CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Depuis le samedi 12 décembre 2015, le « régime climatique mondial » s’est enrichi d’un nouveau texte : l’Accord de Paris [1]. Celui-ci vient compléter la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC – 1992) et le Protocole de Kyoto (1997). Adopté à l’unanimité par les représentants des 195 pays réunis dans le cadre de la COP21, cet accord a été qualifié par certains observateurs de « premier accord universel de lutte contre le réchauffement climatique [2] ». Le samedi matin, quelques heures avant l’adoption en séance plénière, Laurent Fabius avait déclaré qu’il s’agissait d’un « projet d’accord différencié, juste, durable, dynamique, équilibré et juridiquement contraignant ». Le savoir-faire du ministre des Affaires étrangères et Président de la COP21 a été unanimement salué tant il vrai que depuis la COP15 de Copenhague en 2009, les négociations climatiques semblaient destinées à ne jamais devoir donner un véritable prolongement au Protocole de Kyoto.

Annexe I, Annexe B

Dans le cadre de la CCNUCC et du Protocole de Kyoto, les pays sont classés dans des « Annexes » : pays de l’Annexe I, de l’Annexe B ou encore pays « non-Annexe I ».
L’Annexe I est relative à la Convention et regroupe les pays industrialisés membres de l’OCDE en 1992 ainsi que les pays en transition dont la Fédération de Russie, les États baltes et un certain nombre de pays d’Europe centrale et orientale. Les États-Unis sont dans l’Annexe I. Les pays non-Annexe I sont des pays en développement. La Chine est un pays « non-Annexe I ».
L’Annexe B, quant à elle, est relative au Protocole. Elle regroupe les pays de l’Annexe I qui sont tenus à des engagements chiffrés de limitation ou de réduction des émissions de GES. Elle énonce les engagements chiffrés de réduction d’émission pour chaque pays.
Dans la pratique, on utilise parfois indifféremment Annexe I et Annexe B.

2C’est en fait un chapitre de huit ans, ouvert à Bali en 2007, qui vient de se clore. Afin de bien comprendre les enjeux de la Conférence de Paris, un bref retour en arrière s’impose. Le Protocole de Kyoto était prévu pour venir à terme en 2012 [3] et être remplacé, à cette date, par un nouvel accord international. L’une des particularités du Protocole de Kyoto était d’exiger d’un certain nombre de pays l’ayant ratifié (une quarantaine de pays industrialisés regroupés dans son Annexe B) de réduire d’un peu plus de 5 % leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) pour 2012 par rapport à leur niveau de 1990. C’est la raison pour laquelle a été adopté, lors de la COP13 de Bali en 2007, un « plan d’action » – également nommé « feuille de route de Bali » – qui fixait comme objectif aux participants de parvenir « d’un commun accord » lors de la COP15 (qui allait se tenir deux ans plus tard, en 2009, à Copenhague) à un « résultat et d’adopter une décision » articulant une « vision commune », un volet « atténuation » et un volet « adaptation » :

  • la vision commune était celle d’une « action concertée à long terme » visant à une réduction des émissions et reposant sur les principes de « responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives » ;
  • le volet « atténuation » devait consister en une « action renforcée au niveau national/international » y compris en envisageant, pour les pays développés, des mesures d’atténuation comme par exemple des engagements chiffrés de réduction des émissions de GES et, pour les pays en développement, « des mesures d’atténuation appropriées » ;
  • enfin, le volet « adaptation » prévoyait notamment une coopération internationale, des transferts de technologie ou encore l’apport de ressources financières à cette fin en direction des pays du Sud...

3Il n’est pas exagéré de dire que la COP15 de Copenhague n’a pas été à la hauteur de ses ambitions ! D’où huit années de tergiversations, d’avancées, de reculs… pour parvenir à l’Accord de Paris. Si les louanges qui ont été adressées aux diplomates français qui ont piloté ces négociations – et sont parvenus à construire ce que certains appellent un « chef d’œuvre diplomatique » – ne sont donc pas usurpées, il n’en demeure pas moins, qu’une fois l’enthousiasme passé et l’émotion retombée, le temps est venu de s’interroger sur le contenu de cet accord et sur les perspectives qu’il ouvre.

4Selon de nombreux experts, il s’agirait, d’une part, d’un accord qui poursuivrait un objectif ambitieux (une élévation des températures inférieure à 2 degrés Celsius) et, d’autre part, d’un accord universel et contraignant.

Un objectif ambitieux : rester en dessous de 2 degrés Celsius d’élévation des températures

5C’est le point de l’Accord qui a soulevé le plus d’enthousiasme. Pourtant, à la fin de la première semaine, rien n’avait été encore définitivement arrêté. Le projet du 5 décembre contenait encore deux formulations possibles : « en dessous de 1,5 degré » et « bien en-dessous de 2 degrés Celsius ».

6La rédaction finale est claire. L’article 2 indique que l’Accord vise à lutter contre les changements climatiques en « contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques » (Art. 2, al. 1, a.).

7Il est intéressant de s’interroger sur l’origine de ce chiffre de 2 degrés Celsius. En effet, nombre d’observateurs le présentent implicitement comme l’adoption par les dirigeants politiques d’une valeur maximale qui aurait été validée scientifiquement. La réalité est pourtant bien différente.

8La première apparition de ce chiffre a lieu en 1972 dans un ouvrage de Barbara Ward et René Jules Dubos intitulé Nous n’avons qu’une terre[4] rédigé en vue de la Conférence de Stockholm [5]. Dans un chapitre intitulé « Le partage de la biosphère » les auteurs expliquent qu’il « pourrait suffire d’un très petit pourcentage de changement dans l’équilibre énergétique de la planète pour modifier les températures moyennes de deux degrés centigrades. Si cette différence s’exerce vers le bas, c’est le retour à une période glaciaire ; au cas contraire, à une terre dépourvue de toute glace. Dans les deux cas, l’effet serait catastrophique. » La notion de « sensibilité climatique » – entendue comme réaction du système climatique à une émission de dioxyde de carbone d’origine humaine – venait de faire son entrée en scène médiatique. Les premiers travaux de modélisation climatique qui venaient alors d’être publiés concluaient au fait que le doublement de la concentration préindustrielle de gaz carbonique était susceptible de conduire à une augmentation des températures comprise entre 1,4 et 2,2 degrés Celsius.

9Ces recherches semblent anticiper avec plus de deux décennies d’avance le deuxième rapport du GIEC qui, publié en 1995, indiquait que l’on pourrait assister « à une augmentation de la température moyenne globale […] d’environ 2 degrés Celsius entre 1990 et 2100 [6] ».

10L’année suivante, le conseil de l’Union européenne qui se tient à Bruxelles du 25 au 26 juin 1996 va, dans une décision appelée à faire date, considérer que ces 2 degrés constituent le « seuil de réchauffement à éviter ».

11Neuf ans plus tard, le Royaume-Uni assure à la fois la présidence de l’Union européenne et celle du G8 et le Premier ministre de l’époque, Tony Blair, veut faire avancer d’un même mouvement les dossiers de la lutte contre la pauvreté en Afrique et de celle contre le réchauffement climatique, notamment lors du sommet du G8 de Gleneagles du 6 au 8 juillet 2005. En février 2005, se tient à Exeter, à l’initiative du gouvernement britannique, une conférence scientifique intitulée « Avoiding dangerous climate change ». L’une des principales conclusions de cette conférence est qu’un réchauffement des températures inférieur à 2 degrés Celsius par rapport à leurs niveaux préindustriels permettrait d’éviter les conséquences les plus dangereuses. En effet, il semble alors qu’en dessous de 2 degrés Celsius il y ait des gagnants et des perdants mais qu’au-dessus tout le monde y perde [7]. Par ailleurs, l’implication de Tony Blair dans la lutte contre le réchauffement climatique – l’un des rares points de divergence avec son ami George Bush Jr – tient peut-être en partie au fait que Londres est située à cinquante kilomètres de l’estuaire de la Tamise et est de ce fait très proche du niveau de la mer. Victime d’une inondation catastrophique en 1953, la capitale britannique est depuis mai 1984 protégée par la Thames Barrier (Barrière de la Tamise) qui malgré ses vingt mètres de haut pourrait se révéler insuffisante en cas d’élévation du niveau des eaux de la Manche et de multiplication des tempêtes [8].

12Ce « chiffre magique » contribuera au volontarisme du Sommet de Gleneagles qui s’incarne dans son communiqué final. Il y est affirmé que « même si des incertitudes demeurent dans notre connaissance de la science climatique, nous en savons suffisamment pour agir maintenant et nous placer sur un sentier de ralentissement […], d’arrêt puis de diminution de la croissance des gaz à effet de serre ». Pour cela, il faudra, poursuit le texte, « transformer la façon dont nous utilisons l’énergie », « mettre en œuvre un avenir plus propre », « promouvoir la recherche et le développement » ou encore « financer la transition vers une énergie plus propre »…

13L’idée d’un plafond de 2 degrés Celsius à ne pas dépasser sera repris dans l’Accord de Copenhague (COP15 du 7 au 18 décembre 2009) qui indique dans son article 1er que « nous entendons, compte tenu de l’opinion scientifique selon laquelle la hausse de la température mondiale devrait être limitée à 2 degrés Celsius, renforcer notre action concertée à long terme visant à combattre les changements climatiques ». Mais cet « accord » – en fait un texte de trois pages comportant 12 articles – n’a pas été adopté à l’unanimité (quatre parties s’y étant opposées), si bien que la COP ne fera qu’en « prendre acte ».

14Ce n’est que l’année suivante, lors de la COP16 de Cancún (du 29 novembre au 11 décembre 2010), que le fameux chiffre sera adopté. L’article 4 de l’Accord de Cancun indique en effet que la Conférence des parties « reconnaît qu’une forte diminution des émissions mondiales de gaz à effet de serre s’avère indispensable […] de façon à contenir l’élévation de la température moyenne de la planète en dessous de 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels ». Un peu plus loin, dans le même article, la COP « reconnaît aussi la nécessité d’envisager, lors du premier examen […], de renforcer l’objectif global à long terme en fonction des connaissances scientifiques les plus sûres, notamment au sujet d’une hausse de la température moyenne de 1,5 degré Celsius au niveau mondial. »

15En 2011, la Décision 1 de la COP17 de Durban indiquera dans son préambule que la COP note « avec une vive préoccupation » que les trajectoires nationales d’émissions de GES sont loin d’assurer « une perspective raisonnable de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète en dessous de 2 degrés Celsius ou 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux préindustriels. »

16L’article 2 de l’Accord de Paris que nous citions plus haut se situe donc, comme on le voit, dans le droit-fil d’un processus ouvert en… 1972 ! Et le chiffre de 2 degrés est bien, comme le résument Stephan Aykut et Amy Dahan dans leur remarquable ouvrage Gouverner le climat ?, « issu d’une véritable coproduction scientifico-politique » [9].

Un accord universel et contraignant

17On a également beaucoup insisté sur le fait que l’Accord de Paris était « universel » en soulignant notamment qu’il avait été adopté à l’unanimité des pays présents lors de la COP21. Si cela est parfaitement exact, il convient néanmoins de s’interroger sur la nature précise de cette « universalité » qui n’est pas, comme on va le voir, sans rapport avec le type de « contrainte » que les pays ont accepté de se voir appliquer. Il est en effet impossible, pour qui veut comprendre l’Accord de Paris, de séparer son « universalité » de son (soi-disant) caractère « contraignant ». Comme pour la compréhension de la nature de l’objectif de 2 degrés Celsius, un retour en arrière s’impose.

Les précédentes rencontres sur le climat et leur impact sur la COP21

18La CCNUCC que nous évoquions au début de cet article – qui fut ouverte à la signature lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992 et entra en application en 1994 – se fixait comme « objectif ultime » de « stabiliser […] les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique » (art. 2). Les parties à la Convention, « tenant compte de leurs responsabilités communes mais différenciées » s’engageaient – en particulier les pays classés dans l’Annexe I (voir Encadré) – à mettre en œuvre un certain nombre de mesures (en fait non contraignantes). Le Protocole de Kyoto, quant à lui, adopté en 1997 et entré en vigueur en 2005, fixait un objectif plus contraignant : parvenir à ce que les émissions de GES d’une liste de pays (regroupés dans l’Annexe B) diminuent d’au moins 5 % d’ici 2012 par rapport à leur niveau de 1990.

19On connait la suite. En mars 2001, le Président Bush Jr. annonçait le retrait des États-Unis du Protocole notamment au motif qu’il exemptait la Chine (qui ne figure pas dans l’Annexe B) de toute obligation de réduction. Toutefois, grâce à l’obstination européenne, le Protocole allait entrer en application en 2005 suite à la ratification russe (qui permettait d’atteindre les deux conditions posées à son entrée en vigueur : qu’il soit ratifié par 55 pays représentant 55 % des émissions de CO2 en 1990).

20Le Protocole de Kyoto était donc un compromis aussi bien en termes d’objectifs de réduction d’émissions de GES (-5 %) que de pays concernés par les obligations de diminution de leurs rejets (Annexe B). Et c’est ainsi qu’à partir de 2005, le Protocole de Kyoto a été le seul instrument juridiquement contraignant à l’échelle internationale en matière de lutte contre les changements climatiques. Mais les deux premiers pollueurs de la planète échappent aux obligations qu’il impose : les États-Unis parce qu’ils ont refusé de le ratifier (puisqu’ils figurent dans l’Annexe 1), et la Chine qui, n’étant pas un pays Annexe I, l’a bien évidemment ratifié ce qui lui permet de bénéficier de certains avantages regroupés sous le vocable de Mécanisme de développement propre [10].

21Tout l’enjeu des négociations qui se sont déroulées depuis le Sommet de Bali ont donc consisté à essayer de passer d’un accord (le Protocole de Kyoto) qui pèse sur les pays ayant créé le problème (les pays industrialisés du Nord) à un accord qui contraindrait également les pays qui vont l’aggraver (notamment les grands pays « émergents », « émergés », « en transition »… dont la Chine est un parfait exemple [11]). Une telle exigence est d’ailleurs tout à fait conforme à la lettre et à l’esprit de la CCNUCC qui proclame dans son article 4 que les pays parties à la Convention doivent prendre des mesures en « tenant compte de leurs responsabilités communes mais différenciées » (art. 4). Inutile de dire que cette formule a fait l’objet d’une vaste exégèse… D’où le double problème de l’« universalité » et du caractère « contraignant » que nous pointions plus haut.

22Si en 2009 la Conférence de Copenhague aboutit à un « accord » non contraignant, le champ qu’il couvre est néanmoins plus large que celui du Protocole de Kyoto. De fait, en incluant les émissions américaines ainsi que celles des pays émergents, ce n’est plus 25 % mais 75 % des émissions mondiales de GES qui sont concernées [12].

23Deux ans plus tard, en 2011, la COP17 de Durban donne lieu à l’adoption d’un accord aux termes duquel tous les grands pays émetteurs de GES – Chine et États-Unis inclus ! – acceptent de s’inscrire dans un projet global de réduction des émissions qui devra entrer en application en 2020. En effet, la Décision 1 de la COP17 consiste à créer un groupe de travail spécial pour une action renforcée. L’article 4 de cette Décision précise que ledit groupe « mènera à bien ses travaux dans les meilleurs délais mais au plus tard en 2015, afin que la Conférence des Parties adopte […] [un] protocole, instrument juridique ou texte convenu ayant valeur juridique à sa vingt et unième session et qu’il entre en vigueur et soit appliqué en 2020 ».

24En 2014, la COP20 de Lima constitue la dernière étape avant Paris. L’accord final rappelle que la COP21 est censée aboutir à l’adoption « d’un protocole, d’un autre instrument légal ou d’un résultat convenu ayant force légale dans le cadre de la Convention applicable à l’ensemble des parties » (art. 1). Il est naturellement précisé que cet « accord ambitieux » doit « refléter le principe de responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives à la lumière de circonstances nationales différentes » (art. 2). Pour ce faire, les Parties devront communiquer au cours du premier trimestre 2015 leurs engagements de réduction de GES (art. 13). Ces engagements seront déterminés par les pays eux-mêmes et devront aller au-delà des actions déjà entreprises… (art. 9). Tout cela ne sera à l’évidence pas trop contraignant puisque l’article 14 indique que les documents d’engagement fournis par les pays peuvent inclure, « afin de faciliter la clarté, la transparence et la compréhension », des « informations quantifiables sur le point de référence (année de référence), les cadres temporels et/ou les périodes de mise en œuvre, […] les hypothèses et approches méthodologiques y compris celles destinées à estimer et à mesurer les émissions de gaz anthropique ». À la lecture de ces différentes clauses, une conclusion s’impose : il aurait fallu faire preuve d’une remarquable mauvaise volonté pour ne pas réussir à se mettre d’accord sur un texte qui permet à chacun de fixer ses propres réductions d’émissions sans avoir forcément à fournir de base de calcul (et donc de vérification) à ces dernières.

L’Accord de Paris

25Un an – et de nombreuses rencontre diplomatiques – plus tard s’ouvre la COP21 de Paris. Elle débouche, comme on l’a dit, sur un accord réputé universel et contraignant. Quelle est la nature de cette universalité et celle de la contrainte qui pèse(rait) sur les signataires ?

26L’universalité repose sur le fait que l’Accord de Paris a été adopté à l’unanimité mais également sur le fait que 186 pays (représentant 87 % des émissions mondiales de GES) ont annoncé leur contribution à la lutte contre le changement climatique.

27Ce dernier point résulte de l’adoption d’une méthode dite bottom up qui consiste à partir des engagements de différents pays (les INDC : Intended Nationaly Determined Contributions), donc à laisser chaque pays décider de l’effort dont il est capable ou qu’il veut bien consentir. La lecture des contributions nationales est à cet égard extrêmement révélatrice.

28Il y a tout d’abord les pays (ou des groupes de pays) qui s’engagent à des réductions de leurs volumes d’émissions de GES. C’est par exemple le cas de l’Union européenne qui s’engage à réduire ses émissions de GES de 40 % d’ici 2030 par rapport à leurs niveaux de 1990. Nous avons listé quelques-unes de ces promesses dans le Tableau 1 suivant.

Tableau 1

Contributions nationales de certains pays industrialisés*,**

Tableau 1
Pays Pourcentage de reduction Annee de reference Date Butoir Emissions brutes* de CO2 en 2012 (emissions par tete**) Australie 26 a 28 % 2005 2030 386 (16,7) Canada 30 % 2005 2030 533 (15,3) Etats-Unis 26 a 28 % 2005 2025 5 074 (16,1) Japon 26 % 2013 2030 1 223 (9,6) Russie 25 a 30 % 1990 2030 1 659 (11,5) Union europeenne 40 % 1990 2030 3 504 (6,9) Bresil 37 % 2005 2025 440 (2,2)

Contributions nationales de certains pays industrialisés*,**

* émissions brutes en millions de tonnes de CO2.
** émissions par tête en tonnes de CO2.
Sources : Site du ministère des Affaires étrangères (#COP21 – La carte des contributions nationales) et AIE, CO2 Emissions From Fuel Combustion, Highlights. 2014 Edition. (Texte disponible sur le site internet de l’AIE).

29Comme on le constate, les pourcentages de réduction ou les années de référence peuvent varier mais tous ces pays s’engagent à réduire leurs rejets de GES.

30En revanche, on trouve une (longue) liste d’autres pays qui se sont engagés uniquement sur des objectifs dits « d’intensité » (émissions de CO2 par unité de PIB…). C’est le cas de la Chine et de l’Inde (voir Tableau 2)

Tableau 2

Contributions nationales de la Chine et de l’Inde*,**

Tableau 2
Pays Reduction Emissions brutes* de CO2 en 2012 (emissions par tete**) Chine La Chine prevoit un pic d’emissions de CO2 au plus tard en 2030 et une reduction de -60 a -65 % en intensite carbone (CO2 par unite de PIB) d’ici 2030 par rapport a 2005. 8 250 (6,08) Inde Reduction conditionnelle d’intensite d’emissions (GES par unite de PIB) de 33 a 35 % d’ici 2030 par rapport a 2005. 1 954 (1,5)

Contributions nationales de la Chine et de l’Inde*,**

* émissions brutes en millions de tonnes de CO2.
** émissions par tête en tonnes de CO2
Sources : Site de ministère des Affaires étrangères, op. cit.et AIE, op. cit.

31On notera que les États-Unis et la Chine, qui sont les deux premiers émetteurs de CO2 au monde, ne sont pas allés au-delà des engagements pris lors du Sommet de l’APEC en novembre 2014.

32Et puis il y a les pays qui n’ont, en fait, rien promis du tout ! C’est le cas par exemple du Qatar, de Bahreïn, des Émirats arabes unis ou de l’Arabie saoudite qui figurent pourtant parmi les premiers émetteurs mondiaux de CO2 par tête. Qu’on en juge : alors que les émissions de CO2 par tête dues à la combustion d’énergies fossiles sont de 7 tonnes dans l’Union européennes à 28 et de 16 tonnes aux États-Unis, elles s’élèvent à 37 tonnes au Qatar, à 22 tonnes à Bahreïn, à 19 tonnes dans les Émirats arabes unis et à 16 tonnes en Arabie saoudite [13].

33Un passage du préambule de l’INDC de l’Arabie saoudite mérite d’être cité in extenso : « Le Royaume s’engagera dans des actions et des plans visant à une diversification de l’économie ayant des co-bénéfices en termes d’évitement d’émissions de GES et d’adaptation aux impacts du changement climatique […]. Cela aidera le Royaume à réaliser ses objectifs de développement durable. Dans cet esprit, le Royaume d’Arabie saoudite désire contribuer activement aux négociations dans le cadre de la CCNUCC de façon à maximiser les bénéfices à long terme pour l’Arabie saoudite et minimiser les effets secondaires négatifs potentiels ».

34Quant à la contribution du Qatar, la lecture de sa première phrase mérite le détour. En effet, elle nous apprend que « le Qatar est un pays […] en développement situé dans le Golfe arabique ». Beaucoup de vrais pays en développement – comme le Sénégal ou le Togo, qui se sont pourtant engagés à réduire leurs émissions – aimeraient avoir un PIB par tête de 93 714 dollars (contre 53 042 aux États-Unis ou 42 560 en France). Le PIB par tête du Qatar est en effet le cinquième au monde en dollars courants et le deuxième en parité de pouvoir d’achat [14]. Une fois posées ces « circonstances nationales », la contribution se contente d’évoquer des « diversification économiques » et des « actions d’adaptation » susceptibles d’avoir des « effets secondaires en termes de réduction d’émissions ».

35À la lecture de ce type de contributions, il n’est pas étonnant que la somme des engagements formulés lors de la COP21 place le climat terrestre sur une trajectoire de réchauffement de 2,7 à 3 degrés Celsius. On comprend ainsi beaucoup mieux la nature de l’« universalité » de cet accord. Mais, en quoi est-il contraignant ?

36Selon les négociateurs il l’est car, pour citer un document mis en ligne sur le site du ministère des Affaires étrangères : « l’accord contient des règles juridiquement contraignantes. De manière pratique, chaque terme shall recouvre une obligation [15] ». On ne peut qu’espérer que les choses seront aussi limpides pour tout le monde. Un incident prouve le caractère extrêmement sensible de ces questions de vocabulaire. En effet, le dernier samedi de la COP, les négociateurs américains se sont aperçus que dans le quatrième alinéa de l’article 4, should avait été remplacé par shall. Cela donnait : « Developed country Parties shall continue taking the lead by undertaking economy-wide absolute emission reduction targets ». Or, le terme shall (doivent) a été jugé trop contraignant et les Américains ont demandé qu’il soit remplacé par should (devraient), ce qui a été fait. Le maintien de shall aurait obligé l’Administration Obama à faire passer le texte devant le Sénat, ce qu’elle ne voulait à aucun prix. Comme l’a clairement dit John Kerry : « Soit le terme était changé, soit le Président et les États-Unis ne pourront pas être en mesure de soutenir ce texte ». Dans la version française, on a adopté l’indicatif, ce qui évite ce genre de difficultés : « Les pays développés parties continuent de montrer la voie en assumant des objectifs de réduction des émissions en chiffres absolus à l’échelle de l’économie ».

37L’autre « obligation » est ce que l’on a parfois appelé la « clause de revoyure ». En effet, l’article 14 de l’Accord prévoit que les Parties feront un « premier bilan mondial en 2023 et tous les cinq ans par la suite sauf si […] [la COP] adopte une décision contraire. » Chaque pays sera ainsi invité à faire de nouvelles propositions de contribution qui ne pourront pas être moins ambitieuses que les précédentes. Néanmoins, l’article 28 prévoit qu’« à l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date d’entrée en vigueur du présent Accord à l’égard d’une Partie, cette Partie peut, à tout moment, le dénoncer par notification écrite adressée au Dépositaire ».

38On comprend mieux, à la lecture de certains articles, pourquoi l’Accord de Paris ne peut être dit universel et juridiquement contraignant. Il repose sur des engagements volontaires et n’importe quel pays peut faire défection au bout de trois ans.

39Est-ce à dire que l’Accord de Paris sera inopérant ? Qu’il ne s’agit finalement que d’un ensemble de solutions lexicales à un problème auquel aucune réponse sérieuse n’a été apportée ? Si une telle hypothèse ne saurait être écartée, elle ne doit cependant pas être tenue pour une certitude. Même s’il est bien en retrait par rapport à ce qui serait nécessaire d’un point de vue scientifique, un tel accord constituera néanmoins un levier que pourront utiliser les forces sociales des pays démocratiques pour demander le respect des engagements pris, et réclamer d’aller plus loin. Quant à certains pays non démocratiques tels que la Chine, leur niveau de pollution de l’air est tellement élevé qu’ils ont tout intérêt à réduire leurs émissions de GES. C’est la raison pour laquelle, quelles que soient les insuffisances du texte, son adoption est une bonne nouvelle pour la planète entière.

Notes

  • [1]
    Sous réserve, naturellement de son entrée en vigueur qui est conditionnée à sa ratification par 55 pays représentant 55 % des émissions. L’accord sera ouvert à la signature des pays le 22 avril 2016 à New York.
  • [2]
    S. Foucart, S. Roger, « Climat : un accord historique mais fondé sur un droit mou », Le Monde, 15 décembre 2015.
  • [3]
    Faute d’avancée décisive dans les négociations, il a en fait été prolongé jusqu’en 2020 lors de la COP18 de Doha (2012).
  • [4]
    B. Ward, R. J. Dubos, Nous n’avons qu’une terre, Paris, édition Denoël, 1972.
  • [5]
    Il s’agit de la première conférence des Nations unies sur l’Environnement qui s’est tenue du 5 au 16 juin 1972.
  • [6]
    GIEC, Seconde évaluation du GIEC. Changement de climat 1995, p.15.
  • [7]
    PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 2007/2008, Paris, La Découverte, 2007, p. 3.
  • [8]
    M. Maslin, Global Warming, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 88, 147.
  • [9]
    S. Aykut, A. Dahan, Gouverner le climat ? Vingt ans de négociations climatiques, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2014, p. 344.
  • [10]
    Le Mécanisme de développement propre est un schéma d’accord financier devant favoriser la réduction des émissions de GES. Le MDP permet aux entreprises de pays industrialisés d’obtenir des crédits d’émission de GES sur la base de la mise en œuvre d’un projet de réduction de GES dans un pays du Sud, à hauteur des émissions évitées grâce à ce transfert de technologie. La Chine est l’un des principaux bénéficiaires du MDP.
  • [11]
    L’AIE estime que les émissions de CO2 liées à l’utilisation de l’énergie, qui étaient de 28,8 Gt en 2007, devraient passer à 34,5 Gt en 2020 et 40,2 Gt en 2030. Elle précise que les pays non membres de l’OCDE sont à l’origine de la totalité de cette augmentation prévue (11,4 Gt) et que les trois quarts de cette augmentation proviendront de Chine. (World Energy Outlook 2009, résumé, p. 6.)
  • [12]
    A. Delbosc, C. de Perthuis, « Négociations climatiques : les enjeux du post-Copenhague », L’Économie politique, 2010.
  • [13]
    AIE, CO2 Emissions From Fuel Combustion, Highlights. 2014 Edition (disponible sur le site de l’AIE).
  • [14]
    Pocket World in Figures. 2016 Edition, The Economist, Profile Books, Londres, 2015, p. 28, 29.
  • [15]
    Ministère des Affaires étrangères, « Le 12 décembre 2015 : une grande date pour l’humanité », www.cop21.gouv.fr/wp-content/…/2015/12/Décryptage-de-laccord.pdf.
Français

L’objet de cet article est d’analyser deux points clés de l’Accord de Paris : l’objectif de limitation du réchauffement climatique en dessous de 2 degrés Celsius et son caractère universel et contraignant. Même si cet accord expose des engagements et des contraintes en retrait par rapport à ce qui serait nécessaire d’un point de vue scientifique, il constituera néanmoins un levier pour demander le respect des engagements pris, et réclamer d’aller plus loin.

English

This article analyzes two major features of the Paris Agreement : the goal of holding the increase in the global average temperature below 2 degrés Celsius and the universal and binding character of the agreement. Even though this agreement presents commitments and contraints far from what would be necessary from a scientific point of view, it will however be a lever for ensuring respect of the commitments taken, and claiming for further actions.

Jean-Paul Maréchal
Jean-Paul Maréchal est maître de conférences en économie à l’Université Paris Sud. Son dernier ouvrage, qui a pour titre Chine/USA. Le climat en jeu, est paru aux éditions Choiseul.
Mis en ligne sur Cairn.info le 09/03/2016
https://doi.org/10.3917/geoec.078.0113
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Éditions Choiseul © Éditions Choiseul. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...