Introduction : la marchandisation de l’histoire et des traditions aujourd’hui
1Comme* l’a démontré Eric Hobsbawm à travers l’exemple du kilt écossais, « l’invention de la tradition » doit être vue comme le produit de deux phénomènes conjoints : d’une part l’interventionnisme du gouvernement découlant de la mise en place des États-nations contemporains, et d’autre part le processus de « marchandisation ». La marchandisation revêt une pluralité de formes, allant de la mode vestimentaire au roman historique, en passant par les films et les jeux vidéo. Au Japon, la « marchandisation des traditions » se poursuit à un rythme effréné à l’approche des Jeux olympiques de 2020 [1]. L’objectif à court terme est d’attirer les touristes étrangers afin de stimuler l’économie du pays [2]. Un des symboles de cette visée est la récente parution de l’ouvrage influent de David Atkinson, Shin kankō rikkoku ron (nouvelles stratégies pour un développement national orienté vers le tourisme) [3]. La recherche d’un « patrimoine culturel lucratif » (kasegu bunka zai) est devenue le moteur de la politique culturelle et économique de la nation japonaise. Face à ce constat, on peut se demander quelles sont les traditions et périodes historiques ciblées dans le cadre de cette marchandisation.
2Pour tenter d’apporter une première réponse à cette interrogation, nous allons prendre pour exemple le centre commercial de Haneda (l’un des deux aéroports internationaux de Tokyo), récemment aménagé aux 4e et 5e étages du terminal des vols internationaux. Au 4e tout d’abord, on trouve une « scène d’Edo » (Edo butai), située au sein d’une « ruelle d’Edo » (Edo koji), qui regroupe des restaurants et des boutiques dont l’architecture rappelle celle des maisons traditionnelles. Au 5e, on entre dans la Tokyo Pop Town, dédiée à la « culture pop » (poppu karuchā) et représentée par le Edo hall où sont vendus des produits à l’effigie de personnages d’animation japonais, et autres comme Hello Kitty. Il s’agit ainsi d’un espace symbolisant à lui seul la marchandisation des cultures pop et traditionnelle, répondant à la fois à la demande des étrangers et aux préoccupations du gouvernement désireux d’intensifier l’exportation. La « culture traditionnelle » (dentō bunka) qui est ici mise en avant se trouve ainsi associée à l’époque d’Edo (1600-1868) et à la ville éponyme, cadre d’épanouissement de la « culture populaire » (shomin bunka). Ce choix tient en partie au fait que l’aéroport se trouve implanté à Tokyo, dont Edo fut la matrice. Généralement la « culture traditionnelle » japonaise est associée à deux périodes : l’époque Heian (794-1185) caractérisée par la culture de cour, et l’époque d’Edo, pour sa culture populaire. La logique à l’œuvre procède dans les deux cas d’un même récit : le contexte de stagnation des échanges avec l’étranger aurait permis la création d’une culture spécifique, purement japonaise.
3Dans le cadre du processus de « découverte et d’invention des traditions » qui s’est opéré au Japon à partir de l’ère Meiji (1868-1912) [4], c’est tout d’abord l’Antiquité, berceau du système impérial, qui a été mise en avant en lien avec le processus d’affermissement de l’État-nation et la restauration du pouvoir de l’empereur. Cependant, il convient de souligner qu’Edo a également fait l’objet d’une redécouverte quelques décennies plus tard, au moment de la haute croissance économique d’après-guerre. Elle va alors être érigée au rang de « seconde tradition du Japon » (mō hitotsu no dentō), à l’origine de la culture populaire. Nous verrons que le rôle de la marchandisation va être particulièrement important dans le cadre de la découverte d’Edo et de sa diffusion.
4Depuis le tournant linguistique du milieu du xxe siècle qui a mis l’accent sur la réception et l’interprétation des textes, les partisans de l’histoire publique [5] ont commencé à relativiser le discours des histoires nationale et académique et à promouvoir une diffusion élargie de l’histoire à travers sa marchandisation par les films et autres supports. Au lieu de considérer cette histoire marchandisée comme une simple fiction dépourvue de valeur historique, ils ont développé l’idée selon laquelle son appropriation par le consommateur permettrait la découverte d’une histoire différente, propre à chaque individu [6].
5Il est certes indéniable que l’histoire nationale, tout comme l’histoire académique, établie en opposition à la vision conservatrice de celle-ci, sont toutes deux le produit d’une sélection d’événements, l’une opérée par l’État, l’autre par des historiens influencés par le marxisme. Cependant, nous pensons que l’histoire destinée à devenir un « produit de consommation » (shōhin) est elle aussi le fruit d’une sélection d’éléments susceptibles d’être marchandisés ; sur ce plan elle n’est guère différente des deux autres. Par ailleurs, comme il est impossible que les produits en question soient entièrement affranchis de toute historicité et entièrement déconstruits, la réappropriation par le consommateur aura nécessairement une portée limitée [7]. De plus, les récits attribués à ces marchandises tendent à présenter le passé sous un jour brillant et nostalgique, et à l’embellir de manière excessivement simpliste. Dans cette analyse, nous choisirons de nommer cette vision édulcorée d’Edo « les représentations de la Belle Edo » (shiawase na edo zō) [8].
6Dans un premier temps nous allons nous intéresser à la manière dont se sont formées ces représentations, puis nous analyserons les fondements du programme culturel mis en place à Tokyo dans le but d’accueillir les Jeux olympiques de 2020.
Sur les traces de la Belle Edo : de la genèse à la marchandisation
7L’historienne américaine Carol Gluck a déjà brossé un portrait d’ensemble de la vision de l’époque d’Edo et de son évolution dans une étude intitulée « The Invention of Edo [9] ». Dans le cadre de ce travail, nous avons choisi de restreindre notre analyse à la ville d’Edo et de suivre les traces de l’élaboration des représentations de la Belle Edo depuis l’ère Meiji [10].
La redécouverte de l’ère Genroku (1688-1704)
8Au milieu de l’ère Meiji (dernier quart du xixe siècle), un premier engouement rétrospectif pour l’époque d’Edo voit le jour dans le contexte de montée du nationalisme et de l’ultranationalisme en réaction à la politique d’occidentalisation menée par le gouvernement dans le but de promouvoir « l’ouverture à la civilisation » (bunmei kaika). Les années qui suivent la célébration du troisième centenaire de la ville de Tokyo voient ainsi la création de la Dōhōkai, une association regroupant des descendants d’anciens guerriers du shogunat d’Edo, suivie par une série de publications d’articles et de revues ayant pour thème commun un intérêt rétrospectif pour Edo. Cependant, bien qu’également dirigé vers les mœurs de l’époque d’Edo, comme l’atteste la parution de la Fūzoku gahō (revue illustrée des mœurs) à partir de février 1889, cet engouement était avant tout teinté de revendications politiques et les chefs de file de cette mouvance n’étaient autres que les anciens vassaux de l’époque d’Edo ainsi que leurs descendants.
9Au même moment, encouragé par la conjoncture économique favorable qui s’installe à la suite de la première guerre sino-japonaise (1894-1895), Mitsukoshi, premier grand magasin construit au Japon sur le modèle de Harrods à Londres et du Bon Marché à Paris, devient l’instigateur d’une mode de l’ère Genroku en commercialisant des vêtements aux motifs typiques de la fin du xviie siècle. C’est le « cercle Genroku » (Genroku kai), regroupant lui aussi d’anciens guerriers de l’époque d’Edo comme Togawa Zanka, qui va participer de façon active au développement de ce nouvel engouement [11].
10Il existe selon nous trois raisons derrière le choix de Genroku pour symboliser la culture d’Edo à l’issue du xixe siècle : tout d’abord, il y avait déjà eu une découverte de Genroku à la fin de l’époque d’Edo chez les lettrés des ères Bunka et Bunsei (1804-1829), marquée notamment par la célébration du centenaire de la mort du poète Matsuo Bashō et l’éloge du peintre Ogata Kōrin et de l’école Rimpa par Sakai Hōitsu. Ensuite, d’une manière plus directe, il est certain que l’éloge de l’œuvre d’Ogata Kōrin par les artistes occidentaux dans le cadre du japonisme a eu une influence sur la perception de Genroku par les Japonais eux-mêmes et a ainsi contribué à cette redécouverte. De la même façon, les ornements somptueux et éclatants typiques de l’école Rimpa épousaient parfaitement l’état d’esprit conquérant des Japonais à la fin du xixe dans le contexte de la montée impérialiste. Enfin, ce choix découle également de la manière dont Togawa Zanka et les descendants des vassaux de l’époque d’Edo percevaient Genroku, à savoir comme « la dernière époque avant que les guerriers ne commencent à s’avilir, oubliant l’art du combat et cédant l’initiative économique aux bourgeois [12] ».
Le « goût d’Edo »
11À la fin de l’ère Meiji, une nouvelle « voie des guerriers », le bushido de Meiji (Meiji no bushidō), voit le jour dans le contexte des guerres sino-japonaise et russo-japonaise. Cette nouvelle doctrine met en avant l’idée selon laquelle tous les Japonais, et non pas seulement les anciens samouraïs, possèdent en eux l’âme guerrière. La catégorie des guerriers (bushi) qui comprenait les anciens vassaux de l’époque d’Edo, va alors fusionner avec celle des soldats (heishi), et avec la disparition de la génération qui avait vu le jour avant Meiji, les mouvements de restauration du système shogunal vont peu à peu s’éteindre.
12Parallèlement, avec l’expansion croissante de Tokyo à la fin du xixe siècle, l’ancienne ville d’Edo va se retrouver peu à peu associée au passé, à un temps révolu, et ses mœurs et sa culture vont dès lors faire l’objet d’un engouement rétrospectif [13]. Des salons littéraires vont se constituer, tels que la Société des amis de l’écritoire (Kenyūsha), supervisée par l’écrivain Ozaki Kōyō, la Faction de Negishi (Negishitō), dont les membres se revendiquent comme les dépositaires de l’esprit des lettrés d’Edo, ou encore le Cercle des collectionneurs du passé (Shūkokai), fondé en 1896. Ces associations vont devenir le lieu d’expression de cette rétrospective.
13L’aboutissement de cet attrait pour la culture, les divertissements, les mœurs et le style de vie de l’époque d’Edo, va se matérialiser par la naissance d’un nouveau concept, celui du « goût d’Edo » (Edo shumi [14]) à partir de 1907. Ce « goût » a vu le jour au sein des sociétés littéraires évoquées précédemment, constituées à la fin du xixe siècle par des descendants de guerriers. Ces derniers vont faire de la culture d’Edo un objet de recherche en traduisant des œuvres littéraires en japonais moderne, en réadaptant des pièces musicales, ou encore en restaurant des estampes en couleur (nishiki-e). À l’origine, le terme « Edo shumi » était utilisé par des lettrés comme Tsubouchi Shōyō pour traduire le souhait de diffuser d’une part une « culture de qualité » (kōkyū bunka) et d’autre part d’améliorer la « culture vulgaire » (teikyū bunka) en se basant sur les standards de l’époque d’Edo. Ainsi, ces individus nés après la chute du shogunat vont se donner pour mission de sortir des décombres la « bonne culture » d’Edo. Par la suite le concept va être repris par les membres du Cercle de Pan (Pan no kai) regroupant de jeunes artistes d’une vingtaine d’années pétris de néoromantisme. Cette société entretient par ailleurs des liens forts avec l’écrivain Nagai Kafū, gagné par la nostalgie d’Edo après son retour de l’étranger. L’époque d’Edo telle qu’elle est perçue et dépeinte par Kafū et les membres du Cercle de Pan est un monde créé de toutes pièces ; l’Edo shumi devient dès lors l’expression de cette construction fantasmée. Cependant, cette vision s’inscrit malgré tout dans la continuité de leurs prédécesseurs puisque l’idéalisation de l’époque d’Edo était déjà présente dans les salons littéraires de la fin du xixe siècle. Le thème favori de ces jeunes auteurs est la culture de Kasei qui a connu son apogée durant la première moitié du xixe siècle, en particulier dans la ville d’Edo [15].
14À l’orée du xxe siècle, Mitamura Engyo (1870-1953), historien spécialiste d’Edo, commence à formuler des critiques à l’encontre du discours propre à l’Edo shumi, dénonçant sa propension à présenter la société de l’époque d’Edo et ses différentes périodes comme un ensemble homogène, et à faire du contenu des œuvres littéraires produites au début du xixe siècle une généralité applicable aux diverses réalités sociales de l’époque [16]. Cependant, ce « goût d’Edo » va être popularisé par le biais des grands magasins, eux-mêmes liés aux leaders de ce mouvement, et qui vont se servir de ce discours idéalisé pour lancer une mode. Mitsukoshi, qui prône ouvertement l’association entre le savoir scientifique et les traditions populaires dans la conception de ses produits, va être à l’origine de la création d’un « groupe de recherche sur le goût d’Edo » (Edo shumi kenkyū kai) mettant en avant son approche scientifique et se focalisant en particulier sur la culture des ères Hōreki à Tenmei (1751-1789). Pourtant, à l’occasion d’une exposition portant sur l’Edo shumi organisée par Mitsukoshi en 1915 dans le but de présenter les résultats du groupe de recherches, les organisateurs se sont contentés d’étaler sous les yeux des visiteurs des objets variés provenant d’époques diverses et de différentes classes sociales, aboutissant à la diffusion au sein de la société de l’image d’un style typique de l’époque d’Edo, commun à l’ensemble de la période. Ainsi le « goût d’Edo » a vu le jour dans le cadre d’un mouvement d’exaltation du passé mené par les élites intellectuelles de Meiji, puis il s’est diffusé au sein de la population japonaise à travers la marchandisation opérée par de grands magasins comme Mitsukoshi. En conséquence, on va progressivement voir se mettre en place une idée vague des goûts propres aux individus de l’époque d’Edo, en somme un « pseudo goût d’Edo [17] ». Par ailleurs, la destruction du passé suscitée par le grand séisme du Kantō qui va réduire les vestiges de la ville d’Edo à l’état de ruines en 1923, va donner naissance à une vague de nostalgie qui alimentera l’intérêt des citoyens pour l’ancienne cité shogunale.
Les habitants d’Edo
15Au Japon, le courant historiographique dominant après la Seconde Guerre mondiale, en particulier durant la période de haute croissance économique, était le marxisme, qui s’opposait aux « théories de la modernisation » prônées par les Américains pour qui le capitalisme était la finalité à atteindre. Les historiens de ces deux courants ont cependant constaté les progrès effectués par la population japonaise à partir de la seconde moitié du xviie siècle et ont commencé à mettre en avant cette évolution dans leurs travaux, avec des objectifs diamétralement opposés. Cependant, les marxistes ont rapidement réalisé qu’en mettant l’accent sur le progrès des masses, le risque était de basculer vers les « théories de la modernisation » ou encore vers une représentation schématique ne prenant pas en considération les contradictions sociales [18].
16Parallèlement, le courant historique de Shiba (Shiba shikan) qui valorisait fortement l’ère Meiji a également commencé à gagner en popularité au début de la croissance économique [19]. Ainsi, dans les années 1960, la ville d’Edo va surtout être analysée en tant que centre politique, plaque tournante des échanges monétaires et comme lieu de culture et d’insurrections populaires. Ce n’est qu’à partir des années 1970, dans un contexte d’apparition de problèmes urbains liés à la déficience des infrastructures et à la pollution, que la Société de recherche sur les habitants d’Edo (Edo chōnin kenkyū kai) va se lancer dans la publication de la collection Edo chōnin no kenkyū (Recherches menées sur les habitants d’Edo) [20], suivie, en 1984, par une publication à visée interdisciplinaire, celle du Edo gaku jiten (Dictionnaire des études sur Edo) [21].
17Edo chōnin no kenkyū est une série d’ouvrages collectifs rassemblant des études relatives aux domaines de l’histoire institutionnelle, socio-économique et culturelle. Cependant, bien que ces historiens se présentent comme les pionniers d’une recherche authentique menée sur la ville d’Edo, les « habitants d’Edo » (Edo chōnin) qui sont au cœur de ces analyses, ne sont étudiés qu’au prisme de la « théorie du gosse d’Edo » (Edokko ron), qui consiste en une recherche des traits de caractère typiques des citadins d’Edo, et/ou en lien avec le développement du système de lutte contre les incendies au sein des quartiers de la ville [22]. Cette double perspective tend à mettre en avant les progrès économiques et culturels des citadins et va servir de socle à la construction d’une image d’Edo comme une ville (et une époque) heureuse, où il faisait bon vivre.
D’Edo à Tokyo
18Dans les années 1980, le gouvernement de Nakasone Yasuhiro qui s’était donné pour objectif d’accroître la demande domestique dans le cadre d’une économie globalisée, va se lancer dans une politique de renaissance urbaine visant à faire de Tokyo une « ville cosmopolite » (sekai toshi). Une vaste entreprise de rénovation de l’architecture et de mise en valeur des espaces va être menée sous l’égide du gouverneur de Tokyo, Suzuki Shun.ichi. C’est dans ce cadre que les projets My town Tōkyō kōsō (la conception de ma ville, Tokyo) et Tōkyō to chōki keikaku (la planification de Tokyo sur le long terme) [23] vont être créés et qu’un attrait particulier pour les vestiges de la ville d’Edo va voir le jour. On va alors assister à une redécouverte pluridisciplinaire d’une époque d’Edo étincelante ayant pour cadre l’ancienne cité éponyme, accompagnée d’un phénomène de marchandisation. Ce mouvement va être encouragé par l’introduction du postmodernisme dans le domaine des lettres et des sciences humaines. Tout en prenant progressivement conscience de la fin du millénaire, certains auteurs vont se mettre à rejeter la modernité et trouver refuge dans une époque prémoderne idéalisée, les amenant parfois à fuir la réalité contemporaine [24].
19Cependant, les théories modernistes effectuent en parallèle leur retour avec l’ouvrage d’Ōishi et Nakane, Edo jidai to kindaika (l’époque d’Edo et la modernisation) [25]. Le champ des études sur Edo va ainsi englober les recherches sur Tokyo [26], donnant naissance aux « études sur Edo et Tokyo » (Edo Tōkyō gaku) dans une perspective de continuité entre l’époque prémoderne et l’époque moderne. Les efforts du gouverneur Suzuki pour faire de Tokyo une ville cosmopolite vont être consacrés par l’ouverture, en 1993, du musée Edo-Tokyo. Néanmoins, il est important de souligner que ces mesures, tout en générant un attrait pour Edo et Tokyo, vont également précipiter la destruction de leur patrimoine dans le cadre de l’entreprise de rénovation urbaine de la capitale.
20Par ailleurs, après avoir dressé le « bilan général de la politique d’après-guerre », le gouvernement de Nakasone va ouvrir la voie au néo-conservatisme ainsi qu’au néolibéralisme et se lancer dans une réforme en profondeur de l’éducation, marquée par la révision de ses principes fondamentaux, la mise en place d’un conseil national de réforme éducative et l’adoption d’une politique de renforcement du nationalisme. L’engouement pour un passé lumineux incarné par l’époque d’Edo va se trouver associé aux revendications identitaires en tant que symbole d’une tradition purement japonaise dans un contexte de montée du nationalisme. Dans les années 1980, cette instrumentalisation d’Edo va donner naissance à des constructions purement fictives comme l’Edo shigusa, « gestuelle d’Edo », censé décrire la manière d’être typique des individus de cette époque. Le fait que l’Edo shigusa ait été érigé au rang de « tradition de référence » dans les manuels de morale est encore frais dans nos mémoires [27].
21Même s’il est certain que les représentations de la Belle Edo n’ont pas fait l’objet d’une opération de lancement comparable à celle de la propagande culturelle du Nihon bunka, « culture japonaise », symbolisée par le processus de mise en place du Centre international de recherche sur les études japonaises (Nichibunken), elles ont en définitive servi de soutien au nationalisme, en donnant naissance à une forme de « tradition » à laquelle se raccrocher dans un contexte de crise, marqué par les affres de la « décennie perdue » (kūhaku no jūnen), de la « perte de confiance » (jishin moshitsu) et par le basculement des tendances politiques vers la droite.
22Pour résumer, la construction de l’image positive d’Edo n’a pas été linéaire et son cheminement depuis Meiji a été marqué par une fluctuation dans la façon dont la modernité et l’époque qui l’a précédée ont été perçues au sein des courants de pensée dominants. Tout d’abord, on a pu observer une mise en avant de la période moderne au détriment de l’époque prémoderne chez les historiens de l’école de Shiba, influencés par le culte de l’ère Meiji dans les années 1960. S’en est suivi un rejet à la fois d’Edo et de Meiji par l’historiographie d’après-guerre, notamment dans le cadre du marxisme. Ensuite, on a assisté à une glorification des époques moderne et prémoderne sous l’influence de la marchandisation culturelle et des théories modernistes. Enfin l’époque d’Edo est mise en avant au détriment de la modernité, sous l’égide des anciens guerriers du shogunat, des mouvements nationalistes et des auteurs influencés par le postmodernisme [28].
L’utopie égalitaire
23Les représentations de la Belle Edo vont rapidement faire l’objet de critiques de la part de certains historiens. Si Koyano Atsushi semble cibler en particulier le travail de Saeki Junko dans son Edo gensō hihan (Critique du fantasme d’Edo) [29], cette critique s’adresse en réalité à l’ensemble des historiens gagnés à l’engouement pour Edo dans les années 1980. De la même façon, Okuno Takuji dénonce quant à lui la tendance à assimiler l’époque d’Edo à la ville d’Edo en mettant en avant l’importance de la culture du Kamigata (Kansai) [30]. Si la plupart des arguments présentés dans son ouvrage nous semblent irréfutables, en revanche sa conclusion nous paraît difficilement acceptable : en effet, en partant du postulat selon lequel la culture de l’époque d’Edo et sa réalité historique ne sont rien d’autre que le produit d’une différence d’appréciation générée par un angle d’approche variable, Okuno décrète qu’il n’existe en fin de compte pas de véritable culture d’Edo à proprement parler et qu’il est ainsi préférable que chacun la reconstitue individuellement et s’en fasse sa propre idée en se référant librement aux sources. Néanmoins, on aura beau encourager l’ouverture des sources au public, si ceux qui viennent les consulter sont conditionnés par les représentations de la Belle Edo, la reconstitution individuelle sera forcément biaisée. Dans la continuité de ce mouvement critique, le romancier Nagai Yoshio dénonce quant à lui les « représentations d’une Edo insouciante » (nōtenki na Edo zō) dans son ouvrage Hontō wa burakku na Edo jidai (Une époque d’Edo en vérité bien sombre [31]) en décrivant au contraire Edo comme cruelle et impitoyable.
24Cependant, ces différentes critiques ne s’étendent pas jusqu’au problème structurel inhérent à la manière de considérer Edo à l’heure actuelle. Dans le cadre de cette étude, nous aimerions mettre en lumière et dénoncer la valorisation non seulement excessive mais également unilatérale véhiculée par ces images positives d’Edo [32]. Parmi les représentations les plus célèbres de cette époque, on trouve celles ayant trait à la vie quotidienne du « peuple » (shomin) des arrières ruelles. Elles sont le plus souvent dépeintes sous un jour nostalgique dans le but d’épouser les attentes du public. Il convient ceci dit de garder à l’esprit que ces images ne sont que le produit d’un fantasme collectif prenant appui sur l’idéal d’une « société égalitaire » (ichi oku sō chūryū shakai) mis en place durant la période de haute croissance économique d’après-guerre.
25Par ailleurs, l’excessive valorisation de certains aspects, tels que la possibilité d’une ascension vers la classe guerrière pour les bourgeois et paysans le temps d’une génération, ou encore l’existence d’un brassage social au sein des salons culturels, aboutit en fin de compte à une minimisation, voire une négation des problèmes structurels liés au shogunat et au système statutaire prémoderne. D’un autre côté, les guerriers d’Edo, dépouillés de leur fougue au profit du « peuple », sont perçus comme des « fonctionnaires institutionnalisés » et identifiés aux employés de bureau (sararī man), lesquels seraient, selon un récit inventé de toutes pièces, les continuateurs du bushido dans la société actuelle. À l’inverse de ces élites au comportement codifié, on insiste sur la liberté individuelle des gens du peuple qui mènent une vie à leur guise et qui, en cas de difficulté, peuvent toujours compter sur « l’entraide des nagaya [33] ». Leurs standards culturels, forgés par le goût pour la lecture (encouragé par la progression du taux d’alphabétisation), pour le théâtre, et découlant également de l’existence d’une force créatrice qui s’exprime notamment à travers la littérature et l’art des jardins [34], de même que leur environnement de vie basé sur le recyclage, l’écologie et la symbiose avec la nature, sont plébiscités et présentés comme des modèles.
26Cependant, cette vision du peuple d’Edo n’est rien d’autre qu’une utopie découlant d’un désir de fuite vers le passé généré ces dernières années par une société dépourvue de perspectives réjouissantes, immergée dans un contexte de stagnation économique et de problèmes environnementaux. Par ailleurs, il semble possible de dire que l’avènement de ces « traditions » populaires bienheureuses qui ne laissent entrevoir aucune contradiction arrive à point nommé pour l’État-nation : cette fascination pour un passé aussi lointain que révolu dont seuls les aspects positifs nous sont présentés encourage la population, obnubilée par l’histoire fictive qui lui est contée, à se détourner des problématiques actuelles (écarts de fortune, discrimination, modifications de l’environnement, etc.) alors même que les difficultés que connaît la société d’aujourd’hui étaient déjà largement présentes à l’époque d’Edo.
27À l’occasion de la sortie du manga Sanchōme no yūhi (Le Crépuscule du troisième bloc) [35] et de son adaptation à l’écran, ces dernières décennies ont vu affleurer un « engouement rétrospectif pour l’ère Shōwa » (shōwa retoro), magnifiant la période de haute croissance économique, et visant à susciter un sentiment de nostalgie chez les personnes âgées, tout en présentant aux jeunes générations les succès expérimentés par le Japon à cette période. La nostalgie inspirée par cette vision rétrospective de l’ère Shōwa, celle d’un temps où l’on se dirigeait avec ardeur vers un futur plein de promesses, ainsi que la naissance des représentations de la Belle Edo constituent un seul et même problème : elles découlent toutes deux d’une idéalisation du passé soutenue par la marchandisation historique et prenant place dans un contexte de crise économique et environnementale [36].
La transformation du patrimoine culturel en ressource touristique
28Nous allons nous intéresser ici à l’instrumentalisation de l’image de la « Belle Edo » dans le cadre de la politique économique du Japon ainsi qu’à la transformation du patrimoine culturel en ressource touristique. Après la rupture de la bulle économique en 1991, le Japon entre dans une phase de stagnation appelée les « deux décennies perdues » (ushinawareta nijū nen). Pour remédier à cela, le gouvernement va proclamer une stratégie de « développement national orienté vers les sciences et technologies » (kagaku gijutsu rikkoku), suivie par l’adoption de la « loi fondamentale sur les sciences et technologies » (kagaku gijutsu kihon hō) en 1995. Le but de cette politique était de permettre au Japon, un territoire étroit et de surcroit pauvre en ressources naturelles, de pouvoir l’emporter sur les autres nations sur le plan des connaissances intellectuelles. En somme, se montrer compétitif dans le domaine des sciences et technologies était, aux yeux des dirigeants, le seul et unique moyen pour que le Japon demeure un pays de premier plan sur l’échiquier mondial [37].
29Cependant, ce nouveau développement technologique va commencer à stagner à partir des années 2000, et le Japon va se faire devancer par la Chine, qui va prendre la tête des pays émergents en matière d’avancées scientifiques et technologiques [38]. Face à cet échec, le gouvernement va être contraint d’adopter une nouvelle stratégie. En 2001, il décrète la mise en place d’une politique de « développement national orienté vers la culture et les arts » (Bunka geijutsu rikkoku) qui va se matérialiser tout d’abord par la promulgation des « principes fondamentaux pour la promotion culturelle et artistique » (bunka geijutsu shinkō kihon hō) puis par l’adoption de la stratégie du « Cool Japan », imitation du « Cool Britannia » anglais.
30Le bunka geijutsu rikkoku puise son inspiration dans l’idéal d’une société arrivée à maturité mais s’inscrit avant tout dans une manœuvre politique inspirée par la stratégie de « développement national orienté vers les sciences et technologies » avec pour objectif le redressement économique du Japon au moyen d’une force pacifique, un soft power incarné par la culture [39]. Le « Cool Japan » reprend les mêmes principes dans un but purement économique, celui d’une marchandisation massive de la culture. Ce qui a été désigné comme « traditionnel » est engagé aux côtés de « l’actuel », représenté par les sous-cultures et technologies de pointe, dans le cadre de la « restructuration d’une identité à caractère purement national » incarnée par la culture japonaise. En ce sens on peut dire que ce « traditionnel » inventé a largement contribué à la formation du « marketing national » (burando nashonarizumu) [40].
31Cette politique gouvernementale va s’intensifier à l’approche des Jeux olympiques de 2020, précipitant la transformation du patrimoine culturel en ressource touristique. En juin 2017, le Conseil ministériel promulgue les « principes fondamentaux de gestion et de réforme de l’économie et des finances publiques 2017 [41] ». Il décrète notamment l’adoption d’une « stratégie culturelle et économique » (bunka keizai senryaku, appellation provisoire) et déclare encourager le « développement d’un patrimoine culturel lucratif en tant que mesure visant à la création et l’extension d’un nouveau marché porteur, destiné à accélérer la croissance [42] ». Il affirme également avoir pour » projet le renforcement des attributions de l’Agence des affaires culturelles afin de répondre aux besoins des nouvelles mesures politiques [43] ». De son côté, l’Agence des affaires culturelles (Bunkachō) a encouragé l’application de cette politique gouvernementale au sein des sociétés locales dans le cadre du « projet fondamental pour l’histoire et la culture » (rekishi bunka kihon kōsō) et de « l’entreprise de promotion de l’héritage japonais » (nihon isan jigyō).
32Le « projet fondamental pour l’histoire et la culture » a été proposé en 2007 par l’Agence des affaires culturelles ; il s’agit d’une mesure politique visant à saisir le patrimoine culturel du Japon dans son intégralité, qu’il soit ou non reconnu comme tel, afin de le mettre à profit. Les termes rekishi et bunka ne désignent pas seulement le patrimoine culturel en tant que tel. Ils comprennent aussi l’environnement naturel et les paysages alentours, les actions des individus qui œuvrent pour ce patrimoine, les techniques permettant sa conservation et sa transmission. Ce projet se matérialise par la délimitation de « zones de conservation et de dynamisation de l’histoire et de la culture » (rekishi bunka hozon katsuyō kuiki) essentielles à la préservation d’un environnement historique de « valeur ». Ces zones sont centrées sur un patrimoine ayant fait l’objet d’une reconnaissance et formant un tout avec son cadre et les individus et techniques nécessaires à sa préservation. Il s’exprime également par la mise en place de mesures d’accompagnement et d’aménagements visant à la protection, au contrôle et à la mise en valeur des espaces définis, amenant les collectivités locales à adopter des plans d’action dans le but de répondre aux exigences de ce projet gouvernemental. Yoshida Masahiro a d’emblée fait remarquer que cette entreprise de protection du patrimoine et de mise en valeur en tant qu’héritage historique régional sollicite la participation active des responsables du patrimoine culturel des collectivités locales, mais également de fonctionnaires d’autres services (comme ceux de l’édition, de l’éducation, etc.) et de surcroit celle des associations citoyennes [44].
33« L’entreprise de promotion de l’héritage japonais » a quant à elle débuté en 2015. Son objectif est la création d’un ensemble regroupant tous les biens culturels du pays via l’élaboration d’une histoire commune dépeignant la culture et les traditions propres au Japon, tout en mettant en avant les charmes et particularités régionales ; grâce à cette planification active de la mise en valeur du patrimoine culturel, les promoteurs espèrent encourager le développement de nouveaux circuits touristiques, avec pour objectif de lier cette entreprise de patrimonialisation à la politique de redynamisation des régions [45].
34En parallèle, l’Agence des affaires culturelles a également apporté des changements dans « la loi de protection du patrimoine culturel » (bunka hogo hō), législation constituant le fondement de la politique de conservation du patrimoine national (nihon bunka zai). Elle a tout d’abord ordonné la mise en place d’un « programme local de conservation et de mise en valeur du patrimoine culturel » (bunka zai hozon katsuyō chiiki keikaku) au sein des municipalités ainsi que la création de groupes citoyens chargés de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine culturel (bunka zai hozon katsuyō dantai) amenés à prendre part aux discussions concernant l’application de ce programme et les modifications à y apporter.
35Selon nous, ces modifications ne sont que des ajouts au contenu du « projet fondamental pour l’histoire et la culture » aboutissant à une reconnaissance de « l’héritage japonais » en tant que modèle de marchandisation culturelle. Par ailleurs, ces changements ont permis aux dirigeants des municipalités de prendre en charge de manière directe l’administration des biens culturels relevant de leur juridiction. Cela signifie également que les habitants des municipalités, en tant que vecteurs de la promotion régionale et touristique par le biais des groupes citoyens placés sous l’égide des élus, bénéficient désormais de la possibilité de mettre en valeur eux-mêmes leur patrimoine historique [46].
36Il va sans dire que la mise en valeur du patrimoine culturel est toute aussi primordiale que sa préservation. Cependant, le fait de promouvoir le tourisme dans l’unique but d’en tirer un profit économique aboutit généralement à une mise en valeur partielle et unilatérale générant des effets négatifs. Le patrimoine mondial de l’UNESCO a encouragé un « tourisme culturel » dirigé vers le profit avec pour objectif le développement économique et la prise en charge autonome, en particulier dans les pays pauvres, de la conservation du patrimoine culturel. Pourtant, dès la mise en place de ce système, des problèmes nouveaux, liés aux transformations culturelles et à la pollution engendrées par le tourisme ont fait leur apparition, affectant aussi bien la conservation du patrimoine que le quotidien des collectivités locales [47]. La transformation du patrimoine culturel japonais en ressource touristique comporte évidemment les mêmes enjeux, étant une imitation de la politique menée par l’UNESCO [48].
37À ce sujet, certains anthropologues estiment que les transformations culturelles induites par le tourisme, comme par exemple le développement des « arts touristiques » ou des « arts d’aéroport » (kankō geijutsu, kūkō geijutsu) spécialement conçus pour les voyageurs, sont le fruit d’un choix délibéré de la part des communautés locales et que ces modifications et apports sont générateurs de nouvelles formes culturelles [49]. Certes, mais ce qui nous pose problème dans le cadre de cette marchandisation de l’histoire qui se fait au travers du tourisme culturel, c’est avant tout le fait que soit mis en valeur exclusivement l’héritage susceptible de devenir par la suite une ressource touristique. Ce faisant, on court effectivement le risque de voir la valeur du patrimoine culturel estimée non plus par rapport à son contenu, mais par rapport à son efficacité économique, en somme sa capacité à être marchandisé. En outre, dans la majorité des municipalités, le budget et la main d’œuvre affectés à la gestion du patrimoine sont insuffisants, générant une tendance à se focaliser uniquement sur ce qui a été choisi et à délaisser complètement le reste, sans même se soucier de sa conservation. Dans ces conditions, il semble pertinent de se demander si cette politique initiée par le gouvernement, au lieu de permettre la découverte et l’étude de nouveaux biens culturels, ne nous conduirait pas plutôt vers une surexploitation d’un patrimoine culturel marchandisé.
38Une autre conséquence de la transformation du patrimoine en ressource touristique commercialisable est la tendance à présenter les éléments choisis sous leur jour le plus étincelant. Ainsi, tout comme on a choisi de passer sous silence les aspects négatifs de la modernité japonaise dans le but d’en brosser un portrait de réussite idéalisé, c’est le récit d’une société dépourvue de contradictions, en accord avec ses principes et son environnement, qui est accolé à Edo par le biais des images idylliques qui sont aujourd’hui marchandisées.
39À l’heure de ces modifications d’ampleur du système de conservation et de mise en valeur du patrimoine culturel, avec pour objectif sa transformation en héritage national dans le but d’alimenter le tourisme culturel, il paraît nécessaire de se demander quelle sera la place accordée aux professionnels et scientifiques (historiens, sociologues, anthropologues, etc.) au sein de cette nouvelle organisation.
« La Belle Edo », le tourisme et la mise en place d’un « district des ressources culturelles de Tokyo »
40En lien direct avec cette mise en valeur touristique du patrimoine aux couleurs de la « Belle Edo » se trouve le projet de création d’un « district des ressources culturelles de Tokyo » (Tōkyō bunka shigen ku). Sa réalisation s’inscrit au cœur d’un vaste programme répondant aux objectifs du Comité olympique international qui souhaite placer les Jeux olympiques de 2020 sous le signe de « l’héritage » (legacy) [50]. Le « rapport final » du « projet de mise en place d’un district des ressources culturelles de Tokyo » (Tōkyō bunka shigen-ku kōsō) a été réalisé en 2015 sous l’égide d’un comité décisionnel éponyme. Formé en juin 2014, il se compose « d’exécutants volontaires, professionnels de différents domaines provenant du gouvernement, du ministère du Territoire, des Infrastructures, des Transports et du Tourisme, de l’Agence des affaires culturelles, de diverses universités, organismes de recherche publics, entreprises, etc. ». En février 2015, une extension de ce comité a été institutionnalisée sous la forme d’un Conseil des ressources culturelles de Tokyo (Tōkyō bunka shigen kaigi), formé par des experts. Il poursuit actuellement ses activités visant à promouvoir le « projet [51] » et est à l’origine de deux manifestes : Réfléchir sur TOKYO 1/4 : le programme culturel des Jeux olympiques [52], et la Proposition de marche à suivre par TOKYO 1/4 en vue de l’établissement d’un district des ressources culturelles de Tokyo : de la culture d’Edo à la pop culture [53].
41Selon le descriptif du « projet », nous vivons à l’heure actuelle dans « un monde globalisé au sein duquel les différentes villes se mesurent les unes aux autres au moyen de leurs traditions historiques et de leurs créations culturelles ». Bien que Tokyo aie pris du retard dans cette compétition, les instigateurs du « projet » affirment qu’il lui sera possible de se remettre en course si elle parvient à tirer profit de l’occasion fournie par la tenue des Jeux olympiques de 2020 [54]. Afin de justifier l’implantation géographique de ce district culturel, le descriptif du « projet » met en avant l’inégal développement de Tokyo, dont la partie sud aurait fait l’objet d’une mise en valeur au moment des Jeux olympiques de 1964 puis de la bulle économique, alors que le nord aurait été laissé pour compte. Or, c’est justement au nord de la ville que se concentrerait « la majeure partie des ressources culturelles accumulées depuis des centaines d’années au sein de Tokyo ». C’est la raison pour laquelle, selon les instigateurs du « projet », c’est cette zone qui doit être au cœur de l’entreprise de création du « district des ressources culturelles [55] ».
42Par ailleurs, dans le contexte de soutien international à la tenue des Jeux olympiques de Tokyo, le Japon peut s’attendre à un déferlement de touristes sans précédent : il s’agit donc du moment idéal pour attirer les étrangers dans cette partie de la ville qui constitue de surcroit une « zone de contact entre Tokyo et le nord-est du pays ». En effet, l’idée des planificateurs est de faire de ce district culturel un lieu de jonction entre « l’avenir de Tokyo et celui du nord-est » (en faisant bénéficier les régions périphériques du rayonnement acquis par cette zone) et également d’en faire le point de départ d’une expansion du tourisme vers le nord du pays [56].
43Dans une analyse intitulée « Création d’un programme de mise en valeur de la diversité des ressources culturelles », le secrétaire en chef du Conseil, Yanagi Yoshio, opère un classement des particularités présentes au sein de la zone ciblée [57] :
- La diversité temporelle, qui s’exprime par un héritage culturel allant de l’époque d’Edo à la période moderne (ères Meiji, Taishō et début Shōwa) et se prolongeant jusqu’à nos jours.
- La diversité spatiale, avec la présence au sein d’un même espace d’un enchevêtrement de cultures provenant, d’une part, des différentes régions du Japon, et introduites grâce à la mise en circulation des biens à l’échelle du pays et au système des résidences alternées (sankin kōtai) [58], et d’autre part de l’étranger, avec tout d’abord la réception de la culture d’Asie orientale venue de Chine et de Corée, puis de la culture occidentale, importée massivement à partir de Meiji.
- La diversité locale, avec des ressources culturelles propres à chaque quartier du périmètre ciblé : la culture de l’édition et du livre à Jinbōchō, la pop culture à Akihabara, la culture religieuse et spirituelle à Yushima, la culture artistique à Ueno, la culture de la vie quotidienne à Yanaka, Nezu, Sendagi, Negishi, la culture du savoir à Hongō et Surugadai [59].
- L’important degré de convergence de ces diversités culturelles, rassemblées dans un rayon d’environ deux kilomètres prenant pour centre le sanctuaire Yushima Tenjin.
45Yanagi conclut son chapitre avec l’annonce de la mise en place de quatre programmes : « le programme culturel, le programme environnemental qui soutient la réalisation du précédent sur les aspects techniques et institutionnels, le programme local, mis en œuvre par les responsables de chaque localité et les organisations affiliées, et la Biennale de Tokyo (appellation provisoire), synthèse de ces trois projets, dont la tenue est prévue tous les deux ans à partir de 2020 [60]. »
46Le « projet » n’a été mis en application de manière effective que tout récemment, en vue de la Biennale de 2020, constituant la deuxième étape du processus. Nous sommes donc bien conscients que son contenu est encore en phase d’examen au sein des différents comités de section ; néanmoins, nous aimerions d’ores et déjà en commenter les points essentiels et également soulever quelques problèmes.
47Tout d’abord, il convient de rappeler que l’idée de « compétition entre les villes du monde » est une formulation qui découle d’une stratégie adoptée en mai 2010 par le ministère du Territoire, des Infrastructures, des Transports et du Tourisme (Kokudokōtsū-shō) dans l’unique but de susciter une nouvelle croissance économique. Adoptée en juillet 2015 et s’inscrivant dans cette continuité, la « stratégie des grandes métropoles » (daitoshi senryaku) met en avant « l’histoire, la culture et le terroir [61] » comme les éléments décisifs de la bataille tout en prenant pour centre l’aire culturelle du Kansai.
48Par ailleurs, en collaboration étroite avec l’Agence du tourisme (Kankōchō), le ministère a adopté une politique visant à la « promotion du tourisme venu de l’extérieur » dont les enjeux majeurs sont la « captation de la demande du tourisme international dans le but de restaurer une économie puissante » et « l’affermissement de la place du Japon dans la société internationale ». Pour ce faire, le ministère souligne la nécessité de « mettre en place un pays ouvert sur le monde et une société locale dynamique en tirant profit de la conjoncture favorable générée par la tenue des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo » en arguant que « l’établissement d’une nation orientée vers le tourisme doit être le but poursuivi à l’heure actuelle » [62].
49Au regard de ces éléments, il semble clair que le « projet » a vu le jour dans le but de soutenir la politique économique et urbaine menée au sein des différents ministères [63]. Étant donné les moyens mis en œuvre pour le développer, on peut naturellement s’attendre à un condensé de résultats. Néanmoins, le choix des jalons temporels ainsi que la délimitation de l’espace suscitent une certaine perplexité.
50Premièrement, il existe un flou au sujet de la période ciblée : si les deux manifestes du Conseil prennent pour jalon de départ « l’avènement du bakufu d’Edo » en 1603, les règlements font en revanche état du bakumatsu [64]. Or, si l’on souhaite mettre en avant un tant soit peu le « caractère d’Edo » (Edo kishitsu) tel qu’il apparaît à travers le système des résidences alternées ou le festival de Kanda, le minimum est selon nous d’inclure l’ensemble de la période dans le projet. En outre, la proposition du bakumatsu comme point de départ indique que les auteurs du « projet » considèrent que l’histoire de Tokyo débute après la chute du shogunat d’Edo, c’est-à-dire au moment où la capitale a changé de nom, ce qui est un grave problème de perception [65]. D’une manière générale on ne peut donc s’empêcher de ressentir une certaine insouciance de la part des instigateurs du « projet » notamment au niveau de la temporalité. Ensuite, comme nous l’avons évoqué, le choix de l’espace a été justifié par le fait que cette zone n’a pas été touchée par le vaste projet d’urbanisme et de mise en valeur du territoire opéré dans le sud de la ville et qu’il y demeurerait de fait un grand nombre de paysages historiques et de ressources culturelles intactes. Cependant, le fait que le nord de Tokyo concentre une quantité importante de vestiges historiques ne veut pas nécessairement dire qu’il n’en demeure pas ailleurs. En outre, désigner ainsi le nord de Tokyo comme riche en vestiges historiques ne manquera pas de donner un blanc-seing aux promoteurs du développement urbain dans les autres parties de la ville. Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’il existe des espaces dénués de caractère historique au sein même de la zone ciblée.
51Au regard de ces éléments, il est clair que ce périmètre a été constitué avant tout à des fins touristiques, sous la forme d’une zone de promenade d’un rayon de deux kilomètres, délimitée au nord par Iriya, la ville basse (shitamachi), et au sud par Akihabara, emblème de la pop culture, dans le but d’y incorporer des éléments tels que la « forêt d’Ueno [66] », les quartiers représentatifs de la culture populaire que sont Yanaka, Nezu et Sendagi (Yanesen), Kanda et son festival, ainsi que différentes universités.
52À ce stade, il nous semble pertinent de prendre appui sur la critique que nous avons formulée dans un précédent travail concernant l’espace ciblé dans le cadre des différentes étapes de ce projet :
Dans cette ville bâtie sur un enchevêtrement de rapports sociaux généré par la cohabitation entre différentes instances de pouvoir (équipements administratifs du bakufu, manoirs guerriers, temples et sanctuaires, etc.) et d’importants acteurs sociaux (grands marchands, etc.) [67], il est difficile de déterminer précisément quelle période cibler ou encore quelle zone écarter. Cependant, l’exclusion d’Asakusa, de Yoshiwara et de Senjū constitue selon nous un grave problème. Certes, le rejet des zones autrefois dévolues aux populations discriminées, à la prostitution et aux exécutions permet d’éloigner les problématiques liées au genre et au fonctionnement du système statutaire, mais d’un autre côté, il ne faut pas oublier qu’il existe parmi ces lieux condamnés à disparaître de notre champ de vision, des espaces dont l’importance historique est capitale. C’est le cas, par exemple, de Senjū qui incarnait à l’époque prémoderne un point de contact majeur avec le nord-est du pays en tant que station-étape (shukuba) située sur la route Ōshū reliant Edo à Fukushima, et qui fut également le cadre d’élaboration du Kaitai shinsho (nouveau traité d’anatomie) par les savants des études hollandaises (rangaku) [68].
En somme, force est de constater que les auteurs du « projet » s’emploient avant tout à définir un périmètre et des jalons temporels qui les arrangent sans s’embarrasser de précision et d’une logique d’ensemble, dans le but de présenter aux visiteurs un récit qui les satisfasse, purgé des éléments jugés comme inutiles ou embarrassants. Cette attitude est selon nous la résultante de l’absence de chercheurs en histoire japonaise parmi les membres du comité décisionnel et de leur effectif extrêmement restreint parmi ceux du Conseil. Le projet est encore en cours de discussion au sein des différentes instances mais il présente d’ores et déjà un problème fondamental qui n’est autre que celui de la mise en place de ce périmètre d’un rayon de deux kilomètres [69].
55Il est certes prévu par la suite d’agrandir ce rayon à trois kilomètres dans le but d’y incorporer le quartier de « divertissement » d’Asakusa au nord-est, ainsi qu’une bande sud-ouest qui s’étendrait jusqu’au palais impérial. Cependant, nous n’avons aucune idée de ce que les instigateurs du projet comptent faire de lieux comme Yoshiwara, l’ancien quartier de prostitution officiel, ou encore des hameaux discriminés d’Asakusa censés être inclus dans ce nouveau périmètre touristique. Par ailleurs, le rattachement du palais impérial a été proposé uniquement parce qu’une organisation ayant pour objectif la reconstruction du donjon consumé dans un incendie est venue se joindre au projet. On peut donc dire que la distinction entre le patrimoine qui va faire l’objet d’une marchandisation et celui qui va être mis de côté se dessine encore plus nettement au sein de ce périmètre élargi.
56Intéressons-nous désormais à la manière dont les instigateurs du « projet » appréhendent Tokyo et sa culture :
Tokyo/Edo était déjà la plus grande ville du monde au xviie siècle. Il s’agit d’une cité aux multiples facettes culturelles où se rassemblaient des individus venus des différentes provinces par le biais du système des résidences alternées. Elle a servi de cadre à l’épanouissement d’une culture urbaine cosmopolite de « niveau mondial », qui va des « estampes du monde flottant » (ukiyo-e) aux haïkus, en passant par les études hollandaises. Elle incarne également le berceau de la modernité japonaise. En outre, à partir de Meiji, la ville a atteint un accomplissement culturel lui permettant de rivaliser haut la main avec l’Occident, que ce soit dans les domaines de l’architecture, de la peinture, de la littérature ou du cinéma [70].
58Afin de compléter cette perception, nous nous sommes référés au contenu du projet « Vision culturelle de Tokyo » actuellement mené par la préfecture de Tokyo [71]. On y trouve l’idée que « à partir de l’époque d’Edo, les allées et venues des populations vont permettre la réception et le développement au sein de la ville d’une grande variété de pratiques artistiques et culturelles qui vont s’ajouter à une culture préexistante fondée sur l’esprit du Japon ancien [72]. »
59Cette vision de Tokyo s’inspire clairement des théories modernistes. De plus, même si le sankin kōtai et le déferlement d’individus venus de toutes les provinces constituent une réalité indéniable, les concepts d’« esprit du Japon ancien » ou encore de « niveau mondial » mériteraient selon nous d’être éclaircis. De la même façon, Edo peut difficilement être qualifiée de ville cosmopolite à une époque où le gouvernement mène de front une politique à caractère isolationniste. Par ailleurs, confrontés au problème du « lien » entre ces différentes « ressources », les responsables misent beaucoup sur le développement des outils de communication via internet ou les réseaux sociaux. Mais le résultat truffé de contradictions et d’imprécisions que l’on obtient n’est que la conséquence logique des choix orientés effectués en amont, et du fait d’avoir cherché à faire entrer tant bien que mal les éléments retenus à l’intérieur d’un espace ad hoc en les habillant d’un récit incertain. Même si ces éléments se trouvent réunis dans un « catalogue » consultable sur l’écran de notre téléphone, ils ne sauraient posséder la moindre cohérence, et, à moins qu’ils ne soient des historiens rompus à l’analyse des sources, les touristes risquent fortement de reproduire à leur tour un récit équivoque du même acabit [73].
Conclusion : par-delà « la Belle Edo »
60Notre étude a démontré que le phénomène de marchandisation de l’histoire se poursuit actuellement au Japon sous l’égide de l’État, et présente deux problèmes majeurs. Tout d’abord le mauvais usage du patrimoine culturel par le gouvernement et les communautés locales. Ensuite, la glorification d’un passé simple voire simpliste, réputé « authentique » et dépourvu de contradictions. Ceci est également lié à la question du « nationalisme culturel » qu’on voit se manifester en Angleterre à travers « l’industrie du patrimoine [74] ».
61Le nationalisme culturel est un phénomène qui apparaît lorsque l’identité culturelle de la nation se trouve déstabilisée. Il se manifeste par des actions visant à restaurer une communauté nationale à travers la création, le maintien et/ou le renforcement des pratiques culturelles. Selon Yoshino Kōsaku, en Angleterre, au moment de la réaffirmation des particularités du peuple anglais et de sa culture en réaction contre le « mal anglais » durant les années 1970, la privatisation croissante de la gestion de l’héritage a conduit le système culturel qui dépendait jusque-là entièrement des subsides de l’État (y compris pour les musées) à transformer le passé en marchandise. L’héritage a ainsi commencé à être produit en lieu et place des biens manufacturés, en tant que composante de l’industrie touristique [75].
62La valeur marchande attribuée à l’héritage culturel dans le cadre de « l’industrie du patrimoine » se mesure à l’aune de sa capacité à susciter la nostalgie. Cette dernière est une réponse à un sentiment de crise amenant la société à puiser dans le passé certains éléments commodes et à les convertir en un heritage inoffensif, expurgé des problèmes tels que la pauvreté, les inégalités sociales, la discrimination ou encore la destruction de l’environnement. Ainsi, la société de consommation actuelle promeut une identité ethnique à travers l’invention de la tradition opérée dans le cadre de « l’industrie du patrimoine ».
63Yoshino qualifie de « néohistoricisme » (shin rekishi shugi) « les procédés visant à maintenir et encourager le sentiment de continuité avec le passé, constitutif de l’identité nationale, via la création d’un héritage au sein de notre société de consommation en pleine mondialisation [76] ». À nos yeux, le Japon d’aujourd’hui se situe tout à fait dans cette optique.
64Le critique littéraire Ishikawa Yoshimasa a manifesté son inquiétude par rapport au devenir de l’architecture et des paysages de Tokyo en reprenant les concepts de bigness et de generic city énoncés par l’architecte néerlandais Rem Koolhaas. Celui-ci désigne par-là des bâtiments ayant perdu tout lien avec la ville de par leur immensité ainsi que des villes dépossédées de leur identité à force d’être le réceptacle d’un flot ininterrompu d’habitants [77]. Ishikawa souligne le risque de voir toujours plus de gratte-ciels s’élever autour des bâtiments historiques de moins de deux étages. Ce en vertu du système de « transfert du coefficient d’occupation de l’espace » (yōseki ritsu iten) qui permet, afin de les protéger d’une destruction engendrée par l’urbanisation croissante, la vente de l’espace qui se trouve au-dessus de ces bâtiments et qui ne correspond ni à leur terrain ni à leur surface d’occupation. Le critique exprime aussi ses craintes à l’idée que ces bâtiments anciens s’alignent sur les zones de façadisme tapissant la generic city. Ils risqueraient alors de devenir « des lieux en apparence préservés mais en vérité complètement transformés, où le passé nous apparaît plus lointain que jamais, comme si l’on regardait dans un télescope par le mauvais côté [78] ». Ishikawa considère également que pour être en mesure de mettre en vente un espace qui n’est que du vide, il est nécessaire de pouvoir s’appuyer sur une culture et des paysages fantasmés. Selon lui, le nationalisme constitue l’un des plus puissants fantasmes. Ainsi, on attend du peuple japonais, en tant que citoyens d’une nation orientée vers le tourisme, qu’il se comporte comme s’il était le dépositaire de traditions ancestrales, et ce faisant la « japonité » (nihon rashisa) est réinterprétée comme un simple prétexte au divertissement des touristes [79]. Selon nous, Tokyo (voire le Japon) qui se prépare à accueillir les Jeux olympiques, se trouve bel et bien dans une situation où le nationalisme encouragé par l’industrie du patrimoine évoqué par Yoshino, est en cours d’infiltration. Comme l’a souligné Ishikawa, à force de sélectionner des patrimoines et des lieux dignes d’être marchandisés, et d’inventer des histoires présentées comme de véritables traditions, les seules choses qui subsisteront seront celles qui auront été dépossédées de tout caractère historique. Ce faisant, les résidents de ce pays transformé en espace touristique ne risquent-ils pas d’offrir en spectacle aux visiteurs un comportement conforme aux impératifs de cette nouvelle « tradition » ? Cela reviendrait à alimenter le nationalisme d’un Japon fantasmé.
65La notion de legacy prônée par le comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques, insiste « sur l’importance capitale d’une prise de conscience par les Japonais des vertus de leur propre culture et sur la nécessité de transmettre cette conscience via l’éducation ». C’est donc un héritage qui se manifeste culturellement et à travers l’éducation puisqu’il passe non seulement par la réappropriation de « l’esprit japonais » (wa no seishin) mais aussi par sa transmission aux générations futures [80]. Le « projet de mise en place du district des ressources culturelles de Tokyo » incarne donc le modèle parfait de ce legacy. Au regard du fait que le Conseil du patrimoine culturel de Tokyo réclame le « développement d’un circuit touristique pouvant servir de modèle en matière de tourisme culturel », il semble bien que le « projet fondamental pour l’histoire et la culture » mis en application par les collectivités locales n’est pas sans lien avec les problèmes évoqués ci-dessus [81].
66Le 16 avril 2017, l’ancien Ministre de la Lutte contre le déclin de la population et la Revitalisation de l’économie locale attaché au Bureau du cabinet, Yamamoto Kōzō a déclaré que « les conservateurs de musées sont un cancer » dans le cadre de l’entreprise de mise en valeur du patrimoine et de sa marchandisation [82]. Face à une telle vision de la situation par le pouvoir politique, je pense qu’il incombe aux historiens de dépeindre avec le plus de précision possible, et à partir de différents types de sources, le véritable visage de la société passée ou présente, avec ses multiples problèmes et contradictions [83].
Glossaire
67Akihabara 秋葉原
68Asakusa 浅草
69Asakusa shitamachi bunka shigen 浅草下町文化資源
70Atago Green Hills forest tower 愛宕グリーンヒルズフォレストタワー
71Bakumatsu 幕末
72Beikoku shumi 米国趣味
73Bunka 文化
74Bunkachō 文化庁
75Bunka geijutsu rikkoku 文化芸術立国
76Bunka geijutsu shinkō kihon hō 文化芸術振興基本法
77Bunka hogo hō 文化財保護法
78Bunka keizai senryaku 文化経済戦略
79Bunka zai hozon katsuyō chiiki keikaku 文化財保存活用地域計画
80Bunka zai hozon katsuyō dantai 文化財保存活用団体
81Bunmei kaika 文明開化
82Bunsei 文政
83Burando nashonarizumu ブランド・ナショナリズム
84Bushi 武士
85Daitoshi senryaku 大都市戦略
86Dentō bunka 伝統文化
87Dōhōkai 同方會
88Edo butai 江戸舞台
89Edo chōnin 江戸町人
90Edo chōnin kenkyū kai 江戸町人研究会
91Edo kishitsu 江戸気質
92Edokko ron 江戸ッ子論
93Edo koji 江戸小路
94Edo shigusa 江戸しぐさ
95Edo shumi 江戸趣味
96Edo shumi kenkyū kai 江戸趣味研究会
97Edo Tōkyō gaku 江戸東京学
98Fukushima 福島
99Genroku 元禄
100Genroku kai 元禄会
101Heishi 兵士
102Hongō 本郷
103Hōreki 宝暦
104Ichi oku sō chūryū shakai 一億総中流社会
105Iriya 入谷
106Iwayuru Edo shumi 所謂江戸趣味
107Jinbōchō 神保町
108Jishin moshitsu 自信喪失
109Kagaku gijutsu kihon hō 「科学技術基本法」
110Kagaku gijutsu rikkoku 「科学技術立国」
111Kamigata 上方
112Kanda 神田
113Kankōchō 観光庁
114Kankō geijutsu 観光芸術
115Kasegu bunka zai 稼ぐ文化財
116Kasei bunka 化政文化
117Keizai zaisei un.ei to kaikaku no kihon hōshin nisen jūnana 経済財政運営と改革の基本方針2017
118Kenyūsha 硯友社
119Kokubungaku 国文学
120Kokudokōtsū shō 国土交通省
121Kōkyū bunka 高級文化
122Kūhaku no jūnen 空白の十年
123Kūkō geijutsu 空港芸術
124Matsuo Bashō 松尾芭蕉
125Meiji no bushido 明治の武士道
126Meiji shumi 明治趣味
127Mitamura Engyo 三田村鳶魚
128Mitsukoshi 三越
129Mō hitotsu no dentō もう一つの伝統
130My town Tōkyō kōsō マイタウン東京構想
131Nagai Kafū 永井荷風
132Nagaya 長屋
133Nakasone Yasuhiro 中曽根康弘
134Negishi 根岸
135Negishitō 根岸党
136Nezu 根津
137Nichibunken 日文研
138Nihonbashi 日本橋
139Nihon bunka 日本文化
140Nihon bunka zai 日本文化財
141Nihon isan jigyō 「日本遺産事業」
142Nihon rashisa 日本らしさ
143Nishiki-e 錦絵
144Nōtenki na Edo zō 能天気な江戸像
145Ogata Kōrin 尾形光琳
146Ōshū (route) 奥州
147Ozaki Kōyō 尾崎紅葉
148Paburikku hisutorī kenkyūkai パブリックヒストリー研究会
149Pan no kai パンの会
150Pari shumi 巴里趣味
151Poppu karuchā ポップカルチャー
152Rangaku 蘭学
153Rekishi bunka hozon katsuyō kuiki 歴史文化保存活用区域
154Rekishi bunka kihon kōsō 歴史文化基本構想
155Rimpa 琳派
156Saeki Junko 佐伯順子
157Sakai Hōitsu 酒井抱一
158Sakoku 鎖国
159Sankin kōtai 参勤交代
160Sararī man サラリーマン
161Sekai suijun 世界水準
162Sekai toshi 世界都市
163Sendagi 千駄木
164Senjū 千住
165Senryū 川柳
166Shiawase na edo zō 幸せな江戸像
167Shiba Ryōtarō 司馬遼太郎
168Shiba shikan 司馬史観
169Shimin bunka shigen 市民文化資源
170Shin rekishi shugi 新歴史主義
171Shirokiya 白木屋
172Shitamachi 下町
173Shomin 庶民
174Shomin bunka 庶民文化
175Shōhin 商品
176Shōwa 昭和
177Shōwa retoro 昭和レトロ
178Shūkokai 集古会
179Shukuba 宿場
180Surugadai 駿河台
181Suzuki Shun.ichi 鈴木俊一
182Tanuma 田沼
183Teikyū bunka 低級文化
184Tenmei 天明
185Togawa Zanka 戸川残花
186Tōkyō bunka bijon 東京文化ビジョン
187Tōkyō bunka shigen kaigi 東京文化資源会議
188Tōkyō bunka shigen-ku 東京文化資源区
189Tōkyō bunka shigen-ku kōsō 東京文化資源区構想
190Tōkyō shumi 東京趣味
191Tōkyō to chōki keikaku 「東京都長期計画」
192Tsubouchi Shōyō 坪内逍遙
193Ueno 上野
194Ueno no mori 上野の森
195Ukiyo-e 浮世絵
196Ushinawareta nijū nen 失われた二十年
197Wa no seishin 和の精神
198Yamamoto Kōzō 山本幸三
199Yanaka 谷中
200Yanesen 谷根千
201Yōseki ritsu iten 容積率移転
202Yoshiwara 吉原
203Yushima 湯島
204Yushima Tenjin 湯島天神
Notes
-
[1]
Suite à la pandémie de coronavirus, les Jeux olympiques de Tokyo ont été reportés à 2021.
-
[2]
Il convient cependant de rappeler que selon les anthropologues du tourisme, les années 1980-1990 ont déjà connu, dans le cadre d’un mouvement de nostalgie, une phase d’enjolivement du passé et des « traditions » à des fins de marchandisation, entrainant des répercussions sur le tourisme domestique (Graburn 1995 : 47-70).
-
[3]
Atkinson 2015. En 2017, Atkinson a été nommé conseiller spécial auprès de l’Office national du tourisme japonais.
* Ce travail, basé sur un article publié en japonais (Iwabuchi 2018 : 29-38), a été pensé et rédigé en 2019, avant le report des Jeux olympiques en raison de la pandémie de COVID-19. De ce fait, l'impact économique escompté par le Japon risque de s'en trouver fortement amoindri. Ainsi, la marchandisation de la tradition via les représentations de la Belle Edo qui se trouve au cœur de cet article va elle aussi connaître un important ralentissement. Cependant, la mise en avant de la « tradition » dans le but de séduire les étrangers a également eu pour effet de stimuler la conscience d'une identité nationale au sein même du pays. En ce sens, si l'on considère que le contexte actuel lié au coronavirus va favoriser le localisme et la conscience nationale au sein de chaque pays, il est selon nous fort probable que cette « tradition », renforcée par sa marchandisation, continue de jouer un rôle prépondérant. Fort de ce constat, et compte tenu de l'incertitude actuelle concernant les développements à venir, l'auteur a décidé de ne pas modifier le contenu de son article. -
[4]
L’historien américain Stephen Vlastos s’est intéressé à la découverte et à l’invention des traditions dans le Japon moderne avant même l’introduction de ce concept au Japon (Vlastos 1998).
-
[5]
L’histoire publique est une discipline qui a vu le jour aux États-Unis dans les années 1970 afin de répondre au besoin des populations de connaître leur passé. À la différence de l’histoire académique, elle s’adresse avant tout à des non-spécialistes et s’exprime par de nombreuses pratiques, telles que la création de musées, la tenue d’expositions, mais aussi à travers l’élaboration de films, séries ou livres à caractère réaliste. Les historiens consultés dans le cadre de ces différentes activités œuvrent dans le but de diffuser une histoire compréhensible par tous et destinée à un large public (ndt).
-
[6]
Au Japon, la réception et le développement de l’histoire publique sont très récents : c’est en 2019 seulement que s’est tenue la première réunion ouverte au public de la Société de recherche en histoire publique (paburikku hisutorī kenkyūkai). Voir Okamoto 2015, Suga & Hōjō 2019.
-
[7]
Sur cette question, voir Ōtsuka 2012.
-
[8]
Le japonais « shiawase na » signifie littéralement « heureuse » et l’auteur joue sur l’ambiguïté du mot Edo qui désigne aussi bien l’époque que la ville. Nous avons choisi de traduire par « Belle Edo », sur le modèle de la Belle Époque ou du « beau Moyen Âge », pour conserver l’idée d’une qualification a posteriori avec une nuance de nostalgie (ndt).
-
[9]
Gluck 1998 : 262-284.
-
[10]
Pour plus de détails sur la représentation d’Edo et sa marchandisation durant les ères Meiji et Taishō (1912-1926), voir Iwabuchi 2009, 2010, 2014a, 2014b, 2014c, 2016b, 2017, 2019. Pour ce qui est de la vision d’Edo par les auteurs de « littérature nationale » (kokubungaku), voir Ida 2014.
-
[11]
Pour davantage de détails, voir Iwabuchi 2019 : 19-69 (traduction française).
-
[12]
Iwabuchi 2009 : 280-281.
-
[13]
Nous ne soutenons pas le point de vue des chercheurs ayant participé à l’élaboration du numéro spécial de la revue Nihon shisō shi (2010) qui voient dans la nostalgie d’Edo exprimée au travers des œuvres iconographiques et littéraires contemporaines, une possible critique des époques moderne et contemporaine.
-
[14]
L’expression Edo shumi désigne à la fois le goût des contemporains de cette période, en somme l’esthétique propre à l’époque d’Edo, et également l’intérêt pour Edo et sa culture, né dans les cercles littéraires de la fin du xixe siècle (ndt).
-
[15]
Kasei bunka désigne la culture emblématique de la seconde moitié de l’époque d’Edo, dont l’apogée se situe durant les ères Bunka et Bunsei (1804-1829). Davantage tournée vers la recherche du divertissement sous toutes ses formes, c’est une culture haute en couleur qui s’est développée autour de la ville d’Edo à partir du milieu du xviiie siècle et que l’on oppose généralement à la culture de Genroku, emblématique de la première moitié de l’époque, plus raffinée et davantage « bourgeoise », dont le berceau est la région du Kansai. En ce sens, Kasei symbolise le triomphe de la culture populaire durant la seconde moitié d’Edo (ndt).
-
[16]
Mitamura 1917 : 1-3.
-
[17]
Ōshima Hōsui, poète de haïkus et proche de Kafū, déclare la chose suivante à propos du « pseudo goût d’Edo » (iwayuru Edo shumi) dans une brochure publicitaire de Shirokiya (grand magasin situé près de Nihonbashi) : « il suffit juste que le goût d’Edo soit le socle de notre intérêt et notre critère de référence (quand bien même personne n’a pu l’expérimenter) pour savoir ce qu’il est réellement. De plus, si l’on prend appui uniquement sur ce critère, je ne vois pas d’inconvénient à ce que l’Edo shumi soit appelé Tōkyō shumi (goût de Tokyo), Meiji shumi (goût de Meiji), voire Beikoku shumi (goût des USA) ou encore Pari shumi (goût de Paris) puisque que le goût d’Edo se trouve aussi dans les nouveautés apparues depuis l’ère Meiji et par conséquent chez les étrangers, étant donné que les goûts des Japonais d’aujourd’hui se sont forgés sur l’assimilation de la culture occidentale » (Ōshima 1910 : 3-4). Ainsi, on comprend que le « goût d’Edo » est un concept flou dès l’origine puisque personne n’a jamais été en mesure de l’expérimenter. Le fait même de le prendre pour critère de référence revient à baser son appréciation sur un indice imprécis et subjectif, en somme un « pseudo goût d’Edo ». Le fait que l’Edo shumi puisse se trouver n’importe où, même chez les étrangers, montre qu’il s’agit d’une construction purement fictive transcendant l’espace et le temps, et par conséquent dépourvue de toute réalité historique (Iwabuchi 2017).
-
[18]
La question de la manière de dépeindre les contradictions sociales en lien avec le progrès des masses est toujours d’actualité, comme en témoigne la critique de l’ouvrage de Fujita Satoru (Fujita 2015) récemment établie par Ono Shō (Ono 2017). En lien direct avec la construction de l’image positive d’Edo, on peut rappeler que les ères Hōreki (1751-1764) et Tenmei (1781-1789) s’inscrivent dans une époque qui a non seulement vu la naissance du symbole de l’Edokko et d’une culture populaire propre à la ville d’Edo, mais qui a également connu les prémisses du démantèlement de la société de classes, à l'origine des troubles internes qui mèneront le système shogunal à sa perte. On ne peut expliquer cette contradiction apparente par le simple argument du progrès social et culturel des masses, générateur d’une capacité d’opposition au sein du peuple (Fukaya 1995). Au contraire, il est nécessaire de mettre en avant une explication davantage structurelle incluant le démantèlement de la société de classes et les changements au sein du pouvoir, avec l’idée selon laquelle le progrès populaire serait le résultat d’un assouplissement généralisé des règlements shogunaux résultant d’une dépendance importante du gouvernement Tanuma aux classes économiquement influentes (Fujita 2012). En effet, une explication basée uniquement sur l’argument du progrès de la population japonaise au niveau social et culturel ne ferait qu’encourager l’idéalisation de l’époque d’Edo.
-
[19]
Ce courant tire son nom de Shiba Ryōtarō (1923-1996), célèbre auteur de romans historiques dont l’intrigue se passe principalement à la fin de l’époque d’Edo et durant l’ère Meiji, considéré comme l’emblème d’une vision de l’histoire nationale soutenue par de nombreux chercheurs de l’après-guerre.
-
[20]
Nishiyama 1972-2006.
-
[21]
Nishiyama 1984.
-
[22]
Pour les questions relatives aux pompiers et à l’importance excessive accordée aux incendies parmi les désastres susceptibles d’impacter les villes, voir Iwabuchi 2005.
-
[23]
Voir Hirayama 2006.
-
[24]
Voir entre autres Tanaka 1986, Sugiura 1986, Ishikawa 1990. En outre, l’éditeur du journal Asahi, dans lequel est paru cent fois d’affilée le feuilleton illustré Ōedo Mandara durant l’année 1987, a expliqué dans la postface du numéro de janvier cet engouement pour Edo de la façon suivante : « si l’on a placé sous le feu des projecteurs les ères Bunka et Bunsei, soit une époque caractérisée par un goût prononcé pour les divertissements en tous genres, les nouvelles religions et les monstres du folklore sur fond d’appréhension des grands bouleversements à venir, c’est bien parce qu’il s’agit d’un reflet de notre société actuelle. »
-
[25]
Ōishi, Nakane 1986.
-
[26]
Voir Ogi 1986, 1987.
-
[27]
Sur cette question, voir Harada 2014.
-
[28]
Cette réflexion prend appui sur le travail de Tsukamoto Manabu (Tsukamoto 1985).
-
[29]
Koyano 1999.
-
[30]
Voir Okuno 2014.
-
[31]
Nagai 2016.
-
[32]
Notre critique ne prend donc pas appui sur un quelconque « mécanisme psychique visant au refus d’enjoliver le Japon », tel qu’il est décrit par Noda Ken.ichi (Noda 2015). Pour nous, le problème ne réside pas tant dans le fait d’enjoliver l’histoire que d’en embellir uniquement certains aspects. En l’occurrence, il ne s’agit ainsi pas de prendre parti contre tout embellissement de l’époque d’Edo mais de mettre en avant un problème lié à la structure, au mécanisme de ces représentations de la Belle Edo. Pour une critique détaillée et empirique de la vision fantasmée d’Edo, voir Iwabuchi 2002, 2004, 2008, 2014a, 2014b, 2015b, 2016a.
-
[33]
Le terme nagaya, littéralement « maison longue », renvoie à des habitations étroites, souvent implantées dans les ruelles de la ville basse et où vivaient les catégories les plus humbles de la population. Symbole de promiscuité, elles sont également associées à des lieux très vivants où régnait une forme d’entraide entre les habitants (ndt).
-
[34]
Il ne faut cependant pas oublier que parmi les auteurs de senryū (poèmes satiriques courts), considérés comme l’emblème de la culture populaire de la seconde moitié de l’époque, il y avait de nombreux guerriers en service à Edo. Dans ces conditions il nous paraît nécessaire de s’interroger de nouveau sur la valeur de « satire populaire » attribuée aux senryū d’une manière générale (Hori.i 2003). De la même manière, on sait que l’art du jardinage n’était pas confié aux individus du peuple : il s’agissait d’une occupation réservée aux guerriers (Iwabuchi 2015b).
-
[35]
Saigan 1974.
-
[36]
Kaneko 2008 : 7-13, 2013 : 6-16.
-
[37]
Omi 1996.
-
[38]
Parmi les causes du retard pris par le Japon, on peut citer le déclin de la recherche fondamentale et indépendante, causé par l’instauration d’un principe de compétition entre les universités et d’une logique de performance. Cette logique s’exprime notamment à travers la distribution des fonds pour la recherche universitaire, ainsi que dans la création d’une corporation regroupant les universités nationales (Mainichi shimbun 2019). Pour une critique de la politique « d’innovation scientifique et technologique » voir Kagaku gijutsu shakai ron gakkai 2017.
-
[39]
Aoyagi 2015. Concernant la critique de la puissance culturelle et du soft-power, voir Iwabuchi 2007.
-
[40]
Ce concept renvoie à la reconnaissance et l’acceptation des cultures en tant que « marques nationales » sur le marché international ainsi qu’à l’encouragement de leur exportation par l’État-nation à des fins de profits politico-économiques (Iwabuchi 2007 : 23).
-
[41]
En japonais, keizai zaisei un.ei to kaikaku no kihon hōshin nisen jūnana. Voir la page [https://www5.cao.go.jp/keizai-shimon/kaigi/cabinet/2017/decision0609.html].
-
[42]
Pour davantage de détails sur cette stratégie culturelle et économique, voir Yoshida 2018 : 61-73.
-
[43]
Yoshida 2018 : 61-73.
-
[44]
Yoshida 2018 : 61-73.
-
[45]
Sur l’entreprise de promotion de l’héritage japonais menée par l’Agence des affaires culturelles, voir : [http://www.bunka.go.jp/seisaku/bunkazai/nihon_isan/pdf/nihon_isan_gaiyo.pdf]. Pour connaître les zones actuellement mises en place dans le cadre de cette patrimonialisation, voir : [http://www.bunka.go.jp/seisaku/bunkazai/nihon_isan/pdf/nihon_isan_pamphlet_english.pdf].
-
[46]
Voir Iwasaki 2019 : 30-36.
-
[47]
Au sujet des modifications et problèmes engendrés par le « tourisme culturel », voir Kōno 1995.
-
[48]
Iwamoto Michiya a mis en évidence le fait que cette entreprise de patrimonialisation n’a pas pour but d’enrayer la destruction des collectivités locales, contrairement aux affirmations de ses promoteurs (Iwamoto 2002 : 95-103, 2003 : 172-188). Par ailleurs, au sujet de la préservation des rues commerçantes et résidentielles face au problème de la pollution touristique, voir Katagiri 2000 et Aoki 2015.
-
[49]
Yamashita 1999, Nakamura 2011.
-
[50]
Lien vers le descriptif du projet de création du « district des ressources culturelles de Tokyo » (en anglais) : [https://tcha.jp/wp-content/uploads/EN.pdf]. Lien vers la page où figurent les guides des différentes zones (anglais et japonais) : [https://tcha.jp/archive/guidebooks/].
-
[51]
Pour les actualités, se référer à la page : [http://tohbun.jp/] (en japonais).
-
[52]
En japonais : TOKYO yon bun no ichi to kangaeru orinpikku bunka puroguramu, voir Tōkyō bunka shigen kaigi 2016a.
-
[53]
En japonais : TOKYO yon bun no ichi ga teian suru Tōkyō bunka shigen ku no arukikata : Edo bunka kara poppu karuchā made, voir Tōkyō bunka shigen kaigi 2016b.
- [54]
- [55]
- [56]
-
[57]
Yanagi 2016 : 201-210.
-
[58]
Sankin kōtai : système de résidences alternées qui obligeait les seigneurs et leurs vassaux à vivre une année sur deux à Edo et à y laisser des membres de leurs familles en « otage » lorsqu’ils regagnaient leurs fiefs (ndt).
-
[59]
Bien que ce lieu ne soit pas référencé dans le le programme culturel des Jeux olympiques, le quartier de Kanda est présenté comme faisant partie du projet dans les rapports du Conseil et sur le site internet, sous le label « Kanda matsuri nado Edo kishitsu ni yoru “shimin bunka shigen” » (espace de ressources culturelles populaires en lien avec des manifestations caractéristiques de l’esprit d’Edo comme le festival de Kanda).
-
[60]
Yanagi 2016 : 201-210.
- [61]
- [62]
-
[63]
Pour avoir une idée plus précise, se référer au site du ministère du Territoire, des Infrastructures, des Transports et du Tourisme : [http://www.mlit.go.jp/saiyojoho/manifesto/], [http://www.mlit.go.jp/toshi/toshi_tk1_000025.html].
-
[64]
Le terme bakumatsu désigne la « fin du bakufu » et correspond aux quinze dernières années de l’époque d’Edo, de l’arrivée des vaisseaux noirs de Perry en 1853 à la restauration Meiji en 1868 (ndt).
-
[65]
Cette tendance à faire l’impasse sur le passé de Tokyo, comme si tout ce qui s’était produit avant le changement de nom ne relevait pas de l’histoire de la ville, a connu un vif développement depuis les années 2000. Par exemple, au musée métropolitain Edo-Tokyo, une salle d’exposition permanente dédiée aux périodes ancienne et médiévale avait été mise en place au moment de l’ouverture du musée. Cependant, celle-ci a été supprimée en 2004 pour devenir la seconde salle d’exposition temporaire.
-
[66]
Ueno no mori : ce terme désigne le complexe culturel constitué au sein du parc d’Ueno, regroupant des musées, archives, monuments célèbres, lieux de représentation artistique, etc. (ndt).
-
[67]
Voir Yoshida 1999.
-
[68]
Sugita 1774. Ce traité, traduit du hollandais par un groupe de savants d’Edo, constitue une étape importante dans l’histoire de l’étude des savoirs occidentaux au Japon (ndt).
-
[69]
Iwabuchi 2018 : 34-35.
-
[70]
[https://tcha.jp/wp-content/uploads/EN.pdf] : 1-2.
-
[71]
Voir le résumé du projet (PDF en japonais) : [http://www.seikatubunka.metro.tokyo.jp/bunka/bunka_seisaku/houshin_torikumi/files/0000000210/summary_s.pdf].
- [72]
-
[73]
Depuis quelques années, Azuma Hiroki s’intéresse au dark tourism, une forme de tourisme dans lequel les individus en quête de sensations fortes se plaisent à visiter les lieux d’une catastrophe nucléaire ou d’un massacre. En adoptant le point de vue de Toni Negri et Michael Hardt à propos de l’existence d’un nouvel acteur, celui de la multitude, Azuma place ses espoirs dans la possibilité d’une interprétation nouvelle (de l’histoire), imprévisible, inattendue, et qui émanerait des touristes (ce qu’il nomme des « écarts de transmission », voir Azuma 2017). Cependant, il ne nous paraît pas envisageable de nourrir de tels espoirs face aux listes de patrimoine dressées par le gouvernement dans le cadre de « l’entreprise de promotion de l’héritage japonais » et à la mise en place du district des ressources culturelles de Tokyo. En effet, ces listes sont constituées exclusivement à partir d’éléments choisis dans l’unique but de conter une histoire positive, dépourvue de toute réalité historique.
-
[74]
Ce terme provient de l’anglais heritage industry et désigne une forme d’industrie qui gère et administre les sites historiques, bâtiments et musées relevant d’un lieu spécifique dans le but d’y encourager le tourisme (ndt).
-
[75]
Voir Yoshino 1994, 1997.
-
[76]
Yoshino, 1997 : 75.
-
[77]
Voir Ishikawa 2016 : 59-78, Koolhaas 2015.
-
[78]
Ishikawa 2016 : 75.
-
[79]
Ishikawa 2016 : 75, 77-78 ; Koolhaas 2015 : 28-29. Même si cela ne concerne pas le transfert du coefficient d’occupation de l’espace, cette idée peut être renforcée par l’exemple du paysage de l’Atago Green Hills forest tower (Iwabuchi 2011).
-
[80]
Abe 2016 : 47-48.
- [81]
-
[82]
La déclaration de Yamamoto était clairement influencée par l’ouvrage d’Atkinson (Nannichi 2017).
-
[83]
À titre d’exemple, il nous semblerait utile que les historiens confrontent les différents témoignages sur Edo rapportés par des contemporains aux clichés établis (Iwabuchi 2010B : 27-66, 2015a : 39-55, 2015c : 17-32) et qu’ils participent également à l’élaboration d’une histoire régionale de bonne qualité ainsi qu’à la confection d’ouvrages de vulgarisation (Ike 2017-).