CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’engagement d’individus au sein d’organisations à but non lucratif – partis politiques, syndicats, associations diverses – est un thème tout à la fois abondamment et peu analysé par la sociologie française. Abondamment, parce qu’il existe quantité d’ouvrages traitant du militantisme politique, du syndicalisme, de différentes formes d’investissement au sein d’associations humanitaires, caritatives ou encore sportives. Peu, dans la mesure où nombre de ces travaux, en s’attachant à une organisation spécifique ou à plusieurs organisations similaires, segmentent la question de l’engagement, le sens de ce dernier devant alors être rapporté, in fine, au type de structure investie. Il n’y aurait pas un engagement associatif, mais des formes d’engagement irréductibles les unes aux autres. Du coup, toute transgression des formes usuelles de catégorisation du champ associatif est soulignée avec précaution : « Présenter un dossier sur l’engagement qui mette sur le même plan les pratiques militantes dans les partis politiques, les organisations syndicales, le monde associatif et plus généralement les entreprises de mouvement social, pourra paraître osé. » (Fillieule et Mayer, 2001, p. 19).

2Certes, le mouvement associatif est multiple et le type d’engagement n’est pas indifférent vis-à-vis de son sens. Cependant, en replaçant la démarche bénévole au cœur des pratiques associatives, il est possible de tracer un lien entre des formes d’engagement a priori différentes et d’en faire émerger un sens commun. Les associés sont en effet, pour la plupart, des bénévoles, c’est-à-dire des personnes qui s’engagent sous l’impulsion de leur « bonne volonté » et qui ne perçoivent aucune rémunération financière en contrepartie. Envisagé sous cet angle, l’engagement associatif interroge nécessairement : il s’agit d’une démarche non rémunérée au sein d’une société mercantile, et dépourvue de tout caractère d’obligation quand cette même société est structurée autour d’institutions comme la famille ou le travail qui représentent des formes quasi obligatoires d’une intégration sociale « réussie ». Aucune sanction sociale ne s’exerce sur celui qui ne s’engage pas au sein d’une association. Dès lors ce comportement implique le libre arbitre de l’individu, et l’on peut faire l’hypothèse que son déploiement suppose l’attente de gratifications plus larges que celles liées à l’accomplissement d’un éventuel « devoir moral ». Il ne se lit pas uniquement comme la volonté de « faire le bien », mais, en relation avec le contexte social contemporain, il engage des processus d’affiliation et de réaffiliation sociales en même temps que d’étayage identitaire.

3Le contexte social est en effet celui d’une crise parfois intrinsèque aux structures classiques – le chômage pour le travail – mais également de l’existence d’un mouvement « plus profond », qui concerne les mécanismes de socialisation (Dubet et Martuccelli, 1998, p. 147). La valorisation de l’autonomie individuelle met fin à la domination de valeurs « transcendantes » (ibid.), données a priori et définissant le sens dans lequel les institutions doivent permettre la socialisation des individus. Succèdent à cette imposition d’un sens « de l’extérieur » une recherche par chacun d’un sens qui lui est propre, d’une adaptation des institutions à ses exigences personnelles en termes d’épanouissement, et finalement une « coproduction sociale » (ibid.) des valeurs et des normes qui structurent l’existence sociale et l’expérience d’un individu redéfini à la fois comme acteur et comme sujet. Il est en effet tout à la fois plus actif vis-à-vis de son expérience, qu’il est chargé de redéfinir seul, et plus critique, dans la mesure où c’est à lui de faire émerger le sens de cette expérience. Simultanément, les recompositions à l’œuvre au sein des institutions et la dilution d’un sens dominant dans l’hétérogénéité des quêtes individuelles conduisent à la « désinstitutionnalisation » (ibid.) ou crise de ces institutions en tant que structures d’identification, crise qui s’exprime par les recompositions identitaires partielles attachées à chacun des niveaux d’intégration : recompositions des identités familiales et sexuées, des identités professionnelles, des identités symboliques, et pour finir des identités personnelles (Dubar, 2000). Sans doute ces transformations à l’œuvre ne se traduisent-elles pas par des crises identitaires globales dans le sens où l’individu a plus que jamais conscience de lui-même et de la nécessité de construire une subjectivité qui lui est propre (Dubet, 1994). Cependant, la déstabilisation des structures d’affiliation collective est réelle et se situe aussi bien au niveau des institutions que des individus et des rapports entre institutions et individus. Crise des institutions et recomposition des identités sont indissociables car les premières représentent des cadres de socialisation, d’identification et ainsi de construction de soi essentiels pour les individus. Tout en ressentant un sentiment identitaire certainement plus fort qu’auparavant, ces derniers doivent donc élaborer en partie eux-mêmes le sens de leur intégration au sein des différentes sphères sociales.

4C’est à ce stade qu’est susceptible d’intervenir l’engagement bénévole, en offrant à l’individu un cadre collectif renouvelé pour étayer son identité. L’engagement associatif est caractérisé tout à la fois par la multiplicité des sens qu’il revêt pour les acteurs, sens effectivement relatifs au type d’organisation étudiée, et par l’existence d’un sens commun irréductible à la nature de l’association. C’est ce sens commun qui a été peu abordé jusqu’ici. Ce travail ne constitue pas une négation des spécificités des différentes formes d’engagement – spécificités qui ont été par ailleurs largement commentées et analysées – il entend porter le regard sur les similitudes. Or ces engagements s’expliquent notamment parce qu’ils constituent une possibilité d’affiliation ou de réaffiliation collective, ainsi que d’étayage identitaire, au sein d’une société dont les structures classiques de socialisation sont déstabilisées.

5Il nous a semblé d’autant plus intéressant d’approfondir cette grille de lecture du bénévolat que nous avons constaté un écart important entre la centralité du prisme identitaire pour comprendre les engagements que nous avons observés, et la place qui lui est accordée dans les analyses de l’engagement associatif. Il est en effet rarement présenté comme le « rayon laser » (Ferrand-Bechmann, 1992, p. 6) le plus fort pour en comprendre la dynamique. Les bénéfices identitaires sont souvent évoqués à titre de rétributions parmi d’autres, dans un cadre qui distingue plus ou moins explicitement logique de « l’altruisme » et logique de « l’égoïsme » ou du « concernement » (Barthélemy, 2000, p. 208) et s’interroge donc davantage sur la place à accorder aux différentes formes de gratifications, et sur le rôle qu’elles jouent, que sur le processus de leur construction  [1]. Or, dès lors que l’analyse de « l’engagement individuel » entend être attentive aux « raisons d’agir avancées par les individus », elle ne peut ignorer que la « carrière » bénévole s’inscrit dans le cycle de vie individuel et prend un sens dans le cadre de l’inscription de l’individu au sein de plusieurs sous-mondes sociaux (Fillieule, 2001, pp. 199-215). Outre la place des gratifications identitaires, une question centrale pour comprendre le sens des engagements bénévoles est alors celle du processus complexe de leur construction. L’analyse de la démarche bénévole présentée ici se situe dans cette perspective encore peu développée.

6Le travail de recherche qui soutient cette analyse, ayant par ailleurs fait l’objet d’une thèse (Vermeersch, 2002), s’est intéressé à deux associations parisiennes susceptibles d’attirer des publics différents ayant, a priori, des motivations différentes : une antenne des Restos du Cœur qui sert des repas chauds le midi, et une association de quartier du 14e arrondissement, Urbanisme et Démocratie, qui se préoccupe du cadre de vie et de la participation des habitants à son aménagement  [2]. Elles sont toutes deux représentatives de secteurs associatifs aujourd’hui réinvestis en milieu urbain dans l’optique d’un engagement alternatif aux formes traditionnelles d’engagement : un militantisme de proximité – situé à mi-chemin entre le politique, dont il refuse les affiliations partisanes mais garde la dimension idéologique, et le festif – et l’investissement caritatif – désidéologisé mais envisagé malgré tout en référence à l’engagement politique en opposition auquel il se définit. J’ai passé plusieurs années au sein des deux associations, en tant que bénévole, et participé à la plupart de leurs activités quotidiennes. Le choix de l’observation participante ainsi que de la réalisation d’entretiens semi-directifs avec les personnes observées a répondu à un souci de cohérence entre le point de vue adopté – celui de l’acteur – et les méthodes. Recueillir la parole de soi et la parole sur soi est le meilleur moyen d’avoir accès à la manière dont les individus se représentent leur propre engagement, et dans la mesure où le sens subjectif de l’action se construit également dans et par la pratique, l’observation nous a semblé constituer le complément nécessaire de la réalisation des entretiens.

7L’engagement bénévole est en effet abordé ici dans une perspective compréhensive. Les discours des bénévoles sur leur pratique constituent le point de départ de l’analyse. Nous avons en effet considéré les individus pour ce qu’ils sont et surtout pour ce qu’ils disent qu’ils sont. Il ne s’agit pas de dévoiler a priori les sens cachés des discours enregistrés ou des attitudes observées, mais plus simplement de considérer que les identités, leur construction et leur étayage ne peuvent se passer d’un regard sur soi, c’est-à-dire des modalités selon lesquelles l’intériorisation de l’extériorité est perçue et interprétée par les individus eux-mêmes. Cette sociologie compréhensive ne prétend pas épuiser toutes les composantes du fait social associatif, mais entend analyser et éclairer plus particulièrement le sens subjectif que les acteurs donnent à leur engagement. Elle ne cherche pas à se substituer à d’autres analyses des motivations ou des raisons d’agir, qu’il s’agisse de la perspective utilitariste inspirée des analyses de Mancur Olson – qui souligne le calcul individuel en termes de coûts et de bénéfices à supporter ou à tirer de la participation à des formes d’action collective (1978) – ou à l’autre extrémité de l’éventail sociologique, de la perspective structurelle selon laquelle le sens de l’engagement se comprend en le rapportant à la position et à la trajectoire sociale des individus, à leur appartenance à des groupes sociaux. L’approche du bénévolat développée dans le cadre de notre travail n’entend pas ignorer la pertinence d’autres grilles d’analyse, mais veut mettre l’accent sur le vécu des acteurs, sur la construction subjective du sens de l’action, dans la lignée d’une orientation récente des analyses des mouvements sociaux ou de l’activisme individuel  [3].

8Cette attention accordée au point de vue de l’acteur nous a donc conduit à donner une place centrale au processus de construction de l’identité dans le cadre associatif. Cela implique que nous éclairions des concepts centraux dans notre travail : ceux d’affiliation et d’étayage. Ils désignent les deux faces d’un même processus, celui d’une construction de soi constamment en train de se faire et nécessitant pour cela tout à la fois l’insertion au sein de collectifs et un travail permanent d’ajustement de l’identité mise en jeu de façon nécessaire dans ces collectifs. Le travail identitaire est un processus complexe car il s’agit pour l’individu de négocier une identité, au carrefour des principes que les différentes institutions qui jalonnent son existence lui proposent et de son propre travail d’édification du sens. Cette négociation ne s’effectue pas de façon solitaire. Elle suppose au contraire que l’individu soit inséré dans des relations sociales et impliqué dans des interactions, d’où la nécessité de l’insertion dans des collectifs variés. Ce sont les rapports renouvelés à lui-même et à autrui dans ces différents cadres qui vont constituer l’essentiel du travail d’ajustement de l’identité. Cette dernière émerge donc dans la confrontation de l’identité pour soi et de l’identité pour autrui, l’identité pour autrui permettant la confortation ou le réajustement de l’identité pour soi. L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, mais en construction et renouvellement permanent. Les différentes analyses qui s’y attachent soulignent justement ce qu’elle a de construite, que cette tâche soit envisagée comme une « épreuve » (Dubet et Martuccelli, 1998, p. 173), une « expérience sociale » (Dubet, 1994), un « engagement » (Strauss, 1992), ou encore une « négociation » (Dubar, 1998, p. 115). Certes, l’individu dispose de repères assez rapidement, dès l’enfance, qui vont constituer une base à la quête de soi : l’individu « hérite » ainsi d’une identité de sexe, ethnique et de classe sociale par le biais de celle de ses parents (Dubar, ibid., p. 119). Cependant, par la suite il va devoir négocier les identités « attribuées » par les autres et « incorporées » par soi, mais aussi réaliser un « compromis » entre identités « héritées » et « visées » (Dubar, ibid., p. 257). C’est un véritable « travail » (Dubet, 1994, p. 177) que l’individu doit accomplir, car son identité ne lui est pas donnée d’avance mais il doit lui-même la produire et pour cela articuler les différentes sources de son émergence, ainsi que donner un sens à cette articulation. La famille fournit une illustration de la marge de manœuvre dévolue aux individus et du processus de coproduction au cours duquel s’élabore le sens de l’expérience. La dévalorisation de la pérennité du mariage comme l’un de ses objectifs et fondement conduit à une fragilité conjugale certaine, la stabilité du couple étant relative à l’épanouissement que chacun y trouve (Singly, 1993). Les modèles familiaux mais également de contrat entre les partenaires se sont multipliés : familles « classique », recomposée, monoparentale, hétérosexuelle, homosexuelle, mariage, union libre, PACS, etc. Cette plus grande liberté de l’individu face à ses choix de vie et de modes de vie s’accompagne néanmoins d’une valorisation toujours présente du couple comme instrument du bonheur personnel. À chacun de choisir, en fonction des positions, des situations et des parcours objectifs, la configuration qui convient la mieux à sa subjectivité personnelle. La marge d’autonomie s’exerce ainsi au carrefour de l’évolution de la société, des mœurs, des politiques sociales, etc.

9Affiliation collective et « travail » de négociation identitaire sont donc inséparables puisque l’individu doit négocier le sens et les modalités de ses affiliations. Dans le cadre de cet article, nous désignons le travail identitaire mené au moyen de l’engagement bénévole comme un « étayage » dans la mesure où le bénévolat vient véritablement soutenir un processus identitaire jugé défaillant dans le cadre d’une sphère classique d’affiliation. La famille illustre encore une fois de façon pertinente ce qui est en jeu. Elle a en effet renouvelé les modalités de son fonctionnement afin de permettre à l’individu à la fois d’y mettre en œuvre son autonomie, et d’y trouver les ingrédients nécessaires à la quête de soi dont la reconnaissance par un « autrui très proche » constitue un axe central (Singly, 1996, p. 14). Il arrive cependant qu’elle soit perçue comme inadaptée dans le cadre de la construction personnelle. L’individu peut alors se tourner vers d’autres espaces sociaux pour reconstituer une sphère quasi familiale, sur la base d’un certain nombre de similitudes. Par exemple, lors du départ des enfants, des femmes ayant structuré une partie de leur identité autour de leur rôle maternel se trouvent démunies, et l’engagement au sein d’associations où elles peuvent réactiver et réaménager ce rôle leur permet de maintenir l’identité maternelle. Il existe ainsi une liaison intrinsèque entre l’affiliation collective et l’étayage identitaire, qui trouve son soubassement fondamental dans celle de l’individu et la société. C’est par la relation aux autres que les individus se forment et se transforment et que l’individualité prend sens (Elias, 1991).

10Nous avons ainsi mis au jour un double travail de construction au sein des associations étudiées, de collectifs ainsi que d’identités, les deux étant étroitement liés : par son engagement associatif l’individu renouvelle les cadres collectifs qui lui servent à étayer son identité. L’engagement associatif peut donc être envisagé comme une alternative, parmi d’autres, à des structures de socialisation défaillantes ou du moins perçues comme telles. Cet article se propose de présenter une articulation essentielle, située au cœur de l’engagement bénévole, et qui en constitue la clé : en réalisant la jonction entre processus d’individualisation et participation sociale, il est adapté à l’individu moderne, attaché à son autonomie mais non moins lié aux différents « autruis » qui jalonnent son parcours social. C’est selon nous parce que le bénévolat permet de travailler ces deux dimensions essentielles qu’il peut constituer un lieu d’étayage de soi alternatif aux lieux classiques, et à ce titre attrayant.

11L’analyse des entretiens a tout d’abord révélé l’existence d’une double structuration des motivations, non dénuée de dimension paradoxale, autour d’une éthique – conjointement « morale » et personnelle – et d’un « plaisir » omniprésent. L’approfondissement des discours et leur confrontation à des analyses théoriques révèlent la dimension sociale des raisons d’agir à l’œuvre : éthique et plaisir renvoient tous deux, comme à des fondements de leur existence, à une dynamique d’individualisation d’une part, à une volonté de participation sociale d’autre part. Après une brève présentation des dimensions éthiques et hédonistes de l’action, nous détaillerons donc la façon dont individualisation et participation structurent ces dimensions de façon forte. Les raisons d’agir individuelles sont ainsi largement sous-tendues par ces deux dynamiques sociales dont l’articulation constitue le cœur de la signification de l’engagement associatif tel que nous l’avons appréhendé.

Les motivations des bénévoles : éthique et plaisir

12Le discours des bénévoles révèle le double ancrage de leur motivation : éthique et plaisir sont les moteurs de l’engagement associatif. Historiquement et existentiellement, la coexistence de ces deux principes de l’action ne va pas de soi. L’origine religieuse du bénévolat et la place occupée par le don dans la démarche qu’il suppose paraissent mal s’accommoder de la nécessité d’une rémunération sous la forme de gratifications personnelles. Les bénévoles expriment effectivement la contradiction qui peut exister entre le désintéressement constitutif de l’acte de don (Caillé, 1994), qui fonde une grande partie de la valorisation qu’ils tirent de leur engagement, et l’intérêt supposé par la nécessité largement revendiquée du plaisir personnel éprouvé dans et par l’action. La conciliation de ces deux principes d’action constitue le cœur de l’action bénévole et des discours des personnes interviewées.

13L’éthique, telle qu’elle est présentée, se constitue au carrefour d’un devoir moral – « une nécessité d’intervenir dans la Cité »  [4] – imprégné par des principes encore inspirés par une morale religieuse pourtant explicitement rejetée par tous et d’un impératif personnel – « Je ne peux pas vivre sans ça »  [5] – qui ne veut faire dépendre l’individu que de lui-même. Les valeurs évoquées se différencient en deux registres, spécifiques à chaque association en ce qui concerne leur degré d’élaboration tout aussi bien que les thèmes abordés. Cette distinction observée dans la qualité du discours éthique ainsi que dans sa nature s’explique à la fois par le profil socioculturel des membres des associations et bien évidemment par leur différence d’objet et leur orientation plus bénévole pour l’une, plus militante pour l’autre. Aux Restos du Cœur sont privilégiées des valeurs humanistes et universalisantes – « humanité, fraternité, amour, générosité » – permettant de tracer les contours d’un monde d’appartenance commun aux bénévoles et aux bénéficiaires et ainsi de légitimer le geste des premiers envers les seconds. À Urbanisme et Démocratie le répertoire choisi est celui de la citoyenneté et du civisme et c’est alors l’inscription dans la Cité qui fonde l’engagement. Au-delà de cette différenciation des répertoires éthiques, les bénévoles des deux associations privilégient une éthique pragmatique, adaptant leur action aux conditions de faisabilité, d’efficacité et de satisfaction. Tous se retrouvent dans une attitude de dévalorisation de la politique telle qu’elle est menée, voire de l’action publique, rejetant le discours perçu comme stérile et privilégiant l’action en tant qu’elle s’oppose à la parole.

14Le plaisir est la seconde composante essentielle des motivations des personnes interviewées. Il est le résultat de l’engagement, mais aussi la condition et le moteur, en tant qu’il est anticipé – « Ça me plaisait a priori »  [6] – recherché – « On vient faire du bénévolat on vient pas non plus pour s’enquiquiner »  [7] – et constitutif de l’action même – « J’ai la satisfaction de le faire et ça suffit »  [8]. Il émerge d’un double mouvement permis par l’engagement. Tout d’abord la sortie de soi : l’action, l’utilité et la sociabilité sont en effet trois sources du plaisir qui mettent l’individu en relation avec le monde social et avec autrui. D’un autre côté, le plaisir est aussi plaisir pour soi – « Ça me rend heureuse »  [9] –, plaisir d’être soi et de se sentir exister – « Ça m’apporte la tranquillité, c’est bien, je me sens bien »  [10] –, plaisir de celui auquel on donne et qui valorise le soi en tant qu’il est source de plaisir – « T’es content tu procures du bonheur »  [11]. Il est aussi plaisir ressenti dans la reconnaissance de soi par les autres, dans la revendication, en particulier lorsque celle-ci s’éprouve dans des pratiques festives.

15La conciliation par l’action de ces deux principes ne se comprend cependant qu’à condition de considérer les deux dynamiques qui les sous-tendent. Le rapport à l’éthique et au plaisir est structuré tout d’abord par un processus d’individualisation qui guide les modalités selon lesquelles l’individu recherche l’affiliation collective associative et étaye son identité dans ce cadre.

Individualisation, éthique et plaisir

Éthique et individualisation

16La prise en compte d’une dynamique d’individualisation est en effet essentielle dans l’appréhension du rapport contemporain à l’éthique, issu d’un double mouvement d’affranchissement de l’individu et de perte d’un sens exclusif du monde et de l’expérience que l’on peut en faire. Il serait erroné d’interpréter comme désertique le paysage moral contemporain. « Pluralisme moral » (Ehrenberg, 1998, p. 129), « démultiplication des morales » (Mesure et Renaut, 1996, p. 12) semblent caractériser notre rapport aux valeurs qui ne se définit plus comme simple application d’une norme unique et unanimement partagée. Au contraire, en rapport avec l’existence et même « la nécessité » (Elias, 1991, p. 169) de l’individualisation, l’individu se trouve « de plus en plus remis à lui-même » (ibid., p. 168). La dépendance vis-à-vis de différents groupes diminue, dans tous les domaines de la vie sociale et personnelle. À présent, « […] ils ont le choix entre un plus grand nombre de possibilités. Et ils disposent d’une plus large liberté de choix. Ils peuvent bien plus librement décider de leur sort. Mais aussi doivent-ils[12] décider de leur sort. Non seulement ils peuvent[13] devenir plus autonomes, mais ils le doivent. À cet égard ils n’ont pas le choix. » (ibid., p. 169). Une marge de liberté indéniable est octroyée à l’individu qui peut et doit agir de son propre chef, sous sa propre responsabilité, décider pour lui-même. À l’individualisation vient s’ajouter la conscience de l’individualisation et l’attention à la réaliser effectivement dans les comportements et les choix. Cet idéal du moi, non naturel mais socialement construit et appris, consiste « à se détacher des autres, à exister par soi-même et à rechercher la satisfaction de ses aspirations personnelles par ses propres qualités, ses propres aptitudes, ses propres richesses et ses propres performances […] » (ibid., p. 192). La volonté de fonder soi-même le sens de ses propres engagements est ainsi une déclinaison essentielle de la dynamique d’individualisation.

17Et en effet, nous avons constaté à quel point chaque étape de l’analyse du rapport aux valeurs était révélatrice d’une tendance profonde, la volonté de préserver l’autonomie de la subjectivité et la capacité d’agir en toute liberté, indépendamment de la pression de tutelles extérieures. Est écarté ce qui est susceptible de réduire la souveraineté individuelle vis-à-vis de la signification et du contrôle de l’action. Le concept de « répertoires » de valeurs, base éthique commune à tous mais au sein de laquelle chacun choisit la valeur ou son terrain d’application, veut souligner cette autonomie si prégnante. Le rapport aux valeurs paraît davantage individuel que collectif. Ce qui ne signifie ni que les valeurs en elles-mêmes se soient individualisées, ni que ce rapport n’est qu’individuel. Les répertoires existent encore. Il ne s’agit pas d’une absence généralisée de dieux, mais davantage d’un « combat éternel que les dieux se font entre eux » (Weber, 1959, p. 91). Nous n’avons pas non plus affaire à un effacement total de la conscience collective, plutôt à sa diminution vis-à-vis de la conscience individuelle (Durkheim, 1930) et surtout à l’affranchissement de cette dernière. Un affranchissement qui n’est jamais total, tant le contexte normatif social reste prépondérant. Humanisme et citoyenneté, les répertoires éthiques des bénévoles rencontrés au sein des deux associations, ont des socles sociaux indéniables. Les variations individuelles sont circonscrites dans un répertoire dont les grandes lignes sont données par la société. La réelle nouveauté consiste dans la légitimité de la part d’improvisation accordée à chacun ainsi que dans sa revendication, dans la valorisation du caractère individuel de l’improvisation. Chaque bénévole peut et doit choisir lui-même les variations mélodiques de son engagement, et est très attaché à cela. Son discours éthique semble guidé par la volonté de préserver cette part de liberté accordée à sa subjectivité ainsi qu’à sa capacité d’action sur le monde. Par l’engagement il se construit comme individu autonome, du moins se représentant comme tel, en accord avec la prégnance du processus d’individualisation.

Le rejet de la morale religieuse et des « grandes causes idéalistes »

18L’étude des valeurs de l’action associative a fait émerger la difficulté à trouver un épicentre éthique de l’engagement au sein des associations étudiées : imprégnation des valeurs religieuses, explicitement rejetées mais réapparaissant sous une forme laïcisée, considérations sociopolitiques plus ou moins articulées en un système pertinent de légitimation, pragmatisme de l’action soumise à ses conditions de possibilité, et présence d’un devoir conjointement civique et intérieur, etc. Ces traits, pour relativement transversaux qu’ils soient, ne dessinent pas les contours d’une éthique évidente et unanimement partagée. Cette absence de principe véritablement structurant des discours éthiques est à comprendre en référence à la figure actuelle de l’individu aspirant à l’autonomie.

19Il en va ainsi pour le refus explicite de l’influence de la religion, à travers celui de l’assimilation de l’action bénévole à un « sacrifice » ou à un acte de « charité ». La nécessité pour l’individu d’agir selon des principes qu’il s’est lui-même fixés et dont il est en partie le créateur permet d’expliquer comment les bénévoles mêlent fréquemment éducation religieuse – du moins socialisation familiale à la religion – reprise de principes d’inspiration chrétienne – « Je dois aider les autres »  [14], « J’agis par amour des gens »  [15] – et pourtant rejet explicite de l’influence de ces derniers sur leur engagement. Quelle que soit l’influence de la religion sur ses motivations à l’engagement, l’individu ne peut en effet la reconnaître sans perdre la représentation de lui-même comme autonome puisqu’il fait alors dépendre sa conduite de principes extérieurs à lui, édictés par d’autres, qu’il ne ferait que reprendre et appliquer aux situations qu’il rencontre, en l’occurrence l’engagement associatif. L’autonomie existe aujourd’hui sous de multiples dimensions. Elle est un fait, dans le sens où l’individu est effectivement moins dépendant notamment de groupes d’appartenance auparavant très prégnants. Elle est également une représentation valorisée, celle de l’idéal du moi (Elias, 1991). Il s’agit de surcroît d’une norme qui, à ce titre, s’impose aux individus, avec toute l’ambiguïté d’une autonomie hétéronomique que cela suppose. La valorisation de soi passe par la réalisation, du moins la revendication, de l’autonomie. La prise en compte de cet aspect de l’autonomie permet de comprendre l’insistance des bénévoles à refuser toute influence extérieure sur leur motivation, puisqu’ils cherchent à réaliser cet idéal-type de l’individu qui est celui de leur époque. Se profile ici une dernière dimension de l’autonomie : sa mise en scène en tant que composante essentielle de l’individualité. Discours et pratiques liés à l’engagement associatif viseraient à faire la démonstration de soi comme autonome.

20Si les bénévoles semblent soucieux de correspondre à l’idéal de la subjectivité autonome et libre tel qu’il est défini par Norbert Elias, il ne faut pas oublier que liberté et autonomie doivent en tout état de cause se concilier avec les situations offertes par la société. Même si la morale religieuse est dévalorisée notamment en ce qu’elle peut entrer en contradiction avec l’idéal d’un moi souverain, ses principes forment malgré tout une grande partie de l’appareil de légitimation éthique de l’action dans la civilisation occidentale. Or l’action bénévole est propice au déploiement de cette morale. L’individu n’évolue pas hors contexte. À lui alors de parvenir à concilier idéal éthique et idéal du moi. La tension susceptible d’intervenir dans ce travail est d’autant plus forte que si l’action bénévole est un terrain propice au développement de principes moraux religieux, elle l’est tout autant vis-à-vis du déploiement de l’autonomie et de l’activation du libre arbitre, puisqu’elle ne repose que sur la « bonne volonté ». Le bénévolat caritatif met alors directement aux prises morale religieuse et idéal du moi comme libre et autonome, dans un jeu de tension et de conciliation par l’action. En ce qui concerne les bénévoles des Restos du Cœur, qui évoluent dans un cadre associatif particulièrement favorable à la résurgence d’un appareil de légitimation de l’action imprégné de morale religieuse, l’un des soucis lors des entretiens est donc de faire la démonstration de leur autonomie dans le cadre de la justification de leur engagement. La nécessité de réaliser l’idéal du moi qui régit aujourd’hui les comportements explique cette préoccupation et permet de comprendre l’une des principales caractéristiques de l’éthique développée.

21Les bénévoles d’Urbanisme et Démocratie semblent moins concernés par cet aspect, du moins en ce qui concerne l’influence de la religion. Nous avons noté la prégnance de principes sociopolitiques portant sur la conception d’une citoyenneté plus active, au sein d’une société que l’on veut plus juste et gérée par un personnel politique qui serait moins « corrompu ». Vis-à-vis de ces préoccupations, l’autonomie surgit à travers le caractère individuel et pragmatique de l’action. La plupart des bénévoles d’Urbanisme et Démocratie ressentent une insatisfaction vis-à-vis de la politique, qui n’est pas remise en cause du politique, qui les concerne tous  [16]. Ce qui compte est alors le pouvoir de l’individu sur son environnement, jugé insuffisant à travers le système de la délégation tel qu’il fonctionne actuellement : « Le but c’est d’essayer de faire changer les choses autour de moi, choses que je sais pouvoir changer, il y a des choses que j’essaye de changer par mon bulletin de vote, ça change pas trop j’ai remarqué, c’est des choses assez lointaines et il y a des choses plus proches qu’on peut faire évoluer et c’est pour ça que je suis là. »  [17]. La figure que dessine cette adaptation des principes de l’action à leurs conditions d’efficacité est celle d’un individu ayant prise sur un environnement qu’il peut dominer. Le rejet des « grandes causes idéalistes » est aussi celui des causes qui dépassent l’individu et l’inscrivent dans un temps long au sein duquel sa présence non seulement n’est pas nécessairement décisive mais dont il a de surcroît de fortes chances de ne pas voir les conséquences. Ces « grandes causes » renvoient l’individu à sa forte dépendance passée vis-à-vis d’une société au sein de laquelle il occupait une place dont le sens et la légitimité le dépassaient et étaient donnés antérieurement à sa présence et à son action. À présent l’individu maîtrise le monde, du moins sait qu’il le peut (Weber, 1959, p. 70), et le perçoit donc à travers le prisme de ce pouvoir sur lui. Sont éliminées les valeurs ne donnant pas prise à cette domination et ne procurant pas à l’individu l’occasion d’éprouver son contrôle sur son environnement. Au contraire, la valorisation de la proximité et du quartier est aussi valorisation d’une capacité d’action autonome de l’individu : elle est action directe, dont on décide soi-même des principes et des modalités.

22L’individualisation du rapport aux valeurs qui se dessine ici, puisque la subjectivité doit être souveraine vis-à-vis des commandements moraux, n’implique pas que les valeurs elles-mêmes soient individualisées et ne se rapportent qu’à l’individu. L’individu a à sa disposition des appareils idéologiques de justification de l’action, morale religieuse laïcisée, grands idéaux généralistes produits par des structures politiques, et plus généralement il est imprégné des valeurs diffusées par toute société. Cependant, en accord avec la valorisation contemporaine de l’autonomie et de la libre subjectivité, il se doit de construire de la façon la plus indépendante possible la signification de son action. Il n’est donc pas seul face à ce travail mais il doit parvenir à réaliser, au sein d’une pluralité et d’une multiplication des sources de sens, l’idéal du moi qui est la norme des comportements.

Des « répertoires » de valeurs

23L’analyse des valeurs évoquées par les bénévoles des Restos du Cœur et d’Urbanisme et Démocratie a permis de dégager l’existence de deux répertoires majeurs, humanisme et universalité d’un côté, citoyenneté de l’autre. Le répertoire désigne les modalités d’action que des individus ou des groupes d’individus ont à leur disposition, les « moyens d’agir en commun sur la base d’intérêts partagés » : faire la grève, manifester, fonder une association, etc. « Ces différents moyens d’action composent un répertoire[18], un peu au sens où on l’entend dans le théâtre ou la musique, mais qui ressemble plutôt à celui de la commedia dell’arte ou du jazz qu’à celui d’un ensemble classique. On en connaît plus ou moins bien les règles, qu’on adapte au but poursuivi. » (Tilly, 1986, p. 541). Les répertoires d’action varient selon les époques ainsi que selon les lieux et suivent les évolutions structurelles majeures des sociétés. L’un des intérêts de cette notion est ainsi de contextualiser le choix de l’action collective. De plus, le répertoire associe l’idée de préexistence et la possibilité d’innovation, comme dans le jazz, où la présence des standards n’empêche pas l’improvisation mais en constitue au contraire la base. L’utilisation de cette notion pour désigner l’existence de valeurs accessibles aux bénévoles dans le cadre de la légitimation éthique de leur engagement associatif permet de souligner la prégnance du contexte éthique, et de faire se côtoyer des valeurs déjà données et l’affranchissement par rapport à ces valeurs. Ainsi le répertoire ne circonscrit pas entièrement l’éthique puisque les individus sont susceptibles de s’écarter de la définition initiale qui en est couramment donnée, pour la modifier, l’interpréter, et surtout pour se l’approprier. Il permet de concilier la nécessaire mise en œuvre de la subjectivité individuelle, en accord avec l’idéal du moi, et le contexte éthique social avec lequel l’individu doit nécessairement composer.

24On peut considérer qu’un répertoire constitue le fond commun de l’éthique de l’engagement associatif et représente le trait d’union entre les différentes valeurs énoncées. C’est bien en ce sens que nous avons synthétisé l’amour, la fraternité ou l’humanité par la notion d’humanisme, et les différentes figures de l’investissement au sein de la Cité par celle de citoyenneté. Humanisme et citoyenneté constituent deux répertoires dans lesquels les bénévoles vont puiser et qui leur sont communs, mais au sein desquels chacun effectue un choix conforme à ce qu’il estime être sa conception personnelle de la signification de son action.

25Jusqu’à quel point les répertoires de valeurs sont-ils prégnants vis-à-vis des significations individuelles de l’action ? Le répertoire, en liaison avec la valorisation de la subjectivité, reconnaît la possibilité et même la nécessité de construire seul le sens de l’engagement. Mais cette marge d’improvisation prend parfois le pas sur la partition commune à tous. En effet, aux Restos du Cœur, le répertoire humaniste et universaliste ne concerne pas tous les bénévoles. Certains n’évoquent aucun principe de manière explicite et formalisée. De surcroît, peu de valeurs sont en fait communes à tous les bénévoles et aucune n’est reprise par tous. Si la notion de répertoire comporte l’avantage de mettre en évidence ce qui relie les valeurs, en l’occurrence leur caractère humaniste et universaliste, en revanche l’accent porté sur ce qui leur est commun est susceptible de masquer la différenciation des discours éthiques : la partition commune s’efface en partie devant l’hétérogénéité des improvisations individuelles. L’analyse peut ainsi privilégier la similitude des valeurs ou ce qui les sépare. Pour notre part, nous retiendrons conjointement les deux caractéristiques : une commune inspiration réunit les bénévoles, n’allant pas cependant jusqu’à produire un discours unique. On note en outre le caractère sommaire de l’appareil justificatif : les valeurs sont peu détaillées, justifiées, expliquées. Le répertoire n’est pas très étoffé en ce qui concerne le contenu des valeurs, autrement dit les improvisations paraissent assez pauvres. D’autant plus que derrière des appellations identiques se trouvent parfois des sens différents, qu’il s’agisse d’un « devoir » impératif pour certains, relatif pour les autres, ou de la « fraternité », état inaccessible vers lequel il faut tendre ou état de fait imposant un comportement spécifique.

26Ce répertoire commun, défini de manière large comme un humanisme moderne et universel n’imprègne pas tous les discours bénévoles, donne lieu à des improvisations mélodiques peu étoffées, jouées dans des ordres différents. On y retrouve des accords majeurs, mais la nature même des notes qui les composent change. La faille principale dans ce répertoire peu étoffé réside dans les variations d’interprétation des valeurs exprimées : chacun semble amené à produire sa propre interprétation, à partir d’un canevas réduit au minimum.

27Du côté des bénévoles d’Urbanisme et Démocratie, le répertoire de la citoyenneté concerne toutes les personnes interrogées. Une conception commune du rôle de l’habitant au sein de la ville, de l’individu au sein de la société, semble animer les bénévoles et légitimer leur engagement associatif. Tous paraissent d’accord si ce n’est sur les fondements, du moins sur la légitimation de leur participation. Une grande homogénéité idéologique est certainement responsable de ce consensus, homogénéité que l’on ne retrouve pas aux Restos du Cœur. Toutes les positions politiques sont ainsi représentées chez les bénévoles de l’association caritative, l’amplitude de la palette politique court du désintérêt total et de l’impossibilité de se situer sur un axe droite-gauche, à l’énonciation de propos à caractère raciste, en passant par la revendication de positions de droite ou de gauche. On ne trouve pas aux Restos la conscience d’une communauté d’opinions politiques assez prégnante contrairement à Urbanisme et Démocratie. Cette convergence de points de vue crée une base de réflexion commune aux membres de l’association. Il semble possible d’établir un parallèle entre d’un côté la moindre prégnance du répertoire éthique aux Restos du Cœur et la variété de la palette politique, et de l’autre côté la réelle transversalité du répertoire de la citoyenneté à Urbanisme et Démocratie et la faible variation des positions politiques. L’homogénéité idéologique semble ainsi garante d’une certaine homogénéité éthique. Comme si elle était la clé de sol ou de fa qui garantit que les joueurs interprètent la position d’une note de la même façon.

28Par ailleurs, le répertoire de valeurs que l’on peut globalement rapporter à la citoyenneté soutient un discours de légitimation de l’action plus étoffé, dans l’ensemble, que ne l’est celui des bénévoles des Restos du Cœur. La plupart des bénévoles d’Urbanisme et Démocratie développent des argumentaires portant sur la politique urbaine, leur vision de la société, du monde politique, les problèmes de démocratie locale, etc. Pour autant, les bénévoles d’Urbanisme et Démocratie ne parlent pas d’une seule voix et ne privilégient pas les mêmes thématiques dans leur engagement. Si la faille dans le répertoire des Restos du Cœur se situait dans l’interprétation différente de valeurs similaires, celle d’Urbanisme et Démocratie réside notamment dans les divergences entre les terrains d’application des principes éthiques. Disons alors que l’improvisation, si elle est sujette à moins de variations que lors de l’interprétation par les bénévoles des Restos du Cœur, n’est pas effectuée dans les mêmes lieux. Certains rejettent tout « localisme » et voient dans l’association la « déclinaison locale d’un mouvement social »  [19] : « C’est jamais seulement sauver un centre social pour sauver un centre social, c’est toujours rattaché aux problèmes du quartier en général mais aussi de la Cité en général, enfin tout le problème de la politique sociale de la ville, c’est comme ça qu’il faut aussi je pense envisager les choses, c’est pas simplement une mobilisation très localiste. »  [20]. D’autres considèrent le quartier comme l’horizon privilégié de l’action : « Venir à UD ? Je dirais que c’est m’ancrer dans le quartier c’est-à-dire que j’ai pas une vision très grandiose d’UD ou de la vie associative, je suis pas du genre les lendemains qui chantent. »  [21]. On assiste à un même décalage en ce qui concerne les thématiques privilégiées. Pour certains, la fermeture d’un centre social – contre laquelle s’est battue l’association – fut un « déclic »  [22], alors que d’autres n’en feraient pas leur « cheval de bataille »  [23]. Quand certains se sentent concernés par « les histoires de circulation »  [24] et de pollution, d’autres critiquent ce même axe de travail, qualifié d’« écologiso-pollutiono-machin »  [25].

29Ainsi, la relative prégnance du thème de la citoyenneté, la récurrence de justifications sociopolitiques riches et similaires de l’action, soutenues par une grande homogénéité idéologique, n’empêchent pas les divergences quant aux terrains d’application des valeurs et aux thématiques qu’elles sont censées fonder. Comme aux Restos du Cœur, il semble que le répertoire majore la part de l’improvisation individuelle et minore celle de la partition commune à tous, mais dans des proportions différentes cependant. Les accords majeurs sont dans l’ensemble davantage communs aux bénévoles d’Urbanisme et Démocratie, ce qui ne les empêche pas de changer quelques notes, tout en respectant la clé initiale. Les mélodies sont également plus riches en ce qu’elles comportent plus de notes, mais elles vont être jouées dans des lieux choisis par chacun, le quartier, la ville, la Cité.

30Le rapport à l’éthique des bénévoles des Restos du Cœur et d’Urbanisme et Démocratie se révèle profondément tributaire de la nécessité pour les individus de se réaliser et de se présenter comme autonomes vis-à-vis de la signification de leur action. L’affiliation collective, en l’occurrence associative, ne se fait pas sur le mode de la fusion et de l’adhésion à des valeurs préconstruites, mais au contraire sur celui de la distanciation et de l’individualisation. L’hétéronomie supposée par la reprise de grands principes religieux ou politiques explique la valorisation inverse d’une action concrète, directe et pragmatique. Cette affiliation en grande partie « désidéologisée » est nécessaire dans la mesure où l’étayage de l’identité qu’elle supporte doit permettre à l’individu de se représenter comme subjectivité libre et autonome. Les conséquences de la dynamique d’individualisation se font en effet sentir bien au-delà de la seule sphère éthique, et plus particulièrement au niveau de la construction identitaire. Or, la latitude que le bénévole rencontre – et demande – en ce qui concerne le sens éthique de son engagement associatif s’adapte au fort investissement personnel que requiert le travail sur l’identité : si son expérience doit faire sens avant tout pour lui, alors l’absence de principe imposé et transcendant se prête à cette personnalisation des principes de l’action, et l’individualisation du rapport aux valeurs est alors congruente avec l’individualisation de la construction identitaire. Les modalités contemporaines de l’étayage identitaire – la réalisation d’un moi autonome – structurent ainsi en partie celles de l’affiliation collective associative, du moins en ce qui concerne la construction de ses dimensions éthiques. Et nous allons voir qu’elles sont tout autant structurantes vis-à-vis du plaisir.

Plaisir et individualisation

31L’analyse du rôle du plaisir au sein de l’engagement associatif est délicate dans la mesure où il s’agit d’une notion non sociologique, qui implique le désir et relève à ce titre davantage de la psychologie et de la part la plus personnelle de l’individu. Le plaisir a-t-il alors sa place dans une approche sociologique de l’engagement associatif ? À notre connaissance, les analyses de l’engagement individuel ne se sont jamais arrêtées sur le plaisir en ce qu’il peut constituer une motivation de l’engagement. Est-il possible, ou nécessaire, de lui substituer un autre concept jugé plus adéquat ? Les sources essentielles de ce plaisir associatif sont l’action, l’utilité et la sociabilité. Ceci ne constitue pas une nouveauté concernant l’engagement associatif, ni une surprise. Il nous a semblé que ces motivations étaient moins importantes en tant que telles que parce qu’elles sont justement sources de plaisir. C’est de la prise en compte de la centralité du plaisir que découle non seulement sa dimension sociologique – sa valorisation contemporaine comme motivation de l’action s’inscrit dans un courant social qui le dépasse largement – mais également la tension fondamentale inhérente à l’engagement bénévole, entre une éthique historiquement constitutive de la signification du bénévolat et une jouissance ressentie dans et par l’action que la prégnance de l’éthique a justement longtemps contribué à passer sous silence. L’occultation du plaisir dans l’analyse conduit ainsi à ignorer tout un pan actif du travail de construction du sens de l’action par le bénévole lui-même.

32L’étude du plaisir a en effet mis en évidence son rôle moteur dans l’engagement associatif, car il est à la fois le résultat et la condition de l’action : « Je fais pas un sacrifice, j’y vais pour me faire du bien, on vient faire du bénévolat, on vient pas non plus pour s’enquiquiner, j’y vais avec plaisir… si ça devenait trop moche, à ce moment-là je ferais autre chose. »  [26]. Avant tout plaisir pour soi, c’est en partie dans un mouvement de retour sur soi et de reconnaissance de soi que se situe son origine. L’individu se trouve au centre du plaisir associatif, et les modalités de ce rapport essentiel individu/plaisir ne peuvent s’appréhender indépendamment de la dynamique d’individualisation, et du type d’individualité, aspirant à une autonomie qui s’impose comme norme des comportements, qu’elle fait émerger.

33En effet, la dynamique d’individualisation et l’exigence faite à l’individu d’être responsable de ses choix ont des conséquences au-delà de la sphère de l’éthique et du rapport aux valeurs. L’autonomie s’affirme dans toutes les sphères de l’existence, particulièrement au niveau de la construction identitaire. Le sujet, aujourd’hui dans l’obligation de se percevoir comme l’auteur de sa vie en liaison avec l’importance accordée à l’autonomie, est confronté à la difficulté d’élaborer son soi et d’en trouver le sens. Nous avons déjà souligné que l’identité personnelle n’est pas donnée ou naturelle, c’est à chacun de la produire et de lui conférer un sens, dans une confrontation sans cesse renouvelée aux conditions sociales de son émergence, institutions et rapports interpersonnels. Or la montée en puissance de l’autonomie est d’autant plus exigeante qu’elle a des conséquences à deux niveaux : non seulement l’individu joue une part plus active dans la construction de son identité, mais, au-delà des repères objectifs dont il hérite ou qui jalonnent son parcours, il doit également lui conférer un sens relevant de sa propre subjectivité.

34Par conséquent, dès lors que le rapport à soi tient effectivement un rôle fondamental dans l’émergence du plaisir pris à l’engagement associatif – « Je vais parler pour moi, mais il me semble que dans le bénévolat il y a aussi on se fait plaisir à soi-même, je pense qu’il y a une part de on se fait plaisir à soi-même. »  [27] – ce plaisir semble fortement soutenu par la dynamique d’individualisation, responsable de l’idéal du moi qui guide les modalités du rapport à soi et le valorise. Le plaisir est en partie l’expression d’une négociation identitaire, dont l’engagement associatif est envisagé comme l’un des lieux possibles : en tant qu’espace d’exercice et de valorisation de l’autonomie, l’association constitue ainsi potentiellement un lieu privilégié d’étayage de l’identité, dont le plaisir est l’expression ainsi que le support. L’utilisation de l’espace associatif par les femmes, afin de marquer un territoire personnel vis-à-vis de leur conjoint, illustre bien la façon dont l’engagement bénévole vient supporter, aider à la réalisation de l’idéal du moi contemporain, et dont le plaisir émerge de la constitution de cet espace de liberté : « J’aime bien avoir mon coin de vie aussi, j’en ai marre de tout partager, de tout mettre en commun, déjà que je vis avec lui je vais pas non plus me le traîner tout le temps, faut pas exagérer, et puis c’est aussi pour la part de chacun son monde, moi j’aime bien cette idée de temps en temps, parce que c’est horrible sinon, moi je peux pas, j’aime bien avoir mon petit coin. »  [28]

35Conjointement à l’accent porté sur la construction de l’individu, la dynamique d’individualisation a fait émerger la légitimité de l’attention portée à soi-même. L’identité du je a acquis une place inédite, qui explique la légitimité acquise par le plaisir personnel. La véritable évolution dans le rapport au plaisir dans le cadre d’un acte de don ne réside sans doute pas tant dans la présence de celui-ci, mais plutôt dans la facilité apparente avec laquelle les personnes rencontrées évoquent cette présence. La conception originaire du don judéo-chrétien, bien que déjà asymétrique puisque l’inconditionnalité du don est payante ultérieurement (Caillé, 1994), valorisait néanmoins la gratuité du geste, son désintéressement vis-à-vis d’un contre-don immédiat. Elle ne semblait pas alors pouvoir côtoyer aisément un éventuel plaisir personnel tiré de l’acte de don et constituant ainsi un contre-don immédiat, d’autant plus dommageable qu’il introduit l’égoïsme au cœur d’un engagement tirant sa valeur de son caractère altruiste et désintéressé. Certes, la centralité de cette focalisation sur l’individu, à travers la place prise par le plaisir, ne va pas sans tension, et l’on peut remarquer celle qui parcourt certains discours, entre une reconnaissance de la part du plaisir pour soi – « Ça me rend heureuse »  [29], « On se sent bien »  [30], « Ça nous fait plaisir »  [31], « Je prends des super pieds dans les discussions »  [32], « Je m’amuse à faire ça »  [33] et l’image d’un bénévole « altruiste » et désintéressé : « Vraiment je me sacrifie pas pour l’association… horrible le mec ! »  [34]. La légitimation du rapport à soi n’implique pas la disparition de toute autre valeur de l’action, et la cohabitation de ces deux légitimités apporte autant d’indications sur la nouveauté d’une reconnaissance de l’individu comme principe central de l’action que sur la pérennité de principes plus anciens.

36La nouveauté réside également en grande partie dans le déplacement du lieu d’émergence du plaisir dans le cadre du rapport à soi. Dans une société où les valeurs se sont multipliées et diluées, où les grandes représentations collectives apparaissent affaiblies parce que floues, le plaisir n’émerge pas de l’adhésion à des valeurs sur le mode de la fusion, mais bien de la coproduction de ces valeurs par l’individu et les autres. Dès lors que l’individu doit prendre une part active à la construction du sens de son expérience, qui consiste notamment à définir les valeurs de son engagement, alors le plaisir qu’il va tirer de son action émerge bien en liaison avec le caractère actif de cette définition en opposition à la soumission à des principes non édictés par lui-même : « La politique ça m’intéresse à un niveau local parce que tu as vraiment moyen d’agir, faire la politique au sens de gérer les problèmes d’un coin, mais non, militer dans un parti, ça veut dire quand même qu’il faut que t’adhères à un ensemble d’idées et c’est un peu contre ma conception, tu es obligé quand même de renoncer sinon à certaines de tes idées du moins à les mettre en sourdine tu peux pas forcément adhérer à 100 % à tout ce que propose le parti. »  [35].

37À la lumière de la dynamique d’individualisation, la légitimité et le positionnement récent de la dimension hédoniste de l’engagement prennent une dimension nouvelle. Ils s’inscrivent dans le cadre d’une évolution sociale qui inclut différentes modifications. Celles du type d’individualité, de la situation de l’individu au sein de la société et des rapports qu’il entretient avec elle et les autres. Il y a également modification de la place qu’il occupe dans la production des valeurs et normes d’orientation de l’action, ainsi que des modalités de la construction identitaire. Les processus de production de la société par elle-même changent, puisqu’ils se déroulent aujourd’hui par la participation active de toutes ses composantes. La centralité de l’individu au sein de ces dynamiques explique celle du plaisir qu’il prend et assume dans le cadre de ses différents engagements, notamment associatif.

38Ainsi, derrière le plaisir éprouvé par l’engagement associatif, l’identité de l’individu est en jeu de façon plus ou moins globale : au minimum, il est le signe que le rapport à soi est engagé dans l’action, le plaisir renvoyant au soi qui l’éprouve et qui s’éprouve dans son autonomie et sa singularité, au maximum il indique que l’engagement constitue un lieu essentiel du processus d’étayage de l’identité. Parmi les bénévoles que nous avons rencontrés au sein de l’association de quartier, le président est celui qui éprouve le plus de plaisir dans l’action, du moins qui revendique le plus explicitement et le plus fréquemment son plaisir, or il est également celui dont l’identité personnelle se confond le plus avec l’identité construite dans le cadre de l’action : « Il faut pas que je parle des désordres psychanalytiques et névrotiques mais je suis persuadé que de toute façon il n’y pas de bénévolat, c’est un échange, on fait pas de sacrifice de son temps libre ou de sa personne sur l’autel associatif ça existe pas, et chacun y retire quelque chose […] je vais te dire un truc un peu personnel, mais moi c’est vrai que la chose que j’ai le mieux réussi dans ma vie c’est l’association pourtant j’essaie de faire très attention en même temps de pas tomber dans un truc où c’est mon bébé et puis pas lâcher. »  [36]. À 25 ans, ce militant n’exerce pas de réelle activité professionnelle, s’occupe d’Urbanisme et Démocratie les trois quarts de son temps, et trouve à travers cette activité une reconnaissance sociale importante. Socialement, il existe essentiellement en tant que président d’Urbanisme et Démocratie, dans la mesure où il y puise un statut quasi professionnel, un prestige, au moins local, non négligeable, et un grand nombre de ses relations amicales. Dès lors, la « jouissance » – terme qu’il utilise fréquemment – tirée de l’action associative n’est autre que la « jouissance » d’un soi qui trouve dans l’engagement un grand nombre de ses composantes. De la même façon, le responsable des Restos du Cœur déclare avec émotion : « Ça m’apporte la tranquillité, c’est bien, je me sens bien, tu vois hier soir samedi soir je rentrais de Gennevilliers […] je me suis dit “Tiens je vais aller voir mes copains du lundi”, parce que j’ai fait le lundi déjà là-bas, et j’ai retrouvé le chef, c’est pratiquement le seul que j’ai retrouvé, celui qui est responsable du lundi là-bas, j’étais bien, j’ai retrouvé les gars, “Bonjour”, ça, c’est là où tu trouves la satisfaction tu vois c’est que les gars “Ah tiens Étienne t’es là”, ça leur fait plaisir. »  [37]. Or, à l’instar du président d’Urbanisme et Démocratie, l’identité d’Étienne s’est quasiment totalement réorganisée autour de son identité associative : il dit y avoir trouvé une famille, des amis, un travail, qui lui ont apporté de l’affection, un rôle et un sentiment d’utilité et de valorisation de soi, une sociabilité… Il y a là, selon nous, non pas une coïncidence entre l’expression du plaisir et l’étayage identitaire, mais une relation de cause à effet, et le plaisir éprouvé et revendiqué est celui de l’étayage de soi par l’engagement bénévole qui permet au soi de s’affirmer et de se faire (re)connaître selon des modalités congruentes avec l’idéal du moi contemporain.

39L’individualisation, entendue comme valorisation d’un moi autonome et légitimé dans l’attention portée au soi et à sa construction, est profondément structurante des deux dimensions essentielles de la signification de l’engagement bénévole, l’éthique et le plaisir. Cependant, l’individualisation du rapport aux valeurs ainsi que la prégnance du rapport à soi et du travail identitaire ne permettent pas de conclure à l’absence d’une dimension sociale au sein de l’engagement associatif. L’individualisation du rapport aux valeurs n’est pas l’individualisation des valeurs, et la focalisation de l’individu sur lui-même n’exclut pas une recherche de participation sociale. La légitimité accrue de l’attention à soi, de la réappropriation par l’individu de la signification de ses engagements, coexiste avec la reconnaissance par ce même individu de valeurs collectives ainsi qu’avec la nécessité pour lui de s’intégrer au sein d’un collectif. L’étayage identitaire, guidé par l’acquisition de l’autonomie, se réalise nécessairement par une affiliation, en l’occurrence associative. L’éthique et le plaisir sont ainsi tout autant structurés par une dynamique de participation que par celle de l’individualisation.

Éthique et participation

40Les valeurs rassemblées au sein du répertoire humaniste et universaliste commun aux bénévoles des Restos du Cœur transcendent les appartenances et identités particulières pour les fondre au sein d’une appartenance commune, le genre humain. Cela correspond en partie à la nécessité pour les bénévoles de trouver un point de contact entre leur univers et celui des bénéficiaires, leur relation étant d’emblée caractérisée par la distance, l’appréhension, voire la méfiance, « Je sais que les sdf j’en avais plutôt peur. »  [38]. L’universalisation des destinataires – « Il faut aider les gens », « aider quelqu’un » – et des principes – « l’amour », « la fraternité » – permet de s’engager dans une action envers des personnes inconnues. La distance sociale existant entre les bénévoles des Restos du Cœur que nous avons rencontrés et le public des bénéficiaires introduit sinon une rupture entre les deux mondes au sein desquels ils évoluent, du moins une absence totale de point de contact si ce n’est au sein de l’espace public sous la forme de la coprésence. Dès lors, la démarche des bénévoles vers des personnes qu’ils ne connaissent pas, et dont ils ignorent tout, doit s’appuyer sur la perception d’une commune appartenance définie à un niveau très large (humanité, fraternité), ou encore sur l’existence d’un sentiment universel (amour), susceptible de transcender les différences et de soutenir l’instauration d’un contact. À l’instar du fonctionnement social qui nécessite l’établissement de grandeurs équivalentes afin d’autoriser un compromis entre des personnes s’orientant selon des systèmes de valeur différents (Boltanski et Thévenot, 1991), il s’agit ici de soutenir le rapprochement de personnes évoluant dans des mondes régis par des règles différentes et n’entretenant aucun rapport. L’humanité, la fraternité ou encore l’amour, en raison de leur universalité, permettent l’établissement d’une relation car ils dessinent les contours d’un autre monde dans lequel bénévoles et bénéficiaires sont égaux, et à ce titre susceptibles d’entrer en relation : « J’estime qu’on est tous sur une terre qu’on est tous à égalité et que donc quand tu vois quelqu’un dans la merde tu tournes pas le dos. »  [39]. Si le rapport aux valeurs s’individualise nettement, les valeurs ne sont pas individualisées pour autant et représentent au contraire une ouverture de l’individu vers des niveaux plus larges d’affiliation. L’affiliation ultime, à l’espèce humaine, est même parfois conditionnée par l’engagement associatif : « On ne peut pas, on ne doit pas laisser quelqu’un crever de faim, être privé de nourriture, quand on sait ce que l’on jette tous les jours à Rungis, dans tous les magasins tous les jours, c’est pas possible, ça c’est pas possible, sur ce plan-là on ne peut pas être humain, on peut pas être un homme, on est hors de l’espèce quoi parce que, j’en sais rien si c’est une notion de défense ou autre mais moi je me sens véritablement membre d’une espèce, y a plein de différences dans l’espèce mais déjà je peux pas être indifférent à un autre membre de cette espèce. »  [40].

41Le répertoire de la citoyenneté des bénévoles de l’association de quartier renvoie quant à lui à plusieurs niveaux de réalité sociale. Le quartier se trouve ainsi au centre des préoccupations d’un certain nombre de personnes interviewées : « Pour m’ancrer dans le quartier. »  [41], « Ça vient par un amour et une appropriation du quartier. »  [42]. À ce premier niveau, l’engagement est citoyen parce qu’il suppose et autorise la participation du bénévole à un collectif local dont les contours sont les limites du quartier. La participation mais aussi la relation : certains évoquent « le rapport social », « les rapports entre les gens » comme l’un des enjeux sous-jacents aux questionnements de l’association : « C’est une façon d’être en prise sur la vraie vie du quartier, de voir des gens de milieux sociaux différents, d’être en lien avec eux. »  [43]. De cette manière, si l’engagement est un instrument d’inscription au sein d’un collectif, il permet de créer un lien entre les participants à ce collectif. De plus, le quartier n’apparaît pas comme une entité isolée. Médiateur de l’inscription au sein de la société, il est également relié à la ville et il semble que la citoyenneté urbaine détermine justement la citoyenneté locale. La vie du citoyen dans la ville implique sa participation aux affaires du quartier : « Ça fait partie de la vie du citoyen dans la ville quelque chose comme ça, soutenir des choses qui sont importantes dans un quartier, qui me paraissent importantes. »  [44]. Autre échelon, l’exercice du vote, qui dessine l’espace de la citoyenneté nationale, et auquel tous les membres d’Urbanisme et Démocratie sont attachés, autorise celui d’une citoyenneté locale : c’est parce que l’individu vote qu’il peut revendiquer un droit de regard, voire d’influence sur son environnement. « Parce que je pense que si tu votes pas t’as pas le droit de gueuler… c’est peut-être un peu bête mais si tu votes… tu peux pas à la fois militer, te sentir concerné et puis… il y a évidemment d’autres moyens d’action que le vote mais celui-là c’est un acte assez fondamental donc si tu l’accomplis pas, bon je dis pas, c’est une importance qui est plus symbolique qu’autre chose mais, je dis pas que c’est mon vote qui va faire basculer le cours de… mais c’est ce qui me donne le droit de me sentir intéressé dans les affaires de la Cité parce que c’est le seul, c’est le seul poids direct que j’ai… si je vote pas après je peux toujours coller des affiches, mais enfin je sais pas j’aime pas le maire le seul moyen que j’ai de lui dire c’est de le mettre à la porte et le seul moyen de le mettre à la porte c’est de voter contre lui. »  [45]. Nous avons ainsi affaire à une cascade d’échelles de la citoyenneté, chaque palier tirant sa légitimité du palier supérieur : c’est parce que l’on exerce sa citoyenneté nationale que l’on peut activer la citoyenneté urbaine, et parce que l’on est citoyen urbain que l’on peut mettre en œuvre la citoyenneté locale, à l’échelle du quartier. Les différentes échelles d’intervention s’imbriquent dans une nécessaire complémentarité. La citoyenneté se présente comme une intervention de l’individu au sein des affaires de la Cité définie à différents niveaux, du plus local au plus global, quand l’association est envisagée comme instrument d’une « lutte contre le libéralisme »  [46]. Elle est aussi participation et lien, permettant et supposant tout à la fois l’inscription au sein des collectifs. Intervention et participation définissent les deux sens de la citoyenneté telle qu’elle est évoquée par les bénévoles en tant que principe de leur engagement. Il s’agit pour eux d’agir sur un collectif et avec d’autres personnes.

42À l’instar du répertoire humaniste et universaliste, la justification de l’engagement par la citoyenneté renvoie à un au-delà de l’individu. Celui-ci se trouve inscrit au sein d’un collectif sur lequel il a, ou peut acquérir, un certain pouvoir, et relié à d’autres individus avec lesquels, ou pour lesquels, il agit. L’environnement des bénévoles rencontrés est profondément social. S’ils sont en partie focalisés sur le travail identitaire, soucieux de se réapproprier le sens de leur engagement, ils prennent aussi en compte une collectivité aux frontières plus ou moins délimitées, du quartier à l’humanité, à laquelle ils estiment appartenir et sur laquelle ils désirent agir. L’affiliation associative suppose ainsi d’autres niveaux d’affiliations, plus larges. C’est parce que l’individu appartient de fait à d’autres collectifs ou désire s’inscrire plus fortement en leur sein qu’il s’engage au sein d’une association. L’association est tributaire des différentes appartenances – ou velléités d’appartenance – de l’individu bénévole, tout autant qu’elle l’est vis-à-vis de la nécessité qui lui est faite de réaliser ces affiliations de façon distanciée et autonome. L’éthique bénévole constitue ainsi une forme de conciliation de l’intégrité d’une subjectivité libre et maîtresse de ses engagements – notamment en se développant au sein de répertoires collectifs autorisant les improvisations individuelles – avec les différents niveaux d’affiliation auquel l’individu ne peut pas – et ne veut pas, la plupart du temps – se soustraire.

Plaisir et participation

43Le plaisir est également traversé par une articulation majeure entre deux tendances apparemment contradictoires mais conciliées dans et par l’action. Il est en effet jouissance du rapport à soi, de l’épreuve de soi qui s’affirme dans ses rapports aux autres et à soi-même. Mais il est aussi extatique, lié à une sortie de soi vers les autres constitutive de la volonté d’agir sur le monde, d’y trouver une place et un rôle, et de se mettre en contact avec autrui généralisé ou identifié. Le rapport à soi est d’ailleurs lui-même indissociable d’un arrière-plan social et d’un horizon dialogique sans lesquels l’individu ne peut construire son identité. Le plaisir renvoie ainsi nécessairement à un autrui de l’individu et définit une volonté ainsi qu’une nécessité de participation sociale.

44Tout d’abord, l’analyse des sources du plaisir révèle qu’il est plaisir de l’action, de l’utilité de soi, et de la sociabilité. L’agir tout d’abord, comme mise en mouvement concrète au sein d’un milieu social sur lequel il est susceptible de produire des modifications, est une source de plaisir profondément sociale : il ne peut s’envisager indépendamment d’un environnement qui lui donne son sens. La dimension extériorisante de l’action, en tant qu’elle est une ouverture vers le monde, – « Je veux m’engager, j’ai envie d’ouvrir les fenêtres. »  [47] – ainsi que l’importance accordée à ses conséquences concrètes – « Je pensais à ce genre d’activités, c’est-à-dire faire quelque chose qui soit pas intellectuel, moi je me plais dans le concret. »  [48] –, inscrivent profondément l’engagement au sein d’un milieu social. L’agir est agir-vers et agir-sur ce milieu, faisant de ce dernier tout à la fois le destinataire et l’objet de l’action. L’une des principales sources du plaisir comporte ainsi une dimension intrinsèquement sociale car elle est liée à l’instauration d’une relation entre l’individu et le monde qui l’entoure. D’ailleurs, les bénévoles des Restos du Cœur opposent leur engagement entendu comme activité – « faire quelque chose » – au fait de rester chez eux, seuls : « […] et donc j’ai éprouvé le besoin de ne pas rester repliée seule chez moi. »  [49], « J’avais un travail de deuil à faire, c’était terrible, et puis me retrouver entre mes quatre murs. »  [50].

45À ce titre, l’agir paraît être en rapport avec la sociabilité, sans pour autant s’y réduire. Il ne s’y réduit pas car certaines de ses caractéristiques, notamment en tant qu’il est action sur le monde, vecteur de modifications concrètes et visibles, lui sont spécifiques. Mais l’étude de la sociabilité permet de préciser la nature d’autrui vers lequel l’agir est orienté en tant que dynamique d’extériorisation de l’individu. La généralisation côtoie alors l’identification des individus avec lesquels les bénévoles désirent établir une relation : l’agir est orienté tantôt vers autrui défini comme « des gens » ou « du monde », tantôt vers autrui identifié selon des caractéristiques démographiques, sociales, culturelles, voire personnelles quand le caractère de l’individu est en cause. Par exemple, Julien et Geneviève cherchent à rencontrer « des gens d’autres milieux sociaux », Jean aime venir aux Restos du Cœur pour y retrouver des bénévoles qu’il connaît. L’indétermination et la spécification des personnes visées par l’action n’interviennent pas au même moment dans la dynamique d’engagement. L’agir est de façon première motivé par la recherche d’une sociabilité envers autrui non identifié et généralisé : il s’agit de se mettre en lien. On désire « rencontrer des gens », « être en contact », « voir du monde », « avoir de la société autour de soi »  [51]. Autrui est indéterminé, il n’a de valeur qu’en regard à son identité d’altérité. Une fois l’action enclenchée, la dynamique associative est fortement dépendante de l’état des relations interpersonnelles et des relations entre autrui identifié. Les relations interpersonnelles valent alors surtout par ceux qui y sont impliqués. L’engagement perdure dans la mesure où se sont créés des liens spécifiés, amicaux, familiaux, entre des personnes reconnues les unes par les autres.

46L’utilité est la troisième source importante de plaisir et comporte un point commun important avec l’agir et la sociabilité par l’intermédiaire de sa nature dialogique. Comme l’on agit sur un environnement, avec d’autres personnes, comme l’on est en relation avec autrui, on est utile au sein d’une collectivité. Nous avons constaté la relativisation de l’utilité pour soi à l’utilité pour autrui : l’utilité est à envisager par rapport à un groupe au sein duquel l’individu joue un rôle, occupe une place. C’est par l’intermédiaire de son utilité au sein d’un collectif et vis-à-vis d’autrui identifié ou généralisé que l’individu « se sent » utile. En tant que source de reconnaissance sociale de lui-même, l’utilité ancre l’individu dans le monde social, par l’intermédiaire de son appartenance à différents groupes et de la place qu’il y occupe.

47En sus de l’agir, de la sociabilité et de l’utilité, la négociation identitaire à l’œuvre – l’étayage – est une autre grande source de plaisir pris dans l’action associative. Or, si l’individu contemporain est focalisé sur une construction identitaire dont la centralité comme principe d’orientation des activités s’est affirmée et légitimée, cette importance accordée à soi n’a pas pour corollaire l’isolement social de l’individu. Le processus de construction de soi est intrinsèquement dialogique, suppose nécessairement un environnement social en relation plus ou moins intense avec l’individu : « […] la création et le développement de notre identité, en l’absence d’un effort héroïque pour nous couper de l’existence commune, demeurent dialogiques tout au long de notre vie. » (Taylor, 1994, p. 43). Charles Taylor a de cette manière mis l’accent sur la nécessité pour l’individu d’être en rapport avec autrui pour construire son identité, mais aussi sur l’existence d’un « horizon de signification » essentiel dans la mesure où c’est lui qui détermine les questions par rapport auxquelles chaque individu cherche le sens de sa vie (ibid., p. 49). Les « autres qui comptent » (ibid., p. 41)  [52] occupent une place fondamentale en reconnaissant en nous des identités selon lesquelles ou en opposition auxquelles nous nous définissons nous-mêmes. Plus largement, choisir un sens pour son action suppose que des sens soient donnés, et ce indépendamment de chacun. Ce n’est pas l’individu seul qui décide quels sont les critères qui organisent la signification de son existence. L’idée selon laquelle le choix du sens doit être hautement personnel et relatif à chacun est elle-même dépendante de l’attribution d’une valorisation accordée à cette personnalisation du choix : « même le sentiment que le sens de ma vie tient au choix personnel que j’ai fait […] dépend de ma prise de conscience qu’il existe indépendamment de ma volonté[53] quelque chose de noble et de courageux, et donc de significatif dans le fait de donner forme à ma propre vie. » (ibid., p. 47). Il existe un arrière-plan d’intelligibilité par rapport auquel l’individu va donner du sens à ses actions, et dont il n’est pas lui-même directement à l’origine. Il n’accorde de valeur au choix personnel de son existence que dans la mesure où cette valeur est déjà donnée.

48Cela nous renvoie au paradoxe inhérent à l’édification de l’autonomie en norme : l’individu doit trouver seul le sens de son existence, sans s’appuyer sur des tutelles extérieures et transcendantes, mais malgré tout en vertu d’une norme à laquelle il se conforme. La revendication de l’autonomie n’a de valeur comme telle que parce qu’elle ignore l’hétéronomie fondamentale qui en est la source. Que l’individu attache une valeur certaine au fait de ne trouver qu’en lui les ressources de sa construction identitaire suppose que cette individualisation du rapport à soi soit perçue comme valorisante et trouve donc son origine ailleurs que dans la seule volonté individuelle. Choix personnel et autonomie sont revendiqués par les individus comme bases de leur activité, mais sont des normes sociales érigées en amont de l’action individuelle. On atteint ici la limite de l’individualisation : son développement repose, en dernière instance, sur l’insertion de l’individu au sein d’un collectif dont il partage normes et valeurs.

49La prise en compte de cet horizon d’intelligibilité permet de resituer la construction identitaire dans un contexte social dont elle ne peut être extraite, et donne la limite d’un éventuel repli de l’individu sur lui-même ou d’un narcissisme exacerbé. Même « l’idéal de l’authenticité », qui affirme l’existence d’une intimité personnelle, pose l’originalité comme pierre angulaire de la construction identitaire et impose ainsi à l’individu de trouver en lui une façon d’être qui lui serait propre (ibid., pp. 33-36), implique la reconnaissance par d’autres, particulièrement « ceux qui comptent », de cette identité originale. Dès lors « […] les relations personnelles apparaissent comme des lieux privilégiés de la découverte et de la confirmation de soi dans une culture de l’authenticité » (ibid., p. 58).

50La prise en compte de l’importance des processus interactionnels est un autre chemin menant à l’importance de l’altérité dans la construction de l’identité. « Qui étudie l’identité, doit nécessairement examiner à fond l’interaction ; c’est en effet au cours du face à face interactionnel, et grâce à lui, que l’on évalue le mieux et soi-même et les autres. » (Strauss, 1992, p. 47). L’interaction est tout à la fois structurée par les rôles et statuts respectifs des partenaires mais également incomplètement structurée car elle est complexe et évolutive (ibid., p. 58) : personnes secondaires, transactions réciproques et influences, changement de statut, interprétation des réactions, rôle de l’imagination, etc. sont susceptibles d’introduire des modifications dans le cours attendu – selon les positions respectives des partenaires – de l’interaction. L’identité se façonne tout au long de l’existence au cours des interactions, interactions interagissant elles-mêmes avec les structures sociales, quand l’individu franchit différentes étapes comme des changements de statuts par exemple. L’identité est un phénomène social, dont l’engagement est le processus, vis-à-vis de soi et vis-à-vis des autres, qui nous amène à adapter le sens que nous nous faisons de nous-mêmes.

51Que l’accent soit mis sur les structures sociales ou sur les interactions, voire sur leurs relations, l’individu n’est jamais isolé dans le cadre de la construction de lui-même. Horizon social et société structurée, ou relations interpersonnelles et interactions, interviennent au cours du développement de soi. La focalisation dite parfois « narcissique » n’a donc rien d’une atomisation. Même au moment le plus essentiel du rapport à soi, l’individu est en contact intense avec autrui et une société.

52L’importance de l’identité – qui s’éprouve, s’affirme, se réajuste et finalement se négocie dans les rapports aux autres et à soi-même – révélée par le plaisir au sein de l’engagement associatif ne renvoie pas uniquement à une focalisation sur soi, la prise en compte d’un paysage social et d’autrui en représentant un horizon irréductible. Les processus de la construction de soi soulignent l’indissociabilité de l’identité et du rapport aux autres : de l’étayage et de l’affiliation. L’association est alors un lieu où se jouent des processus identitaires car elle est insertion au sein d’un collectif, insertion d’autant plus importante qu’elle est tout à la fois interactionnelle et sociale. Les bénévoles évoquent d’une part « le contact » établi avec d’autres personnes, et d’autre part l’inscription au sein d’une société, par l’intermédiaire d’une « équipe », d’une « petite famille », du quartier ou de la ville. Le caractère intrinsèquement participatif de l’engagement associatif est ainsi congruent avec le travail identitaire dont il peut être le lieu et l’occasion. Loin de se réduire à une focalisation narcissique, l’importance qu’il accorde à la construction de lui-même suppose et implique qu’il se mette en rapport avec d’autres individus, qu’il s’intègre au sein du collectif qu’il choisit comme cadre de référence.

53L’articulation entre individualisation et participation sociale, autonomie et dépendance, rapports à soi et rapports aux autres, est essentielle pour comprendre la nature des processus en jeu dans l’engagement bénévole contemporain. Entre l’image consensuelle du bénévole « formidable »  [54] car « dévoué aux autres », et celle, aujourd’hui assumée, de l’action bénévole gratifiante avant tout pour l’acteur, il existe un espace au sein duquel nous entendons situer l’engagement associatif. Replacer les mécanismes de production de l’identité au centre de cette activité la banalise dans le sens où elle est alors envisagée comme une activité socialisante parmi d’autres. Il ne s’agit pas par là de nier ses spécificités mais d’en faire, prioritairement, un espace de déploiement de mécanismes socio-identitaires : l’étayage identitaire se joue par l’affiliation associative.

54Nous avons constaté, en effet, la nécessité de tenir compte du caractère impératif de la réalisation d’un idéal du moi autonome et singulier pour comprendre la volonté des bénévoles, récurrente, d’évacuer tout principe transcendant de légitimation de l’action et de se présenter comme le seul maître des choix et de leur mise en application. De la même façon, si l’on constate l’existence de répertoires éthiques communs aux bénévoles, leur analyse révèle également les fortes variations individuelles. Le rapport à l’éthique apparaît ainsi nettement individualisé et historicisé. Mais l’individualisation du rapport aux valeurs ne signifie pas que ces valeurs elles-mêmes se soient individualisées, et les deux thèmes majeurs autour desquels gravitent les interprétations prouvent que l’horizon de l’engagement associatif est constitué par une volonté de participation sociale qui est à la fois volonté de lien social et d’appartenance à des collectifs de grandeur variable. Le plaisir est soutenu par cette même articulation entre une individualisation qui travaille les modalités de la construction de l’identité et du rapport à soi, et la prégnance simultanée d’autrui et de collectifs, de structures sociales et d’interactions. Les raisons d’agir individuelles semblent largement sous-tendues par deux dynamiques sociales dont l’articulation constitue le cœur de la signification de l’engagement associatif. Celui-ci se joue dans l’interaction entre l’individu et les collectifs, autrui et les institutions qu’il est amené à côtoyer. Dans cette perspective, l’identité comme les collectifs sont issus d’une coproduction au sein de laquelle l’individu occupe une place centrale et dont le bénévolat constitue l’un des lieux.

55Or cette place essentielle que l’engagement associatif est susceptible d’occuper dans le cadre de l’étayage de soi ne se comprend qu’à condition de prendre en compte les relations intimes qu’il entretient avec d’autres lieux, plus classiques, de construction identitaire. Ainsi que cela a déjà été souligné « l’inscription des acteurs sociaux dans de multiples mondes et sous-mondes sociaux […] est une des caractéristiques fondamentales de la vie contemporaine » (Fillieule, 2001, p. 207). Les « contextes sociaux » sont « pluriels », et les « répertoires de schèmes d’action » « stockés » par les individus sont à la fois « distincts les uns des autres, mais interconnectés et comportant sans doute des éléments en commun » (Lahire, 1999, pp. 35-43). Quand les individus, bien que socialisés de fait – de par leur appartenance à la société et leur insertion plus ou moins importante au sein des différents mondes sociaux – ressentent une certaine insatisfaction vis-à-vis de leurs rapports à la famille ou au travail, ils sont susceptibles, sur la base d’une similitude de logiques et de valeurs, de transposer rôles, relations et situations typiques de ces sphères à leur engagement associatif. Mettant en œuvre une liberté fortement contrainte par la nécessité de perpétuer et renouveler constamment le processus de socialisation, chacun peut alors utiliser le bénévolat afin de revendiquer son autonomie, valoriser son couple, réaménager le rôle maternel ou paternel, mais également revaloriser son identité, réorganiser son temps, reconstruire un lien social.

56Nos analyses, fondées sur des engagements associatifs différents, rejoignent ainsi certaines développées récemment sur le militantisme au sein de partis politiques, de syndicats ou encore d’associations  [55] : la compréhension des raisons et du sens de l’engagement individuel ne semble pouvoir se passer d’une approche globale des multiples « sites d’inscription des acteurs » (Fillieule, 2001, p. 208). Dès lors, l’approfondissement des motivations et gratifications du bénévolat contemporain semble devoir passer notamment par deux directions complémentaires : l’élargissement de la comparaison de formes a priori différentes d’engagement associatif, encore peu développée mais qui semble devoir donner de fructueux résultats quant à la compréhension des démarches d’engagement, et la mise en place d’un appareillage méthodologique qui permettrait d’appréhender de façon fine, pour un même individu, les modalités de son insertion au sein des différents mondes sociaux qui sont les siens.

ANNEXE Index des bénévoles cités

57Restos du Cœur

  • Nicole, 41 ans, mariée, deux enfants, vendeuse au BHV à temps partiel, époux directeur financier d’une entreprise de communication, réseau social important ;
  • Cécile, 22 ans, étudiante dans une école d’éducateur spécialisée, forte sociabilité amicale ;
  • Annick, 55 ans, mariée, une fille, préretraite de laborantine, époux dermatologue ;
  • Étienne, 71 ans, veuf, un fils et deux petites-filles qu’il voit une fois par semaine, retraité coiffeur ;
  • Florence, 35 ans, célibataire, cadre dans une entreprise de communication, forte sociabilité amicale ;
  • Jean, 65 ans, divorcé, une fille, retraité journaliste, réseau social important ;
  • Eva, 45 ans, divorcée, professeur de gymnastique ;
  • Odile, 55 ans, veuve, 4 enfants qu’elle voit très régulièrement, artiste peintre, réseau social important ;
  • Sabine, 37 ans, célibataire, secrétaire ;
  • Madeleine, 73 ans, veuve, plusieurs enfants et petits-enfants qu’elle voit régulièrement, fort capital économique, réseau social important ;
  • Chantal, 50 ans, mariée, retraitée restauratrice, plusieurs enfants, réseau social important.

58Urbanisme et Démocratie

  • Laurent, 30 ans, vit en concubinage, chômeur, réseau social important ;
  • Bernard, 35 ans, marié, contrôleur aérien, secrétaire national d’un syndicat, réseau social important ;
  • Claire, 45 ans, divorcée, deux filles, psychologue pour enfants ;
  • Benoît, 28 ans, célibataire, vit en colocation, attaché d’un député parisien, militant d’ATTAC et investi dans des courants liés au PS, réseau social important ;
  • Mathilde, 23 ans, vit en concubinage, étudiante à l’École des Chartes ;
  • Marie, 24 ans, vit en concubinage, étudiante en DEA, réseau social important ;
  • Julien, 24 ans, vit en concubinage, professeur de sciences économiques et sociales, réseau social important ;
  • Geneviève, 40 ans, mariée, professeur de français en IUFM ;
  • Matthieu, 38 ans, marié, maître de conférences ;
  • Thibault, 27 ans, célibataire, vit en colocation, attaché parlementaire, militant d’ATTAC et investi dans des courants liés au PS, réseau social important.

Notes

  • (1)
    Voir Ion (1997) ; Paugam (1997) ; Singly (1990) ; Gaxie (1977).
  • (2)
    Afin de nous assurer de la représentativité des terrains choisis au regard des motivations des bénévoles, nous avons effectué une centaine d’entretiens courts au Centre du Volontariat de Paris, organisme chargé de l’orientation de personnes désirant être bénévoles.
  • (3)
    Voir Neveu (1996) ; Fillieule et Mayer (2001).
  • (4)
    Benoît, Urbanisme et Démocratie,.
  • (5)
    Cécile, Restos du Cœur.
  • (6)
    Bernadette, Restos du Cœur.
  • (7)
    Bernadette, Restos du Cœur.
  • (8)
    Étienne, Restos du Cœur.
  • (9)
    Eva, Restos du Cœur.
  • (10)
    Étienne, Restos du Cœur.
  • (11)
    Julien, Urbanisme et Démocratie.
  • (12)
    En italique dans le texte.
  • (13)
    En italique dans le texte.
  • (14)
    Jean, Restos du Cœur.
  • (15)
    Madeleine, Restos du Cœur.
  • (16)
    Sur ce point nos observations rejoignent les analyses de Mossuz-Lavau (1994, pp. 239-266).
  • (17)
    Bernard, Urbanisme et Démocratie.
  • (18)
    En italique dans le texte.
  • (19)
    Thibault, Urbanisme et Démocratie.
  • (20)
    Benoît, Urbanisme et Démocratie.
  • (21)
    Matthieu, Urbanisme et Démocratie.
  • (22)
    Marie, Urbanisme et Démocratie.
  • (23)
    Matthieu, Urbanisme et Démocratie.
  • (24)
    Matthieu, Urbanisme et Démocratie.
  • (25)
    Julien et Geneviève, Urbanisme et Démocratie.
  • (26)
    Odile, Restos du Cœur.
  • (27)
    Nicole, Restos du Cœur.
  • (28)
    Cécile, Restos du Cœur.
  • (29)
    Eva, Restos du Cœur.
  • (30)
    Chantal, Restos du Cœur.
  • (31)
    Geneviève, Urbanisme et Démocratie.
  • (32)
    Julien, Urbanisme et Démocratie.
  • (33)
    Bernard, Urbanisme et Démocratie.
  • (34)
    Laurent, Urbanisme et Démocratie.
  • (35)
    Matthieu, Urbanisme et Démocratie.
  • (36)
    Laurent, Urbanisme et Démocratie.
  • (37)
    Étienne, Restos du Cœur.
  • (38)
    Odile, Restos du Cœur.
  • (39)
    Florence, Restos du Cœur.
  • (40)
    Jean, Restos du Cœur.
  • (41)
    Matthieu, Urbanisme et Démocratie.
  • (42)
    Laurent, Urbanisme et Démocratie.
  • (43)
    Julien et Geneviève, Urbanisme et Démocratie.
  • (44)
    Claire, Urbanisme et Démocratie.
  • (45)
    Matthieu, Urbanisme et Démocratie.
  • (46)
    Thibault, Urbanisme et Démocratie.
  • (47)
    Interviewée du Centre du Volontariat de Paris, 51 ans, mariée, un enfant, cadre administratif et financier dans un établissement public.
  • (48)
    Odile, Restos du Cœur.
  • (49)
    Odile, Restos du Cœur.
  • (50)
    Chantal, Restos du Cœur.
  • (51)
    Nicole, Restos du Cœur.
  • (52)
    Citant Mead G. H., 1934, Mind, self and society, Chicago, The Chicago University Press.
  • (53)
    En italique dans le texte.
  • (54)
    Le Nouvel Observateur, 24 décembre 1997.
  • (55)
    Voir « Devenirs militants », Revue française de science politique, 2001, 51, 1-2.
Français

La comparaison de deux types différents de bénévolat, militant de quartier et caritatif, permet de poser l’étayage identitaire réalisé par l’affiliation associative comme pierre angulaire du sens de l’engagement associatif bénévole contemporain. Dans un contexte social de recompositions institutionnelles et de valorisation de l’autonomie individuelle, le bénévolat représente en effet un adjuvant possible à la construction identitaire en offrant à l’individu un cadre collectif renouvelé. La conciliation qu’il réalise entre l’individualisation et la participation sociale explique la place centrale qu’il est susceptible d’occuper vis-à-vis de mécanismes socio-identitaires. En effet, les moteurs de l’engagement que sont l’éthique et le plaisir sont sous-tendus d’une part par l’impératif contemporain de réalisation d’un moi autonome et singulier, qui explique tout à la fois le rejet des grandes morales religieuses ou politiques, le rapport individualisé aux répertoires éthiques et aux argumentaires associatifs eux-mêmes, ainsi que les modalités d’émergence d’une dimension hédoniste intimement liée au rapport à soi ; d’autre part par une volonté de participation sociale révélée par les valeurs mobilisées mais également par le caractère dialogique des sources d’émergence du plaisir, volonté qui se fait nécessité dans le cadre d’une négociation identitaire à laquelle l’altérité est indispensable. Parce qu’il permet au couple fondamental individualisationparticipation de se rejouer, le bénévolat associatif est une activité socialisante parmi d’autres, qui suppose donc d’être analysé en tant que tel.

Deutsch

Zwischen Individualisierung und Beteiligung : das Engagement in der freiwilligen Vereinsarbeit.

Der Vergleich von zwei unterschiedlichen Arten von freiwilliger Arbeit, einerseits in den Wohnvierteln, andererseits in karitativen Einrichtungen, gestattet die identifizierende Untermauerung des Beitritts in Vereinigungen als Eckstein für den Sinn des heutigen Engagements in der freiwilligen Vereinsarbeit. In einem sozialen Rahmen der institutionellen Neugestaltung und der Bewertung der individuellen Autonomie, stellt die freiwillige Arbeit ein mögliches Unterstützungsmittel zum Identitätsaufbau dar in einem für das Individuum erneuerten kollektiven Rahmen. Die damit durchgeführte Vermittlung zwischen der Individualisierung und der sozialen Beteiligung erklärt die Kernposition, die damit gegenüber den sozio-identitären Mechanismen eingenommen werden kann. Die Beweggründe des Engagements liegen in der Ethik und dem Vergnügen und sind unterschwellig gegründet einerseits auf dem zeitgenössischen Imperativ der Verwirklichung eines selbstständigen und eigenartigen Selbsts, der sowohl die Zurückweisung der großen religiösen oder politischen Moralgrundsätzen, die individualisierten Beziehungen zu den ethischen Registern und den assoziativen Argumentierungen, als auch die Erscheinungsmodalitäten einer hedonistischen Dimension erklärt, die eng mit der Beziehung zu sich selbst verbunden ist. Andererseits liegen die Beweggründe im Willen zur sozialen Beteiligung, die durch die mobilisierten Werte, aber auch durch den dialogischen Charakter der Erscheinungsquellen des Vergnügens aufgedeckt werden, wobei dieser Wille zur Beteiligung eine Notwendigkeit im Rahmen einer identitären Verhandlung wird, in der die Alterität unumgänglich ist. Gerade weil sie der grundsätzlichen Paarung zwischen Individualisierung und Beteiligung einen Neubeginn erlaubt, ist die eine sozialisierende Aktivität unter anderen, die somit als solche analysiert werden muß.

Español

Entre individualización y participación : el compromiso asociativo benévolo.

La comparación de dos tipos de benevolado, militante barrial y caritativo permite poner el sostén identitario efectuado por la afiliación asociativa como piedra angular del sentido de compromiso asociativo benévolo contemporáneo. En el contexto social de reorganizaciones institucionales y de valorización de la autonomía individual, el benevolado representa en efecto una ayuda posible a la construcción de la identidad ofreciendo al individuo un renovado ambiente colectivo. La conciliación que se realiza entre la individualización y la renovada participación social explica el lugar central que es capaz de ocupar en función de los mecanismos socio-identi-tarios. En efecto, los motores del compromiso que son la ética y el placer están de una parte bajo tensión por el imperativo contemporáneo de realización de un yo autónomo y singular, que explica al mismo tiempo el rechazo de las grandes morales religiosas o políticas, la relación individualizada de los repertorios éticos y de las argumentaciones asociativas en si mismas, así como las modalidades de emergencia de una dimensión hedonista íntimamente ligada a si mismo, por otra parte por una voluntad de participación social revelada por los valores movilizados pero igualmente por el carácter dialogado de las fuentes emergentes del placer, voluntad que se hace necesidad en el ambiente de una negociación identitaria en la cual es indispensable la alteridad. Porque permite a la pareja fundamental individualización-participación de volver a representarse, el benevolado asociativo en medio de otras es una actividad socialistida que supone en consecuencia de ser analizado como tal.

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Stéphanie Vermeersch
LOUEST 59, rue Richelieu – 75002 Paris
Mis en ligne sur Cairn.info le 30/11/-0001
https://doi.org/10.3917/rfs.454.0681
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