CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En mai 2007, la rumeur de la création d’un nouveau gouvernement français sans ministère de l’Agriculture courait. Celui-ci serait éventuellement relégué au rang de secrétariat d’État. Le rapport annuel de la Banque mondiale sur le développement dans le monde sortait six mois plus tard, consacré à l’agriculture. Il dénonçait l’abandon dont ce secteur avait fait l’objet depuis plus de vingt ans. La part consacrée au secteur agricole dans l’aide publique au développement était ainsi passée de 11,5 à 3,9 milliards de dollars entre 1987 et 2005. En moins d’un an, les manifestations populaires et les émeutes que la flambée des prix a provoquées auront réussi à bouleverser l’agenda politique international et à replacer l’agriculture dans les débats internationaux. Revenir sur cet emballement médiatique et tenter de prendre du recul sur l’enchaînement des événements ne vise pas à dénoncer cette nouvelle priorité. Mais ce retour de balancier porte en lui de nouveaux risques qui pourraient bien conduire, si l’on n’y prend garde, à provoquer demain d’autres crises alimentaires.

La hausse des prix et les émeutes « de la faim »

2Sans revenir sur les causes de la hausse puis de la flambée des prix, largement documentées par ailleurs, il est important de rappeler une de leurs caractéristiques : ce sont les prix des produits échangés sur le marché international qui ont augmenté brutalement et non ceux du riz local, du sorgho, du manioc, de l’igname ou des huiles artisanales destinés aux marchés alimentaires domestiques. L’indice FAO des prix alimentaires, calculé sur les cours mondiaux de cinquante-cinq produits alimentaires exprimés en USD, a augmenté de 53% durant le premier trimestre 2008 par rapport au premier trimestre de l’année précédente [FAO, 2008]. Ce sont surtout les prix des huiles végétales (doublement du prix), du soja, des céréales (blé, riz, maïs), des produits laitiers qui circulent sur le marché international qui ont le plus augmenté. On ne dispose pas encore de séries suffisamment longues pour savoir si, indépendamment des variations saisonnières caractéristiques des périodes de soudure, les prix des produits locaux ont augmenté plus que les années précédentes. Il ne semble pas en tout cas y avoir de hausse de la même ampleur que sur les marchés internationaux. Si hausse il y a, elle résulte plus d’un effet de report sur la consommation de produits locaux qu’elle n’annonce, par les prix, un début de crise de la production alimentaire domestique dans les pays en développement.

3Il n’empêche que les populations urbaines pauvres consommant massivement des céréales importées ont subi de plein fouet la hausse des prix. Cette situation de dépendance vis-à-vis du marché international n’est pas si fréquente, même en Afrique, contrairement à ce que les médias tentent de véhiculer. Les villes sont le plus souvent largement approvisionnées par des productions locales et les marchés urbains sont devenus des débouchés très importants pour l’agriculture commerciale. Le cas de Dakar, toujours cité en exemple, est très peu représentatif de la situation alimentaire africaine voire des pays en développement. Dakar, presqu’île du Sénégal, est une caricature de la ville nourrie par le marché international. Et ce sont d’ailleurs les photos de citadins qui brandissent du pain pour réclamer la baisse de son prix qui ont servi d’image emblématique aux médias (faisant la une de l’hebdomadaire L’Express en mai 2008) pour qualifier d’« émeutes de la faim » les manifestations qui se sont multipliées. L’expression est sans doute réductrice car les revendications des manifestants concernaient aussi la hausse du prix de l’essence (Cameroun, Iran), les salaires (Égypte), la corruption et le comportement des élites. Les émeutes sont intervenues toujours dans un contexte de pauvreté urbaine, et souvent d’instabilité ou de tension politiques (Haïti, Guinée), de guerre ou de conflits entre communautés (Soudan, Tchad, Somalie, Kenya, Pakistan), et ont été parfois un nouvel épisode de séries chroniques de manifestations ou d’exactions violentes (Nigeria, Zimbabwé, Birmanie, Inde, Bangladesh, Malaisie). Ces émeutes ne révèlent en tout cas pas l’ampleur d’une malnutrition par carences qui touche encore plus de 850 millions de personnes dans le monde. La véritable faim, qui dure depuis des décennies, est majoritairement rurale et souvent silencieuse, mal relayée politiquement, syndicalement et même parfois médiatiquement sur la scène nationale s’il n’y a pas de relais à l’échelle internationale.

4Ce qui est nouveau et qui marque les esprits est le caractère simultané de ces manifestations dans le monde. Le large écho médiatique dont elles ont fait l’objet n’est sans doute pas étranger à cette contamination. Entre mi-février et miavril 2008, on a ainsi enregistré des émeutes contre la vie chère dans une vingtaine de pays. Cette mondialisation des revendications violentes des citadins pauvres a fait craindre à certains responsables politiques une déstabilisation plus générale. C’est dans ce contexte que l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation, la FAO, a tenu du 3 au 5 juin 2008 à Rome une conférence internationale sur la sécurité alimentaire [1].

Le sommet de haut niveau sur la sécurité alimentaire mondiale à Rome

5Initialement prévue comme une conférence sur le changement climatique, les bioénergies et la sécurité alimentaire, l’actualité a permis de transformer cette manifestation en « sommet de haut niveau » où ont été invités les chefs d’États et de gouvernements, et plus seulement les délégations techniques des pays.

6Pour la FAO, ce sommet représentait un enjeu majeur. Comme dans de nombreux pays du monde, l’agriculture n’était plus une priorité dans la coopération internationale et la FAO souffrait de cette marginalisation de son secteur d’intervention. Elle était, de plus, affaiblie par une critique récurrente et ouverte de plusieurs pays qui réclamaient une réforme de son organisation et de son fonctionnement, réforme qui tardait à se concrétiser. Début 2008, en pleine crise alimentaire, l’origine de la critique s’est étendue à un pays inattendu, celui même du directeur général de la FAO, Jacques Diouf : le Sénégal. Le président Wade a sonné publiquement une violente charge contre son compatriote et son organisation, marquant là le risque de lâchage des pays africains. Par ailleurs, la Banque mondiale était également au cœur de nombreuses critiques sur son abandon du secteur agricole et sur les effets contestés de sa promotion de la libéralisation. Elle cherchait ainsi à retrouver une légitimité. L’institution de Washington et son nouveau président apparaissaient comme un rival potentiel de l’institution romaine pour gérer la crise alimentaire. Pour la FAO, la réussite du sommet représentait donc un enjeu crucial pour reconstruire une légitimité politique et pouvoir continuer, avec des moyens renforcés, à jouer un rôle important dans la gestion de la crise et des opportunités d’intervention qu’elle pouvait ouvrir.

7Comme dans tout sommet, la réussite de son organisation s’évalue en particulier à sa capacité à faire adopter une déclaration finale de consensus qui définit un agenda d’actions. Or le contexte pour y parvenir était particulièrement délicat : non seulement la FAO était affaiblie, mais le dossier agricole contribuait à bloquer le cycle de Doha et annonçait des divergences de vue sur tout sujet relatif aux politiques commerciales. Ouvrir un débat sur les marchés internationaux agricoles risque donc d’ouvrir une boîte de Pandore et de faire échouer un accord de consensus. Par ailleurs, certains pays agroexportateurs comme l’Argentine, la Thaïlande ou le Vietnam avaient pris des mesures de restriction de leurs exportations pour privilégier leur sécurité alimentaire intérieure. Ces pays étaient ouvertement accusés d’accentuer, du coup, la hausse des prix sur les marchés internationaux. Enfin, si les émeutes avaient été considérées par la « communauté internationale » comme des manifestations d’une pauvreté urbaine devenue insupportable, leur traitement n’aurait a priori pas été considéré d’abord comme un problème agricole. La lutte contre la pauvreté et les inégalités est plutôt vue comme un problème de pouvoir d’achat, de développement économique, de répartition des richesses et donc plutôt du ressort des institutions dédiées à ces problématiques, que cela soit le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Bureau international du travail (BIT) ou encore la Banque mondiale. Insister sur la pauvreté comme origine de la crise aurait donc davantage légitimé ces institutions plutôt que la FAO pour obtenir des ressources financières supplémentaires et pour définir un cadre normatif d’action.

8Pour obtenir, à quelques semaines du sommet, un texte qui serve de base à la discussion et qui permette d’obtenir un consensus, il fallait trouver un objet limitant les divergences de points de vue. Cet objet est vieux comme Malthus : c’est la projection dans le futur des évolutions de l’offre et de la demande en produits agricoles. La croissance démographique, avec une transition non achevée, l’urbanisation qui oriente la consommation vers des produits à moindre rendement calorique (la viande en particulier) et les nouvelles demandes en produits végétaux pour la production d’agrocarburants montrent un besoin d’accroissement rapide de la production agricole. Si les émeutes ne sont pas véritablement le signe d’un début de pénurie alimentaire mondiale, les analyses prospectives, elles, le font craindre.

9Ce glissement de problématique lors du sommet a été très bien résumé, dès son ouverture, par le discours du président Sarkozy : « Chaque jour, il y a 25000 êtres humains qui perdent la vie parce qu’ils ont faim. Et il y a 850 millions de personnes qui souffrent de la faim. Voilà la situation. Personne, qu’il soit du Nord ou du Sud, ne peut accepter cette situation. Personne. Il faut donc agir et agir tout de suite. Agir, cela veut dire quoi ? Cela veut dire une chose simple comme l’objectif : il faut doubler la production alimentaire mondiale d’ici à 2050. C’est la condition. »

10La déclaration finale, obtenue in extremis, reflète bien cette position simple : pour répondre à la crise, il suffit d’augmenter la production agricole. Le texte insiste sur la nécessité à court terme d’« apporter un appui immédiat à la production et au commerce agricoles » et à plus long terme d’investir dans la production vivrière. Le programme d’intervention d’urgence proposé par la FAO pour gérer la crise consiste à distribuer semences et engrais [2]. Sur l’ensemble de la déclaration le mot « production » (alimentaire ou vivrière) revient huit fois, le mot accès (à l’alimentation) apparaît une seule fois tout comme le mot « pauvre (té)».

Retour sur la définition de la sécurité alimentaire

11Examinée à la lumière des définitions successives de la sécurité alimentaire, cette déclaration finale du sommet ramène le débat trente ans en arrière. La définition consensuelle de 1974 insistait sur les disponibilités dans un contexte où les prix venaient de flamber (crise pétrolière) et où plusieurs accidents de production venaient de se produire (sécheresse, inondations). Les courbes de Malthus dans les travaux de prospective étaient alors dans tous les esprits. Trente ans plus tard, l’histoire semble se répéter : le prix du pétrole s’envole, les stocks de céréales ont diminué et quelques accidents climatiques ont accéléré leur fonte. Les disponibilités alimentaires, et donc la production agricole, sont redevenues les seules priorités. Il s’agit bien d’un retour au « productionnisme » tel que Thompson (1995) le définit : « philosophy that emerges when production is taken to be the sole norm for ethically evaluating agriculture ».

ENCADRÉ 1 : L’ÉVOLUTION DE LA DÉFINITION DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

« Disposer, à chaque instant, d’un niveau adéquat de produits de base pour satisfaire la progression de la consommation et atténuer les fluctuations de la production et des prix » (Conférence mondiale de l’alimentation, 1974).
« Accès physique et économique pour tous les êtres humains, à tout moment, à une nourriture suffisante, salubre et nutritive, leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » (Conférence mondiale de l’alimentation, 1996 et 2002).

12C’est donc oublier trente années de travaux et de débats, marqués en particulier par les apports de A. Sen et les constats de pays en autosuffisance alimentaire mais qui n’assurent pas pour autant leur sécurité alimentaire compte tenu de la pauvreté endémique, de la faiblesse des États et de l’instabilité politique. Ces travaux ont conduit à compléter la définition de la sécurité alimentaire pour y ajouter, en plus des disponibilités, d’autres « piliers »: l’accès physique et économique, la régularité dans le temps et l’espace, la qualité biologique et nutritionnelle et l’acceptabilité culturelle des aliments. En mettant même au premier plan l’accès (plutôt qu’une formulation parlant de nourriture accessible), le dernier consensus de 1996, confirmé en 2002, déplace le levier d’action. Fournir des aliments en quantité suffisante reste bien sûr nécessaire mais ne suffit plus. Il faut désormais aussi veiller à ce que chaque individu ait accès, par des moyens de production ou par le marché, à la nourriture. La lutte contre la pauvreté et les inégalités devient ainsi un moyen d’assurer la sécurité alimentaire. Vu sous cet angle, la FAO ne peut alors guère revendiquer un mandat exclusif sur la sécurité alimentaire. Elle ne peut que faire alliance avec d’autres institutions en charge de la lutte contre la pauvreté si elle veut rester cohérente avec la définition qu’elle a pourtant promue. Or c’est justement cette difficulté à sortir du secteur agricole pour faire alliance avec d’autres secteurs qui est pointée comme l’un des facteurs explicatifs de la faible force politique de la FAO [Fouilleux, 2008].

13Si l’enjeu de ce retour au productionnisme n’était que la relégitimation de la FAO et des institutions agronomiques, il n’y aurait là pas forcément de quoi s’émouvoir. Mais l’enjeu dépasse la question de quelques institutions au sens où un sommet comme celui de Rome crée, de facto, un référentiel international qui peut servir à orienter les modes de gestion de la sécurité alimentaire. La réduction du problème à la seule question des disponibilités et, de ce fait, de la production alimentaire est donc porteuse de nouveaux risques économiques et sociétaux dont il est encore difficile d’appréhender les conséquences à moyen terme.

Les risques du productionnisme

14Le premier risque est la remise en route de la machine productiviste au nom de l’objectif de nourrir la planète. Les producteurs de semences, d’engrais, de produits phytosanitaires, de systèmes d’irrigation voient dans cette perspective un avenir plus optimiste que celui que leur brossaient les tenants d’une agriculture plus écologique. Si l’objectif de l’agriculture est réduit à sa capacité à fournir des disponibilités suffisantes pour satisfaire, globalement, la demande, alors il faut craindre une ruée sur les terres agricoles. La hausse des prix alimentaires et le discours ambiant sur les enjeux futurs du secteur agricole face à la demande croissante attirent d’ores et déjà de nouveaux investisseurs. Les achats de terre dans les pays où elle est encore disponible ou peu coûteuse semblent, d’après la presse qui s’en fait l’écho, se multiplier [Basini et al., 2008; Wright et al., 2008]. L’Ukraine, le Brésil, l’Afrique, l’Asie du Sud et du Sud-Est apparaissent comme de nouveaux eldorados agricoles à coloniser pour fournir des marchés alimentaires ou énergétiques présentés comme porteurs (pour le maïs et le soja). Dans la plupart de ces pays, les régimes fonciers sont actuellement loin de garantir les droits de ceux qui aujourd’hui les cultivent. Et il faut donc craindre leur éviction au profit de grandes exploitations mécanisées, accélérant alors les migrations vers des villes qui ont déjà bien du mal à absorber les afflux de main-d’œuvre. Ces modèles de production agricole intensifs en capital apparaissent, au moins dans le discours de nombreux dirigeants politiques, comme des modèles désirables, permettant de faire entrer leurs pays dans la « modernité » et de s’affranchir ainsi d’une paysannerie pauvre. Le risque est donc bien réel, comme en témoignent les investissements dans de grandes exploitations agricoles intensives réalisés par les élites urbaines elles-mêmes dans leur propre pays [Lavigne-Delville, 1998]. Les organisations paysannes présentes au sommet de Rome ont tenté de faire entendre leur crainte de nouveaux conflits fonciers et de marginalisation accélérée des paysans. Mais elles n’avaient accès qu’à des sessions parallèles et non au segment dit « de haut niveau » qui discutait la déclaration finale. Au final, elles n’auront pas été entendues et pas un mot de leur crainte ne transparaît dans les documents du sommet.

15Outre les risques de tensions foncières, n’évaluer l’agriculture que sur ses performances productives risque de faire passer au second plan les préoccupations environnementales (défrichements forestiers, ressources en eau, surexploitation de la fertilité, utilisations imprudentes de pesticides ou d’OGM) et les menaces sur la biodiversité des systèmes intensifs classiques.

16Le deuxième risque est d’oublier que l’accroissement des inégalités, notamment dans les villes, est générateur de tensions sociales qui ne seront pas atténuées par une relance de la production agricole. À oublier la question de la pauvreté et de la paupérisation, on court le risque de nouvelles émeutes à la prochaine hausse des prix. L’accroissement du disponible alimentaire ne réglera en effet pas la pauvreté urbaine. Cela dit, le développement rural, et donc notamment agricole, s’il est créateur d’emplois et de revenus, peut permettre de ralentir les migrations des campagnes vers les villes et diminuer ainsi le rythme d’urbanisation. Dans les pays africains et asiatiques en particulier, ce n’est pas la croissance urbaine qui pose problème, au contraire, mais son rythme très élevé. Les villes ont été un formidable moteur de croissance agricole, fournissant de nouveaux débouchés et induisant de nombreuses innovations dans l’agriculture. Mais la croissance urbaine s’est faite à une telle vitesse qu’elle a imposé un rythme difficile à assurer de création d’emplois pour absorber la main-d’œuvre libérée du secteur agricole. L’enjeu de ce secteur ne réside donc pas seulement dans sa capacité à augmenter le disponible, mais à permettre de vivre dignement en milieu rural.

17Le troisième risque du productionnisme agricole est celui de la fragmentation du marché mondial sous la forme d’un repli sur l’espace national ou de dispositifs transnationaux d’intégration verticale. La hausse des prix a déjà conduit plusieurs pays à limiter leurs exportations pour privilégier l’approvisionnement de leur marché domestique. Les pays importateurs – les Philippines par exemple ou les pays pétroliers du Golfe – se sont ainsi retrouvés en grande difficulté pour assurer leurs achats sur le marché international. Cette situation témoigne d’une perte de confiance entre des pays qui commerçaient et génère de nouvelles tensions. Ce repli sur les espaces nationaux intervient de toute façon dans un contexte de défiance vis-à-vis du marché mondial libéralisé. Il est symptomatique de voir, de leur côté, certains pays pétroliers, enrichis par la flambée du prix du baril, envisager d’acheter des terres à l’étranger pour cultiver pour leurs propres besoins [anonyme, 2008]. Ces pays recouraient jusqu’à présent quasi entièrement au marché international pour se nourrir. Ils annoncent aujourd’hui leur changement de stratégie. Il s’agit moins là d’investir dans un nouveau secteur économique porteur, que de s’assurer une plus grande maîtrise des approvisionnements via le contrôle direct de la production. D’une façon générale, le mot d’ordre du sommet de Rome est de relancer les productions nationales et compter ainsi davantage sur ses propres ressources plutôt que sur celles des autres pays. Cultiver pour soi chez les autres plutôt que leur acheter ce qu’ils produisent témoigne-t-il d’une nouvelle tendance des relations entre nations ?

Conclusion

18Le retour à une sécurité alimentaire mondiale trop exclusivement orientée sur les questions de production n’est donc pas sans risques. Toutefois, l’appel à la prudence ne doit pas être interprété comme un refus de considérer la place centrale de l’agriculture dans la lutte contre la faim et la précarité alimentaire. La production agricole est bien évidemment vitale mais elle n’est pas suffisante. Et s’en contenter comporterait de nombreux risques fonciers, environnementaux et économiques. Reconnaître pleinement les différentes dimensions de la sécurité alimentaire conduit à évaluer le secteur agricole non seulement par sa capacité à produire des aliments et à les rendre disponibles régulièrement, mais aussi à fournir des emplois et des revenus et donc des capacités d’accès à l’alimentation, à favoriser une diversification et une qualité nutritionnelles des régimes alimentaires, à être capable de satisfaire les préférences alimentaires des populations diverses tout en cotisant à une paix sociale et politique nécessaire au développement. La crise ne doit pas faire oublier la multifonctionnalité de l’agriculture ni celle de l’alimentation afin de ne pas obérer l’avenir.

Notes

  • [*]
    CIRAD, UMR Moisa, F-34398 Montpellier.
  • [1]
    L’intégralité des documents préparatoires, des discours, des textes techniques, des enregistrements vidéo des débats et la déclaration finale du sommet sont disponibles en ligne sur le site : http :// www. fao. org/ foodclimate/ hlc-home/ fr/
  • [2]
    En comparaison, il faut se rappeler qu’en 1994 la dévaluation du franc CFA s’était traduite par un doublement des prix des produits importés. Cette mesure avait été accompagnée d’interventions des bailleurs de fonds pour en atténuer les effets : avaient ainsi été financés des chantiers à haute intensité de main-d’œuvre (nettoyage, assainissement, routes, etc.) permettant aux citadins pauvres d’accéder à des revenus.
Français

La hausse des prix pétroliers et alimentaires sur les marchés internationaux est intervenue dans un contexte de crise des institutions dédiées à l’agriculture. Alors que les émeutes que la flambée des prix a provoquées dans le monde ne témoignent pas d’un début de pénurie alimentaire mais d’une pauvreté urbaine aggravée, le thème de la crise s’est déplacé vers la question agricole. Le sommet sur la sécurité alimentaire organisé par la FAO a été le théâtre de cette instrumentalisation de la crise pour justifier une relance de la production agricole. La focalisation sur les disponibilités alimentaires est porteuse de risques de nouvelles tensions foncières et de replis sur les espaces nationaux et ne règle pas pour autant la pauvreté et les inégalités à l’origine des émeutes.

Bibliographie

  • ANONYME (2008), « Agriculture : des pays du Golfe veulent investir à l’étranger », Le Journal du Net Économie, 20 juillet.
  • BASINI B. et NICOT M. (2008), « Alimentation : ruée vers les terres agricoles », Le Journal du Dimanche, 26 août.
  • FAO (2008), La Flambée des prix des denrées alimentaires. Faits, perspectives, effets et actions requises. Document pour la Conférence de haut niveau sur la sécurité alimentaire mondiale. HLC/08/INF/1 ftp ://ftp.fao.org/docrep/fao/meeting/013/k2414f.pdf
  • FOUILLEUX E. (2008), « Acteurs et concurrences dans la fabrication des référentiels internationaux. La FAO et les normes de politique agricole » in EBERWEIN W. D. et SCHEMEIL Y., Normer le monde : énonciation et réception des normes, L’Harmattan, Paris (sous presse).
  • LAVIGNE-DELVILLE Ph. (1998), « Sécurité foncière et intensification » in LAVIGNE - DELVILLE P. (dir.), Quelles politiques foncières pour l’Afrique rurale, Karthala, Paris.
  • THOMPSON P. B. (1995), The Spirit of the Soil : Agriculture and Environmental Ethics, Routledge, Londres.
  • WRIGHT T., FAM M. et BARTA P. (2008), « Exporting farmland to feed global demand », The Wall Street Journal, 11 juillet.
Nicolas Bricas
Benoît Daviron [*]
  • [*]
    CIRAD, UMR Moisa, F-34398 Montpellier.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2009
https://doi.org/10.3917/her.131.0031
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