CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 – Introduction

1Nous voudrions ici questionner les thèses afro-pessimistes et afro-optimistes sur le développement de l’Afrique en mettant en perspective les dynamiques socio-politiques de la longue durée avec les impacts des investissements récents dans les activités extractives en Afrique sahélo-soudanienne. La tonalité de ces thèses reflète l’air du temps : au pessimisme prévalant jusqu’au début des années 2000 succède l’optimisme au milieu de cette décennie. De nombreux auteurs voient l’Afrique enfin candidate à « l’émergence ».

2La période contemporaine est en fait traversée par une tension entre deux logiques contradictoires. La première reproduit une trajectoire inscrite sur le temps long : conséquence du sous-peuplement du continent qui empêche les dirigeants d’asseoir leur pouvoir sur l’exploitation fiscale du travail paysan [Iliffe, 2009], l’histoire de l’Afrique a été caractérisée par l’exportation de ressources naturelles brutes vers le marché mondial au bénéfice de minces élites politiques et au détriment du plus grand nombre [Bayart, 2006]. La course aux ressources observée depuis la fin des années 1990, attisée par la montée en puissance des pays émergents géants (Chine, Inde, Brésil), semble conforter l’assignation du continent à sa fonction de pourvoyeur vulnérable et dominé de produits primaires. Une telle trajectoire a souvent été qualifiée de « malédiction des ressources naturelles », construite sur l’idée contre-intuitive que les pays riches en ressources, lorsqu’ils ont des institutions faibles, seraient déterminés à subir toutes sortes de dysfonctionnements (économiques, politiques, sociaux).

3La seconde reflète des dynamiques de changement. Une croissance démographique et urbaine sans précédent en est l’élément central. Des marchés intérieurs se développent et la perspective d’un développement autocentré (du moins ne reposant pas principalement sur l’exportation de matières premières), tant rêvée parmi certains promoteurs du développement des années 1960, devient enfin réaliste. Par ailleurs, un ensemble de réformes est mis en œuvre en accompagnement du boom des investissements récents, qui concernent notamment le secteur extractif. Ces réformes visent à atténuer leurs impacts les plus négatifs et à convertir les rentes en développement ; leur portée demeure à évaluer à tous points de vue.

4Dès lors, le moment actuel peut être interprété de deux manières opposées : dans la continuité de l’histoire, il pourrait n’être qu’un cycle favorable permis par le haut niveau des prix mondiaux des matières premières en lien avec le supercycle [1] chinois. À l’inverse, il pourrait augurer une rupture historique majeure redéfinissant les modalités de l’intégration africaine dans la mondialisation et ainsi les dynamiques socio-politiques internes aux sociétés africaines. Notre hypothèse [2] est que la rencontre de ces mouvements de fond de la démographie, de l’économie et du politique produisent des espaces de bifurcation (cf. 4.1) hors de la trajectoire africaine de longue durée, mais que ceux-ci seront exploités de manière très diverse selon les configurations socio-politiques locales, aboutissant à une diversification croissante des trajectoires nationales.

5Une discussion sur la relation entre systèmes rentiers et dynamiques des territoires hôtes (2) sera suivie par la présentation des principaux facteurs de changement actuels (3). La quatrième section abordera l’identification d’espaces de bifurcation dans la trajectoire africaine, à partir de l’exemple du Tchad (4).

2 – Systèmes rentiers et territoires ouest-africains : une insertion dominée dans la mondialisation

6Si l’on considère que des systèmes politico-économiques rentiers scellent la relation de l’Afrique à l’extérieur, il convient d’insister sur leur évolution et sur la diversité des interactions territoriales qu’ils suscitent.

2.1 – Histoire longue et diversité des systèmes rentiers

7Si les rentes sont définies comme « l’obtention de revenus sans contribution à la production » [Hugon, 2009, p. 9], les plus visibles sont extraverties, à l’interface entre les acteurs du système économique mondial et les territoires africains. Les rentes ont souvent été abordées pour leurs effets en termes d’économie politique [Beblawi, Luciani, 1987], mais elles occupent aussi une place singulière dans les dynamiques des systèmes territoriaux à travers leur rôle dans l’organisation des espaces ; leur capacité à produire de la fragmentation ou au contraire de l’inclusion territoriale ; leur place dans les imaginaires et les identités.

8Les systèmes rentiers contemporains ont des origines anciennes ; ils expliquent les lignes de force de l’organisation spatiale africaine. Le système de la traite qui s’établit lors de la première mondialisation de l’Afrique, au début du xvie siècle, en pose les jalons : des constructions politiques hiérarchisées (au Sahel ou en position littorale) tirent leur pouvoir de la vente de ressources naturelles et d’hommes aux Européens qui établissent des points de commerce littoraux. En Afrique de l’Ouest, ces dynamiques renforcent les contrastes du peuplement (concentration sur les côtes, zones vidées par les prélèvements d’esclaves, concentration autour des centres de pouvoir intérieur).

9À l’époque coloniale, des spécialisations économiques se précisent en fonction de l’identification de ressources exportables, qui visent à rentabiliser l’occupation des territoires conquis [Sarraut, 1922]. Les économies de plantation relativement diversifiées du littoral (bois, cacao, caoutchouc, palmier) contrastent avec la domination d’une « culture de rente » en zone sahélo-soudanienne (arachide ou coton) ; le Sahel sec est plus ou moins abandonné à son élevage « contemplatif » et à son agriculture d’autosubsistance [Magrin, 2013].

10L’histoire de ces systèmes, dans la seconde moitié du xxe siècle, est celle d’une progressive diversification des sources de rente dans la plupart des pays. En fonction du rapport à l’État et au territoire, trois formes de systèmes rentiers peuvent être distinguées : ceux fondés sur les rentes d’extraction (agricole, minière, ou procédant de l’exploitation des ressources naturelles renouvelables comme le poisson ou le bois) ; ceux relevant de transferts financiers, comme l’aide au développement ou les remises des migrants ; enfin, les rentes résultant des échanges et du transit, parfois liées aux frontières [Igué, Soulé, 1992 ; Igué, 2006] ou à des flux criminels [Bayart et al., 1997].

11Parmi les rentes d’extraction, les rentes agricoles et minières présentent des interactions différentes avec les territoires hôtes. Dans le cas des premières, si l’État capte, via des entreprises publiques ou le contrôle de la commercialisation, une part importante de la plus-value des filières, ces systèmes sont à l’origine de flux financiers qui bénéficient à un nombre important de producteurs à l’échelle de vastes régions. Les cultures de rente paysannes ont été un puissant moteur de transformation des économies, des sociétés et des territoires ruraux, dont elles structurent notamment les polarités et les axes d’échanges. Le coton en a été l’un des exemples les plus emblématiques [Renaudin, 2010]. Les activités extractives (mines, pétrole) produisent des effets différents. Les lieux de production sont géographiquement concentrés : sur une carte à petite échelle, ce ne sont que des points. Les flux financiers dont ils sont à l’origine sont dirigés vers les investisseurs extérieurs et vers l’État ; les territoires hôtes, qui subissent les impacts négatifs de l’activité, n’en perçoivent que les miettes.

12La diversité des configurations rentières renvoie à des enjeux communs : elles auraient des impacts négatifs sur les institutions et ne se traduiraient pas suffisamment par des investissements productifs nationaux.

2.2 – Au-delà de la « malédiction des ressources naturelles »

13L’approche de la « malédiction des ressources » a été couramment utilisée pour l’étude des plus archétypiques de ces systèmes rentiers. Elle a nourri de vives critiques en retour. Ce paradoxe de l’abondance [Karl, 1997] n’est ni une école ni une théorie ; il désigne des situations dans lesquelles l’importance des ressources, dans des États aux institutions fragiles, serait la cause de nombreux maux. Rosser [2006] distingue les impacts économiques, les effets sur la nature (plus ou moins démocratique) des régimes politiques et les conflits. En adaptant sa classification, on identifie cinq registres : les problèmes macroéconomiques (taux de croissance faibles, dépendance, endettement, faible diversification, syndrome hollandais [3]) ; les difficultés de gouvernance : la rente dispensant du lien fiscal, le clientélisme freine la maturation démocratique [Collier, Hoeffler, 2005] – « politique du ventre » et corruption favorisent le maintien ou le retour de régimes autoritaires, allant jusqu’à des « États faillis durables » [Soares de Oliveira, 2007] ; les conflits seraient plus fréquents et plus longs en contexte d’exploitation de ressources naturelles [Ross, 2003 ; 2012] ; les impacts environnementaux systématiques (pollutions, prises de terre, déforestation, érosion de la biodiversité) [Bruhnes, 1912 ; Boocock, 2002] ; enfin, les activités pourvoyeuses de rentes ont des impacts territoriaux : la recrudescence des investissements mondialisés en Afrique durant la décennie 2000 est ainsi analysée comme procédant d’investissements très sélectifs et ponctuels [Ferguson, 2006], obéissant à la logique de l’enclave [Donner, 2011] et contribuant à la fragmentation des territoires [Watts, 2004 ; Antheaume, Giraut, 2005].

14Cette thèse dominante de la « malédiction » a cependant soulevé bien des critiques. Celles-ci soulignent le biais d’approches quantitatives passant trop facilement de la corrélation à la causalité, ignorant les réussites de pays ayant fondé leur développement sur l’exploitation de leurs ressources naturelles, comme l’Indonésie, la Malaisie, le Chili ou le Brésil [Rosser, 2006) ; de telles approches statistiques occultent trop souvent les spécificités historiques sans lesquelles les trajectoires nationales ne peuvent être interprétées [Marchal, Messiant, 2002] ; la thèse de la malédiction est suspectée de délégitimer les droits sur leurs ressources de pays pauvres, au profit d’acteurs dominants du système économique international qui appartiennent pourtant au même système et s’abstiennent ainsi de le remettre en cause [Talahite, 2007 ; Donner, 2009]. L’accent mis sur l’enclavement (physique et institutionnel) des activités extractives sous-estime les interactions avec le milieu hôte et les liens territoriaux multiformes qui les unissent [Magrin, van Vliet, 2005 ; Bloch, Owusu, 2011]. Enfin, au-delà du jugement de valeur et du déterminisme inhérent à la « malédiction », les systèmes rentiers méritent d’être considérés comme indissociables des territoires africains tels qu’ils ont été forgés par leur histoire [Magrin, van Vliet, 2009] : ils en ont influencé l’organisation spatiale, les systèmes politiques, les relations État/population/environnement ; la multispatialité croissante (mobilité et propension croissante des populations à vivre de ressources produites ailleurs) en est une implication. Les contextes pétroliers peuvent être lus comme des parangons de ces situations. Ils permettent de définir des « situations pétrolières », de la même façon que Balandier évoquait la situation coloniale : le contexte (colonial ici ; pétrolier là) influence radicalement les structures du politique, de l’économie, des représentations, jusqu’à représenter une dimension de l’existence.

3 – Nouveau cycle ou nouvelle trajectoire ?

15Le nouveau millénaire a vu s’installer en Afrique une conjoncture relativement favorable après deux décennies et demie de crise. Des changements de fond, comme la densification démographique et urbaine, s’associent avec des dynamiques plus ponctuelles et diverses, articulant changement sociopolitique endogène et influences mondialisées.

3.1 – Entre écume et émergence

16Avant même la célébration du demi-siècle d’indépendance de nombre de pays africains, à la charnière de 2010, un nouveau contexte rappelant les années 1960 s’est imposé en Afrique. Après une décennie de turbulences (1970) et deux décennies noires (1980-1990) marquées par les sécheresses, les ajustements structurels et de nombreux conflits marquant la fin des rentes géopolitiques de la guerre froide, sur fond d’injonctions démocratiques rendues périlleuses en période de crise, le contexte a changé. Le continent-marge de l’économie mondiale semble réintégré : l’argent y circule de nouveau. Cela s’explique par les cours élevés des matières premières, dont dépendent toujours majoritairement les pays africains. La tendance tient aussi au désendettement, à une timide reprise de l’aide publique au développement liée à la prise de conscience occidentale, après le 11 septembre 2001, des risques d’abandonner les marges du monde, relayée par les craintes migratoires et l’émulation introduite par l’émergence chinoise. En outre, des flux mondialisés croissants et divers se dirigent vers l’Afrique (remises des migrants, investissements de pétrodollars d’origine variée, trafics de drogue intercontinentaux). Dans un tel contexte, les États anémiés par l’ajustement structurel se réveillent ; ils réinventent des postures développementalistes à coups de grands travaux d’infrastructures [De Jong, Foucher 2010 ; Magrin, 2013 ; Kernen, 2014].

17Or les choses ont beaucoup changé depuis les années 1960, dans un sens qui semble enfin favorable au dernier continent sur l’échelle du développement. Non sans soubresauts ni retours en arrière, les États nations se consolident à travers les épreuves [Pourtier, 2014] ; la démocratisation s’enracine [van de Walle, 2010] ; les décentralisations favorisent l’émergence d’espaces politiques locaux. Les Organisations non gouvernementales (ONG) contribuent, avec des acteurs locaux hétéroclites, à la diversité politique des arènes de la gouvernance, où l’État n’est plus aussi hégémonique qu’au lendemain des indépendances. Les élites éduquées sont incomparablement plus fournies qu’alors ; l’équipement en infrastructures progresse, même si les besoins dans les deux domaines demeurent immenses pour rattraper des standards internationaux raisonnables. Le principal changement tient à la vague de fond démographique [Iliffe, 2009 ; Losch et al., 2013] : au prix d’une mutation d’une ampleur et d’une rapidité sans égales dans l’histoire humaine, l’Afrique est sur le point de rattraper son retard démographique et urbain. Le continent était peuplé de 100 millions d’habitants en 1900, il en compte 1 milliard en 2000, en comptera 2 à 2,5 milliards en 2050 ; la population était rurale à 95 % en 1900, elle sera bientôt majoritairement urbaine. Si les gouvernements doivent relever les défis de l’alimentation et de l’emploi, ils disposent enfin d’une fenêtre pour un développement tiré par les marchés intérieurs, moins dépendant des horizons extravertis qui façonnent sa relation économique et politique au monde depuis quatre siècles. Aussi, si la mode est à la rhétorique de l’émergence (tant le « développement » semble terni par le fardeau de ses échecs répétés), les dynamiques démographiques invitent à prendre ce terme flou [4] [Piveteau, Rougier, 2010] au pied de la lettre : l’émergence selon Goldman Sachs, c’est d’abord une forte croissance des marchés intérieurs. Alors l’optimisme est permis.

18Qu’importe si l’essor numérique des classes moyennes africaines résulte mécaniquement de la formidable croissance démographique du continent et parfois d’un peu de méthode Coué [Darbon, Toulabor, 2014]. Il ne faut pas confondre croissance et développement. Les taux de croissance économique qui sont l’argument facile de l’afro-optimisme entre 2006 et 2014 pourraient bien ne rien traduire de plus qu’une envolée conjoncturelle du cours des matières premières, préparant un dur retournement de cycle si les retombées n’étaient pas mieux investies que par le passé. En outre, alors que l’Afrique a été le terrain d’expérimentation de tant de voies du développement, les modèles pour relever les défis de la transition éco-démographique restent à inventer. Car le continent se trouve, du fait de sa trajectoire, dans une position inédite dans l’histoire des transitions démo-économiques mondiales [Losch et al., 2013] : le modèle observé ailleurs (modernisation agricole libérant de la main-d’œuvre vers des industries urbaines ; modernisation économique tirée par l’industrialisation, progression technologique et diversification progressive ; émigration comme soupape sociale) semble hors de sa portée : le retard technologique est considérable, l’asymétrie trop forte avec les autres ensembles, où les réservoirs de main-d’œuvre rurale bon marché restent importants (Chine, Inde) ; tandis que se bouche l’exutoire migratoire [5]. L’investissement des rentes devient alors un enjeu clef.

3.2 – Des réformes ambiguës

19Plutôt qu’une révolution, la décennie écoulée a vu la mise en place d’une série de réformes visant à bouleverser le schéma rentier extraverti non porteur de développement suivi jusqu’alors. Sur fond d’influence croissante du paradigme du « développement durable », la dénonciation du rôle des activités extractives dans les affres de la décennie noire (1989-2001), et notamment dans nombre de conflits (Angola, Congo, RDC, Sierra Leone, Liberia, Nigeria), a joué un rôle moteur dans la mise en place d’outils visant à modifier les impacts des activités pourvoyeuses de rente. Ces dispositifs ont investi principalement les domaines de la gouvernance et de la régulation environnementale.

20Ainsi, une batterie d’outils a été proposée par différents types d’acteurs publics ou privés afin que les rentes extractives favorisent le développement au lieu d’alimenter la corruption et les conflits. La transparence est au cœur de ces dispositifs, qui se mettent en place en deux étapes. Le pacte global de l’ONU (2000) définit des grands principes que les entreprises volontaires peuvent s’engager à respecter concernant les droits de l’homme, la corruption, le droit du travail, etc. Au début des années 2000, le processus de Kimberley vise à assurer la traçabilité des diamants, afin d’éviter la commercialisation des diamants du sang, issus de conflits. En 2002, l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) est lancée sous l’égide du Royaume-Uni. Elle suppose la mise en place de cadres de dialogue animés par chaque gouvernement, associant État, secteur privé et société civile. L’enjeu est la publication des sommes versées par les entreprises aux États, afin de favoriser l’imputabilité. Le mouvement « Publiez ce que vous payez » (2003) poursuit des finalités identiques, à travers un plaidoyer porté par le réseau national des organisations de la société civile de chaque pays participant.

21À la fin des années 2000, ces processus sont complétés par des dispositifs en apparence plus contraignants dans les pays consommateurs : la loi américaine Dodd Franck (2010) et les directives (comptables et sur les règlements financiers) de l’Union européenne (2012) obligent les entreprises cotées dans les bourses de ces deux pôles majeurs de l’économie mondiale, quelle que soit leur origine, à publier les paiements réalisés dans les pays où elles opèrent, sous peine de sanctions. Les nouveaux standards de la Banque mondiale [2011] prévoient la publication des contrats dans tout projet bénéficiant d’un financement du groupe (l’opacité des contrats constituant un enjeu crucial de la transparence extractive). On constate aussi un élargissement et un déplacement des revendications de transparence : au départ limitées aux activités extractives et aux paiements des entreprises, elles gagnent d’autres secteurs (pêche, forêt, agro-industrie) et s’étendent au suivi des dépenses et investissements réalisés par les gouvernements.

22En matière de régulation environnementale, les Principes de l’Équateur (2003) adoptés par le groupe de la Banque mondiale et reconnus par de nombreux établissements financiers jouent un rôle important, en érigeant notamment en normes internationales la réalisation d’études d’impact environnemental et social autour de tout grand projet industriel, d’infrastructure ou d’exploitation des ressources naturelles. Les standards révisés de la Banque (2011) contiennent une autre disposition importante : le principe de l’accord libre, informé et préalable des populations riveraines qui doit être obtenu avant tout investissement. La Banque mondiale appuie aussi l’actualisation des codes miniers et pétroliers des États africains : après des premiers codes fiscalement très attractifs pour les entreprises (et donc peu favorables aux États), les dernières générations élèvent le niveau d’exigence en matière environnementale et sociale [Campbell, 2010]. Les institutions sous-régionales adoptent aussi des dispositifs aux objectifs convergents, comme la Directive minière de la Cedeao (2009) ou la Vision minière de l’Union africaine (2011). Enfin, sous le coup des critiques des sociétés civiles, les standards HSE (Health Security Environnement) des entreprises s’améliorent, individuellement ou dans le cadre des interprofessions (ICMM [6] dans le secteur minier, OGP [7] dans le secteur pétrolier).

23L’application de ces réformes se heurte à une série de contraintes, qui tiennent aux intérêts qu’elles égratignent et aux nouvelles concurrences qui caractérisent les lices extractives africaines. La transparence est étrangère aux pratiques d’un monde où l’opacité fut longtemps la règle, où entreprises et élites politiques nationales, par la corruption, trouvent chacune leur intérêt. Les acteurs déploient une large gamme de stratégies pour contourner les différents dispositifs de transparence. L’irruption de nouveaux venus issus des pays émergents et la compétition tous azimuts dans la course aux ressources extractives semblent plutôt favorables à un dumping socio-environnemental, les entreprises occidentales tentées par la Responsabilité sociale et environnementale (RSE) ayant beau jeu d’évoquer la concurrence chinoise ou indienne pour restreindre leur ambition dans ce domaine [Soares de Oliveira, 2008]. Finalement, comme avec la démocratie dans le champ politique, l’instrumentalisation du développement durable dans une rhétorique à double destination intérieure et extérieure aboutirait à faire de la transparence et du respect de l’environnement des mots clés incorporés à une grammaire du pouvoir et des rapports de force entre acteurs aux fondements inchangés [Soares de Oliveira, 2007]. La Banque mondiale symbolise bien ces ambiguïtés, en promouvant à la fois le moins-disant socio-environnemental par son classement annuel doing business et l’élévation des standards de régulation.

4 – Le défi des espaces de bifurcation

24Dans ce contexte dynamique, où l’on peine à distinguer changements de fond et faux-semblants, l’identification et la caractérisation d’espaces de bifurcation pourraient permettre de dépasser les apories de la « malédiction des ressources » et de l’afro-optimisme fondé sur une émergence supposée inéluctable.

4.1 – Des espaces de bifurcation inattendus liés aux investissements extractifs, ou le syndrome de Nostromo

25La notion d’espaces de bifurcation (critical juncture) est utile pour interpréter la trajectoire de l’Afrique dans la mondialisation à l’aune des dynamiques qui viennent d’être décrites. Elle tourne le dos au déterminisme sous-jacent à la « malédiction des ressources » pour s’intéresser aux conditions d’existence de moments de contingence. Elle fournit un cadre théorique pour éprouver une hypothèse forte : les dynamiques socio-politiques créées par l’exploitation des ressources, dans le contexte de la transition démographique et urbaine et des réformes politiques et de la gouvernance, produisent des espaces de bifurcation des systèmes politico-économiques rentiers vers une autre trajectoire que celle, historique, où l’insertion de l’Afrique dans la mondialisation se caractérise par l’exportation de matières premières brutes au bénéfice de minces élites nationales et d’acteurs mondialisés, au détriment de la majorité.

26La notion d’« espaces de bifurcation » est empruntée à l’histoire institutionnelle, et notamment aux travaux de Capoccia et Kelemen [2007] approfondissant Mahoney [2000] sur la dépendance au sentier. Un espace de bifurcation est un moment où un changement dans les ressources ou l’environnement d’un système produit, durant un moment limité, un élargissement à la fois des choix disponibles et des conséquences de ces choix, susceptibles de modifier les structures du système et d’être à l’origine d’une nouvelle trajectoire.

27Appliquée aux dynamiques extractives contemporaines dans les pays d’Afrique subsaharienne, cette clef de lecture conduit à identifier des facteurs, plus ou moins inattendus, favorables au renforcement d’État moderne [8] : les entreprises mondialisées ont certes besoin de sécurité, mais elles préfèrent bénéficier aussi de sérénité (et donc d’un climat social apaisé). L’augmentation des ressources financières publiques disponibles, avec la multiplication des projets extractifs et la hausse des cours mondiaux, élargit les choix possibles : les États peuvent renforcer la coercition, ou investir dans la légitimité en renouant avec les pratiques d’un État développeur. Or, en Afrique, ces pratiques avaient presque partout été abandonnées durant les décennies de l’ajustement structurel (1980-1990), où le monde de la coopération internationale, grands bailleurs publics (Banque mondiale, Union européenne, etc.) et ONG, s’était retrouvé au cœur de la définition et de la mise en œuvre des politiques de développement. L’émergence de pays asiatiques et latino-américains élargit le champ des relations extérieures des pays africains, atténuant l’asymétrie dans laquelle ils étaient par rapport à un petit nombre d’États du Nord (États-Unis, ancienne puissance coloniale). Leur espace politique s’en trouve ouvert et conforté.

28Par ailleurs, les débats internationaux et les processus de réforme qui accompagnent ces investissements des années 2000 permettent la circulation inattendue de normes démocratiques dans des contextes autoritaires. La revendication de transparence se diffuse. Société civile (nationale et internationale) et institutions internationales jouent ici un rôle important. Ces dynamiques socio-politiques s’insèrent dans un contexte propice à l’investissement productif vers des marchés intérieurs stimulés par la reconstitution, à la faveur d’une conjoncture favorable, des classes moyennes qui avaient été balayées par les crises des années 1980-1990, mais en plus grand, grâce à la croissance démographique et aux progrès de l’urbanisation.

29La séquence qui se joue ici n’est pas sans évoquer le roman Nostromo de Conrad [1904]. Dans un pays imaginaire d’Amérique latine au début du xixe siècle, en proie aux déchirements et aux turpitudes d’une classe politique cupide et violente, l’installation d’une mine d’argent à partir de l’investissement d’acteurs porteurs de valeurs protestantes (travail, justice, respect des règles) aboutit à la consolidation d’une enclave de paix et de prospérité, qui fera sécession, deviendra un État autonome capable d’influencer par son exemple la trajectoire de « l’État failli » voisin. Or tout a basculé en un moment particulier, où l’autonomie de la mine a pu être préservée, de justesse, face aux tenants du pouvoir dépravé.

30L’application de cette approche à l’Afrique soulève cependant des difficultés. Comment prouver qu’il y a eu espace de bifurcation quand il n’y a pas eu bifurcation ? Comment circonscrire et caractériser les objets pertinents (bifurcation de quoi, à quelle échelle ?) Comment rendre compte de la réalité de tels espaces de bifurcation ?

4.2 – Le Tchad pétrolier, un espace de bifurcation (encore) inexploité

31Le Tchad illustre bien ces questionnements. Il a connu en effet une longue histoire de violence [Debos, 2013] qui l’expose particulièrement aux affres de la « malédiction des ressources ». Ce pays a aussi été présenté au début des années 2000 comme un modèle des réformes de la gouvernance des ressources extractives.

32Le territoire tchadien est né du regroupement, sous férule coloniale, de sociétés très différentes, dont certaines avaient été opposées par les violences des traites esclavagistes. Indépendant en 1960, le pays n’a guère connu de paix durable après 1965. Conflits internes et avec la Libye, sécheresses des décennies 1970-1980, l’État s’est construit dans la violence et la corruption. L’instrumentalisation des identités ethniques et régionales suivant les clivages Nord (musulman)/Sud (chrétiens animistes), et entre groupes, a néanmoins rendu possible l’exercice du pouvoir. En 1980, des originaires de groupes du Nord prennent le pouvoir. La société est profondément divisée. En 2000, au moment où se dessine le projet d’exploitation du pétrole de Doba, situé dans le sud du pays, le Tchad est parmi les dix pays les plus pauvres du monde. Si le dispositif d’accompagnement de l’investissement privé proposé par la Banque mondiale réussit ici à promouvoir le développement, il pourra être répliqué ailleurs.

33Au Tchad, la Banque mondiale a servi de caution à un projet pétrolier mis en œuvre par un consortium dirigé par Exxon (2000-2003). Elle a rendu possible, par son intermédiation, ce qui était alors un des plus gros investissements privés de l’histoire de l’Afrique. Ce projet bénéficia de mesures d’accompagnement inédites : la Banque exigea l’adoption par le Parlement tchadien d’une loi (n° 001 de 1999) pré-affectant une large part des revenus pétroliers aux domaines prioritaires de la lutte contre la pauvreté et fit appliquer ses standards environnementaux et sociaux. Elle fit aussi mettre en place un système complet de suivi de la régulation, incluant des groupes d’experts indépendants et un renforcement des capacités nationales [Magrin et al., 2012]. Parallèlement, la réalisation du projet et l’engagement de la Banque furent accompagnés d’une intense mobilisation de la société civile internationale, qui parvint à réduire certains impacts sociaux et environnementaux, à améliorer les compensations en faveur des paysans affectés et à ouvrir des débats continus sur ces sujets [Pétry, Bambé, 2005].

34Dans un contexte de conflits tchadiens et soudanais entremêlés (2004-2009) où la survie du régime était en jeu, le gouvernement tchadien modifia la loi de 1999 pour élargir ses marges de manœuvre budgétaire, ce qui provoqua le retrait de la Banque mondiale du projet d’appui à la gestion de l’ère pétrolière [Pegg, 2009]. En 2008, année où une colonne de rebelles venus du Soudan porta la guerre jusque devant le palais présidentiel, Idriss Déby parvenant in extremis à les repousser, le Tchad dépensa la moitié de son budget – les deux tiers de la rente pétrolière – pour acheter des armes. L’écrasement de la rébellion armée servait de prétexte à la répression de l’opposition politique. La corruption prenait des proportions à la mesure d’une rente que le pays n’avait jamais connue. Le désarroi régnait dans une zone pétrolière déstabilisée par l’élargissement progressif des emprises foncières [Hoinathy, 2013]. La Banque avait échoué, la « malédiction » pétrolière se confirmait.

35Or il est possible de lire cette histoire pétrolière tchadienne depuis une autre perspective [Magrin, 2013]. Si la lutte pour la rente pétrolière a bien constitué un des mobiles du conflit, la pétro-politique a aussi contribué à ramener la paix quand la Chine, qui avait investi au Soudan (depuis 1995) et se préparait à le faire au Tchad (à partir de 2006), contribua à réconcilier des belligérants qui étaient tous deux ses partenaires. L’augmentation de la rente élargit l’espace politique du régime et rendit possible une reprise des politiques publiques. N’Djaména, la capitale, fut mise en chantier (bitumage des routes, construction de bâtiments publics). De nombreuses villes de province reçurent de nouveaux équipements. Des projets de développement agricole partiellement financés sur recettes pétrolières furent mis en place. Non sans ambiguïté [9], pour la première fois depuis des décennies, l’État tchadien semble reprendre la main en matière de développement.

36En outre, la société civile nationale qui a forgé son expérience avec le projet Doba continue de développer son plaidoyer autour des impacts des autres projets pétroliers, de la transparence, de l’utilisation de la rente. Paradoxalement, le pétrole est un des domaines les plus ouverts au débat de la vie politique nationale. En 2006, quand le gouvernement modifia la loi de 1999, la mobilisation des ONG auprès des députés permit de conserver l’attribution de 5 % de la rente à la région productrice du Logone oriental, alors qu’il était question de supprimer cette mesure associée à l’intervention de la Banque mondiale. La société civile née des négociations pétrolières parvient ainsi, parfois, à s’ériger en contre-pouvoir. Une petite élite nationale se forme, en travaillant avec le consortium d’Exxon, puis la China National Petroleum Company (CNPC), la Banque mondiale, les grandes ONG internationales, selon les normes professionnelles globales. En 2013, puis 2014, le gouvernement tchadien engage un bras de fer avec la CNPC pour violation des règles environnementales : cela témoigne à la fois de l’élargissement de l’espace politique de l’État tchadien face à un puissant acteur extérieur et de sa capacité à se saisir des enjeux de régulation environnementale [10]. Dans une certaine mesure, le Tchad a changé de visage depuis l’ère pétrolière.

37Finalement, si l’on peut postuler l’existence d’un espace de bifurcation au Tchad, on peut aussi considérer que, jusqu’à présent, celui-ci ne s’est pas concrétisé par un véritable changement de trajectoire. Les enjeux environnementaux sont surtout enrôlés au service d’un renforcement du pouvoir : le nouveau discours étatique de protection de l’environnement, concrétisé par des décrets de 2009 interdisant toute coupe d’arbre sur le territoire national au prétexte de lutter contre la désertification, sert de paravent à un contrôle musclé du monde rural [Mugelé, 2013]. Le pays reste gouverné par un régime autoritaire à la légitimité démocratique de façade, dont le fondement du pouvoir reste la maîtrise de la force et une certaine soumission de la population, à la fois divisée et échaudée par les souvenirs des conflits passés pour pousser trop loin la révolte. L’engagement des forces armées tchadiennes au Mali (2012) puis au Nigeria (2014-2015) contre les menaces islamistes régionales (respectivement Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) et ses alliés puis Boko Haram) garantit au régime un blanc-seing géopolitique et le met à l’abri de toute pression occidentale en faveur d’une démocratisation ou même d’un meilleur respect des droits de l’homme. L’espace de bifurcation ouvert par la possibilité pour l’État de mener des politiques de développement propre et par l’émergence de scènes de dialogue entre État, secteur privé et société civile ne s’est pas matérialisé par la remise en cause des structures socio-politiques nationales.

38La transformation de systèmes politico-économiques rentiers suppose en effet des reconfigurations profondes. Celles-ci peuvent être de nature démocratique, à travers l’existence et la consolidation, au sein des sociétés africaines, de moyens de contrôle et de contre-pouvoir susceptibles de diminuer la concentration du pouvoir politique et sa centralité dans l’allocation des ressources. Elles peuvent aussi simplement refléter des conditions où les bénéficiaires du système trouvent un intérêt à l’investissement productif national [Auty, Pontara, 2008]. Ainsi, ces espaces de bifurcation ne sauraient être considérés seulement comme les produits mécaniques d’un ordre social englobant, mais comme le résultat d’une relation complexe entre contexte global (circulation d’investissements, de normes, de valeurs) et processus politico-économiques endogènes inscrits dans la singularité des histoires nationales.

5 – Conclusion

39Sur le temps long, l’insertion de l’Afrique dans la mondialisation s’est opérée selon une trajectoire extravertie porteuse de fragilités multiformes, dont les systèmes extractifs rentiers apparaissent comme un des avatars les plus aboutis. La séquence néolibérale de la mondialisation inaugurée à la fin du xxe siècle peut être lue dans la continuité de cette histoire longue, confortant des systèmes rentiers peu porteurs de développement. Le ralentissement récent (2014-2015) de la croissance africaine reflète alors celui de l’économie chinoise, en fin de supercycle : il trahit la permanence d’une extraversion fragilisante.

40Cependant, sur un fond de tableau marqué par une révolution démographique et urbaine – la fin du sous-peuplement et l’urbanisation progressive du continent le plus pauvre du monde –, les contestations, les débats et les nouveaux dispositifs de régulation qui accompagnent la dynamique d’investissements étrangers contemporains en Afrique semblent ouvrir aux systèmes socio-politiques et territoriaux des possibilités de bifurcation hors de cette trajectoire historique. Les discours simplistes relevant de l’afro-pessimisme ou de son pendant afro-optimiste pourraient bien devoir compter avec une diversité croissante des trajectoires de développement africaines, reflétant des jeux de force internes et des choix variés. Mieux caractériser ces espaces de bifurcation constitue un enjeu d’autant plus essentiel que la thèse du rattrapage du développement par la répétition des transitions économiques suivies ailleurs (pays développés ; puis Amérique latine et Asie) paraît hors de portée.

Notes

  • [1]
    On désigne ainsi une période longue de croissance élevée et régulière correspondant à la construction (ou à la reconstruction) d’une économie majeure (urbanisation, industrialisation, infrastructures), occasionnant une forte consommation en matières premières : aux « Trente glorieuses » de l’Europe (1945-1975) répondrait ainsi une séquence comparable de deux décennies en Chine (1995-2015).
  • [2]
    Cette réflexion sur les espaces de bifurcation associées aux dynamiques des activités extractives a été menée en duo avec Geert van Vliet (Cirad, UMR Art-Dev) depuis 2005 : voir notamment Magrin et van Vliet [2009], van Vliet et Magrin [2009], Magrin [2013].
  • [3]
    Popularisée par un article paru dans The Economist (1977), cette notion s’inspirait de ce qui se serait produit aux Pays-Bas après l’exploitation du gaz de Groningue à la fin des années 1960 : appréciation du taux de change et déplacement des facteurs de production vers le secteur extractif auraient pénalisé les autres activités productives.
  • [4]
    « L’émergence désigne […] des trajectoires variées de changements économiques et sociaux qui sont étroitement articulées à la globalisation et liées à l’idée de performance économique » [Piveteau et al., 2013, p. 12].
  • [5]
    La possibilité d’importants transferts tranche cependant avec les époques antérieures ; elle rend possible la permanence de flux financiers longtemps après la migration.
  • [6]
    International Council for Mining and Metals.
  • [7]
    International Association of Oil and Gas Producers.
  • [8]
    Selon Gramsci [1975], l’État moderne se distingue de l’État féodal par sa capacité à développer simultanément des fonctions de coercition (monopole de l’exercice de la force) et de légitimation (fourniture de biens publics).
  • [9]
    La priorité accordée aux infrastructures n’est pas anodine, tant ce secteur répond à un besoin de visibilité politique immédiate et favorise la corruption. En outre, si l’investissement dans les ressources humaines et les institutions n’est pas proportionnel, il ne suffit pas au développement : construire des écoles ne sert à rien sans enseignants qualifiés.
  • [10]
    Il s’agit probablement d’instaurer un rapport de force favorable au moment de renégocier les conditions financières du partenariat avec la CNPC.
Français

Les représentations des dynamiques de développement africaines peinent à se défaire des postures caricaturales afro-pessimistes ou afro-optimistes. Les premières sont fortement influencées par la « malédiction des ressources naturelles ». Les secondes voient dans la croissance économique et l’essor numérique de classes moyennes une promesse d’émergence. À partir d’une analyse de l’impact des investissements récents dans les activités extractives en Afrique sahélo-soudanienne, nous défendons l’hypothèse que la convergence de dynamiques internes (croissance démographique et urbaine, démocratisation) et externes (circulation de capitaux, mais aussi de normes) est favorable à l’ouverture d’espaces de bifurcation hors de la trajectoire politico-économique de longue durée reposant sur l’exportation de matières premières brutes vers le système mondial. La matérialisation de ces nouvelles trajectoires dépendra largement des dynamiques et luttes internes aux sociétés africaines.

Mots-clés

  • Afrique
  • malédiction des ressources naturelles
  • émergence
  • espace de bifurcation
  • Tchad

Bibliographie

  • En ligneAntheaume B., Giraut F. (dir.) (2005), Le territoire est mort, vive les territoires ! Une (re)fabrication au nom du développement, IRD Éditions, Paris, 384 p.
  • En ligneAuty R., Pontara N. (2008), « A dual-track strategy for managing Mauritania’s projected oil rent », Development Policy Review, n° 26 (1), p. 59-77.
  • Bayart J.-F. (2006), « “Comme vous en Afrique”, ou l’hégémonie dans l’extraversion », préface à la nouvelle édition de L’État en Afrique. La politique du ventre, Fayard, Paris, 1989, p. III-LXVIII.
  • Bayart J.-F., Ellis S., Hibou B. (1997), La criminalisation de l’État en Afrique, Éditions Complexe, Bruxelles, 167 p.
  • Beblawi H., Luciani G. (1987), State and Integration in the Arab World : The Rentier State, Croom Helm, London.
  • Bloch R., Owusu G. (2011), « Linkage in Ghana’s Gold Mining Industry : Challenging the Enclave Thesis », MMCP Discussion Paper No. 1, March 2011, 43 p.
  • Boocock C. N. (2002), « Environmental impact of foreign direct investment in the mining sector in sub-Saharan Africa », in OECD global forum on International direct Investment, Paris, February 7-8, en ligne : http://www.oecd.org/dataoecd/44/40/1819582.pdf (accès le 23 juillet 2010).
  • Bruhnes J. (1912), La géographie humaine. Essai de classification positive. Principes et exemples, Félix Alcan, Paris, 801 p.
  • En ligneCapoccia G., Kelemen R.D. (2007), « The Study of Critical Junctures : Theory, Narrative and Counterfactuals in Historical Institutionalism », World Politics, vol. 59, n° 3, p. 341-369.
  • En ligneCollier P., Hoeffler A. (2005), « Démocraties pétrolières », Afrique contemporaine, n° 216, p. 107-123.
  • Conrad J. (1904), Nostromo, éd. P. Le Moal, Gallimard, coll. « Folio », Paris, 1992, 553 p.
  • Darbon D., Toulabor C. (2014), L’invention des classes moyennes africaines. Enjeux politiques d’une catégorie incertaine, Karthala, Paris, 312 p.
  • En ligneDebos M. (2013), Le métier des armes au Tchad. Le gouvernement de l’entre-guerres, Karthala, coll. « Les Afriques », Paris, 256 p.
  • En ligneDe Jong F., Foucher V. (2010), « La tragédie du roi Abdoulaye ? Néomodernisme et renaissance africaine dans le Sénégal contemporain », Politique africaine, n° 118, p. 187-204.
  • Donner N. (2009), « The Myth of the Oil Curse : Exploitation and Diversion in Equatorial Guinea », Afro-Hispanic Review, vol. 28, n° 2, p. 21-42.
  • Donner N. (2011), « Notes sur la dimension immunitaire des enclaves pétrolières », ÉchoGéo n° 17, mis en ligne le 27 septembre 2011, consulté le 29 octobre 2011. URL : http://echogeo.revues.org/12555
  • En ligneFerguson J. (2006), Global shadows. Africa in the neoliberal World Order, Duke University Press, Durham and London, 257 p.
  • Gramsci A. (1975), Notas sobre Maquiavelo, sobre política y sobre el Estado Moderno, traduit de l’italien [1966] par José M. Arico, Juan Pablos Editor, Mexico.
  • Hoinathy R. (2013), Pétrole et changement social au Tchad. Rente pétrolière et monétarisation des relations économiques et sociales dans la zone pétrolière de Doba, Karthala, Paris, 281 p.
  • Hugon Ph. (2009), L’économie de l’Afrique, 6e édition, La Découverte, coll. « Repères », Paris, 127 p.
  • Igué J. O. (2006), L’Afrique de l’Ouest entre espace, pouvoir et société. Une géographie de l’incertitude, Karthala, Paris, 555 p.
  • Igué J. O., Soulé G. G. (1992), Le Bénin, État-entrepôt, Karthala, Paris.
  • Iliffe J. (2009), Les Africains. Histoire d’un continent, Flammarion, coll. « Champs histoire », Paris, 701 p. [Africans : The History of a Continent, Cambridge University Press, Cambridge, 1995].
  • En ligneKarl T. L. (1997), The paradox of Plenty : Oil Booms and Petro-States, University of California Press, Berkeley.
  • Kernen A. (2014), China Ltd. Un Business africain, dossier « Politique africaine » n° 134, juin.
  • Losch B., Magrin G., Imbernon J. (2013), Une nouvelle ruralité émergente : regards croisés sur les transformations rurales africaines, Cirad, Nepad, 44 p.
  • En ligneMagrin G, van Vliet G. (2005), « Greffe pétrolière et dynamiques territoriales : l’exemple de l’on shore tchadien », Afrique contemporaine, n° 216, p. 87-105.
  • Magrin G., van Vliet G. (2009), « The Use of Oil Revenues in Africa », in J. Lesourne (dir.), Governance of Oil in Africa : unfinished business, IFRI, coll. « Les études. Gouvernance européenne et géopolitique de l’énergie », t. 6, Paris, p. 103-163.
  • Magrin G. (2013), Voyage en Afrique rentière. Une lecture géographique des trajectoires du développement, Publications de la Sorbonne, Paris, 424 p.
  • Magrin G., Maoundonodji G., Doudjidingao A. (2012), « Le projet Exxon-Doba en héritage. La régulation environnementale pétrolière au Tchad avant l’arrivée de la CNPC », in G. van Vliet, G. Magrin (dir.), Une compagnie pétrolière chinoise face à l’enjeu environnemental au Tchad, AFD, coll. « Focales » n° 9, Paris, p. 79-117.
  • En ligneMahoney J. (2000), « Path dependence in historical sociology », Theory and Society, 29, p. 507-548.
  • Marchal R., Messiant C. (2002), « De l’avidité des rebelles. L’analyse économique de la guerre selon Paul Collier », Critique internationale n° 16, juillet 2002, p. 58-69.
  • Mugelé R. (2013), « Enjeux et conséquences de la réglementation sur le bois-énergie au Tchad », ÉchoGéo n° 26, URL : http://echogeo.revues.org/13620.
  • En lignePegg S. (2009), « Chronicle of a death foretold : the collapse of the Chad-Cameroon Pipeline Project », African Affairs, 108/432, p. 311-320.
  • Petry M., Bambé N. (2005), Le pétrole du Tchad. Rêve ou cauchemar pour les populations ?, Karthala (Brot für die Welt, Cordaid, Oxfam, Mesereor, Swissaid), Paris, 415 p.
  • En lignePiveteau A., Rougier E. (2010), « Émergence, l’économie du développement interpellée », Revue de la régulation n° 7, 1er semestre, URL : http://regulation.revues.org/index7734.html.
  • Piveteau A., Rougier E., Nicet-Chenaf D. (dir.) (2013), Émergences capitalistes aux Suds, Karthala, Paris, 360 p.
  • Pourtier R. (2014), Afriques noires, Hachette, Paris.
  • Renaudin C. (2010), « Les riches heures et l’avenir incertain de la culture cotonnière en Afrique de l’Ouest et du Centre », ÉchoGéo n° 14, URL : http://echogeo.revues.org/11955.
  • Ross M. (2003), « Oil, Drugs and Diamonds : The Varying Role of Natural Resources in Civil War », in K. Ballentine, J. Sherman (dir.), The Political Economy of Armed Conflict : Beyond Greed and Grievance, Lynne Reiner Publishers, Boulder, p. 47-70.
  • En ligneRoss M. (2012), The Oil Curse : How Petroleum Wealth Shapes the Development of Nations, Princeton University Press, Princeton, 296 p.
  • Rosser A. (2006), The Political Economy of the Resource Curse : A Literature Survey, IDS Working paper n° 268, Centre for the Future State, 34 p.
  • Sarraut A. (1923), La mise en valeur des colonies françaises, Payot, Paris, 663 p.
  • Soares de Oliveira R. (2007), Oil and Politics in the Gulf of Guinea, Hurst & Company, London, 379 p.
  • Soares de Oliveira R. (2008), « Making sense of Chinese Oil Investment in Africa », in C. Alden, D. Large, R. Soares de Oliveira (dir.), China Returns to Africa. A Rising Power and a Continent Embrace, Hurst & Company, London, p. 83-109.
  • Talahite F. (2007), Le concept de rente appliqué aux économies de la région MENA. Pertinence et dérives, hal-001156924, version 1, 24 juin 2007, 15 p.
  • van de Walle N. (2010), « Démocratisation en Afrique : un bilan critique », in M. Gazibo, C. Thiriot (dir.), Le politique en Afrique. État des débats et pistes de recherche, Karthala, Paris, p. 135-163.
  • En ligneWatts M. (2004), « Économies de la violence : or noir et espaces (in)gouvernables du Nigeria », Politique africaine n° 93, p. 125-142.
  • van Vliet G., Magrin G. (2009), « Public steering in the hydrofuel sector. Conditions for trajectory bifurcations in Chad and in Mauritania », 21st World Congress of Political Science, Santiago du Chili, 12-16 juillet.
Mis en ligne sur Cairn.info le 13/11/2015
https://doi.org/10.3917/rfse.hs1.0105
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...