CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Un demi-siècle exactement après sa première manifestation, organisée à Rome en 1955, l’Association Internationale des Germanistes (« Internationale Vereinigung für Germanistik ») a tenu son XIe Congrès à Paris, du 26 août au 3 septembre 2005, sous la Présidence de Jean-Marie Valentin (Paris IV et Chaire d’Histoire culturelle du monde germanique à l’Institut Universitaire de France) dont l’élection en septembre 2000 avait fait de la France le pays d’accueil de ce Congrès. Après Rome, Copenhague, Cambridge, Amsterdam, Princeton, Bâle, Göttingen, Tokyo, Vancouver et Vienne, ce fut donc Paris qui eut l’honneur d’accueillir la manifestation appréciée comme la rencontre majeure et la plus exigeante de germanistes en provenance des cinq continents. L’origine des 1 200 participants et des 810 conférenciers, venus de 51 pays, atteste l’internationalisation accrue observable depuis le passage par Tokyo (1990) et Vancouver (1995) et illustrée par la sortie de l’espace ouest-européen/nord-américain qui fut la base historique de l’Association, indépendante des institutions nationales et placée directement sous l’autorité de l’Unesco.

2Plus de deux tiers des conférenciers étaient originaires de pays non germanophones. Outre la provenance exceptionnellement diverse des participants, on a relevé la forte représentation de l’Europe orientale et centrale, du Japon, de l’Inde, de la Corée, de la Chine et de l’Amérique du Sud. Avec 134 intervenants, la participation française fut remarquable, plus précisément : la seconde en nombre après la délégation allemande qui comptait 212 intervenants. Visant à sensibiliser les germanistes français à l’importance de l’IVG, les campagnes d’information lancées en amont par l’équipe organisatrice se trouvaient donc couronnées de succès : alors que seuls 26 Français avaient participé en 2000 aux journées viennoises, leur nombre se trouvait, cette fois-ci, multiplié par cinq et on en comptait plus de 300 à jour de leur cotisation à l’ouverture du Congrès parisien. À y regarder de près, l’étroite imbrication de la germanistique française et de l’IVG était manifeste à tous les niveaux : la direction de chacune des 30 sections incluait un(e) collègue français(e) assurant la liaison avec la Présidence (choix des sujets, direction des débats, publication) ; l’une des cinq grandes conférences plénières fut confiée à un Français (Rémy Colombat, Paris IV) ; et ils furent trois à diriger des Tables rondes (Frédéric Hartweg, Strasbourg ; Jean-Pierre Lefebvre, ENS Paris ; Michael Werner, CNRS/EHESS, directeur du CIÉRA).

3Judicieusement localisé au Centre Universitaire Malesherbes, entièrement mis à disposition de l’IVG par le Président de la Sorbonne, Jean-Robert Pitte, le Congrès a bénéficié d’une admirable organisation qui a valu au Président Jean-Marie Valentin et à l’équipe resserrée (Jean-François Candoni, Ronald Perlwitz, Stéphane Pesnel, Elisabeth Rothmund), exceptionnellement réactive et remarquablement efficace, une gratitude unanime.

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5Datant du Congrès de Vienne (2000), la nouvelle appellation de l’Association, « Internationale Vereinigung für Germanistik » – qui s’est substituée à l’ancienne formulation, « Internationale Vereinigung für Sprach- und Literaturwissenschaft », – a favorisé un élargissement des champs d’intérêt traduit dans le thème du Congrès : « Les études germaniques dans le conflit des cultures » (« Germanistik im Konflikt der Kulturen »). La Présidence et le Comité ont opté pour un sujet en rapport avec les préoccupations modernes, l’évolution de la discipline et l’internationalisation patente de l’IVG. Tout en demeurant une évidente référence, le modèle allemand d’organisation des études germaniques ne saurait plus prétendre à une pertinence exclusive. La médiation et la diffusion de la langue, de la littérature et de la culture allemandes étant tributaires des germanistiques et des germanistes des pays non germanophones, leurs points de vue « extérieurs » sur les lettres et la culture allemandes se trouvent pleinement légitimés. Visant à rendre compte de ces paramètres, le sujet retenu s’inscrivait en outre dans le cadre de la convention internationale signée par l’Unesco pour la promotion de la diversité culturelle.

6Au concept de « dialogue », d’allure quelque peu inoffensive, les organisateurs ont préféré la formule moins lénifiante de « conflit » des cultures laquelle recèle une dynamique plus productive et, impliquant des dimensions sociologiques, religieuses et interculturelles, fait allusion aux conséquences de la mondialisation qui sont d’une brûlante actualité. Même si la formulation fait immanquablement penser au « clash of civilizations » de Samuel P. Huntington, le sujet ne se voulait pas centré exclusivement sur l’actualité, mais soulignait un potentiel critique stimulant. Impliquant les études germaniques, ses méthodes et ses objets, dans le phénomène étudié, cette vision dynamique n’était pourtant pas sans poser des problèmes d’organisation, ce que traduit le nombre important de sections qui résulte de la conjonction de plusieurs facteurs.

7Les organisateurs ont préféré l’homogénéité de sections plus nombreuses à l’hétérogénéité qu’aurait entraînée une réduction de leur nombre ; ils ont voulu conserver toute leur place à des disciplines comme les études scandinaves/nordiques, néerlandaises et yiddish ainsi qu’à la linguistique (diachronique et synchronique), composante constante des manifestations de l’IVG ; ils ont eu à cœur de procéder à la nécessaire actualisation dont témoignent les intitulés de certaines sections : Kulturwissenschaft vs. Philologie ? ; Divergente Kulturräume in der Literatur ; Universal-, Global- und Nationalkulturen ; Nationalliteratur und Weltliteratur ; Multikulturalität in der zeitgenössischen deutschsprachigen Literatur. L’une des caractéristiques majeures du Congrès de Paris fut de renoncer aux ateliers par époques au profit de coupes transversales thématiques abolissant les limites et les cloisonnements induits par la périodisation classique de l’historiographie littéraire.

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9Les 12 volumes des Actes de la manifestation, accueillis par le Jahrbuch für Internationale Germanistik[1] et rapidement publiés, permettront à tous ceux qui n’ont pas eu le loisir de participer à ces journées comme à ceux qui ont été embarrassés pour choisir entre les conférences parallèles des 30 sections d’avoir une vue d’ensemble des fruits de ce Congrès fertile en échanges. Le premier volume [2] – qui constitue l’objet primordial de ces lignes – réunit les textes des allocutions prononcées lors de la cérémonie d’ouverture, les contributions issues des conférences plénières, les comptes rendus des Tables rondes et du programme culturel, le procès-verbal de l’Assemblée plénière, des données statitiques relatives au Congrès, les statuts de l’Association et le détail des 12 volumes des Actes. Il témoigne de la richesse des perspectives du Congrès et atteste l’internationalisation de l’IVG et des études germaniques. L’une des plus belles preuves en est fournie par les conférences plénières, confiées à cinq chercheurs de pays différents.

10Prononcée par Rémy Colombat (Paris IV), la première de ces conférences – « Symbolismus als lyrische Koine » – examine les conditions du transfert du « symbolisme » dans la poésie de langue allemande et analyse les métamorphoses induites par sa réception. Le propos éclaire les problèmes que suscite la réduction de l’évolution de la poésie lyrique allemande au xxe siècle à une formule unique : le symbolisme, « koinè » de la poésie moderne, et qui, depuis un siècle, constitue un défi pour les théoriciens de la littérature. En dépit des divergences d’appréciation de son champ d’application, ce concept a puissamment dynamisé le débat sur la poésie qu’il subsume. Marquées par la réception – placée sous le signe du symbolisme – de Celan et de Benn, les années 1950 et 1960 illustrent toute l’acuité des problèmes : alors que Benn se pose en héritier des symbolistes français, Celan se défend contre son intégration à la tradition mallarméenne. Bien que tous deux soient convaincus de l’autonomie du langage, les présupposés poétologiques de leur relation à la tradition sont divergents. Des similitudes au plan de la langue plaident certes pour l’existence d’un lien de filiation entre le symbolisme et la poésie « moderne » allemande, mais cette donnée phénoménologique cache des ruptures et des métamorphoses qui ont profondément modifié la production poétique et ses présupposés durant le siècle pris en considération. En éclairant ces ruptures, Rémy Colombat montre que la continuité suggérée par des constantes thématiques et terminologiques est illusoire et trompeuse. Le nihilisme mallarméen, son exploitation artistique prônée par Benn, la métamorphose de la « poésie pure » – qui se veut autonome ! – en vecteur de mystères ontologiques, les nombreux avatars du « moi » lyrique entre le bannissement du « moi » empirique et les efforts déployés pour préserver la fonction de la poésie comme expression de l’âme : toutes ces composantes attestent qu’une filiation commune de la « poésie moderne » avec le symbolisme n’exclut nullement de profondes divergences qui fragilisent sérieusement l’hypothèse d’une continuité évolutive. Il se dégage de cet examen qu’il n’est pas rare que les catégories esthétiques déduites du symbolisme se révèlent peu pertinentes. L’œuvre de Celan, elle-même partie intégrante de la réception allemande du symbolisme, devrait inciter à reconsidérer ces relations littéraires et l’interprétation de leur évolution.

11Faisant suite à celle de Rémy Colombat laquelle s’inscrivait dans le cadre de l’exploration des transferts franco-allemands, la conférence de Hendrik Birus (Munich) – « Auf dem Wege zur Weltliteratur und Littérature comparée. Goethes West-östlicher Divan » – entrait de plain-pied dans la thématique générale du Congrès. Sont examinés ici les liens entre le cycle poétique de Goethe, le Divan occidental-oriental, l’idée goethéenne de « littérature universelle » (« Weltliteratur », 1827) et la création en Sorbonne (également en 1827) de la première chaire de littérature comparée. Au-delà des données prosopographiques, Hendrik Birus inscrit l’émergence simultanée de l’idée programmatique de littérature universelle en tant que nouvelle forme de communication, d’une part, et de la discipline universitaire qui en fait son objet d’étude, d’autre part, dans le contexte de l’ère postnapoléonienne que caractérisent l’ouverture et l’accélération (bouleversements affectant l’économie, les transports, les techniques de communication…) Il apprécie les deux innovations comme des réactions au conflit des nations et des cultures, à l’émergence des littératures nationales et des philologies correspondantes inscrites dans une relation de concurrence.

12Malgré sa conscience des dangers potentiels impliqués par l’avènement d’une littérature universelle (risque de domination d’une culture, nivellement), Goethe voit aussi dans cet échange littéraire universel un facteur d’apaisement et de médiation. L’un des mérites majeurs du Divan dans la genèse de la notion de littérature universelle est la remise en question de l’eurocentrisme. Il est clair par ailleurs que Goethe ne plaide pas pour une acception qualitative de la notion de littérature universelle qu’il comprend comme communication internationale entre tous les acteurs de la vie littéraire. L’importance croissante que revêt alors la dimension médiatrice s’observe dès la genèse du Divan : Goethe est totalement tributaire de la traduction du Diwan de Hafiz par Hammer, et il est redevable à plus d’un égard aux récits de voyages de Marco Polo, d’Olearius, de Chardin tout comme aux travaux de spécialistes d’études orientales alors naissantes. Hendrik Birus montre qu’avec le Divan, Goethe avait posé un jalon qui allait mener à la fois à la littérature universelle et à la littérature comparée.

13La troisième conférence plénière (« Berlin in chronotopologischer Sicht ») fut l’occasion pour Theodore Ziolkowski (Princeton) de s’interroger sur les moments clés de l’apparition, au début du xixe siècle, de Berlin comme nouvelle métropole intellectuelle. Se penchant d’abord sur l’année 1799 de la vie berlinoise d’un cercle fermé (Dorothea Veit, Friedrich Schlegel et Friedrich Schleiermacher), Theodore Ziolkowski se livre non pas à une nouvelle interprétation d’œuvres pionnières des protagonistes, mais à leur lecture « chronotopologique » (observation dans un lieu précis et bien circonscrit, à un moment précis et bien circonscrit) pour essayer de dégager des perspectives négligées. Dans cette optique, l’analyse de la genèse de la Lucinde de Schlegel et des Reden de Schleiermacher met en lumière des parallèles méconnus entre ces deux œuvres majeures du premier romantisme : similitudes terminologiques, thématiques et métaphoriques (personnification par Prométhée du Berlin éclairé proto-industriel, concept de médiateur, affinité avec Platon…).

14Similairement, en 1810, une génération de jeunes intellectuels (Fichte, Schleiermacher et Savigny) se rencontre à Berlin où souffle alors un esprit nouveau. La Révolution française, la révolution industrielle et la révolution épistémologique introduite par Kant ont fait naître une conscience nouvelle et une conception inédite de l’Histoire dont l’épanouissement, favorisé par l’université berlinoise nouvellement fondée, s’illustre de manière exemplaire dans les cours de l’historien Niebuhr, dans la « théologie historique » de Schleiermacher ou encore dans la conception inédite du droit que défend Savigny. Et la médecine aussi est pénétrée de ce sens nouveau de l’Histoire. Ainsi, la perspective « chronotopologique » met-elle en lumière des convergences qui peuvent facilement échapper aux optiques diachroniques classiques de la biographie, de l’histoire littéraire ou de l’histoire culturelle.

15Dans la quatrième conférence plénière (« Kulturtheorien und postkoloniale Perspektiven »), Anil Bhatti (New Delhi) évoque l’internationalisation des études germaniques à l’ère de la mondialisation et attire l’attention sur les interrogations touchant aux contours de la discipline. Rappelant les réserves que le plurilinguisme pouvait encore inspirer aux études germaniques allemandes dans les années soixante du xxe siècle, Anil Bhatti se félicite de l’importance croissante accordée aux questions relatives aux situations de pluriculturalité dans le débat « post-national » et « post-colonial » sur la culture. Il souligne le changement radical qui s’est opéré depuis l’époque où les fondamentalistes de toute obédience visaient à l’homogénéisation culturelle et au purisme, polémiquaient contre la diversité, niaient les possibilités créatives de situations pluriculturelles et considéraient le plurilinguisme comme une perte de substance dommageable à l’authenticité. Anil Bhatti voit de nouvelles potentialités dans le renoncement à une conception de la culture tendant à l’homogénéisation. Il souligne l’enrichissement qui résulte du développement d’optiques comparatistes et approuve la valorisation par la pensée post-coloniale du plurilinguisme, de la littérature universelle et de la pluriculturalité en réaction aux tentations du colonialisme à vouloir domestiquer ce qui relève d’une altérité perçue comme subversive. Anil Bhatti plaide pour le développement de nouvelles perspectives qui puissent concourir à la promotion de la pluriculturalité et favoriser, y compris dans la recherche, une mondialisation solidaire.

16Confiée à Zhang Yushu (Beijing), la cinquième conférence plénière (« Zur Rolle der Auslandsgermanistik. Am Beispiel der chinesischen Germanistik von heute ») fut consacrée à la germanistique chinoise d’aujourd’hui et à la relation entre l’Allemagne et la Chine vue sous l’angle des littératures et de leur possible dialogue. Zhang Yushu évoque la faveur dont bénéficie l’allemand auprès des Chinois et souligne le rôle essentiel de la traduction grâce à laquelle la culture allemande influe sur les mentalités. Il présente la réception chinoise évolutive de certaines œuvres littéraires allemandes, examine les facteurs de leur popularité (politique, culture, mentalité, goût esthétique) et rappelle l’époque où l’idéologie dominante – longtemps marquée par Franz Mehring et Georg Lukács – conditionnait fortement la réception de la littérature allemande et la recherche conduite par la germanistique chinoise. Zhang Yushu note l’enthousiasme suscité par Stefan Zweig en Chine dans les années quatre-vingt du xxe siècle et à nouveau en 2005 suite à l’adaptation cinématographique de la Lettre d‘une inconnue (Brief einer Unbekannten) par une jeune Chinoise. L’intérêt croissant que rencontrent les biographies de Zweig est expliqué par la vertu métaphorique de ces œuvres (psychologie des personnages historiques, regards iconoclastes jetés sur l’Histoire et les événements révolutionnaires…) La réhabilitation de Heine et de Schiller, naguère condamnés en Chine pour des raisons idéologiques, est éclairée par l’actualité des idéaux, notamment de liberté, dont leurs textes sont porteurs. L’ouverture de l’éventail des travaux dus aux germanistes chinois trouve sa traduction dans la revue Literaturstraße (cette forme poétique moderne de la « Seidenstraße ») qui leur sert de forum. En guise de conclusion, Zhang Yushu salue les efforts déployés par les germanistes qui concourent ainsi non seulement à la promotion et au développement de leur discipline au plan international, mais aussi à la diffusion de l’esprit de tolérance et à la préservation de la paix dans le monde.

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18À l’instar de la manifestation viennoise, le Congrès parisien a gardé le principe des Tables rondes. Dans ce cadre, Joachim Umlauf, actuellement directeur de l’Institut Goethe d’Amsterdam, a dirigé une discussion sur l’espace universitaire européen (« Europäischer Hochschulraum ») et le processus de Bologne. Les contributions à cette Table ronde tentent de faire le point du processus dans différents pays. Csaba Földes (Veszprém) évoque la situation en Hongrie, fait état des interrogations et des doutes tout en soulignant le potentiel d’enrichissement par l’ouverture et les échanges. Martin Durrell (Manchester) présente la spécificité des universités britanniques qui se sentent peu concernées par le processus. La contribution de Simonetta Sanna (Cagliari) décrit la situation en Italie qui peut faire valoir quelques années d’expérience tout en restant confrontée à de nombreux problèmes. Klaus Michael Bogdal (Bielefeld) relate les discussions et les restructurations en cours en Allemagne. Révolutionnaires pour l’enseignement supérieur allemand d’inspiration humboldtienne, les restructurations et autres effets induits par le processus d’homogénéisation de l’espace universitaire européen s’accompagnent de mesures économiques douloureuses, parfois dommageables à l’esprit de la réforme. Sont évoqués par ailleurs la nécessaire mais difficile différenciation des parcours dans le domaine des sciences humaines, le risque de dissociation de la recherche et de l’enseignement, la diversité des motivations des étudiants optant pour l’allemand hors de l’espace germanophone et la nécessité de répondre à leurs attentes.

19La direction du débat sur la notion de « frontière » (« Grenze ») dans ses diverses dimensions (obstacle, contact, identité, altérité, médiation…) fut confiée à Frédéric Hartweg (Strasbourg). Anja Lobenstein-Reichmann (Trèves) explore les dimensions philosophiques et linguistiques de la notion de frontière ; Walter Haas (Fribourg/Suisse) s’intéresse à la notion de frontière en tant que structuration artificielle de l’espace ; Andreas Gardt (Kassel) examine le maniement et l’appréciation de termes étrangers et les implications d’ordre identitaire. Jean-Pierre Lefebvre (ENS Paris) a débattu des dimensions culturelles de la traduction et notamment de la diffusion de la littérature allemande à l’étranger avec la participation d’Ana Dimova (Schumen), qui présente la situation en Bulgarie, et Gertrude Durusoy (Izmir) qui relate la situation en Turquie. Michael Werner (CNRS/EHESS/CIÉRA) a discuté avec Anil Bhatti (New Delhi), Willi Bolle (São Paulo), Jérôme Vaillant (Lille) et Wilhelm Voßkamp (Köln) de l’histoire des études germaniques hors d’Allemagne : seule une de ces contributions a été remise aux éditeurs et a pu être insérée dans le volume, celle de Jérôme Vaillant qui propose un historique des études germaniques, plus spécialement de la « civilisation allemande », en France. Martin Durrell (Manchester) a dirigé le débat sur la place et l’avenir de la langue allemande dans un monde où le plurilinguisme est menacé par une très forte tendance au monolinguisme. Tentant de répondre à cette délicate question, Csaba Földes (Veszprém), Richard Schrodt (Vienne), Marisa Siguan (Barcelone) et Gerhard Stickel (Mannheim) ont évoqué l’« anglicisation » lexicale croissante de l’allemand, les menaces pesant sur son statut, les mesures envisageables pour enrayer le recul de son apprentissage, préserver son identité et stabiliser ou encourager son emploi au plan international.

20Enfin, organisée en collaboration avec la prestigieuse « Deutsche Akademie für Sprache und Dichtung » (Darmstadt), la Table ronde dirigée par Peter Eisenberg (Potsdam), plutôt que de revenir sur la réforme de l’orthographe (« Rechtschreibreform »), a centré ses débats sur la question du « rétablissement d’une orthographe allemande unifiée » (« Wie kann die Einheitlichkeit der deutschen Orthographie wieder hergestellt werden ? »), un problème assurément crucial aussi pour les études germaniques hors d’Allemagne ! Il ressort des débats auxquels prirent part Martine Dalmas (Paris IV), Clemens Knobloch (Siegen), Mathias Wermke (Duden-Verlag, Mannheim) et, au titre des écrivains et des éditeurs, Michael Krüger (Hanser Verlag, Munich), que la nouvelle réglementation ne s’est pas imposée, que des orthographes concurrentes et diversement appréciées coexistent, qu’une unification complète et qui fasse l’unanimité paraît bien difficile à réaliser rapidement.

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22Ce consistant programme scientifique a été agrémenté d’un programme culturel grandement apprécié. Outre la prestation musicale (Mozart, Mendelssohn-Bartholdy) qui leur a été offerte à l’ouverture dans l’amphithéâtre Richelieu par le quatuor ASSAI composé de solistes de l’orchestre de Paris, les participants se sont vu proposer des soirées – conçues en grande partie avec les médiateurs culturels des pays de langue allemande – dont des comptes rendus sont insérés dans ce premier volume des Actes du Congrès. L’une des caractéristiques essentielles de la manifestation, l’internationalisation, trouve aussi sa traduction dans le programme culturel qui proposait des rencontres avec des écrivains et des artistes venus d’horizons très divers.

23Soutenue par l’Ambassade de Suisse, une soirée fut consacrée à la lecture, par l’écrivain lui-même, d’extraits du dernier roman de Paul Nizon, La fourrure de la truite (Das Fell der Forelle), une œuvre récemment traduite en français et qui jouit d’un écho considérable en France. Organisée conjointement par l’Institut Goethe et l’Ambassade d’Allemagne, une autre soirée fut animée par le Prix Nobel allemand de littérature Günter Grass et sa fille Helene, actrice, qui interprétèrent une adaptation dialoguée du Cor enchanté de l’enfant (Des Knaben Wunderhorn) d’Achim von Arnim et de Clemens Brentano. Lu, chanté, et par moments dansé, ce spectacle qui reprenait le motif de « l’autre vérité » développé dans le chapitre final du roman Le Turbot (Der Butt) a été très applaudi. Le caractère polymorphe de cette prestation démontre la pluridimensionnalité de la communication interculturelle et prouve que des textes littéraires de haute tenue tout comme les arts du spectacle peuvent y jouer un rôle intact quand ils sont servis par le talent. Le Forum Culturel autrichien a soutenu la réalisation d’une représentation au Théâtre « Le Trianon » de l’adaptation scénique du grand roman de Robert Musil, L’Homme sans qualités (Der Mann ohne Eigenschaften), conçue par Jürgen Koizik et René Zisterer et à laquelle les scènes autrichiennes, notamment le Burgtheater, avaient réservé un accueil des plus favorables.

24Une soirée poétique, organisée en collaboration avec la Maison Heinrich Heine, fut réservée à la lecture d’extraits de leur œuvre par des poètes originaires du monde arabo-islamique qui écrivent en allemand (Dilek Güngör, Said, Zafer ?enocak, Yusuf Yesilöz). Yoko Tawada, germaniste, traductrice et poétesse japonaise, qui écrit en allemand et en japonais, avait également lu des extraits de son œuvre allemande au Centre Universitaire Malesherbes. La richesse et l’originalité tant culturelles qu’individuelles de tous ces artistes prouvent avec éclat à quel degré la rencontre des cultures féconde la création littéraire.

25L’esprit international de la manifestation a inspiré encore l’innovation suivante : c’est la première fois que la remise publique du « Prix Jacob et Wilhelm Grimm » (« Jacob- und Wilhelm-Grimm-Preis »), attribué cette fois-ci à Dmitrij Dobrovol’skij, linguiste et professeur à l’université Lomonossov de Moscou, fut insérée dans le programme du Congrès de l’IVG.

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27Ce premier des 12 volumes des Actes a une indéniable vertu paradigmatique : il donne une idée juste du tournant qu’aura marqué le Congrès le Paris pour les études germaniques au plan mondial. Très visible, le mouvement d’internationalisation est prometteur de dialogues plus fréquents, de coopérations plus nourries et d’un renforcement des liens entre germanistiques non allemandes. Les succès déjà obtenus à cet égard (création d’une association centre-européenne et d’une autre en Amérique du Sud) et les perspectives qui se dessinent pour les universités africaines (Égypte, Maghreb, Afrique subsaharienne et Afrique du Sud) grâce aux efforts efficaces déployés sous la Présidence de Jean-Marie Valentin ne peuvent que réjouir les germanistes de toutes origines et les avocats de leur discipline. À la vérité, la programmation laissait augurer déjà de l’envergure qui allait distinguer cette manifestation qui a fortement stimulé les échanges scientifiques, culturels et humains entre les germanistes des cinq continents. Le patronage du Haut-Conseil culturel franco-allemand, les messages des Ambassadeurs d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse et la déclaration que le Chancelier Gerhard Schröder avait envoyée au Président Jean-Marie Valentin au nom du gouvernement allemand, de même que la réception donnée par l’Ambassadeur d’Allemagne à Paris, Klaus Neubert, qui a convié les congressistes dans sa résidence du Palais Beauharnais : tous ces signes – dont ce volume conserve la trace écrite – constituent des preuves patentes de l’attention portée à cette manifestation et des attentes qu’elle avait nourries. Les observateurs ont de bonnes raisons de se féliciter du dynamisme qu’attestent les nouvelles orientations de la discipline et qui contredit des appréciations moins optimistes. Toutes les parties prenantes souhaitent que l’amplification des tendances enregistrées se concrétise à Varsovie en 2010, le prochain Congrès devant être organisé dans la capitale polonaise à la suite de l’élection du Professeur Franciszek Grucza qui a succédé à Jean-Marie Valentin à la Présidence de l’IVG.

Notes

  • [*]
    Raymond HEITZ est Professeur à l’université Paul-Verlaine de Metz, 25 rue du Renaulrupt F-57155 MARLY-LÈS-METZ ; courriel : raymond.heitz083@orange.fr
  • [1]
    Akten des XI. Internationalen Germanistenkongresses Paris 2005. Germanistik im Konflikt der Kulturen. 12 Bände. Herausgegeben von Jean-Marie Valentin. Peter Lang : Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2007-2008. (Jahrbuch für Internationale Germanistik. Reihe A : Kongressberichte (Bände 77-88), herausgegeben von Hans-Gert Roloff.)
  • [2]
    Akten des XI. Internationalen Germanistenkongresses Paris 2005. Germanistik im Konflikt der Kulturen. Band 1. Ansprachen – Plenarvorträge – Podiumsdiskussionen – Berichte. Herausgegeben von Jean-Marie Valentin unter Mitarbeit von Jean-François Candoni. Peter Lang : Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2007 (Jahrbuch für Internationale Germanistik. Reihe A : Kongressberichte, Band 77, 232 p.)
Raymond Heitz [*]
  • [*]
    Raymond HEITZ est Professeur à l’université Paul-Verlaine de Metz, 25 rue du Renaulrupt F-57155 MARLY-LÈS-METZ ; courriel : raymond.heitz083@orange.fr
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Mis en ligne sur Cairn.info le 04/02/2015
https://doi.org/10.3917/eger.254.0515
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