CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Au cours de sa carrière universitaire à Zurich, Munich et Heidelberg, le juriste Johann Caspar Bluntschli (1808-1881) a toujours pris part à la vie politique [1]. Député du parti libéral-conservateur au parlement zurichois, puis membre du gouvernement cantonal, il s’efforce, dans les années quarante, d’apaiser les oppositions qui déclencheront la guerre du Sonderbund. Hostile à l’instauration de l’État fédéral suisse et voyant sa proposition de réforme confédérale vouée à l’échec, il quitte son pays en 1848. À Munich, il ne parvient pas à reprendre une activité politique. En se prononçant dès les années cinquante pour l’unification allemande sous la direction de la Prusse, il va à contre-courant de la politique gouvernementale bavaroise. Bluntschli donne donc la priorité à ses travaux universitaires, consacrés durant cette période au droit public et à sa théorie de l’État moderne, ainsi qu’à la publication de l’encyclopédie politique Deutsches Staats-Wörterbuch, entamée à partir de 1857 avec le concours de Karl Brater [2]. L’année 1861 s’avère décisive. Nommé à la fois à la chaire de droit public et de science politique de Robert von Mohl à l’université de Heidelberg et à la première chambre du Landtag badois, Bluntschli multiplie désormais les activités universitaires, politiques et journalistiques en faveur de l’unité nationale. Il s’engage dans l’Association nationale allemande (Deutscher Nationalverein), figure parmi les promoteurs des congrès de juristes qui œuvrent pour l’uniformisation du droit allemand, et préside le synode badois en vue d’organiser l’unité nationale de l’Église protestante. À partir de 1868, il est député au parlement douanier du Zollverein mais refuse de se porter candidat au Reichstag.

2Cet engagement ne l’empêche pourtant pas de se consacrer, dans le même temps, à la théorisation et à la codification du droit international et de publier un projet de Confédération européenne qui révèle autant son engagement national qu’international. Il ne concrétise sa conception d’union européenne que lorsque son collègue écossais James Lorimer (1818-1890) présente, en 1877, un plan d’État fédéral européen. Bluntschli estime que ce modèle est fantaisiste et publie peu après, en février et mars 1878, son contre-projet de Confédération intitulé « L’organisation de la société d’États européens » [3]. Si les deux auteurs ont des avis divergents sur la réorganisation européenne, ils la jugent néanmoins indispensable pour maintenir la paix après l’échec de la diplomatie. Les deux conceptions se rejoignent dans leur espoir d’organiser la paix par le droit. Bluntschli commence à s’intéresser au droit international alors que les guerres se succèdent. Peu avant la guerre austro-prussienne, il publie en 1866 un manuel du droit de la guerre, inspiré du Lieber Code américain (1863), puis un an après son ouvrage principal, Le droit international codifié, qui expose non seulement le droit en vigueur mais contient aussi des propositions d’amélioration. Il préfère la nouvelle forme de codification à celle d’un traité conventionnel parce qu’elle convient mieux aux besoins de l’époque et à son intention « d’éclairer la conscience du monde civilisé » et de contribuer au progrès du droit international [4]. Ces travaux sont poursuivis au sein de l’Institut de droit international de Gand dont il est l’un des fondateurs en 1873. Il prend une part active à sa fondation, rédige le premier projet de statuts et le préside de 1875 à 1877 [5]. En 1874, il représente l’Empire allemand à la Conférence de Bruxelles, où il participe à l’élaboration d’un code international du droit de la guerre et il est également membre de la commission rédigeant le manuel des Lois de la guerre sur terre (1880). Si Bluntschli contribue ainsi au développement du droit international humanitaire, il est pourtant bien conscient que seule l’organisation politique et juridique de la société internationale permet, à long terme, une garantie de paix plus efficace. Dans cette perspective, le projet confédéral se veut le plus réaliste possible afin de convaincre les gouvernements européens de procéder sans tarder à sa réalisation.

3Le droit international ne se limitant pas à l’Europe, Bluntschli ébauche parallèlement une théorie d’État universel (Weltstat). Elle est jugée « réalisable » mais dans un avenir plus lointain [6]. L’État universel constitue l’objectif final du droit international et le perfectionnement nécessaire de l’organisation européenne. Il représente « l’idéal de l’humanité » [7]. Nous mettrons d’abord l’accent sur le projet de Confédération européenne tout en mettant en évidence les points essentiels sur lesquels Bluntschli et Lorimer diffèrent. La conception du droit international et de l’État universel constitueront la seconde partie. Cette vision de la communauté internationale tranche avec le réalisme prononcé du plan d’union européenne.

I

4L’organisation politique de l’Europe est considérée dans le projet de Confédération comme une nécessité historique. Le système des congrès réguliers de la Pentarchie ayant disparu, la désorganisation s’est renforcée et les liens entre les États se sont relâchés. La situation de l’Europe désunie contraste avec la progression des relations internationales, la multiplication des moyens de transport et l’élargissement des intérêts de la communauté internationale. Afin de remédier à ce déséquilibre, la réorganisation européenne et l’établissement d’une politique de sécurité commune s’imposent : « ein Blick auf die heutige europäische Lebensgemeinschaft zeigt uns ein naturgemässes Wachsthum des Verlangens nach einer besseren Organisation Europas, welche den europäischen Frieden sichere und stärke und die europäischen Interessen wirksam schütze. » [8]

5Bluntschli insiste d’abord sur l’identité des Européens, unis par une civilisation commune. Comme Saint-Simon avant lui, dans son projet d’une Europe fédérée [9], il place la question de la paix dans une perspective historique, celle de la civilisation européenne. L’histoire révèle que les peuples européens, malgré les guerres et les différences nationales, ont un sentiment d’appartenance commun et visent donc à former « une association d’États européens de même origine » [10]. Leur identité commune repose sur le droit. Depuis qu’ils ont surmonté la perte de l’unité médiévale chrétienne en développant les principes humains du droit international européen, ils constituent « une communauté juridique importante » [11]. La civilisation européenne ne figure pas au centre du projet de Confédération qui aborde plutôt le côté technique de la réorganisation. Dans d’autres écrits, notamment dans Le droit international codifié, elle se place cependant dans une perspective de progrès civilisateur universel. Celui-ci consiste en un « rapprochement » de tous les peuples, grâce au développement et à l’expansion du droit international, comme Bluntschli le précise aussi dans La Théorie générale de l’État : « le temps continue invinciblement son œuvre de rapprochement ; il réveille toujours plus la conscience universelle de la communauté humaine, et prépare ainsi, naturellement, une organisation générale du monde » [12]. Ce progrès se faisant déjà sentir en Europe, l’histoire enseigne que l’idée d’unification européenne est loin d’être utopique, qu’elle « n’est plus trop excentrique. » [13] Bluntschli y fait déjà allusion en 1858, dans l’article « Europa » du Staats-Wörterbuch. Même si l’organisation politique de l’Europe en est encore au stade « des premières tentatives instinctives », un tournant semble se manifester : « Zu einem politischen Begriffe aber wird Europa erst allmählig in unserer Zeit, seitdem eine gemeinsame Civilisation die europäischen Völker einigt und die Weltpolitik ihnen gemeinsame Aufgaben stellt. » [14]

6Avant de passer à la critique du plan de Lorimer, Bluntschli oppose dans un examen sommaire deux des premiers projets d’organisation fédérative de l’Europe : Le grand dessein d’Henri IV (1638) de Sully et le Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe (1713) de l’abbé de Saint-Pierre. Il se prononce sans équivoque en faveur du plan de Sully, jugé plus réaliste. Il approuve surtout l’idée de vouloir pacifier l’Europe en arbitrant non seulement les différends entre les États mais aussi entre les souverains et les peuples, à travers l’institution du Conseil général. Or, le reproche principal qu’il fait à Saint-Pierre est d’avoir envisagé la réorganisation exclusivement depuis la perspective de souverains absolus sans tenir compte du décalage entre les intérêts des États et ceux des peuples.

7Pour la même raison, il prend ses distances vis-à-vis d’autres projets du xviiie siècle qui préconisent encore le système des congrès que l’évolution politique a rendu caduc. Toute réorganisation doit désormais prendre en considération le droit des peuples et l’instauration du régime représentatif dans la plupart des États européens. La Confédération germanique et l’Acte fédéral de 1815 ne peuvent en aucun cas servir d’exemple à l’Europe :

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Es ist unmöglich, für diesen Verband der europäischen Staten eine unfreie Verfassung einzurichten, welche nur die Herrschaft der Regierungen und nicht die Rechte der Völker beachtet, wenn in […] der Mehrzahl dieser Staten eine freie Verfassung gilt und bleiben soll. [15]

9Il suit sur ce point Lorimer qui avait également critiqué « l’ancien régime de la diplomatie » [16]. Mais si ce dernier a revendiqué à juste titre l’application du principe représentatif, il est allé trop loin en plaidant pour l’État unitaire européen.

10Lorimer, professeur de droit à l’université d’Édimbourg et également membre fondateur de l’Institut de droit international de Gand, propose dans l’article « Le problème final du droit international » de constituer l’Europe sur le modèle du fédéralisme américain. Le pouvoir législatif européen serait confié à deux assemblées, un Sénat, dont les membres seraient désignés par les chambres hautes des États membres, et une Chambre des députés qui représenterait les chambres basses. Les délégués seraient nommés par les gouvernements seulement dans les États non dotés d’un régime représentatif. Il tient à ce que le corps législatif soit « le résultat des volontés nationales respectives » et à ce qu’il soit choisi par les parlements et non par les gouvernements. Bluntschli désapprouvera ce caractère « républicain » du pouvoir législatif [17]. Lorimer envisage aussi un pouvoir exécutif qui aurait sous ses ordres une armée européenne – ce qui impliquerait le « désarmement proportionnel » de tous les États [18] – et, enfin, une cour d’appel en matière civile et pénale. Si cet État fédéral comporte des éléments républicains et pacifistes, il est cependant très loin des projets de fédéralisme qui sont propagés par les mouvements démocrates, républicains et pacifistes dans le contexte du débat sur les États-Unis d’Europe après 1848 [19]. Lorimer prend ses distances à l’égard du « parti de la paix » en lui reprochant de ne pas accompagner la revendication du désarmement de l’institution d’une organisation internationale [20]. Le concept d’États-Unis d’Europe est d’ailleurs soigneusement évité dans son projet.

11Dans une étude consacrée en 1868 au fédéralisme américain, Bluntschli estime que celui-ci convient parfaitement aux États-Unis où les institutions font preuve d’un fonctionnement équilibré [21]. Mais selon lui, il est tout à fait inadapté à l’Europe tout comme les variantes suisse ou allemande. Le principal argument avancé contre l’État fédéral européen est la diversité politique et culturelle des nations qui s’est constituée au cours de l’histoire. Bluntschli tient à préserver la pluralité des nationalités en Europe et voit en l’État unitaire une menace pour cette dernière. Autant il avait insisté sur l’identité commune des Européens en vue de souligner la possibilité d’une Confédération, autant il fait ressortir les différences nationales afin de démontrer l’impossibilité d’un État fédéral. Étant donné qu’il n’y a pas de peuple européen, il ne peut y avoir d’État qui s’appelle l’Europe : « Eine politische Statseinheit ohne ein Volk ist ein Widerspruch in sich. Da es kein europäisches Volk gibt, so kann es auch keinen Stat geben, der Europa heisst. » [22] La seule forme d’organisation concevable est ainsi celle qui garantit l’autonomie et la liberté des États associés. Tout projet comportant des aliénations de souveraineté est à exclure. Reste celui qui semble réalisable, une Confédération, où le droit existant et les relations actuelles des États seraient altérés le moins possible : « Eine Organisation des europäischen Statenvereines ist daher nur so möglich, dass die Souveränität der verbundenen Staten grundsätzlich […] vollständig bleibt, d.h. in der Form des Statenbundes. » [23]

12À la place de l’État fédéral européen, qualifié d’« utopie impraticable » [24], Bluntschli envisage une Confédération de dix-huit États. Elle est composée de trois groupes : d’abord six grandes puissances (la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Autriche-Hongrie, la Russie et l’Allemagne) ; puis sept États occidentaux (l’Espagne, le Portugal, la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse, le Danemark et la Suède, réunie en union personnelle avec la Norvège) et cinq États orientaux (la Turquie, la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie ainsi que la Serbie et le Monténégro regroupés) [25]. Les dix-huit États seraient tous égaux au point de vue de la personnalité juridique et du droit à la représentation dans les organes européens, mais les grandes puissances y disposeraient d’une représentation plus importante. La définition du statut de grande puissance indique clairement qu’il s’agit d’un critère plus politique que juridique. Ce n’est ni l’importance démographique ni la surface territoriale qui la définit mais « son énergie active », c’est-à-dire sa « puissance financière et militaire » :

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N’est à considérer comme grande puissance que l’État qui par sa puissance, en particulier par son armée et sa flotte, paraît capable d’intervenir activement dans le sort de l’Europe et du monde, et qui exerce cette capacité d’action contrairement à d’autres États qui, soit ne possèdent pas d’une telle puissance financière et militaire, soit n’en font pas un usage aussi actif ou universel. [26]

14Le nombre des grandes puissances n’étant pas définitivement fixé, il peut évoluer. La même distinction entre les grandes puissances et les autres États figure déjà dans le projet de Lorimer où la représentation est également proportionnelle à l’importance politique. Les critères définissant la grande puissance ne sont pas précisés mais les autres États sont représentés selon « [leur] importance internationale, calculée d’après [la] population, [l’]étendue, [le] revenu déduction faite de l’intérêt de [la] dette, et autres bases qui seront déterminées par les représentants des six grandes puissances » qui sont d’ailleurs les mêmes [27]. Le projet de Bluntschli se rapproche sur ce point aussi de celui de Sully qui prévoyait déjà une prépondérance des grandes puissances dans l’institution du Conseil général [28].

15Les compétences de la Confédération sont au nombre de quatre : la législation internationale, le maintien de la paix par l’exécution de la haute politique internationale ; l’administration et la juridiction internationales. Elle légifère au moyen des deux organes centraux du système : le Conseil confédéral (Bundesrat) et l’Assemblée représentative (Repräsentantenhaus), nommée aussi Sénat. Le premier serait composé des délégués des gouvernements, un par État, deux pour les grandes puissances. Ces dernières disposeraient ainsi toujours de la moitié des voix. L’Assemblée représentative comprendrait les députés des peuples européens, élus par les chambres des États membres. Suivant le même principe, les grandes puissances auraient droit au double de députés. Tandis que le vote se ferait au Conseil confédéral par État, ce serait à l’Assemblée un vote individuel.

16Le Conseil confédéral promulguerait comme loi internationale les normes sur lesquelles les deux chambres sont tombées d’accord à la majorité des voix. Le droit d’initiative appartiendrait également aux deux organes. Les questions de la haute politique européenne devraient être tranchées par le Conseil confédéral avec le concours de l’Assemblée représentative. Celles-ci concernent l’existence, l’indépendance et la liberté des États, les conditions vitales des peuples, leur développement et leur sécurité. Bluntschli souligne que la priorité de décision revient au Conseil confédéral mais que l’accord de l’Assemblée est nécessaire pour que l’Europe soit considérée comme une « autorité décisive » dans ces questions : « Si l’on attribuait donc le pouvoir décisif essentiel au Conseil confédéral et s’il décidait à la majorité, cette décision ne pourrait devenir juridiquement obligatoire et exécutable que si le rapport ou l’autorisation de l’Assemblée s’y ajoutait. » [29]

17Les affaires de moindre importance concernant l’administration et la justice européennes seraient réglées par des institutions communes. Les affaires administratives demandant une activité régulière et continue, une chancellerie confédérale serait instituée et placée sous l’autorité du Conseil confédéral. Ce dernier déciderait également de la composition et du règlement des cours européennes.

18Mais sa prépondérance apparaît surtout lorsque l’exécution des décisions de la haute politique européenne exige d’user de contrainte envers un État. C’est alors qu’est envisagé, au sein du Conseil confédéral, le Collège des grandes puissances fonctionnant en qualité de commission exécutive. Seules les décisions qui sont votées par l’Assemblée et en même temps par le Conseil confédéral et le Collège des grandes puissances, avec une majorité de deux tiers, pourraient être exécutées par la force. Il est évident que le Conseil confédéral et, à travers lui, les gouvernements, notamment ceux des grandes puissances, ont la primauté dans la direction des affaires européennes. Bluntschli s’est manifestement inspiré du rôle prépondérant du Bundesrat dans la Constitution de l’Empire allemand qui, en cumulant des fonctions législatives et exécutives, voire judicatives, constitue la clef de voûte du système [30].

19Il reconnaît que l’éventualité d’une guerre n’est point exclue. Mais en misant sur l’effet dissuasif de la force combiné à l’autorité commune des grandes puissances, des gouvernements et des peuples européens, les guerres pourraient se raréfier :

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Normalement, on pourra se passer du recours à la force, mais qui défiera abusivement le jugement et la volonté de l’Europe, sera ramené à la raison et contraint à l’obéissance par la menace de la force. Le recours à la force elle-même aura plutôt le caractère de l’exécution d’une décision juridique que celui d’une lutte de partis. Les guerres deviendront donc très rares, et des guerres irréfléchies, ambitieuses et impérialistes réellement impossibles. [31]

21Les grandes puissances sauraient que dorénavant aucune d’entre elles ne serait assez forte pour soumettre toutes les autres ou pour s’opposer durablement à l’Europe unie. Dans d’autres écrits, Bluntschli souligne qu’une meilleure organisation européenne aurait eu son influence sur les guerres franco-allemande et russo-turque [32]. La proposition de Lorimer, prévoyant le désarmement des États européens en vue de la création d’une armée commune, est désapprouvée car les grandes puissances s’y opposeraient. Se voulant optimiste, Bluntschli estime que son projet, en réduisant à long terme le risque de guerre, ferait en plus disparaître la surcharge des coûts militaires : « Les économies énormes de dépenses militaires désormais inutiles libéreraient les citoyens de la pression fiscale et créeraient en même temps les capacités financières nécessaires pour accroître les moyens des intérêts culturels pacifiques. » [33]

22En ce qui concerne la question coloniale, les deux projets préfèrent dans un premier temps l’exclure. Lorimer écarte les affaires coloniales des compétences du pouvoir législatif européen jusqu’au jour où les colonies seraient admises à être représentées au parlement. Tout en étant conscient que le colonialisme influence l’ordre européen, Bluntschli souhaite néanmoins que la Confédération prenne d’abord l’habitude et le temps de régler ses affaires d’une manière commune, juste et pacifique [34].

23En définitive, il considère que son projet est dans l’ensemble, et par rapport aux autres, tout d’abord proche des réalités politiques. Sa mise en œuvre ne devrait pas tarder, elle est jugée plus facile à accomplir que l’unification allemande :

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Il est actuellement encore difficile de prévoir si et quand un homme d’État clairvoyant et courageux entreprendra de réaliser cette idée. Cependant, il est indubitable que l’organisation de la Confédération européenne est bien moins difficile mais tout aussi fructueuse et salutaire et encore plus utile à l’humanité que ne l’a été l’unification des États allemands. [35]

25En faisant de la souveraineté des États la condition nécessaire de toute réorganisation européenne, Bluntschli cherche à préserver le principe de nationalité dans l’Europe unie. Les États membres gardent des compétences importantes – financières, fiscales et militaires – et les questions de haute politique sont en priorité traitées et décidées par les grandes puissances. Le fonctionnement des institutions indique aussi que l’unification européenne, tout comme celle de l’Allemagne, se réalise « par le haut ». Les peuples y participent sans vraiment pouvoir influencer les questions décisives. Ce manque de parlementarisme est critiqué en France, en premier lieu par ceux qui envisagent une fédération européenne fondée sur la souveraineté des peuples. Déjà en 1878, Charles Lemonnier, alors président de la Ligue internationale de la paix et de la liberté et directeur du journal Les États-Unis d’Europe, commente la controverse Lorimer-Bluntschli lors d’une conférence pendant l’exposition universelle. Sa critique met l’accent sur la primauté des gouvernements et des grandes puissances [36]. En 1900, l’étude de la question des États-Unis d’Europe est mise à l’ordre du jour du Congrès des sciences politiques. L’avocat Gaston Isambert y présente un projet de Confédération qui est manifestement inspiré de celui de Bluntschli. Il rejette cependant toute distinction entre les États ainsi que la possibilité d’un pouvoir exécutif réservé aux grandes puissances [37].

26Lorimer défend son point de vue contre les objections de Bluntschli, lorsqu’il réédite son plan en 1884, dans The Institutes of the law of nations. Le défaut majeur du projet confédéral réside selon lui dans la conception du pouvoir exécutif. En le confiant au Collège des grandes puissances, Bluntschli renonce à un véritable gouvernement international et revient finalement au système dépassé du « concert européen ». Lorimer compare le Collège à une version actualisée de la Pentarchie : « l’opposition de Bluntschli provient de ce qu’il voit la plupart des projets caresser l’idée d’une ingérence dans la politique nationale, [il] se propose de faire dans le sens démocratique ce que la Sainte-Alliance se proposait de réaliser dans le sens monarchique et dynastique. » Il souligne néanmoins que cette idée du pouvoir exécutif n’est pas exempte « de défiance à l’endroit de l’élément populaire ». En outre, l’unification européenne ne doit pas être dissociée de la création d’une armée commune. En la refusant, Bluntschli « enlève presque tout caractère international au pouvoir exécutif » [38].

II

27Marqué par l’École historique du droit, notamment par Keller et Savigny, Bluntschli appartient au courant historiciste et organiciste du libéralisme allemand. Il est aussi très influencé par les cours de l’historien Niebuhr et correspond avec Jakob Grimm et Ferdinand Meyer [39]. Le « libéralisme organique » existe à côté de la tradition conservatrice et romantique de l’organicisme au xixe siècle [40]. Tout en comprenant des positions très diverses, il cherche généralement à réconcilier les postulats du constitutionnalisme et de l’historicisme. Si ce courant reste dans un premier temps imprégné des idéaux politiques du Vormärz, il prend, après 1850, une tournure plus « réaliste » et conservatrice dont témoigne aussi le libéralisme modéré de Bluntschli [41]. Mais la particularité et l’intérêt de son approche consiste surtout à faire la synthèse entre le droit historique et le droit naturel. Il la juge indispensable malgré l’apothéose du positivisme et l’abandon des théories universalistes en droit dans la seconde moitié du xixesiècle. Cet « idéalisme tardif » [42] caractérise non seulement sa conception du droit public mais encore celle du droit international.

28Bluntschli demande dès 1839 que l’on surmonte l’antagonisme entre l’école philosophique et l’école historique afin de mettre un terme à la querelle qui oppose Thibaut et Savigny depuis 1814 [43]. Dans le chapitre « Méthodes scientifiques » de la Théorie générale de l’État, il reconnaît la légitimité et la complémentarité des deux méthodes, « [elles] ne sont pas ennemies […] et se corrigent plutôt l’une l’autre », seul l’excès entraînerait « l’idéologie abstraite » ou « l’empirisme exclusif » [44]. C’est le caractère à la fois idéel et réel du droit qui nécessite leur conjonction. L’idéalité renvoie aux idées morales en droit, la réalité à leur constitution dans l’histoire : « Le droit et la politique ont toujours un côté idéal, un élément moral et intellectuel ; mais en même temps ils reposent sur des réalités, ils ont une forme et une valeur concrètes. » [45] La combinaison des deux approches caractérise déjà « les nouvelles écoles en droit » [46]. Elle permet aussi de déterminer l’historicité des idées sans pour autant exclure leur perfectionnement nécessaire. Le passé autant que l’avenir sont considérés comme des forces constitutives du présent dont le droit doit tenir compte : « Das wirkliche Recht ruht auf der Vergangenheit und bewegt sich der Zukunft zu, es ist die Verbindung von Vergangenheit und Zukunft. » [47]

29La méthode adoptée dans le Droit international codifié est par conséquent synthétique et tente d’associer le droit naturel au droit historique. Bluntschli fonde le droit international sur l’idée universelle d’une nature humaine commune à tous les peuples. Celles de leur égalité et unité en découlent : « La nature humaine est le lien naturel entre les peuples ; c’est sur elle que repose l’unité de l’humanité. – En conséquence, chaque peuple a le droit d’exiger que les autres respectent en lui la nature humaine, et il a l’obligation de la respecter chez les autres. C’est là l’égalité entre les peuples. » [48] Il maintient donc une base universelle en droit international mais insiste avant tout sur l’importance du processus historique qui transforme ces idées en principes et normes juridiques. Les congrès internationaux, la législation avancée de certains États et les progrès de la science, telles les premières codifications en droit international, contribuent le plus à la genèse et à l’affermissement de ces normes. Ainsi naît, à travers les temps, une « conscience » commune de l’humanité, celle de ses intérêts et de son unité qui peut seule légitimer le droit international : « Le domaine et la portée pratique du droit international augmentent dans la même mesure que le sentiment de la solidarité humaine. Car le droit international dépend de la conscience que l’humanité a [de] ses droits. » [49] Grâce à ce processus historique et aux progrès de la science, la conscience juridique des peuples devient l’instance décisive pour conférer de l’autorité au droit international [50].

30Après avoir consacré l’introduction du Droit international codifié « à l’importance et aux progrès » de cette discipline [51], en soulignant notamment son indépendance à l’égard de la religion, Bluntschli en étudie les fondements, puis les principaux domaines concernés : personnes, organes, fonctions, traités et violations du droit international ainsi que le droit de la guerre et la neutralité. Nous nous limitons ici à deux sujets nous permettant d’établir le lien avec le projet de Confédération européenne, l’opposition entre le droit international et la souveraineté des États ainsi que l’idéal de l’État universel, abordé aussi dans d’autres écrits.

31D’après la définition de Bluntschli, le droit international régit non seulement les rapports entre les États mais s’applique aussi aux ressortissants en améliorant les garanties internationales des droits de l’homme. Il admet pourtant que le dernier domaine est encore sous-développé. Contrairement aux États, les individus ne disposent pas vraiment du statut de personnalité juridique internationale leur accordant des droits et des devoirs. Or, le respect des droits de l’homme doit être une obligation générale : « Le droit international est l’ensemble des faits et des principes reconnus qui réunissent les divers états en association juridique et humanitaire, et qui assurent en outre aux citoyens des divers états une protection commune pour les droits généraux résultant de leur qualité d’homme. » Il mentionne explicitement « la liberté individuelle, la liberté de conscience ou de culte » [52]. Dans les deux champs d’application, le droit international est confronté au problème de la souveraineté étatique.

32Bluntschli concède que la situation peut paraître contradictoire parce que le droit international « maintient et restreint à la fois la souveraineté des états » [53]. Si leur liberté est à respecter, elle n’est cependant pas absolue et doit coexister avec celle des autres. L’argument central permettant de la restreindre est l’idée d’égalité des États, liés entre eux par leur nature humaine commune. Disposant tous de la qualité de personnes juridiques, leurs droits sont limités par ceux des autres [54]. Tous participent au droit international et ont droit à ce que leur existence soit respectée : « Un État ne peut prétendre qu’à l’indépendance et à la liberté compatibles avec l’organisation nécessaire de l’humanité, avec l’indépendance des autres états et avec les liens qui unissent les états entre eux. » Le droit international règle ainsi les relations réciproques des États en tenant compte de la liberté d’autrui et des « intérêts généraux de l’humanité » [55]. Bluntschli se prononce pour des mesures de répression dans le cas où les actes d’un État seraient contraires aux principes du droit international. Parmi les exemples historiques évoqués figurent l’abolition de l’esclavage, la suppression de la piraterie, une meilleure protection de la liberté religieuse ou l’ouverture des ports de l’Asie orientale au commerce des autres nations. Ceux-ci étant encore peu nombreux, il souhaite « que le droit international devienne moins timide à l’avenir » [56]. Le droit de limiter la souveraineté nationale est ainsi clairement approuvé, contrairement à la conception hégélienne de la souveraineté absolue des États qui a fortement marqué le droit international positif [57].

33En cas de violation du droit international, la répression est surtout justifiée si les actes constituent un « danger général », c’est-à-dire une « menace pour l’ordre public universel ». Dans cette catégorie rentrent entre autres « La rupture de l’équilibre général par un état qui aspire à la domination universelle […] ; L’oppression violente de peuples viables et indépendants […] ; L’introduction de l’esclavage […] ; Les persécutions religieuses » [58]. Dans les cas évoqués, la voie diplomatique doit toujours précéder l’intervention armée en vue de l’éviter. La guerre n’est de toute façon que l’ultime « sanction du droit » [59]. L’intervention n’est pourtant jamais légitime en cas de révolution politique ou de changement de constitution qui relèvent des affaires intérieures des États. Bluntschli maintient ici la dualité entre le droit interne et le droit international. Celui-ci « respecte le droit des peuples de […] se donner eux-mêmes une constitution » et « se dépouill[e] lentement du vieux manteau troué de la théorie légitimiste ». Le principe d’intervention de la Sainte Alliance est sévèrement critiqué et qualifié de « théorie monstrueuse » [60].

34La restriction de la souveraineté nationale est donc légitimée par le fondement éthique et universel du droit international. Plus il devient le « droit de l’humanité » [61], plus celle-ci a ses droits sur l’État. Ceci vaut autant pour la protection des droits fondamentaux des États que pour celle des ressortissants. L’individu jouit de droits privés et publics reconnus par l’État mais « sa qualité d’homme a une portée qui dépasse les limites de l’état » et requiert des garanties internationales [62]. De ce domaine relèvent non seulement les mesures déjà évoquées mais aussi une meilleure reconnaissance des droits des étrangers. Les obligations de l’État envers ses ressortissants à l’étranger et envers les étrangers résidant sur son territoire ont considérablement évolué. Tout en soulignant ces progrès, Bluntschli insiste malgré tout sur l’écart persistant encore entre le droit international et l’idéal kantien du droit cosmopolitique. Il est néanmoins optimiste, car l’époque permet déjà de voir « le germe » du Weltbürgerrecht et de « l’indigénat universel ou international » [63]. L’emploi du terme « indigénat » peut surprendre parce qu’il est synonyme de « citoyenneté » [64] et les définitions kantiennes du droit cosmopolitique n’envisagent, en dépit du nom, pas de citoyenneté internationale. Le droit cosmopolitique se restreint aux conditions de « l’hospitalité universelle » accordant à l’étranger le « droit de visite » mais pas le « droit de résidence ». Il permet de circuler librement et d’établir des relations réciproques sans pour autant être traité en ennemi [65]. Bluntschli est bien conscient qu’une citoyenneté internationale ne pourra conférer des droits que si l’organisation politique du monde se concrétise et conclut donc prudemment : « Si l’état universel existait, il [sc. l’homme] serait citoyen du monde » [66].

35La réalisation de cette idée constitue dès son apparition en 1852, dans la Théorie générale de l’État, le but suprême et final, bien que encore lointain, du droit international. Seul l’État universel semble garantir l’état de paix entre les peuples, tout comme leur liberté, et représente ainsi « l’idéal de l’humanité [en progrès, I.R.] » [67]. Loin d’être utopique, « cette grande idée » doit orienter l’évolution du droit : « la science ne doit pas oublier un idéal qui appartient à l’avenir. C’est dans l’empire universel seulement que nous trouverons l’État type, et le respect assuré du droit des gens dans sa forme la plus haute. […] Ainsi, l’État dans sa formule la plus élevée, […] c’est l’humanité organisée » [68]. Confiant en l’avenir, Bluntschli estime que le développement du droit international pourra suivre l’exemple du droit de la guerre. Par la voie de congrès internationaux, de tribunaux d’arbitrage et de codifications plus avancées, l’objectif envisagé se réalisera lentement mais progressivement : « Un pas est fait vers le but, chaque fois qu’un nouveau principe est compris et mis en pratique par les nations. » [69] Durant cette période transitoire, la « communauté d’intérêts des peuples » se consolidera mais elle ne franchira pas l’étape décisive avant d’être parvenue à créer l’organe « destiné à exprimer la volonté générale » et à instituer une organisation politique internationale. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là que le droit international deviendra réellement le « droit universel » [70].

36La Confédération européenne trouvera ainsi, à long terme, son perfectionnement nécessaire dans l’État universel. Entre-temps, le droit international devra progressivement s’étendre à tous les peuples, il n’est pas limité aux États chrétiens et européens. Dans la lignée de Grotius et de Pufendorf, Bluntschli défend une conception universaliste et tolérante en écartant toute ingérence religieuse : « Le droit international, droit général de l’humanité, réunit les chrétiens et les mahométans, les bouddhistes et les brahmanistes, les disciples de Confucius et les adorateurs des étoiles, les croyants et les non-croyants. » Il salue l’entrée de la Turquie dans le concert des États européens, suite au Congrès de Paris en 1856, et l’intègre aussi dans son projet de Confédération européenne [71]. L’extension du droit international doit donc s’accorder avec le respect des cultures et du droit à la différence. Cet universalisme maintient néanmoins une distinction entre peuples civilisés et non civilisés. La protection du droit international vaut certes pour tous les peuples, indépendamment de leur degré de civilisation. Mais l’Europe et les États-Unis sont plus spécialement « les représentants et les garants du droit international » dans la mesure où ils ont contribué le plus à son développement [72]. Comme le degré de civilisation d’un pays dépend selon Bluntschli du progrès de son organisation politique et du respect du droit et de la liberté humaine, tous sont en mesure de rejoindre la communauté internationale en s’approchant de ces normes démocratiques. Il s’agit ainsi d’une distinction qui s’atténuera avec le temps [73].

37Une contradiction patente, que nous ne pouvons approfondir ici mais qui mérite d’être soulignée, existe pourtant entre cette idée du droit international et sa conception des différences raciales. Bluntschli rejette catégoriquement toute forme de racisme et le déclare contraire aux principes du droit international [74]. Or, dans l’article « Arische Völker und arische Rechte », publié en 1857 et réédité en 1879, il affirme la supériorité des peuples aryens, les Indo-Européens, dans les domaines des arts, des sciences et de la politique en vue de leur attribuer une mission universelle et civilisatrice. Même en ayant conscience du poids des courants anthropologiques de l’époque, on voit mal comment la hiérarchisation des ethnies peut être conciliable avec l’idée d’une nature commune à tous les peuples. Le principal reproche fait aux peuples sémites est de soutenir encore le modèle de la théocratie [75]. Bluntschli est en revanche partisan de l’émancipation des Juifs, il souligne l’importance de leur intégration dans la société allemande et condamne fermement les persécutions en Europe [76].

38Quelle forme politique prendra finalement l’État universel ? Bluntschli préfère ne pas trancher la question mais indique les principes fondamentaux. Le gouvernement peut être monarchique ou républicain à condition que le système représentatif soit respecté. La Confédération peut évoluer vers l’État fédéral pourvu que « la diversité des peuples » ne soit pas sacrifiée à « l’uniformité despotique ». L’hypothèse de l’État centralisé est formellement écartée [77]. Les lignes directrices se rapprochent donc du projet de Confédération européenne même si le modèle fédératif est susceptible de connaître des formes plus développées. Les compétences sont divisées entre l’État universel et les États membres. Sans spécifier les détails, Bluntschli évoque une législation, un gouvernement et une jurisprudence communs « pour les intérêts généraux » qui peuvent entraîner une restriction de la souveraineté nationale. Celle-ci reste pourtant compétente pour tous les « intérêts particuliers » [78]. Les domaines nécessitant la concertation et la primauté du droit international sont le maintien de la paix universelle, la protection du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la garantie des droits de l’homme ainsi que la préservation de l’humanité et du commerce mondial [79]. Conformément au caractère à la fois idéel et réel du droit que Bluntschli avait revendiqué, l’avenir fait partie intégrante du présent : « La plupart de mes contemporains disent que c’est là une rêverie ; je n’en dois pas moins exprimer et motiver ma conviction. Les générations futures, peut-être après plusieurs siècles seulement, trancheront la controverse. » [80]

Conclusion

39La conception du droit international et le projet confédéral européen constituent des étapes différentes mais complémentaires dans la pensée juridique internationale de Bluntschli. Leur intention commune est de contribuer à l’organisation de la paix par le droit, à travers un modèle de confédération européenne très prudent et respectueux envers les souverainetés nationales d’une part, et une codification innovante et inhabituelle face au règne du positivisme d’autre part. Ils démontrent bien que Bluntschli se situe à la jonction entre le droit naturel et le droit historique, tentant de réconcilier leurs exigences. Il recherche une synthèse analogue en science politique lorsqu’il déclare que la Realpolitik et la Idealpolitik sont indissociables : « Alle Politik musz real sein ; alle Politik soll ideal sein. » [81] La polarité de cette pensée caractérise sa conception du droit international et le projet d’unification européenne.

40Le trait saillant de ce dernier est indéniablement son réalisme qui s’explique tant par son opposition au projet de Lorimer que par l’ambition de vouloir influer sur l’évolution politique. L’idéalisme prudent reste bien cadré. Ainsi, le principe de représentation nationale est retenu mais la répartition des pouvoirs est déséquilibrée ; de son côté, le principe d’égalité des États est mis en question par la suprématie institutionnelle des grandes puissances ; et ce premier degré d’organisation politique commune cherche surtout à ne pas entraver les souverainetés nationales. L’idéalisme plus prononcé de sa conception du droit international permet notamment, grâce à son fondement éthique et universel, de limiter la souveraineté des États dans certains cas. D’abord en vue d’une jurisprudence commune qui pourrait évoluer vers une organisation politique internationale en se servant de la « force civilisatrice » du droit international [82]. L’esprit universaliste n’est pourtant pas exempt non plus de contradictions, car il coexiste avec la conviction d’une supériorité de la civilisation européenne. Le projet européen et la conception du droit international ont malgré ces ambivalences incontestablement fait progresser les projets d’organisation internationale. Mais il faut attendre le tournant de la Première Guerre mondiale pour voir des conceptions de paix plus résolues et déterminées dans leur intention de maîtriser les souverainetés nationales.

Notes

  • [*]
    Ingrid RADEMACHER, Université François Rabelais, département d’Études Germaniques, 3, rue des Tanneurs, F-37041 Tours Cedex 1 ; courriel : ingrid.rademacher@univ-tours.fr
  • [1]
    Cf. Willy Hochuli : « Johann Caspar Bluntschli (1808-1881) », in : Zeitschrift für Schweizerisches Recht, 101 (1982), p. 87-104 ; Betsy Röben : Johann Caspar Bluntschli, Francis Lieber und das moderne Völkerrecht, Baden-Baden : Nomos, 2003, p. 40-61 et ses mémoires : Denkwürdiges aus meinem Leben, 3 vol., Nördlingen 1884.
  • [2]
    Deutsches Staats-Wörterbuch, hrsg. von J.C. Bluntschli und K. Brater, 11 vol., Stuttgart/Leipzig 1857-1870. Cf. Monika Faßbender-Ilge : Liberalismus-Wissenschaft-Realpolitik. Untersuchung des Deutschen Staats-Wörterbuchs von Johann Caspar Bluntschli und Karl Brater als Beitrag zur Liberalismusgeschichte zwischen 48er Revolution und Reichsgründung, Frankfurt am Main : Fischer, 1981.
  • [3]
    Johann Caspar Bluntschli : « Die Organisation des europäischen Statenvereines » [désormais OES 1], in : Gesammelte Kleine Schriften (GKS), vol. 2, Nördlingen 1881, p. 279-312 (nous maintenons l’orthographe originale) ; initialement publié dans l’hebdomadaire Die Gegenwart, n° 6, p. 81-84, n° 8, p. 114-116 et n° 9, p. 131-133 ; réédition : Die Organisation des europäischen Staatenvereines, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1962. Extrait traduit en français : « L’organisation de la société d’États européens », trad. par F. Taubert et I. Rademacher, in : Patrice Rolland : L’unité politique de l’Europe. Histoire d’une idée, Bruxelles : Bruylant, 2006, p. 280-291 (OES 2). Sur ce projet : Jacob Ter Meulen : Der Gedanke der Internationalen Organisation in seiner Entwicklung, vol. II, 2, Den Haag 1940, p. 119-126 ; Rolf Foerster : Europa – Geschichte einer politischen Idee, München : Nymphenburger Verlagshandlung 1967, p. 284-291 ; Jean Nurdin : L’idée d’Europe dans la pensée allemande à l’époque bismarckienne, Frankfurt am Main : Lang, 1980, p. 293-322 ; Jean Nurdin : Le rêve européen des penseurs allemands, Lille : Septentrion, 2003, p. 111-117 ; Stephan Hobe : « Das Europakonzept Johann Kaspar Bluntschlis vor dem Hintergrund seiner Völkerrechtslehre », in : Archiv des Völkerrechts, 31 (1993), p. 367-379 ; Georg Cavallar : « Johann Caspar Bluntschlis europäischer Staatenbund in seinem historischen Kontext », in : Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte, 121 (2004), p. 504-518.
  • [4]
    Bluntschli : Das moderne Völkerrecht der civilisirten Staten als Rechtsbuch dargestellt, Nördlingen ³1878 [1867] ; idem : Le droit international codifié, trad. par C. Lardy, Paris 41886 [1870] [désormais DIC] ; trois éditions se suivent en Allemagne, cinq en France jusqu’en 1895. Cit. idem : Denkwürdiges (note 1), vol. 1, p. 171. Sur sa conception du droit international cf. notamment Röben (note 1) et Martti Koskenniemi : The Gentle Civilizer of Nations. The Rise and Fall of International Law 1870-1960, Cambridge : University Press, 2002, p. 11-97.
  • [5]
    De ce projet, on adoptera surtout le premier article qui fixe comme objectif à l’Institut : « De favoriser le progrès du droit international, en s’efforçant de devenir l’organe de la conscience juridique du monde civilisé. » Cf. infra, Röben (note 1), p. 79 sq. et Dietrich Schindler : « Jean-Gaspard Bluntschli (1808-1881) », in : Institut de droit international. Livre du Centenaire 1873-1973, Basel 1973, p. 45-60, p. 321 sq., p. 56 sq.
  • [6]
    Bluntschli : « Weltmacht und Weltreich », in : Bluntschli’s Staatswörterbuch in drei Bänden mit Nachträgen auf Grundlage des Deutschen Staatswörterbuches von Bluntschli und Brater in elf Bänden, hrsg. von E. Löning, Leipzig/Stuttgart ²1876 [1872-1875], vol. 3, p. 912-917 : cit. p. 914 [désormais SW].
  • [7]
    Bluntschli : Théorie générale de l’État, trad. par A. de Riedmatten, Paris ²1881 [1877], p. 21 (trad. de Allgemeine Statslehre, vol. 1 de Allgemeines Statsrecht geschichtlich begründet, 1852, dont l’édition remaniée et augmentée paraît en 1875 comme 1er volume de la trilogie Lehre vom modernen Staat).
  • [8]
    Bluntschli : OES 1, p. 281.
  • [9]
    Claude-Henri de Saint-Simon : De la réorganisation de la société européenne, ou de la nécessité et des moyens de rassembler les peuples de l’Europe en un seul corps politique en conservant à chacun son indépendance nationale, Paris 1814.
  • [10]
    Bluntschli : OES 1, p. 279.
  • [11]
    Ibid., p. 280.
  • [12]
    Bluntschli : Théorie générale de l’État (note 7), p. 25.
  • [13]
    Bluntschli : DIC, p. 60 (§ 10 n. 1).
  • [14]
    Bluntschli : « Europa », in : Deutsches Staats-Wörterbuch (note 2), vol. 3, p. 455-467, cit. p. 462 et 455.
  • [15]
    Bluntschli : OES 1, p. 292.
  • [16]
    James Lorimer : « Le problème final du droit international », in : Revue de droit international et de législation comparée, 9 (1877), p. 161-206, cit. p. 185 (RDILC).
  • [17]
    Ibid., p. 187 ; Bluntschli : OES 1, p. 295.
  • [18]
    Les forces nationales seraient réduites « à la limite requise pour le maintien de l’ordre intérieur et l’exécution des lois nationales ». Ibid., p. 188. Il prévoit l’hostilité des grandes puissances envers l’exécutif européen et la force armée mais estime « qu’il y aurait une tendance toujours croissante à accepter le vote final d’un corps [législatif] représentant complètement l’opinion européenne ». Ibid., p. 195.
  • [19]
    Cf. Pierre Renouvin : « L’idée d’États-Unis d’Europe pendant la crise de 1848 », in : Actes du congrès historique du centenaire de la Révolution de 1848, Paris 1948, p. 31-45 ; idem : L’Idée de Fédération Européenne dans la pensée politique du XIXe siècle, Oxford 1949.
  • [20]
    Lorimer : « Le problème final du droit international » (note 16), p. 189 : « la possibilité d’un désarmement international et celle d’une organisation internationale me paraissent agir […] l’une sur l’autre […]. Elles sont susceptibles de réalisation simultanée, mais non séparée. »
  • [21]
    Bluntschli : « Die Gründung der Amerikanischen Union von 1787 », in : GKS, vol. 2, p. 41-69.
  • [22]
    Bluntschli : OES 1, p. 299.
  • [23]
    Ibid., p. 299 sq.
  • [24]
    Ibid., p. 298.
  • [25]
    La première version du projet ne réunit que 15 États parce qu’elle paraît en février et mars 1878, avant le Congrès de Berlin. Outre les grandes puissances et les États d’Europe de l’Ouest qui sont identiques, Bluntschli intègre deux groupements d’États : « Griechenland und die osmanischen Länder » et « Rumänien – Ser[b]ien – Montenegro ». Cf. Die Gegenwart (note 3), n° 9, p. 131. La deuxième version augmente le nombre des États membres, introduit la différence entre États occidentaux et États orientaux mais ne tient que partiellement compte des dispositions du Congrès en réunissant la Serbie et le Monténégro (OES 1, p. 300). Bluntschli doute que leur indépendance dure, même s’il approuve la création des nouveaux États. Cf. idem : « Le congrès de Berlin et sa portée au point de vue du droit international », trad. par E. Nys, in : RDILC 11 (1879), p. 1-37 et 411-430 ; 12 (1880), p. 276-294 et 410-424 ; 13 (1881), p. 571-586 : vol. 12, p. 284 et 293.
  • [26]
    Bluntschli : OES 2, p. 282 (OES 1, p. 301). La définition de la première version est plus modérée : « Welche Staaten Großmächte seien, das hängt von der Entwicklung der politischen Macht ab und theilweise auch von der Neigung. » (Die Gegenwart, n° 9, p. 132).
  • [27]
    Lorimer : « Le problème final du droit international » (note 16), p. 201.
  • [28]
    Sully : Le Grand dessein d’Henri IV, in : Rolland (note 3), p. 28-43 : p. 40 sq.
  • [29]
    Bluntschli : OES 2, p. 286 (OES 1, p. 307).
  • [30]
    Bluntschli souligne lui-même cette particularité du Bundesrat. Cf. idem : Deutsche Statslehre und die heutige Statenwelt, Nördlingen ²1880 [1874], p. 362 sq.
  • [31]
    Bluntschli : OES 2, p. 289 (OES 1, p. 310).
  • [32]
    Bluntschli : Das moderne Völkerrecht in dem französisch-deutschen Kriege von 1870, Heidelberg 1871, p. 11 ; il critique surtout la passivité anglaise : ibid. et idem : Denkwürdiges (note 1), vol. 3, p. 259 sq. ; idem : « Le congrès de Berlin » (note 25), vol. 11, p. 17.
  • [33]
    Bluntschli : OES 2, p. 289 sq. (OES 1, p. 311).
  • [34]
    Ibid., p. 290 (OES 1, p. 311) ; Lorimer : « Le problème final du droit international » (note 16), p. 203.
  • [35]
    Bluntschli : OES 2, p. 291 (OES 1, p. 312). Selon ses mémoires, le roi suédois, Oscar II, lui avait promis son soutien. Cf. Denkwürdiges (note 1), vol. 3, p. 425.
  • [36]
    Charles Lemonnier : Conférence sur le droit international, Paris 1879, p. 16 sq.
  • [37]
    Gaston Isambert : « Projet d’organisation politique d’une confédération européenne », in : Rolland (note 3), p. 308-323 : p. 317 sq.
  • [38]
    Lorimer : Principes de droit international, trad. par E. Nys, Bruxelles/Paris 1885, p. 345-347. Il s’agit en fait d’un résumé et non d’une traduction. Sur Lorimer cf. aussi Ter Meulen (note 3), p. 207-222.
  • [39]
    Wilhelm Oechsli (Hrsg.) : Briefwechsel Johann Kaspar Bluntschlis mit Savigny, Niebuhr, Leopold Ranke, Jakob Grimm und Ferdinand Meyer, Frauenfeld 1915.
  • [40]
    Sur ce courant et ses principaux représentants – Welcker, Pfizer, Dahlmann – cf. Michael Stolleis : Geschichte des öffentlichen Rechts in Deutschland, München : Beck 1992, vol. 2, p. 176 sq. et 430 sq. Sur le « libéralisme organique » de Bluntschli : Ernst-Wolfgang Böckenförde : Gesetz und gesetzgebende Gewalt, Berlin : Duncker & Humblot 1958, p. 195 sq. ; Jacques Vontobel : Die liberal-konservative organische Staatslehre Johann Caspar Bluntschlis 1808-1881, Zürich 1956 ; Stefan Schmidt : Die allgemeine Staatslehre Johann Caspar Bluntschlis, München 1966.
  • [41]
    Le jugement que Bluntschli porte sur Welcker est significatif de la distance entre ces deux générations de « libéraux organiques » : « Wie in vielen andern Beziehungen seiner Statslehre bemerkt man auch hier gesunde Triebe und vortreffliche Anregungen, denen es nur an der nötigen Beschränkung und Ausbildung gebricht, um bleibende Erfolge zu sichern. Der Gemeinwille ist von Natur doch etwas anderes als der Vertragswille der einzelnen. » (Bluntschli : Geschichte der neueren Statswissenschaft, München/Leipzig ³1881 [1864], p. 594 sq.) Le maintien du concept de contrat social dans une théorie organiciste constitue pourtant l’originalité de la pensée de Welcker. Cf. Ingrid Rademacher : « La première encyclopédie politique allemande : le Staats-Lexikon de Rotteck et Welcker (1834-1848) », in : Revue française d’histoire des idées politiques, 24 (2006), p. 255-297 : p. 278 sq.
  • [42]
    Stolleis : Geschichte des öffentlichen Rechts (note 40), p. 426.
  • [43]
    Bluntschli : Die neueren Rechtsschulen der deutschen Juristen, Zürich/Frauenfeld ²1841 [1839], p. 61 sq. Cf. aussi Röben (note 1), p. 3 sq. et p. 93 sq.
  • [44]
    Bluntschli : Théorie générale de l’État (note 7), p. 6 et 4.
  • [45]
    Ibid., p. 4, cf. aussi p. 7.
  • [46]
    C’est la thèse de Die neueren Rechtsschulen der deutschen Juristen (note 43).
  • [47]
    Bluntschli : « Der Rechtsbegriff », in : GKS, vol. 1, p. 1-43 : cit. p. 7.
  • [48]
    Bluntschli : DIC, p. 56 (§ 2) ; cf. aussi p. 1 sq.
  • [49]
    Ibid., p. 57 (§ 4). Sur cette distinction entre le fondement universel du droit international et sa transformation en normes juridiques cf. aussi Heinhard Steiger : « Völkerrecht und Naturrecht zwischen Christian Wolff und Adolf Lasson », in : Diethelm Klippel (Hrsg.) : Naturrecht im 19. Jahrhundert, Goldbach : Keip, 1997, p. 45-74, p. 69 sq. et Röben (note 1), p. 92 sq.
  • [50]
    La conscience juridique et l’opinion publique ne sont pas opposées mais complémentaires. Pour l’importance de l’opinion publique, cf. Bluntschli : « Oeffentliche Meinung », in : SW, vol. 2, p. 745-747.
  • [51]
    Une première publication de l’introduction parut séparément sous ce titre en 1866 : Die Bedeutung und die Fortschritte des modernen Völkerrechts, Berlin 1866.
  • [52]
    Bluntschli : DIC, p. 55 sq. (§ 1 et n. 2).
  • [53]
    Ibid., p. 89 (§ 66 n. 1).
  • [54]
    Ibid., p. 88 (§ 65) et 97 (§ 81).
  • [55]
    Ibid., p. 89 (§ 66 et n. 1) ; cf. aussi p. 233 (§ 381 n. 1).
  • [56]
    Ibid., p. 19 ; cf. aussi p. 20 sq. (§ 360-363).
  • [57]
    Cf. Röben (note 1), p. 114 et Hobe (note 3), p. 374.
  • [58]
    Bluntschli : DIC, p. 276 sq. (§ 471 sq.).
  • [59]
    Ibid., p. 298 (§ 510 n. 2).
  • [60]
    Ibid., p. 51 sq. et 280 (§ 474 n. 3). Il approuve également le rôle que le Congrès de Berlin de 1878 a joué dans la formation et la reconnaissance des nouveaux États. Cf. ibid., p. 52 et l’article sur le Congrès (note 25).
  • [61]
    Bluntschli : DIC, p. 53 et 55 (§ 1 n. 2).
  • [62]
    Ibid., p. 67 (§ 23 n. 1), cf. aussi p. 220 sq. (§ 360 sq.).
  • [63]
    Ibid., p. 67 (§ 23 n. 1), cf. aussi p. 26.
  • [64]
    Ibid., p. 222 sq. (§ 364-374).
  • [65]
    Kant : Vers la paix perpétuelle, in : Idem : Vers la paix perpétuelle. […] et autres textes, éd. par F. Proust, trad. par J.-F. Poirier et F. Proust, Paris : Flammarion, 1991, p. 73-131 : p. 93 sq. ; Idem : Doctrine du droit, in : Idem : Métaphysique des mœurs, trad. et prés. par A. Renaut, Paris : Flammarion, 1994, vol. 2, p. 7-207 : p. 179 sq.
  • [66]
    Bluntschli : DIC, p. 67 (§ 23 n. 1).
  • [67]
    Bluntschli : Théorie générale de l’État (note 7), p. 21 ; la précision figure dans l’édition allemande : Lehre vom modernen Stat, vol. 1 : Allgemeine Statslehre, Stuttgart 51875, p. 27.
  • [68]
    Bluntschli : DIC, p. 3 et idem : Théorie générale de l’État, p. 26 ; sur le concept empire universel cf. infra.
  • [69]
    Bluntschli : DIC, p. 4.
  • [70]
    Ibid., p. 26 et 66 sq. (§ 22 n. 1).
  • [71]
    Ibid., p. 58 (§ 6), 18 et 59 (§ 7 n. 2).
  • [72]
    Ibid., p. 57 (§ 5).
  • [73]
    Bluntschli : « Civilisation », in : SW, vol.1, p. 427-431.
  • [74]
    Cf. notamment Bluntschli : DIC, p. 56 (§ 2 n. 1). La condamnation de la « haine raciale » est plus explicite dans l’édition allemande et elle réapparaît dans une lettre à Lieber qui n’est pas reproduite non plus dans l’édition française. Cf. Das moderne Völkerrecht (note 4), p. 59 et VII.
  • [75]
    Bluntschli : « Arische Völker und arische Rechte », in : GKS, vol. 1, p. 63-90 : p. 81. Cf. aussi Röben (note 1), p. 177 sq. ; Koskenniemi (note 4), p. 103 sq. ; Marcel Senn : « Rassistische und antisemitische Elemente im Rechtsdenken von Johann Caspar Bluntschli », in : Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte, 110 (1993), p. 373-405.
  • [76]
    Bluntschli : « Juden », in : SW, vol. 2, p. 306-311 ; idem : L’État roumain et la situation légale des Juifs en Roumanie, trad. par l’Alliance israélite universelle, Paris 1879 et idem : DIC, p. 68 (§ 25 n. 1). Sur les différences qui existent à cet égard entre Treitschke et Bluntschli, cf. Guido Wölky : Roscher, Waitz, Bluntschli und Treitschke als Politikwissenschaftler. Spätblüte und Untergang eines klassischen Universitätsfaches in der zweiten Hälfte des 19. Jahrhunderts, online-Diss. 2007, p. 324.
  • [77]
    Bluntschli : « Weltmacht und Weltreich » (note 6), p. 915 ; cf. aussi idem : Théorie générale de l’État (note 7), p. 28.
  • [78]
    Bluntschli : Théorie générale de l’État (note 7), p. 28.
  • [79]
    Bluntschli : « Weltmacht und Weltreich » (note 6), p. 915.
  • [80]
    Bluntschli : Théorie générale de l’État (note 7), p. 29.
  • [81]
    Bluntschli : Lehre vom modernen Staat, vol. 3 : Politik als Wissenschaft, Aalen : Scientia, 1965 [1876], p. 32.
  • [82]
    Bluntschli : DIC, p. 34.
English

The controversy between Bluntschli and Lorimer makes up one of the theoretic high points of the debate on the creation of a United States of Europe. Lorimer considered that the interests of European unity and peace would be best served by the creation of a European federal state along with the establishment of a European Army and the reduction of national forces ; whilst on the other hand, Swiss lawyer and politician Bluntschli considered that a unified Europe should take the form of a Confederation of European states, with each state retaining sovereignty. The positions of each are presented, although an emphasis is placed on Bluntschli’s proposal which, he considered responded best to his notion of international law ; although the ethical and universal roots of the latter do allow for the restriction of state sovereignty in certain specific cases. The article demonstrates that the project of confederation and notions of international law are nonetheless complementary and that the European community will in the long term become a part of the Universal State.

Deutsch

In der Debatte um die Vereinigten Staaten von Europa stellt die Kontroverse zwischen Lorimer und Bluntschli einen theoretischen Höhepunkt dar. Verteidigt James Lorimer das bundesstaatliche Modell und die Bildung einer internationalen Armee nach Reduzierung der nationalen Streitkräfte, so sieht der Schweizer Jurist und Politiker Bluntschli in einer europäischen Konföderation, die die staatliche Souveränität wahrt, den geeigneteren Weg der Friedenssicherung. Die konträren Positionen werden vorgestellt, wobei der Akzent auf dem Konföderationsprojekt liegt. Bluntschlis Entwurf ist darüber hinaus im Kontext seiner Völkerrechtslehre zu sehen. Seine Auffassung der internationalen Rechtsgemeinschaft geht von einer über allen Staaten stehenden Menschenrechtsordnung aus, die die Einschränkung staatlicher Souveränität durch das Völkerrecht in bestimmten Fällen legitimiert. Es wird gezeigt, inwiefern die Europa- und Völkerrechtskonzeption dennoch komplementär sind und die europäische Gemeinschaft dazu bestimmt ist, langfristig Teil eines Weltsta[a]ts zu werden.

Ingrid Rademacher [*]
  • [*]
    Ingrid RADEMACHER, Université François Rabelais, département d’Études Germaniques, 3, rue des Tanneurs, F-37041 Tours Cedex 1 ; courriel : ingrid.rademacher@univ-tours.fr
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 04/02/2015
https://doi.org/10.3917/eger.254.0309
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