CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« L’Amérique a changé ce jour de la mi-septembre 1958, lorsque la Bank of America a largué ses 60 000 premières cartes de crédit sur la paisible ville de Fresno, en Californie [1]. C’était l’expression favorite des opérateurs lorsqu’ils parlaient d’un envoi en masse de cartes : un “largage”, et le terme était involontairement approprié. Les habitants de Fresno n’avaient rien demandé, et étaient loin de se douter qu’une telle chose se préparait. C’est arrivé un jour, tout simplement, sans coup de semonce, comme une pluie de bombes. »
(Nocera 1994 :15)

1Ces cartes sont devenues ce que nous appelons les cartes « Visa ». Ce lâché fut une des premières et des plus célèbres opérations de diffusion massive de cartes. L’année suivante, deux millions de cartes furent envoyées par la poste aux habitants sans méfiance de plusieurs villes de Californie, dont Los Angeles (Nocera 1994 ; Wolters 2000). Huit ans plus tard, plusieurs banques de Chicago reprirent la formule et envoyèrent cinq millions de cartes non sollicitées. Le plus remarquable, c’est que les bénéficiaires reçurent des cartes activées, prêtes à servir dans les commerces, sans en avoir fait la demande, sans avoir été sélectionnés, et sans même une vérification de leur identité. Certaines cartes furent adressées à des détenus, des personnes depuis longtemps décédées, des nourrissons – et même à des chiens. Nancy Shepherdson rappelle qu’« [un] basset nommé Alice Griffin reçut, non point une, mais quatre de ces cartes, l’une accompagnée d’une lettre assurant Alice de son statut de “client privilégié” dans certains des plus chics restaurants de Chicago » (1991 : 128). L’histoire est édifiante. La Bank of America envoya ses cartes à de parfaits inconnus, alors qu’au même moment toute personne qui sollicitait un petit prêt personnel auprès du même établissement devait rendre compte lors d’un entretien individuel de toute l’histoire de sa famille. Pourquoi tant de hâte ? La Bank of America a-t-elle grossièrement sous-estimé les risques liés à l’émission de cartes de crédit ? Les faits rapportés par Joseph Nocera le suggèrent : au lieu des 4 % de problèmes enregistrés sur les prêts, le défaut de paiement atteignit 22 %. La banque avait tellement l’habitude de faire confiance à ses clients qu’elle n’avait même pas créé un service contentieux. Les pertes s’élevèrent à 8,8 millions de dollars, une somme énorme, même pour une institution aussi puissante que la Bank of America. Le plus surprenant, c’est que les banques de Chicago récidivèrent à peine dix ans plus tard, en pleine connaissance des préjudices subis par la Bank of America. Leurs pertes atteignirent alors un montant estimé à 6 millions de dollars, et certains observateurs parlent même de 25 millions (Nocera 1994 : 59-61). Comment expliquer une démarche apparemment irrationnelle et autodestructrice ? La réponse se trouve dans la particularité des marchés des cartes de crédit dont la mise en place s’affronte à des difficultés singulières.

2Cet article développe mon analyse de la conception et de l’extension du marché des cartes de crédit en Russie (Guseva 2008) [2]. Ce dernier présente deux caractéristiques remarquables. Premièrement, la vitesse surprenante de sa croissance. Au milieu des années 1980, on ne voyait de cartes qu’entre les mains des visiteurs étrangers. Les toutes premières cartes des banques russes furent émises en 1989. En 2009, on dénombrait cent vingt-cinq millions de cartes dans les portefeuilles russes. Deuxièmement, il n’y avait aucun précédent car l’argent liquide était le seul moyen de paiement dont disposaient les ménages pendant la période socialiste, durant laquelle le crédit à la consommation était restreint. Littéralement, ce marché se développa à partir de rien. Pourtant, ses architectes ne l’ont pas tiré de leur chapeau, ou simplement copié des expériences occidentales. En fait, ils ont aussi créé ce marché à partir d’éléments de la structure sociale existante, et principalement des réseaux interpersonnels et des relations entreprise-salariés, tout en jouant habilement de procédés de contrôle et de coercition.

3Dans la première partie de cet article, je caractérise les principaux problèmes des marchés de cartes de crédit émergents – complémentarité et incertitude – et j’explique brièvement comment ils ont été résolus sur le terrain américain. Même si cet article est centré sur la Russie, l’utilisation du cas américain est éclairante et nous servira de base pour penser le marché russe. Historiquement, le marché américain des cartes est le premier marché de masse du monde, et demeure le plus grand et le plus développé. Les grands réseaux (Visa et MasterCard), les principaux émetteurs de cartes (Citibank, Capital One et MBNA) ont leur siège social actuel ou initial aux États-Unis, tout comme les plus importants credit bureaus[3]. Une grande partie de la recherche théorique sur les marchés des cartes s’enracine dans l’expérience américaine (Evans et Schmalensee 1999 ; Rochet et Tirole 2005), et ces théories sont utilisées pour comprendre toutes les autres situations. Les règles qu’utilisent les émetteurs du monde entier sont d’ailleurs, dans une large mesure, le fruit de l’expérience américaine. Jusqu’à la fin des années 1990, Visa n’avait même pas envisagé la nécessité d’une approche différenciée des marchés, y compris ceux des économies en développement et en transition. Tous ses produits étaient universels, le marché américain servait de modèle, et les banques étrangères étaient censées imiter les pratiques américaines [4].

4Dans la suite de l’article, j’analyse les trois stratégies mises en œuvre par les émetteurs russes pour résoudre les problèmes d’incertitude et de complémentarité : l’émission de cartes en faveur des élites et personnes recommandées, l’émission de salary cards – cartes délivrées aux salariés par le biais de leur entreprise et, enfin, l’émission de cartes de crédit aux chalands des grands magasins et galeries commerciales (voir tableau).

Trois stratégies d’émission de cartes

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Émission aux initiés Salary Projects Cartes liées aux crédits à la consommation Période de popularité la plus forte 1991-1995 Entre le milieu et la fin des années 1990 De 2001à nos jours Portrait du titulaire idéal jouissant de relations haut placées ou bien ancré dans un réseau Employé Consommateur Lieu d’émission des cartes Agences bancaires Lieu de travail Galeries marchandes ou grands magasins Type de cartes émises Cartes de paiement sécurisées Cartes de paiement liées à des salaires directement déposés en banque ; cartes de paiement avec découvert autorisé Cartes de crédit revolving Types de réseaux concernés Interpersonnel Bi-niveau (banque, employeur-employé) Bi-niveau (banque-détaillant-consommateur)

Trois stratégies d’émission de cartes

5Si la première stratégie s’appuie sur la puissance des réseaux de relations interpersonnelles pour garantir une utilisation honnête et responsable des cartes, la deuxième et la troisième mettent en jeu les réseaux « bi-niveaux », impliquant aussi bien des individus que des organisations. Les sociologues économiques ont amplement démontré le rôle des réseaux pour permettre et faciliter les échanges sur différents marchés (Baker 1984 ; Chan 2010 ; Granovetter 1985 ; Uzzi 1996 ; White 2002), mais aucune de ces approches ne traite des marchés de masse. C’est là que les réseaux bi-niveaux interviennent : comme ils relient les banques aux entreprises (employeurs ou commerçants), ils permettent aux premières d’atteindre une foule de titulaires potentiels de cartes (salariés et consommateurs), ce qui leur serait quasiment impossible par leurs propres moyens. En outre, lorsque les cartes sont délivrées via les entreprises à leurs employés, les banques accèdent à des clients dont l’emploi, stabilisé, facilite le contrôle (Guseva et Rona-Tas 2001).

6Les principaux acteurs ici sont les banques qui émettent les cartes. Les grandes multinationales (Visa et MasterCard) n’ont finalement joué qu’un rôle limité dans le développement du marché russe. Elles aident à réguler les relations entre les banques-membres, ou entre banques et commerçants. Elles observent les tendances en matière de fraude et, occasionnellement, éduquent le public, les banques et l’État quant à la façon de la détecter et de la réduire. Elles favorisent également de nouveaux produits, par exemple les cartes à puce. Cependant, l’émission de cartes, les stratégies d’extension du marché, les relations avec les titulaires de cartes sont des prérogatives propres aux banques.

Ce qu’ont de si singulier les marchés de cartes de crédit ?

7Ces marchés sont une combinaison de deux types : des marchés dont l’action sur la demande produit un rendement croissant (demand-side increasing returns, DSIR) où la valeur du produit supplémentaire augmente avec le nombre d’articles déjà utilisés par d’autres (Katz et Shapiro 1985 ; Saloner, Shepard et Podolny 2001) et des marchés two-sided à deux faces (Rysman 2006 ; Armstrong 2006 ; Rochet et Tirole 2005) où un intermédiaire (ici une banque émettrice de cartes) relie deux groupes (les titulaires de cartes et les commerçants). Ces deux groupes doivent être recrutés en même temps car chacun d’eux est sensible à la façon dont l’intermédiaire se comporte avec l’autre groupe. Titulaires et commerçants sont dits « complémentaires », car l’un ne peut fonctionner sans l’autre, et la croissance de l’un rend plus attractif de se joindre à l’autre (Milgrom, Qian et Roberts 1991). Le problème de l’émergence d’un marché de la carte de crédit est donc un problème de la demande : si l’augmentation du nombre de titulaires signifie qu’un nombre croissant de commerçants seront disposés à les accepter dans leur établissement et vice-versa, alors la question la plus importante est de savoir comment attirer en même temps les tout premiers participants de ce marché.

8Les dirigeants de la Bank of America décidèrent de commencer en créant des titulaires. Ils ont pour cela bombardé de cartes un grand nombre de ménages à la fois. Selon Kenneth Larkin, vice-président de Bank of America, qui a supervisé le largage de Fresno, « c’était la seule manière de convaincre les commerçants qu’il y aurait assez de titulaires pour qu’ils estiment rentables d’accepter les cartes » (Shepherdson 1991 : 130). L’histoire leur a donné raison. Outre les trois cents commerçants qui avaient souscrit à l’avance, la diffusion de masse en attira huit cents supplémentaires en cinq mois. Et avant la fin de 1959, alors que le programme affichait des pertes de plusieurs millions de dollars, le programme BankAmericard convainquit vingt mille commerçants de plus. Ces envois non sollicitées furent déclarés illégaux en 1970 mais dès lors, douze ans après le largage sur Fresno, les cartes BankAmericard étaient présentes dans quarante-quatre États américains, les cartes Master Charge dans quarante-neuf, et environ vingt-neuf millions de personnes les avaient déjà utilisées au moins une fois, soit plus de 20 % de la population adulte. Le marché prenait forme. Ainsi, l’envoi spontané de cartes bancaires non-sollicitées avait permis aux banques américaines de résoudre au prix fort le problème initial de complémentarité. Si les banques concernées n’avaient pas été aussi puissantes et stables, elles n’auraient pu se redresser financièrement. Leurs pertes ont souligné que la délivrance d’une carte de crédit signe le début d’une relation à long terme entre banque et client (et entre le commerçant et la banque), ce qui impose des responsabilités à chacune des parties. En résolvant le problème de la complémentarité, ces envois non sollicités ont buté sur les risques encourus à ignorer l’incertitude inhérente au crédit en faisant l’impasse sur la sélection préliminaire des titulaires.

9Cette incertitude a deux causes principales : le libre arbitre des emprunteurs (je l’appelle « l’incertitude stratégique »), et les circonstances imprévues (« l’incertitude écologique »). Étant donné que la banque ne peut connaître à l’avance les intentions des emprunteurs, pas plus que leur honnêteté et futur comportement, les émetteurs risquent de faire une « sélection adverse » : ils en viennent à émettre des cartes à des personnes qui finiront par frauder ou par faire défaut. Ou encore, les banques risquent d’émettre des cartes à de futurs titulaires « bien sous tout rapport », mais dont les comportements seront modifiés négativement par le fait de détenir une carte de crédit – transformant des fourmis en cigales. Enfin, même si un emprunteur est animé des meilleures intentions quant à la ponctualité de ses remboursements, il n’est pas exclu que des circonstances imprévues dans sa vie personnelle ou des changements macro-économiques systémiques viennent bouleverser ses revenus ou ses actifs. Les circonstances de la vie individuelle et les conditions macro-économiques sont autant d’éléments échappant aux individus et qui, pourtant, modifient leurs prises de décisions et leurs comportements.

10Les banques disposent de plusieurs méthodes pour réduire l’incertitude inhérente au prêt. Elles peuvent limiter l’importance ou la durée du prêt, exiger des garanties, ou même encore augmenter les taux d’intérêt. Aucune de ces approches n’est efficace à elle seule (Guseva et Kuzina 2004). Certaines même, comme le relèvement des taux d’intérêt, pourraient s’avérer contre-productives en attirant plus d’emprunteurs à haut risque (Stiglitz 2000).

11Beaucoup plus efficace et couramment utilisée, la présélection sépare le bon grain de l’ivraie, les emprunteurs présentant peu de danger des autres débiteurs à risque. Nous avons distingué deux façons d’effectuer une présélection des détenteurs de cartes (Guseva et Rona-Tas 2001) : au cas par cas, en évaluant soigneusement la fiabilité de chaque candidat, ou en masse, par un calcul du risque fondé sur des modèles statistiques [5]. On estime la probabilité des comportements futurs en se fondant sur les comportements passés des titulaires de cartes dont les particularités sociodémographiques, les situations financières et les antécédents de crédit sont proches des caractéristiques des candidats. Le calcul du risque est préférable à la prise de décision au cas par cas. Cette méthode prédit mieux (Dawes, Faust et Meehl 1989), permet le traitement d’un volume plus important de candidatures et réduit le besoin en agents de crédit très compétents. Mais la capacité à classer, comparer et calculer n’est pas innée, ce sont des institutions sociales comme les credit bureaus qui y pourvoient : elles aident les acteurs économiques à transformer l’incertitude en risque probabilisé (Guseva et Rona-Tas 2001). Ces sociétés collectent, vérifient et classent les données, puis les soumettent à des grilles de scoring évaluant par une note le risque de crédit et plus largement la rentabilité des clients potentiels.

12En dernier recours, les banques peuvent également compter sur la sanction des mauvais payeurs ou des fraudeurs, via les procédures juridiques et/ou de recouvrement. Mais, faute d’un tri sélectif préalable, sanctionner peut s’avérer inopérant. Comment espérer sanctionner ceux qui ont obtenu un prêt ou une carte par abus de confiance ou sur la base de renseignements personnels erronés, si tant est qu’on puisse encore les localiser ? Ainsi, les envois non sollicités « à l’américaine » ont aidé les émetteurs à résoudre le problème de complémentarité, mais ils ont creusé le problème de l’incertitude. Résultat prévisible, puisque les deux problèmes exigent habituellement le recours à des solutions contradictoires. Résoudre le problème de l’incertitude implique une présélection minutieuse. L’expansion du marché s’en trouve ralentie et la taille de la clientèle réduite, butant sur la contrainte de la complémentarité. En d’autres termes, si l’on est trop prudent en matière de sélection, le marché risque de ne jamais se développer. Mais si l’on distribue des cartes sans discernement, avec pour objectif une meilleure complémentarité, les émetteurs s’exposent alors à une inflation de défauts de paiement et de fraude.

13Face aux taux élevés de défaut de paiement et de fraude des premières émissions en masse, les banques durent trouver rapidement une solution permanente à l’incertitude. Les banques américaines s’appuyèrent sur des institutions comme les credit bureaus et les méthodes d’évaluation du risque de crédit. Les États-Unis jouissent en effet d’une longue tradition de collecte des antécédents de crédit (à l’origine, ceux des sociétés, puis des emprunteurs individuels) (Calder 1999 ; Foulke 1941 ; Mandel 1990 ; Pagano et Jappelli 1993 ; Carruthers et Cohen 2010). La première société à travailler ces données à l’échelle nationale et de manière informatisée fut créée en 1965, sur la base des données déjà accumulées par plusieurs grandes banques (Jordan 1967 ; Miller 1971). Au lieu de la fastidieuse évaluation au cas par cas, (Leyshon et Thrift 1999), le développement de modèles d’évaluation du risque par Fair & Isaac permit aux banques de présélectionner les titulaires potentiels en grand nombre. En découla une possibilité de croissance virtuellement illimitée. Ces sociétés contribuèrent non seulement aux campagnes de présélection de masse, mais servirent également de puissants mécanismes de sanction : les retards et défauts de paiement, comme les faillites, figurent dans les antécédents de crédit, font chuter l’évaluation du candidat jusqu’à le rendre totalement inéligible pour tout crédit [6].

La Russie de l’ère soviétique et les pratiques bancaires de transition

14Les États-Unis des années 1950 se caractérisaient par une économie stable, une longue expérience des services bancaires aux consommateurs et de suivi des crédits. Les ménages russes du début des années 1990 n’avaient qu’une expérience très limitée des opérations bancaires, du crédit à la consommation et ne connaissaient que le paiement en espèces. La Russie soviétique et son économie de pénurie (Kornai 1980) n’avaient nul besoin du crédit à la consommation. Mais elle nourrissait l’existence de réseaux informels tous azimuts qui permettaient d’acquérir des biens et services introuvables dans le système officiel ou de contracter des prêts informels (Ledeneva 1998 ; Iankova 1979 ; Pavlov 1975). Ce type de liens joua un rôle au début du marché des cartes en Russie. Les sous-produits de ces réseaux de l’ère socialiste, confiance, loyauté, circulation de l’information et mécanismes de contrôle, permirent aux banques de délivrer les premières cartes en l’absence des mécanismes institutionnels qui contrôlent l’incertitude sur les marchés matures. C’est ainsi qu’apparurent les salary projects[7], cet héritage du paternalisme patronal caractéristique de l’ère soviétique [8]. Pour les ménages russes, l’expérience du secteur bancaire se réduisait aux livrets d’épargne à faible taux d’intérêt et aux comptes à vue gérés par les sbercassa (Spicer et Pyle 2003). Ces succursales faisaient partie de l’ancien système bancaire soviétique, monolithique, où une seule et unique banque publique – la Gosbank – jouait simultanément le rôle de banque centrale, de banque d’investissement et de banque de détail. En 1987, cette banque fut scindée et réorganisée en quatre banques spécialisées, toutes propriété de l’État. L’une d’elles, la Sberbank, allait dominer le secteur bancaire russe des services aux particuliers devenant l’un des acteurs clés du marché des cartes.

15Le secteur bancaire privé fut légalisé dès 1988. Seules vingt-cinq nouvelles banques furent fondées cette année-là. Mais à partir du début des années 1990, les banques commerciales russes se démultiplièrent avec plus de deux mille cinq cents établissements en 1995. La majorité de ces banques étaient minuscules et sous-capitalisées. Plus de vingt ans après, le nombre de banques enregistrées est retombé à moins de mille deux cents et le secteur s’est concentré. Cinq des plus grandes banques (la Sberbank, VTB, Gazprombank, Rosselkhozbank et la Banque de Moscou, dont l’État est propriétaire) contrôlent à elles seules près de la moitié des actifs bancaires et les cinquante plus importantes en contrôlent 80 % [9]. Les politiques protectionnistes de l’administration Eltsine dans les années 1990 ont limité la présence étrangère. Actuellement, 21 % des actifs bancaires combinés sont sous contrôle étranger [10], et seules trois des dix plus grosses banques présentent une participation étrangère majoritaire [11]. La concentration s’étend au marché des cartes. Le leader des cartes de crédit permanent, Russkiy Standart Bank (banque privée fondée en 1999), a émis près de la moitié (47 %) de leur totalité, et la Sberbank, représente 27 % des cartes russes à débit immédiat [12].

Stratégies des banques russes en matière d’émission de cartes

16Comment ces émetteurs s’y sont-ils pris pour résoudre l’oxymore de la complémentarité et de l’incertitude ? Contrairement aux banques américaines, les émetteurs russes privilégièrent la question de l’incertitude. Au courant des largages américains [13], ils y virent l’exemple à ne surtout pas suivre. Dans le contexte transitionnel russe, cette façon de mettre les cartes sur le marché se serait avérée désastreuse. Outre l’incertitude habituelle, les banques ne faisaient pas confiance à la distribution du courrier, souvent intercepté ou volé [14]. De surcroît, la plupart d’entre elles étaient petites, sous-capitalisées et ne disposaient pas de la marge de manœuvre qui avait permis à la Bank of America de maintenir son programme de cartes de crédit.

17À l’époque de l’émission des premières cartes par les banques russes, quelques commerçants nationaux acceptaient déjà dans leurs établissements les cartes Visa et Mastercard par ailleurs admises par vingt-cinq millions de commerçants dans le monde entier. Pourtant, ni le nombre intérieur limité de commerçants, ni le réseau international en pleine expansion, ne pouvaient inciter les Russes à postuler en masse. Le réseau international attirait plutôt les élites russes qui, avec la chute du communisme, sautèrent sur l’occasion de voyager à l’étranger et adoptèrent rapidement ces cartes comme l’un des symboles de leur statut social. Mais la poignée de marchands russes qui les acceptaient étaient des hôtels et magasins de luxe, amateurs exclusifs des devises fortes reçues des détenteurs de cartes délivrées à l’étranger, et donc inaccessibles à la majorité des Russes.

Stratégie n° 1. Émission de cartes aux élites

18Au début des années 1990, seule une poignée de banques émettaient des cartes. Toutes, à l’exception de la banque d’État Sberbank, étaient assez importantes et de fondation récente. Plusieurs d’entre elles étaient dirigées par les fameux oligarques qui s’enrichirent à la faveur du programme de privatisation connu sous le nom de « conversion de créances en actions » (loan-for-shares) (Johnson 2000). Leur stratégie initiale d’émission reprenait l’analyse des candidats au cas par cas et la remise de cartes à des « initiés » – des personnes liées à la banque par relations interpersonnelles, ou jouissant d’une visibilité politique ou sociale, ou dont l’ancrage semblait écarter presque à coup sûr le risque de défaut de paiement. La plupart des cartes émises à cette époque étaient à débit limité et non des cartes de crédit. Elles reposaient sur un compte courant et sur un compte de garantie qui constituait une protection pour la banque [15].

19Tous les émetteurs de cartes commencèrent par en faire bénéficier leurs propres employés, ainsi que la parentèle et les réseaux d’amis de leurs dirigeants. La relation emprunteur-créancier se trouvait donc intimement liée aux relations de travail et aux relations sociales. En outre, ces titulaires choisis avaient la possibilité de recommander d’autres titulaires potentiels, de façon autant informelle qu’officielle, comme ce fut le cas d’un de nos enquêtés bénéficiant avec le concours d’un ami cadre supérieur de l’AmEx de Moscou d’une carte American Express. Cependant, si l’information peut parcourir facilement de grandes distances géographiques et sociales, la confiance et l’influence ne peuvent que se dégrader avec l’élargissement du cercle, surtout si celui-ci se fait sous l’effet de liens faibles (Granovetter 1973). D’ou la règle d’or de ces recommandations : ne pas avoir plus d’une personne entre un agent de la banque et un demandeur [16].

20Ces cercles rapprochés étaient privilégiés parce qu’ils offraient des garanties à la banque. Paul DiMaggio et Hugh Louch (1998) l’ont très bien dit : on a tout à gagner à effectuer des transactions par le truchement de liens sociaux, car la relation devient l’otage des comportements. En d’autres termes, remettre une carte à l’ami d’un directeur de banque, c’est jouer la sécurité puisque la position du directeur et ses relations avec cet ami servent dès lors de garantie. On peut en effet s’attendre à ce que ce cadre fasse tout pour s’assurer que son ami ne trahisse pas. Et si ce pari échouait, ces liens relationnels assuraient néanmoins à la banque un accès direct au titulaire dans l’éventualité de devoir exiger de lui de combler un découvert. En outre, les banques émettaient des cartes pour les employés des entreprises clientes. Contrairement aux salary projects, émission de cartes à tous les employés d’une entreprise mise en place ultérieurement, ces programmes étaient beaucoup plus restreints, limités aux seules entreprises clientes et à leurs cadres. Comme l’une des personnes interrogées l’a expliqué, « si la banque ne pouvait pas connaître le salaire d’un individu lambda, elle pouvait savoir s’il travaillait pour des entreprises clientes [17] ». Par conséquent, les titulaires des cartes d’une banque étaient souvent des employés de ses entreprises clientes [18]. Ces arrangements offraient de nombreux avantages aux banques émettrices : la domiciliation des salaires des titulaires, la connaissance de la stabilité financière de leur employeur, et la facilité de contacter ces clients, le cas échéant. L’accès à la carte via leur emploi en faisait finalement des clients captifs, rendant tout départ compliqué, les forçant à négocier avec la banque en cas de difficultés financières plutôt que de partir sans laisser d’adresse.

21Dans les exemples ci-dessus, les demandeurs étaient connectés à la banque, de façon directe ou médiatisée. Mais, les cartes étaient également délivrées à des individus jugés suffisamment ancrés dans leurs propres réseaux, sans être nécessairement liés à la banque [19]. Il n’était pas nécessaire que ces réseaux d’ancrage soient juridiquement responsables des méfaits potentiels des titulaires, pas plus qu’ils n’avaient à sanctionner eux-mêmes les éventuels mauvais payeurs. En fait, les émetteurs considéraient que l’appartenance à ces réseaux facilitait le contact en entravant la possible disparition du titulaire, obligeant à la négociation (Guseva et Rona-Tas, 2001). Ainsi, des cartes furent émises pour des personnes estimées suffisamment ancrées auprès de leurs employeurs, même si ceux-ci n’étaient pas clients de la banque ; ou bien à des personnes à profil social élevé détenant des postes à haute responsabilité politique ou économique. La richesse de ces derniers n’était pas le critère décisif, mais plutôt leur ancrage au sommet de l’échelle sociale. Comme leur fonction impliquait une grande visibilité, il y avait peu de risques qu’ils s’évanouissent dans la nature. Dans ces cas, ce n’était pas tant les liens entre la banque et le titulaire qui rendaient possible le contrôle, mais les caractéristiques propres du titulaire.

22Pour formaliser les exigences d’éligibilité, deux responsables m’ont expliqué leurs critères de classification des candidats à haut risque, qui faisaient l’objet de vérifications très approfondies. Il s’agissait notamment de personnes sans revenu régulier (artistes au cachet, chômeurs, personnes à emploi précaire, étudiants, retraités, personnes au foyer) [20], ainsi que les citoyens des autres républiques de l’ex-Union soviétique, les militaires et même les entrepreneurs [21]. Si les entrepreneurs [22] étaient considérés avec autant de suspicion, c’est parce qu’ils constituaient une catégorie notoirement vague, englobant propriétaires et gérants de petites entreprises, mais aussi spéculateurs, escrocs et autres « magouilleurs » aux revenus instables, voire illégaux. Les militaires présentaient le risque de rejoindre une affectation lointaine, tout comme les migrants. Les étudiants n’échappaient pas non plus à la suspicion, sauf s’ils avaient un emploi rémunéré. De fait, pour éviter les complications pendant le processus d’approbation, les agents de la banque n’acceptaient la candidature d’étudiants que si ces derniers remplissaient leurs formulaires de demande en omettant de mentionner leur statut réel pour ne faire apparaître que leur situation « professionnelle ».

23Il est important de souligner que tous ces candidats n’étaient pas considérés à haut risque en raison de leurs faibles revenus. Beaucoup d’autres personnes, dont les salaires étaient notoirement bas et frappés d’arriérés endémiques dans les années 1990, ne figuraient pas sur cette liste : médecins, enseignants et professeurs d’université. Comme me l’expliquait un enquêté, malgré la faiblesse ou la précarité de leurs revenus, enseignants et médecins sont « coincés (zazhaty) dans une organisation » ou, pour reprendre mon propre vocabulaire, sont solidement ancrés. En revanche, aux yeux de la banque, retraités, femmes au foyer, étudiants, entrepreneurs et autres, n’étaient pas jugés suffisamment ancrés, piégés par leur structure sociale, et présentaient donc trop risques. À quelques exceptions près, ces stratégies d’émission de cartes étaient très répandues à ce stade précoce du développement du marché. Lorsque les acteurs du marché ne savaient pas quelle politique adopter, ils copiaient le comportement d’autres acteurs dont ils considèraient les résultats satisfaisants. Cet isomorphisme mimétique s’accomplissait via les relations interpersonnelles entre banques, entretenues par la forte rotation des personnels liée aux fréquentes faillites de ces établissements. Les personnels chargés de contrôler les émissions de cartes (et plus tard les prêts aux consommateurs) étaient très souvent d’anciens membres des forces étatiques de sécurité.

24En résumé, au milieu des années 1990, les banques russes faisaient face à une grande incertitude quant aux comportements des titulaires de cartes. Il était impossible d’évaluer sérieusement le risque de défauts de paiement puisque les données disponibles étaient peu fiables. Il fallut attendre 2005 pour voir apparaître les premiers credit bureaus. Comme l’incertitude résulte en partie du facteur humain (choix des titulaires de dépenser plus qu’ils ne pourront rembourser), les banques s’efforcèrent de réduire celui-ci. L’idée était d’avoir le plus de contrôle possible sur le comportement du titulaire, en s’appuyant sur le pouvoir exercé sur lui par son réseau social et son employeur. Il fallait pour cela travailler à la croisée de deux rôles sociaux : client d’une banque et ami d’un de ses directeurs ; client de la banque et employé d’une des entreprises clientes de cette même banque. Chacun de ces rôles tenait l’autre en otage et garantissait les comportements désirés. Même si le détenteur d’une carte rencontrait des difficultés financières imprévues, la banque était quasiment sûre que le découvert finirait par être régularisé. Même l’employé de banque qui avait recommandé le titulaire se sentait moralement responsable de sa conduite et on pouvait compter sur lui pour travailler à la régularisation du compte. Les banques s’appuyaient ainsi sur la structure sociale pour piéger les particuliers et garder leur trace.

Stratégie n° 2. Émission de cartes salariales par l’intermédiaire des employeurs

25Ceci dit, les sociétés émettrices comprirent rapidement, tout comme la Bank of America trente-cinq ans plus tôt, que le lent et prudent recrutement de détenteurs rendait difficile le développement du marché. Ce n’est pas ainsi qu’elles arriveraient à destination, dans ce havre où le nombre de titulaires de cartes et de commerçants se développerait de manière complémentaire, où la croissance du marché serait assurée par les effets externes positifs de la demande croissante. Elles se tournèrent vers les entreprises, qui pouvaient distribuer des cartes en masse par le biais de salary projects, et créer ainsi des milliers de nouveaux titulaires à la fois. Cette nouvelle stratégie fut souvent le fait des mêmes banques qui distribuaient jadis leurs cartes au compte-gouttes, comme la banque d’État Sberbank et une poignée de banques privées relativement importantes. Certaines, présentes sur le marché des cartes de crédit dès le début des années 1990, firent faillite quelques années plus tard, dont la Kredobank, établissement privé qui était parmi les premières, en 1991, à émettre en masse des cartes Visa en Russie.

26Dans le salary project type, les cartes étaient attribuées à tous les employés d’une entreprise, du cadre supérieur à l’homme à tout faire, et tous les salaires étaient versés directement à la banque émettrice [23]. L’accord stipulait généralement que tout défaut de paiement serait remboursé le mois suivant par saisie sur salaire, et l’entreprise avait obligation de notifier à la banque toute mise à pied ou démission. Les salary projects avaient les faveurs des entreprises parce qu’ils les dispensaient de manipuler de l’argent liquide, une économie non négligeable. Ils étaient d’autant plus appréciés dans les villes industrielles de moyenne importance où l’économie reposait sur une seule grosse société ou un seul secteur industriel. Ces économies souffraient d’arriérés chroniques de paiement et d’un manque de liquidités. Les salary projects résolvaient le problème de liquidités grâce à un système de compensation mutuelle entre entreprises locales. Du point de vue des banques, ces montages étaient efficaces : elles émettaient des cartes en masse, sans devoir développer un réseau d’agences ou faire de la publicité. Si la direction de leur entreprise décidait de s’engager avec une banque sur un salary project, les employés n’avaient pas le choix : ils devaient adopter la carte de la banque concernée. Chaque salary project amenait des milliers de nouveaux titulaires, validant cette construction du marché par coercition. En l’absence d’une réelle demande de la part des particuliers, les banques trouvèrent ainsi le moyen d’introduire de force leurs cartes dans les portefeuilles russes. Et elles espéraient que la croissance du nombre de cartes émises finirait par rallier les commerçants à leur cause.

27L’État russe contribua tout particulièrement à cette stratégie coercitive. C’était pour lui une aubaine, les banques allaient se charger à sa place du paiement des salaires de ses employés, médecins, enseignants, personnels de police, militaires… Les salary projects firent tache d’huile auprès des municipalités de Russie, qui délivrèrent des cartes à des millions de retraités et autres bénéficiaires de prestations sociales. En 2002, la ville de Moscou, en collaboration avec la Banque de Moscou et Visa, émit la « carte sociale Visa Electron de Moscou » à deux millions et demi de Moscovites, qui perçurent dès lors directement sur leurs comptes pas moins de trois cent cinquante types de prestations versées par une soixantaine d’agences différentes. En plus des traditionnels distributeurs de billets et des commerçants partenaires de Visa, les cartes furent utilisables dans les transports publics, pour les soins de santé et les assurances médicales, et pour des achats subventionnés par le gouvernement dans nombre de magasins participants [24].

28Outre l’apport en masse de nouveaux titulaires, les salary projects permirent aux banques de réduire l’incertitude attachée à un prêt puisque « les comptes associés à une carte sont réalimentés régulièrement par les entreprises » ; « Lorsque le salaire du mois suivant arrive sur le compte, il sert d’abord à payer les intérêts, puis les créances – et éventuellement les achats faits par carte, avec peu de risque de perdre la trace du titulaire » [25].

29Certes, les employeurs devaient assurer le paiement régulier des salaires. Un détail non négligeable dans le contexte de transition économique des années 1990 où la Russie voyait disparaître des milliers de sociétés incapables de régler les salaires de leurs employés. Néanmoins, la solvabilité des grandes entreprises reste plus simple à évaluer que celle des milliers de salariés qu’elles embauchent. Et bien sûr, moins volatiles que les particuliers, les entreprises pouvaient plus facilement être contraintes à honorer leurs engagements, leurs actifs servant de garanties.

30Les employeurs s’avérèrent également un formidable outil de contrôle social, ancrant leurs employés dans un réseau de liens au sein de l’entreprise. Là encore la banque travaillait au croisement des contrôles, les titulaires de cartes étant à la fois salariés de l’entreprise et clients de la banque, rendant difficile tout départ de la banque (sauf à en perdre leur emploi). La banque les avait toujours à sa disposition pour d’éventuelles négociations ou pénalités. L’emploi devint une sorte de cautionnement social : si son travail était en jeu, le titulaire d’une carte ne pouvait guère jouer l’Arlésienne. Par rapport à l’ancienne stratégie – l’émission de cartes aux seules élites – les salary projects multiplièrent les cartes sans rien concéder en matière de sécurité.

31Le nombre de cartes émises et le volume des transactions s’accrurent régulièrement jusqu’en 2008 (voir figures 1 et 2) [26]. Cependant, et même si les grandes marques de cartes ne l’admettaient que rarement, l’essentiel des transactions par carte était des retraits d’argent et non des achats (voir figure 2). Les détenteurs de cartes salariales utilisaient les distributeurs automatiques puis, armés de leurs billets de banques, allaient faire les magasins. Plus de vingt ans après l’introduction des premières cartes, les paiements en liquide restent aujourd’hui dominants (seulement 7 % se font par d’autres moyens) et les retraits aux distributeurs représentent 87 % du volume total des transactions par carte [27]. La croissance du marché des cartes avait beau être spectaculaire, elle ne concernait toujours pas les commerçants. Au lieu de développer un marché two sided, le marché russe des cartes de crédit évoluait sur une seule jambe.

Figure 1

Nombre de cartes émises par les banques russes, de 1996 à 2009

Figure 1

Nombre de cartes émises par les banques russes, de 1996 à 2009

Source : données fournies par Platezhi. Sistemy. Kartochki (1998, p. 10 ; 1999, pp. 6-7) et la Banque centrale de Russie (www.cbr.ru). Les données sont incomplètes entre 1999 et 2000.
Figure 2

Volume total des transactions par cartes et volume des seuls achats, 1996-2009

Figure 2

Volume total des transactions par cartes et volume des seuls achats, 1996-2009

Source : données fournies par Platezhi. Sistemy. Kartochki (1998, p. 10 ; 1999, pp. 6-7) et la Banque centrale de Russie (www.cbr.ru). Les données sont incomplètes entre 1999 et 2000.

32Les banques comprirent rapidement que transformer les gens en détenteurs de cartes ne revenait pas à en faire des consommateurs prompts à les utiliser. Les cartes étaient dans les portefeuilles mais les particuliers persistaient à leur préférer l’argent liquide et à épargner plutôt qu’emprunter. La culture de consommation indispensable au succès des marchés des cartes de crédit exige l’existence de consommateurs disposés à contracter des dettes, à solliciter des crédits auprès des banques, à payer des intérêts. Les Américains ont développé ces habitudes avant même l’apparition des premières cartes bancaires de crédit aux États-Unis et elles constituent le fondement culturel de la société de consommation américaine contemporaine. Les Russes, eux, ont fait de la résistance, préférant l’argent liquide aux cartes, et l’épargne à l’emprunt. Une telle réticence tient en partie à des raisons culturelles, les Russes ayant l’habitude de compter sur l’épargne et l’argent liquide pour consommer et sur les réseaux informels de la famille et des amis pour emprunter sans intérêt. Mais il peut y avoir des raisons stratégiques importantes, liées à la barrière de la complémentarité : les titulaires attendaient que les commerçants commencent à accepter les cartes, mais ces derniers voulaient d’abord voir si les consommateurs adoptaient le système. Les banques russes trouvèrent finalement une solution structurelle à la tiédeur de la demande. Elles misèrent sur le secteur en pleine croissance de la vente au détail et les grands absents des salary projects, les commerçants avec lesquels les titulaires étaient en contact.

Stratégie n° 3. Émission de cartes dans les commerces de détail

33La crise financière de 1998 joua un rôle déterminant dans cette évolution. Elle fut un tournant dans l’histoire de la transition postsoviétique, en mettant un terme aux politiques économiques engagées par Boris Eltsine dans les années 1990 et en préparant le terrain pour l’accession de Vladimir Poutine au pouvoir en l’an 2000. Pour ce qui nous concerne, la crise changea complètement le paysage des banques et marqua un nouveau départ pour le marché des cartes de crédit. Nombre des grandes banques nationales qui étaient entrées sur ce marché dans les années 1990 ne survécurent pas à la crise. Certaines firent faillite, d’autres transférèrent leurs actifs dans des banques relais pour refaire surface un peu plus tard sous un nom différent. Le grand gagnant de la période fut la Sberbank, une banque d’État : en l’absence de fonds d’assurance pour les dépôts, c’est la seule qui bénéficia du soutien de l’État. Pris de panique, les déposants désertèrent les banques privées tandis que la Sberbank enregistrait cinq cent mille comptes supplémentaires atteignant 85 % de part de marché pour les comptes des ménages.

34Dès 1999 et au cours des dix années suivantes, la Russie connut une période de croissance économique régulière, avec une augmentation des revenus et du pouvoir d’achat des consommateurs. La croissance du produit intérieur brut (PIB) atteignit 6,4 % en 1999, pour se stabiliser autour d’une moyenne annuelle de 6,7 % (voir figure 3). Les revenus réels ont en moyenne crû de 11 % l’an et la consommation a doublé pendant cette période. Le développement des commerces de détail alla de pair avec celle du crédit à la consommation (voir figure 4). Après 2001, les banques privées se mirent à investir pour soustraire des clients à la Sberbank. Il s’agissait de banques ayant survécu à la crise ou de banques récentes telle que la Russkiy Standart, chef de file actuel du marché russe des cartes, fondée en 1999 et que le magazine The Banker classa en 2004 parmi les banques les plus rentables au monde. Face aux crédits express et aux cartes de crédit proposés aux consommateurs dans les magasins de détail, la Sberbank ne soutint pas le rythme de l’innovation (sa part du marché des dépôts des ménages s’effondra de 50 % en 2005) [28]. Pour la première fois, les banques russes émirent en masse des cartes accompagnées de lignes de crédit, avec possibilité de crédit permanent et même des périodes de crédit gratuit. Ce mouvement s’accompagna d’une pénétration étrangère qui se fit plus forte avec l’arrivée de banques privées (la banque tchèque Home Credit&Finance, l’autrichienne Raiffeisen et la DeltaBank détenue par GE Consumer Finance) bien déterminées à jouer un rôle sur les marchés des cartes de crédit et des prêts à la consommation. Dans ce contexte, les banques se détournèrent des salariés pour proposer en priorité leurs cartes de crédit aux consommateurs.

Figure 3

PIB, marché de détail et taux de croissance des revenus réels en Russie de 1999 à 2009

Figure 3

PIB, marché de détail et taux de croissance des revenus réels en Russie de 1999 à 2009

Source : données fournies par le Service fédéral russe des statistiques (www.gks.ru).
Figure 4

Volume les crédits octroyés aux ménages russes, de 1998 à 2009

Figure 4

Volume les crédits octroyés aux ménages russes, de 1998 à 2009

35Les prêts express sont de petits crédits à court terme, proposés dans les magasins et galeries marchandes pour financer des produits de consommation courante (électroménager, meubles, équipements informatiques). Pour capter les consommateurs, les banques ont ouvert des stands de fortune dans les magasins, tenus par un ou deux représentants qui examinent les dossiers.

36

« Nous sommes à Moscou un mardi matin, et Konstantin Savelyev, agent de sécurité de vingt-neuf ans, fait ses courses en compagnie de sa famille dans l’énorme magasin de meubles Ikéa de Khimki, au nord de la capitale russe. Il a décidé avec sa femme d’acheter des jouets pour leur fils de dix-huit mois ainsi que les meubles de sa chambre. Avant de faire ses achats, cependant, Savelyev doit s’acquitter d’une autre tâche : rester assis pendant une vingtaine de minutes dans le bureau de la Deltbank, installé à l’intérieur du magasin pour fournir à la vendeuse ses données personnelles. La voici qui entre les informations dans l’ordinateur de la banque et quelques minutes plus tard, miracle ! Il vient d’être qualifié pour recevoir une carte de crédit Visa limitée à 500 dollars… avec un taux d’intérêt de 24 % l’an. Savelyev est tout content. “La somme à rembourser mensuellement est infime par rapport à mon salaire, et on n’en ressent presque pas l’effet sur le budget familial”, se réjouit-il [29]. »

37D’après un sondage de l’institut VTsIOM, 59 % des emprunteurs ont obtenu leur crédit dans les magasins en 2006 contre seulement 38 % en agences bancaires [30]. Nombre de ces banques proposent désormais des formules de cartes pour crédit permanent. DeltaBank émet quant à elle des cartes Visa Electron instantanées, utilisables pour des avances en liquide ou pour faire ses achats chez tous les commerces acceptant les cartes Visa. « Les consommateurs apprennent à se servir de cartes de crédit parce qu’elles leur rappellent la notion relativement familière du crédit à tempérament », a déclaré le sous-directeur du conseil d’administration de la Deltabank, Dmitry Ishchenko [31].

38Des quelque cent quarante mille cartes de crédit émises par la Deltabank (ce qui représentait 40 millions de dollars de crédits), la moitié l’a été au cours de la seule année 2004. Russkiy Standart émet automatiquement des cartes aux gens qui ont remboursé correctement leurs crédits express. La majorité de ces cartes est destinée à du crédit permanent et la banque estime que ces crédits express sont le meilleur vecteur pour élargir sa clientèle de titulaires. Sur les trois millions deux de cartes émises par cette banque jusqu’en 2005, à peine cent mille (moins de 3 %) le furent par ses agences [32]. Pour attirer les clients potentiels et leur offrir des emprunts express, Russkiy Standart est en cheville avec de grands magasins tel que le détaillant en électroménager M-Video qui indique que 30 % à 50 % de ses ventes se font désormais à crédit [33].

39Cette stratégie rend cependant les banques vulnérables. Leur capacité de contrôle est presque nulle car les détenteurs de cartes n’ont plus de liens avec la banque, ni directement ni indirectement. La sélection des candidats est rudimentaire. Quelques émetteurs choisissent de se servir d’outils d’aide à la décision standard mais le manque de données essentielles (comme la vérification des revenus) et la façon dont sont conçus ces modèles (ils quantifient les caractéristiques des postulants sur la base de l’opinion d’experts et du bon sens plutôt qu’en fonction d’un calcul statistique) empêchent les banques de convertir l’incertitude en un risque calculable. Les décisions d’octroi de crédit express se prennent sur place en trente à quarante minutes, et sans autres données que celles fournies par les postulants. Dans certains cas, il suffit de présenter son passeport pour obtenir un prêt express. Le plus surprenant est que 76 % des banques pensent que le risque de crédit est leur plus gros problème. Dans le même temps, elles font preuve de la plus grande négligence quant au tri des clients [34]. Plusieurs des banques interrogées se sont déclarées surtout préoccupées d’attirer de nouveaux titulaires et d’accroître leur part de marché préférant remettre à plus tard les problèmes d’incertitude et de sélection des candidats. Contrairement aux cartes délivrées aux seules élites ou aux salary projects, celles de la troisième vague sont délivrées à des inconnus n’ayant aucun fil à la patte. C’est un changement radical par rapport à l’approche de contrôle adoptée jusque-là et qui risque de s’avérer périlleux à long terme. Ce tout jeune marché est fragile et pourrait s’effondrer sous le poids d’une accumulation de défauts de paiement.

40Quelques signes avant-coureurs d’une possible crise de défauts de paiement sont apparus sur le marché russe dès l’année 2004. Si le taux global de défauts est resté bas (moins de 2 %, toutes banques et tous crédits confondus) [35], leur nombre était bien plus élevé pour les crédits express [36]. Les banques individuelles les plus activement impliquées dans le crédit express affichaient en 2005 des pertes allant jusqu’à 6,94 % chez la Russkiy Standart, 7,85 % à la Finansbank, et un colossal 15 % à la Home Credit&Finance [37]. Viktor Sorin, directeur de l’Agence de recouvrement des dettes à la consommation, évoquant son expérience à la Russkiy Standart, a déclaré que plus de 50 % des emprunteurs en crédit express présentaient des retards de remboursement (Starkov 2005). Les défaillances sur le crédit express, selon Andrei Kashevarov, sous-directeur de l’Agence fédérale antitrust, ont augmenté en 2006 deux fois plus vite que sur les prêts à la consommation [38].

41Le marché russe des cartes de crédit montre quelles solutions inventives ont pu être apportées aux problèmes concomitants de l’incertitude et de la complémentarité. Pour l’incertitude, on s’est d’abord efforcé de contrôler les titulaires grâce à leur réseau social. Les liens interpersonnels d’une part et, d’autre part, la combinaison de liens inter et intra-organisationnels ont aidé les banques à réduire l’incertitude en incitant les titulaires à rembourser ou en les empêchant de se volatiliser. Puis face à l’absence de demande effective de cartes, les banques russes s’arrangèrent pour les introduire de force dans les portefeuilles par le biais des salary projects. La coercition compensa les carences de la présélection. Mais si on peut mener l’âne à l’abreuvoir, on ne peut pas le forcer à boire. Les détenteurs de cartes salariales, s’ils ne purent s’y opposer de front, continuèrent à recourir à leur carte seulement pour accéder à leur compte en banque. Pour que les titulaires se mettent à payer par carte et non plus en liquide, il a fallu les appâter avec des biens de consommation.

42Incertitude et complémentarité sont typiques du développement de tout marché des cartes de paiement, mais les solutions appliquées en Russie sont très différentes de celles que choisirent les émetteurs américains. Les solutions russes se sont appuyées massivement sur l’héritage socialiste de leur pays – réseaux interpersonnels, paternalisme patronal – et fournissent un cas d’école quant à la façon dont on peut construire un marché sur les ruines d’une structure préexistante. Ces solutions, frappées au coin du bon sens, n’ont cependant pas totalement déterminé le nouveau marché. Sa forme fut plutôt le fruit d’une combinaison de plusieurs facteurs disparates : l’intention des acteurs et l’indéniable influence du modèle américain (transmis par exemple avec les règles régissant les Visa), mais aussi le contexte de la transition vers l’économie de marché, les ressources disponibles de ses acteurs (tant culturelles que structurelles/relationnelles et cognitives) sans oublier les aléas de son propre développement. Par conséquent, malgré l’hégémonie du marché américain, le marché russe n’est pas une simple copie de moindre qualité. Conformément à la thèse de la diversité des types de capitalisme (Streeck et Thelen 2005), on trouve, derrière une similitude de façade, des relations sociales particulières et des normes institutionnelles et culturelles spécifiques. La conception et le développement du marché russe portent les marques de circonstances historiques et macroéconomiques spécifiques. D’ailleurs, on retrouve l’influence de l’histoire du marché russe dans d’autres pays en transition. Émission initiale de cartes aux seules élites, puis dissémination massive et coercitive par le biais des salary projects – ces mêmes méthodes ont fait florès de Budapest à Sofia en passant par Kiev.

43La crise financière mondiale a ralenti le rythme de développement du marché des cartes en Russie. Le nombre de cartes émises a progressé de moins de 6 % en 2009 alors qu’entre 2002 et 2008 il atteignait en moyenne les 42 % (voir figure 1). Le volume des transactions par cartes et des crédits à la consommation a décliné en 2009 mais pas de façon spectaculaire et ces deux indices se situent à des niveaux encore supérieurs à ceux de 2007 (voir figures 2 et 4). Même si le PIB russe a chuté en 2009, pour la première fois en dix ans (voir figure 3), un prudent optimisme semble légitime. La majorité des cartes en circulation aujourd’hui en Russie est liée à des salary projects et à des programmes de prestations sociales et il est inimaginable qu’employeurs ou État choisissent de revenir aux paiements en liquide. Il semble donc que la dissémination coercitive des cartes joue en faveur de ce marché le rôle d’un bouclier contre la crise. La décision d’acquérir ces cartes n’a jamais été prise par les intéressés eux-mêmes, qui n’ont pas non plus le choix de s’en débarrasser. Vu la stabilité globale du secteur bancaire, les Russes continueront à détenir des cartes de crédit, même si, en l’état actuel, ils s’en servent moins fréquemment.

44Traduction de Dominique Macabies

Notes

  • [1]
    Les cartes de crédit dont il est question servent à ouvrir de véritables lignes de crédit, et sont donc bien différentes des « cartes bleues » françaises (« debit card » en anglais) qui servent en général seulement à payer ou retirer de l’argent d’un compte.
  • [2]
    Les données ont été collectées lors de plusieurs visites sur le terrain à Moscou, en Russie, de 1998 à 1999 et de 2003 à 2005. J’ai conduit des entretiens avec des banquiers et d’autres acteurs du marché et j’ai également complété mon analyse en puisant dans les publications spécialisées de divers points de vente et dans la presse russe non-spécialisée. Pour plus de détails sur échantillonnages et analyse, voir Guseva (2008). Ce projet a reçu le soutien de la bourse d’étude attribuée à Akos Róna-Tas (Université de Californie, San Diego) par la Fondation nationale américaine des sciences. Les entretiens m’ont été accordés sous condition de total anonymat, et mes informateurs en ont reçu la garantie. C’est pourquoi les seules références relatives aux entretiens ne mentionnent qu’une date.
  • [3]
    Les credit bureaus sont des agences privées collectant de multiples informations sur les agents économiques et les consommateurs pour évaluer leur solvabilité. Majeur dans l’économie américaine du crédit, ils n’existent pas en France. Voir Carruthers et Cohen (2010).
  • [4]
    Le programme Visa COPAC (Chip Off-Line Pre-Authorized Card/Carte à puce autonome pré-autorisée) témoigne d’un changement d’attitude. Il a été lancé dans les pays marqués par un faible niveau de culture de crédit à la consommation et par un développement insuffisant de leurs infrastructures de télécommunications. Voir « The 21st Century Way to Pay », site internet Visa CEMEA, http://www.visacemea.com/wv/chip_cards.jsp (consulté le 6 août 2008).
  • [5]
    Il existe deux autres méthodes de présélection, basées sur le système « rules and point », faisant toutes deux appel à la formalisation des avis d’experts et non sur des analyses statistiques solides (Guseva 2008).
  • [6]
    Outre les créanciers, les propriétaires se servent de ces rapports de risque de crédit pour évaluer leurs futurs locataires et il en va de même des employeurs et des vendeurs d’assurance automobile.
  • [7]
    Faute d’équivalent français de ces « projets salariés » nous garderons le terme anglais pour évoquer ces « émissions de cartes aux salariés par l’intermédiaire de leurs employeurs ».
  • [8]
    Les entreprises fournissaient des biens et des services en échange d’une quasi-dévotion aux employeurs et aux collectifs de travail.
  • [9]
    RosBusinessConsulting, http://rating.rbc.ru/article.shtml?2009/02/25/32317346 (consulté le 3 janvier 2010).
  • [10]
    Banque centrale de Russie, www.cbr.ru (consulté le 3 janvier 2010).
  • [11]
    RosBusinessConsulting, http://rating.rbc.ru/article.shtml?2009/02/25/32317346 (consulté le 3 janvier 2010).
  • [12]
    Euromonitor, Credit Cards– Russia, Debit Cards– Russia, (relevés du 27 janvier 2010).
  • [13]
    L’extrait de l’ouvrage de Joseph Nocera cité en début d’article a été traduit en Russe par l’un des mensuels spécialisés en la matière.
  • [14]
    Dans les années 1990, elles refusaient d’envoyer par la poste les relevés bancaires et exigeaient des titulaires qu’ils se déplacent pour aller les retirer en personne à leur succursale.
  • [15]
    Au début des années 1990, les dépôts de garantie liés aux cartes Gold atteignaient parfois les 10 000 dollars !
  • [16]
    Entretien avec le vice-président d’une petite banque le 22 octobre 1999.
  • [17]
    Entretien du 4 septembre 1999.
  • [18]
    Entretien du 18 juin 1998.
  • [19]
    L’ancrage s’assimile aux méthodes utilisées par les programmes de micro-crédit, où les défauts de paiement sont extrèmement rares du fait que l’emprunteur est encastré dans un réseau local et dans son groupe de co-emprunteurs (Reinke 1998).
  • [20]
    Ce qui rendait par conséquent plus difficile aux femmes de se voir remettre une carte.
  • [21]
    Entretiens du 18 juin 1998 et du 22 septembre 1999.
  • [22]
    Sberbank avait trouvé un autre nom pour cette catégorie de risque : « gérants de petites organisations encore peu développées et dépourvues par conséquent d’un volume stable d’activités » (Kommersant, 3 décembre 1999).
  • [23]
    Avant l’introduction des cartes salariales, les salaires étaient versés en liquide. Au départ, les cartes salariales étaient des cartes à débit immédiat, mais au final les banques se mirent à proposer des découverts autorisés allant jusqu’à 75 % du salaire mensuel du titulaire.
  • [24]
    www.corporate.visa.com (consulté le 10 avril 2010).
  • [25]
    Entretien du 22 septembre 1999.
  • [26]
    Le volume de transaction a décliné en 2009, suite à l’effondrement financier mondial. Mais le nombre de cartes émises a augmenté en 2009, bien qu’à un taux de croissance inférieur aux années précédentes.
  • [27]
    Euromonitor, Financial Cards and Payments – Russia, Country Market Insight (relevés du 27 janvier 2010).
  • [28]
    Sberbank, rapport annuel 2005.
  • [29]
    « More Russians Are Saying “Charge It” », BusinessWeek, 4 octobre 2004, www.businessweek.com (consulté le 30 septembre 2005).
  • [30]
    « Dayut-Beri », Kommersant, « Bank » section spéciale, 15 juin 2006, www.kommersant.ru (consulté le 26 juin 2006).
  • [31]
    Entretien du 18 juin 2004.
  • [32]
    Entretien du 7 décembre 2005.
  • [33]
    « Bytovaya tekhnika —- eto ne pirozhki i ne yogurt », Kompania, 2 septembre 2002, www.ko.ru (consulté le 31 juillet 2006).
  • [34]
    Banque centrale de Russie, www.cbr.ru (consulté le 10 avril 2010).
  • [35]
    Banque centrale de Russie, www.cbr.ru (consulté le 10 avril 2010).
  • [36]
    « Noveishaia kreditnaia istoriia », Bankovskoe Delo, www.interfax.ru (consulté le 31 mai 2006).
  • [37]
    Profil, le 26 septembre 2005.
  • [38]
    « Banki upovayut na “dedushkinu ogovorku” » Rossiyskaia Buznes Gazeta, 31 janvier 2006, www.aksakov.ru (consulté le 31 juillet 2006).
Français

Résumé

L’article analyse l’apparition et le développement du marché des cartes de crédit en Russie postcommuniste. Ce type de marché est confronté à deux problèmes spécifiques : la complémentarité et l’incertitude. Les banques russes ont dès lors élaboré trois stratégies : la restriction de cartes aux élites nationales ou aux personnes liées personnellement aux banques émettrices – 1991-1995 ; l’émission massive de cartes salariales pour les employés par le biais de leurs sociétés – du milieu à la fin des années 1990 ; l’émission massive de cartes de crédit aux acheteurs de biens de consommation – de 2001 à nos jours.

Ouvrages cités

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Alya Guseva
Sociologue, enseigne à l’Université de Boston. Elle est l’auteur de Into the Red : the Birth of the Credit Card Market in Postcommunist Russia (Stanford University Press, 2008). Elle travaille actuellement sur l’émergence des marchés des cartes de crédit dans plusieurs économies postcommunistes d’Asie et d’Europe centrale et orientale.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/07/2010
https://doi.org/10.3917/gen.079.0074
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