement agricole, seuls à même de « repousser le spectre de la faim ». Par souci d’efficacité, le NEPAD a semblé épouser les contours de la Déclaration de Paris sans parvenir à s’imposer comme cadre de référence. Ce constat montre les limites du plaidoyer du NEPAD agricole en situation d’urgence. Inversement, l’appel à l’aide des pays africains les plus vulnérables aux hausses des prix alimentaires devrait lui donner une légitimité supplémentaire pour relancer des politiques publiques d’envergure. Un des atouts du PDDAA réside aussi dans sa capacité à faire collaborer un large panel d’acteurs, à des niveaux de décision très différents, avec des objectifs bien établis [NEPAD, 2008]. Le NEPAD devra toutefois veiller au respect des engagements initiaux pris par les partenaires dans le cadre du PDDAA.

32Une analyse détaillée révèle aussi un certain nombre d’incohérences. Ces dernières étaient prévisibles compte tenu de la diversité des protagonistes impliqués (et des intérêts respectifs). La première est liée à la tension existante entre cadre d’analyse des crises et programmes de développement agricole. En fait, le PDDAA ne semble pas avoir bien intégré cette dimension stratégique dans les actions sectorisées préconisées. Si le NEPAD agricole reconnaît que l’insécurité alimentaire est complexe, multidimensionnelle, s’il propose des actions pour améliorer l’accès à la nourriture, il ne parvient jamais à faire le lien entre capacités d’accès et droits d’accès par exemple, ou encore entre dégradation agroenvironnementale et investissement agricole. De même, la reconnaissance d’un droit à la souveraineté alimentaire, c’est-à-dire d’un droit à définir sa propre politique agricole et alimentaire, n’est pas abordée. Bien au contraire, le PDDAA remet en scène la vieille antienne techniciste, productiviste et productionniste, à base de projets sectorisés, afin de nourrir le plus grand nombre de bouches. On y retrouve aussi le postulat du cycle vertueux selon lequel la promotion du secteur privé et la libéralisation des marchés permettront d’améliorer la compétitivité de l’agriculture. D’autres réflexions fondamentales sont absentes : par exemple, quel est le rôle social et politique de l’agriculture dans des pays pauvres à croissance démographique rapide ? Faut-il promouvoir une nouvelle régulation mondiale des marchés et des prix agricoles compatible avec l’intérêt général ou favorable au développement d’accords préférentiels par filières et par produit (stocks, prix de référence, maîtrise des volumes)?

33En outre, la programmation des actions à mener « par projet » est de nature à accentuer le décalage entre le PDDAA et les problématiques agricoles dans chaque pays. Car, in fine, ce vaste programme semble plus s’intéresser à l’amélioration de la productivité et de la production, à la diffusion de nouvelles technologies qu’à la lutte pour une meilleure rémunération et valorisation des petites agricultures familiales pourtant largement majoritaires. Cette approche n’est porteuse d’aucun projet sociétal ni économique d’envergure et permet au NEPAD d’éviter de se positionner socialement et politiquement. Difficile de dire, en effet, si ce dernier est plutôt pour ou contre l’intervention de l’État, si ce dernier est pour une libéralisation intégrale des marchés ou le maintien de protections relatives. Le PDDAA ne prend pas position, non plus, sur les accords agricoles au sein de l’OMC et sur le cycle de Doha, sur la volonté de l’Union européenne de conclure aux forceps des APE avec les ensembles régionaux africains. Le PDDAA se borne à évaluer les besoins d’investissement par projet (cf. le processus NMTIPS/BIPPS). Au-delà des discours incantatoires, les différentes tables rondes organisées aboutissent aux mêmes résultats. À y regarder de près, on peut même se demander si l’approche promue ne renvoie pas aux modèles top-down de « développement rural intégré » des années 1980-1990, pourtant souvent critiqués.

34Tout bien considéré, ce programme du NEPAD semble faire la part belle aux orientations éprouvées et aux concepts éculés, alors même qu’il plaidait pour un changement de paradigme [Anseeuw et Wambo, 2008]; certains processus d’élaboration et de mise en œuvre semblent bel et bien en panne. Ce qui n’a rien d’étonnant étant donné le partage des attributions et des pouvoirs au sein de ces coalitions partenariales (continentale, régionale et nationale). Des critiques plus radicales se font jour : les propositions et les actions du NEPAD dépendraient beaucoup trop fortement de l’agenda contraignant des membres du G8. Ainsi, les budgets d’investissements présentés seraient même le résultat d’arbitrages entre les différents bailleurs de fonds. Le PDDAA n’a-t-il pas été entièrement développé par la FAO tandis que sa mise en œuvre était reprise par l’IFPRI ? Et, s’il a bien été ratifié par tous les pays africains, à part l’Afrique du Sud, aucun n’est directement impliqué dans son élaboration qui n’a donc pas beaucoup fait l’objet de négociations et de concertations entre les différents membres africains. Faute d’engagement financier de leur part également (seule l’Afrique du Sud a apporté sa quote-part annuelle de 6 millions de dollars US [9] ), toute personne travaillant au NEPAD est recrutée sur un projet financé par un bailleur extérieur. On peut donc se demander qui sont les vrais décideurs au sein du dispositif continental du NEPAD. Une initiative appuyée de l’extérieur, destinée à être évaluée et appréciée à l’extérieur et non par les Africains [Mesple-Somps, 2002]? Cette dépendance et cette extraversion ont conduit ce même PDDAA à ne pouvoir faire aucun choix autonome et à devoir accepter certaines orientations et approches. Ceci explique comment les relations externes de pouvoir ont pu affecter les processus d’élaboration, voire le contenu même du PDDAA (le processus de NMTIPS/ BIPPS est un outil de la FAO). Ceci explique aussi pourquoi l’approche « projet » l’emporte sur les réflexions stratégiques et pourquoi l’agenda des négociations multilatérales a quasiment été abandonné. Comment, dès lors, interpréter son intérêt marqué pour les questions de croissance agricole, de structuration des marchés régionaux, s’il hésite à poser celle (nettement plus conflictuelle) des négociations commerciales multilatérales ?

35Mais, de manière plus fondamentale, les hésitations et les béances du programme agricole du NEPAD reposent la question de l’appropriation des politiques et de la volonté réelle des pays africains à s’engager. Sinon, comment devrait-on comprendre que tous les pays l’aient ratifié mais que bien peu le traduisent en actions concrètes concertées à l’échelle du continent ? Au lieu de cela, chacun a bricolé une réponse à sa portée et à la mesure des enjeux nationaux au moment de la crise. Pour l’expliquer, certains pointent du doigt le fait que le NEPAD et ses associés ont insisté pour que le PDDAA se greffe sur des instances existantes et sur des efforts en cours, de manière plutôt imposée, menant à un principe de subsidiarité biaisé. Les critiques à l’issue des tables rondes organisées au Rwanda illustrent ces propos [COMESA, 2008]. À bien des égards, la pratique véhiculée voulait que l’on considère qu’il n’y avait rien avant la mise en place de ce programme. On comprend donc les réticences de la CEDEAO, très impliquée dans l’élaboration de la nouvelle politique agricole sous-régionale ECOWAP. Il en va de même pour la COMESA qui elle aussi qualifiait le processus PDDAA de « très rigide » et « imposé » par le haut, alors que ses principes de base préconisent le respect fondamental des initiatives endogènes africaines. Sans compter le problème de représentativité continentale, fortement préjudiciable aux petits pays et aux pays non anglo-saxons, aux organismes non étatiques nationaux ou sous-régionaux. À l’heure actuelle, on semble donc s’éloigner du projet panafricain de fonder un cadre participatif, responsable, efficient et harmonisé de développement agricole et de lutte préventive contre les crises alimentaires.

36Quels chemins les pays africains doivent-ils emprunter pour ne pas être condamnés à voir l’histoire (des crises agricoles et alimentaires) se répéter ? Certains, de plus en plus nombreux [10], pensent qu’il faut répondre aux déséquilibres par de vraies ruptures. L’Afrique devrait donc en finir avec les logiques de rente géopolitique, d’assistance et de gestion des urgences, et entreprendre une réflexion de fond sur les besoins réels de ses populations sans sacrifier les potentialités et les ressources au court terme. La crise d’accessibilité alimentaire de l’année 2008 ayant des causes multiples et profondes, ils en appellent donc rien moins qu’à un changement de politiques. Dans cet ordre d’idées, toute crise aurait des vertus cathartiques, dégagerait des opportunités et ouvrirait des chemins de traverse pour ceux qui auraient le courage de les emprunter, obligeant quasiment à repenser le développement de manière durable, endogène et adaptée.

37Le cadre continental proposé par le Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA) du NEPAD paraît, à certains égards, s’en inspirer, puisqu’il semble vouloir remettre au cœur des politiques de développement les questions agricoles et alimentaires fortement délaissées. Avec l’opérationnalisation de son volet alimentaire, ce programme s’est doté, au moins sur le papier, d’un dispositif cohérent pour affronter les situations d’urgence alimentaire mais également pour repenser les politiques agricoles d’un continent dont le secteur primaire constitue encore la base de son développement. Mais sans doute est-il (trop) ambitieux, par les objectifs multiples assignés, par les procédures complexes à mettre en œuvre alors même que les attentes et les besoins des populations sont immenses et pressants. C’est pourquoi il souffre aujourd’hui de nombreux maux (empilement de mesures sectorielles techniques, pilotage par l’extérieur d’un point de vue politique et financier) et d’un relatif désintérêt médiatique, politique et sociétal. Phénomène plus préoccupant, sur fond de difficultés durables d’accès aux aliments, la crise alimentaire actuelle a réveillé les vieux débats malthusiens favorables à la technicisation et la modernisation de l’agriculture familiale africaine. Ils ne devraient malheureusement pas conduire à une meilleure prise en compte de sa durabilité sociétale et environnementale ni de ses capacités réelles d’adaptation face au risque et au changement.

Notes

  • [*]
    Chercheur CIRAD-ES ARENA, affecté à l’Université de Pretoria, Post-Graduate School of Agriculture and Rural Development.
  • [**]
    Candidat doctoral Paris-XI, ancien assistant technique de la FAO affecté au secrétariat du NEPAD, en appui à l’Unité agricole.
  • [1]
    Remarques d’ouverture de Mkandawire, directeur de l’Unité agricole du NEPAD, à l’atelier Union africaine/NEPAD sur la Sécurité alimentaire et nutritionnelle : Accroître les investissements nationaux en réponse à la flambée des prix des denrées alimentaires et l’insécurité alimentaire (20 au 23 mai 2008, Pretoria), mais voir aussi entre autres CCFD (2008), Le Matin (2008), « Les émeutes de la faim enflamment l’Afrique », publié le 11 avril 2008, hhttp :// www. lematindz.net/news/1268-les-emeutes-de-la-faim-enflamment-lafrique.html), etc.
  • [2]
    The Time (2008), « The World’s growing food-price crisis », publié le 27 février 2008. http :// www. time. com/ time/ world/ article/ 0,8599,1717572-1,00. html
  • [3]
    Discours de Louis Michel, publié dans Le Matin (2008), « Les émeutes de la faim enflamment l’Afrique », 11 avril 2008; http :// www. lematindz. net/ news/ 1268-les-emeutes-de-la-faim-enflamment-lafrique. html
  • [4]
    Respectivement directeur général de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture et directeur général de l’Agence française de développement, dans la Tribune publiée par Le Monde, « La hausse des prix agricoles, une chance pour l’Afrique ?», article du 17 avril 2008.
  • [5]
    Pour plus d’informations sur ce rapport, voir le communiqué de presse du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde, le 6 juillet 2008 ((www. cadtm. org/ spip. ph ? article 3518).
  • [6]
    Ces hausses ont plus durement touché les habitants pauvres des quatre-vingt-deux pays désignés par l’ONU comme pays à faible revenu et à déficit vivrier (PFRDV), dont quarante-deux sont situés en Afrique [Fleshman, 2008].
  • [7]
    51 NMTIPS et 200 BIPPS (principalement pour les piliers I et II) ont été transmis aux institutions de financement internationales (Banque mondiale, Banque africaine de développement, Fonds international pour le développement agricole, Banque de développement islamique) [FAO, 2005].
  • [8]
    Sur la base des critères suivants : vulnérabilité à la flambée des prix alimentaires et rôle moteur dans la lutte contre l’insécurité alimentaire. Il s’agit des Burkina Faso, Cameroun, Éthiopie, Kenya, Lesotho, Malawi, Mali, Mauritanie, Mozambique, Niger, Rwanda, Sierra Leone, Sénégal, Swaziland, Ouganda, Zambie, Nigeria, Égypte et Afrique du Sud [UA/ NEPAD, 2008].
  • [9]
    Seuls dix-sept pays ont contribué au moins une fois depuis que l’initiative a été lancée.
  • [10]
    Voir entre autres le discours de Arbour, le haut commissaire aux Droits de l’homme, à l’occasion de la session spéciale du Conseil des droits de l’homme sur la crise alimentaire, tenue le 22 mai 2008 à Genève, publié le 22 mai 2008 par le centre d’actualités de l’ONU : ((http :// www0. un. org/ apps/ newsFr/ storyF. asp ? NewsID= 16586&Cr= aliment&Cr1)et celui de Seck, le directeur du Centre du riz pour l’Afrique (ADRAO): (http ://africarice.blogspot.com/2008/04/lafrique-est-lavenir-du-monde-pour-la.html).
Français

Le volet agricole du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) peut-il répondre à la crise alimentaire en Afrique subsaharienne? En Afrique subsaharienne, les agitations sociales contre l’augmentation des prix alimentaires sont récurrentes depuis le printemps 2008. Avec l’opérationnalisation de son programme agricole, mais surtout de sa composante «sécurité alimentaire», le NEPAD s’est doté d’un dispositif susceptible d’affronter efficacement les situations d’urgence alimentaire comme de renouveler les politiques de développement agricole. Si ce programme a conduit à redonner la priorité à l’agriculture dans les agendas africains et internationaux et à harmoniser certaines actions des bailleurs, il offre cependant peu de mesures concrètes (en dehors des projets d’amélioration de la productivité) et néglige toute réflexion structurelle et politique. Faute d’être parvenu à proposer un cadre harmonisé et coordonné au niveau continental, régional et national, le programme agricole du NEPAD peine à apporter des réponses immédiates à la crise alimentaire et prospectives pour espérer un changement de paradigme.

Bibliographie

  • ANSEEUW W. et WAMBO A. (2008), The Renewal of Agricultural Policy in Africa – NEPAD’s Efforts under Scrutiny, Research report, CIRAD/University of Pretoria, Montpellier/Prétoria.
  • ANSEEUW W. et GIORDANO T. (à paraître), « L’agriculture familiale : un débat légitime mais pas suffisant », Afrique Contemporaine.
  • UA/NEPAD (2008), Accroître les investissements nationaux en réponse à la flambée des prix des denrées alimentaires et l’insécurité alimentaire, communiqué final de l’atelier Union africaine/NEPAD sur la « Sécurité alimentaire et nutritionnelle, (20 au 23 mai 2008, Prétoria), Commission Union africaine/secrétariat du NEPAD, Addis-Abeba et Midrand.
  • UA/NEPAD (2008b), Tunis Communiqué on Meeting of the Multilateral Development Banks (MDBs) Taskforce Addressing the Current African Food Crisis (27 juin 2008, Tunis), African Union Commission/NEPAD secretariat, Addis-Abeba et Midrand.
  • BARTELT S. (2008), An Overview of the Current Status of NEPAD’s Comprehensive Africa Agriculture Development Programme (CAADP) and the Role of the Global Donor Platform for Rural Development, Global Donor Platform for Rural Development, HARDs meeting, Bruxelles, 22 avril 2008.
  • BUJRA B. (2004), Pan-African Political and Economic Visions of Development. From the OAU to the AU : from the LPA to the NEPAD, DPMF occasional paper, n° 13, Addis-Abéba.
  • CCFD (2008), Émeutes contre la faim en Afrique subsaharienne, document d’analyse, CCFD, juin 2008, http :// www. ccfd. asso. fr/ ewb_pages/ d/ doc_1429. php.
  • CEEAC (2008), Communiqué final, Conseil des ministres/concertation régionale sur la crise alimentaire (29 juillet 2008, Kinshasa), secrétariat de la CEEAC, Libreville, Gabon.
  • COMMISSION FOR AFRICA (2005), Our Common Interest, UK Government, Londres.
  • FLESHMAN M. (2008), « Flambée des prix alimentaires en Afrique : Mesures d’urgence et investissements agricoles », Afrique Renouveau, vol. 22, n° 2.
  • ICSTD (2008), « Crise alimentaire : les États de la CEDEAO à la recherche d’une réponse », Passerelles, vol. 9, n° 2, http ://ictsd.net/i/news/12185.
  • KOUAM D. R. (2005), « L’Union africaine comme réponse africaine au défi de la mondialisation », Afrique et Développement, vol. XXX, n° 1 et 2.
  • En ligneLIPTON M. (1984), « Urban bias revisited », Journal of Development Studies, vol. 20, n° 3.
  • MESPLE-SOMPS S. (2002), « Quelques réflexions sur la situation économique et sociale africaine et les politiques économiques préconisées par le NEPAD », DIAL, document de travail, DT/2002/08.
  • NEPAD (2003), Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine, NEPAD, Midrand.
  • NEPAD (2008), Le PDDAA a 5 ans : dans la perspective des 5 prochaines années. Partenariats et alliances en vue d’accélérer la mise en œuvre du PDDAA, NEPAD, Midrand.
  • NEPAD (2008b), Pillar III – Framework for African Food Security (FAFS), NEPAD, Midrand.
  • ODI (2008), Rising Food Prices : a Global Crisis, Briefing paper, ODI, vol. 37, Londres.
  • PESKETT L., SLATER R., STEVENS C. et DUFEY A. (2007), « Biofuels, agriculture and poverty reduction », Natural Resource Perspective, vol. 107, ODI, Londres.
  • RIBIER V. et LE COQ J.-F. (2007), Renforcer les politiques publiques agricoles en Afrique de l’Ouest et du Centre : pourquoi et comment ? Notes et études économiques, ministère de l’Agriculture et de la Pêche, Tiré-à-part n° 28, p. 45-73.
  • STIGLITZ J. (2002), Globalization and its Discontents, W.W. Norton, New-York.
  • VON BRAUN J. (2008), Que faire face à la flambée des prix alimentaires ? Discussion brief, avril 2008, IFRPI, Washington D.C. hhttp :// www. ifpri. org/ french/ pubs/ bp/ bp001fr. asp,consulté le 30 août 2008.
Ward Anseeuw [*]
  • [*]
    Chercheur CIRAD-ES ARENA, affecté à l’Université de Pretoria, Post-Graduate School of Agriculture and Rural Development.
Augustin Wambo [**]
  • [**]
    Candidat doctoral Paris-XI, ancien assistant technique de la FAO affecté au secrétariat du NEPAD, en appui à l’Unité agricole.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2009
https://doi.org/10.3917/her.131.0040
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...