CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les notions de richesse, de valeur et de prix ont donné lieu à de vastes débats en économie depuis au moins la naissance de l’Économie politique. Sans qu’il s’agisse ici d’en faire une synthèse, quelques mots de positionnement sont nécessaires pour situer l’apport spécifique du présent dossier, intitulé « Valeur et capitalisme ». Pour le dire à grands traits, ces débats sont structurés par deux oppositions. D’une part, une première opposition existe entre richesse (l’ensemble des valeurs d’usage, c’est-à-dire les biens ou services, jugés utiles dans une société donnée, mais qualitativement différents et incommensurables entre eux) et valeur (l’évaluation quantitative d’un ensemble de richesses saisies sous un certain point de vue quantitatif à partir d’une grandeur commune qui en permet la mesure). L’histoire de la pensée économique oppose ainsi deux conceptions de la valeur, la conception « objective » de la valeur-travail (paradigme classique de Smith, Ricardo et un certain Marx) et la conception subjective de la valeur-utilité (le paradigme néoclassique).

2D’autre part, une seconde opposition existe entre valeur et prix. Les prix sont pensés comme l’expression phénoménale et monétaire de la valeur conçue comme une substance (le travail ou l’utilité). Cette distinction a donné lieu à de nombreux débats, notamment autour de la question de la gravitation des prix de marché autour de la valeur et de la transformation des valeurs en prix. Parallèlement, une tradition de pensée a critiqué l’essentialisme des approches en termes de valeur et, refusant la distinction entre réel et monétaire, défendu une approche monétaire de l’ordre économique (par exemple au sein des travaux de Keynes et des postkeynésiens). Dans cette perspective, la distinction valeur/prix n’a plus lieu d’être.

3Ce dossier aborde l’analyse de la valeur comme inscrite dans des rapports sociaux capitalistes et montre la manière dont cette perspective modifie ces distinctions classiques entre valeur, richesse et prix. Il donne à voir le renouveau et la fécondité des approches matérialistes de la valeur, qui redéfinissent la richesse comme le résultat d’une accumulation monétaire autorisée par des institutions et des règles particulières d’enrichissement, et les prix comme des anticipations de profits réalisables au sein du mode de production et d’échange capitaliste. Plus globalement, il analyse ainsi les processus de détermination de la valeur des choses comme façonnés par l’impératif de valorisation du capital qui constitue leur cadre historique contemporain.

1 – Le renouveau des approches matérialistes de la valeur

4Au carrefour de l’économie politique, de la sociologie des prix et des études sociales de la finance, on assiste, depuis près d’une quinzaine d’années, à un renouveau des travaux qui articulent l’analyse de la valeur (des biens ou services, mais aussi des firmes ou des actifs financiers) et celle du capitalisme. Certains de ces travaux ont acquis une grande notoriété tels L’empire de la valeur [Orléan, 2011], La Condition anarchique [Lordon, 2018], Capitalism in the Web of Life, Ecology and the Accumulation of Capital [Moore, 2015], New Imperialism [Harvey, 2003], La richesse, la valeur et l’inestimable. Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste [Harribey, 2013], Le capital au 21e siècle [Piketty, 2013] ou encore Finance Capital Today, Corporations and Banks in the Lasting Global Slump [Chesnais, 2016]. Ces ouvrages ont ainsi participé à rouvrir, cent cinquante ans après la parution du Capital de Karl Marx, le chantier d’une approche critique de la valeur économique. Leur développement et leur visibilité ont partie liée avec la crise financière de 2008 qui a directement mis en cause les modes d’évaluation des actifs financiers, mais aussi avec la crise écologique qui contraint à se poser la question de la valeur des biens communs nécessaires à la vie humaine, et enfin avec l’accroissement des inégalités intra- ou internationales, qui a mis en lumière, ces dernières années, le coût social de la création de valeur à l’échelle mondiale. La mise en doute de la capacité des marchés à déterminer la valeur des actifs financiers, et le souci grandissant de soustraire certains types de biens communs [Ostrom, 2010 ; Coriat, 2015] à leur évaluation marchande puis à leur valorisation capitaliste, ont ainsi nourri les questionnements sociaux sur ce que valent les choses et ce qui compte pour nous [Hache, 2011].

5Issues de traditions disciplinaires et théoriques diverses, ces recherches posent la question des processus de détermination de la valeur. Comment décidons-nous de la valeur d’une chose ? Quels sont les arrangements institutionnels, les configurations sociales, les croyances partagées et les outils qui sous-tendent la fabrication de la valeur ? Ces recherches ont ainsi en commun la critique d’une définition néoclassique de la valeur fondée sur l’utilité qui considère celle-ci, tant dans sa version marginaliste que dans celle des marchés efficients, comme préexistante à l’échange et intrinsèque aux biens, au profit d’un retour à une définition constructiviste de la valeur. En questionnant l’une des lois ordonnatrices de l’économie néoclassique, dont la centralité est comparée par André Orléan à celle de la loi de la gravitation pour la physique newtonienne [Orléan, 2011, p. 44], ces travaux mettent en cause l’un des principaux régimes de justification du capitalisme contemporain [Martin, Ouellet, 2014], participant ainsi à une refondation critique de l’économie, et notamment à une remise en débat de l’héritage marxiste. C’est notamment le fil directeur de l’entretien qu’André Orléan a accepté de réaliser dans le cadre de ce dossier, et dans lequel il revient sur la manière dont sa trajectoire intellectuelle a notamment façonné sa théorie critique de la valeur des choses.

6Dans ce nouveau champ de travaux critiques sur la valeur, la tradition matérialiste est remobilisée comme un paradigme théorique qui distingue la valeur d’usage de la valeur d’échange d’un bien, réinscrit la question de la valeur dans des rapports sociaux, notamment les rapports de production capitalistes, et autorise ainsi à penser les conditions sociopolitiques de la marchandisation des choses. En particulier, ces travaux partagent une approche des modes d’attribution de la valeur comme étant encastrés et indissociables des processus plus larges de circulation et d’accumulation du capital. La valorisation y est décrite dans le cadre de rapports sociaux institutionnellement réglés, qui aboutissent d’un côté à la création de pôles de concentration de capital, et de l’autre, de pôles de dépossession.

2 – La valeur des choses encastrée dans des rapports sociaux capitalistes

7Ces recherches contemporaines, critiques sur la valeur, se sont principalement développées dans deux directions. La première concerne les liens entre, d’une part, la valeur des marchandises et leur prix, et d’autre part, les rapports sociaux dans lesquels s’inscrit la création de cette valeur. À partir d’une perspective générale de dénaturalisation des faits économiques pensés comme pleinement sociaux [Steiner, Vatin, 2009], ces travaux redéfinissent les prix comme des ajustements provoqués et fabriqués par des acteurs ou des institutions [Fligstein, 2001 ; François, 2008]. Les marchés ne sont pas pensés comme des espaces où se juxtaposeraient les préférences individuelles qui produiraient la valeur des biens et services, mais comme le produit de forces politiques et sociales [DiMaggio, Powell 1991 ; Bourdieu, 2005 ; Fligstein 2001]. Cette approche est notamment développée par des travaux issus de perspectives analytiques conventionnaliste et régulationniste, qui abordent la valeur comme le produit d’accords entre des acteurs partageant des croyances [Lebaron, 2010] ou des normes d’évaluation [Montagne, 2017] quant à la valeur des biens. Ils substituent ainsi à une économie des grandeurs centrée sur les objets, une économie des relations centrée sur les acteurs [Orléan, 2011].

8Prolongeant ce cadre théorique, des travaux de sociologie économique se sont attachés à mettre en lumière les médiations sociales, techniques et culturelles qui sous-tendent ces évaluations [Beckert, Aspers, 2011 ; Fourcade, 2004 ; Karpik, 2010 ; Garcia-Parpet, 2007]. Ils soulignent notamment les dispositifs sociotechniques impliqués dans la détermination de la valeur [Mac Kenzie, Millo, 2003 ; Callon, Millo, Muniesa, 2007 ; Beunza, Stark, 2003 ; Muniesa, Teil, 2006 ; Doganova, 2014], les espaces et réseaux d’acteurs mobilisés [Zbaracki, 2004 ; Yakubovich, Granovetter, McGuire, 2005 ; Barrey, 2006 ; Godechot, 2009], l’encadrement institutionnel des pratiques d’évaluation [Lemoine, 2016 ; Uzzi, Lancaster, 2004 ; Jany-Catrice, 2012], et les normes professionnelles des participants à l’élaboration des prix [Boussard, 2013]. Considérant qu’en dépit de ce travail critique de déconstruction de la notion de valeur, celle-ci charrie encore des présupposés naturalistes, certains travaux issus de perspectives de sociologie dite pragmatique, proposent de renoncer entièrement à cette notion au profit de celle de justification du prix [Boltanski, Esquerre, 2017] ou d’évaluation [Cottereau, 2014].

9Les liens existants entre les modes de fixation de la valeur et l’accumulation de profit n’avaient jusqu’ici fait l’objet que de peu d’investigations empiriques. En sociologie, la prédominance des approches de la valeur par l’analyse des outils et instruments a contribué au délaissement de la question de l’accumulation. Les croyances, règles et outils qui forment le contexte de la fabrication des prix ont été principalement étudiés en dehors de l’analyse de l’argent qu’ils font circuler. Cette question a en revanche fait l’objet d’investigations théoriques notamment au sein d’approches marxistes contemporaines qui, à la suite des travaux liminaires d’Isaac Roubine, Moishe Postone et Robert Kurz, abordent la valeur comme une médiation sociale, et l’expression de formes spécifiques d’interdépendance sociale. À partir d’une réappropriation critique du concept de valeur travail, ces travaux inscrivent la question de la détermination de la valeur dans l’analyse plus large des rapports sociaux d’exploitation et d’accumulation de capital [Martin, Ouellet, 2014 ; Durand, 2014 ; Chesnais, 2016 ; Darmangeat, 2016]. La discussion de ces résultats sur un plan théorique doit encore être prolongée [1] [Sobel, 2016 ; 2017] et c’est aussi sur un plan empirique qu’il est aujourd’hui nécessaire de la conduire, pour saisir comment des modalités locales, situées et instrumentées, de fixation de la valeur participent à la constitution de pôles massifs d’accumulation de capital et ainsi à la production des hiérarchies sociales [Benquet, 2018].

10Au sein de la sociologie économique, les approches institutionnalistes de la valeur et des prix ont souvent été supplantées par des approches par les réseaux ou les normes culturelles [Beckert, 2011] impliqués dans leur définition. De plus, elles se sont davantage focalisées sur les questions de légitimité et de diffusion de modèles institutionnels que sur celles de la production des règles encadrant les actions économiques [Streeck, Thelen, 2005, p. 10]. En revanche, dans le prolongement d’une perspective institutionnaliste en économie, des travaux issus d’approches telles que le néo-institutionnalisme, l’économie des conventions, la théorie de la régulation ou le mouvement Law and Organisations, ont étudié l’influence des régulations institutionnelles sur les activités économiques [Benquet, Bourgeron, 2019]. Contre une définition positiviste du droit pensant la règle comme « une contrainte incitative à optimiser par chacun » [Bessy, Delpeuch, Pélisse, 2011, p. 11], ils ont développé une conception endogène des règles comme constitutives des activités économiques. Ces perspectives ont été utilement mobilisées pour penser les processus de fixation de la valeur, et évaluer la place des différentes institutions productrices de droit (les États nationaux, les institutions supranationales, les institutions privées, les collectivités territoriales ou les institutions agissant sur une base sectorielle) dans la définition de la valeur des choses.

3 – À quelles conditions les choses acquièrent-elles une valeur marchande ?

11La seconde direction adoptée par les discussions contemporaines sur la valeur concerne la qualification des biens comme marchandises, c’est-à-dire comme susceptibles de se voir attribuer une valeur marchande. Cet axe de réflexion a notamment donné lieu à une discussion sur la mesure de la valeur des services non marchands [Harribey, 2013] et sur la valeur marchande des biens vivants ou engageant la survie du vivant [Zelizer, 1981 ; Coriat, 2015 ; Moore, 2015]. La focale n’est pas ici portée sur la quantification de la valeur d’échange, mais sur les effets de l’extension de la marchandisation des biens sur les relations sociales et les formes de subjectivité [Holloway, 2012]. Elle extrait la discussion sur les rapports entre les valeurs d’usage et les valeurs d’échange d’un cadre technique et économique, pour l’inscrire dans un débat éthique sur l’importance, tant morale que pratique, que nous accordons à chaque chose. Cet axe de réflexion réduit le fossé existant entre des travaux portant sur l’action collective critique et sur les activités économiques, fossé creusé par la structuration académique de la sociologie économique et de la sociologie des mobilisations. En dépit de récentes exceptions [Bolantski, Esquerre, 2017], peu de travaux articulent une analyse de la valeur à celle de la critique sociale. Cette lacune analytique porte à la fois sur les liens concrets qui unissent des formes historiques et situées de fixation de la valeur et de critiques sociales, et qui seraient justiciables d’investigations empiriques, et sur les manières de penser ensemble théorie de la valeur et forme de la critique.

12Le développement de cet espace de recherche au croisement de la sociologie économique et des approches institutionnalistes en économie participe finalement, d’un point de vue disciplinaire, à l’unification d’un champ des sciences sociales abordant les faits économiques comme des construits historiques, et la valeur marchande des biens en lien avec l’analyse des valeurs morales et culturelles. Il est enfin solidaire d’une réflexion politique sur les moyens d’outiller les critiques contemporaines des formes prises par les échanges marchands.

4 – Études de cas des processus d’attribution, d’évaluation et de critiques de la valeur des choses

13À partir d’études de cas ou de réflexions théoriques sur des paradigmes spécifiques (notamment l’économie des conventions et l’approche régulationniste), le premier volume de ce dossier de la Revue française de socio-économie, intitulé « Valeur et capitalisme », ouvre des pistes pour lier l’analyse des modes de production de la valeur à celle du mode de production capitaliste dans son ensemble.

14Lauréat 2018 du Prix Doctoriales Économie & Sociologie et Revue française de socio-économie, l’article de Marine Duros, « L’édifice de la valeur. Pratiques de valorisation dans le secteur de l’immobilier financiarisé » aborde la question des architectures institutionnelles qui sous-tendent les pratiques évaluatives dans le cas de l’immobilier financiarisé en France. À partir de données ethnographiques et d’entretiens, il décrit, contre une approche substantialiste de la valeur, les modes de construction de la valeur et les dispositifs, les croyances et les conventions professionnelles qui les sous-tendent. Le texte offre ainsi une voie alternative heuristique qui articule l’analyse localisée de pratiques d’évaluation et leurs effets sur la circulation effective de l’argent dans l’espace social, pour penser la création et l’alimentation des bulles immobilières au sein des grandes métropoles. Il met en évidence les luttes autour de la définition de la « juste valeur » et leur encastrement dans un espace social structuré par des rapports de pouvoir.

15Cette ambition de réencastrement de l’analyse de la valeur dans des rapports sociaux et des dispositifs institutionnels est prolongée dans l’article de Marlène Benquet « Les financiers sont-ils néoclassiques ? Conceptions indigènes de la valeur des acteurs du capital investissement » à propos du secteur du private equity. Ce secteur financier qui centralise des capitaux apportés par des investisseurs institutionnels (fonds de pension, banques, assurances, fonds souverains, family office) pour les investir dans des entreprises non cotées qu’il restructure et revend au bout de cinq ans en moyenne, est devenu un acteur central de l’économie française soutenu depuis trente ans par des politiques publiques volontaristes. L’article étudie la prégnance de l’approche substantielle de la valeur à partir, non pas des pratiques des financiers, mais des discours qu’ils tiennent sur elle en fonction des situations d’énonciation au sein desquelles ils se trouvent placés. À partir d’une approche pragmatique des jugements portés sur la valeur, ce texte montre que, récusée lorsqu’ils commentent leurs pratiques professionnelles, la définition néoclassique de la valeur est en revanche mobilisée lorsqu’il s’agit de les justifier. Cette définition fonctionne ainsi comme un paradigme politique qui permet d’articuler la poursuite d’intérêts privés et l’intérêt général et qui entre en contradiction avec leur conception indigène de la valeur. L’article fait ainsi apparaître les enjeux directement politiques des définitions de la valeur utilisées au sein même des secteurs financiers.

16L’article « Économie des conventions et transformations du capitalisme : une analyse des effets du pouvoir de valorisation » de Christian Bessy aborde la question des liens entre valeur et capitalisme à partir d’une étude des évolutions des analyses de la valeur au sein d’un paradigme théorique spécifique, celui de l’économie des conventions. Il montre la manière particulière dont ce paradigme peut participer à appréhender certaines transformations du capitalisme, en s’intéressant plus particulièrement aux métamorphoses des espaces marchands plutôt qu’aux changements des mondes de production. Il fonde notamment cette idée sur une lecture approfondie de l’ouvrage de Luc Boltanski et Arnaud Esquerre Enrichissement [2017]. Il souligne ainsi qu’en déplaçant le regard du pouvoir de coordination des conventions au pouvoir de valorisation d’acteurs dominants dans la définition et la diffusion de conventions d’évaluation, l’économie des conventions s’est orientée vers la mise en évidence d’architectures capitalistes de pouvoirs de valorisation et ouvre ainsi la voie à des analyses plus systémiques du capitalisme.

17Enfin, les deux articles de Caroline Bertron et Sylvain Vatan explorent quant à eux davantage la question de la qualification des biens comme marchandises, et des conditions mêmes de l’attribution d’une valeur.

18L’article de Caroline Berton « Définir la valeur des écoles : l’acquisition de pensionnats privés par une multinationale de l’éducation », se penche sur les processus de construction de la valeur dans le cas d’un type de biens dont la marchandisation ne va pas de soi, à savoir l’école en suisse romande. Comment en effet attribuer une valeur marchande dans le secteur de l’éducation ? L’article explore plus spécifiquement la financiarisation des écoles dites « internationales » dans l’enseignement secondaire à travers les trajectoires socio-historiques de trois d’entre elles détenues par une multinationale de l’éducation. Il montre la multiplicité des acteurs qui définissent ce qu’est et ce que vaut une « école », et construisent ainsi sa valeur d’échange. Les définitions marchandes des écoles qui s’expriment lors des rachats y apparaissent ainsi encastrées dans les transformations entrepreneuriales, managériales et juridiques plus larges des établissements. Leur valeur « scolaire » (l’excellence, la sélectivité, les types de cursus) n’y constitue alors qu’un élément parmi d’autres. Ces définitions marchandes de la valeur des écoles peuvent d’ailleurs rencontrer des résistances selon la manière dont les différents acteurs locaux adhèrent ou non à ces redéfinitions de statuts et tentent de lui opposer d’autres formes de légitimités éducatives.

19Le texte de Sylvain Vatan « Le prix de l’aide à domicile : genèse d’une convention de valorisation » constitue, quant à lui, une autre étude de cas de l’attribution d’une valeur marchande à des services, en l’occurrence ceux de l’aide à domicile. Il décrit comment se construisent, dans des moments de trouble quant à la valeur d’un bien, des conventions de valorisation qui relèvent dans le cas étudié des principes de la nouvelle gestion publique, et s’appuie également sur l’étude de la construction socio-historique du financement de l’aide à domicile. À partir de données statistiques et d’entretiens, l’article illustre ainsi la fécondité d’une approche institutionnaliste de la valeur qui place le dispositif de tarification à la fois comme un élément structurant le comportement des acteurs, et comme un objet de tension et de lutte pour la prévalence d’une certaine représentation des activités professionnelles.

20En analysant les processus de fixation de la valeur aux prismes du profit, de l’État et de la critique, l’entretien avec André Orléan et les cinq articles de recherche sur des objets et des perspectives variés, ouvrent ainsi des pistes théoriques et empiriques pour articuler le renouveau des analyses de la valeur à celles du capitalisme lui-même.

Notes

  • [1]
    Les approches en termes de « critique de la valeur » défendent l’idée que Marx n’a pas proposé une simple critique du capitalisme du point de vue du travail, mais une critique du « travail » sous le capitalisme et sa « loi de la valeur ». En tant que déconstruction radicale de tous les effets du fétichisme de la marchandise, la « Critique de la valeur » se veut ainsi la condition nécessaire d’une dénaturalisation intégrale de la société capitaliste. Les sociétés où domine le mode de production capitaliste sont alors analysées dans une perspective déterministe structuraliste, au risque de faire disparaître l’activité normative des acteurs et leurs différents conflits qui sont au cœur des processus d’évaluation.

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Marlène Benquet
Paris Dauphine, IRISSO, CNRS, PSL
Richard Sobel
Université de Lille, Clersé
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Mis en ligne sur Cairn.info le 28/11/2019
https://doi.org/10.3917/rfse.023.0011
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