CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1André Orléan est l’un des économistes dont les analyses de la valeur sont les plus riches et abouties. Formé au sein de l’École Polytechnique, il entre dans le corps des administrateurs de l’INSEE en 1974. Il rédige une thèse de troisième cycle intitulée « L’histoire monétaire de l’Allemagne entre 1848 et 1923 : un essai d’analyse théorique », soutenue le 6 mars 1980 à l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne, sous la direction de Jean-Louis Guglielmi et devant un jury composé de Michel Aglietta et Jean Bouvier. En 1987, il est nommé directeur de recherches au CNRS et en 2005 élu comme directeur d’études à l’EHESS. Il est par ailleurs à l’initiative, avec d’autres, de la création de l’Association Française d’Économie Politique (AFEP) en 2009, puis des Économistes Atterrés en 2010.

2Il a notamment publié des ouvrages majeurs tels La violence de la monnaie, Presses universitaires de France, coll. « Économie en liberté », première édition, 1982 ; seconde édition, 1984, en collaboration avec Michel Aglietta ; Le pouvoir de la finance, Odile Jacob, 1999 ; en collaboration avec Michel Aglietta, La monnaie entre violence et confiance, Odile Jacob, 2002 ; De l’euphorie à la panique : penser la crise financière, Rue d’Ulm, coll. « Opuscule du Cepremap », 2009 ; L’empire de la valeur. Refonder l’économie, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2011 ; en collaboration avec Philippe Askenazy, Thomas Coutrot et Henri Sterdyniak, Le Manifeste des économistes atterrés, Les Liens qui libèrent, 2010. Il a aussi dirigé des ouvrages collectifs parmi lesquels Analyse économique des conventions, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 1994, 2e édition revue et corrigée, 2004 ; en collaboration avec Michel Aglietta, La monnaie souveraine, Odile Jacob, 1998 ; À quoi servent les économistes s’ils disent tous la même chose ? Manifeste pour une économie pluraliste, Les Liens qui libèrent, 2015 ; Misère du scientisme en économie. Retour sur l’affaire Cahuc-Zylberberg, Éditions du Croquant, 2017.

3L’interview a été menée aux mois de mai et juin 2019, sous la forme d’une correspondance écrite.

Penser la valeur par la monnaie

41) Après une éclipse de quelques dizaines d’années, il semble que les sciences sociales redécouvrent par des voix diverses (socio-économie et sociologie économique de la quantification, renouveau de la critique de l’économie politique, réflexion sur la critique du PIB et des indicateurs de richesse, etc.) la question de la valeur, ou plus précisément des processus de valorisation. Or, à regarder votre parcours depuis la fin des années 1970, il semble que c’est une question que vous avez toujours travaillée.

5Vous avez tout à fait raison. Il faut cependant être précis car il est plusieurs manières d’aborder la question de la valeur. Pour ce qui est de caractériser mon approche, permettez-moi de citer la conclusion de ma thèse [1980] : « La question cruciale à laquelle cette thèse a tenté de répondre est comment se forme et se reproduit la socialité marchande, c’est-à-dire cet ordre social particulier où les rapports entre les hommes sont régis par l’échange d’équivalents ; comment la loi d’équivalence impose sa logique, et comment, sous le règne du semblable et de l’homogène, peut […] surgir du nouveau » (p. 281). Comme l’indique clairement cette citation, ma thèse est centrée sur ce que Marx nomme la production marchande et, donc, sur la loi de la valeur qui en constitue le cœur. Plus spécifiquement, dès ce travail de thèse, mon idée directrice a été que la formation de l’équivalence marchande est inséparable de l’institution monétaire. Sur ce point, je n’ai jamais varié ! Comme vous le savez, c’est là un chemin très peu fréquenté, la théorie de la valeur étant traditionnellement conçue par les économistes comme une théorie de la richesse réelle, indépendante de la monnaie, même chez Marx. Or, dans mon esprit, valeur et monnaie sont les deux faces d’une même réalité : « Valeur et monnaie sont indissociables. La monnaie est le lieu d’expression et de formation de la valeur » (p. 57 de ma thèse). Une telle position peut paraître tout à fait énigmatique. J’en suis conscient. Rappelons en effet que, pour les classiques ou les néo-classiques, mais aussi pour Marx, la valeur précède logiquement la monnaie. Leur démarche est la suivante : penser la commensurabilité comme l’effet d’une substance commune à toutes les marchandises – soit le travail, soit l’utilité – à partir de quoi il est possible de déterminer dans quels rapports quantitatifs les marchandises s’échangent les unes contre les autres, cette analyse de la valeur ayant pour caractéristique d’être menée hors de toute présence monétaire. Pour ma part, je pose la question de la valeur d’une manière différente. Ce n’est pas la question de la détermination des rapports quantitatifs d’échange qui m’intéresse. Ce qui m’importe est la nature du processus par lequel les travaux privés sont réduits à du travail abstrait : « La loi de la valeur est ce principe de réduction des travaux privés en travail social. C’est un processus d’homogénéisation qui rend commensurables les marchandises » (p. 56). Je ne cherche pas à établir ce que, dans ma thèse, j’appelais un « système normal de valeurs » qui jouerait comme centre de gravité des prix (p. 58), ce qui est la voie traditionnellement suivie par les théoriciens de la valeur, mais je m’intéresse au processus même de production d’un espace abstrait d’évaluation : quelle puissance est à l’œuvre qui conduit à ce résultat ? Autrement dit, dès cette époque, la question monétaire était pour moi primordiale.

62) Revenons sur votre thèse sur la violence de la monnaie, sa genèse et les étapes de sa réalisation. Comment vous situiez-vous dans l’espace intellectuel français des années 1980 et notamment par rapport au marxisme orthodoxe et aux recherches marxistes hétérodoxes qui se proposaient de rompre avec le « paradigme dominant » néoclassique et de construire un paradigme alternatif à partir de deux institutions fondamentales du capitalisme, irréductible au paradigme marchand, la monnaie et le rapport salarial (l’école nanterroise avec Benetti et Cartelier notamment ; Michel De Vroey ; Bruno Lautier et Ramon Tortajada ; Alain Lipietz) ? Avez-vous par exemple contribué au débat sur la transformation de la valeur en prix de production ?

7Je me situe très largement hors de ces débats. D’abord pour une raison d’ordre générationnel. Chronologiquement j’arrive après. De peu mais après quand même. Ma thèse date de 1980 et ces travaux, principalement du début des années 1970. Cependant, la raison principale est ailleurs. Elle tient à l’orientation de mon travail de thèse, consacré à l’histoire monétaire allemande, orientation qui m’a éloigné de ce marxisme hétérodoxe auquel vous faites référence. Pour le dire d’une manière trop schématique, cette hétérodoxie se présente principalement comme un travail sur les grands textes de l’économie politique visant à l’élucidation de questions théoriques ardues, comme la transformation des valeurs en prix de production. Elle est, en conséquence, fortement marquée par l’histoire de la pensée économique. Si j’ai lu avec passion tous ces brillants travaux, en particulier ceux publiés chez Maspero dans la prestigieuse collection « Intervention en économie politique » où l’on trouve les productions les plus marquantes de cette hétérodoxie des années 1970, mes intérêts théoriques m’ont conduit ailleurs, vers l’histoire. J’ai cherché à construire un cadre conceptuel permettant de rendre intelligibles les mutations historiques de l’institution monétaire. Mon attrait pour les analyses de Marx trouve là sa motivation première, mon hypothèse étant que le concept marxiste de contradiction ouvre la possibilité d’une compréhension rigoureuse des transformations du capitalisme. Il s’ensuit une théorisation dont le style diffère nettement de celui des auteurs auxquels vous faites référence. Il semble même que, pour certains d’entre eux, l’idée d’une théorie portant sur les mutations historiques des institutions du capitalisme constitue une contradiction dans les termes. Pour me faire comprendre, il suffit de comparer le rôle que joue l’unité de compte dans mes analyses et dans le modèle de Carlo Benetti et Jean Cartelier [1]. Pour ces derniers, l’unité de compte est une donnée institutionnelle qui échappe à l’analyse dans la mesure où elle fait partie des règles du jeu qui sont posées a priori. Ce qui intéresse Benetti et Cartelier, ce sont les conséquences de ces règles du jeu. Ma perspective est tout autre dans la mesure où, selon moi, l’unité de compte est ce qui demande en priorité à être expliqué parce qu’elle est au cœur des conflits qui forment la matière ordinaire de l’histoire monétaire en sorte que penser l’histoire monétaire, c’est, pour une large part, penser les luttes entre groupes sociaux qui se nouent autour de la définition de l’unité de compte ! Exclure l’unité de compte de l’analyse historique, ce serait comme chercher à faire une histoire du salariat qui mettrait hors jeu la question de la durée de la journée de travail parce qu’elle serait conçue comme une donnée institutionnelle.

8En résumé, parce que l’histoire monétaire est faite de dissidences et d’antagonismes, j’étais prioritairement à la recherche d’une approche qui rende à la monnaie toute sa dimension agonistique. Or, il faut le souligner, cette approche ne se trouve pas chez Marx [2]. Pour Marx, l’équivalent général n’est pas un objet conflictuel. Il est « l’œuvre commune des marchandises ». Cette conception des rapports marchands et de la loi de la valeur a d’ailleurs largement prévalu dans la tradition marxiste. C’est ainsi qu’Isaak Roubine, un des meilleurs spécialistes de ces questions, a pu écrire : « La loi de la valeur est la loi de l’équilibre de l’économie marchande [3]. » Ou encore Rosa Luxemburg : « L’économie marchande, dans son mécanisme interne, nous paraît un ordre économique merveilleusement harmonieux et reposant sur les plus hauts principes de la morale [4]. » En conséquence, il m’a fallu aller chercher hors du marxisme de quoi enrichir l’analyse marxiste de la monnaie.

9On trouve une première tentative dans ma thèse. J’y développe l’idée que l’institution monétaire est l’objet d’une instabilité permanente par le fait qu’y coexistent deux forces opposées : la centralisation et le fractionnement. Mais cette analyse, par ailleurs exacte, n’allait pas au fond des choses. Aussi, une fois ma thèse terminée, ai-je dû aller chercher ailleurs les outils conceptuels qui m’ont permis d’avancer dans ma compréhension de la contradiction marchande. C’est la lecture de René Girard qui m’a grandement éclairé. En lisant La violence et le sacré, j’ai découvert l’explicitation d’un processus paradoxal qui, bien que de nature fondamentalement rivalitaire, conduit à une élection qui s’impose à tous.

Analyser la valeur des titres financiers pour systématiser la critique des approches néoclassiques de la valeur

103) Après votre thèse sur la violence de la monnaie, vous êtes associé à la fondation de l’École des conventions à travers notamment le numéro 40 « L’économie des conventions » paru en 1989 dans la Revue économique. Est-ce là une façon de continuer à rompre avec les analyses sur la valeur que vous ne qualifiez pas encore de « conception substantive » ou de passer à une analyse plus « constructiviste » des processus de valorisation (un peu à la manière du regretté François Eymard-Duvernay) ?

11Au milieu des années 1980, une fois La violence de la monnaie [1982] écrite, mes centres d’intérêt connaissent une évolution notable. Je délaisse quelque peu l’histoire monétaire stricto sensu pour me tourner vers l’étude des marchés financiers. J’adhère alors pleinement à l’analyse que Keynes développe dans le livre IV de la Théorie générale et, tout particulièrement, dans son chapitre 12. Comme vous l’indiquez dans votre question, il ne s’agit nullement d’une rupture car la question de la valorisation des créances privées et la référence à Keynes étaient déjà très présentes auparavant, dans ma thèse et dans La violence de la monnaie. Mais désormais elles prennent la première place. Pour comprendre comment se forme la valeur des titres financiers, je me tourne vers le modèle qu’a proposé Keynes dans le chapitre 12 sous le nom du « concours de beauté ». Cette approche est en rupture complète avec la conception néoclassique qui pose en son fondement la souveraineté de l’investisseur – qui calcule au mieux de ses informations la valeur fondamentale du titre – pour en déduire par agrégation le prix de marché. Dans l’approche keynésienne telle que je propose de la réinterpréter, la logique est inverse : le marché s’analyse comme un mécanisme doté d’une puissance propre, produisant une évaluation spécifique sous la forme d’une convention financière qui s’impose aux acteurs et gouverne leurs actions. Dans cette conception alternative, l’acteur individuel n’est plus le souverain qui détermine les prix. Tout au contraire, il est agi par le marché et les représentations collectives qu’il véhicule. On passe d’une logique « bottom-up » à une logique « top-down ». Pour cette raison, j’ai pu qualifier cette conception qui affirme la primauté du tout sur les parties comme étant « durkheimienne » [5]. Comme on l’observe, c’est là une étape importante dans ma réflexion sur la valeur : la valeur financière y apparaît clairement comme un fait social dont l’intelligibilité ne doit pas être cherchée dans les calculs individuels mais, comme le souligne Durkheim, « parmi les faits sociaux antécédents ». Cette proposition est cruciale à mes yeux. Elle s’oppose frontalement à la conception marginaliste pour qui, au contraire, « l’évaluation individuelle est la clef de voûte de la théorie économique ». Cependant, il faudra attendre L’empire de la valeur [2011] pour que je puisse relier les différents fils de ma pensée, monnaie et finance de marché, d’une manière systématique.

124) Votre nom est aussi associé à l’autre grande théorie institutionnaliste de l’hétérodoxie française, l’École (parisienne) de la Régulation. À quel moment et comment s’est faite cette rencontre ? La tentative de lien entre une perspective microéconomique (associée à l’approche des conventions) et une perspective macroéconomique (associée à l’approche régulationniste) a-t-elle été un champ de recherche important ? Avez-vous contribué à ce débat ?

13L’ordre chronologique est inverse. Ma rencontre avec la régulation s’est faite très tôt par l’intermédiaire de Michel Aglietta, bien avant que je ne rencontre les conventionnalistes. J’ai fait la connaissance de Michel Aglietta à l’occasion de ma première affectation en tant qu’administrateur de l’INSEE, au Service des Programmes en 1976. C’est dire que j’ai eu beaucoup de chances. C’est en grande partie grâce à lui que j’ai pu développer mon goût pour l’histoire économique. On peut donc dire que j’ai commencé ma carrière en étant régulationniste. La constitution du groupe conventionnaliste est plus tardive. Elle date du milieu des années 1980 et a également pour origine l’INSEE, initialement autour des travaux sur les catégories statistiques menés par Alain Desrosières, François Eymard-Duvernay, Robert Salais et Laurent Thévenot [6].

14À mon sens, il n’y aucune difficulté à être à la fois régulationniste et conventionnaliste car ces deux approches sont, selon moi, bien plus complémentaires que concurrentes : si la théorie de la régulation (TR) a pour objet privilégié d’étude les macroéconomies du capitalisme, l’économie des conventions (EC) s’intéresse, quant à elle, à la question de la valorisation et à ses institutions dans une perspective qui s’est affirmée, dès sa naissance, comme associant étroitement économie et sociologie alors que la TR est, par nature, plus proche de l’histoire. Il me semble que les travaux de François Eymard-Duvernay, Olivier Favereau, Robert Salais et Laurent Thévenot sur le marché du travail ont apporté un complément indispensable aux analyses régulationnistes. Pour ma part, j’ai pu être utile principalement par mes réflexions sur la spéculation et les marchés financiers, surtout à une époque où régnait en maître l’idée de l’efficience des marchés financiers. On n’imagine pas aujourd’hui à quel point cette thèse était alors hégémonique pour ne pas dire tyrannique. Elle était au cœur de l’argumentaire qui a servi à légitimer l’intense mouvement de financiarisation qu’a connu le capitalisme jusqu’à la crise de 2008. Mon travail a alors consisté à critiquer cette hypothèse en montrant que, sous le terme d’efficience, la pensée néoclassique, et au premier chef Eugene Fama [7] lui-même, confondait deux réalités fort distinctes [8].

15Originellement, Fama s’intéresse à l’efficience allocative, à savoir la capacité des marchés financiers à permettre une allocation efficace du capital. En bon théoricien néoclassique, il fait de la justesse du prix – de telle sorte que les investisseurs prennent les bonnes décisions – la condition de cette efficacité ; ce qui le conduit, en 1965, à définir l’efficience par le fait que le prix est « un bon estimateur de la valeur intrinsèque ». Très bien, mais encore faut-il, pour que tout cela tienne, pouvoir définir ce qu’est la valeur intrinsèque d’un titre. C’est sur ce premier point que porte ma critique. En effet, j’observe que cette valeur intrinsèque, encore appelée valeur fondamentale, parce qu’elle prend la forme d’une espérance mathématique conditionnelle, suppose, pour être calculée, un futur probabilisable et qu’il s’agit là d’une hypothèse hautement contestable. Il convient de lui préférer celle d’incertitude radicale chère à Keynes et Knight [9] en conséquence de quoi la notion de « valeur intrinsèque » doit être abandonnée et, avec elle, l’hypothèse d’efficience (allocative) des marchés financiers.

16L’histoire pourrait finir ici si ce n’est qu’on a vu apparaître et s’imposer la notion d’efficience informationnelle au travers d’une batterie de tests statistiques. Que dire de tous ces tests d’efficience informationnelle ? Leur fortune tient, pour une large part, au fait que leur calcul repose sur une définition faible de l’efficience, du style « les prix reflètent toute l’information disponible », sans référence à la valeur intrinsèque. C’est d’ailleurs la raison de leur succès mais il faut en payer le prix : si cette conception exclut les formes les plus grossières d’inefficacité, elle n’implique cependant rien quant à la justesse du prix et donc quant à l’efficience véritable (allocative) de la finance de marché. C’est un point crucial. En effet, pour faire simple, démontrer que les variations de prix ne sont pas corrélées n’implique en rien que ces prix soient les bons prix ! Pourtant la confusion entre ces deux notions – l’imprévisibilité et la justesse du prix – est permanente. Ainsi, en 2010, Fama dans un entretien au New Yorker rejette-t-il l’idée selon laquelle les marchés aient pu être, pendant la crise, inefficients, sur la base de l’argument suivant : « [Bubbles] have to be predictable phenomena » [10] ! Pour éviter de telles erreurs, nous avons proposé, avec David Bourghelle, d’utiliser le terme d’« efficience technique » [11] en lieu et place de celui d’efficience informationnelle. Cette terminologie devrait permettre de ne plus identifier abusivement efficience informationnelle – rebaptisée efficience technique – et la véritable efficience : l’efficience allocative. Mais nous n’avons guère été entendus jusqu’à maintenant.

La valeur à l’épreuve de la transdisciplinarité

175) Durant les années 1990-2000, vous avez participé à des recherches collectives et pluridisciplinaires sur la monnaie tout en plaidant pour une « unité des sciences sociales ». Ces recherches sur la monnaie ont-elles été une ligne de fuite par rapport à un questionnement plus fondamental sur la valeur ou un renouvellement de ces questionnements ?

18Ces recherches collectives ont constitué un moment essentiel dans la constitution de ce qu’on appelle aujourd’hui « l’institutionnalisme monétaire » [12]. Dans l’esprit de Michel Aglietta et moi-même, il s’agissait de prouver « en marchant » que le socle conceptuel que nous avions commencé à élaborer permettait réellement une appréhension globale du fait monétaire, par quoi nous entendions qu’il proposât un cadre de réflexions permettant la collaboration active et féconde des différentes sciences sociales (anthropologie, droit, histoire, science politique et sociologie). Ce travail en commun des sciences sociales a toujours été pour Michel et moi un impératif. C’est de cette conviction qu’est né le séminaire « Légitimité de la monnaie » qui a réuni de juin 1993 à novembre 1997 des anthropologues, des économistes, des historiens et un psychologue. Ce fut une expérience exceptionnelle dont, me semble-t-il, témoigne fidèlement le livre collectif qui en est issu, La monnaie souveraine [Odile Jacob, 1998]. La théorie des trois formes de la confiance y trouve sa première formulation.

19Par l’intermédiaire du regretté Daniel de Coppet, la réflexion de notre groupe se trouva fortement influencée par la pensée de Louis Dumont. C’est dire que la question de la valeur était bien présente mais qu’elle fût alors étendue aux valeurs sociales en général via le concept central chez Dumont de « hiérarchie des valeurs ». J’ai alors été conduit à réfléchir à la place de la monnaie dans la constitution des sociétés [13], en adoptant grâce aux anthropologues du groupe une perspective « essentiellement comparative donc concrète, et non un point de vue universaliste, dogmatique et abstrait » (de Coppet). Autrement dit, le questionnement sur la valeur n’a aucunement disparu mais il a muté, il s’est approfondi. Il a quitté le territoire étroitement circonscrit de l’économie politique critique pour bénéficier des apports des autres sciences sociales. Ce fut là un moment important de maturation intellectuelle personnelle qui m’a préparé à la lecture et à l’assimilation de Durkheim et des durkheimiens.

20Cette expérience de collaboration disciplinaire m’a également conduit à proposer et à défendre l’idée d’unidisciplinarité par quoi je cherche à faire valoir que les sciences sociales, si elles sont actuellement morcelées en raison de leurs objets, de leurs méthodes ou de leurs traditions, n’en partagent pas moins toutes un même terrain, les faits sociaux, ce qui autorise à espérer qu’elles puissent également partager, si ce n’est une langue commune, du moins un cadre conceptuel de référence permettant l’inter-traduction des langues disciplinaires. Autrement dit, la position unidisciplinaire repose sur la thèse de l’unité du règne social. D’ailleurs n’est-il pas clair que l’opposition entre l’économie et la sociologie, par exemple, ne tient pas tant à une différence de nature quant aux réalités dont traitent ces disciplines qu’au fait qu’elles ont développé des conceptions théoriques du fait social distinctes. C’est ce schisme que la thèse de l’unidisciplinarité cherche à combattre, non seulement en favorisant la collaboration des disciplines, ce qu’on appelle la pluridisciplinarité, mais en cherchant à faire en sorte qu’elle puisse penser de concert. Je ne crois pas que ce soit inatteignable. J’ai pu l’expérimenter avec la monnaie.

216) Pour un public plus large que le monde académique, à travers la publication d’essais critiques ou de tribunes, votre nom est associé à la critique du capitalisme dominé par la finance. Comment voyez-vous le rôle d’intellectuel de l’économiste au-delà de l’activité de recherche ? Par ailleurs, vous avez créé avec d’autres l’Association Française d’Économie Politique (AFEP) en 2009 dont vous avez été le président jusqu’en 2017. Quelle place peut prendre ce questionnement sur la valeur dans le projet de défense du pluralisme (des objets, des théories et de méthodes en économie) qui est celui de l’AFEP ?

22Dans mon esprit, les choses sont simples : je n’interviens que sur ce que je connais – ou crois connaître – de première main ; autrement dit, sur l’objet même de mes recherches. C’est dire combien je suis peu actif sur la scène médiatique. Je me méfie des interventions « généralistes ». Notez bien que je conçois parfaitement que de telles interventions soient nécessaires, et je ne critique en rien celles et ceux qui s’y livrent, dans la mesure où l’universalisation de ma maxime personnelle conduirait à laisser toute la parole publique aux pires opportunistes ; ce qui n’est certainement pas souhaitable. Lorsque certains de mes objets de recherche rencontrent l’intérêt des médias, en raison de leurs enjeux politiques, je n’hésite pas à répondre aux invitations qui me sont faites. Ce fut le cas à propos de l’efficacité supposée des marchés financiers ou de l’incomplétude de l’euro.

23Pour le dire autrement, je ne fais guère de différence entre le chercheur et l’intellectuel, celui-ci ne faisant que transmettre la parole de celui-là. Ce qui m’obsède à la fois comme intellectuel et comme chercheur est de dire le vrai. La difficulté vient du fait que, dans les sciences sociales, à la différence des sciences de la nature, l’écart entre le vrai et l’opinion est mince et toujours sujet à caution dans la mesure où nos disciplines échappent à la juridiction de la méthode expérimentale, contrairement à ce que certains économistes veulent nous faire croire. Cette spécificité des sciences sociales impose au chercheur comme à l’intellectuel, une vigilance extrême quant à ce qu’il se permet de croire comme étant vrai, vigilance d’autant plus exigeante qu’en économie – et dans les sciences sociales – on ne peut se fier à l’opinion majoritaire.

24Cependant, la partie la plus importante de mon engagement public passe par l’AFEP et a pour but la défense du pluralisme en économie. Il pourrait sembler que ce combat ait plus à voir avec le sentiment de l’injustice faite aux économistes hétérodoxes qu’avec la question de la vérité. Mais cette appréciation n’est que partiellement exacte dans la mesure où le pluralisme m’apparaît comme une règle d’organisation des communautés scientifiques qui ne saurait être contestée. Autrement dit, l’AFEP ne lutte pas pour des intérêts personnels ou corporatistes, mais pour un principe unanimement reconnu. Reste évidemment à prouver que l’économie mainstream transgresse ce principe, à savoir qu’elle mène une politique discriminatoire à l’égard des courants hétérodoxes, analyse qui est contestée par les économistes orthodoxes.

Pour une critique théorique de la valeur

257) En 2011, vous faites paraître un ouvrage important qui, comme La violence de la monnaie trente ans plus tôt, touche un public plus large que la communauté académique : L’empire de la valeur. Comment ce livre a-t-il été accueilli par les économistes, à la fois par ceux qui défendent l’idée d’une valeur-Utilité et dominent le champ académique, et ceux qui promeuvent celle de la valeur- Travail et y sont dominés ? Est-ce que cela a rouvert des débats de « haute théorie » parmi les économistes ou ont-ils été empêchés par la technicisation des discussions qui structure la professionnalisation du monde académique ? La théorie est-elle maintenant l’apanage d’autres sciences sociales ou de la philosophie comme le dernier livre d’économie politique spinoziste de Frédéric Lordon pourrait par exemple le laisser penser ?

26Je ne veux surtout pas être ingrat à l’égard de tous ceux qui ont écrit des recensions et des critiques, et je les en remercie vivement, mais, mis à part ceux-ci, je dirais qu’il n’y a pas eu de véritables débats avec les économistes ! L’explication que vous proposez – la technicisation – me semble incontestable. D’autant plus qu’aujourd’hui, avec le tournant expérimental, les économistes semblent avoir perdu le sens et le goût de la théorie. Je crains un regain de scientisme.

27Ce qui est pour moi spécialement décevant est que ce livre cherchait à nouer un dialogue avec l’économie mainstream en la questionnant sur certaines de ses conceptions les mieux établies concernant l’approche marginaliste de la valeur, la nature de la monnaie et la question de l’efficience des marchés financiers, d’une manière équilibrée et respectueuse des convictions des uns et des autres. Qui plus est, je l’ai fait en mobilisant des raisonnements et des auteurs bien connus de la pensée néoclassique. Or ce livre n’a pas été lu par les orthodoxes. Je le regrette. Il est vrai qu’on voit mal aujourd’hui se développer une remise en cause de la conception marginaliste de la valeur tant celle-ci apparaît comme évidente, incontestable car validée par des générations d’économistes. Mais à l’inverse, cette « évidence » ne serait-elle pas plutôt l’expression d’un trop grand conformisme, d’un manque d’esprit critique, d’une créativité en panne ? Quelle science aujourd’hui continue à travailler à partir d’idées datant bientôt d’il y a 150 ans ? Aucune !

28Vous avez raison d’observer que la réaction des autres sciences sociales et de la philosophie a été différente. Elles se sont montrées quant à elles intéressées par ce livre. C’est pour moi une grande fierté. Vous citez Frédéric Lordon. Cet exemple a pour moi une valeur toute particulière car notre complicité intellectuelle ne date pas d’hier. Cela fait bien longtemps que nous marchons de concert.

298) Nous voudrions finir par Marx. Ce que vous écrivez, depuis la parution de L’empire de la valeur, tourne autour d’une relecture de Marx et notamment de sa théorie de la marchandise. Vous avez par exemple fait paraître un texte dans l’ouvrage collectif d’hommage à Suzanne de Brunhoff[14]. Est-ce à dire que Marx n’est pas complètement condamné au substantivisme ? Qu’est-ce que vous essayez de penser avec Marx aujourd’hui à propos du capitalisme ?

30Ce retour à Marx est pour moi important. Il est au cœur de mes préoccupations depuis la rédaction de L’empire de la valeur. Je lui ai consacré trois articles [15] au cours des deux années précédentes et il sera largement développé dans le livre que je tente de terminer, tout du moins si jamais j’y réussis ! La grande force du marxisme est de bâtir sa compréhension du capitalisme, non à partir de faits psychologiques individuels, comme le propose l’approche marginaliste, mais à partir de trois relations sociales : le rapport marchand, le rapport salarial et l’État. Je ne veux certes pas dire que le marxisme fournit toutes les réponses à toutes les questions mais que, pour le moins, il propose un cadre conceptuel solide pour étudier le capitalisme. À mon sens, ce n’est pas le cas de la théorie néoclassique, malgré toutes ses qualités et tous ses résultats, pour une raison très simple : son individualisme. En effet, prendre l’individu comme point de départ de l’analyse est, à mes yeux, une erreur manifeste dans la mesure où l’individu n’est en rien un invariant puisqu’il est lui-même un produit de l’histoire. C’est aussi simple que cela. Par exemple, quel sens y a-t-il à penser le prix à partir de l’utilité marginale dès lors que cette utilité est intrinsèquement une grandeur historique qui demande elle-même à être pensée ? Comme l’écrit Durkheim dans Les règles de la méthode sociologique, « […] toutes les fois qu’un phénomène social est directement expliqué par un phénomène psychique, on peut être assuré que l’explication est fausse » [1895, p. 103]. Le marxisme échappe à ce reproche puisque l’invariance postulée à la base de ses analyses est celle du mode de production étudié, à savoir le capitalisme tel que le produit le rapport salarial ajouté au rapport marchand. Ce sont ces rapports de production qui façonnent les comportements individuels.

31Cette force du marxisme trouve cependant sa limite la plus manifeste dans sa conception de la monnaie-marchandise. Je dirais même, d’une manière un peu provocante, que c’est la théorie de la monnaie telle que Marx l’a développée de son vivant qui constitue de nos jours l’obstacle principal au « retour à Marx », tant elle paraît datée. L’insuffisance du marxisme en ce domaine est flagrante, comme en témoigne le fait qu’il n’existe pas d’histoire marxiste de la monnaie, au mieux trouve-t-on des historiens marxistes de la monnaie. Une première raison s’impose à l’esprit : de quelle utilité peut être aujourd’hui une approche qui, en son cœur, affirme qu’il n’est de monnaie que marchandise alors que, depuis 46 ans, le lien à l’or a été rompu ? Mais, à mon sens, cette explication ne suffit pas car même pour ce qui est des périodes au cours desquelles dominent les monnaies métalliques, le marxisme n’est guère utile, au-delà de réflexions puissantes mais générales sur le fait monétaire. Autrement dit, le problème est plus profond : selon mon interprétation, ce que Marx sous-estime est la nature conflictuelle du rapport marchand et de la monnaie. À ses yeux, l’émergence de la monnaie est un phénomène spontané [16] : « Une marchandise spéciale est donc mise à part par un acte commun des autres marchandises » [17], écrit-il. Or l’observation historique nous livre un tout autre message. On y constate une lutte continuelle entre groupes sociaux cherchant à faire prévaloir la monnaie qui soit la plus conforme à leurs intérêts. Si je me considère néanmoins marxiste, c’est dans la mesure où j’ai cru trouver chez Marx les concepts qui m’ont permis de construire une approche alternative capable de rendre compte de cette conflictualité. D’où le paradoxe d’une théorie marxiste de la monnaie qui ne soit pas la théorie de Marx !

32L’approche que je propose a pour point de départ la distinction marxienne entre production marchande et production capitaliste, mais en insistant tout particulièrement sur le fait que le corps social marchand est divisé du fait de l’existence d’une myriade de producteurs échangistes constitués en puissances privées. En cette matière, ma position est que Marx sous-estime cette réalité agonistique parce qu’il voit dans la loi de la valeur le mécanisme qui régule ces conflits, ce que Roubine nomme « la loi de l’équilibre de l’économie marchande ». A contrario, je propose de calquer l’analyse du rapport marchand sur celle que Marx développe à propos de cette autre séparation qu’est le rapport salarial, à savoir la séparation du travailleur d’avec les moyens de production. Comme on le sait, Marx introduit la lutte des classes comme un principe irréductible d’antagonismes, sans cesse présent au cœur de la dynamique du mode de production capitaliste. La médiation par le marché qui permet aux capitalistes d’acheter la force de travail à sa valeur ne suffit nullement à en endiguer la violence. C’est selon un modèle similaire qu’il nous semble judicieux d’appréhender la conflictualité marchande : la division du corps social qu’elle produit est la source d’une conflictualité permanente, qui irrigue continuellement les rapports sociaux et interdit de penser l’élection de l’équivalent général comme fournissant sa solution définitive aux contradictions de la marchandise. Cette conflictualité a pour objet privilégié l’unité de compte en tant qu’elle institue socialement la valeur.

Notes

  • [1]
    Marchands, salariat et capitalistes, Paris, François Maspero, coll. « Intervention en économie politique », 1980.
  • [2]
    A. Orléan y revient dans la dernière réponse. On peut également se reporter à A. Orléan, « Réflexions sur la théorie marxiste de la monnaie », in Catherine Colliot-Thélène (dir.), Que reste-t-il de Marx… ? Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 93-116.
  • [3]
    I. Roubine, Essais sur la théorie de la valeur, ibid., p. 107.
  • [4]
    R. Luxemburg, Introduction à l’économie politique, p. 343.
  • [5]
    André Orléan, « La valeur économique comme fait social : la preuve par les évaluations boursières », Revue de la régulation, n° 18, 2e semestre 2015, https://regulation.revues.org/11441.
  • [6]
    Pour ce qui est de l’histoire de l’économie des conventions, lire Rainer Diaz-Bone, qui en est le meilleur spécialiste. Par exemple, son article avec Laurent Thévenot, « La sociologie des conventions. La théorie des conventions, élément central des nouvelles sciences sociales françaises », Trivium. Revue franco-allemande de sciences humaines et sociales, 2010, n° 5, https://journals.openedition.org/trivium/3626.
  • [7]
    Économiste américain auteur de la théorie d’efficience des marchés financiers.
  • [8]
    Pour une synthèse, se reporter à la partie III de L’empire de la valeur qu’on peut lire indépendamment des deux parties précédentes.
  • [9]
    Franck Knight, auteur de l’ouvrage Risk, Uncertainty and Profit [1921].
  • [10]
    Se reporter à L’empire de le valeur aux pages 248 et 249.
  • [11]
    Se reporter à Croyances, représentations collectives et conventions en finance, Paris, Economica, coll. « Recherche en gestion », 2005, en collaboration avec David Bourghelle, Olivier Brandouy et Roland Gillet.
  • [12]
    Pour une présentation de cette école de pensée, se reporter à Pierre Alary, Jérôme Blanc, Ludovic Desmedt et Bruno Théret (dir.), Théories françaises de la monnaie, Paris, PUF, 2016.
  • [13]
    André Orléan, « Les monnaies modernes comparées aux monnaies primitives. L’apport de Daniel de Coppet », in André Itéanu (dir.), La cohérence des sociétés. Mélanges en hommage à Daniel de Coppet, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2010, p. 413-429.
  • [14]
    André Orléan, « De quelques débats à propos de la production marchande chez Marx », in Ricardo Bellofiore, Daniel Cohen, Cédric Durand et André Orléan (dir.), Penser la monnaie et la finance avec Marx. Autour de Suzanne de Brunhoff, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Économie, Gestion et Société », 2018, p. 45-74.
  • [15]
    En plus de l’article précédent, il s’agit de « Réflexions sur la théorie marxiste de la monnaie », in Catherine Colliot-Thélène (dir.), Que reste-t-il de Marx… ? Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 93-116. Et de « Une conception matérialiste des prix ne suppose nullement d’adhérer à la théorie de la valeur travail. Nouvelle réponse à Jean-Marie Harribey », Économie & Institutions, vol. 26, 2017, http://journals.openedition.org/ei/6092.
  • [16]
    On peut se reporter à « Réflexions sur la théorie marxiste de la monnaie », déjà cité.
  • [17]
    Le Capital, Éditions Sociales, p. 97.
Réalisé par 
Marlène Benquet
Paris Dauphine, IRISSO, CNRS, PSL
Richard Sobel
Université de Lille, Clersé
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 28/11/2019
https://doi.org/10.3917/rfse.023.0021
Pour citer cet article
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