CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1À peine la furie iconoclaste de la Révolution culturelle (1966-1976) était-elle apaisée que les bulldozers entraient en action pour bâtir une nouvelle Chine, à l’avant-garde de la modernité. La brutalité de ces changements, évoquée magistralement par Yu Hua dans son roman Brothers, a fait de la Chine d’aujourd’hui un univers déboussolé. L’arrachement au passé a produit par réaction une curiosité à l’égard du monde disparu, voire un désir de retour que traduit plus clairement que notre « nostalgie » le mot chinois de huaijiu (souvenir du passé, regret du passé [1]). C’est aux diverses manifestations contemporaines de cette nostalgie que va s’attacher le présent article.

2Sentiment diffus, à la fois individuel et collectif, la nostalgie se prête à toutes sortes de manipulations : politiques d’abord ; commerciales ensuite. Depuis les années 1990, qui ont vu se développer, parallèlement aux succès économiques, un nouveau nationalisme chinois, le passé est redevenu une source de fierté, voire un atout à faire valoir dans le jeu géopolitique. Sur le plan commercial, les profits à tirer de l’exploitation des ressources touristiques sont évidents. Sans nier l’imbrication des motivations qui sous-tendent les entreprises de revalorisation du passé [2], motivations si intimement mêlées qu’il serait vain de vouloir les distinguer, nous nous efforcerons de mettre ici plus spécialement en lumière les arrière-plans mercantiles de la nostalgie.

3Nous avons conçu cette étude comme une promenade à travers différents lieux où s’incarne la nostalgie dans la Chine d’aujourd’hui, en prenant soin de ne retenir que les cas où la mise en valeur des lieux est tributaire d’une logique commerciale, même si celle-ci n’est pas exclusive d’autres visées. De ces dernières, nous ne traiterons pas ici, sinon par incidence. La littérature occupe en revanche dans ce parcours une place privilégiée, non pas comme un exemple parmi d’autres du phénomène de marchandisation, mais pour les témoignages précieux qu’elle apporte sur l’esprit d’une époque, ses rêves et ses angoisses.

Un âge nostalgique

4Créé à Shanghai en 1943, le bonbon à la crème Da baitu (White Rabbit) a marqué de manière indélébile l’enfance des Chinois qui ont grandi pendant les décennies de pénurie de la République populaire de Chine. Dans son roman Brothers, Yu Hua décrit longuement la gourmandise quasi religieuse avec laquelle deux gamins dégustent ce caramel de forme oblongue, enveloppé dans un papier de trois couleurs (blanc, bleu et rouge) orné d’un dessin de lapin [3].

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Li Guangtou et Song Gang placèrent un bonbon dans leur bouche, ils le sucèrent lentement, croquèrent dedans lentement, avalèrent leur salive lentement. Leur salive était aussi sucrée que le bonbon, aussi parfumée que le lait. Li Guangtou mit du riz dans sa bouche et le mâcha en même temps que le bonbon, et Song Gang l’imita. Le riz qu’ils avaient dans la bouche devint à son tour aussi sucré que le bonbon, il devint aussi parfumé que le lait. Le riz qu’ils avaient dans la bouche s’appelait maintenant lui aussi Lapin Blanc [4].

6Concurrencé au début de la période de réforme et d’ouverture (gaige kaifang) par des confiseries de marques étrangères, le bonbon White Rabbit fut relancé en 2008 par des compagnies commerciales rompues aux techniques du marketing, qui surent habilement utiliser le potentiel de nostalgie que renfermait cette friandise mythique. Dans un spot publicitaire télévisé de 2012, elle apparaît comme le fil conducteur qui relie les étapes de la vie (des années 1960 au nouveau siècle), le « goût de l’enfance » qui se transmet d’une génération à l’autre [5].

7Si la nostalgie est un sentiment universel, elle est exacerbée dans la Chine d’aujourd’hui par la violence des bouleversements successifs et par les dommages collatéraux de la modernisation (inégalités, pollution, décadence morale…). Une des caractéristiques du désir de retour au passé est qu’il ne se fixe pas durablement sur une période donnée, mais évolue au gré des événements et des mutations historiques. Comme le rappelle Zhang Lun, les Chinois qui ont vécu la fin de la Révolution culturelle ont d’abord éprouvé une nostalgie pour les « dix-sept années » (1949-1966), puis pour les années 1930 et 1940, voire pour la période glorieuse du 4 mai 1919, ce mouvement régressif s’expliquant par la prise de conscience du lien qui relie les dix-sept années à la décennie de la Révolution culturelle [6]. Selon lui, deux nostalgies contradictoires coexistaient en Chine à la veille de l’accession au pouvoir de Xi Jinping en 2013 : celle de l’époque de Mao, motivée par une aspiration à l’égalité, mais contenant des germes de populisme, et celle des années 1980, résurgence des idéaux de démocratie et de liberté [7].

8La situation analysée par Zhang Lun sous l’angle politique atteste que la nostalgie ne concerne pas exclusivement des périodes que les sujets ont connues mais peut porter aussi sur des époques plus reculées, par exemple sur le 4 mai 1919 qu’aucun de ses contemporains n’a vécu directement. Il s’agit dans ce cas d’une nostalgie imaginaire. Qu’elle soit réelle ou imaginaire, la nostalgie est le plus souvent liée à l’insatisfaction, voire à l’angoisse que suscite le présent. Mais elle peut aussi parfois servir tout bonnement à recréer une attache avec le passé et à donner le sentiment rassurant d’une continuité.

9Les formes que prend dans la Chine d’aujourd’hui cet engouement pour l’ancien sont trop nombreuses pour être évoquées en totalité. Nous nous concentrerons sur deux d’entre elles : la vogue de la mise en valeur des quartiers anciens et celle des hôtels et restaurants à thème.

Tourisme et protection du patrimoine : la restauration des villes et des quartiers anciens

10« Alors que les vestiges du passé en tant que symbole de l’ancienne société ont été mis à mal durant les décennies maoïstes, écrit Maylis Bellocq, l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping en 1978 marque un tournant en matière de préservation du patrimoine [8]. » De fait, la période de réforme et d’ouverture ne marque pas seulement le début d’un vaste mouvement de modernisation qui se traduira notamment par une urbanisation accélérée ; elle s’accompagne parallèlement d’un effort pour recenser et mettre en valeur le patrimoine culturel chinois. Trois listes de « villes célèbres nationalement pour leur histoire et leur culture » (Guojia lishi wenhua mingcheng) – antiques capitales, cités remarquables pour leur site ou leur architecture, ou témoignant d’une période particulière de l’histoire – sont publiées successivement en 1982, 1986 et 1994. En 2003 est dressé un premier inventaire des « bourgs chinois célèbres pour leur histoire et leur culture » (Zhongguo lishi wenhua mingzhen), sur lequel seront inscrites plusieurs localités du Jiangnan telles que Tongli, Zhouzhuang, Luzhi, Wuzhen, Nanxun, ou Xitang [9]. Ces initiatives visant à protéger et à mettre en valeur le patrimoine sont souvent intervenues tardivement, après de brutales transformations dont témoigne l’auto­biographie de l’artiste et écrivain Gao Ertai : de retour à Chunxi, son pays natal du Jiangsu, dans les années 1980, il retrouve une agglomération sale et polluée dont la superficie a été multipliée par dix. Chunxi figure aujourd’hui sur la liste des bourgs historiques [10].

11La protection du patrimoine est liée d’emblée au développement du « tourisme cultu­rel » (wenhua lüyou). Une alliance justifiée par le constat selon lequel « développer le tourisme en s’appuyant sur les ressources patrimoniales est un moyen efficace de mettre pleinement en valeur le contenu historique et culturel de ces ressources et de résoudre certains problèmes comme celui de la faiblesse en termes de dynamique ». En un mot « la protection et la préservation des quartiers historiques fournissent les conditions matérielles pour le développement du tourisme, lequel offre en retour une garantie financière pour la réalisation de ce travail de protection et de préservation [11] ». Il s’agissait, initialement, d’attirer les visiteurs étrangers, à commencer par les Chinois d’outremer, avant que le tourisme domestique ne prenne le pas sur le tourisme international, grâce à l’élévation du niveau de vie des Chinois et à l’allongement de la durée des vacances qui leur sont accordées [12]. Le développement des mégapoles chinoises, avec leur lot d’agitation, de bruit et de pollution, a fourni les conditions objectives pour permettre l’émergence d’un « tourisme nostalgique » (huaijiu lüyou), que certains chercheurs rattachent au concept nouveau d’« économie de l’expérience » (tiyan jingji) : l’objectif étant de « faire vivre à ceux qui visitent les vieux bourgs une expérience diversifiée de retour au passé, à travers les décors naturels, l’architecture des maisons, les arts populaires, les spécialités culinaires traditionnelles, etc., de façon à satisfaire pleinement le besoin qui s’exprime dans cette nostalgie [13] ». À l’intérêt financier que représente ce tourisme nostalgique s’ajoute bien sûr une dimension spirituelle, celle de la redécouverte d’un riche patrimoine national propre à conforter le patriotisme.

12Dans la région de Suzhou, la plupart des villages sur l’eau sont ainsi devenus des zones touristiques, avec accès payant, les tickets d’entrée assurant de considérables rentrées d’argent, qui ne constituent cependant qu’une mince partie des revenus tirés du tourisme [14]. Beaucoup d’entre eux ont abrité les demeures de grands mandarins ou d’intellectuels célèbres, lesquelles sont parfois transformées en musées de la culture traditionnelle. Par exemple un musée du vêtement à Luzhi, ou bien, à Wuzhen (Zhejiang), un musée des traditions populaires, un musée du lit ancien et même un musée des pieds bandés. Les parcours balisés pour le visiteur mettent aussi en relief la vie et l’œuvre des écrivains modernes qui y sont nés ou y ont travaillé : Ye Shengtao à Luzhi, Mao Dun à Wuzhen. Mais en dépit du mécanisme vertueux décrit ci-dessus, qui devait voir converger les intérêts de l’État (responsable de la protection du patrimoine), des promoteurs et de la population, le développement du tourisme dans ces villages semble avoir peu profité aux résidents. Qui plus est, il a engendré des effets secondaires qui vont à l’encontre du souci d’authenticité, comme la multiplication des boutiques vendant des produits sans rapport avec la culture locale [15]. Et le succès des réhabilitations de quartiers anciens a été tel que des villages du Jiangsu qui avaient négligé, au départ, la mise en valeur de leur patrimoine, ont fait le choix, au milieu des années 1990, « d’aménager des rues pastiches [16] ».

13Les quartiers reconstitués sont devenus une attraction touristique incontournable un peu partout en Chine : à Hangzhou, par exemple, dans le quartier de Qinghefang, a été recréée une rue des Song du Sud, époque où Hangzhou était capitale sous le nom de Lin’an. À Pékin, les destructions de quartiers anciens furent légions, suivies parfois de reconstruction à l’identique, mais qui s’apparentent davantage à des « reconstitutions imaginaires [17] », le quartier factice le plus célèbre étant sans doute celui de la rue Qianmen, dont le faux style d’époque Qing a des allures de Disneyland. Avant les Jeux olympiques de 2008, une vaste zone fut complètement rasée à proximité, et malgré le statut de zone historique protégée qui lui avait été accordé par la municipalité de Pékin en 1990 [18], Dazhalan (prononcé habituellement Dashilar), qui fut jadis le foyer d’une culture locale appelée « Xuannan wenhua » (littéralement « culture du sud de la porte Xuanwu »), ne fut pas épargné par les démolitions successives, paradoxalement destinées à lui redonner son lustre d’antan [19]. L’entreprise fut une aubaine pour les investisseurs.

14C’est sur le charme rétro de ce qui fut, sous les Qing, la ville chinoise avec ses rues grouillantes, que Dazhalan a bâti son succès. Parmi les attractions locales, on trouve « la rue culturelle » (wenhua jie) de Liulichang, avec ses magasins de livres anciens et d’antiquités, mais aussi le salon de thé Lao She, où les consommateurs sont invités à goûter l’authentique culture pékinoise dans un mobilier d’époque et en suivant les représentations des chanteurs d’opéra ou des conteurs, ou bien encore le Daguanlou, la salle de cinéma où fut projeté en 1905 le premier film chinois. Mais Dazhalan reste avant tout un quartier commerçant, avec ses innombrables boutiques, certaines plus que centenaires [20]. Logique mercantile et mise en valeur du patrimoine culturel se conjuguent dans le descriptif en ligne du magasin de soierie Qianxiangyi : fondée en 1840 et devenue en 2000 une SARL, l’entreprise illustrerait « le passage de l’économie planifiée à l’économie de marché » tout en ouvrant à la culture chinoise de la soie une fenêtre sur le monde [21]. Culture de la soie chez Qianxiangyi ou chez Ruifuxiang, un magasin ouvert en 1862, culture du thé chez Zhang Yiyuan, une boutique datant de 1925 : dans tous les cas, un élément de la culture traditionnelle nourrit une « expérience » à haut potentiel commercial.

Les hôtels et restaurants à thème

15Avec l’expansion du tourisme s’est développé le concept d’hôtel à thème, lequel se décline en cinq types centrés sur les sites naturels (ziran fengguang), l’histoire et la culture (lishi wenhua), le cachet urbain (chengshi tese), les célébrités (mingren wenhua) et le cachet artistique (yishu tese) [22]. Le premier « hôtel à thème culturel » (wenhua zhuti jiudian) — sur le thème de la culture taoïste — a vu le jour en Chine dès 1998, mais le concept n’a vraiment émergé qu’à partir de 2004 [23]. Le mouvement est encouragé en 2014 par une directive du Conseil des affaires d’État, soucieux de promouvoir l’héritage culturel [24]. Il s’agissait, selon une autre directive du Conseil des affaires d’État promulguée la même année, de « rehausser par la culture la qualité des contenus touristiques, et d’élargir par le tourisme la diffusion et la consommation de la culture [25] ». Ainsi sont nés des hôtels consacrés à des sujets aussi variés que la culture tibétaine, la culture des Trois Royaumes, la culture taoïste, la culture de la soie ou celle du thé. Naturellement, ces hôtels visent aussi la clientèle étrangère friande d’im­mersion dans la culture chinoise. Ainsi que le soulignent les auteurs d’un rapport sur la question, « the success of themes related to the past and current Chinese culture resulted from the preference of the majority of foreign guests, and this trend is also growing for urban Chinese residents[26] ».

16L’hôtel Xinxin de Hangzhou, le New Hotel, ouvert en 1913 et réhabilité entre 2004 et 2008 dans le respect de son architecture et de son style d’origine, est devenu un des joyaux de la « zone clé protégée du quartier historique et culturel de la rue Beishan » (Beishan jie lishi wenhua jiequ zhongdian baohu qu), qui se singularise par son architecture occidentale héritée de la période républicaine. Si la robe longue et la calotte des employés qui accueillent le touriste ajoutent au charme rétro de l’hôtel, selon une stratégie commerciale bien rodée, ces tenues sont là aussi pour rappeler le passé prestigieux de l’établissement, qui vit défiler entre ses murs dans les années 1920 ou 1930 nombre d’écrivains et d’intellectuels célèbres, de Ba Jin ou Hu Shi à John Dewey ou Akutagawa Ryūnosuke, clientèle sur laquelle il a bâti sa réputation d’hôtel à thème.

Les restaurants, lieux de culture et de nostalgie

17Lieux de convivialité par excellence, les restaurants fondent volontiers leur réputation sur leur capacité à perpétuer la tradition, ou sur les personnages importants qui les ont fréquentés. Après avoir célébré dans son roman Meishijia, traduit en français sous le titre Vie et passion d’un gastronome chinois[27], la renaissance de l’art de la cuisine dans sa ville de Suzhou, Lu Wenfu (1927-2005) a fondé en 1993 le restaurant Au vieux Suzhou (Lao Suzhou), actuellement géré par la fédération locale des écrivains et artistes. À Pékin comme à Shanghai, où le premier restaurant de ce qui n’était pas encore une chaîne semble avoir été ouvert en 1999, Kong Yiji, du nom de la célèbre nouvelle de Lu Xun, sert de la cuisine de Shaoxing (ville dont est originaire l’écrivain) dans un décor évoquant les villages sur l’eau du Jiangnan. Sans parler des restaurants qui se targuent de servir les plats favoris de Mao, ou tout simplement ceux de sa province natale, le Hunan, et tentent de renforcer leur crédibilité en exhibant à l’entrée de leur salle le buste du grand homme (ainsi à Luzhi).

18Ancienne résidence d’un prince mandchou [28], cédée aux débuts de la République à la famille Yue, propriétaire de la célèbre pharmacie Tongrentang, puis transformée en lycée, le restaurant Baijia dayuan (Enclos de la famille Bai), à Pékin, multiplie les allusions à son identité première, aussi bien dans sa carte gastronomique, où la viande d’âne voisine avec les tendons de cerf, que dans les tenues vestimentaires de ses employés, hommes et femmes, qui vous saluent à l’entrée d’un « Nin jixiang » (littéralement « Que la chance soit avec vous »), formule de salutation en usage sous le gouvernement des Qing.

19Un des phénomènes les plus troublants de la période post-maoïste est l’émergence de restaurants sur le thème de la Révolution culturelle. En 1996, le sinologue Michel Bonnin leur consacrait déjà un article : « Les “restaurants à thèmeˮ, notait-il, se sont développés à une vitesse étonnante à Pékin depuis trois ou quatre ans. Nous ne connaissons aucune autre ville où ils soient aussi nombreux [29]. » Appliquant les recettes du marketing, ces restaurants s’adressent prioritairement à une clientèle d’anciens jeunes instruits (zhiqing) nostalgiques de leurs années d’exil à la campagne [30]. Leurs noms mêmes renvoient clairement à l’expérience vécue par les zhiqing : Lao san jie, les trois vieilles promotions, en référence aux lycéens ayant achevé leurs études en 1966, 1967 ou 1968, qui furent les premiers à quitter les villes pour les campagnes, ou Lao cha jiujia, le restaurant des anciens installés à la campagne.

20Lorsque les jeunes instruits rentrent chez eux à la fin de la Révolution culturelle, la tonalité dominante de leurs souvenirs est celle de la souffrance, telle qu’elle s’exprime par exemple dans la « littérature des cicatrices » (shanghen wenxue). Si la « littérature de recherche des racines » (xungen wenxue) du milieu des années 1980, elle aussi produite en grande partie par des jeunes instruits, comportait déjà une part de nostalgie, c’est dans les années 1990 qu’un véritable climat nostalgique s’installe parmi les zhiqing, donnant matière à des expositions, à de nombreuses publications (journaux intimes, lettres, essais auto­biographi­ques), voire à la constitution de sites internet [31]. Le sociologue Yang Guobin y détecte à juste titre « une forme de résistance culturelle [32] » de la part de cette génération frappée de plein fouet par la montée du chômage et qui, dans le consumérisme ambiant, voit s’estomper les valeurs auxquelles elle adhérait jusque-là. Des agences de voyage sauront profiter du désir de cette clientèle de revenir sur les lieux où s’est déroulé « l’âge d’or » de leur jeunesse [33].

21L’anthropologue Jennifer Hubbert a étudié deux restaurants de jeunes instruits, situés respectivement à Pékin et à Kunming, en s’interrogeant sur l’incongruité de la rencontre entre la logique consumériste et celle de l’ère révolutionnaire [34]. Le premier, Heitudi (La terre noire), fondé en 1994, évoque la province du Heilongjiang où son propriétaire avait été envoyé durant la Révolution culturelle. Le menu y rappelle non seulement la cuisine de là-bas, mais la diète austère à laquelle la population était soumise en ces temps difficiles, avec des plats tels que les herbes sauvages ou les beignets, même si, comme le signale Michel Bonnin, les plats de légumes sauvages ou les pains à la farine de maïs servis dans ces restaurants sont gustativement beaucoup plus relevés que dans la réalité de l’époque [35]. On y mange dans un décor pseudo-révolutionnaire, entouré d’affiches d’opéras modèles, d’outils agricoles et de slogans, servi par des employés vêtus en uniformes de gardes rouges ou de soldats de l’Armée populaire de libération. Le deuxième, baptisé Lao Zhiqing (Les anciens jeunes instruits), sert une cuisine du Xishuangbanna, autre terre de destination des jeunes instruits [36], en mettant l’accent sur la couleur locale propre à cette région du Yunnan peuplée de minorités.

22Les entretiens de l’anthropologue avec M. Yang, le patron du Heitudi, révèlent des motivations tout autant culturelles et idéologiques que commerciales : désireux de fournir aux anciens jeunes instruits un lieu où ils pourront se rappeler leur vie d’hier, il n’hésite pas à se référer à Ba Jin, qui s’était fait l’apôtre d’un musée de la Révolution culturelle [37]. Toutefois, insiste-t-elle, si Heitudi rompt une politique d’oubli, « it does so in a way that privileges a new politics of entrepreneurialism[38] ». Le discours de M. Yang implique para­doxa­lement une valorisation de l’expérience passée, au cours de laquelle les jeunes instruits auraient forgé les qualités qui ont permis leur réussite dans le monde post-maoïste. Ce que matérialise le mur sur lequel sont placardées les cartes de visite des clients mentionnant les unités de travail auxquelles ils furent affectés pendant la Révolution culturelle. Ces restaurants remplissent aussi une fonction sociale en permettant aux jeunes instruits de renouer des liens, voire de s’entraider.

Réconciliation avec le passé ou perte de sens ?

23La mise en valeur touristique du patrimoine a pour visée et pour conséquence de faire ressortir la singularité et la richesse des cultures locales. Si ces particularités avaient été largement étouffées sous l’ère maoïste, qui avait imposé à tout le pays un discours politique uniforme, elles sont aujourd’hui un enjeu à la fois commercial et identitaire. Le passé concerné se distingue généralement par son ancienneté : la culture de Chu à Wuhan, celle de Bayu à Chongqing. Même Shanghai, qui ne peut se prévaloir d’une lointaine antiquité, capitalise sur son passé prestigieux de Paris de l’Orient : la nostalgie de l’époque républi­caine, où elle fut à son apogée, se manifeste par la profusion de calendriers, affiches, cartes postales ou boîtes à maquillage affichant des portraits de belles Shanghaïennes anonymes ou de stars de l’époque, de la romancière Eileen Chang à la chanteuse et comédienne Zhou Xuan.

24L’industrie du tourisme a tôt fait de donner un parfum d’authenticité à ce qui constituait, à l’origine, une pure invention ou une reconstitution fantaisiste de la culture locale. Dans son roman Le Show de la vie[39], paru en 2000, Chi Li met en scène une vendeuse de cous de canard épicés qui a installé son étal dans un célèbre quartier de petites gargotes en plein air, au cœur de la ville de Wuhan. Le succès du livre, adapté sous de multiples formes, à la télévision ou au cinéma, a été tel que de vrais commerçants ont repris la recette élaborée par la romancière (des cous de canard cuits à la sauce de soja) pour en faire la spécialité du lieu : ici, la réalité s’est emparée de la fiction, et ce qui n’était au départ qu’un produit de l’imagination romanesque est devenu un plat incontournable de la gastronomie locale, dont la réputation s’est répandue bien au-delà des frontières de la ville. Comme le dit l’intéressée, « une fiction à succès est devenue en quelques années une réalité à succès [40] ».

25Ainsi qu’on l’a vu, la nostalgie culturelle est intimement mêlée aux préoccupations ludiques et commerciales. D’ailleurs, la réhabilitation touche souvent des quartiers qui se distinguaient par leur vitalité marchande : en Chine, la nostalgie ne s’adresse pas seulement aux paysages ou aux monuments, mais aussi aux magasins célèbres, pharmacies anciennes, vieilles boutiques de soierie, restaurants fameux, signe probable d’un attachement aux valeurs de prospérité longtemps malmenées. Par exemple, à Hangzhou, le quartier de Qinghefang, qui devait sa notoriété à ses négoces, restaurants, salons de thé et autres comptoirs d’apothicaires séculaires : le magasin d’éventails Wangxingji, la coutellerie Zhang Xiaoquan, les jambons Wanlong (Wanlong huotui), le restaurant Zhuangyuanguan, la pharmacie Baohetang, etc. En même temps que l’architecture d’antan, c’est la qualité de l’industrie nationale qui retrouve son lustre à Dazhalan, avec par exemple la succursale de la célèbre chapellerie Shengxifu, une entreprise montée à Tianjin en 1911 et dont la maison mère, installée rue Wangfujing, avait les faveurs de Zhou Enlai et de Mao Zedong en personne.

26Shanghai reste le meilleur exemple de cette nostalgie d’un âge d’or combinant raffinement et abondance matérielle : ce sentiment a gagné la ville dans les années 1990, alors qu’elle sortait à peine des affres de la Révolution culturelle — et plus généralement de décennies au cours desquelles ses antécédents capitalistes et cosmopolites avaient été stigmatisés — et amorçait tout juste sa spectaculaire renaissance. Les marques légendaires antérieures à 1949 ont de ce jour été l’objet d’un engouement jamais vu [41]. On pourrait s’étonner de la persistance d’un tel attachement aux brillantes années 1930 alors même que la cité, littéralement métamorphosée, n’a plus rien à envier en termes de modernité aux grandes métropoles mondiales. Sans doute s’agit-il moins, ici, d’effacer le présent que de le magnifier en le parant d’une profondeur temporelle: comme le dit l’historien Lu Hanchao, « the Shanghai nostalgia was unique in the sense that it was not essentially about protesting but was in a “positive mood”, in that it was both an approval of the present and an expression of confidence about the future[42] ». Cet état d’esprit explique le succès du Grand Restaurant des années trente (Sanshi niandai dafandian) ouvert en 1999 rue Nanyang [43]. En continuant à diffuser ses produits dans des boîtes au décor rétro, portant l’inscription « Si shui nianhua[44] » (la fuite du temps), la marque de cosmétique Modeng hongren (Modern Lady), créée à Shanghai en 1930, n’exprime pas elle non plus un banal sentiment de nostalgie, elle proclame fièrement l’ancrage ancien de la ville dans la modernité.

27Mais dans quelle mesure l’engouement commercial ou touristique pour un aspect de l’histoire implique-t-il un changement de regard sur cette période ? Pour celui qui va dîner au Baijia dayuan, entouré de serveuses en costume mandchou, il est sans doute difficile d’imaginer que les Mandchous furent les maîtres détestés de la dernière dynastie des Qing, ceux qui avaient soumis les Han et leur avaient imposé le port de la natte. Leur culture est vue non plus comme celle d’une dynastie étrangère décriée, mais comme une culture minoritaire à préserver, et qui peut représenter un atout touristique pour les provinces du Nord-Est, mais aussi pour Pékin. Ici, la folklorisation va de pair avec un certain désinvestissement idéologique.

28Le développement des quartiers historiques à vocation touristique permet en quelque sorte à la population de se réapproprier le passé sans les blessures qui l’accompagnent : lorsque Akutagawa Ryūnosuke séjourne à l’hôtel Xinxin en 1921, il est surtout frappé par le comportement grossier de clients américains qui, joint à la multiplication des bâtiments occidentaux, détruit son rêve chinois [45]. Aujourd’hui, l’hôtel centenaire et tout le quartier qui l’entoure sont pleinement intégrés au patrimoine chinois. De même, les anciennes concessions étrangères, naguère symboles de l’impérialisme occidental, sont devenues des attractions prisées à la fois des touristes chinois et étrangers, tel le quartier de Xintiandi (Le nouvel univers), à Shanghai, réhabilité par un investisseur hongkongais [46] et ouvert en 2003. Et les cafés qui pullulent dans ces endroits, comme une marque du retour décomplexé à l’occidentalisme d’antan, cultivent soigneusement dans leur décoration, et parfois même dans leur nom, le souvenir du Shanghai des années 1930 [47]. L’exploitation commerciale d’aspects du passé jadis honnis est donc le symptôme de l’affaiblissement de certains tabous. Mais celui-ci reste sous le contrôle du pouvoir, et ne fait qu’entériner, dans le cas d’une ville comme Shanghai, la nouvelle idéologie de la réforme et de l’ouverture.

29Les nouveaux sites touristiques ne sont d’ailleurs pas vidés de toute référence politique : dans la rue Hefang de Hangzhou, un jeu de massacre invite le passant à renverser avec des balles de son la figurine de bois représentant Qin Hui, le traître qui causa la perte du héros national Yue Fei [48]. Appel incontestable au patriotisme, même s’il est difficile de démêler ici la part du sérieux et celle du divertissement. Quant aux vestiges de l’ancien Palais d’été (Yuanmingyuan), autrefois laissés à l’abandon au milieu des champs, ils sont aujourd’hui soigneusement mis en scène comme une plaie témoignant des exactions de l’Occident à partir des guerres de l’opium.

30La neutralisation du passé est plus problématique quand elle touche à des désastres récents comme celui de la Révolution culturelle. Ainsi que le souligne Jennifer Hubbert, avec les restaurants à thème : « The Cultural Revolution becomes a detached icon, referencing a past, but one largely stripped of its contentious nature. It is a consumable product, offered as a backdrop for leisure and consumption[49] ». La nostalgie, nourrie par les désillusions du présent, risque ainsi de déboucher sur une vision tronquée du passé. Les musées que constituent, à leur manière, les restaurants sur la Révolution culturelle contribuent en définitive à la « désensibilisation » (desensitization) du traumatisme historique [50].

31La marchandisation de la nostalgie par le biais du tourisme favorise, quoi qu’il en soit, une mise à distance salutaire des références du passé : en devenant un haut lieu du « tourisme rouge » (hongse lüyou) [51], Yan’an a sans doute perdu pour partie son caractère sacré. Dans La Chine en dix mots, dans le chapitre consacré au shanzhai, le faux, Yu Hua montre bien comment, d’icône vénérée, Mao Zedong est devenu un attrape-touristes :

32

Quarante-trois ans après sa mort, Mao Zedong, notre ex grand leader, grand guide, grand commandant et grand timonier, est devenu comme Obama la vedette de détournements publicitaires en Chine. Le 1er octobre de cette année [2009], jour du soixantième anni­versaire de la fondation de la République populaire de Chine, une affiche géante de couleur rouge était suspendue des deux côtés de la porte principale d’un karaoké quel­que part au Zhejiang. Cette affiche montrait Mao Zedong en uniforme de l’armée avec un couvre-chef militaire, chantant des chansons rouges un micro à la main. Son allure n’avait plus rien à voir avec celle du dirigeant qu’il était de son vivant, on aurait plutôt dit un petit fonctionnaire local qui passe ses nuits dans les clubs de karaoké. Dans le coin droit de l’affiche étaient alignés les titres d’une dizaine de chansons rouges dont Aujourd’hui c’est ton anniversaire, Ma patrie, Chine je t’aime, Chinois, et Le Chant de la patrie.

33

Les employés du karaoké n’étaient pas peu fiers de leur coup :

34

— On a accroché les affiches le 1er octobre, c’est notre façon à nous de célébrer cette grande fête nationale.

35

En 2008, afin de stimuler le développement du tourisme, au Hunan, province natale de Mao Zedong, on a élu des sosies de Mao venus des quatre coins du pays. Le but était d’attirer le touriste au Hunan comme on appâte le poisson. Ainsi que l’a admis un fonctionnaire local de la Culture :

36

— C’est une première dans la réforme du système culturel de la province. Cette mesure va donner un sérieux coup de fouet à l’industrie du tourisme culturel de notre province [52].

37Yu Hua va jusqu’à considérer les sosies de Mao comme la quintessence de la culture du faux qui a envahi la Chine d’aujourd’hui. Il poursuit :

38

Cent trente faux Mao ont parcouru des centaines de kilomètres pour rallier le Hunan, et au terme d’une série d’épreuves treize d’entre eux ont accédé à la finale.

39

Les treize faux Mao sélectionnés se sont assis en rang sur l’estrade lors de la conférence de presse. Ils avaient tous une fausse verrue collée au menton. Certains d’entre eux imitaient les mimiques de l’original, jambes croisées, une cigarette à la main. Le Mao Zedong original s’exprimait avec un accent original de Xiangtan, aussi, lors de la conférence de presse, l’estrade n’a cessé de retentir de faux accents de Xiangtan. La plupart de ces faux Mao Zedong portaient le costume Sun Yat-sen ou la vareuse militaire, et l’un d’entre eux avait sur la tête la casquette octogonale qui était celle de Mao pendant la Longue Marche. Les autres étaient coiffés en arrière, comme lui. Il n’y en avait pas deux du même âge, et chacun prétendait être une réplique de Mao Zedong à une période différente. Il y avait le faux Mao Zedong de l’époque des monts Jinggang, le faux Mao Zedong de l’époque de la Longue Marche, ou bien le faux Mao Zedong tel qu’il était le jour où il a proclamé la fondation de la République populaire de Chine [53]

40Bien sûr, les stratégies commerciales n’expliquent pas à elles seules l’engouement intermittent pour la figure de Mao : celui-ci est dû tout autant à des raisons sociales et politiques, et en particulier à l’angoisse générée par l’aggravation des inégalités dans la société contemporaine [54]. Mais les utilisations mercantiles participent incontestablement de la désacralisation du personnage.

Muséification de la culture : préservation ou dévitalisation ?

41Comme on l’a vu, la mise en place d’une politique de préservation du patrimoine a coïncidé avec le lancement de la politique de réforme et d’ouverture, qui allait se concrétiser, surtout à partir des années 1990, par une modernisation accélérée du pays. Les occasions de conflit entre ces deux objectifs n’ont évidemment pas manqué, et le souci de préserver l’ancien a parfois eu du mal à s’imposer dès lors qu’il contrariait les projets de développement échafaudés par les responsables locaux [55].

42Le modèle de développement actuel tend à scinder les villes en deux parties : l’une ancienne, et touristique, l’autre moderne. Autrement dit, si la culture traditionnelle irriguait autrefois l’ensemble de l’espace urbain, elle est maintenant cantonnée à des zones précises, semblables à des ghettos. Dans les bourgs sur l’eau du Sud, les centres convertis en sites touristiques perdent leurs services publics, relocalisés dans les villes nouvelles [56], et leur aménagement entraîne souvent le départ forcé et le relogement de la population d’origine, ce qui renforce le caractère artificiel de cette opération [57].

43Cette ghettoïsation serait-elle le seul moyen de préserver le passé ? La disparition progressive de la culture chinoise ancienne dans un environnement moderne et cosmopolite incite en effet à concevoir des sites spécifiques voués à sa conservation. Ce type d’entreprise a pu exciter l’inventivité de mécènes comme Chen Jingen, un homme d’affaires et collection­neur de pierres rares, concepteur du jardin de la Méditation (Jingsi yuan), un jardin privé ouvert aux visiteurs en 2003 à proximité de Suzhou. Ce lieu, qui offre un condensé de l’architecture des jardins anciens, avec une collection d’arbres nains, une galerie ornée de plaques célébrant les réalisations de scientifiques chinois célèbres ainsi que des pierres — dont la plus célèbre, haute de 9 mètres, a été rapportée de la province de l’Anhui à l’aide de moyens techniques titanesques —, a acquis le statut de « site d’immersion dans la culture chinoise » (Zhongguo wenhua tiyan jidi), à destination notamment des étudiants étrangers.

44Le roman de Jia Pingwa Tumen[58], publié en 1995 en pleine fièvre du tourisme patri­monial, pose la question de la place du passé dans le contexte de la modernisation. En même temps il peut se lire comme une parabole sur ce que devient une culture quand, perdant sa signification première et son emprise réelle sur la vie des gens, elle se mue en un pur fétiche. Renhoucun, « le village de la bienveillance et de l’honnêteté » imaginé par l’auteur, est un village datant des Ming, menacé par l’urbanisation galopante et la spéculation immobilière, et que son nouveau maire, Cheng Yi, une sorte d’illuminé, espère bien sauver de sa disparition programmée. À l’instar des promoteurs des villages sur l’eau, il entend exploiter les atouts « touristiques » de Renhou, dans l’espoir d’en faire « le village le plus typique de Chine [59] » : en l’occurrence il a dans l’idée de mettre à profit les talents de guérisseur d’un de ses habitants. Renhou deviendra ainsi un village hôpital où les malades atteints d’hépatite, sur la foi des annonces publicitaires diffusées à la radio et à la télévision, afflueront de toute la Chine pour bénéficier de traitements traditionnels. Mais alors que la démarche des respon­sables de l’aménagement des villages touristiques est avant tout pragmatique, faisant coexister l’ancien (ou le pseudo-ancien) et le moderne, et mettant généralement le premier au service du second, Cheng Yi est un idéologue fou, qui entend bien transformer le village en une « source des fleurs de pêcher » (taohua yuan, la version chinoise du paradis originel) où aucune concession ne sera consentie à la modernité ambiante, où les maisons devront rester basses parce que le paysan doit garder son rapport à la terre et où le gazon, d’origine occidentale, sera proscrit. Les règles strictes qu’il tente d’imposer, inspirées à la fois des vertus confucéennes et de la discipline communiste, et pour lesquelles il prévoit une échelle de sanctions, ne sont d’ailleurs pas sans rappeler l’utopie du village rouge de Nanjie [60]. Son coup de maître consistera dans la construction d’un portique (pailou) sur lequel seront sculptés des scènes du roman des Trois Royaumes, les douze signes du zodiaque chinois, la légende populaire du bouvier et de la tisserande (pas pour l’histoire d’amour, précise Cheng Yi, mais pour ce symbole de la terre qu’est le bœuf), ainsi que les 24 images de la piété filiale, en bref un condensé de la culture ancienne, chargé de surcroît d’une intention didactique.

45La vision du passé qu’incarne le personnage de Cheng Yi est en apparence diamétra­lement opposée à celle que mettent en œuvre les acteurs du tourisme culturel : même si, répétons-le, idéologie et intérêts économiques sont rarement séparés de manière stricte, Cheng Yi incarne l’utopie dans sa version la plus radicale. Si le village vit de l’accueil des malades (symbole, sans doute, du mal introduit en son sein sous prétexte de le sauver), le maire a instauré une règle exigeant, au grand dam des villageois, que ceux-ci reversent à un fond de développement un cinquième des revenus qu’ils tirent de cette activité. Mais le monde qu’il tente de préserver, ou plutôt de reconstituer, sur sa parcelle de terre n’est pas plus vrai que le Dazhalan des années 2000. La culture s’y réduit à une collection d’emblèmes aussi éloignés de la réalité que le nom du village, dont les habitants, bien que placés sous l’égide de la bienveillance et de l’honnêteté, font bien peu honneur à ces vertus. Qui plus est, son intolérance empêche toute critique nuancée du présent et du passé. Dans cette parabole, Jia Pingwa n’exprime pas seulement son inquiétude face à la perspective de la disparition des campagnes, il montre aussi que la pureté du passé, comme la pureté révolutionnaire, est un mythe vain, voire dangereux. Cheng Yi parviendra à rester jusqu’au bout fidèle à son idéal, mais au prix de sa vie : arrêté pour le vol de la tête d’un soldat de l’armée de terre cuite de Qin Shihuangdi, qu’il comptait monnayer auprès d’un antiquaire pour aider à la survie du village, il est exécuté. Le village, quant à lui, est rasé. Face à l’utopie de Cheng Yi, un autre personnage du roman, l’écrivain Fan Jingquan, prône un modèle alternatif : le canton de Shenheyuan, qui a effacé les distinctions entre ville et campagne, passé et présent.

Conclusion

46Ce rapide parcours a fait émerger une idée-force : la nostalgie, en tant que sentiment collectif, n’exige nullement un véritable retour au passé. La première conséquence de cet état de fait est qu’il relègue au second plan la question de l’authenticité. Certes, il convient de prendre en compte, dans le cas de la Chine, le statut particulier du patrimoine architectural : comme l’a expliqué Pierre Ryckmans alias Simon Leys, le passé chinois est enfermé dans les livres bien plus que dans les monuments sans cesse démolis et reconstruits [61]. Mais l’indifférence relative à l’authenticité est aussi la rançon de la prise en charge du passé par l’industrie touristique et, dans une certaine mesure, par les politiques. Dès lors que les planificateurs interviennent dans l’évolution naturelle d’un lieu, ils ont besoin d’un récit autour duquel structurer leurs projets : le passé mandchou pour Pékin, la modernité occidentale pour Shanghai. Au risque de créer des simulacres de passé.

47La deuxième conséquence est ce que nous avons appelé la tendance à la ghettoïsation. Si la marchandisation du passé révèle toujours un fond de nostalgie, celle-ci s’accommode fort bien de la modernité. Dans tous les exemples examinés, le passé reste en marge de la vie moderne, il procure simplement des occasions de dépaysement, et au-delà, dans le meilleur des cas, une relation apaisée avec l’histoire et avec la tradition.

48Enfin, à travers le cas de la rénovation ou de la réhabilitation des anciens quartiers commerçants, nous avons tenté de montrer dans quelle mesure le passé, ou du moins son image, pouvait être un miroir des succès de la Chine d’aujourd’hui. La marchandisation a par elle-même une signification idéologique, car elle est la signature du capitalisme post-maoïste dans lequel le pays est entré. Voilà pourquoi, alors que ce dernier semble résolument tourné vers l’avenir, le marché de la nostalgie n’a jamais été aussi dynamique.

Glossaire

49Akutagawa Ryūnosuke 芥川龍之介

50Bayu 巴渝

51Baijia dayuan 白家大院

52Baohetang 保和堂

53Beishan jie lishi wenhua jiequ zhongdian baohu qu 北山街历史文化街区重点保护区

54Chang Eileen (Zhang Ailing) 张爱玲

55Chen Jingen 陈金根

56Cheng Yi 成义

57Chengshi tese 城市特色

58Chu 楚

59Chunxi 淳溪

60Da baitu 大白兔

61Daguanlou 大观楼

62Dasanyuan 大三元

63Dazhalan 大栅栏

64Fan Jingquan 范景全

65gaige kaifang 改革开放

66Guojia lishi wenhua mingcheng 国家历史文化名城

67Guowuyuan guanyu cujin lüyouye gaige fazhan de ruogan yijian 国务院关于促进旅游业改革发展的若干意见

68Guowuyuan guanyu tuijin wenhua chuangyi he sheji fuwu yu xiangguan chanye rongqia fazhan de ruogan yijian 国务院关于推进文化创意和设计服务与相关产业融合发展的若干意见

69Hefang 河坊

70Heitudi 黑土地

71Hexiang shanzhuang 鹤翔山庄

72hongse lüyou 红色旅游

73huaijiu 怀旧

74huaijiu lüyou 怀旧旅游

75huaixiangbing 怀乡病

76Jinggang 井冈

77Jingsi yuan 静思园

78Kōnan yūki 江南游記

79Kongyiji 孔乙己

80Lao cha jiujia 老插酒家

81Lao san jie 老三届

82Lao She 老舍

83Lao Suzhou 老苏州

84Lao zhiqing 老知青

85Lin’an 临安

86Liqinwang huayuan 礼亲王花园

87Lishi wenhua 历史文化

88Liulichang 琉璃厂

89Lu Xun 鲁迅

90Luzhi 甪直

91Mao Dun 茅盾

92Meishijia 美食家

93Meiweizhai 美味斋

94mingren wenhua 名人文化

95Modeng hongren 摩登红人

96Nanjiecun 南街村

97Nanxun 南浔

98Nin jixiang 您吉祥

99Pailou 牌楼

100Qianmen 前门

101Qianxiangyi 谦祥溢

102Qin Hui 秦桧

103Qin Shihuangdi 秦始皇帝

104Qinghefang 清河坊

105Renhoucun 仁厚村

106Ruifuxiang 瑞蚨祥

107Sanshi niandai dafandian 三十年代大饭店

108Shanghen wenxue 伤痕文学

109Shanzhai 山寨

110Shenghuo xiu 生活秀

111Shengxifu 盛锡福

112Shenheyuan 神禾塬

113Si shui nianhua 似水年华

114Taohua yuan 桃花源

115Tongli 同里

116Tiyan jingji 体验经济

117Tongrentang 同仁堂

118Wangxingji 王星记

119Wanlong huotui 万隆火腿

120Wenhua jie 文化街

121Wenhua lüyou 文化旅游

122Wenhua zhuti jiudian 文化主题酒店

123Wuzhen 乌镇

124Xiangchou 乡愁

125Xintiandi 新天地

126Xinxin 新新

127Xitang 西塘

128Xuannan wenhua 宣南文化

129Xungen wenxue 寻根文学

130Ye Shengtao 叶圣陶

131Yishu tese 艺术特色

132Yong’en 永恩

133Yuanmingyuan 圆明园

134Yue Fei 岳飞

135Zhang Yiyuan 张一元

136Zhang Xiaoquan 张小泉

137Zhiqing 知青

138Zhongguo lishi wenhua mingzhen 中国历史文化名镇

139Zhongguo wenhua tiyan jidi 中国文化体验基地

140Zhou Xuan 周璇

141Zhouzhuang 周庄

142Zhuangyuanguan 状元馆

143Ziran fengguang 自然风光

Notes

  • [1]
    Le chinois possède d’autres termes, qui évoquent plus particulièrement la nostalgie du pays natal, comme huaixiangbing ou xiangchou.
  • [2]
    Greffe 2011. Voir aussi Sofield & Li 1998 : ce dernier article analyse bien l’intrication des différents enjeux qui sous-tendent le développement du tourisme en Chine, lequel s’inscrit dans le projet de modernisation du pays tout en servant des buts politiques tels que la célébration de l’identité et de l’unité nationales à travers la promotion de l’héritage patrimonial et de la diversité culturelle.
  • [3]
    Wei 2017.
  • [4]
    Yu 2008 : 63.
  • [5]
    Wei 2017.
  • [6]
    Zhang 2018 : 50.
  • [7]
    Zhang 2018 : 51-54.
  • [8]
    Bellocq 2017 : 350.
  • [9]
    Sur ces bourgs du Jiangnan, voir l’article de Françoise Ged dans cette livraison d’Extrême-Orient, Extrême-Occident (note de l’éditeur).
  • [10]
    Gao 2019 : 17 sq.
  • [11]
    Ma & Wu 2005 : 51.
  • [12]
    Shen et al. 2018. De source officielle, le tourisme interne serait passé de 280 millions de visiteurs à 5 001 millions entre 1990 et 2017 (National Bureau of Statistics 2018).
  • [13]
    Liu & Zhang 2006 : 39-40. Le concept d’« économie de l’expérience », forgé en 1998 par les économistes américains B. Joseph Pine II et James H. Gilmore, est utilisé dans l’article en question, dont les auteurs sont rattachés à l’Institut du tourisme de l’université normale du Sichuan, à Chengdu.
  • [14]
    Un peu plus de 11 % en 2003 pour la ville de Tongli (Bellocq 2017 : 354).
  • [15]
    Bellocq 2017 : 354.
  • [16]
    Bellocq 2017 : 353.
  • [17]
    Yang 2012 : 41.
  • [18]
    Bao 2017 : 30.
  • [19]
    Layton 2007 ; Felli 2005 : 277.
  • [20]
    Sur les palissades qui entouraient le quartier en reconstruction, on pouvait lire ce slogan : « Dashilar : Along the Forbidden City, 600 Years Legend Commerce » (Meyer 2008 : 235).
  • [21]
    En ligne : [http://www.bjdzj.gov.cn/jingji/qiye/007.html], consulté en juillet 2019.
  • [22]
    Tang & Zhao 2012 : 23. Cette classification, que l’on retrouve presque à l’identique dans d’autres publications, n’a pas un caractère officiel. On possède des chiffres concernant les hôtels à thème chinois, mais ils ne permettent pas de distinguer quelle proportion d’entre eux relèvent de la catégorie des hôtels à thème culturel. Il aurait existé 22 hôtels à thème en 2004, 400 en 2010, et on compterait plus de 2000 aujourd’hui (Li 2019 : A2 ; Wassler, Li & Hung 2015).
  • [23]
    Li 2019 : A2. L’hôtel en question, Hexiang shanzhuang (L’auberge montagnarde du vol de la grue), est situé près de Chengdu, au Sichuan.
  • [24]
    « Guowuyuan guanyu cujin lüyouye gaige fazhan de ruogan yijian » (Quelques observations du Conseil des affaires d’État sur la promotion de la réforme et du développement du tourisme), 9 août 2014.
  • [25]
    « Guowuyuan guanyu tuijin wenhua chuangyi he sheji fuwu yu xiangguan chanye rongqia fazhan de ruogan yijian » (Quelques observations du Conseil des affaires d’État sur la promotion de la créativité culturelle et du service design et sur le développement harmonieux des industries connexes), 26 février 2014.
  • [26]
    Wassler, Li & Hung 2015.
  • [27]
    Lu 1988.
  • [28]
    La résidence, qui s’appelait autrefois le parc du Prince honnête (Liqinwang huayuan) – le « Prince honnête », doronggo cin wang en mandchou, désignant un titre de noblesse transmissible sous les Qing –, aurait été construite sous le règne de l’empereur Qianlong (r. 1736-1795) par le prince Yong’en (1727-1805), membre du clan impérial Aisin Gioro.
  • [29]
    Bonnin 1996. L’article est suivi d’une liste de sept restaurants de jeunes instruits et de quatre autres restaurants « nostalgiques ».
  • [30]
    Voir Zhong 2003. Il s’agit d’un guide pratique à destination des entrepreneurs qui désirent ouvrir un restaurant. Il y est question des études de marché, du choix du site, de la décoration, de la gestion du personnel, de la constitution des menus et de la cave, etc.
  • [31]
    Yang 2003 : 271.
  • [32]
    Yang 2003 : 269.
  • [33]
    Yang 2003 : 277. L’Âge d’or (Huangjin shidai) est précisément le titre d’un court roman de Wang Xiaobo paru à Taiwan en 1991, et dont le héros est un jeune instruit envoyé à la campagne (il existe une version française : Wang 2001).
  • [34]
    Hubbert 2005 : 125-150.
  • [35]
    Bonnin 1996 : 32.
  • [36]
    Par exemple l’écrivain A Cheng, un des principaux auteurs du courant de « recherche des racines » (xungen pai). C’est au Xishuangbanna qu’il situe l’action de sa série sur les « rois » (A 1988).
  • [37]
    Pa 1996.
  • [38]
    Hubbert 2005 : 136.
  • [39]
    Chi 2011, pour la version française.
  • [40]
    Dans cette interview récente, Chi Li explique que les cous de canard ne faisaient pas partie des plats traditionnels de Wuhan, et que l’on voyait même là-bas très peu de canards et de poulets pendant la dizaine d’années qui ont suivi les débuts de la réforme et de l’ouverture (Chi 2018 : A06).
  • [41]
    Lu 2002 : 171. L’auteur cite le cas de deux restaurants célèbres, Dasanyuan (fondé en 1930) et Meiweizhai (fondé en 1920), dont les noms furent vendus aux enchères en 2001.
  • [42]
    Lu 2002 : 173.
  • [43]
    Lu 2002 : 174.
  • [44]
    Cette expression a servi à rendre en chinois le titre de l’œuvre de Proust À la recherche du temps perdu.
  • [45]
    D’après les extraits de son ouvrage Kōnan yūki (Journal de voyage au Jiangnan) traduits en chinois dans Xu 2008 : 143-145.
  • [46]
    Lu 2002 : 174.
  • [47]
    Lu 2002 : 177. L’auteur cite par exemple le « Vieux bar pour la nostalgie et les chefs d’œuvre artistiques », le « 1931’S » et le « Madrid Café ».
  • [48]
    Général de la dynastie des Song du Sud et partisan de la résistance aux « barbares » Jürchen, Yue Fei (1103-1041) fit l’objet d’une conspiration qui lui valut d’être jeté en prison et assassiné avec ses acolytes. Il fut plus tard réhabilité. Dans les années 1980, sur le site de la tombe de Yue Fei à Hangzhou, les touristes chinois crachaient sur la statue agenouillée du traître Qin Hui qui causa la perte du héros.
  • [49]
    Hubbert 2005 : 141.
  • [50]
    Hubbert 2005 : 145. Dans son article déjà cité, Michel Bonnin prenait toutefois soin de noter que la nostal­gie des jeunes instruits n’excluait pas une vision critique du passé, et que leurs réunions étaient surveillées de près par les autorités (Bonnin 1996 : 34).
  • [51]
    Van Houtryve 2010 : 72-79. L’article est consacré principalement à un cas plus ambigu, celui du village rouge de Nanjie, au Henan, fruit d’une expérience de recollectivisation menée à partir de 1984 et aujourd’hui contestée. Au moment de la visite du photographe, ce village mythique attirait annuellement 300 000 touristes chinois. Le tourisme rouge, qui a commencé au milieu des années 2000 par la publication d’une première liste de 100 hauts lieux révolutionnaires à rénover, répond à des objectifs à la fois idéologiques et économiques : renforcer le prestige du parti communiste et stimuler le sentiment nationaliste de la population tout en faisant profiter les régions concernées des retombées financières liées à l’exploitation de ces sites et aux nouvelles infrastructures mises en place pour en faciliter l’accès. Il a pris diverses formes, des circuits organisés le long de l’itinéraire de la célèbre Longue Marche à la visite des anciennes bases rouges. Si les visiteurs se comptent annuellement par centaines de milliers, voire plus d’un million sur certains sites (3,9 millions en 2009 à Yan’an), il semble qu’il s’agisse dans une certaine mesure d’un tourisme forcé, visant notamment le public des établissements scolaires. Sur ce point, Jaurès 2012.
  • [52]
    Yu 2010 : 228-229.
  • [53]
    Yu 2010 : 229-232.
  • [54]
    Lu 2002 : 184-185. L’auteur fait observer que la « fièvre Mao Zedong » a connu un pic au début des années 1990, après les événements de Tian’anmen, mais qu’elle a pris ensuite un caractère essentiellement com­mercial.
  • [55]
    Bellocq 2017 : 351. La réflexion sur la préservation des petites villes du Jiangnan avait été confiée à l’université shanghaïenne de Tongji.
  • [56]
    Bellocq 2017 : 357.
  • [57]
    C’est le cas, par exemple, pour les quartiers touristiques de Zhouzhuang, au Jiangsu, et de Wuzhen, au Zhejiang (Bellocq 2017 : 358).
  • [58]
    Jia 1996. Il existe une traduction française de ce roman, malheureusement très incomplète (sans que, du reste, le lecteur ne soit averti des coupes opérées) et souvent approximative : Jia 2000. Tumen se trouve être le nom d’un quartier de la ville de Xi’an, également présente dans le texte sous le nom de Xijing.
  • [59]
    ‪Jia 1996 : 264.‪
  • [60]
    ‪Brown & Van Nieuwenhuizen 2016 : 145 ‪‪sq‪‪.‪
  • [61]
    Leys 1987. Dans le même ordre d’idées, l’habitude des Chinois de relier les paysages et les monuments aux textes qui les ont célébrés (les poèmes notamment) contribue à relativiser, dans la culture chinoise, la sacralité de l’original. Voir Sofield & Li 1998 : 384.
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Les bouleversements qu’a connus la Chine au cours des trente dernières années ont suscité un sentiment de nostalgie qui n’a pas manqué d’être exploité sur le plan commercial. Le présent article évoque ce phénomène en se fondant sur deux exemples particuliers, tous deux liés au développement de l’industrie touristique : celui de la mise en valeur des villes ou quartiers anciens, et celui des hôtels et restaurants à thème. Il s’interroge sur les effets induits par cette intrusion de la logique consumériste dans le champ de la mémoire : le passé en sort-il réhabilité, banalisé, voire privé de sens ? Il souligne également les affinités paradoxales entre la nostalgie du passé et le culte de la modernité et de l’abondance matérielle qui caractérise l’époque actuelle. Des renvois aux œuvres de Yu Hua et de Jia Pingwa montrent comment ce nouveau rapport au passé a trouvé un écho dans la littérature contemporaine.

  • nostalgie
  • mémoire
  • industrie touristique
  • Chine postmaoïste
  • modernité
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当今中国的怀旧商业

中国在过去三十年中所经历的巨变激起了一种怀旧情绪,这不可避免地在商业层面上被利用。本文基于两个具体的实例来探讨这种现象,这两个例子都与旅游业的发展有关:古镇开发、城市旧区改造,以及主题酒店和餐厅的兴起。文章思考这种消费主义逻辑侵入人们记忆范畴所带来的影响:过去恢复了其光彩,抑或变得平凡甚至失去了意义?本文也强调了对过去的怀旧与当代对现代化和物质丰富的崇拜之间,存在的微妙而自相矛盾的联系。通过对余华和贾平凹作品的引用和简析,论文也试图呈现这种与过去的新关系如何在当代文学中找到回声。

    • A Cheng 阿城 (1988). Les Trois rois, courts romans, trad. et postfacés par Noël Dutrait. Aix-en-Provence, Alinéa. Comprend : Le Roi des échecs (Qi wang 棋王, 1984), Le Roi des arbres (Shuwang 树王, 1985), Le Roi des enfants (Haiziwang 孩子王, 1985).
    • Bao Lufang 包路芳 (2017). « Dazhalan gaizao yu Beijing lishi jiequ baohu 大栅栏改造与北京历史街区保护 (La rénovation de Dazhalan et la protection des quartiers histo­riques de Pékin) ». Qunyan 3 : 29-32.
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    • En ligneBonnin Michel (1996). « À propos de quelques “restaurants à thème” de Pékin : la nostalgie du mauvais temps ». Perspectives chinoises 33: 31-37.
    • Brown Kerry & Van Nieuwenhuizen Simone (2016). China and the New Maoists. Londres, Zed Books.
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Angel Pino
Angel Pino est professeur de civilisation chinoise à l’université Bordeaux Montaigne et membre de l’équipe TELEM (Textes, littératures : écritures et modèles – EA 4195). Dernier ouvrage paru : Anthologie historique de la prose romanesque taïwanaise moderne, 4 vol. , Librairie You Feng, Paris, 2016-2018 (en collaboration avec Isabelle Rabut).
Angel Pino is professor of Chinese Civilization at Bordeaux Montaigne University and member of the research unit TELEM (Textes, littératures : écritures et modèles – EA 4195). His most recent publication is Anthologie historique de la prose romanesque taïwanaise moderne, 4 vol. , Librairie You Feng, Paris, 2016-2018 (in collaboration with Isabelle Rabut).
Isabelle Rabut
Isabelle Rabut est professeur de littérature chinoise à l’Institut national des langues et civilisations orientales et membre de l’IFRAE (Institut français de recherche sur l’Asie de l’Est – FRE 2025). Dernier ouvrage paru : Anthologie historique de la prose romanesque taïwanaise moderne, 4 vol. , Librairie You Feng, Paris, 2016-2018 (en collaboration avec Angel Pino).
Isabelle Rabut is professor of Chinese Literature at INALCO and member of the research unit IFRAE (Institut français de recherche sur l’Asie de l’Est – FRE 2025). Her most recent publication is Anthologie historique de la prose romanesque taïwanaise moderne, 4 vol. , Librairie You Feng, Paris, 2016-2018 (in collaboration with Angel Pino).
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 09/02/2021
https://doi.org/10.4000/extremeorient.1686
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