CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 En 1977, date de l’entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 1975 concrétisant la fusion des communes, la Belgique passait de 2739 à 589 communes. La commune a constitué historiquement et constitue toujours une entité importante en Belgique. Le présent travail se concentre sur la partie wallonne, qui compte aujourd’hui 262 communes fusionnées. Depuis la fin des années 1990, en Wallonie, des communes s’associent formellement, par exemple sous forme d’Association sans but lucratif (ASBL) ou de Zones de police ou de secours. Ces coopérations s’ajoutent aux Intercommunales, associations d’au moins deux communes destinées à gérer d’un commun accord une matière d’intérêt communal, historiquement plus anciennes.

2 Cette évolution correspond-elle à un processus de recomposition de l’espace de l’action publique, voire de (re)territorialisation, comme cela est constaté ailleurs en Europe ? Cette interrogation s’avère particulièrement pertinente au vu du contexte spécifique de la Belgique fédérale, de l’autonomie communale historique et de la relativement faible incitation politique aux stratégies de coopération intercommunale qui la caractérisent.

3 Dans un premier temps, est analysé le cadre explicatif de la fabrique de nouveaux espaces pour l’action publique locale. L’espace constitue aujourd’hui une variable du processus décisionnel, qu’il s’agisse de trouver l’espace objectif, optimal ou approprié le plus pertinent pour l’action publique. Afin d’approfondir la compréhension de ces recompositions pluricommunales, nous proposons une présentation des rassemblements de communes en quatre types selon la façon dont le périmètre de la coopération est établi. Une deuxième partie précise l’évolution de l’organisation dans laquelle s’insèrent les communes en Belgique et en Région wallonne. Il s’agit, ensuite, d’analyser les divers types de regroupements supracommunaux présents en Région wallonne, en détaillant leur portée et leur mode de gestion. Finalement, l’accent est mis plus particulièrement sur un cas de coopération de type territorial, à savoir la Wallonie picarde, qui illustre l’émergence récente de transcommunalité de type territorial.

De la fabrique d’espace de l’action publique à la supracommunalité

4Les espaces de l’action publique tendent à se recomposer et à se multiplier : un contexte particulier en justifie l’évolution contemporaine. Après avoir contextualisé le développement de cette fabrique, nous proposons une typologie basée sur les formes spatiales et donc les objectifs de ces coopérations. L’analyse de l’émergence de nouveaux espaces d’action publique s’inscrit à la fois dans les perspectives de reconfiguration de l’action publique (Aubin et al, 2012), de mobilisation et de gouvernance territoriales (Pasquier, 2012). Elle part d’un constat : la nécessité de trouver un autre espace pour l’action publique afin de permettre des projets de plus grande envergure, une plus grande solidarité, davantage de transversalité (Deffigier, 2007, 3). Ces nouveaux espaces tendent à apporter une réponse face à des espaces trop petits, fragmentés, parfois délaissés face aux métropoles et autres pôles centraux (Kerrouche, 2012, 39). Certes, ces associations ne sont pas un phénomène récent mais une généralisation apparaît depuis une vingtaine d’années : Vincent Aubelle rappelle ainsi la révolution silencieuse de l’intercommunalisation relancée en France par la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, et sa systématisation issue de la loi dite « NOTRe » du 7 août 2015 (2013).

5 Ces transformations amènent les communes à se coaliser et à « inventer » de nouveaux espaces où mettre en œuvre le processus décisionnel. Les limites des espaces administratifs ne sont plus considérées comme des données intangibles, la résolution du problème nécessite de sortir du périmètre communal ; la définition de l’espace devient une variable et est partie prenante du problème à résoudre. Comme le précise John A. Agnew (2013, 4), l’espace constitue une lentille pertinente pour travailler sur les politiques locales.

6 La complexité des problèmes publics, l’enchevêtrement des acteurs et des niveaux de décision amènent donc l’émergence de nouveaux espaces d’action publique à l’instar des nouvelles associations de communes, lesquelles interrogent l’aire géographique et son adéquation au problème et à l’action (Leloup et al, 2012). La coopération est alors intercommunale, transcommunale ou encore supracommunale [2], elle concerne le regroupement de plusieurs communes pour effectuer un travail commun, créer ou gérer des services ensemble, en présence d’une structure autonome (CDLR, 2007, 4). Notons que le regroupement concerne ici des associations, qu’elles incluent ou non des transferts de compétences ou de ressources de la part des communes, et s’appuie sur des formes diverses. Ce type de coopération recouvre ainsi en France à la fois les coopérations contractuelles comme les contrats de pays ou les établissements publics de coopération intercommunale (Perrin, 2005).

7 La propagation de ces regroupements formalisés de communes constitue un phénomène général en Europe, mais leur mise en œuvre diffère selon les contextes institutionnels, les missions données à ces nouvelles entités et les contraintes externes imposées à l’action publique locale (Hulst et van Montfort, 2011, 123). Le développement généralisé de ces regroupements de communes entraînent la multiplication des dispositifs de négociation et de décision, multi-niveaux et multi-acteurs, inscrits dans le cadre de politiques finalement souvent impulsées par le pouvoir central (Dubois et Gaudin, 2015, 11). Ces coopérations peuvent être distinguées en fonction de la façon dont la recomposition spatiale s’effectue ; il ne s’agit pas d’aborder le poids des logiques politiques, économiques et identitaires (Bussi, 2009) ou de distinguer la nature horizontale ou verticale de la coopération (Perrin, 2005), le but est ici de s’interroger sur la justification apportée à la redéfinition de l’espace de l’action publique.

8 Un premier type de regroupement de communes repose sur la recherche d’un effet de taille. Une taille optimale – a priori plus grande – est à trouver ; cette autre grandeur est considérée comme un gage pour les communes rassemblées. Elle leur garantit des moyens suffisants pour donner à chaque commune et à chaque citoyen un accès égal aux biens et services publics ; elle constitue une sorte de caution pour atteindre le degré de modernité souhaité. La constitution de coopération intercommunale permet de rendre l’interlocuteur politique qui la représente un porte-parole audible car il évoque alors une population et des ressources suffisantes. La plus-value générée par l’agrégation de communes vient des effets d’économies d’échelle. L’adéquation de la taille est évaluée en fonction de la démographie, du revenu, de la capacité productive (Deffigier, 2007, 1). La coopération intercommunale syndicale française renvoie à ce type d’association permettant des économies, qu’elle concerne la gestion de l’eau, des déchets ou du transport (Aubelle, 2013).

9 Un autre type d’espace est défini en termes d’action publique : il s’agit de l’aire idéale pour résoudre le problème posé. On parle alors de zone optimale. Ces zones optimales (de police, d’urgence) sont obtenues en fonction d’un facteur de distance ou de distance-temps. Un espace idéal théorique est calculé à partir d’indicateurs ; il est ensuite adapté. Il s’agira, pour des raisons d’opérationnalité, de faire correspondre le tracé calculé au périmètre des communes ou d’autres entités administratives. Ce type de délimitation s’inscrit dans la valorisation de la recherche de performance, inhérente à une approche de type gestionnaire (Dubois et Gaudin, 2015, 12). Dans ce cas, chaque problème voit se dessiner la zone géographique optimale pour le gérer, et cette zone détermine les communes à associer et les autorités publiques concernées.

10 Un troisième type d’espace correspond au concept d’espace fonctionnel de régulation (Varone et al, 2013). Cet espace renvoie à l’émergence d’une nouvelle forme de résolution des problèmes publics fondée sur une gouvernance fonctionnelle. Face à un problème complexe comme celui de la pollution, différents secteurs, différentes entités administratives et différents niveaux de décision s’associent pour proposer une résolution cohérente du problème. L’espace est alors défini par les décideurs qui en ont la charge et est établi en fonction de la question multisectorielle à résoudre. Les opérateurs seront tant privés que publics, ils regrouperont des communes mais aussi d’autres entités à d’autres niveaux de pouvoir. L’accent est ici mis autant sur l’espace à reconstituer que sur les réseaux d’acteurs pertinents à intégrer à la décision et à sa mise en œuvre. Cette approche renvoie à l’émergence des territoires pertinents ou de bonne gestion promus en France notamment par la Direction interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’action régionale dans les années 1990 (Douillet et Lefèvre, 2017).

11 À côté de ces espaces, liés à une taille, à un optimum ou au problème à résoudre, un quatrième type d’espace se dessine. Il s’établit dans le cadre d’une recherche de mutualisation mais aussi de transversalité dans la résolution des problèmes publics. Dans ce cas, les autorités recherchent une aire acceptée comme cohérente par les populations ; ses limites et le champ d’action sont justifiés par une proximité géographique mais aussi par une proximité organisée des opérateurs et des décideurs (Zimmermann, 2008). L’espace recomposé trouve son homogénéité non dans une densité ou une taille fonctionnelle mais dans la constitution d’un construit cohérent géographiquement, porteur d’un vécu et d’un « faire ensemble » communs.

12 Les deux premiers types de regroupements constituent des processus descendants (top down) ; ils émanent de l’autorité centrale, s’appuient sur des évaluations externes d’experts. Ils sont en général obligatoires et appliqués à l’ensemble du pays (Kerrouche, 2012, 48). Les deux derniers renvoient à une procédure ascendante (bottom up) ; ils constituent des recompositions particulières, qui s’accompagnent d’un processus de gouvernance : la définition du périmètre émane des communes, ou d’autres opérateurs locaux, et le choix de se regrouper est volontaire. Dans le cas des coopérations de type territorial, sont en outre mobilisés des références socio-culturelles, des récits, l’élaboration d’avenirs partagés. L’émergence de ces nouveaux espaces complexifie la compréhension de l’action publique ; ces entités ne s’emboîtent plus dans une structure hiérarchique, les aires ne se superposent que partiellement et les coopérations ascendantes entraînent l’émergence d’un paysage à géométrie variable. Qu’il s’agisse de rassemblements voulus ou imposés, cette évolution tend à démultiplier les espaces d’action publique, les agencements de communes impliquées, et, avec eux, les agencements d’opérateurs concernés (Rodrigues-Garcia, 2002). Face à cette complexité, les décideurs publics invoquent régulièrement une recherche de rationalisation : celle-ci passe par des projets de fusion de communes ou de suppression de certains niveaux de pouvoir traditionnels, qui apparaissent moins performants. La préoccupation de rationalisation entraîne un principe tayloriste de partage des rôles : à tel espace, telle compétence, à tel autre, une autre mission. Mais ces injections ne se concrétisent guère (Béhar, 2015, 92). Dans la pratique, depuis plus d’une vingtaine d’années, on assiste en Europe à la démultiplication de nouveaux espaces, notamment intercommunaux, sans qu’une simplification ou une rationalisation telle qu’une suppression de niveau ne se produise.

Comment se positionne la belgique dans ce paysage d’espaces d’action publique recomposés ?

13Historiquement la Belgique s’est construite sur une structure centralisée, à trois niveaux : l’état, la province et la commune. La commune en est une entité forte. C’est à la fin du XVIIIe siècle, sous l’occupation révolutionnaire française, que le cadre et l’organisation des communes belges se sont consolidés, selon une structuration toujours en application (Boverie, 2016, 3). Le pouvoir fédéral, le pouvoir des trois communautés et le pouvoir des trois régions légifèrent sur les matières qui sont de leurs compétences et les normes législatives adoptées possèdent la même valeur juridique, quel que soit le pouvoir. Les provinces et les communes constituent deux pouvoirs subordonnés.

14 En 1977, après l’échec d’une loi prônant les fusions volontaires en 1961 [3], la Belgique décide une fusion communale radicale, divisant par quatre le nombre de communes . Cette réforme a été concrétisée par l’arrêté royal du 17 décembre 1975, ratifié par la loi du 30 décembre 1975 dont l’entrée en vigueur s’est effectuée le 1er janvier 1977. La réforme fut finalisée en 1983 et a ramené le nombre de communes belges à 589 (Lazzari et al, 2008, 28). À cette époque, l’exemple donné par les Pays-Bas, la Suède ou l’Allemagne est utilisé pour défendre une telle agrégation (Giblin, 2015, 68). La réforme se justifie à la fois en termes de modernisation et d’économies d’échelle. Les arguments utilisés concernent ainsi les nouveaux besoins des communes en matière d’équipements, de qualifications pour le personnel ou de capacités financières pour emprunter, besoins hors de portée d’entités petites et disparates. Sont aussi invoquées la nécessité de rationaliser les investissements ainsi que la solidarité obligatoire entre communes principales et communes périphériques ou moins dotées (Lazzari et al, 2008, 29).

Tableau n° 1 : Répartition régionale des villes et communes.

tableau im1
Région flamande 5 provinces : Antwerpen, Vlaams Brabant, West Vlaanderen, Oost Vlaanderen, Limburg 308 villes et communes Région wallonne 5 provinces : Brabant wallon, Hainaut, Liège, Luxembourg, Namur 262 villes et communes Région Bruxelles capitale 19 communes

Tableau n° 1 : Répartition régionale des villes et communes.

Source : https://www.belgium.be/fr/la_belgique/pouvoirs_publics/communes (Le titre de ville, titre honorifique dépendant d’un certain nombre d’indicateurs, est une compétence des régions (article 6, §1er, VIII de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles)).

15 La commune belge intervient pour tout ce qui relève de son intérêt sans que l’intérêt communal ne soit défini en tant que tel : elle possède dès lors de larges compétences en plus des activités soit imposées par le pouvoir fédéral, les régions ou les communautés, soit correspondant à des missions obligatoires. Une partie relève d’initiatives facultatives comme dans le domaine du logement, de la culture ou du développement économique. Ces compétences s’exercent sous la tutelle des collectivités de niveau supérieur. Aujourd’hui, comme dans d’autres pays, les communes belges subissent un ensemble de contraintes. La crise économique a amplifié les contraintes budgétaires à tous les niveaux de pouvoir ; elle a accru les demandes notamment en matière sociale. La question de la fiscalité devient aigüe, les communes wallonnes subissant le principe du « passager clandestin », du fait de la fiscalité fixée au lieu de résidence (Jurion, 2008, 26). En outre, la sixième réforme de l’État [4] a reporté un ensemble de charges des niveaux supérieurs vers les niveaux locaux : il en est ainsi en matière de police, d’incendie ou d’action sociale. D’autres réformes, comme celles relatives aux cotisations de pension du « personnel local nommé », entièrement financées par les entités locales, alourdissent les menaces. Enfin les règles de la fiscalité dépendent maintenant de deux niveaux de pouvoir : le régional et le fédéral, ce qui restreint d’autant les marges de manœuvre budgétaire des communes.

16 À côté du processus de fusion communale de 1977, qui a aggloméré des communes dans une démarche descendante, diverses impulsions ont été données à la fin du XXe siècle par les gouvernements régionaux afin d’amener les communes à coopérer. Un instrument important dans cette incitation a concerné l’élaboration d’un schéma d’aménagement de l’espace régional. Un premier Schéma de développement de l’espace régional (SDER) – instrument de conception à valeur consultative de l’aménagement du territoire – avait été établi en 1999. Un deuxième Schéma, adopté par le gouvernement wallon le 7 novembre 2013, entendait orienter les décisions en matière d’habitat, de mobilité, d’implantation d’activités économiques. La structure de l’espace présente dans le SDER (Géron, 2013) incluait trois approches : celle des pôles, celle des aires (incluant les notions de bassins de vie, aires rurales transfrontalières, aires métropolitaines) et celle des réseaux. Ces schémas préconisaient le développement de partenariats à l’échelle de bassins de vie, définis comme « des communautés de territoire proches des citoyens » (Géron, 2013, 104). La coopération entre communes pouvait prendre la forme de communautés de territoire constituées volontairement par les communes, à partir d’un, d’une partie ou de plusieurs bassins de vie. En 2016, le nouveau code de développement territorial (CoDT) substitue au SDER un Schéma de développement du territoire (SDT) destiné à définir, à l’échelle de la Wallonie, la stratégie territoriale à partir entre autres des besoins spatiaux des grands secteurs (CPDT, 2016).

17 Antérieurement à ces évolutions liées à l’aménagement du territoire, la Région wallonne a aussi vu ses périmètres d’action publique influencés par les projets de développement co-financés par les Fonds structurels et d’investissement européens. Ces fonds renvoient à la politique de cohésion de l’Union européenne qui encourage le développement intégré des territoires, qualifiés d’espaces de vie de citoyens, en favorisant des politiques territoriales via la coordination trans-sectorielle et la coopération de type territorial (Commission européenne, 2008). Au vu de sa situation socio-économique défavorable, la Wallonie profite, dès sa création en 1974, des aides du Fonds européen de développement régional, qui s’inscrivent dans des espaces communaux ou pluricommunaux récurrents. Les programmes Interreg transfrontaliers, initiés en 1990-1993 redécoupent eux aussi les espaces en les délimitant au-delà des frontières (Curzi et al, 2016). Certes, il ne s’agit pas de nouveaux territoires institutionnels mais les pratiques communes des acteurs locaux, depuis le dépôt d’un dossier jusqu’à sa mise en œuvre, tendent à créer des convergences voire des collaborations formalisées.

18 Outre sa structure fédérale, la Belgique se caractérise donc par un niveau communal historiquement fort. Plus récemment, à l’exemple des développements existant en Europe, des décisions ou des incitations régionales favorisent l’émergence de zones et d’autres espaces intercommunaux. Quels types de coopérations sont ici favorisés et plus spécifiquement quelle est, dans ce contexte particulier, l’évolution attendue des coopérations de type territorial ?

Des intercommunales belges aux transcommunalités wallonnes

19En Belgique, et plus précisément en Région wallonne, la coopération entre communes connaît une tradition relativement limitée. La fusion des communes, d’une part, et la structure fédérale du pays, d’autre part, en constituent sans doute des éléments explicatifs (Hulst et van Montfort, 2011). Cependant quelques types de regroupements formalisés de communes existent. Le premier sur un plan chronologique concerne la création d’intercommunales. Ensuite, à la fin des années 1990, nous constatons la propagation de coopérations transcommunales ascendantes puis, dans les années 2000, sont décrétées des zones optimales (au sens du deuxième groupe de notre typologie).

20 Au premier rang des associations de communes, figurent dès les années 1920 les intercommunales (Rodrigues-Garcia, 2002) qui sont des associations d’au moins deux communes pour la gestion commune d’une matière d’intérêt communal. Ces intercommunales peuvent être sectorielles, elles sont alors élaborées sur la base d’un espace d’une taille suffisante : citons le cas des intercommunales en charge de l’enlèvement des immondices ; elles sont aussi parfois plurisectorielles comme les intercommunales d’expansion économique. Dans ce second cas, elles définissent leurs délimitations soit selon un modèle fondé sur la recherche d’économies d’échelle, soit selon un modèle d’espace fonctionnel, adapté notamment aux objectifs de redéploiement économique. Plus spécifiquement les intercommunales d’expansion économique (Leloup et al, 2007) sont destinées à exercer des activités d’intérêt local, dans un objectif de redéploiement, et apparaissent sous l’impulsion des lois d’expansion économique de 1959. Ces intercommunales visant le développement naissent de la volonté des communes. Le développement économique est ainsi dévolu à ces associations, plutôt qu’aux communes (CRISP, 1966). Peu à peu le découpage territorial fabriqué par ces intercommunales marque la Wallonie, d’autant plus que ce sont elles, par exemple, qui constituent les chefs de file privilégiés pour les appels à projets européens. Dans les années 1990, les évaluations à mi-parcours des projets financés par les fonds FEDER en Wallonie dénonceront cet ancrage généré par les intercommunales : elles le qualifieront de localisme limitant l’effet de masse recherché par de telles aides (Lepage, 1995). Aujourd’hui, 110 intercommunales, sectorielles ou non, sont recensées en Région wallonne (sans tenir compte des intercommunales interrégionales). Elles prennent diverses formes juridiques dont la société coopérative à responsabilité limitée ; elles regroupent au moins deux communes, parfois d’autres partenaires publics, comme la province, ou privés, comme une banque ; mais elles sont des personnes morales de droit public (Goethals, 2017). Elles peuvent créer en leur sein un ou plusieurs organes de gestion propres et, en conformité avec l’article L1523-7 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, elles comprennent au moins une assemblée générale (où les communes disposent obligatoirement d’une majorité des voix), un conseil d’administration et un comité de rémunération (en charge d’émettre des recommandations en matière d’indemnités et de fixer les rémunérations et autres avantages liés aux fonctions de direction). Depuis les années 2000, le rôle et le poids des intercommunales sont régulièrement discutés et réévalués. L’introduction en 2006 des pôles de compétitivité, définis comme des « regroupements d’entreprises et d’acteurs de la recherche autour d’un domaine économique porteur » (Wallonia Clusters Poles, 2017) dans le cadre du redéploiement wallon traduit la volonté politique d’un développement économique à la seule échelle régionale. D’autres dispositions ont été prises afin de renforcer la bonne gouvernance des intercommunales, comme le décret wallon du 28 avril 2014 modifiant certaines dispositions du Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue d’améliorer le fonctionnement et la transparence des intercommunales (Goethals, 2017).

21À côté de ces associations, un ensemble de zones communales fonctionnelles ont été rendues possibles par la loi fédérale du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré en Belgique et prévoyant en ses articles 9 à 11 la création de zones de police mono ou pluricommunales. Dans ces cas, l’espace associant plusieurs communes correspond à une aire idéale afin de traiter le problème public rencontré. À la suite de la constitution des zones de police, trois quarts sont pluricommunales : la Wallonie compte ainsi 72 zones sur son territoire (Flagothier, 2016, 14). La gestion est assurée par le collège des polices constitué des bourgmestres des communes de la zone. 2008 voit s’élaborer une réforme relative à l’établissement de zones de secours. Ces dernières sont liées à la protection civile et ont été définies par la loi du 15 mai 2007 en ses articles 14 et 15 ; l’arrêté royal du 2 février 2009 détermine la délimitation territoriale de ces zones ; finalement, le 1er janvier 2016, l’organisation des services d’incendie est passée intégralement à une organisation zonale. La Wallonie compte 14 zones de secours, qui constituent le niveau d’organisation politique des services d’assistance et de protection, sur les 34 existant en Belgique. La gestion est confiée à un conseil et un collège de zone composés des bourgmestres ou de certains bourgmestres des communes associées (Robert et Vassart, 2014). Les espaces recomposés de la sorte constituent des zones optimales. La fixation des périmètres est, en effet, basée sur des indicateurs statistiques (la distance-temps de parcours pour assurer les premiers soins par exemple) mais elle se trouve finalement rectifiée par le principe de l’acceptation des communes de s’associer entre elles.

22Un autre type de coopérations présent en Wallonie concerne enfin la transcommunalité de type territorial. Il apparaît à la fin des années 1990, souvent par imitation des coopérations territoriales françaises. Ce type renvoie dans les faits à des réalités diverses : la communauté urbaine, la communauté de communes, le pays voire le parc naturel (Claudot, 2016). Ces exemples de coopération de type territorial reposent sur la construction volontaire et ascendante d’espaces forgés autour d’un projet, d’une vision commune, renvoyant à des mutualisations non seulement fonctionnelles mais aussi socio-culturelles. Ces associations recherchent un espace cohérent tant géographiquement que communautairement. La recomposition spatiale qui naît de cet assemblage constitue une base favorable, par exemple à l’activation de ressources spécifiques matérielles et immatérielles (Gumuchian et Pecqueur, 2007). Le terme de territoire utilisé pour les qualifier renvoie à un construit : celui-ci est fait d’un espace, d’un projet, d’une population partageant des normes collectives et d’un processus de régulation qui s’appuie sur une institutionnalisation plus ou moins formalisée. Ces transcommunalités s’élaborent dans un cadre juridique très souple, prenant par exemple le statut d’association sans but lucratif (ASBL), soit un groupement de personnes physiques ou de personnes morales qui poursuivent un but désintéressé. Constituées sur une base volontaire et négociée des communes, elles mettent en œuvre des coopérations variables, par leurs missions ou leur taille, et intègrent des modes d’organisation et de décision consultatifs. Proches, au départ, des forums de planification proposés par R. Hulst et A. van Montfort (2011), plusieurs d’entre elles ont élaboré, en collaboration avec l’Institut Jules Destrée [5], des diagnostics et des démarches prospectives (Facco, 2015, 61).

23 À partir des années 2000, la Région wallonne propose certains subsides financiers pour favoriser la pluricommunalité. Ces soutiens sont justifiés par une recherche d’efficacité de l’action publique, de mise en commun des équipements ou d’économies d’échelle. Divers modes de gestion sont prévus dans les textes [6] : la régie (structure juridique qui permet à des communes de gérer certaines de leurs activités à caractère commercial et industriel de manière décentralisée), la convention entre communes, l’intercommunale, l’ASBL ou l’association de projet. L’ASBL pluricommunale associe plusieurs communes autour d’un objet social qui doit relever de l’intérêt communal. Conformément au principe de liberté d’association, elle est libre d’associer activement des groupements privés ou publics, le CDLD spécifiant la composition de ses organes pour ce qui concerne la représentation des communes ; contrairement à ce qui existe dans les intercommunales, les représentants communaux ne doivent pas nécessairement être conseillers communaux pour y siéger (Vander Borght, 2012). De son côté, l’association de projets a été récemment instituée en Wallonie en s’inspirant de la Flandre afin de proposer aux communes un outil flexible destiné à des projets pluricommunaux, à portée limitée telle que la création d’un parc éolien. Personne morale de droit public, cette structure bénéficie d’un régime juridique propre organisé dans le CDLD et est uniquement gérée par un comité de gestion (Vander Borght, 2012).

24 Plus globalement, le gouvernement wallon oscille entre le renforcement de la pluricommunalité et un relatif laisser faire. Dans sa déclaration de politique régionale 2009-2014 (Gouvernement wallon, 2009), le gouvernement souhaitait simplifier le paysage institutionnel entre la région et les communes, favoriser les coopérations entre communes et explicitement réformer les provinces. En 2011, est adoptée la mise en place d’un Programme stratégique transversal communal appelé à remplacer le programme de politique générale des communes wallonnes, et au sein de ce PST (Boverie et al, 2012) se pose explicitement la question de l’aire pertinente de l’action locale ; nous y retrouvons la possibilité de recourir à une vue transversale voire transcommunale pour divers projets, que les communes agissent dans un cadre informel ou en recourant à une structure d’association. Cependant, dans la déclaration de politique régionale 2014-2019 (Gouvernement wallon, 2014), le gouvernement s’avère plus prudent et encourage des partenariats entre région, communes et provinces, ces dernières (re)devenant ainsi un acteur du paysage institutionnel, à côté des pôles, des bassins et des communautés de territoires. Aucune incitation institutionnelle spécifique n’est mise en place ; l’objectif de telles associations, communautés urbaines ou projets de territoires repose sur la mutualisation des ressources et des dispositifs, ces regroupements restant du ressort des communes.

25Rappelons que la forme ultime de coopération de communes s’avère la fusion (Perrin, 2005, 77) : ce sujet est régulièrement abordé dans le cadre des réformes communales dans les régions. Ainsi, en 2010, la Flandre a voté un nouveau processus de fusion des communes : ce processus, fondé sur le volontariat et sur des incitations financières, n’a été que lentement mis en œuvre jusqu’à aujourd’hui.

26C’est dans le cadre souple précédemment décrit que s’instaurent en Wallonie dans les années 2000 des ASBL transcommunales territoriales aussi diverses que la Wallonie picarde (348 500 habitants, 23 communes), la Commune urbaine du Centre (274 600 habitants, 13 communes), le Pays de Herve (150 000 habitants, 18 communes) ou le pays de Germinacum (26 600 habitants, 2 communes).

La wallonie picarde, une illustration

27Afin de cerner plus concrètement la réalité des coopérations transcommunales de type territorial en Wallonie, étudions un exemple de l’élaboration d’un de ces territoires, à savoir celui de la Wallonie picarde. Il s’agit essentiellement ici de retracer l’émergence et la structuration de cette association transcommunale et ses perspectives. La Wallonie picarde se situe à l’ouest de la Wallonie, dans la province du Hainaut. Elle regroupe l’espace couvert par trois intercommunales et inclut les 23 communes qui les composent. Son territoire est frontalier à la Flandre, à la Région Bruxelles Capitale et à la région française Hauts-de-France.

28L’histoire institutionnelle de la Wallonie picarde illustre la volonté des communes d’œuvrer ensemble à la fin des années 1990, avec la création d’un premier regroupement entre deux intercommunales de développement économique : d’un côté, l’Intercommunale de développement des arrondissements de Tournai, d’Ath et de communes avoisinantes (IDETA) et, de l’autre, l’Intercommunale d’étude et de gestion (IEG) ; quant à l’Intercommunale de propreté publique des régions de Péruwelz, Ath, Leuze, Lessines et Enghien (IPALLE), active dans la collecte et la gestion des déchets ménagers, elle s’associera dans un deuxième temps. Cette coordination s’inscrit dans la mobilisation préexistante d’un collectif intitulé « Contribuons au Hainaut occidental de qualité » (CHOQ), fédération associant les partenaires sociaux de la zone (Institut Destrée, 2006). La transcommunalité naît ici de la coopération d’intercommunales, formalisées, et d’un regroupement de partenaires sociaux ; et l’objectif de ce regroupement est fonctionnel car il s’agit de faire face au défi de la fermeture récurrente d’entreprises sur le territoire.

29 Des « États généraux du Hainaut occidental », trois journées de séminaire organisées autour des forces vives du territoire en vue d’élaborer un « Livre blanc » prospectif (Conseil de développement Wallonie picarde, 2014) se tiennent en 2000 et un diagnostic de territoire est élaboré ; la coordination des intercommunales va se structurer en une entité supracommunale qui tend peu à peu à s’autonomiser. De nouvelles structures apparaissent, notamment un conseil de développement de la Wallonie picarde, sous la forme d’une association de fait. Cette structure, inexistante en Belgique jusque-là, s’inspire des conseils de développement des communautés d’agglomération françaises ; elle regroupe 80 représentants de la société civile et des responsables politiques organisés en sept collèges, selon une répartition représentative des composantes du territoire : ainsi, le collège politique inclut des responsables politiques désignés par les partis en fonction de la représentation électorale du territoire, le collège socio-économique réunit des chefs d’entreprises, des représentants syndicaux et d’institutions publiques et privées (WAPI2025, 2013). Le conseil de développement est associé, depuis 2008, à une conférence réunissant les 23 bourgmestres. L’ASBL Wallonie picarde est fondée en 2008 et sera, en 2012, rebaptisée WAPI2025 ; ses missions concernent le soutien technique et logistique aux instances de la Wallonie picarde, en ce compris le forum de l’Eurométropole transfrontalière Lille-Tournai-Kortrijk, la communication et l’appui ainsi que le suivi du projet de territoire et de prospective (WAPI2025, 2014). Pour fonctionner, elle dispose d’un subside accordé par chaque intercommunale, à savoir 25 000 euros par an, de « points APE » (aides à la promotion de l’emploi octroyées par la Région wallonne au secteur non-marchand) et, en fonction de négociations récurrentes, de subsides de divers ministères wallons (en 2015, les subsides émanant du gouvernement wallon se sont élevés à 148 750 euros (WAPI2025, 2016)).

30 Des institutions, indépendantes de l’ASBL, permettent au territoire de la Wallonie picarde de renforcer la cohésion des communes rassemblées, qu’il s’agisse de la télévision locale, des maisons du tourisme et de l’agence culturelle. La télévision locale, No Télé, une des douze télévisions locales reconnues en Fédération Wallonie Bruxelles (FWB), est diffusée sur l’espace de l’ASBL et en constitue à la fois un diffuseur et un marqueur. En matière de patrimoine et de tourisme, la dynamique de la Wallonie picarde va de pair avec les structures des maisons du tourisme qui relèvent de la promotion du tourisme de la Région wallonne. La maison du tourisme Wallonie picarde inclut 20 des 23 communes de la transcommunalité, les trois dernières communes étant regroupées dans la maison du tourisme Picardie (qui correspond à l’espace géré par l’intercommunale IEG). Enfin, une troisième institution complète le dispositif coopératif. Il s’agit de l’ASBL Culture.Wapi qui est contractuellement liée à la Fédération Wallonie Bruxelles par un contrat-programme et dont l’assemblée générale intègre les divers centres culturels de la Wallonie picarde. Cette agence culturelle se définit elle-même comme un ensemblier culturel à l’échelle du territoire de la Wallonie picarde.

31 Le nom de Wallonie picarde, résumé en WAPI, a été défini à la suite du premier diagnostic ; l’ancien nom de la zone, le Hainaut occidental, était relatif à la situation géographique et provinciale ; le nouveau toponyme marque l’attache identitaire à la fois à la Wallonie et à la région transfrontalière franco-belge picarde. L’usage de l’adjectif picard permet de différencier socio-culturellement ce territoire des autres territoires wallons environnants (et ce même si peu de gens parlent aujourd’hui le picard et si cet idiome ne couvre pas les parties orientales de la Wallonie picarde).

32 L’évolution et la structuration exposées montrent que la dynamique de cette coopération repose sur un assemblage préexistant, celui des intercommunales et celui d’une association des partenaires sociaux, sur un mode de gestion assez souple, celui de l’ASBL, mais aussi sur des opportunités et des leviers, essentiels pour la permanence d’une telle transcommunalité territoriale. Ainsi, son histoire et son développement sont encouragés par la présence d’un entrepreneur politique, en l’occurrence Rudy Demotte, bourgmestre de la ville de Tournai, la ville centrale du territoire : ce dernier a occupé divers portefeuilles ministériels, aux niveaux fédéral, communautaire et régional et est ministre-président de la Fédération Wallonie Bruxelles. Une autre opportunité du territoire provient de son appartenance à la structuration transfrontalière qu’est l’Eurométropole Lille-Tournai-Kortrijk, un Groupement européen de coopération territoriale (GECT) franco-belge. Le GECT, reconnu en 2008 en même temps que se crée l’ASBL, regroupe 147 communes françaises, flamandes et wallonnes et intègre comme membres wallons les deux intercommunales de développement IEG et IDETA et les 23 communes. La structuration, côté wallon, en une seule entité transcommunale permet un dialogue plus équilibré par rapport aux versants français ou flamand. Dans le cadre des aides de la politique régionale européenne, la structuration en un territoire rassemblé constitue aussi un atout : le Conseil de développement de la Wallonie picarde a ainsi été directement sollicité lors de l’élaboration de la programmation 2014-2020 des fonds européens FEDER.

33 Un nouveau facteur sera peut-être susceptible de renforcer la cohérence du territoire et par là, sa capacité d’action collective à l’échelle du territoire reconstitué. Une réforme des circonscriptions électorales wallonnes a été rendue indispensable par un arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 26 novembre 2015 (n° 169/2015) appuyé par un arrêt du Conseil d’État du 20 novembre 2014 (n° 229.252) en vue des futures élections communales de 2018. La circonscription électorale de Tournai ne reprend à l’heure actuelle qu’une partie du territoire de la Wallonie picarde, trois communes appartenant à une autre circonscription. Les collèges communaux de ces trois communes ont voté en 2016 une motion en faveur de leur rattachement à la circonscription tournaisienne : ceci serait susceptible de faire correspondre le territoire WAPI avec l’aire électorale. Une dynamique de contractualisation avec la Région wallonne et l’établissement d’un plan d’actions 2014-2020, comprenant entre autres l’élaboration d’une structure démocratique telle qu’une communauté de communes et une association avec la province du Hainaut, forgent les futures pistes de formalisation entreprises par les communes de la Wallonie picarde (WAPI2025, 2014). Cependant, la gouvernance du territoire reste un chantier inachevé, notamment quant à sa dimension citoyenne et au respect des plus petites entités communales du territoire  [7].

34 La Wallonie picarde constitue une transcommunalité territoriale très avancée dans le paysage wallon, cependant les enjeux de pouvoir restent forts ; ici, comme dans les autres associations communales de même type, ce sont toujours les communes et les conseils communaux qui décident. Tout territoire se construit dans la durée, par accumulation et convergence des actions et des volontés. Au-delà d’un nom ou d’un récit, cette pérennité nécessite une vision portée par tous les acteurs locaux, dont les acteurs socio-économiques, et un mode de gestion formalisé. Dans ce contexte, un diagnostic ou un statut ne suffisent pas : le territoire, pour acquérir les capacités de négociation et de transaction requises pour œuvrer avec les autres entités – province, région, état fédéral dans notre cas – nécessite une mutualisation renforcée, l’activation de ressources locales, (Courlet et Pecqueur, 2013) et une légitimité à la fois interne et externe. Le statut relativement léger de l’ASBL se renforce grâce à un faisceau d’autres opérateurs, d’autres structures aux contours territoriaux identiques. Par cela, la Wallonie picarde teste un exemple de trajectoire menant à un territoire transcommunal unique, grâce à une convergence des projets des acteurs et des organisations présentes, quel que soit leur statut ou leur secteur.

35 * * *

36 Les types de coopération de communes proposés en fonction de la délimitation de leur espace mettent en évidence le caractère mixte des recompositions. Ainsi, l’espace de type optimal pur s’avère non réaliste : en Belgique dans le cas des zones de police comme ailleurs en Europe, la définition rationnelle se confronte aux logiques politiques et aux espaces de vie (Kerrouche, 2008). De même, les espaces fonctionnels de régulation tendent, à terme, à se transformer en transcommunalités territoriales, géographiquement et socialement intégrées. Nous relevons également que ces regroupements de communes semblent ne pas entraîner de transformation radicale, l’État – ou la région en Belgique – reste un acteur majeur, ne serait-ce que par ses politiques d’incitation ou d’obligation (Le Saout, 2000). Ces associations pluricommunales entraînent davantage une transformation douce qui, à long terme, ancre les coopérations ; elles amènent parfois – comme dans le cas de la Wallonie picarde – à façonner un territoire et faire converger les acteurs vers une transcommunalité fédératrice proche du quasi-regional government, proposé par Hulst et van Montfort (2011).

37 Dans la pratique, cette évolution nécessite à la fois un renforcement de légitimité et un cadre juridique adéquat pour assurer transparence et pérennité. Certes, pour l’instant, la Wallonie picarde reste fortement dépendante des communes ; son fonctionnement et ses règles spécifiques sont peu visibles ; sa capacité d’innovation est conditionnée par le dynamisme des élus communaux et est contrainte par les politiques publiques. L’existence d’un cadre et d’une formalisation stabilisée devrait permettre d’éviter une recomposition techniciste, dépolitisant l’action publique locale (Dubois et Gaudin, 2015).

38 À l’exemple des pays européens, la Wallonie crée des zones optimales tout en favorisant les associations de projet et les intercommunales. À côté de ces structures, se façonnent des coopérations volontaires de type territorial. Certes, quelques règles et soutiens – via les déclarations de politique régionale ou via le Code de la démocratie locale et de la décentralisation – existent mais, jusqu’à présent, sans guère de formalisme structurel. La commune et, avec elle, l’élu local restent les décideurs-clef. Pourtant la coopération entre communes, quelle qu’en soit la forme, est rendue nécessaire en raison des contraintes, notamment budgétaires, et du besoin d’une capacité d’action suffisante dans le contexte socio-économique actuel. Plus urgent, le besoin de participation et d’adhésion citoyennes oblige à rendre transparents les processus décisionnels en place [8] et à simplifier les modèles de regroupements de communes. La Wallonie constitue, sans doute comme d’autres régions en Europe, un exemple de juxtaposition de coopérations communales diverses aux tracés entremêlés, ascendantes et descendantes. Cet ensemble – complexe – génère une cartographie difficilement compréhensible. Pourtant, il apparaît apte à une action flexible des communes, même s’il risque, dans le même temps, d’ajouter à l’opacité de l’action publique locale.

Notes

  • [1]
    fabienne.leloup@uclouvain-mons.be.
  • [2]
    En Belgique, le terme « intercommunale » est utilisé pour un type d’associations de communes initié dans les années 1920. Les nouvelles coopérations, notamment de type territorial, sont qualifiées de transcommunales. L’ensemble de ces regroupements de communes est qualifié de supracommunalité. Les auteurs français utilisent supracommunalité pour désigner une intercommunalité politique fédératrice dotée d’une légitimité propre (Rodrigues-Garcia, 2002).
  • [3]
    Loi du 14 février 1961, dite – « loi unique », n° 1961021401.
  • [4]
    Dont les modifications de la Constitution, les lois spéciales et les lois qui exécutent la réforme ont été publiées le 31 janvier 2014 au Moniteur Belge.
  • [5]
    ASBL wallonne de recherche dans le domaine du développement régional.
  • [6]
    Décret du 19 juillet 2006 modifiant le livre V de la première partie du Code de la démocratie locale et de la décentralisation et le Livre Ier de la troisième partie de ce même code, et du décret du 26 avril 2012 modifiant certaines dispositions du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (CDLD).
  • [7]
    Entretien auprès de Vianney Favier, directeur f.f., Culture.Wapi, le 26 janvier 2017, Mons,
  • [8]
    En 2017, des scandales questionnant l’éthique et la bonne gouvernance entachent les pratiques de certaines intercommunales belges ; des réformes ont eu lieu dans le passé, il semble très probable que de nouvelles transformations modifieront le paysage belge des intercommunales (Goethals, 2017).
Français

Résumé

Les coopérations transcommunales tendent à se multiplier en Europe. À la recherche d’une taille optimale ou d’un construit collectif, elles amènent les communes à collaborer pour la résolution de problème ou à élaborer un avenir commun. Cette tendance à la recomposition spatiale se manifeste-t-elle aussi en Belgique, pays fédéral ? La question est traitée en discutant des différents modèles de coopération possibles et s’applique aux évolutions en Région wallonne, en prenant l’entité subrégionale de la Wallonie picarde comme illustration.

Mots-clefs

  • Coopération transcommunale
  • territoire
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Fabienne Leloup
Professeur à l’Université catholique de Louvain [1]
  • [1]
    fabienne.leloup@uclouvain-mons.be.
Mis en ligne sur Cairn.info le 10/11/2017
https://doi.org/10.3917/rfap.162.0353
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