CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Depuis la fin des années 1980, les programmes spatiaux des principaux pays industrialisés connaissent de nombreuses difficultés, qui semblent impliquer une remise en question du secteur tout entier. C’est particulièrement le cas aux États-Unis où les débats sur le maintien d’un programme spatial de grande envergure divisent traditionnellement la classe politique alors même que les États-Unis dominent plus que jamais les activités spatiales mondiales.

2La genèse du programme spatial et les effets durables que son histoire a produits sur la communauté qui le porte n’est évidemment pas étrangère à l’existence d’un tel débat. Largement identifiée à l’affrontement des super-puissances pendant la Guerre froide, l’activité spatiale américaine est née d’une mobilisation exceptionnelle ; humaine d’abord (avec 180 000 personnes employées pour le seul programme Apollo), financière ensuite (avec près de 0,8 % du produit national brut américain consacré à l’espace au maximum de l’effort en 1965). Ce caractère très particulier et donc très fragile de l’activité s’est trouvé mis en évidence par des tensions apparues dès les années 1960 entre la communauté spatiale et le pouvoir politique, avant donc le changement d’ère stratégique que nous avons récemment connu. L’idée selon laquelle les gouvernements successifs « politiseraient » l’activité spatiale, alors que celle-ci, scientifique, serait par nature « apolitique » comme le soulignait dans les années 1970 un administrateur de la NASA, va rapidement se répandre au sein de la communauté. Si l’on en croit nombre de discours prononcés par ses représentants, celle-ci va constamment vivre sous la pression d’autres corporatismes, source supposée de ses difficultés à convaincre. À cet égard, l’épisode de la navette spatiale est emblématique tant il fut vécu comme un temps fort du devoir d’auto-défense de la NASA alors que le gouvernement Nixon venait de rejeter sans ambages le programme d’exploration de l’espace proposé par la NASA en 1969. Les années qui suivront seront marquées par des difficultés croissantes à convaincre, qui iront jusqu’à un quasi-arrêt du programme de navette en 1977 par l’administration de Jimmy Carter puis feront frôler de peu l’annulation pure et simple (d’une voix au Congrès) à un autre grand programme, la station spatiale, au début des années 1990.

3La décomposition du bloc socialiste et la fin de la Guerre froide ont évidemment rendu cette mise en cause plus visible en incitant les autorités à tenter de redonner un objectif au programme spatial. L’un des résultats les plus spectaculaires de cette réévaluation a été de considérer les grands projets spatiaux comme des vecteurs utiles de coopérations avec l’ancien adversaire, en particulier dans le domaine des grandes infrastructures habitées. L’espace semblait trouver ainsi un second souffle après la Guerre froide. Mais les problèmes ont subsisté et ont semblé donner corps à l’impression d’une « crise » profonde liée à une situation budgétaire difficile, explication rationnelle que les responsables du secteur se sont toujours efforcés de donner pour en appeler à une « renaissance » : « Dans la mesure où le déficit budgétaire n’est pas prêt à disparaître, des pressions continueront à s’exercer sur le financement des programmes et chaque dollar fera l’objet d’une concurrence féroce. Nous, membres de la communauté aérospatiale, dans l’industrie ou dans l’administration, devons répondre à ce défi en fournissant plus pour chaque dollar investi. [1] » expliquait ainsi dès 1989 Daniel Goldin qui deviendrait le directeur de la NASA sous trois présidents successifs, George Bush Père, Bill Clinton, George W. Bush.

4Aujourd’hui, la réflexion sur la « crise » s’est institutionnalisée au point de devenir un lieu commun régulièrement répercuté dans la grande presse. Parmi d’autres, un exemple récent (9 décembre 2001) donne bien le ton qui caractérise les articles sur l’espace aujourd’hui : « Ils l’ont fait à nouveau, avec bien peu de fanfare. Depuis le site B, sept êtres humains ont grimpé dans un vaisseau pointé vers le ciel bleu de Floride. Beaucoup de choses devaient fonctionner parfaitement. Tout a marché. Même les esprits critiques admettent que la NASA maîtrise le côté technologique du voyage spatial (…). »

5Après le constat désabusé vient l’analyse, inévitable : « Pourtant la NASA traverse des temps menaçants. Le 11 septembre a changé les priorités nationales, et envoyer des hommes dans l’espace n’apparaît plus comme une priorité sur l’agenda du gouvernement. Un panel d’experts a récemment critiqué la NASA pour avoir dépensé des millions de plus que prévus pour la station spatiale internationale. La station spatiale pourrait n’être jamais achevée, ce qui met en rage certains membres de la NASA aussi bien que les partenaires étrangers des États-Unis. (…) [Le bâtiment d’assemblage des véhicules spatiaux à Cap Canaveral est considéré comme] une pièce de musée maintenant. Le sens de l’urgence de l’ère Apollo est révolu. (…) Les défenseurs du secteur spatial souhaiteraient une NASA plus ambitieuse, qui enverrait des hommes au-delà de l’orbite terrestre, peut-être à nouveau sur la Lune, voire finalement sur Mars. L’ancien directeur du Cap (Canaveral) affirme que ce pays a besoin “d’une autre grande aventure” dans l’espace : “Mars est la prochaine étape logique”. Mais même certains avocats du secteur spatial indiquent que l’époque est mal choisie pour parler d’aller sur Mars. [2] »

6Pour être récent, cet article ne dévoile pas pour autant une nouveauté. Il reflète plutôt un état d’esprit qui est latent dans la communauté spatiale américaine depuis plusieurs années. Les difficultés de la NASA à défendre ses programmes auprès des gouvernements successifs depuis Apollo et qui sont apparues au grand jour après l’accident de la navette spatiale intervenu en 1986, sont patentes. Depuis le début des années 1990, elles remettent régulièrement en cause l’existence même de l’agence. Après une sérieuse alerte en 1993, où la station spatiale n’a dû sa survie qu’à une voix au Congrès, l’agence comme le programme spatial lui-même est régulièrement au centre de polémiques. Des « comités des sages », des commissions « ad hoc » ou des sociétés d’études ont été mobilisés ; les rapports se sont multipliés [3]. Il n’est à cet égard pas anodin de constater l’émergence récente de travaux sur archives destinés à retracer la genèse et l’histoire des politiques spatiales, donc à en restituer en quelque sorte la « pureté originelle » [4]

7Deux constats préalables s’imposent :

8— Le constat de « crise » se fonde sur les difficultés rencontrées essentiellement dans une branche du secteur spatial, à savoir la fabrication de grands complexes habités. La « crise » apparaît donc être d’abord celle d’une communauté spécialisée, face au morcellement du secteur qu’elle s’était donné pour objet de représenter.

9— Par ailleurs, l’identification et le traitement de cette « crise » supposent, de la part de ceux qui en ont fait leur mission, que soient admis au départ certains postulats. Leur discours repose en effet sur une référence implicite à une période plus faste, à un « âge d’or » ou, tout du moins, à un état « normal » du champ des politiques spatiales. Il suppose aussi que le dépassement des difficultés actuelles soit possible et souhaitable ; il vise à réduire la « crise » à un épiphénomène, à une rupture de continuité, et part du principe que le spatial est susceptible, au prix de quelques réaménagements, de retrouver « sa place » dans l’espace des politiques publiques.

10In fine, cet article se propose d’inverser la problématique. L’essor des politiques spatiales n’a-t-il pas été le fruit d’une conjonction de circonstances exceptionnelles, et l’essoufflement actuel des programmes spatiaux n’est-il pas alors le signe d’une « normalisation » et d’une « maturation » enfin atteintes ? En adoptant cette logique, le discours sur la « crise » trouverait tout son intérêt, non pas en tant qu’expression rationnelle d’une volonté d’adaptation, mais en tant que révélateur d’une quête de légitimité de la part d’un groupe uni par des intérêts et par des perceptions qui auraient perdu leurs raisons d’être.

Nécessité d’une nouvelle clé de lecture

11Cette perception particulière aux acteurs concernés peut être analysée à travers le processus de formation des valeurs et des références qui les font agir, et qui définissent les conditions spécifiques de la mise en œuvre de la « politique spatiale » aux États-Unis. En l’espèce, la formation des discours sur l’espace et des images véhiculées à son sujet apparaît comme un élément central d’explication de la formation d’une politique publique particulière.

12Bien sûr, le lien qui s’établit naturellement entre les grands projets étatiques et l’analyse de politique publique n’est pas fortuit. Notons d’abord que l’intérêt d’étudier les ressorts de la politique publique est précisément né aux États-Unis dans les années 1960 à l’occasion de la redéfinition des moyens d’intervention étatiques dans de grands programmes volontaristes symbolisés par la Great Society prônée par Lyndon Johnson. Très rapidement, le problème de la « mise sur agenda » des questions à traiter et de la « mise en œuvre » des mesures adoptées sont devenues les pierres de touche d’édifices théoriques conscients des difficultés à mettre en pratique leurs modèles d’action dans une Amérique qui se sentait pourtant « triomphante » au sortir de la Deuxième Guerre mondiale [5]. La nécessité de mieux comprendre l’interface entre la décision publique et les acteurs qui l’appliquent, qu’ils soient centraux (fédéraux) ou locaux, s’est alors imposée comme une évidence. Elle a fait naître une large réflexion sur leur poids respectif, aussi bien à l’échelle des individus qu’à celle des grandes communautés et corporations [6]. Dans ce contexte, la « politique spatiale » a souvent été analysée en termes mutuellement exclusifs, qu’ils concluent au caractère jugé essentiellement « politique » de la décision et des réalisations de programme dans un domaine qui relève de la sécurité, de la compétitivité et du prestige nationaux, ou qu’ils mettent au contraire l’accent sur le poids prépondérant de technostructures « apolitiques » nourries d’intérêts industriels puissants et d’intérêts locaux propices aux pratiques de « renvois d’ascenseurs » dites de Pork-barreling.

13Une approche plus soucieuse de sociologie politique se doit d’analyser les discours que tiennent les communautés sur elles-mêmes. Ceux-ci interviennent comme un facteur fondamental, éminemment politique, de la vie publique et les difficultés apparues depuis quelques années rendent peut-être leur analyse plus pertinente encore. Durant toute l’histoire spatiale américaine, les prises de position successives ont traduit une quête ininterrompue d’identité qui a contribué à structurer le débat public, parfois pour en amplifier les effets ou parfois pour les combattre. En fait, cette recherche de légitimité reflète le plus souvent le contexte dans lequel elle s’opère. Pour cette raison, au-delà de la seule évolution des institutions qu’il retrace, cet article propose une approche centrée sur la relation dynamique qui existe entre les institutions administratives et leur environnement en l’analysant comme un élément à la fois structurant et révélateur du débat autour de la « politique spatiale » aux États-Unis. Elle se situe à ce titre au carrefour des approches gouvernementales ou institutionnelles classiques (Top Down) que connaît bien la politique publique et de celles plus centrées sur l’acteur ou sur les réseaux d’acteurs [7].

Un « âge d’or » mythique : la construction d’un « modèle » spatial aux États-Unis

14Le discours contemporain des principaux représentants du secteur spatial fait appel à l’existence d’un modèle fondateur, idéal, qui aurait été dénaturé par la suite. Des circonstances historiques et un contexte national très particulier ont permis l’autonomisation puis l’unification d’un « secteur spatial » dont le particularisme, avant de se traduire par une activité, reposait dès les débuts sur la cristallisation d’une pensée et d’un discours commun.

15Les programmes spatiaux sont nés dans la seconde moitié des années 1950 en URSS et aux États-Unis de leur confrontation politico-militaire mutuelle, à l’heure où l’équilibre stratégique reposait à la fois sur la performance des vecteurs nucléaires et sur la surveillance du potentiel adverse. Dès avant le lancement de Spoutnik (en 1957), les responsables américains avaient pris conscience des « avantages psychologiques » que procurerait une première satellisation par les États-Unis et « des conséquences dommageables que signifierait le fait de laisser le programme russe dépasser (leur propre programme) » : « l’enjeu de prestige qui y est attaché en fait une course que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre » [8]. Face à l’ennemi soviétique, mais aussi face aux pays tiers dont il fallait entretenir la confiance, la conquête spatiale justifiait alors un sursaut patriote, un « appel aux armes ».

16La réponse au défi posé par l’Union soviétique passait en premier lieu par l’organisation d’énergies dispersées, disparates, parfois même en concurrence. L’une des caractéristiques majeures du secteur spatial naissant résidait en effet dans sa grande hétérogénéité. Il s’agissait de regrouper des acteurs civils encore peu nombreux [9] et des acteurs militaires qui contrôlaient la production des missiles balistiques (concentrant à ce titre l’essentiel des moyens techniques et budgétaires).

17Très vite, il est apparu nécessaire de grouper ces acteurs en une « communauté », quitte à leur faire exercer de nouveaux métiers, à élargir leurs fonctions, ou à bouleverser des structures en place depuis longtemps. De ce point de vue, la décision de concevoir un lanceur pour mettre au plus vite un satellite américain sur orbite (en janvier 1958) fait œuvre fondatrice. Transcendant les différences d’appréciation, cette décision mettait un terme aux positions contradictoires qui s’exprimaient alors au sein de l’administration. Elle allait notamment conduire à l’affirmation des prérogatives présidentielles dans le domaine des missiles balistiques, en faisant éclater l’interprétation étroite donnée par le Pentagone du caractère prioritaire et réservé de ces recherches [10].

18Il faut souligner l’importance symbolique de cette mobilisation générale dans l’affrontement à la fois politique et institutionnel que se livraient alors la présidence et le Congrès. Le resserrement autour de « l’intérêt national » et la représentation du danger qui était donnée à l’opinion participaient pleinement de cette rivalité. La forteresse présidentielle républicaine se trouvait en état de siège devant les raids lancés par les parlementaires démocrates, en particulier par leur chef de file au Sénat Lyndon Johnson [11]. L’attaque était d’autant plus redoutée qu’elle semblait légitime, qu’elle avait le droit pour elle, celui de « sauver le pays », celui de reprendre en main le sort d’une nation « victime de l’imprévoyance et de la courte vue » des dirigeants du moment. Sur ce terrain, il n’y avait pas de victoire possible pour le président : en accédant en 1958 aux demandes du Congrès et en autorisant l’édification d’un secteur spatial spécifique, il choisit finalement d’ôter à ses adversaires le droit de se battre. L’espace devait être un facteur de cohésion et non de division de la Nation.

19C’est de cette surenchère politique qu’ont dérivé le Space Act de 1958 et la création de la NASA. Le texte de loi résultait d’une très forte pression parlementaire, sans laquelle les activités spatiales dans leur ensemble auraient pu trouver asile dans des structures déjà existantes liées à la Défense. La NASA s’est vue confier non seulement la mission d’améliorer « les moyens d’utiliser l’espace, les performances, la rapidité, la sécurité et l’efficacité des moyens spatiaux », mais aussi celle de « préserver le rôle des États-Unis en tant que leader des sciences et des technologies aéronautiques et spatiales ». De fait, la création d’une agence placée sous une tutelle présidentielle directe renforçait d’emblée la légitimité d’un État fédéral tout puissant, qui ne laissait de place ni aux pouvoirs locaux ni au secteur privé. La création d’un secteur spatial s’inscrivait alors dans une logique d’ascension des pouvoirs fédéraux, logique qui allait s’intensifiant avec la Guerre froide et l’avènement des « présidences impériales ». Les principaux responsables administratifs américains allaient d’eux-mêmes appeler les pouvoirs publics à accroître leur contrôle sur les programmes spatiaux, n’hésitant pas à parer l’action de l’État des vertus de mobilisation et d’homogénéisation dont ils constataient les effets en Union soviétique : « Il est important de se rendre compte que les exploits soviétiques récents ont été le résultat d’un programme planifié et qu’ils ont été exécutés au niveau national sur une longue période. (…) (Aux États-Unis), nous avons trop encouragé la prolifération de nouvelles entreprises et le développement des entrepreneurs. En conséquence, le personnel clé a été saupoudré. Le taux de rotation du personnel dans les industries de défense et de l’espace a eu pour effet de soustraire de nombreux personnels scientifiques ou d’ingénierie de leurs postes avant même que les programmes sur lesquels ils travaillent se soient terminés. (…) Nous ne suggérons pas d’appliquer des restrictions de type soviétique sur l’exercice de la liberté individuelle et de la liberté de choix. Nous suggérons cependant que le système américain peut être et doit être mieux utilisé dans l’avenir que par le passé [12] ».

20L’activité spatiale devait être conçue comme un moyen de la politique générale américaine, non comme une fin en soi. John Kennedy ne laissait par exemple aucun doute sur la question lorsqu’il répliquait à son conseiller scientifique qui mettait en cause le bien-fondé de l’envoi d’un homme sur la Lune : « Si vous aviez une première scientifique sur cette Terre, qui soit plus utile — comme, disons, dessaler l’océan — ou quelque chose d’au moins aussi spectaculaire et aussi convaincant que l’espace, alors nous le ferions. Si nous pouvions nous permettre de faire autre chose, nous le ferions. [13] »

21C’est une semblable perspective de politique étrangère qui a guidé la création du consortium international Intelsat en 1964, et qui a placé sous domination américaine de fait l’ensemble des utilisateurs de satellites de communication [14]. Bref, dès les années 1960, l’action de l’État se posait en principe organisateur unique de l’activité spatiale aux États-Unis.

22L’émergence rapide d’un véritable secteur spatial fédéré par la NASA [15] exprimait donc avant tout une étroite association de l’activité spatiale aux objectifs politiques. Ainsi, la sélection des responsables spatiaux ne relevait pas seulement du type d’autorité qu’ils incarnaient [16], mais aussi de caractéristiques sociales spécifiques : on note en particulier une grande familiarité des sphères dirigeantes de l’Agence avec l’administration d’État, surtout dans le domaine de la Défense. Qu’elle prenne la forme d’une carrière réalisée au sein de l’institution militaire ou de contacts établis à l’occasion de « consultances » dans les milieux administratifs ou industriels, cette proximité renforce l’homogénéité des équipes dirigeantes. Si l’on considère le directeur et son adjoint, toujours nommés ensemble, on s’aperçoit qu’au moins l’un des deux est régulièrement issu, ou proche, des milieux stratégiques [17]. Ces choix ont parfois fait l’objet de tractations entre la présidence et le Sénat, aboutissant à un compromis politique et permettant de garantir un respect minimum des positions respectives. Là encore, l’accord se faisait en fonction des garanties présentes pour « l’intérêt national » : le « soupçon d’abandon » dans la confrontation avec l’URSS a périodiquement pesé sur les affaires spatiales, conduisant le plus souvent à une dynamique de « consensus » sous peine de disqualification politique. L’Agence contribuait ainsi à entretenir un débat public où la présidence, garante de « l’intérêt national », trouvait en définitive de confortables marges de manœuvre et un pouvoir institutionnel renforcé [18].

23L’administration spatiale s’est donc généralement montrée en phase avec les valeurs dominantes, le discours de ses dirigeants se teintant le plus souvent d’un grand conformisme idéologique, à la fois scientiste et nationaliste. Certaines déclarations montrent à quel point il est parfois difficile de distinguer les projets de la NASA de la mission dont se sentent investis ses responsables après le succès d’Apollo. Par exemple, une lettre adressée par J. Fletcher à plusieurs membres du Congrès et du cabinet présidentiel en 1971 illustre bien ce point : « L’homme a travaillé dur pour parvenir — et il y est finalement parvenu — à la liberté de mouvement sur la Terre, à la liberté de navigation sur les océans, à la liberté de voler dans l’atmosphère. Et maintenant, depuis la dernière douzaine d’années, l’homme a appris qu’il pouvait aussi s’arroger cette liberté dans l’espace. (…) L’Homme a volé dans l’espace, et l’Homme continuera à voler dans l’espace. C’est un fait. Et ce fait étant acquis, les États-Unis ne peuvent fuir leur responsabilité — pour eux-mêmes et pour le Monde libre — d’avoir leur part dans le vol habité. Ne pas y être, alors que d’autres auront des hommes dans l’espace est impensable et constitue une position que les États-Unis ne peuvent accepter. [19] »

24Pour son prédécesseur T. Paine, l’espace constituait « une entreprise tout simplement trop importante pour être laissée aux esprits timides ou prudents » : « Il faut considérer la NASA comme une bande des frères de la côte dotée du courage épique et romantique de pirates qui baliseraient et établiraient de puissants avant-postes de stabilité et de santé morale, [jetant les bases] de véritables valeurs du futur pour l’humanité sur ces nouvelles mers inconnues que sont l’espace et la technologie globale. [20] »

25Cette situation n’était pas sans ambiguïtés pour les responsables de l’Agence qui souhaitaient alors affirmer l’autonomie du secteur spatial. Car loin d’accroître le pouvoir de la NASA et d’installer les affaires spatiales comme un secteur à part entière de la politique nationale, la surenchère politique a réduit de manière croissante la liberté dont ces acteurs pensaient disposer. En faisant d’une communauté spatiale naissante, qu’elle soit industrielle, administrative ou scientifique, une représentation de l’intérêt national, le débat public lui conférait déjà une identité mouvante, sans autre ancrage que celui que lui attribuait l’activité politique elle-même. La NASA ne pouvait alors bénéficier de l’attrait que présentait l’espace pour évoluer vers un statut plus autonome. Elle se trouvait à l’inverse irrémédiablement identifiée, indissolublement liée à des valeurs en déclin, ce qui ne pouvait qu’induire à terme des difficultés institutionnelles.

Un modèle en panne ?

26L’engagement des États-Unis dans la course à la Lune s’avérait donc éphémère par nature : dès 1965, la présidence expliquait que la NASA ne faisait « plus office d’agence gouvernementale numéro un » [21]. Le programme Apollo achevé, la communauté spatiale donna de premiers signes d’inquiétude quant à la poursuite de l’effort entrepris ; le principal objectif ayant été atteint, l’espace ne figurait plus parmi les priorités fédérales au regard de la guerre menée au Viêt-nam ou du traitement des problèmes sociaux. L’abolition en 1972 du Conseil National de l’Espace et le rejet des grandioses projets Post-Apollo conçus par la NASA sonnèrent comme la fin d’une illusion. Les représentants de l’Agence s’insurgèrent alors contre ce qu’ils vivaient comme un abandon. Thomas Paine accusa ainsi le sénateur démocrate Edward Kennedy de vouloir interrompre le programme habité pour financer les programmes sociaux et de véhiculer « une vision découragée de la destinée de l’Amérique dans l’espace » [22]. En renonçant à ses rêves, l’Amérique mettait également de côté tout ce qui avait été préparé pour les réaliser, marginalisant la communauté spatiale dans son ensemble [23]. Le charme était rompu, et le programme spatial américain allait dès lors connaître un parcours en dents-de-scie.

27Aux premiers troubles ressentis sous l’ère Nixon, qui avait poussé à son terme la centralisation des pouvoirs, succéda une présidence Carter jugée peu entreprenante. L’affichage de positions ouvertement hostiles à la navette, une concurrence budgétaire accrue avec les programmes sociaux [24], puis l’annonce d’une privatisation de certaines activités spatiales, contribuèrent à l’essor d’un sentiment de défiance vis-à-vis du pouvoir politique. En 1978, l’intensification du débat sur la ratification du traité de limitation des armements SALT II et les doutes exprimés sur la capacité américaine à en vérifier l’application (le « monitoring gap issue ») conduisirent certes à une spectaculaire reprise d’activité ; la navette spatiale réapparut en particulier comme un argument majeur dans la stratégie présidentielle, face à des parlementaires soucieux de montrer leur intransigeance dans le domaine de la politique étrangère et de défense [25]. Mais ce soubresaut n’avait rien à voir avec la revalorisation générale des programmes spatiaux attendue par la communauté : à l’aube des années 1980, la navette n’était plus une étape dans une stratégie d’exploration à long terme. La décision d’en faire l’unique moyen américain d’accès à l’espace soulignait surtout la spectaculaire montée en puissance de l’espace militaire ; le statut d’utilisateur prioritaire accordé au ministère de la Défense, conjugué à l’apparition progressive de nouvelles structures, allait consacrer cette évolution sur le plan institutionnel [26].

28Une fois élu, Ronald Reagan fit de l’Initiative de Défense Stratégique (IDS) l’un des principaux cadres d’utilisation de la navette, faisant craindre que la NASA ne devienne « une simple société de transport pour le compte de l’IDS » [27]. En 1984, la décision de construire une station spatiale internationale, accueillie avec indifférence par les militaires, suscita une vive contestation dans les milieux scientifiques. Le projet était alors essentiellement conçu par l’entourage présidentiel et par Ronald Reagan lui-même comme un moyen ponctuel d’exalter les valeurs américaines et de montrer l’intérêt particulier du gouvernement pour les « applications commerciales » de l’espace [28].

29L’accident survenu à Challenger en 1986 marqua un coup d’arrêt pour un projet qui ne pouvait se prévaloir d’un véritable élan politique. En 1989, l’annonce par George Bush d’une stratégie d’exploration spatiale acheva surtout de remettre à plat les plans de la NASA, ébranlant l’institution sur ses bases. À partir de cette date, la station spatiale allait régulièrement être remise en cause.

30Dans un contexte global marqué par la fin de la confrontation Est-Ouest, mais aussi par une aggravation de la crise économique et une généralisation des mesures de dérégulation ou de contrôle des dépenses budgétaires, le modèle fondateur de la « politique spatiale » allait trouver ses limites.

Les enjeux d’une nouvelle représentation du secteur spatial

31Pour faire face à ce qui est progressivement apparu aux États-Unis comme une « crise », différents types de « diagnostics » et de « remèdes » ont été avancés. Les principaux acteurs du secteur spatial se sont accordés par exemple pour reconnaître la nécessité d’une adaptation aux mutations de leur environnement, plaidant notamment pour une rationalisation des méthodes de gestion, une diminution des coûts ou une réforme des structures en place.

32La thèse d’une « crise des objectifs » provoquée par une absence de vision à long terme semble s’imposer. Aujourd’hui même, la presse remarque que lorsqu’un parlementaire pose la question à Sean O’Keefe, l’administrateur de l’agence nouvellement nommé par George W. Bush, « “Quelle est votre vision ?”, O’Keefe répond en parlant pendant plusieurs minutes de “principes prudents de management”, et de revigorer “l’esprit entrepreneur”, de l’importance de la collaboration avec les autres institutions fédérales et de la possibilité de tirer avantage de cette situation à un moment où la NASA se trouve à un carrefour ». Le quotidien remarque alors en conclusion : « Il n’a pas mentionné l’espace. » [29]

33Des éléments propres au contexte américain expliquent toutefois comment cette perception s’est développée. En fait, l’absence de reconnaissance des activités spatiales pour elles-mêmes a provoqué une césure entre la communauté spatiale et les pouvoirs publics dès le début des années 1980. L’allocution alors faite par James Fletcher devant le Congrès est à cet égard révélatrice : « les coupes (budgétaires) les plus sévères infligées au programme ont été souvent le fait de l’exécutif et inspirées, je suis désolé de le dire, par des desseins politiques » [30]. Les programmes spatiaux se distingueraient ainsi par leur caractère essentiellement « apolitique », d’où la tendance régulière des différents responsables de la NASA à reprocher aux parlementaires leur propension au « micro-management ». Depuis plus d’une décennie, la communauté spatiale américaine se définit donc non seulement par la défense d’intérêts communs, mais aussi par la quête permanente d’une identité structurante, fédérée autour d’une opposition quasi-incantatoire à la sphère « politique ».

34Au-delà des explications en termes techniques ou structurels, on voit donc se profiler en filigrane une interrogation de fond sur l’identité et la signification du spatial comme objet de politique. Le traitement de la « crise » suppose en effet la reformulation des schémas cognitifs existants, c’est-à-dire la promotion d’une nouvelle image du secteur et de sa place dans la société globale. Mais le discours des représentants de la communauté reste extrêmement ambigu, dans la mesure où il oscille entre la définition d’un espace modeste, « utile », et le repli sur les valeurs fortes issues de « l’âge d’or ».

De la normalisation au « retour sur Terre »

35Le déclin des valeurs traditionnellement attachées à l’espace va d’abord susciter un recentrage sur des considérations plus pratiques, avec l’émergence de ce que l’on pourrait nommer la doctrine de « l’utilitarisme spatial ».

36La présentation de l’utilité des applications spatiales dans la vie courante n’est certes pas une entreprise nouvelle : les exemples de « retombées » technologiques sont nombreux et font l’objet de publications régulières. En revanche, accepter de subordonner l’espace à son utilité pour d’autres secteurs, c’est-à-dire admettre qu’il soit géré ou évalué comme n’importe quel autre objet d’intervention publique, constitue une démarche relativement inédite. À l’heure où les budgets s’équilibrent, l’enjeu n’est plus de convaincre du caractère exceptionnel ou extraordinaire de l’espace, mais bien au contraire de le faire rentrer dans la norme. Selon la « commission consultative sur l’avenir du programme spatial américain », mandée en 1990 par le Président Bush, le « programme spatial idéal » serait ainsi celui qui « produit des résultats visibles et significatifs, afin de convaincre le contribuable américain que l’organisation remplit sa mission de manière efficace, efficiente et fiscalement responsable, tout en contribuant au développement des connaissances, à la qualité de vie sur Terre et qui soit propre à inspirer l’ensemble des peuples » [31].

37Mais une telle mutation suppose une prise de conscience beaucoup plus forte de la fin de « l’exceptionnalisme » spatial. Celle-ci ne peut s’opérer que sous une forme traumatisante puisqu’elle signifie l’abandon d’une référence identitaire et la fracture de la communauté qui s’était formée autour d’elle. Amorcée dès la première moitié des années 1980 avec le rôle grandissant des militaires, cette évolution s’est réellement concrétisée au début des années 1990 avec l’irruption de nouveaux acteurs aux postes importants. En particulier, l’arrivée à la tête de la NASA de l’industriel Daniel Goldin, s’est traduite par un discours en rupture avec l’image traditionnelle de l’Agence. Il s’agit désormais de faire apparaître « une vision commune qui puisse mettre d’accord la NASA, nos actionnaires et le peuple américain sur ce que doit être le rôle de l’Agence » [32]. Cette remise en question est plus profonde qu’il n’y paraît, ne serait-ce que par l’effort d’ouverture, « politiquement correct », qu’elle suppose désormais : « La NASA se préoccupe de l’avenir de l’Amérique et de ses citoyens. En partageant nos découvertes et notre enthousiasme à faire du Monde un endroit meilleur, les Américains peuvent être assurés que leur avenir est sans autre limite que leur propre initiative, indépendamment de leur race, de leur sexe ou de leur statut social. (…) Une nouvelle NASA est en train de naître, qui fera face et fournira inspiration, espoir et opportunités à toute l’humanité. [33] »

38Cet effort de persuasion, à destination autant interne qu’externe, conduit de plus en plus fréquemment à lier la réflexion sur la « culture » de l’Agence à la redéfinition de sa mission :

39

« La NASA des années 1990 ne se contente pas de regarder les étoiles. Nos horizons sont sur cette Terre, qui doivent nous montrer la façon de mettre nos idées et notre technologie au service de la croissance de ce pays. (…) La NASA s’engage à trouver les moyens d’appliquer les technologies spatiales aux défis que nous devons relever ici sur Terre. [34] »

40Cet appel au « retour sur Terre », au « réalisme », n’a pas été sans difficulté, suscitant des résistances multiples au sein des services. L’une des conséquences principales de cette confrontation, dont les effets sont encore incertains, a été l’apparition au plus haut niveau d’acteurs extérieurs à l’Agence, pour qui de nouveaux offices ont été créés. Dotés le plus souvent d’une expérience dans les programmes militaires de haute technologie (liés à l’IDS) et familiers avec l’utilisation les technologies dites « duales », civiles et militaires, ces nouveaux acteurs devaient montrer leur aptitude à « rentabiliser » l’effort spatial.

41Quoi qu’il en soit, les représentants de la communauté spatiale tirent aujourd’hui les conséquences de leur discours. La « normalisation » des activités spatiales a pour corollaire un retour à la logique du marché ou à la logique du client et du consommateur (on parle outre-Atlantique de « Customer Approach » ou de « User Driven Programs »).

42La nuance n’est pas sans importance dans la mesure où la démarche s’appuie aux États-Unis sur un marché militaire, donc public ou gouvernemental, et n’opère pas de véritable distinction entre marchés privés ou publics. Les grands projets spatiaux dits « gouvernementaux » restent à la base du programme américain, le poids du passé se faisant ici nettement sentir [35]. Néanmoins, la démarche « pragmatique » l’emporte désormais. Le rapprochement de la NASA avec d’autres institutions de recherche militaires notamment apparaît de plus en plus nettement à l’occasion de programmes expérimentaux, à l’heure où l’institution militaire revoit elle-même ses ambitions spatiales à la baisse. Un effort similaire a semblé s’amorcer en direction de l’industrie. L’annonce pendant les années 1990 d’un nouveau programme de lanceur (X-34) visait à faire de l’attrait industriel présenté par le programme la condition sine qua non de son développement ; sa prise en charge totale par l’industrie était alors prévue sous peine d’une annulation pure et simple. L’échec de cette démarche à la fin des années 1990, par suite du refus de l’industrie d’assumer les coûts et les risques d’une telle entreprise et l’interruption logique du programme, a bien montré les limites que revêt la construction avant tout symbolique d’un secteur d’activité entier.

43La vocation des activités spatiales à « redescendre sur Terre » semble donc désormais admise. Pourtant, l’exercice n’est ni sans ambiguïté ni sans danger pour les agences. Les domaines d’activité florissants échappent en effet graduellement à leur emprise. On le voit par exemple dans le cas de la télédiffusion, où l’importance des services au sol constitue l’essentiel de l’activité rémunératrice et provoque l’intervention de différents « opérateurs », acteurs privés aux intérêts très distincts de ceux de la communauté spatiale. Poussé jusqu’à son terme, ce processus de normalisation semble conduire à une inévitable dilution de l’activité spatiale en tant que secteur… condamnant à terme la communauté. Le constat est patent aux États-Unis où la survie de l’Agence sous sa forme actuelle est désormais régulièrement mise en question. La pression exercée est telle qu’elle contraint les dirigeants de la NASA à multiplier les plans de restructuration parfois drastiques.

La réhabilitation du concept d’exploration comme ultime ressource symbolique pour la communauté spatiale ?

44La perte de substance induite par un alignement trop étroit des activités spatiales sur les intérêts économiques, industriels ou militaires, n’a pas été sans alerter certains responsables ou porte-paroles de la communauté spatiale. Récemment, un expert français mettait ainsi en garde contre une trop grande propension à vouloir nécessairement « justifier » l’activité spatiale : « En voulant apporter un argument complémentaire au développement des programmes spatiaux, qui n’en ont pas besoin pour se justifier, compte tenu de leurs implications propres, l’argumentation en termes de retombées détourne l’analyse de leurs véritables justifications, technologique, industrielle et commerciale. Elle contribue in fine à les affaiblir en situant très mal le rôle du secteur spatial, qui est à la fois moins universel et plus fondamental. L’espace, du fait de ses contraintes extrêmement spécifiques, n’est pas générateur de beaucoup de transferts technologiques vers d’autres secteurs, et là n’est pas son rôle. Le flux des échanges technologiques se fait très majoritairement des autres secteurs vers l’espace et non l’inverse. Ceci confirme d’ailleurs l’a priori politique du caractère démonstratif et prestigieux des programmes spatiaux, comme étant la synthèse de ce qu’un pays peut faire de mieux [36]. »

45En dépit du succès rencontré par la doctrine « utilitariste », on constate aux États-Unis la résurgence d’un autre type de représentations, orientées vers la défense de l’exploration spatiale comme objectif en soi, donc vers la revendication d’un rôle spécifique pour les agences. Inspirée par l’élan géographique des siècles passés, investie d’une forte charge symbolique, l’exploration se présente comme l’ultime référence susceptible de motiver la poursuite de l’effort spatial, comme le seul thème véritablement unificateur, face à la « dénaturation » du modèle originel. En juillet 1989, l’office de la NASA chargé de l’exploration soulignait par exemple combien « l’impératif d’exploration fait partie intégrante de notre histoire, de nos traditions et de notre identité nationale » [37]. Les représentants de l’Agence affirmaient alors sans ambages : « étendre la présence et l’activité humaines au-delà de l’orbite terrestre, satisfaire les aspirations de l’humanité à l’exploration, à la découverte, à la compréhension, et appliquer ce que nous avons appris à l’amélioration de la vie sur Terre et dans l’espace (…) : telle est notre vision » [38].

46Dans ce contexte, vu depuis les États-Unis, le « salut » des politiques spatiales ne semble alors pas pouvoir faire l’économie d’une réhabilitation des programmes de vols habités, quitte à leur trouver de nouvelles justifications. De fait, tel qu’il est actuellement présenté, cet objectif s’inscrit opportunément dans des cadres de référence pratiquement indiscutés : il renouvelle le thème de l’homme face à son environnement, à l’heure où les conférences sur l’avenir de la planète et de l’humanité prennent rang de façon spectaculaire dans les projets politiques. Proposer l’exploration de mondes nouveaux trouve une légitimité nouvelle dès lors que « l’usure » de la planète, qu’il s’agisse de la couche d’ozone ou de la déforestation, devient une référence obligée de toute action publique. Mais la recherche du « leadership » doit aussi emprunter une voie nouvelle, celle de la coopération internationale à grande échelle : « Si les États-Unis souhaitent maintenir leur position de suprématie dans l’espace, ils doivent investir dans des missions de R&D spatiales diversifiées. (…) En ce sens, le leadership à la fois devient un but en lui-même et résulte d’une excellence à formuler des objectifs pour l’espace, et à les réaliser selon les plans établis. (…) En prenant la direction de futures entreprises internationales visant à élargir et à rendre plus fréquent le travail en commun dans le domaine civil et militaire, les États-Unis peuvent renforcer leur position dans les domaines de la politique étrangère, de l’économie et de la sécurité nationale, tout en faisant progresser leurs objectifs programmatiques dans l’espace. (…) Façonner un agenda international commun dans des domaines choisis civils et militaires (…) devient le moyen privilégié pour les États-Unis de peser sur les futures orientations spatiales à travers le Monde [39]. »

47La principale limite de ces discours tient néanmoins à leur décalage par rapport à l’état actuel du champ des politiques spatiales : s’il conserve un pouvoir mobilisateur et fédérateur interne, au sein même de la communauté professionnelle concernée, le thème de l’exploration semble avoir perdu beaucoup de sa crédibilité pour les autres catégories d’acteurs. L’attitude des autorités américaines reste particulièrement réservée. Le seul véritable projet d’envergure actuellement en cours d’exécution, celui de la station spatiale internationale, ne semble guère convaincre la majorité des scientifiques, qui contestent à la fois son objectif initial (préparer la vie dans l’espace) et son incapacité à remplir cet objectif dans sa forme actuelle. Cette situation conforte les demandes de réaffectations budgétaires sur d’autres programmes scientifiques, y compris de la part de certains parlementaires partisans du projet pour qui le seul registre symbolique ne peut suffire à transcender la réflexion sur l’utilité globale du vol habité.

48La coopération internationale est certes devenue le nouveau thème à la mode dans le domaine spatial aux États-Unis. Mais le fait que l’exploration puisse permettre de substituer « à l’ennemi commun un projet commun » [40] n’a manifestement pas aidé à sa promotion politique. Les atermoiements diplomatiques qui ont entouré les accords-cadres américano-russes de la première moitié des années 1990 [41] ont bien montré toute la distance qui sépare le jeu politique de la représentation que les professionnels se font de « l’utilité » politique des programmes spatiaux. Sous sa forme actuelle, le recours à la coopération internationale, perçu par la communauté comme un éventuel argument économique ou politique en faveur du programme habité, se révèle plutôt comme un facteur supplémentaire de déstabilisation du secteur spatial. Selon le chargé des affaires spatiales au département d’État américain qui s’exprimait en 1994, la coopération internationale ne pouvait concerner que des petits projets, et revêtait à ce titre un caractère relativement « exceptionnel » pour un programme de l’ampleur de la station spatiale. S’il fallait le refaire, ce programme de toute façon « ne serait pas répété aujourd’hui » [42]. Alors que « personne ne croit que la coopération [avec la Russie] fera économiser de l’argent », expliquait-on alors à la Maison Blanche [43], la coopération internationale faisait surtout figure de levier diplomatique dont l’usage modulé rythmait l’avancement du programme. Loin de rehausser le statut du secteur spatial, le fait de laisser le cours d’un programme aux bons soins d’une coopération internationale nécessairement aléatoire semble donc surtout souligner a posteriori son peu d’importance politique.

49En définitive, les représentants de la communauté spatiale se trouvent aujourd’hui face à une alternative : accepter une normalisation qui mènera à une dilution du secteur, ou continuer de revendiquer une « mission » irréductible à tout autre considération (quitte à opérer un « retour au point de départ » et donc à laisser prise aux remises en cause extérieures). Or leur récent repli sur une image « symbolique » et « techno-centriste » de l’espace, face aux coûts anticipés d’un véritable « aggiornamento » avec la société, pourrait montrer qu’ils ont épuisé leurs arguments et leurs ressources. Il n’apparaît pas en phase en tout cas avec les derniers discours du dernier administrateur nommé à la tête de l’Agence en 2001 qui, tout droit sorti de l’Office of Management and Budget de la Maison Blanche, vient de déclarer en présentant un budget 2003 bien prosaïque : « L’exploration de Mars, en elle-même et par elle-même [in and of itself], comme l’exploration des planètes lointaines, en elle-même et par elle-même, ne sont que des résultats. Ce que j’essaye de faire est d’altérer un peu le paradigme dominant : je ne dis pas “Non, nous ne sommes pas intéressés par l’exploration des planètes”. Bien sûr nous le sommes… Mais quel est l’objectif en lui-même et par lui-même ? Qu’avons-nous à l’esprit ? [44] »

Conclusion

50Ces dernières années ont fait apparaître toute l’illusion d’une lecture proprement sectorielle des difficultés traversées par les politiques spatiales. Elles ont notamment montré la distance entre les perceptions propres aux communautés spatiale et politique. Les remèdes envisagés par la première visaient essentiellement à affranchir l’activité spatiale de la tutelle encombrante et prosaïque des seconds. Ainsi, l’idée même de « crise » s’est-elle trouvée instituée comme un ultime moyen d’identification du « secteur » spatial, en en tenant d’emblée l’existence pour acquise. Ce n’est pas là le moindre des paradoxes d’un secteur condamné à s’autodétruire pour se survivre.

51Certaines interventions politiques reprennent aujourd’hui cette thématique générale. Elles se révèlent comme une facilité d’explication gouvernementale plutôt qu’elles traduisent le succès de la démarche. Au début des années 1990 aux États-Unis, la nécessité de sortir de la « crise » s’est trouvé certes invoquée par la présidence elle-même, mais dans le dessein de mettre « l’esprit NASA » au banc des accusés et afficher sans ambages la volonté du pouvoir politique de « reprendre le contrôle de l’administratif », en réactivant à la Maison Blanche un Conseil National de l’Espace, puis en nommant à la tête de l’Agence un industriel, critique avéré de « la bureaucratie » et décidé à la réformer. Cette schématisation a eu pour principal résultat de permettre aux élus de décliner toute responsabilité pour les difficultés passées ou présentes et de renforcer l’idée d’une nécessaire réforme administrative.

52Ces différentes tentatives de sauvetage ont porté en elles-mêmes les germes de leur échec. Le regain de légitimité des enjeux spatiaux semble aujourd’hui passer par l’éclatement du secteur et de la communauté qui les portent. Paradoxalement, seule une réappréciation par ces acteurs eux-mêmes du caractère subsidiaire et nécessairement éclaté de ces enjeux, tels qu’ils sont « déconstruits » au fil du débat public, semble pouvoir répondre à leurs appels de plus en plus pressants en faveur d’une sauvegarde du « secteur » spatial. Les difficultés actuelles, concernant par exemple la poursuite du programme de station spatiale, attestent d’un maintien du rôle de l’acteur politique dans le débat public sur un domaine hautement symbolique. En même temps, elles soulignent les contraintes d’adaptation (en particulier celle du renouvellement obligé du thème de « l’intérêt national ») que cette fonction même fait peser sur lui. La « crise » du secteur spatial aux États-Unis paraît donc s’assimiler moins à une réintégration du « sectoriel » au « global » par un État tout-puissant qu’à un décalage croissant des processus d’identification et de construction de sens par le discours avec un débat public dont l’acteur politique demeure lui-même tout à la fois producteur et prisonnier.

Notes

  • [1]
    D. Goldin, discours devant le National Space Club (Huntsville, Alabama, 8 décembre 1989) ; alors vice-Président de la firme aérospatiale TRW, D. Goldin allait être nommé directeur de la NASA trois ans plus tard.
  • [2]
    « Costs and New Priorities Imperil NASA Dreams », The Washington Post, 9 décembre 2001, p. A01.
  • [3]
    Voir « The Report of the Advisory Committee on the Future of the US Space Program » (USGPO, Washington D.C., décembre 1990), « The Future of the US Space Industrial Base, a Task Group Report » (Vice President’s Space Policy Advisory Board, novembre 1992) ou « A post Cold-War Assessment of US Space Policy, a Task Group Report » (Vice President’s Advisory Board, décembre 1992).
  • [4]
    Voir par exemple J. Logsdon (dir.), Exploring the Unknown, Selected Documents in the History of the US Civil Space Program, The NASA History Series, 1995 ; H. McCurdy, The Space Station Decision, Incremental Politics and technological Choices, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1990 ; ou R. Byerly (dir.), Space Policy Reconsidered, Boulder, Westview Press in Science Technology and Public policy, 1989.
  • [5]
    Comme l’a qualifiée Marie-France Toinet in L’Amérique triomphante, 1945-1960, Nancy, Presse Universitaires de Nancy, 1994.
  • [6]
    Theodore Lowi voyait par exemple dans ces dernières (parmi lesquelles l’agence spatiale américaine) les artisans de la chute du « modèle républicain » d’outre-Atlantique. Lowi, Théodore, La Deuxième république des États-Unis, La fin du libéralisme, Paris, PUF, coll. « Recherches politiques », 1987 (1969 pour l’édition américaine), puis en 1995, The End of the Republican Era, Norman, University of Oklahoma Press.
  • [7]
    Pour une approche synthétique des pistes de recherche récentes en politique publique, voir par exemple : Cresal, Les Raisons de l’action publique, entre expertise et débat, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques politiques », 1993 ; Le Galès, Patrick, Thatcher, Mark (dir.), Les Réseaux de politiques publiques, Débats autour des Policy Networks, Paris, L’Harmattan, 1995 ; Voir aussi Jobert Bruno, Muller Pierre, L’État en action, Politiques publiques et corporatismes, Paris, PUF, 1987 ; et Faure, Alain, Pollet, Pierre, Warin, Philippe (dir.), La Construction du sens dans les politiques publiques. Débats autour de la notion de référentiel, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques politiques », 1995. Pour un état récent de la recherche dans ce domaine, on peut enfin consulter le numéro spécial de la Revue Française de science politique consacré en avril 2000 aux « Approches cognitives de la politique publique » (vol. 50, n° 2) ainsi que l’article suivant : Bergeron, Henri, Surel, Yves Valluy, Jérôme, « L’Adocacy Coalition Framework, une contribution au renouvellement des études de politique publique », Politix, n° 41, 1er trim. 1998, Paris, L’Harmattan, p. 195-223. Voir notamment p. 202 et suivantes.
  • [8]
    Lettre de N. Rockefeller, conseiller présidentiel pour les « affaires psychologiques », au Secrétaire Exécutif du Conseil de Sécurité Nationale (CSN), 17 mai 1955 (archives nationales américaines). Cité in Pasco, Xavier, La Politique spatiale des États-Unis, 1958-1995 ; Intérêt national, technologie et débat public, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques politiques », 1997, 300 p. Sauf mention contraire, les sources originales employées dans cet article sont tirées de cet ouvrage.
  • [9]
    On a ainsi mobilisé les scientifiques ou ingénieurs de l’aéronautique, fédérés depuis 1915 par le modeste National Advisory Committee on Aeronautics.
  • [10]
    Cette période, bien documentée en archives, a fait l’objet de nombreuses études de synthèse, parmi lesquelles on peut citer R. Divine (The Sputnik Challenge, Eisenhower’s Response to the Soviet Satellite, Oxford, Oxford University Press, 1993) ou R. Bulkely (The Sputnik Crisis and Early United States Space Policy, Bloomington, Indiana University Press, 1991). Par ailleurs, la lecture des documents réunis par le Département d’État permet une première approche des principales discussions tenues au CSN sur ce thème : voir J. Glennon (dir.), (Foreign Relations of the United States, 1955-1957, National Security Policy, vol. XIX, Department of State, Washington D.C., USGPO, 1990 et Foreign Relations of the United States, 1955-1957, United Nations and General International Matters, vol. XI, Department of State, Washington D.C., USGPO, 1988).
  • [11]
    Pour les stratèges démocrates, le problème consistait à trouver « un moyen d’opposition efficace » contre les Républicains. Il ne s’agissait pas « d’en créer un comme un sculpteur crée une statue », mais d’identifier de nouveaux enjeux susceptibles d’être « reconnus et exploités ». Dans cette perspective, Spoutnik représentait un thème qui, « manié avec soin, pourrait mettre les Républicains hors jeu, unifier le parti démocrate et faire élire [Lyndon Johnson] président » (Note de G. Reedy à L. Johnson, 17 octobre 1958, citée par W.A. MacDougall, The Heavens and the Earth, A Political History of the Space Age, New York, Basic Books, 1985, p. 148-149).
  • [12]
    Mémorandum de R. McNamara et J. Webb à J. Kennedy, 8 mai 1961.
  • [13]
    Cité par J. Wiesner (in The Decision to go to the Moon, dir. par John Logsdon, MIT Press, 1970, p. 110-111).
  • [14]
    En vertu de règles de fonctionnement particulières imposées par les États-Unis, l’organisation américaine Comsat (créée en 1963 pour réunir les grandes entreprises du secteur des télécommunications, dont ATT) allait exercer un véritable contrôle sur lntelsat, en tant qu’actionnaire et utilisateur principal. Voir notamment l’article de Anne-Marie Malavialle dans ce numéro.
  • [15]
    L’effort entrepris allait multiplier par dix le budget spatial fédéral entre 1960 et 1966 (70 % des crédits de la NASA étant consacrés au seul vol habité en 1968). À son maximum d’activité, le programme spatial recevait environ 4,5 % du budget fédéral, comptant pour environ 0,8 % du PNB américain (en guise de comparaison, on peut noter que ces quinze dernières années ont vu l’effort spatial ramené à environ 1 % du budget fédéral, représentant 0,2 à 0,3 % du PNB).
  • [16]
    Sur les huit personnalités qui se sont succédé à la tête de l’Agence jusqu’aujourd’hui, on compte sept physiciens, dont six ont détenu d’importantes fonctions administratives à l’Université ou dans l’industrie aéronautique. L’exception notable fut J. Webb, qui dirigea la NASA de 1961 à 1968 et qui, après une carrière d’assistant parlementaire, avait été sous-Secrétaire d’État adjoint de D. Acheson, le ministre des Affaires Étrangères du président Truman. La présidence Bush Jr. a renoué avec cette tendance à séparer le poste de directeur de la NASA du monde scientifique et industriel en nommant en novembre 2001 Sean O’Keefe, haut fonctionnaire du budget à la tête de l’agence.
  • [17]
    Sur ce point voir X. Pasco, La Politique spatiale des États-Unis, 1958-1995, op. cit., p. 88-98 notamment.
  • [18]
    Il suffit de constater le suivisme budgétaire dont fait preuve le Parlement dans ce domaine pour percevoir toute la prégnance des représentations collectives de « l’intérêt national » et de la sécurité américaine au profit de la présidence (voir notamment X. Pasco, Prise de décision et politique étrangère : le cas de la politique spatiale américaine, thèse de science politique, Université Paris I, décembre 1994).
  • [19]
    Mémorandum adressé par J. Fletcher au niveau politique cité in X. Pasco, La Politique spatiale des États-Unis, 1958-1995, op. cit., p. 97.
  • [20]
    Déclaration citée par A. ROLAND, « Barnstorming in Space : The Rise and Fall of the Romantic Era of Space Flight, 1957-1986 », in R. BYERLY (dir.), Space Policy Reconsidered, Boulder, San Francisco, Westview Press, Special Studies in Science, Technology and Public Policy, 1989, p. 41. Notons au passage la similitude avec le vocabulaire politique de l’époque : au même moment, le vice-Président S. Agnew, qui dirigeait le groupe présidentiel sur l’espace, affirmait à propos des émeutes estudiantines qu’il ne baisserait pas la voix tant que « le retour à la santé morale et à l’ordre civil se ferait attendre ».
  • [21]
    Déclaration de L. Johnson à J. Webb, citée par E. Emme (« Presidents and Space », in F. Durant (dir.), Between Sputnik and the Shuttle, New Perspectives on American Astronautics, AAS History Series, vol.3, San Diego, 1981, p. 90).
  • [22]
    Lettre de T. Paine à A. Butterfield, conseiller auprès de R. Nixon (22 novembre 1971).
  • [23]
    La série d’auditions législatives organisée en décembre 1970 par la Chambre des représentants montre bien l’importance qu’avait acquise le programme spatial habité pour les industriels. À l’unisson avec les responsables de la NASA, les dirigeants des principales firmes du secteur aérospatial présentaient le maintien de l’emploi comme l’argument principal jouant en faveur de la poursuite de l’effort ; il s’agissait aussi pour eux de ne pas être laissés avec « de l’outillage et un équipement très spécifiques démantelés et stockés […] et des installations appartenant au gouvernement, […] généralement très difficiles à vendre ou à reclasser » (« The National Space Program — Present and Future », Chambre des représentants, 10 décembre 1970, p. 61).
  • [24]
    Il faut rappeler que les deux domaines émargent au même chapitre budgétaire (Housing, Urban Development and Independant Agencies), d’où une rivalité constante entre les partisans d’un accroissement du budget spatial et les défenseurs des programmes sociaux ou les anciens combattants.
  • [25]
    La fin des années 1960 avait vu émerger un « nouveau consensus » au sujet de l’infériorité militaire supposée des États-Unis face à l’Union soviétique, se traduisant sous la présidence Carter par une relance spectaculaire des programmes de défense.
  • [26]
    En 1982, le budget de l’espace militaire allait dépasser pour la première fois celui de la NASA. La même année, un « commandement spatial » allait être créé pour l’Armée de l’Air.
  • [27]
    Selon les termes du représentant démocrate G. Brown, qui était alors à la tête de la commission de la Chambre sur l’espace et la technologie (« Pentagone Usurps Civilian Space Program », Bulletin of the Atomic Scientists, novembre 1987, p. 30).
  • [28]
    Le thème de la commercialisation se trouvait alors investi d’un important rôle symbolique. En 1984 était pris le Landsat Act, qui confiait à une société privée la gestion et la commercialisation des images satellites. De la même façon, en marge de la mobilisation autour de l’idée de « nouvelle frontière », le discours sur la station insistait sur l’intérêt commercial par la fabrication de médicaments en orbite. Message au contenu largement idéologique, l’annonce du programme, qui reprenait pour la circonstance un argument largement développé par la NASA, ne fit pas même intervenir le Senior Interagency Group on Space, l’instance officiellement chargée des questions spatiales à la présidence.
  • [29]
    Washington Post, 9 décembre 2001.
  • [30]
    Auditions sénatoriales, 24 juillet 1980.
  • [31]
    « The Report of the Advisory Committee on the Future of the US Space Program », op. cit., p. 15-16.
  • [32]
    Mémorandum interne adressé par D. Goldin « à tous les membres » de la NASA, 5 juin 1992.
  • [33]
    Idem.
  • [34]
    NASA News Release, 95-134, 9 août 1995.
  • [35]
    Si les grands projets envisagés à la fin des années 1980 sont apparus comme autant « d’erreurs stratégiques » pour les responsables de l’Agence gagnés à la cause du « smaller, cheaper, faster », cette réorientation ne s’est toutefois pas traduite par l’abandon des programmes les plus coûteux, comme la navette spatiale. Fondé sur des considérations pratiques dont le gouvernement a finalement pris acte en 1994, le maintien de l’Agence comme opérateur du programme a mis en évidence les difficultés d’une conversion qui reste très laborieuse. Les désaccords qui subsistent entre la NASA et le DOD (Département de la Défense) témoignent de cette résistance institutionnelle malgré une claire répartition des rôles qui donne aux militaires la responsabilité de la politique américaine dans le domaine du lancement (Entretien avec le directeur de l’exploration, NASA, printemps 1991).
  • [36]
    M. Giget, contribution au Rapport du Sénateur Paul Loridant sur La Politique spatiale française et européenne, 1993.
  • [37]
    « Report of the 1990 day-Study on Human Exploration of the Moon and Mars », NASA, 1989.
  • [38]
    « Beyond Earth’s Boundaries, Human Exploration of the Solar System in the 21st Century » (Annual Report to the Administrator, The office of Exploration, NASA, 1988).
  • [39]
    « A Post Cold War Assessment of US Space Policy, a Task Group Report », op. cit., p. 14-15, 36 et 42.
  • [40]
    Selon l’expression employée lors d’un colloque international par un responsable de la NASA en juin 1990.
  • [41]
    Accords des 15-16 juin 1992 et du 2 septembre 1993 portant respectivement sur l’élaboration d’un plan de coopération dans le domaine du vol habité et sur la construction d’une station spatiale russo-américaine élargie aux partenaires internationaux. Par ailleurs, des négociations sur l’ouverture du marché international aux fusées russes ont été finalisées en mai 1993 sous réserves de l’acceptation par la Russie du « régime de contrôle des technologies des missiles » (MTCR) ; après un bras de fer diplomatique de quelques mois, les discussions ont abouti à un accord signé le 2 septembre suivant. Témoignant de l’intégration des affaires spatiales à la politique générale américaine, le rôle du Conseil Économique National (NEC), qui regroupe les stratèges économiques de la Maison Blanche, est apparu primordial lors des discussions. Voir Chroniques des activités spatiales, juin 1992-1993, vol. IV, Centre d’études et de recherches sur le droit de l’espace, Institut de droit comparé, Université Paris II, p. 9-10.
  • [42]
    Entretien au Département d’État, novembre 1994.
  • [43]
    Entretien avec le responsable des affaires spatiales au bureau présidentiel chargé de la politique scientifique et technologique (Office of Science and Technology Policy), novembre 1994.
  • [44]
    « NASA Chief Talks Tough », Florida Today, 8 janvier 2002. (www.floridatoday.com).
Français

Depuis quelques années, les programmes spatiaux traversent une période d’incertitudes qui se traduit par une remise en question des croyances et des modes de fonctionnement propres à cette activité. L’intérêt des grands programmes, le rôle des agences ou les rapports entre pouvoirs publics et industries se trouvent progressivement touchés par la nécessité de redéfinir les grands axes de l’effort spatial et de construire un discours adapté. Ce fait est particulièrement net aux États-Unis où l’effort d’adaptation à entreprendre est à la mesure de l’importance des investissements passés, politiques et budgétaires. L’analyse du discours que la communauté spatiale tient sur elle-même outre-Atlantique montre l’amplification de cette perception en décrivant une situation actuelle jugée comme « anormale », bien éloignée de la situation « normale » des années soixante. Cet article se propose de montrer que le discours et les stratégies de la communauté concernée expriment aussi ses difficultés propres à trouver une place et une identité dans la nouvelle « politique spatiale » qu’elle appelle pourtant de ses vœux.

Mots-clés

  • espace
  • États-Unis
  • politique publique
  • débat public
  • institutions
  • organisations
  • administration
Xavier Pasco
Xavier Pasco, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), Paris.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/14455
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