CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Jean-Michel Bonvin, Nicolas Farvaque, 2008, Amartya Sen. Une politique de la liberté, Paris, Éditions Michalon, 128 p.

1Publié dans la collection « Le bien commun », l’ouvrage de Jean-Michel Bonvin et Nicolas Farvaque est une excellente présentation des travaux d’Amartya Sen, qui, malgré sa concision, a un triple mérite. D’abord, il replace l’œuvre de Sen dans l’univers des discussions philosophiques et éthiques d’où son travail a véritablement surgi. Ensuite, dans un langage clair, les auteurs présentent les principales conclusions économiques de ses études et les conséquences qu’elles entraînent en termes de justice et de démocratie. Enfin, les auteurs n’hésitent pas à montrer les spécificités et soubassements sociologiques de son œuvre, et à faire part des débats que Sen a engagés ces dernières années contre des perspectives culturalistes extrêmes. Inutile de le dire : quel que soit le jugement critique que l’on peut avoir sur Sen, il est devenu un auteur désormais incontournable de la socio-économie en raison de sa capacité à associer différentes disciplines.

2Le point de départ des travaux de Sen a la force des intuitions simples : les libertés réelles – les capabilités – doivent être au centre de la démarche éthique en économie. Le déplacement semble mineur, il est radical. Ce n’est ni la richesse, ni le bien-être subjectif – l’utilité – qui seraient au cœur de l’économie, mais les libertés réelles permettant aux acteurs de choisir leur vie. De ce travail de sape critique, les auteurs retiennent, avec raison, le poids octroyé par Sen aux handicaps individuels. C’est en s’appuyant sur cette expérience précise, qu’il a fini par rejeter une démarche qui, se focalisant sur les utilités individuelles sans tenir compte des caractéristiques réelles des acteurs, néglige le fait que certains puissent « attribuer plus de valeur à tel type de vie qu’à tel autre » (p. 22). À la place de l’abstraction utilitariste, il est indispensable de mettre en relation l’inégalité des situations personnelles et des contextes.

3Le problème du choix de l’acteur, sans disparaître, est devancé par la problématique de la capacité réelle qu’a – ou non – un individu de choisir telle ou telle vie plutôt qu’une autre. La position de Sen se dessine clairement dans ces formulations : l’important est la liberté d’accomplir dont font preuve les individus, les alternatives effectivement disponibles pour chacun d’entre eux. La démarche combine ainsi à la fois une perspective critique et une dimension normative.

4Mais on aurait tort de croire que cette liberté d’accomplir est une simple affaire de ressources (p. 28). Au contraire, avec une remarquable ténacité, ce que les auteurs montrent fort bien, Sen a toujours dissocié la thèse des capabilités de toute réduction au « ressourcisme » ou à une batterie d’indicateurs. Dans tous les cas, il s’efforce d’ancrer les capabilités dans une base informationnelle large et non pas sur des variables ressourcistes. Pourquoi ? Parce que, comme nous venons de l’évoquer, deux personnes munies des mêmes ressources, mais dont l’une est handicapée, sont soumises à des difficultés bien différentes. Ainsi, la seule prise en considération des moyens ne permet pas de rendre compte des libertés effectives des individus. C’est la possibilité réelle qui est toujours à terme l’horizon de la démarche de Sen – ce qui exige de s’intéresser de près à toute une série de facteurs différents de conversion (personnels, sociaux, environnementaux…) assurant de manière inéquitable ces capabilités. À la racine de la réflexion se trouvent donc les inégalités réelles ; il s’agit par la suite d’évoquer les capacités des institutions à les réduire (p. 38). Les politiques publiques ont alors un but précis : étendre les capabilités personnelles et ceci sans qu’à aucun moment, comme les auteurs le soulignent, Sen n’en donne une liste exhaustive (p. 52 et suivantes).

5L’œuvre de Sen a par ailleurs suscité nombre de débats. Les auteurs, tout au long de leur ouvrage, en esquissent certains : peut-on vraiment associer, comme Sen le laisse entendre, tant d’actions humaines à des choix ? Peut-on vraiment définir le développement comme une expansion des capabilités ? Cela n’entraîne-t-il pas cela un réductionnisme analytique ? Ne faut-il pas surtout alors nommer précisément les capabilités fondamentales, comme Martha Nussbaum s’est appliquée à le faire tout au long de ses travaux ? Face à toutes ces critiques, la réponse de Sen est au fond toujours unique : il faut se libérer du fétichisme de la mesure et comprendre que les capabilités conduisent à une conception universelle du développement au service des personnes et qu’elles s’articulent ainsi à une dimension constructive de la démocratie. C’est un des aspects majeurs de ses travaux au cours des dernières années : mettre à mal toute limitation culturaliste de la démocratie ou toute conception hégémonique des identités. L’une comme l’autre ne résistent pas à la pluralité des capabilités requises par les acteurs. Toute discussion doit être tranchée en contexte (p. 108), ce qui justifie l’incomplétude des capabilités, mais fait surtout de la réduction des inégalités « le sine qua non du développement des libertés réelles » (p. 118).

6Le lecteur l’aura compris : grâce à cet ouvrage, les non-initiés à la pensée de Sen trouveront un guide d’entrée accessible et intelligent ; les connaisseurs de son œuvre découvriront, sans aucun doute, le large éventail des débats que ses études ont suscités depuis plusieurs décennies. Car, comme le signalent les auteurs dès la toute première phrase de leur ouvrage, « l’œuvre d’Amartya Sen est foisonnante », effectivement.

7Danilo MARTUCCELLI

8Gracc ? Université Lille 3
dmartuccelli@nordnet.fr

François Vatin (dir.), 2009, Évaluer et valoriser, une sociologie économique de la mesure, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 305 p.

9Comme le souligne François Vatin dès l’introduction de l’ouvrage, ce travail collectif prend le parti de la mesure et des espaces « métrologiques » élaborés par les acteurs dans les sphères du marché, mais aussi, et surtout, en amont du marché. L’idée centrale est de décomposer et déconstruire les étapes du processus de production de la valeur rencontré dans des situations très diverses, et de rendre compte de son institutionnalisation. Le processus de production de la valeur d’abord, qui consiste, selon tous les contributeurs de l’ouvrage, à évaluer la qualité des « biens » pour qu’en soit produite une valeur, fruit d’un jeu d’acteurs complexe ou, parfois, de rapports de forces. Les processus d’institutionnalisation de cette valeur, ensuite, [nommée valorisation dans cet ouvrage], qui prend tout à la fois forme et statut de « valeur économique ».

10Ce parti pris est largement étayé par des monographies organisées autour de trois thématiques.

11La première partie vise à l’analyse de la construction pratique des normes à partir de terrains très divers : à partir de l’histoire de l’équipement électroménager (autocuiseur) pour l’un [Claire Leymonerie] ; l’histoire des télécommunications et de l’identification progressive de ce qui est produit pour en permettre le calcul économique pour l’autre [Alexandra Bidet] ; la diversité – plus conflictuelle – des registres de l’identification de l’activité médicale et de sa mesure à l’hôpital pour le troisième [Nicolas Belorgey]. Ce premier temps de l’analyse insiste sur l’imbrication plus ou moins souple entre les logiques d’ingénieurs et celles des gestionnaires.

12La deuxième partie prend comme point d’appui les dispositifs de mesure pour cadrer le travail, tels qu’ils sont inscrits dans des normes et conventions, et s’intéresse à la manière dont les acteurs s’y plient ou y résistent. S’y côtoient des terrains aussi divers que celui de l’intermittence du spectacle [Mathieu Grégoire], du glissement de l’inaptitude à l’inemployabilité [Delphine Rémillon et Antoine Vernet], avec une allégorie peut-être excessivement positive de la méthode dite « IOD », les dispositifs de codification des demandes de création d’entreprise [Martin Giraudeau], celui du croisement de deux professions cadres (psychologues du travail et formateurs professionnels) pour l’identification des codifications de leur activité [Thomas Le Bianic, Gwenaële Rot].

13À partir d’une grande diversité de terrains également, la dernière partie met en perspective de nouvelles analyses des activités d’identification conjointe du produit et de ses qualités, car leur évaluation nécessite une entente préalable sur ce qui est produit. Un chapitre s’attache à la déconstruction des modèles économiques de production des quotidiens nationaux [Stéphane Cabrolié] ; un autre décrit les processus de valorisation des carcasses d’agneau [Thierry Escala] ; un autre encore la construction sociale du prix du médicament générique [Étienne Nouguez] ; le dernier étudie les processus d’objectivation de la qualité sociale dans les productions des audits sociaux [Pauline Barraud de Lagerie].

14Les activités sont ici abordées sous l’angle des processus de production de mesures, qui leur conféreront donc aussi la valeur. Cette fresque analytique, dont la cohérence est d’autant plus notable qu’est riche la variété des terrains proposés, s’appuie sur les « équipements du marché » (p. 21), chers à cette sociologie économique des marchés et que certaines écoles de l’économie auraient pu nommer… les règles, conventions, ou encore institutions.

15La posture de travail est posée d’emblée et transparaît directement ou indirectement dans toutes les contributions de l’ouvrage : il s’agit de sortir des carcans et présupposés analytiques de la théorie économique néoclassique, qui tendent à s’inscrire comme autant d’évidences, tant ils finissent par être enfouis dans les inconscients. C’est là aussi la force de cet ouvrage que d’exhumer ces impensés.

16La réfutation de la posture néoclassique est argumentée par le caractère naïf de la mise en modèle de l’échange sur le marché, et des espaces de la formation des prix. Elle s’accompagne d’une critique plus nuancée de l’économie des conventions. F. Vatin et ses collègues s’en inspirent largement (le séminaire qui a donné naissance à cet ouvrage a d’ailleurs bénéficié du soutien de « Capitalisme et Démocratie », groupe de recherche coordonné par F. Eymard-Duvernay) et ils identifient bien les avancées que cette école a permises : elle a utilement lancé et enrichi les analyses de la qualité des biens échangés et, ce faisant, a permis – avec d’autres – que l’on sorte de processus quasi mécaniques (en tout cas « économiques » selon F. Vatin [p. 17]) de valorisation, pour entrer dans l’analyse des processus d’évaluation qui nécessitent que préalablement les acteurs aient « convenu », se soient mis « d’accord sur de communes mesures ».

17Les auteurs considèrent cependant – pour certains – cette analyse trop statique, et les moments de l’échange trop « dichotomisés » (voir par exemple Thierry Escala) avec d’un côté l’identification des processus de qualification des biens et de leur valeur (conditions de l’échange) et, de l’autre, la formation du prix (qui se fait dans la réalisation de l’échange). Ils plaident ainsi pour que soit pensé de façon nettement plus dynamique le travail de qualification, car les interdépendances entre ces deux moments de l’échange sont denses et ce sont eux qui alimentent le processus de production de la valeur et son institutionnalisation en tant que « valeur économique ».

18Nous identifions, au terme de cette lecture, de nombreuses pistes transversales aux monographies souvent de grande qualité, comme autant d’espaces de discussion possibles.

19D’abord, les mesures sont toujours engagées dans des contextes historiques spécifiques – ce qui se matérialise ici par des introductions aux monographies souvent (utilement) longues, ces dernières ne pouvant faire l’impasse sur la genèse de l’objet –, et dans des dispositifs institutionnels et organisationnels qui les dépassent amplement.

20Ensuite, les « espaces métrologiques » sont entendus dans un sens large. Ils englobent certes la mesure chiffrée mais aussi des dispositifs de codification qui prennent des formes différentes dépassant parfois la quantification [voir le cas de l’Accre, dispositif codifié de création d’entreprise ; des compétences des cadres ; de l’audit social ; de l’employabilité, des hôpitaux]. La question posée peut être d’identifier dans quelle mesure ces espaces métrologiques sont aussi homogènes. Parmi les dispositifs de codification, celui qui consiste à passer par le chiffrage n’est-il pas d’une autre nature et, en quelque sorte, d’une force supérieure ?

21Ensuite, les auteurs décrivent bien les processus de mise en équivalence sous-jacents à la construction de ces espaces métrologiques et la capacité implicite, ce faisant, de ces processus pour les exercices de classement. Ces mises en équivalence passent souvent par des nivellements et apparaissent comme une dénégation de la complexité (p. 166). Cette métrologie qui vise à se présenter sous un voile de neutralité cache toujours une mise en hiérarchie des valeurs et des systèmes de « valeurs » (p. 169). Dans le même temps, la métrologie n’est-elle pas plus complexe, visant aussi, parfois, à (re)construire des espaces de complexité, leur maîtrise devenant aussi, ce faisant, un enjeu de pouvoir ?

22Enfin, on lit en filigrane le caractère très performatif de la mesure et des dispositifs de codification. D’où un petit regret pour conclure. Très présentes dans certains chapitres, les controverses et résistances n’ont pas été systématiquement abordées. La production des espaces métrologiques est-elle le fruit de jeux de rôle ou de rapports de forces ?

23Le sentiment général, à la lecture cet ouvrage, demeure la virtuosité avec laquelle les sociologues s’emparent des théories de la valeur. Ils apportent, ce faisant, fraîcheur et – parfois seulement et c’est dommage – radicalité, mais surtout ils nourrissent utilement des argumentaires sur les nécessaires ruptures anthropologiques et épistémologiques pour comprendre les pratiques économiques. Ce que l’économicisme de la « science économique » dominante nous a fait perdre.

24Florence JANY-CATRICE

25Clersé ? Université Lille 1
florence.jany-catrice@univ-lille1.fr

Fabrice Tricou, 2008, La loi de l’offre et de la demande. Une enquête sur le libéralisme économique, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, collection « L’économie retrouvée », 188 p.

26Cette « enquête sur le libéralisme économique » porte sur les fondements du libéralisme. Par fondements, on désigne l’ensemble des approches théoriques qui démontrent – ou prétendent démontrer – le caractère auto-régulateur d’une économie de marché. La question centrale en est donc : une économie décentralisée dont les agents prennent des décisions sur la base des prix permet-elle de faire apparaître et de maintenir un ordre « viable et enviable » (p. 15) ou, pour le dire dans les termes de la théorie moderne de l’équilibre général, conduit-elle à un équilibre efficient ? Un tel équilibre, s’il existe, ne doit pas résulter de la volonté d’un État mais seulement de la libre variation des prix, variation qui répond aux décisions des agents (offres et demandes individuelles) jusqu’à l’obtention de l’ordre souhaité. Le libéralisme se fonde donc sur la croyance dans « la loi de l’offre et de la demande », mécanisme supposé régulateur des économies de marché et qui désigne en réalité l’imbrication de trois lois : la loi de l’Enchère et du Rabais – qui indique comment les prix dépendent des offres et des demandes – la loi de la Demande et la loi de l’Offre – qui indiquent comment les quantités offertes et demandées dépendent des prix.

27L’ouvrage est donc d’abord un ouvrage de microéconomie, au niveau d’abstraction et de généralité qui était le sien dans les années où régnait la théorie de l’équilibre général, où la microéconomie n’était pas d’abord une théorie du comportement individuel – même si elle impliquait une théorie de l’agent –, encore moins l’enregistrement d’expérimentations, mais une analyse abstraite des conditions de coordination des agents dans une économie décentralisée. L’auteur dans cette enquête fait appel à l’histoire de la pensée économique, puisqu’il appuie son examen méthodique des arguments, fondant – ou prétendant fonder – l’hypothèse libérale, sur la lecture critique des grands auteurs de la discipline : Walras et Edgeworth dans le deuxième chapitre, plus allusivement Marx et Hayek dans le troisième, Keynes dans le quatrième. Mais la convocation de ces auteurs n’est ici qu’un moyen de répondre à une question posée en amont. En cela, Fabrice Tricou n’inscrit pas son travail dans le champ de l’histoire de la pensée économique. Cette volonté délibérée fait à la fois la force et les difficultés de l’ouvrage.

28La force en est double.

29Tout d’abord, la progression des chapitres 2 et 3 met au jour une conception du marché alternative à celle de la grande tradition qui, à la suite de Walras, d’Edgeworth et plus généralement de la théorie de l’équilibre général, fait du marché un lieu d’ajustement – ou de délibération – des décisions individuelles, permettant l’accord unanime des participants. Que cet ajustement résulte d’un processus décentralisé – comme dans le recontrat edgeworthien – ou centralisé – comme dans le tâtonnement walrassien – importe moins que sa caractéristique de pré-validation des décisions, qui empêche toute surprise marchande, bonne ou mauvaise. À l’inverse, le marché peut être conçu comme un lieu dans lequel l’ajustement des décisions individuelles aux prix et des prix aux décisions individuelles ne suffit pas à résoudre les désaccords entre agents. Ceux-ci, traduits par des inégalités entre offres et demandes, donnent lieu à la formation d’un prix qui sanctionne les décisions individuelles. Le prix (de marché) n’est plus déterminé avant l’échange, comme dans les approches walrassienne ou edgeworthienne, mais au cours de l’échange, entre les décisions d’offre et d’achat et leur réalisation effective. Les prix de marché peuvent alors différer des prix paramétriques – sur la base desquels les agents prennent leurs décisions – et faire apparaître de bonnes ou de mauvaises surprises. En reprenant ainsi le questionnement abstrait de la théorie de l’équilibre général, mais en considérant que cette abstraction n’est propre ni à l’équilibre général, ni même à la théorie néo-classique, en proposant une réponse fondée sur une conception alternative de la coordination marchande, Fabrice Tricou peut reprendre à nouveaux frais le débat relatif au rôle de la flexibilité des prix dans la stabilité de l’équilibre marchand (p. 125-130). C’est donc d’un travail de théorie économique qu’il s’agit, et cette ambition est déjà considérable.

30Mais le libéralisme ne relève pas seulement de la microéconomie : il concerne évidemment aussi la macroéconomie, à travers la question de l’intervention de l’État dans l’économie pour résorber le chômage de masse. Fabrice Tricou se propose alors (chapitre 4) d’établir un lien entre la conception du marché comme mécanisme de sanction sociale et la construction keynésienne du principe de la demande effective, « en redoublant l’habituelle lecture macroéconomique de ce principe par une lecture marchande moins usuelle » (p. 133). À travers la loi de l’offre et de la demande, c’est donc « un chemin de Walras à Keynes » (p. 161) qui nous est proposé, dont le but avoué est de redonner sens aux oppositions aujourd’hui souvent négligées entre économie réelle ou monétaire, entre économie marchande ou capitaliste. C’est dire si les questions abordées ici ne concernent pas seulement les spécialistes des fondements abstraits de la discipline (microéconomistes ou historiens de la pensée) mais tous ceux qui ne se satisfont pas de la croyance en l’auto-régulation des marchés, de l’indifférence théorique à l’endroit de la question monétaire, ou de la réduction du rapport salarial à une relation marchande.

31En établissant les oppositions ou les filiations entre différentes représentations théoriques de nos économies, l’auteur participe à la volonté de réaffirmer le caractère politique de la théorie économique, non pas seulement au sens minimal où il s’agit d’établir les fondements des politiques économiques, mais surtout parce que l’économie telle qu’il l’expose ne saurait – pas plus que la philosophie politique dont elle est issue – être affranchie des présupposés qui tiennent à la conception des relations – possibles ou souhaitables – entre individu et société. En cela, l’ouvrage est porteur d’un renouvellement des conceptions hétérodoxes (détaillées dans les chapitres 3 et 4) et d’un possible dialogue entre orthodoxie et hétérodoxie. Ces grandes ambitions ont bien sûr quelques contreparties.

32i) Ainsi Fabrice Tricou n’hésite-t-il pas à prendre des libertés dans l’interprétation des auteurs qu’il convoque. Malgré la référence au recontrat d’Edgeworth, la procédure de négociation décentralisée des prix décrite dans le deuxième chapitre a peu à voir avec le processus edgeworthien de formation des coalitions, dans lequel les prix n’interviennent jamais explicitement et où les équilibres non walrasiens, à la différence de ceux décrits dans l’ouvrage, accordent un égal traitement à tous les agents. Mais, répondrait sans doute Tricou, il importe moins d’être un bon héritier d’Edgeworth que de l’utiliser au mieux pour ce que l’on veut démontrer. Si la paternité des idées que l’on veut défendre n’est pas toujours bien attestée, cela est moins grave que si leur solidité est mise en cause.

33ii) On pourrait aussi regretter que, désireux de faire porter sa critique de l’approche néo-classique sur les questions qu’il juge essentielles, l’auteur néglige de discuter des hypothèses qu’il considère plus mineures. Ainsi n’hésite-t-il pas, pour attester « la généralité de la loi de l’offre en concurrence parfaite », à privilégier l’hypothèse de rendements d’échelle décroissants (p. 55), dont la pertinence conceptuelle est discutable [1], à minorer la configuration des rendements constants, qu’il juge un peu rapidement « peu représentative ou peu pertinente » [2] ou à rejeter les rendements croissants, au motif qu’on ne saurait les concevoir en concurrence parfaite [3].

34iii) Mais la difficulté principale tient sans doute au statut ambigu du premier chapitre qui se situe, pourrait-on dire, « hors oppositions théoriques » et veut définir le cadre commun dans lequel la question du libéralisme sera posée et discutée – le marché de concurrence parfaite – ainsi que les lois de comportements individuels qui s’insèrent dans ce cadre. Les définitions du marché et des comportements concurrentiels données dans ce premier chapitre doivent servir de base commune aux chapitres suivants, dans lesquels sont présentées les différentes conceptions de la coordination. Cette séparation entre d’une part la définition du cadre et des comportements concurrentiels et d’autre part les « grandes visions marchandes alternatives proposées par la science économique » (p. 29) est problématique. Elle suppose non seulement que la définition du marché et des comportements concurrentiels soit effectivement la même dans toutes ces approches (mais, si tel n’était pas le cas, l’auteur éluderait sans doute l’objection en la reléguant dans le domaine de l’histoire de la pensée érudite), mais surtout que la concurrence et les agents puissent se définir indépendamment de, et antérieurement à, la conception de la coordination entre ces agents à l’œuvre sur ces marchés. Or cela n’est pas le cas. Ainsi, par exemple, la caractérisation de la structure d’un marché de concurrence parfaite par une hypothèse d’homogénéité du bien (« on exclut ainsi la différenciation des produits, qui ouvrirait lieu à une configuration de concurrence imparfaite », p. 34) est absurde pour un walrassien : que, dans une telle représentation, les biens échangés sur un marché concurrentiel soient tous identiques, et donc homogènes, est vrai, mais cela n’implique pas que l’homogénéité soit une hypothèse et qu’elle exclue la possibilité de différenciation des produits ; toute différenciation est en effet possible, mais la définition d’un bien – autrement dit l’hypothèse de nomenclature – implique que les agents – qui connaissent les biens – offrent et demandent les biens différenciés sur des marchés différents, faute de quoi l’organisation marchande serait entièrement remise en cause [4].

35Il s’agit là d’une question non technique mais épistémologique : la concurrence parfaite dans l’approche walrassienne – chez Walras comme dans la théorie moderne de l’équilibre général – n’est pas définie par des hypothèses (homogénéité, atomicité, etc.) : elle est déduite d’une idée antérieure de marché – centralisé [5]. Supposer, comme le fait Fabrice Tricou, que les grandes conceptions du fonctionnement de nos économies s’accordent sur la notion de concurrence pour ne différer que sur celle de marché, c’est sans doute ne pas prendre tout à fait au sérieux la notion de concurrence, mais c’est peut-être aussi manquer le niveau le plus spéculatif de l’analyse walrassienne. L’auteur l’admet implicitement lorsqu’il situe l’économie monétaire des marchés qu’il propose dans le prolongement de la représentation marshallienne et « en deçà de la conception walrassienne hyper-centralisée » (p. 33), et justifie le choix de ce niveau d’analyse par la correspondance entre l’acception théorique du marché qu’il définit et le sens courant du mot (p. 33). L’argument est juste mais omet que, si le marché walrassien est centralisé, ce n’est pas par un parti pris de défaut de réalisme, mais parce qu’il est une machine qui réalise un projet de société, qui instaure « un ordre et un bon ordre (…) en assurant aux individus déchirés par leurs passions une coexistence relativement pacifique et heureuse » [6]. Tout à son effort de délimiter le terrain commun sur lequel confronter les différents auteurs qu’il convoque, Fabrice Tricou néglige ici certaines de leurs différences les plus essentielles, et qui précisément sont au fondement de leur choix d’une conception du marché. C’est pourquoi l’on conclurait volontiers que cet ouvrage stimulant appelle une suite, qui exposerait comment l’hétérodoxie en théorie économique se fonde, elle aussi, sur un projet de société.

36Claire PIGNOL
PHARE – Université Paris 1
cpignol@yahoo.fr

Mark Granovetter, 2008, Sociologie économique, Paris, Éditions du Seuil, 364 p.

37L’ouvrage Sociologie économique de Mark Granovetter (2008) est une réédition d’un précédent recueil d’articles paru en 2000 chez Desclée de Brouwer et intitulé Le marché autrement auquel a été adjoint un sixième article plus récent.

38Les cinq textes constituant la première édition ont été écrits de 1973 à 1988 et figurent aujourd’hui parmi les classiques de la sociologie économique. Granovetter y montre l’intérêt de l’utilisation de « l’analyse des réseaux sociaux », et en particulier des notions de « liens faibles » (Chap.1) et de « seuil » (Chap.3), pour l’étude des comportements d’acteurs économiques notamment sur le marché du travail (Chap. 4). Il s’attarde aussi sur la définition de la nouvelle sociologie économique (NSE) (Chap 5), reprenant et adaptant pour ce faire le célèbre concept d’encastrement de l’économique dans le social de Polanyi, ce qui lui a valu d’être considéré comme l’un des fondateurs de cette approche (Chap. 2).

39Si, en 1988, Granovetter parle pour la première fois de « Sociologie économique », cette approche a, depuis, produit de nombreuses contributions alliant apport empirique et travail de conceptualisation. Le chapitre 6 du présent ouvrage, écrit en 2002, revient précisément sur l’évolution de la NSE. Granovetter en propose une nouvelle définition dont on peut interroger la pertinence et la fécondité relativement à celles proposées dans les années 1970-1980.

40Dans les années 1970, l’objectif de Granovetter était de fonder une nouvelle approche qui donnerait la priorité aux réseaux de relations sociales observables pour rompre avec le système de catégories abstraites propre au paradigme dominant de Parsons. Toutes sortes de phénomènes mettant en cause l’étude de grands groupes étaient alors envisagés (la formation d’émeutes, l’organisation de communautés urbaines, etc.).

41Puis, c’est davantage contre les théories économiques qui négligent les structures sociales - « l’impérialisme économique » (p. 208) de Becker ou l’approche en termes de Marché / hiérarchie de Williamson - que Granovetter construit sa thèse de l’encastrement dans les années 1980. Dès lors, il s’agit de « ne s’intéresser qu’au cœur de l’économie » (p. 207). Les institutions économiques sont pour lui des constructions sociales et il existe, à côté des strictes motivations économiques, d’autres qui expliquent aussi le comportement économique.

42Imprégné de cette volonté de rupture, Granovetter s’attache sans doute trop à définir les propriétés précises des relations sociales concrètes. Il en occulte les cadres culturels et historiques, les problèmes de domination et de conflits, l’influence de la structure macro sur le microsocial (comment, par exemple, expliquer la reproduction dont parle Bourdieu avec ces concepts ?). Dans « Les modèles de seuils » (chap.3, 1973), il va même jusqu’à supposer des agents rationnels qui maximisent leur utilité. Ceci lui a valu certaines critiques notamment de Bourdieu qui parle de « forme dégriffée et […] délavée » (in Les structures sociales de l’économie, Bourdieu, 2000, p. 12) de son concept de champ, de simple « vision interactionniste » (idem) et reproche à Granovetter d’ « ignorer la contrainte structurale du champ » (Granovetter, 2008, p. 37). Ainsi Granovetter ne pourrait que « connaître l’effet de l’anticipation consciente calculée que chaque agent aurait des effets de son action sur les autres agents… faisant ainsi disparaître tous les effets de structure et toutes les relations objectives de pouvoir » (Bourdieu, 2000, cité in Granovetter, 2008, p. 38). Commentant ces articles, Granovetter avoue lui-même s’être trop accroché dans ces articles à « des détails de l’analyse des réseaux sociaux » (p. 35).

43On peut sans doute aussi lui reprocher de ne pas choisir explicitement sa position à l’égard de la discipline économique : en 1988 (chap. 4), il parle d’ « association » entre sociologie et économie mais sans en spécifier les modalités. S’agit-il de créer une approche unifiée où l’on ne saurait plus distinguer méthodes économique et sociologique ? Ou bien faut-il sauvegarder la théorie économique comme il le laisse penser lorsqu’en 1988, il écrit que « les thèses néoclassiques se trouveraient selon lui renforcées même dans leur domaine le plus central si on leur adjoignait une perspective sociologique » (p. 207)?

44Les années 1990 marquent selon nous un tournant dans sa pratique de la NSE. Il publie ses articles sur l’électricité (« The Making of an Industry : Electricity in the United-states », Granovetter et Mac Guire, 1998 par exemple) – malheureusement absents du présent recueil – dans lesquels il répond en partie aux objections de Bourdieu, réintroduisant dynamique, histoire des relations sociales, rapports de force entre syndicats et cadres d’analyses plus larges que les réseaux.

45C’est sans doute ce changement de pratique qui le conduit à revenir sur la fécondité de la thèse de l’encastrement dans les réseaux. Pour « redéfinir [son] programme théorique » (p. 223), la NSE doit désormais selon lui intégrer, outre les réseaux, des dimensions comme « le pouvoir », « la confiance » et « l’identité » et s’intéresser aux « sources de l’action » et à la naissance d’espaces sociaux bien identifiables. Certains concepts (comme les normes culturelles) rejetés au nom de l’ « antiparsonisme » sont peu à peu réintégrés mais toujours en termes relationnels.

46Toutefois, bien que Granovetter accepte d’élargir la thèse de l’encastrement dans les réseaux à une vision plus riche et plus large des espaces sociaux – répondant ainsi aux critiques de Bourdieu et d’autres –, il ne propose guère dans ce texte, finalement un peu décevant (au regard notamment de l’originalité de ses premiers textes) de programme de recherche structuré. Certes, partant d’exemples multiples, le texte montre que ni la confiance, ni le pouvoir, ni les actions économiques ne s’expliquent par les seules propensions individuelles et constitue en cela une autre critique de l’individualisme méthodologique chère à la théorie économique. Mais on ne comprend pas le statut de ces concepts nouvellement introduits que sont la confiance, le pouvoir, l’identité, au regard de ceux déjà bien établis de réseau, de dyade, d’encastrement. Pourtant Harrison White, le directeur de thèse de Granovetter, avait publié en 1992 (puis 2008 pour la seconde édition) l’ouvrage Identity and Control, auquel Granovetter reprend ici un grand nombre de concepts (« le couplage », « le découplage », « l’ambiguïté » autour de « l’identité », « les contextes », etc.), et d’idées puisqu’ici, comme White, il relativise la portée des concepts d’encastrement et de réseau au profit de celui de « molécules » (p. 225) – définies par White comme des espaces sociaux qui s’autoreproduisent sur une longue période – et surtout il consacre comme White une partie entière aux sources de l’action. Toutefois, là où White propose une théorie générale qu’il applique ensuite aux marchés (voir Markets from networks (White, 2002) et Harrison White: une théorie générale des marchés? (Rème, 2005)), Granovetter, sous une forme bien plus abordable, il faut le reconnaître, ne propose que les prémisses d’un programme encore à dessiner à partir duquel il est difficile de tirer une définition claire de la nouvelle sociologie économique. Il ne définit par exemple aucun des concepts nouvellement introduits, ne s’arrête pas sur la différence entre couplage et encastrement pourtant difficile à saisir, ni sur la manière dont le réseau et l’identité interagissent. Il explique lui-même ne faire que « survoler ces questions » (p. 234). Quoi qu’il en soit on ne peut qu’être d’accord avec Granovetter 2002 et White 1992, l’idée d’encastrement qui suppose que « l’économique » est imbriqué dans « le réseau social », ne peut suffire à définir la sociologie économique. En parlant de « sciences unifiées » (p. 255), de « connecter l’analyse des réseaux sociaux aux problèmes centraux de la sociologie » (p. 254), Granovetter ne fait plus de l’économique un domaine à part et autonome qui nécessiterait une discipline indépendante mais le refond dans un social global – et cette fois plus large que le seul réseau.

47Pétronille REME HARNAY
INRETS/SPOLTT
petronille.reme-harnay@inrets.fr

Ivan Sainsaulieu (sous la dir.), 2008, Par-delà l’économisme. La querelle du primat en sciences sociales, Paris, L’Harmattan, collection « Logiques sociales », 246 p.

48Deux ombres planent sur ce livre, celles de Karl Marx et de Karl Polanyi. Cet ouvrage collectif cherche à confronter des recherches aux concepts popularisés par ces deux auteurs.

49En questionnant le matérialisme d’une part et l’encastrement (l’enchâssement) de l’autre, deux contributions sont emblématiques de la tonalité du livre. Ainsi Claude Dubar utilise son propre parcours de sociologue et l’évolution de son approche [7] pour montrer les insuffisances d’une pensée sociale reposant sur le seul matérialisme marxiste. En retraçant l’histoire de la sociologie française depuis le milieu des années 1960, il en vient à montrer que le marxisme ne permet pas d’expliquer le social à lui tout seul et que la mobilisation de la pensée de Max Weber s’est avérée nécessaire. Dès lors, Dubar arrive à contourner l’écueil d’une autocritique maoïste en prônant simplement une analyse sociale pluridisciplinaire ouverte et non déterministe…

50L’autre contribution clé est celle de Christian Bessy qui montre à quel point l’utilisation de la pensée de Polanyi permet de cerner l’évolution de la pensée économique : la volonté des économistes institutionnalistes d’étudier l’économique et le social sans séparation artificielle [8]. Ainsi, faire l’analyse de « l’économisme » n’est pas formuler une énième critique de la théorie des choix rationnels à la Gary Becker, c’est promouvoir une véritable socio-économie : la prise en compte des facteurs économiques dans des activités sociales et le retour du social dans l’économie.

51On constate cette ambition en lisant les contributions qui cherchent à élargir la réflexion en refusant le déterminisme : Cédric Collier montre que la question de la valeur d’un service informatique est toujours d’actualité. Quand bien même le travail industriel connaîtrait un déclin, l’informatique a une valeur cognitive : les techniques de l’information et de la communication ne délivrent ni de la marchandise, ni de l’aliénation au travail. Frédéric Lebaron poursuit son analyse sociologique de l’idéologie économique [9] en identifiant les vecteurs de diffusion d’une vision néo-libérale de l’économie que sont les manuels « standard », les enseignements, le personnel politique ou le champ médiatique. De même, cette volonté d’éviter toute approche réductionniste s’incarne dans les articles de Marie-Christine Bureau ou Amaël Cataruzza : l’évolution de la théorie de l’entreprise montre, d’une part, la dimension politique d’un acteur crucial de l’analyse économique ; l’éclatement de la Yougoslavie permet, d’autre part, de combiner les facteurs ethniques et marchands pour saisir l’évolution des nouveaux États des Balkans.

52Par ailleurs, la querelle du primat est abordée dans une perspective modeste et opérationnelle où les contributeurs s’efforcent d’étudier ce que l’économie peut ou ne peut pas expliquer. Ainsi Jean-Marie Harribey, en économiste, et Claude Smith, en philosophe, reviennent sur le problème de la valeur et sur sa place centrale en économie politique du fait de rapports ambigus et fluctuants avec le travail ou la richesse. Dès lors, évacuer la valeur en la remplaçant par les prix ne répond pas à la question. Les analyses de Mathieu Hély et Laurent Gardin sur l’économie sociale et solidaire ou celle de Virginie Diaz-Pedregal sur le commerce équitable suivent cette même logique. Il en ressort que sur des sujets économiques clés et actuels, une socio-économie est peut-être moins séduisante (elle ne donne pas un prix d’équilibre ou une recette « clé en main »), mais elle dévoile des constructions sociales subtiles et complexes.

53Enfin, les articles qui ouvrent et clôturent ce livre (Ivan Sainsaulieu & Michel Lallement) sonnent comme des rappels à l’ordre du travail du savant en sciences sociales : la sociologie et l’économie doivent dépasser les rapports de forces pour faire plus que cohabiter. Il est nécessaire de rappeler quelques points d’ancrage permettant d’étudier la société par l’économie : le désintéressement, la productivité, l’encastrement ou les institutions… qui, seuls, permettront de penser le social sans le réduire à quelque déterminisme que ce soit.

54Guillaume ARNOULD

55Classe prépa. ENS Cachan, Lycée Gaston Berger, Université de Lille 1
guillaume.arnould@univ-lille1.fr

Marie-Anne Dujarier, 2008, Le travail du consommateur. De McDo à eBay : comment nous coproduisons ce que nous achetons, Paris, La Découverte, collection « Cahiers libres », 246 p.

56Marie-Anne Dujarier opère un déplacement de point de vue par rapport aux analyses classiques de la relation de service. En conservant la centralité de la notion de coproduction, elle s’attache non plus à étudier ce que cette relation fait à ceux qui se trouvent face à des clients ou à des usagers, mais ce qu’elle fait faire à ces derniers. Même si l’intuition première de l’auteure semble provenir du développement récent d’outils grâce auxquels nous effectuons de plus en plus de tâches autrefois confiées à des agents rémunérés pour cela (achats en ligne, self scanning au supermarché, achats de titres de transport par bornes électroniques, etc.), la nouveauté du propos tient plus à la perspective ouverte. Comme le titre l’indique, il s’agit d’analyser l’activité de consommation comme un travail productif engageant des significations, des compétences, du temps, des formes coopératives, etc. L’auteure repère ainsi trois régimes distincts de mise au travail du consommateur qui concourent à produire de la valeur pour les entreprises en remplissant trois fonctions distinctes : l’autoproduction dirigée où on travaille pour consommer ; la coproduction collaborative où on coproduit pour travailler afin d’en retirer des profits matériels ou symboliques ; le travail d’organisation par lequel on apporte des solutions pratiques qui participent à la résolution des contradictions inhérentes à toute organisation productive.

La contrainte à produire ce que l’on consomme

57La première partie de l’ouvrage est consacrée aux dispositifs grâce auxquels on a externalisé un certain nombre de tâches vers les consommateurs. Dans cette configuration, « le client produit à l’aide d’outils fournis par l’entreprise » et « prend une part croissante dans le processus de production » (p. 34). Le travail peut consister à repérer parmi les différentes offres disponibles celle qui correspond le mieux à sa propre demande (téléphonie portable), à finir le produit acheté (meubles et menus en kit), à réaliser par soi-même un ensemble d’opérations (achats en ligne), à réparer des pannes en ne bénéficiant que d’un soutien technique minimum (bugs informatiques) ou tout simplement à attendre dans les situations où, pour accroître les marges, les coûts d’ajustement temporel sont reportés sur les consommateurs qui n’ont alors de choix que de « payer pour ne pas avoir à patienter, ou patienter pour ne pas avoir à payer plus cher » (p. 44). Dans tous les cas, l’auteure repère une « inversion de charge » qui oblige le consommateur à « y mettre du sien » (p. 41) de manière à obtenir ce dont il a besoin, tout en participant à la valorisation des entreprises. En effet, non seulement ce travail est gratuit, mais il ne s’accompagne pas d’une baisse des prix.

58Cette mise au travail n’est pas forcément obtenue par la contrainte express, comme dans le cas de la suppression des guichets de vente dans les transports en commun. Elle repose également sur un ensemble de prescriptions et d’incitations plus ou moins implicites, sur un « marketing de la collaboration » (p. 46). Entre instructions écrites, exhortations discrètes à être productif qui ont pour conséquences de mettre sous pression aussi bien les consommateurs que les salariés à leur contact, gratification des compétences mises en œuvre, promotion de l’autonomie ou publicité sur les bénéfices qu’ils peuvent en tirer en confort, en sécurité ou tout simplement en argent, les registres ne manquent pas pour activer les consommateurs. Mais au bout du compte, ce qui ressort de l’analyse, c’est l’absence de choix : ils doivent travailler « pour pouvoir consommer » (p. 58).
Évidemment, cela ne va pas sans problèmes et, pour que le travail soit réalisé dans des conditions optimales, il faut que les consommateurs incorporent un ensemble de règles et de savoir-faire. Bref, il faut qu’ils se forment et tous ne sont pas égaux pour y parvenir, d’où un ensemble de ratés qui ne peuvent que se produire quand, par exemple, un consommateur ne parle pas la même langue qu’un automate ou quand il n’est pas familiarisé avec la manipulation d’outils informatiques (la prise en compte de cette disparité des capacités d’acquisition des compétences constitue d’ailleurs un des points faibles du livre, on y reviendra). Mais même compétents et disposés à se comporter en virtuoses, les consommateurs au travail se heurtent inévitablement au réel de l’activité qui, bien que souvent très standardisée, nécessite de contourner les prescriptions et implique le recours à des formes de coopération. Dès lors, on peut observer une aspiration au retour de la relation dans la prestation. Ce que les concepteurs des dispositifs en question ont vite perçu. La relation peut ainsi être réintroduite, mais comme une option payante, comme une marchandise qui se monnaye.

L’instrumentalisation du désir de reconnaissance

59La seconde configuration productive analysée est celle où les consommateurs coproduisent pour travailler. Ici, les entreprises mettent en place un modèle collaboratif où elles procèdent « à une captation d’activités à valeur ajoutée, que le consommateur consent, éventuellement avec enthousiasme, à fournir gratuitement » (p. 89). Les consommateurs sont incités à fournir leurs idées, à participer à des processus créatifs, à offrir leurs propres productions et ils le font « pour vivre l’expérience de travail comme occasion de développement pratique, social, subjectif (ibid.). Il ne s’agit donc plus de contraindre à exécuter des tâches standardisées et répétitives, mais de capter des informations et des « œuvres » qui sont le résultat d’activités complexes, demandant parfois un haut niveau de compétence et dotées d’une forte valeur tant économique que symbolique. L’essor de cette configuration est particulièrement stimulé par le développement des TICE.

60Au niveau le plus simple, il s’agit essentiellement d’inciter les consommateurs à laisser des traces de leurs achats ou de leurs préférences en participant, par exemple, à l’évaluation d’un produit sur un site de vente en ligne. À un niveau plus élaboré, il s’agit de les faire participer à l’élaboration d’un produit. Si ceci n’est pas très nouveau, depuis bien longtemps les études de marché remplissent cette fonction, il semble qu’une étape ait été franchie, avec une réelle mise au travail créatif comme lorsque les marques organisent des concours de packaging et font, de fait, concevoir leurs emballages et leurs slogans par des bénévoles à la recherche d’un quart d’heure de gloire. Car on a là un des principaux ressorts de ce travail collaboratif : il répond à un désir de participation socialisée (p. 129), à une quête de gratifications symboliques, à un besoin de reconnaissance sociale.

Résoudre les contradictions de la coproduction

61Si les consommateurs travaillent, comme tous travailleurs, ils doivent faire face à un ensemble de contradictions auxquelles ils doivent parvenir à apporter des réponses. Il leur revient alors « de trouver des solutions pratiques, socialement et subjectivement acceptables » (p. 137). Dans ces conditions, ils doivent participer à un travail visant à « fabriquer une organisation fonctionnelle » (ibid.). L’auteure souligne ainsi la grande proximité entre, d’une part, les discours du management participatif qui incitent les salariés à travailler à l’optimisation des organisations productives et, d’autre part, les discours sur le customer empowerment qui visent à promouvoir des dispositifs incitant les consommateurs à travailler pour construire le marché.

62La première contradiction résulte de la réduction des relations, qui se couple avec une nécessité accrue de contrôle. Ce contrôle peut être délégué à un personnel spécifique (des vigiles) ou à des dispositifs techniques (caméras, barrières antivol). Il est également délégué aux consommateurs par le biais d’une disciplinarisation obtenue par des formes de contrôle réciproque des comportements, qu’il s’agisse de comportements déviants (vols) ou, au contraire, de conformité aux normes légitimes de consommation. La seconde contradiction réside dans le couple liberté/captation qui enserre l’activité de consommation. Elle est notamment illustrée par la mise en scène du libre-service qui laisse accroire que tous les choix sont possibles alors qu’ils sont conditionnés par des agencements subtils. Pour y faire face, les consommateurs doivent alors produire un travail conséquent d’identification des qualités et des prix, de tri et de sélection. Dans d’autres situations, les consommateurs se retrouvent dans la position de formateurs, de managers, voire de patrons vis-à-vis des salariés à leur service tout en conciliant leurs exigences de client, leurs convictions de citoyens et ce qu’ils portent de leur propre expérience de salarié. Ici, le travail est essentiellement moral.

Une transfiguration des rapports sociaux

63Dans la dernière partie de l’ouvrage, l’auteure s’emploie à monter en généralité pour dégager ce que le travail du consommateur veut dire du point de vue des rapports de pouvoir ou, pour être plus précis, des rapports de consommation et de production. Elle montre notamment que les formes apparentes de personnalisation masquent une standardisation de fond des choses et des comportements. Il s’agirait donc plus d’une individualisation qui, sous couvert d’accroissement de l’autonomie, soumet les agents à des logiques fortement hétéronomes. Le pouvoir des entreprises en ressort renforcé et les « nouvelles formes productives qui font appel au consommateur ne préparent donc pas à l’avènement d’un monde totalement “ouvert” et “horizontal”, […] les rapports sociaux de production et de consommation restent, eux, verticaux, même s’ils sont de moins en moins visibles » (p. 207). Pour finir, s’il faut bien admettre le faible impact de l’exit et de la voice (p. 211), le fait que les consommateurs travaillent à leur consommation met à leur disposition un ensemble de registres d’action opposables aux stratégies des entreprises. Dans cette partie, on peut regretter le manque d’ancrage empirique du propos, plus fondé sur une mise en relation de théories disponibles et de réflexions personnelles que sur l’exploitation d’un corpus de données.

Un consommateur désincarné

64Le principal problème posé par l’ouvrage de Marie-Anne Dujarier est tout entier dans son titre. Il parle « d’un » consommateur en quelque sorte réifié, un peu comme s’il s’agissait d’une réalité homogène, désignée d’ailleurs tout au long du livre comme « le consommateur ». Jusqu’aux pages 67-68 où il est affirmé que « la diversité des situations et de consommateurs ne permet pas de décrire “un” travail réel du consommateur » car, « à l’instar des employés, il existe une infinité de destins possibles de l’activité prescrite ». Or, entre l’unique et l’infini, il doit exister des régularités repérables permettant de rendre compte du caractère socialement situé des compétences et du travail des consommateurs. D’ailleurs l’auteure en repère quelques-unes, mais sous la forme d’oppositions par trop impressionnistes, telle celle des pages 61-62 qui met en scène un couple de personnes âgées et un homme d’affaires devant un distributeur de billets de transport en commun. Et c’est encore plus vrai quand il s’agit de travail collaboratif créatif spontané : en fonction de sa position sociale, on ne se sent pas également compétent et autorisé, bref légitime, à contribuer et les chances de voir sa contribution retenue diffèrent. De la même façon, quand il est question du travail de sélection des produits dans un supermarché face à une offre pléthorique et peu lisible, la question de la distance à la nécessité qui conditionne les « choix » n’est pas posée (p. 157-158). Pourtant, l’auteure n’ignore pas cet aspect des choses. Page 133, elle introduit la notion de sélectivité sociale et souligne l’écart entre l’ouverture formelle de l’activité de création collaborative et les possibilités réelles de s’y adonner. Plus loin, et trop tard pourrait-on dire, elle convient qu’il n’existe pas « un » consommateur, mais « des » consommateurs dotés de compétences et d’appétences variables en fonction de leur position sociale. Cet aspect est traité entre les pages 193 et 198. C’est peu de place pour une hypothèse forte qui aurait pu guider, dès le départ, la construction de l’objet et l’élaboration du dispositif méthodologique. Mais cela aurait probablement donné lieu à une autre enquête.

65Il reste que cet ouvrage novateur dans l’analyse de l’acte de consommation et de la façon dont il est façonné par des puissances qui lui échappent tout en faisant croire aux consommateurs qu’ils détiennent toujours plus de pouvoir, ouvre des perspectives stimulantes de travail et de réflexion. À ce titre, il mérite d’être lu par tous les intéressés, chercheurs et consommateurs, les premiers entrant dans la catégorie des seconds.

66Rémy CAVENG

67CURAPP – Université de Picardie Jules Verne

68rcaveng@wanadoo.fr

Sophie Dubuisson-Quellier, 2009, La consommation engagée, Paris, Presses de Sciences Po, collection « Contester », 143 p.

69La consommation engagée est définie comme traduisant « la volonté des citoyens d’exprimer directement par leurs choix marchands des positions militantes ou politiques » [10]. L’objectif de cet ouvrage de Sophie Dubuisson-Quellier est de dresser le panorama de ses différentes formes au sein des pays riches, depuis leur origine au tournant du xixe siècle jusqu’à aujourd’hui. Il se divise en cinq chapitres retraçant tout d’abord l’histoire des protestations des consommateurs, puis quatre formes de consommation engagée : les mouvements en faveur de la protection de l’environnement, ceux en faveur de la justice sociale, les initiatives de résistance à la consommation de masse et enfin la construction d’alternatives au marché.

70Le rappel historique montre que si les mobilisations autour de la consommation existent depuis la fin du xviiie siècle, elles ne sont plus portées aujourd’hui par les mêmes acteurs. À l’origine de ces premiers mouvements se trouvent des consommateurs menant des actions de boycott et de « buycott » [11], ou encore des manifestations de rue, au nom de la défense de la dignité humaine. Le xixe siècle voit par exemple se former aux États-Unis des mouvements rejetant les produits fabriqués par des esclaves. Le développement du consumérisme moderne dans les années 1960-1970, quant à lui, s’accompagne d’un repli des associations de consommateurs sur la défense de leurs intérêts, au détriment de la mise en avant de leurs responsabilités collectives. La responsabilisation des consommateurs est dès lors prise en charge par des mouvements militant en faveur de l’environnement et pour la justice sociale.

71Les mobilisations autour des enjeux environnementaux constituent la première forme de consommation engagée. La labellisation écologique naît à la fin des années 1970 à l’initiative des pouvoirs publics de plusieurs pays. Le label allemand Blue Angel est par exemple créé en 1977. En parallèle se développent des démarches privées de labellisation, telles que la marque Demeter, en Allemagne, Suisse et Autriche. Une nouvelle génération de labels émerge dans les années 1990 de partenariats entre différents acteurs privés (industriels, exportateurs, distributeurs, associations écologistes…). Ces démarches font souvent appel au soutien des pouvoirs publics et ont une portée internationale, comme dans le cas du label FSC [12]. Faisant interagir de nombreux acteurs, ces certifications sont souvent analysées comme de nouveaux modes de gouvernance. Les exigences élevées des standards tendent néanmoins à limiter la quantité d’un produit bénéficiant du label, ce qui conduit à un excès de demande par rapport à l’offre disponible. Les consommateurs n’ont par ailleurs pas toujours une bonne connaissance de ce que recouvrent les standards. La conduite de ces initiatives par des activistes, et non par des acteurs du marché, semble en grande partie à l’origine des difficultés rencontrées. L’agriculture biologique illustre la capacité de l’écolabellisation à redéfinir des problèmes publics. Apparue en France et aux États-Unis dans les années 1950-1960, elle émane d’abord d’un mouvement militant avant d’être soutenue et mise en œuvre par les pouvoirs publics. Ce type d’agriculture témoigne de la diversité des pratiques regroupées sous l’expression de « consommation engagée ». La politologue Michèle Micheletti distingue les achats de consommation courante s’appuyant sur des marques ou des logos, des actes de « consumérisme politique », correspondant à une forme spécifique d’implication des citoyens dans la politique [13]. Cette dernière renvoie à ce qu’elle désigne sous les termes d’ « action collective individualisée », concept permettant de dépasser la dichotomie établie par Hirschman entre action publique et repli sur la sphère privée. [14] Les travaux récents montrent par ailleurs que les démarches d’écolabellisation ne sont efficaces que lorsqu’elles font intervenir d’autres acteurs que les consommateurs, tels que de grandes organisations non gouvernementales ou les pouvoirs publics.

72Le second type de mobilisations présentées comme moteur de la consommation engagée regroupe celles œuvrant pour la justice sociale. Ces mouvements apparaissent dès la fin du xixe siècle, à travers des actions de syndicats américains comme le boycott national ou la publication de listes noires dénonçant les pratiques sociales des entreprises. Les tentatives de labellisation dans ce domaine se heurtent à la difficulté de construire une traçabilité parfaite. Le « commerce équitable » partage les préoccupations éthiques de ces mouvements. Il vise à redéfinir des pratiques commerciales plus justes sans passer par l’assistanat et envisage la distance géographique comme principale cause des distorsions de prix au détriment des producteurs. Les désaccords persistants entre les acteurs du commerce équitable font obstacle à une harmonisation des pratiques : des négociations en vue d’établir une norme de régulation aboutissent à un échec au début des années 2000. Contrairement aux mouvements de défense de l’environnement, ceux pour la justice sociale peinent à mettre en place des labels. Parmi les raisons expliquant cette différence figurent la faible capacité d’expertise accordée aux associations pour la justice sociale, ainsi que la nécessité pour ces associations de composer avec les législations et particularismes nationaux.

73L’ouvrage recense ensuite les différentes formes de résistance à la consommation de masse. Celles-ci sont nombreuses, allant des mouvements de résistance encadrée (acheter des produits de saison, refuser le suremballage, etc.) aux mouvements anti-publicitaires nés aux États-Unis dans les années 1990, ou encore aux mouvements pour la décroissance économique. Bien que constituées d’une base apparemment homogène de militants (classes moyennes à fort capital scolaire et culturel), ces initiatives ne parviennent pas à s’unifier autour de revendications communes.

74L’auteur décrit enfin la construction d’alternatives au marché, telles que les Sel [15], la commercialisation directe entre producteurs et consommateurs, ou encore les Amap [16]. En rendant possible l’échange de biens et services à partir d’une monnaie locale interne à l’association, les premiers se fondent sur une critique des modes d’affectation et de circulation de la monnaie conduisant au chômage et à la précarité. L’auteur souligne leur ambiguïté : s’ils se fondent sur une critique du travail, les Sel recrutent malgré eux des membres ayant un emploi ou un certain capital culturel. Les systèmes de commercialisation directe entre producteurs et consommateurs prennent leur essor dans les années 1990 dans les pays développés. Ils défendent un ensemble de causes telles que l’environnement, l’agriculture paysanne ou la contestation des systèmes agricoles qualifiés de « productivistes ». La proximité est supposée favoriser la solidarité entre producteurs et consommateurs. À la même époque se développent des systèmes permettant aux consommateurs de participer aux choix de leur alimentation. Nés tout d’abord au Japon puis aux États-Unis, ils apparaissent en France en 2001 sous le nom d’Amap. Un contrat est établi entre un producteur s’engageant à fournir ses produits régulièrement à un prix négocié à l’avance et des consommateurs s’engageant à prépayer la production et à participer aux décisions la concernant. Les principaux obstacles auxquels se heurtent ces mouvements sont le manque d’investissement militant des consommateurs et la difficulté de s’ouvrir aux catégories populaires.

75Si cet ouvrage permet d’effectuer un tour d’horizon très utile des pratiques de consommation recensées, son petit format laisse néanmoins en suspens un certain nombre de questions. Dès l’introduction, l’auteur déclare s’appuyer sur des travaux préexistants ainsi que sur ses propres sources primaires. Le lecteur apprécierait sans doute que ces dernières soient plus souvent mentionnées, pour accompagner certaines affirmations que peu de données viennent illustrer. Le terrain manque peut-être également pour expliciter la cohérence des formes de consommation choisies. On peut en effet parfois se demander dans quelle mesure des pratiques adoptées pour des motifs divers participent d’une même démarche militante ou politique [17]. L’agriculture biologique reflète bien cette difficulté, dans la mesure où une majorité de consommateurs achètent « bio » aujourd’hui parce qu’ils pensent que c’est meilleur pour la santé, comme le précise l’auteur [18]. La réflexion finale sur la réalité d’un pouvoir du consommateur, déjà mentionnée en introduction, laisse enfin le lecteur quelque peu sur sa faim. L’auteur conclut que les mouvements contestataires partagent en réalité avec les acteurs marchands traditionnels la même croyance dans la capacité du marché à orienter les choix et allouer les richesses. Au-delà de cette conviction, l’effectivité de la transformation des actes de consommation en actes politiques n’est pourtant pas discutée.

76Diane RODET

77Lise ? Cnam
diane.rodet@cnam.fr

Guillaume Duval, 2008, Sommes-nous des paresseux ? … et 30 autres questions sur la France et les Français, Paris, Éditions du Seuil, 227 p.

78Guillaume Duval publie un essai, dont il reconnaît lui-même la nature, à la fois, très politique et polémique : ce livre est issu du mécontentement de l’auteur au moment de la campagne électorale présidentielle de 2007. « Ce livre est né, comme souvent, d’une insatisfaction : le sentiment, éprouvé aux cours des débats électoraux de l’année 2007, que les Françaises et les Français ne disposent pas d’une information suffisamment précise sur l’état réel de la société dans laquelle ils vivent. » (p. 9). Cette carence les rendrait vulnérables aux slogans des hommes politiques devenus des professionnels de la communication. Le slogan « travailler plus pour gagner plus » est particulièrement visé ici. L’auteur expose son point de vue au travers du prisme de la devise de la République bâtie sur les idéaux des Lumières : Liberté, Égalité, Fraternité. Cette posture intellectuelle clairement assumée renforce sa crédibilité.

79Fort de son expérience de rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques, l’auteur rend la lecture de son ouvrage très attrayante et expose clairement son point de départ, son raisonnement, ses conclusions et les solutions qu’il préconise. À nos yeux, malgré d’indéniables qualités pédagogiques et rédactionnelles, l’ensemble souffre, çà et là, de faiblesses à la hauteur des dites qualités. Cela n’empêche pas cet ouvrage d’être tout à fait digne d’intérêt, « revisitant » quelques idées reçues tout en gardant un certain rythme.

80G. Duval pose 31 questions politiques, sociales ou économiques concernant l’ensemble de la société française comme autant d’idées reçues. Les réponses recèlent quelques surprises et s’avèrent plus subtiles et nuancées qu’à première vue. Ainsi est-il possible de dessiner, au fil des pages et des réponses apportées par l’auteur, une vision de la société française, qui donne une vision politiquement cohérente et mérite d’être interrogée.

81Il est naturellement impossible ici de faire une lecture critique de chaque point soulevé par l’auteur. Regroupons trois questions et examinons la manière dont l’auteur construit ses réponses et assure l’articulation entre elles : « Les Français sont-ils des paresseux ? », « Le pouvoir d’achat des Français progresse-t-il vraiment ? », et « Pourquoi y a-t-il tant de smicards en France ? ».

82Le raisonnement de l’auteur se résume comme suit : contrairement aux idées reçues, en 2006, les Français ont été très productifs puisqu’une personne qui occupait un emploi en France, a produit en moyenne 73 400 $ de richesse. Ce chiffre signifie que seuls les Belges et les Américains ont été plus productifs que les Français. Par ailleurs, à la question : « Combien d’heures avez-vous effectivement travaillé au cours de la semaine X ? », les Français ont déclaré, au premier trimestre de 2007, un volume horaire correspondant à 35,3 heures contre une moyenne de 35,4 heures pour l’Europe à 15. L’auteur souligne que ces statistiques regroupent à la fois les emplois occupés à temps plein et ceux qui ne le sont qu’à temps partiel. Les Français qui occupent un emploi à temps plein travaillent un peu moins que la moyenne européenne. Toutefois, le nombre de personnes à temps partiel est inférieur à celui des autres pays européens. En outre, ces personnes travaillent plus qu’ailleurs en Europe. Comme la durée de travail, tout au long de la vie, en France, est moins longue que dans les autres pays européens, la pression productive et très lourde sur la tranche d’âge des 25-54 ans. Cela peut expliquer en partie, pourquoi tant de personnes en France ont un rapport si délicat au travail.

83S’ajoute à cela le fait que 15 % des salariés perçoivent le Smic. Ce taux est plus élevé que celui des équivalents belge, néerlandais, anglais et irlandais. D’après l’auteur, il s’agit de la proportion la plus élevée d’Europe. Loin d’y voir l’échec des politiques publiques, l’auteur leur impute plutôt un effet pervers. À partir du début des années 1960, les politiques publiques n’ont eu de cesse d’établir une réelle proportionnalité du financement de protection sociale. Ces politiques ont été menées afin de lutter contre le chômage élevé des personnes non qualifiées en favorisant le développement d’emplois à bas salaires, tirant les rémunérations vers le bas :

84

« D’un point de vue strictement quantitatif, cette politique a été très efficace : ces dernières années l’économie française a créé des emplois mal payés en grand nombre. Selon l’Insee, la proportion des bas salaires dans les embauches à temps complet est en effet passée de 41 % en 1992 à 50 % en 2001. Et logiquement la part des salariés qui touchent moins que 1,3 fois le Smic a bondi dans le même temps de 30 à 38 % de la population salariée. La proportion des smicards proprement dits, qui tournait autour de 8 à 9 % des salariés, au début des années 1990, a désormais doublé. Mais au final, cette politique n’a pas atteint son objectif initial : le chômage des personnes peu qualifiées reste très élevé. »
(pp. 32-33)

85Si ces politiques de baisse des charges sociales à proximité du Smic ont rendu la France très attractive pour les investisseurs étrangers pour le travail industriel tout au long des années 1990, cet avantage n’a pas résisté à l’entrée en scène des pays à bas coûts. D’où la question de savoir si le pouvoir d’achat des Français croît réellement. L’auteur s’appuie ici sur les statistiques de l’Insee selon lesquelles le pouvoir d’achat a augmenté de 2,3 % en 2006, après une hausse de 1,7 % en 2005 et de 2,6 % en 2004. Comme la population en France est de plus en plus nombreuse, le pouvoir d’achat par tête augmente, officiellement, déjà moins vite (1,7 % en 2006). Le nombre de ménages augmente encore plus vite que la population. Rapporté à chaque ménage, le pouvoir d’achat n’a plus augmenté que de 0,8 % en 2006. De son analyse, l’auteur en retire la conclusion :

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« Bref, il existe en effet plusieurs bonnes raisons de douter de la qualité de l’appréciation statistique du pouvoir d’achat. Cela dit, la solution ne peut pas venir de la multiplication d’indices privés concurrents, ou de l’individualisation des indices que propose désormais l’insee elle-même (…). Une société a besoin pour fonctionner, mesurer l’évolution de la quantité des richesses produites, répartir subventions, faire évoluer les prestations sociales, déterminer les seuils d’imposition ou d’exonération…, d’une norme commune dont la fiabilité soit socialement reconnue. »
(p. 29)

87Autrement dit, les Français n’ont pas à rougir de leur productivité au travail, les politiques publiques ne facilitent pas l’augmentation du niveau de vie et les indicateurs utilisés pour mesurer l’état de la société française ne sont pas aussi « performants » qu’ils devraient l’être. L’une des solutions que préconise l’auteur pour résoudre ce problème est de mieux tenir compte des réalités sociales de notre pays.

88Or, il s’agit peut-être là d’une petite limite de l’ouvrage qui s’appuie sur des statistiques issues des organismes publics tels l’Insee ou Eurostat, ou encore des sondages d’opinion. S’il n’est pas surprenant qu’il existe des divergences entre les données officielles et le ressenti des personnes interrogées, il serait intéressant que l’auteur ne néglige pas d’autres matériaux. N’existe-t-il pas une incohérence à vouloir remettre en cause les statistiques officielles en les critiquant et en affirmant que leur fiabilité n’est pas assez socialement reconnue, sans recourir aux apports de la sociologie ? Qui plus est, nous semble-t-il, l’auteur aurait pu aller plus loin dans sa démarche de dénonciation politique en montrant le poids des connotations idéologiques dans la construction des hypothèses des travaux économiques et des statistiques sur lesquels s’appuient les politiques économiques libérales.

89Bien que ce livre semble, à première vue, d’une étonnante facilité, il n’est pas uniquement destiné aux lecteurs peu au fait des sujets traités : les propos ne manquent pas de nuances. Son interprétation des faits économiques, quant à elle, invite tous les lecteurs à la réflexion, y compris les plus avertis d’entre eux. Le lecteur disposera, grâce à cet ouvrage, de clés de lecture qui lui permettront de ne plus se limiter aux réponses stéréotypées dont sont si friands hommes politiques et journalistes, notamment en période électorale.

90L’auteur a le mérite de présenter une vision iconoclaste (certains ne diraient-ils pas, subversive ?) de la société française et de refuser toute caricature. Il ne faut donc pas lire son livre si l’on veut éviter de se poser des questions sur le monde qui nous entoure.

91Frédéric CHAVY et Guillaume YVAN

92Clersé – Université Lille 1

93frederic.chavy@univ-lille1.fr

94guillaume.yvan@univ-lille1.fr

Economy is not Economics. Bruno Latour, 2008 Vincent Antonin Lépinay, L’économie science des intérêts passionnés. Introduction à l’anthropologie de Gabriel Tarde, Paris, Éditions La Découverte

95À l’origine, le projet de B. Latour et V. A. Lépinay était de republier les deux forts volumes de Psychologie économique de Gabriel Tarde, mais ceux-ci étant disponibles en mode image sur le site Gallica et en mode texte sur le site canadien « les classiques des sciences sociales » (http://classiques.uqac.ca/), ils décidèrent d’éditer à part l’introduction qu’ils avaient rédigée en y insérant de nombreuses citations afin d’inciter le lecteur à se mesurer au texte lui-même. Pour des lecteurs impatients, ou empressés, B. Latour propose une sélection de morceaux choisis sur son site (www.bruno-latour.fr).

96Les deux analystes soulignent et la nouveauté, et l’actualité de Tarde, nous invitant à imaginer, pour en apprécier l’ampleur, ce que serait la découverte du Capital de Marx un siècle après sa parution alors qu’il serait passé inaperçu jusqu’alors. « Tout va sembler étrange dans l’économie de Tarde mais, peut-être, parce que tout y est neuf, c’est du moins ce que nous voulons tenter de montrer. Écrit au cœur de la première grande globalisation, aux prises avec toutes les innovations techniques de l’époque, saisi par le problème moral et politique de la lutte des classes, profondément engagé dans la bio-sociologie, fondé sur les méthodes quantitatives dont il ne pouvait que rêver, mais qui sont aujourd’hui disponibles grâce à l’extension des techniques de numérisation, c’est parce qu’il semble fraîchement sorti de presse que nous le présentons, un siècle plus tard, au milieu d’une autre globalisation, en pleine crise morale, sociale, politique et écologique. Nous n’offrons pas cet hapax comme une simple curiosité pour intéresser les historiens de l’économie, mais comme un document essentiel pour récupérer autrement notre passé et, par conséquent, définir autrement notre avenir » (p. 11-12).

97Cette évaluation de l’apport tardien s’inspire assurément des critères définis par les science studies qui viennent perturber la sage et soi-disant permanente séparation instaurée par Max Weber entre le savant et le politique. Les science studies prennent cette distinction elle-même pour objet d’étude et ne manquent pas de constater qu’elle s’inscrit dans une histoire. Dans Le Léviathan et la pompe à air – Hobbes et Boyle entre science et politique (traduction T. Piélat, Paris, La Découverte, 1993), S. Shapin et S. Schaffer ont ainsi montré que c’est parce que le xixe siècle a déterminé la science et la politique comme dessinant deux sphères exclusives l’une de l’autre que la théologie politique de Boyle et la science de Hobbes ont été respectivement refoulées par l’épistémologie et la philosophie politique. Or la conception du vide de Boyle modifie profondément ce que l’on peut attendre de la matière, et donc de l’ordre social, tandis que l’interprétation hobbesienne de la preuve altère décisivement la représentation de l’autorité et du Souverain.

98La critique par Tarde de la méthode retenue par les promoteurs de la science économique pour aborder les questions économiques renforce cette conviction puisqu’elle y décèle un préjugé providentialiste selon lequel jouerait, que ce soit dans le marché, la nature ou l’État, un mécanisme d’harmonisation auquel il suffirait de se référer pour ne plus avoir à se préoccuper de politique. C’est au nom d’un tel préjugé que les inventeurs de l’économie (economics) ont cru et fait croire que celle-ci (economy) s’organisait en un domaine propre. Argument critique par lequel Tarde, notons-le, déporte l’opposition qui met communément en scène l’affrontement des partisans du marché et ceux de l’État vers celle qui discrimine ceux qui veulent croire aux miracles de l’harmonie préétablie et ceux qui s’en défendent.

99Cette critique est conduite au nom d’une anthropologie et d’une métaphysique qui encouragent une inversion complète de nos habitudes de pensée : rien dans l’économie n’est objectif, tout est intersubjectif, et c’est parce que l’économie est intersubjective qu’elle est quantifiable et scientifique. Encore faut-il s’accorder sur ce que c’est que quantifier et ce qu’est une science. Pour entamer cette redéfinition, Tarde part de la valeur psychologique tributaire de la croyance et du désir. Grâce à quoi elle est mesurable puisque pourvue d’une certaine intensité. Le quantifiable est donc le psychologique, et non pas, comme l’a cru l’économie, la seule richesse du fait de son signe monétaire. Il convient là de ne pas confondre le psychologique avec l’intériorité subjective (dans ce cas, Tarde use du terme « intra-psychologique »), mais de l’identifier à ce que Tarde nomme l’« inter-psychologique ». Si bien que le psychologique et le social ne doivent pas être conçus selon un dualisme insurmontable, pas plus que la société et les individus. Comme l’écrit Tarde dans une note de la préface de la 2e édition (1895) de son ouvrage, Les lois de l’imitation (1893) : « Le psychologique s’explique par le social, précisément parce que le social naît du psychologique ». De même, les individus doivent être saisis comme autant de nœuds dans une distribution en réseau. En privilégiant la richesse pour procéder à la quantification, l’économie a empêché de considérer que la gloire, la vérité et la beauté sont également mesurables. Si les économistes sont loin d’avoir épuisé le champ du quantifiable, cela ne saurait justifier d’étendre métaphoriquement, à la manière de Bourdieu redoublant le capital économique d’un capital symbolique, la quantification des richesses à la gloire, la vérité et la beauté. Ce serait rester prisonnier de l’exclusivité décrétée par les économistes.

100Ayant échappé à ces deux écueils, Tarde nous incite à retourner l’ambition de la science économique comme nous le ferions du doigt d’un gant : la science économique ne découvre pas une réalité, elle la fabrique de toutes pièces. C’est l’économie discipline qui performe l’économie chose : « Without economics, no economy » selon Michel Callon, qui soutient que la performativité est ce principe épistémologique permettant de s’accommoder du paradoxe selon lequel un discours peut, à la fois, être extérieur à la réalité qu’il décrit et participer à la construction de celle-ci en tant qu’il agit sur elle.

101En généralisant l’application du procédé de quantification et en découvrant le psychologique à son principe, Tarde résiste à la pente qui entraîne l’histoire économique à substituer la raison aux passions ; l’économie doit en vérité se définir comme la science des intérêts passionnés.

102L’homo œconomicus, fantasmé par la science économique, est en effet le produit d’une double abstraction. Il est pure rationalité au service de l’optimisation de ses intérêts, et n’appartient à aucun groupe. Ce sont les attachements, insiste Tarde, qu’il importe au contraire de quantifier. Latour et Lépiney dessinent, à cette occasion, les limites de la critique engagée par l’hétérodoxie économique, représentée en l’occurrence par l’économie institutionnelle et celle des conventions qui, certes soucieuses de concrétiser cet homo œconomicus, se contentent pourtant « de corriger le système ptoléméen du marché pur et parfait en lui ajoutant une multitude d’épicycles tournant en tous sens – les contrats, la confiance, l’information, les règles, les normes, les coalitions » (p. 45). Le décentrement autrement plus audacieux auquel invite Tarde consiste en un processus ininterrompu de désubstantialisation. La réalité de l’économie-chose, enfin dégagée de la gangue performatrice dont la revêt l’économie-discipline, doit pour cela être inscrite dans le mouvement général des monades (leibniziennes), qui se prolonge selon les trois étapes de la répétition d’une première différence, l’opposition créée par la répétition et l’adaptation qui permet provisoirement d’échapper à ces oppositions grâce à de nouvelles différenciations. Nulle reprise ici de la trinité dialectique hégélienne, la négativité n’est pas motrice, c’est l’invention, comme le souligne Maurizio Lazzarato : « La science économique, jusque pratiquement à la fin du 20e siècle, considère l’invention et la science comme des externalités. Mais si l’on veut déjouer l’action des êtres transcendants, tels que le Marché, le Capital ou l’Entrepreneur, il faut partir précisément de ce que l’économie politique et sa critique supposent sans l’expliquer : le pouvoir de création des hommes et la coopération inter-cérébrale qui la rend possible » (« La Psychologie économique contre l’économie politique », novembre 2001, Multitudes Web, http:multitudes.samizdat.net ; voir aussi du même, Puissances de l’invention, la psychologie économique de Tarde contre l’économie politique, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2002). Ce n’est donc pas l’échange qui assure la mise en place d’un marché et l’organisation d’une économie, c’est la coordination d’énergies jusque-là désarticulées, coordination qui a pour condition la confiance.

103La véritable source des valeurs résidant dans les variations en intensité de la croyance et du désir, il est illusoire de chercher à assigner à l’économie un quelconque fondement, qu’il s’agisse de la rareté ou de l’intérêt, ou de l’enfermer dans un quelconque domaine fonctionnant à la manière d’une nature, car sa réalité à appréhender selon un strict principe d’immanence tient à la « stabilité d’une configuration ». Il est tout aussi vain de scruter un quelconque avènement, lequel est au plus une extension des réseaux d’imitation et de contamination, qu’une extension des régimes de confiance se traduisant par la globalisation des marchés.

104« Carder le chaos du monde », voilà ce que l’on peut attendre des intérêts passionnés. Nulle harmonie préétablie, pas plus de lois naturelles, pas davantage de philosophie de l’histoire. Ce qui ne veut pas dire, point de tout social, à la condition d’ajouter, sous peine de rechute dans un substantialisme coupable, qu’il est à inventer ; le tout social est toujours à venir, il n’est jamais assuré.
Michel KAIL
michelkail@wanadoo.fr

Louis Pinto, 2009, Le café du commerce des penseurs. À propos de la doxa intellectuelle, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, collection « Savoir/agir », 146 p.

105Depuis maintenant plus d’un quart de siècle, on ne compte plus les ouvrages, pour ne rien dire des numéros spéciaux de revues et des dossiers d’hebdomadaires, consacrés aux intellectuels ou, plus précisément, à « nos » intellectuels, à savoir ceux qui font autorité dans l’Hexagone, confondu, la plupart du temps, avec l’espace politico-médiatique. À tel point que la littérature consacrée à disséquer leur statut, leur rôle, leurs parcours, leurs réseaux, leurs discours est devenue à elle seule quasiment un genre à part entière. Un genre qui se subdivise à son tour en deux sous-genres, encore que la limite qui les sépare soit des plus poreuses : d’une part, les écrits où le champ intellectuel constitue un objet d’étude relativement « neutre » des sciences sociales, notamment l’histoire et la sociologie, et de l’autre, ceux à vocation plus ou moins polémique, qui, sous la forme de l’essayisme, s’attachent à dénoncer le rôle maléfique des penseurs les plus en vue dans la liquidation des idéaux d’émancipation collective.

106À la fin des années 1970, le philosophe Régis Debray avait donné le coup d’envoi [19], suivi par deux journalistes partis à l’aventure « en haute intelligentsia » [20]. L’appartenance des auteurs au sérail, à une place des plus élevée pour l’un et assez subalterne mais néanmoins notable pour les autres, ajoutée au fait que tous trois étaient bien introduits auprès de la caste dirigeante « de gauche », eut l’effet habituel quand on est à la fois juge et partie dans ce milieu : un mélange d’esprit caustique et de plaidoyer pro domo. Tout au long des deux dernières décennies du xxe siècle et au début du suivant, ce furent principalement des historiens qui prirent la relève du côté scientifique, en particulier Jean-François Sirinelli [21] et Michel Winock [22], non sans quelque complaisance pour les grands noms mis en avant par la presse dite de qualité, souvent confondus avec les grandes signatures figurant en tête des articles qui y sont publiés. Parallèlement, une sociologie d’inspiration structuraliste avait commencé l’exploration théorique du champ intellectuel [23], sans beaucoup d’impact, sauf exception, hors de la sphère des spécialistes en raison du scepticisme voire du désenchantement que pouvaient susciter les enseignements que l’on en tirait.

107La (re)conversion, à partir du milieu des années 1970, de nombre d’« intellectuels de gauche », expression qui frisait jusque-là le pléonasme en France, en défenseurs patentés de la « démocratie de marché », c’est-à-dire du capitalo-parlementarisme, va donner lieu, au plan éditorial, à une floraison de livres à tonalité souvent pamphlétaire. Certains visaient à rendre compte de la réputation d’excellence usurpée des figures de proue les plus emblématiques de ce revirement, ce reniement et ce ralliement. Ainsi, la flamboyante Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary de Guy Hocquenghem [24], ou La deuxième Droite, virulente mise au jour de la dimension de classe de ces retournements de veste [25], suivie quelques années plus tard par La pensée aveugle, réquisitoire en bonne et due forme des mêmes auteurs contre la prétention des anciens chantres de la révolution à s’ériger en analystes lucides (et enthousiastes) du cours démocratique qu’aurait emprunté l’évolution des sociétés depuis la fin conjuguée des idéologies et des utopies [26]. Alors que l’année 1995 allait vers son terme, un mouvement social de grande ampleur leur offrit l’occasion de se poser en « intellectuels de proposition » en appuyant ouvertement, par le biais d’une pétition, le camp de ce qu’ils auraient nommé autrefois « la réaction » [27].

108D’autres ouvrages seront plus particulièrement consacrés à déconstruire le discours forgé ou repris par ces renégats pour parler du monde, ainsi que le langage qui va avec. Dans cette seconde catégorie, figure en bonne place un savoureux Catalogue du prêt-à-penser depuis 1968[28] qui fera plusieurs émules, tel le « médiologue » François-Bernard Huyghe [29]. Par la suite, toujours dans la même veine « démystificatrice » au plan lexical, deux éditeurs et essayistes, Raoul Vilette [30] et Éric Hazan [31], dresseront un début d’inventaire des clichés les plus éculés de la pensée conservatrice remis au goût du jour et colportés par ceux que le journaliste Serge Halimi appellera les « nouveaux chiens de garde ». Cette « novlangue » néolibérale dont ils usent et abusent sera aussi la cible du sociologue Alain Bihr qui procédera à son démontage théorique [32], précédé par le post-situationniste Jaime Semprun, qui en fait, sur le mode parodique, un éloge aussi réjouissant que dévastateur [33].

109Où situer le dernier opus du sociologue Louis Pinto dans ce catalogue qui est d’autant moins exhaustif que la liste des ouvrages à y inclure ne cesse de s’allonger [34] ? À lire la quatrième de couverture, il relèverait à la fois de la sociologie des intellectuels et de la sociologie politique. Le titre inciterait à le classer parmi les pamphlets. Le sous-titre, néanmoins, indiquerait plutôt une approche scientifique des lieux communs et des expressions toutes faites en vogue dans les milieux savants ou prétendus tels relayés par les médias. Ne devrait-on pas, dès lors, inscrire ce livre sous la rubrique sociologie du langage ? L’auteur signale pourtant, dans l’introduction, qu’il ne se propose pas d’« analyser le lexique ou la langue de la doxa ». Quelques lignes plus loin, cependant, il précise que la délimitation de son objet d’étude l’a « conduit à étudier surtout les discours soumis à un minimum de mise en forme intellectuelle » au travers de « thèmes » et de « schèmes » consacrés : dualisme opposant le passé, ramené aux « vieux schémas classistes », au présent (ou à l’avenir) caractérisé par le « retour de l’individu », exaltation de la démocratie face au totalitarisme honni, inéluctabilité bénéfique de la « mondialisation », etc.. Certes, ces discours et leurs variantes sont rapportés aux différentes « régions » du champ social où ils sont émis et diffusés, définies en fonction de leur degré de proximité par rapport aux lieux de pouvoir (économique, politique, médiatique). Et ils sont replacés dans le contexte socio-historique qui en explique le contenu. Mais ce que l’on retient d’abord de la lecture de l’ouvrage, c’est un décryptage systématique et solidement argumenté de leur sens éminemment politique. Décryptage critique, est-il besoin de le préciser, s’agissant de « penseurs » devenus des « intellectuels de service » qui « n’ont d’autre autonomie que celle d’accommoder à la sauce théorique des plats préparés par des “experts”, spécialistes dotés d’une autorité d’État, et mis en forme par des vulgarisateurs ».

110Peut-être que ce livre ne fournit-il guère d’éléments nouveaux, en termes d’informations ou d’analyse, sur la transmutation des intellectuels « engagés » en intellectuels à gages, et le remplacement des mots de l’émancipation et de la subversion par ceux de la conformité et de la soumission, comme dirait Éric Hazan, pour peu que l’on ait lu quelques-uns des ouvrages mentionnés plus haut ou d’autres traitant de ce processus, sans parler des nombreux articles parus sur le même sujet dans Le Monde diplomatique. L’un des mérites de l’auteur, cependant, est d’avoir su synthétiser, de manière très pédagogique et dans un style enlevé qui fera grincer quelques dents dans les hauts lieux de la pensée alignée, une bonne partie des connaissances indispensables à qui ne veut pas se laisser gruger par ceux qu’il faut bien appeler des imposteurs patentés. On ne saurait, à cet égard, accuser ou même soupçonner Louis Pinto d’avoir pris, comme on dit, le train en marche, pour se joindre, un peu tardivement, au chœur de leurs dénonciateurs.

111En 1984 en effet, paraissait, sous sa signature, un livre disséquant au scalpel de la critique sociale l’un des bastions journalistiques des intellectuels de parodie et des transgressions d’apparat [35]. Au début des années 1990, Louis Pinto élargira son propos dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales avec un article remarquable… et remarqué, y compris par les préposés au maintien de l’ordre symbolique qu’il visait et leurs sectateurs médiatiques, où le sociologue s’en prenait déjà à la « doxa intellectuelle » [36]. L’essentiel de ce que l’on trouve dans Le café du commerce des penseurs s’y trouvait exposé, à commencer par la définition de la doxa comme « un ensemble relativement systématique de mots, d’expressions, de slogans, de questions et de débats dont les évidences partagées délimitent le pensable et rendent possible la communication ». Communication avec qui ? Le « grand public », lettré de préférence. Mais surtout « entre qui ? ». Car c’est l’élitisme qui prévaut en la matière parmi des gens fortement dotés en capital scolaire et culturel. D’où une relation de connivence « entre les plus intellectuels des journalistes et les plus journalistes des intellectuels », auxquels il faut ajouter les « décideurs » publics ou privés, secondés par leurs experts et autres consultants, au nombre desquels les économistes orthodoxes figurent, bien entendu, en bonne place, toujours heureux de voir leur « vision du monde », imprégnée d’utilitarisme et de pragmatisme, sublimée par le « panoramisme de surplomb sans pesanteur » des penseurs de haute volée [37]. Là encore, Louis Pinto ne faisait que tracer les grandes lignes d’une interprétation qu’il développera et approfondira dans son dernier livre.

112Il est néanmoins un point sur lequel il innove véritablement, en raison du caractère récent du phénomène concerné, mais aussi de la crainte des observateurs les plus critiques du champ politico-intellectuel français de ne pas être en retard d’une révolution conceptuelle : l’apparition d’une « région de gauche » dans la constellation doxique [38]. Il va de soi que, dans l’esprit de ce sociologue « bourdivin », cette appellation est à prendre avec des pincettes. Elle désigne les gourous d’un courant post-moderne, post-marxiste pour ne pas dire post-matérialiste, qui prétendent surenchérir en matière de dissidence et de subversion, mais qui tendent, en fait, à « fonctionner indépendamment de toute référence à un contenu déterminé ». Figure majeure de cette mouvance, le philosophe Toni Negri qui a fait école en France parmi les rescapés, comme lui, du gauchisme ouvriériste, dont Louis Pinto avait déjà souligné, dans le chapitre d’un ouvrage collectif [39], la propension à mettre sur orbite des concepts originaux, excitants et énigmatiques, mais, disons-le tout cru, assez souvent fumeux, très appréciés d’un cercle restreint de lecteurs ou d’auditeurs diplômés à l’affût de nouveautés marquées du sceau de la rébellion.

113Louis Pinto aurait pu se référer aussi à d’autres auteurs dont le verbe anticapitaliste, pour peu qu’il soit compréhensible, ne laisse pas d’impressionner, tels les philosophes Alain Badiou, Jacques Rancière ou même Slavoj Žižek, slovène, mais de plus en plus présent sur la petite scène du radicalisme mondain français. Et à d’autres revues que Futur antérieur, aujourd’hui disparue, Multitudes, qui a pris le relais, et Chimères, où la « schizoanalyse » et l’art sont appelés à la rescousse pour remédier, si l’on en croit l’un de ses contributeurs, à « l’état de délabrement des énoncés d’une société ». La Revue internationale des livres et des idées (la RILI pour les initiés), par exemple, qui gagne en notoriété depuis quelque temps, chargée de réimporter la French theory cuisinée à la sauce des campus étasuniens.

114Cela dit, Louis Pinto met le doigt sur ce que le sociologue Pierre Rimbert, journaliste au Monde diplomatique, avait déjà relevé à propos du succès de certains brûlots littéraires « antilibéraux » ou celui – éphémère il est vrai – des rassemblements altermondialistes [40]. À savoir l’existence d’un contraste flagrant entre la montée des indignations néo-petites bourgeoises contre l’ennemi désigné sous le nom de « néo-libéralisme », qui n’est autre que la bourgeoisie transnationalisée, et leur totale innocuité pratique. « De la mèche crépitante au baril de poudre, notait-il, il y a… comme un problème. » En des termes plus choisis, Louis Pinto ne dit pas autre chose : « Ces intellectuels téméraires qui se font une spécialité de la critique de toute chose, sauf des limites de leur point de vue sur les choses, sont les victimes par excellence de l’illusion qui consiste à prendre des transgressions sur le papier pour des ruptures dans l’histoire mondiale. » Et d’enfoncer le clou en concluant : « La radicalité n’est pas une fin en soi, sauf pour les virtuoses du dépassement. »

115On ne s’étonnera donc pas de l’engouement dont ce jusqu’au-boutisme de salon ou de salles de séminaire bénéficie dans certains milieux de l’intelligentsia « libérale » étasunienne, imités maintenant par les « post-gauchistes » de l’Hexagone. Pas plus que de l’accueil bienveillant dont certains de leurs maîtres à penser ont commencé à bénéficier dans les colonnes de la presse de marché pour cadres. Pontifiant dans les départements de philosophie ou de sciences sociales de certaines universités ou les amphithéâtres d’institutions culturelles prestigieuses (École normale supérieure, Centre Pompidou, Bibliothèque François Mitterrand…), quand ce n’est pas dans les centres de recherche de quelque organisme étatique, les uns et les autres n’ont nullement empêché, au plan politique, le cap de la révolution conservatrice néo-libérale d’être maintenu presque partout avec une constance qui semble inébranlable.

116La critique intellectuelle de l’ordre dominant, lorsqu’elle ne s’attaque pas aux conditions sociales effectives de cette domination, s’évitant ainsi d’avoir à se coltiner les « analyses concrètes de situations concrètes » qui permettraient d’y parvenir, est devenue non pas exactement « une marchandise comme une autre », mais une marchandise spécifique à la fois par la fonction qui lui est assignée et par la clientèle visée : une fraction minoritaire et contente de l’être de la petite bourgeoisie intellectuelle que le désir de « résistance » poussé à l’extrême, « sans savoir plus trop de quoi et de qui il s’agit », remarque Louis Pinto, et le souci de se distinguer du tout-venant de la « gauche » traditionnelle, officielle ou non, incitent à se laisser fasciner par n’importe quel délire théoriciste pour peu qu’il paraisse aller au-delà de ceux qui l’ont précédé. C’est ainsi que les postures « radical-chic » communient dans le rejet des questions pratiques de stratégie et d’organisation de la lutte politique. Et, d’une manière plus générale, de toute réflexion qui pourrait conduire ceux qui adoptent de telles postures à ce qui relève, dans leur esprit… ou plutôt hors de celui-ci, de l’impensable : le passage à l’acte. Inutile, par conséquent, de rappeler aux fournisseurs de ce marché de la consommation contestataire haut de gamme ce que Marx reprochait aux philosophes qui se contentaient d’interpréter le monde plutôt que de chercher à le transformer. Ce qui importe, désormais, aux premiers, c’est de transformer les interprétations du monde de façon à le laisser tel qu’il est tout en ayant l’air de livrer contre lui un combat sans fin.
Faut-il reprocher à Louis Pinto de verser ainsi dans le travers de l’amalgame en associant dans une même réprobation les piliers intellectuels les plus reconnus de l’ordre établi et les francs-tireurs de la conceptualisation qui se font fort de les ébranler ? Ce serait là oublier ce qui les réunit par-delà les divisions affichées sur lesquelles reposent leurs images de marque respectives. Une « unité plurielle » fondée sur « une même fétichisation du “changement” qui les porte non pas à découvrir des formes et des facteurs de transformations sociales, mais à s’en remettre à une pensée binaire qui, en interdisant d’interroger les permanences, les invariances, les constances, les détourne de toute recherche permettant de comprendre ce qui change… et ce qui ne change pas, ou seulement en apparence ». Autrement dit, de déceler en quoi et pourquoi le changement social peut s’articuler à la continuité du capital en tant que rapport social, comme s’y était attaché, à la suite de Marx, Henri Lefebvre [41], un sociologue de formation philosophique comme Louis Pinto, progressiste lui aussi.
Jean-Pierre GARNIER
jp.garnier34@gmail.com

Notes

  • [1]
    On sait que des rendements décroissants supposent qu’une augmentation de la même quantité de tous les inputs ne permet qu’une augmentation moins que proportionnelle de l’output. On oublie combien cette hypothèse est si difficile à concevoir économiquement (si je peux produire une unité d’un bien avec une certaine quantité d’autres, pourquoi ne pourrais-je pas en produire deux en doublant toutes mes quantités ?) qu’on la confond avec une hypothèse conceptuellement différente qui est celle de l’impossibilité d’accroître tous les inputs (hypothèse des facteurs cachés). Si, d’un point de vue mathématique, les rendements décroissants relèvent d’un niveau de généralité plus important que les rendements constants, ce n’est plus le cas d’un point de vue économique.
  • [2]
    Alors que l’économie de Walras est à rendements constants. Voir Antoine Rebeyrol, La pensée économique de Walras, 1999, Dunod, p. 51-65.
  • [3]
    L’argument indiqué par l’auteur (« la configuration des rendements croissants (…) appelle une structure marchande monopolistique, sortant ainsi du cadre considéré, la concurrence parfaite, [car] les rendements croissants mènent au ‘monopole naturel’, l’exploitation des économies d’échelle entraînant ou justifiant qu’une seule grande entreprise produise », p.55) repose sur une confusion entre d’une part l’impossibilité de concevoir un équilibre de concurrence parfaite en cas de rendements croissants (les offres d’output étant infinies quels que soient les prix si les agents sont price-takers) et d’autre part l’ajustement supposé des comportements individuels à cette impossibilité (la transformation des agents price-takers en price-makers). Autrement dit, afin d’esquiver un problème d’inexistence de l’équilibre, on s’autorise à s’écarter du cadre que l’on s’était fixé.
  • [4]
    Imagine-t-on une économie fonctionner si des agents qui demandent un bien en reçoivent un autre ? C’est pourtant ce qui se passerait si, dans le modèle walrassien, on introduisait la possibilité d’échanger différents biens sur un même marché.
  • [5]
    C’est pourquoi on ne peut modifier ces hypothèses pour étudier les conséquences de ces modifications, comme le font les théoriciens de la concurrence imparfaite, sans supposer une coordination alternative à la coordination walrassienne. Je remercie ici Arnaud Berthoud qui m’a permis de formuler les conséquences épistémologiques et philosophiques de questions techniques et de théorie économique.
  • [6]
    Arnaud Berthoud, « Marché-rencontre et marché mécanique », Cahiers d’économie politique, n°20-21, 1992, p.167.
  • [7]
    Travail épistémologique que l’on peut retrouver de manière plus systématique dans Faire de la sociologie : un parcours d’enquêtes, Paris, Belin, 2006.
  • [8]
    A rapprocher du numéro 03 de la RFSE sur l’usage contemporain de quelques grands auteurs en économie.
  • [9]
    Démarche initiée dès La croyance économique Les économistes entre science et politique, Paris, Seuil, 2000.
  • [10]
    p. 11.
  • [11]
    Le « buycott », terme qui n’existe pas encore à cette époque, consiste à orienter les achats vers certains produits ou magasins pour défendre une cause.
  • [12]
    Forest Stewardship Council, destiné aux produits issus de l’exploitation forestière.
  • [13]
    Micheletti, Michèle, Political Virtue and Shopping. Individuals, Consumerism and Collective Action. Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2003.
  • [14]
    Hirschman, Albert, O., Bonheur privé, action publique, Paris, Fayard, 1982.
  • [15]
    Système d’échanges locaux.
  • [16]
    Association pour le maintien d’une agriculture paysanne.
  • [17]
    Voir la définition donnée en introduction et reproduite au début de ce compte-rendu.
  • [18]
    Lamine, Claire, Les intermittents du bio. Pour une sociologie des choix alimentaires émergents, Éditions de la MSH, Paris, 2008, mentionné p. 49.
  • [19]
    Régis Debray, Le Pouvoir intellectuel en France, Ramsay, 1979.
  • [20]
    Hervé Hamon, Patrick Rotman, Les Intellocrates. Expédition en haute intelligentsia, Ramsay, 1981.
  • [21]
    Jean-François Sirinelli, Sartre et Aron, deux intellectuels dans le siècle, Hachette, 1995 ; L’Histoire des intellectuels aujourd’hui (direction avec Michel Leymarie), PUF, 2003.
  • [22]
    Michel Winock, Le siècle des intellectuels, Le Seuil, coll. « Essais », 1997 ; avec Jacques Julliard, Dictionnaire des intellectuels français, Le Seuil, nouvelle éd. augm., 2002.
  • [23]
    Pierre Bourdieu, Homo academicus, Éditions de Minuit, 1984. Lire aussi « Le fonctionnement du champ intellectuel », Regards sociologiques, nos17-18, 1999.
  • [24]
    Guy Hocquenghem, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, paru en 1986 et réédité chez Agone en 2003.
  • [25]
    Jean-Pierre Garnier, Louis Janover, La deuxième Droite, Robert Laffont, 1986.
  • [26]
    Jean-Pierre Garnier, Louis Janover, La pensée aveugle. Quand les intellectuels ont des visions, Spengler, 1993.
  • [27]
    Julien Duval, Christophe Gaubert, Frédéric Lebaron, Dominique Marchetti et Fabienne Pavis, Le « décembre » des intellectuels français, Raisons d’agir, 1998.
  • [28]
    Serge Quadruppani, Catalogue du prêt-à-penser depuis 1968, Balland, 1983.
  • [29]
    François-Bernard Huyghe, La soft-idéologie, Robert Laffont, 1987 ; La langue de coton, Robert Laffont, 1991.
  • [30]
    Raoul Vilette, Le marché des mots, les mots du marché, Les Nuits rouges/L’Insomniaque, 1997 ; La langue du capital mise à nu par ses locuteurs mêmes. Décodeur du sabir politico-médiatique, Les Nuits rouges, 2009.
  • [31]
    Éric Hazan, LQR. La propagande du quotidien, Raisons d’agir éditions, 2006.
  • [32]
    Alain Bihr, La novlangue néolibérale. La rhétorique du fétichisme capitaliste, Éditions Page deux, 2007.
  • [33]
    Jaime Semprun, Défense et illustration de la novlangue française, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 2005.
  • [34]
    Par exemple, le numéro double 41-42 de la revue Agone (2009), intitulé Les intellectuels, la critique et le pouvoir.
  • [35]
    Louis Pinto, L’intelligence en action : le Nouvel Observateur, A.-M. Métailié, 1984.
  • [36]
    Louis Pinto, « La doxa intellectuelle », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 90, 1991.
  • [37]
    Ibid.
  • [38]
    Des auteurs avaient levé ce lièvre dans Le Plan B (mai 2009), journal bimestriel de critique des médias, pour y revenir plus en détail, sous le pseudonyme d’Adam Garuet, dans « Radical, chic et médiatique », in Les intellectuels, la critique et le pouvoir, op. cit., p. 149-163.
  • [39]
    Louis Pinto, « La pensée post- de Toni Negri » in Pour une gauche de gauche, dir. Bertrand Geay, Laurent Willemez, éd. du Croquant, 2008.
  • [40]
    Pierre Rimbert, « Contestation à consommer pour classes cultivées », Le Monde diplomatique, mai 2009.
  • [41]
    Henri Lefebvre, La survie du capitalisme La reproduction des rapports de production, Anthropos, 1973, 3e éd., 2005, Anthropos-Economica.
  1. Jean-Michel Bonvin, Nicolas Farvaque, 2008, Amartya Sen. Une politique de la liberté, Paris, Éditions Michalon, 128 p.
  2. François Vatin (dir.), 2009, Évaluer et valoriser, une sociologie économique de la mesure, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 305 p.
  3. Fabrice Tricou, 2008, La loi de l’offre et de la demande. Une enquête sur le libéralisme économique, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, collection « L’économie retrouvée », 188 p.
  4. Mark Granovetter, 2008, Sociologie économique, Paris, Éditions du Seuil, 364 p.
  5. Ivan Sainsaulieu (sous la dir.), 2008, Par-delà l’économisme. La querelle du primat en sciences sociales, Paris, L’Harmattan, collection « Logiques sociales », 246 p.
  6. Marie-Anne Dujarier, 2008, Le travail du consommateur. De McDo à eBay : comment nous coproduisons ce que nous achetons, Paris, La Découverte, collection « Cahiers libres », 246 p.
    1. La contrainte à produire ce que l’on consomme
    2. L’instrumentalisation du désir de reconnaissance
    3. Résoudre les contradictions de la coproduction
    4. Une transfiguration des rapports sociaux
    5. Un consommateur désincarné
  7. Sophie Dubuisson-Quellier, 2009, La consommation engagée, Paris, Presses de Sciences Po, collection « Contester », 143 p.
  8. Guillaume Duval, 2008, Sommes-nous des paresseux ? … et 30 autres questions sur la France et les Français, Paris, Éditions du Seuil, 227 p.
  9. Economy is not Economics. Bruno Latour, 2008 Vincent Antonin Lépinay, L’économie science des intérêts passionnés. Introduction à l’anthropologie de Gabriel Tarde, Paris, Éditions La Découverte
  10. Louis Pinto, 2009, Le café du commerce des penseurs. À propos de la doxa intellectuelle, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, collection « Savoir/agir », 146 p.
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/05/2010
https://doi.org/10.3917/rfse.005.0231
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