CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Depuis l’élection présidentielle, on se demandait si François Hollande avait oublié ses engagements concernant la réforme pénale. Il n’en parlait guère. Parfois même il manifestait, comme son prédécesseur, un parti pris pour les victimes à l’occasion d’un acte criminel. Avait-il oublié son intention de briser par des mesures telles que la suppression des peines planchers et de la rétention de sûreté, les symboles de la législation pénale depuis une décennie ? Craignait-il de paraître « mou » à l’égard du crime ? Le doute était permis d’autant qu’aucun projet de loi n’était à l’ordre du jour. À l’exhibitionnisme sécuritaire succédait une atonie embarrassée. On ne savait pas très bien si la position du Président se résumerait à supprimer un jour prochain les excroissances du sécuritarisme passé ou, ce qui est une toute autre affaire, à promouvoir un changement de la philosophie pénale elle-même.

2Depuis la conférence de consensus organisée par Christiane Taubira en février dernier, le doute s’est dissipé [1]. Cette manifestation a eu le mérite de mettre en lumière cet enjeu, de l’imposer dans le débat interministériel : c’est bien d’un changement de paradigme qu’il est question. Son projet vise à démontrer, ce que confirment toutes les études internationales, l’inefficacité de la prison dans la lutte contre la récidive. Pendant dix ans, en effet, les lois pénales se sont bornées à élever le niveau des peines sans obtenir le résultat espéré. Cette philosophie d’essence utilitariste place l’individu devant un marché : « si tu t’obstines, tu paieras plus ; si tu t’abstiens, le tarif sera moindre » ce que résume le mot de Bentham : « il faut que le mal de peine soit supérieur au profit du délit. » Il en a résulté une reconfiguration complète de notre État pénal, caractérisée par une course à l’armement punitif, le choix de cibles toujours nouvelles et des normes d’évaluation venues du marché, le tout porté par un système d’acteurs (policiers et magistrats) dont la culture fut transformée par une séquence législative ininterrompue. Comment, face à un mouvement aussi dense, inverser la tendance et dire à l’opinion qu’elle fut abusée par une « utopie sécuritaire » ? Comment dire que l’homme délinquant n’est pas un acteur rationnel, que l’opinion publique n’est pas aussi punitive qu’on le dit et, surtout, convaincre que la réinsertion protège plus sûrement la société qu’une répression à courte vue ?

3On comprend, face à ce nouvel enjeu et à l’approche des municipales de 2014, l’attentisme de François Hollande. La récente publication par le journal Le Monde de la lettre du ministre de l’Intérieur Manuel Valls au Président de la République, a révélé qu’un débat intense accompagnait la circulation d’un projet de loi [2]. La divergence de philosophie pénale a bel et bien trouvé son théâtre opérationnel : deux ministères régaliens que leurs opinions publiques internes opposent (magistrats et policiers) livrent une bataille d’arguments en attendant celle qu’on nous annonce au Parlement. Loin d’être un conflit de personnes, loin des clichés entre une gauche « idéaliste » et une autre « réaliste », la controverse entre Manuel Valls et Christiane Taubira prépare l’opinion.

4Nous avons désormais une certitude : un projet de loi substantiel existe. Loin de se limiter à un toilettage du code, le débat qu’il polarise a lieu d’ores et déjà dans l’appareil d’État, au sein du gouvernement et du parti majoritaire. Par lui-même, il remet en circulation un courant de pensée qui se réclame d’une politique pénale naguère discréditée. Voulons-nous une société dominée par l’exclusion carcérale où les perdants du marché trouvent dans l’enfermement « le juste dû » de leur conduite déviante ? Ou, au contraire, par une vigoureuse politique d’insertion, aspirons-nous à donner un nouveau sens à la protection de la société qui passe par une intelligence de la peine ? Pour comprendre cette orientation, il faut mesurer les limites de la frénésie sécuritaire qui a déferlé dans notre pays ces dernières années, comprendre la nouvelle politique proposée avant de sonder les réformes qui sont sur la table sans oublier les dossiers connexes de la justice des mineurs et du statut du parquet.

Un système pénal à bout de souffle

5Rien ne démontre que la hausse des peines va dissuader, à elle seule, l’acte criminel. Les peines planchers, peines minimales qui s’imposent aux juges en cas de récidive sauf motivation contraire, en sont l’exemple même : votées en 2007, elles sont automatiques pour toutes les infractions commises en état de récidive, y compris par des mineurs. Quel bilan en est fait ? Cette peine est prononcée surtout pour les auteurs de vols et d’atteintes aux biens qui forment (avec les conduites en état alcoolique) les trois quarts des récidivistes. Résultat : non seulement le taux de récidive n’a pas baissé mais il a augmenté pour les délits moins graves.

6Ce qui choque n’est pas seulement ce paradoxe. C’est la disparition de l’individualisation de la peine et de sa proportionnalité. C’est le choix univoque du tout carcéral sous forme de courtes peines prononcées lors des comparutions immédiates. C’est d’avoir oublié que l’emprisonnement ferme produit des taux de récidive plus élevé qu’une peine sans privation de liberté. Quand on sait l’importance de la première incarcération pour « fixer » les parcours en délinquance, ses effets de désocialisation (perte de logement et de travail), l’entrée en prison plus tôt, pour une durée plus longue et dans des cas plus nombreux a des effets irréversibles. Il faut renverser le postulat de départ : le risque de récidive n’est pas lié aux faits commis mais à la faiblesse des capacités d’insertion.

7Cet effet inflationniste place le système pénal dans une boucle systémique. Le taux de poursuite élevé au nom de la tolérance zéro, la suppression des grâces collectives et les peines planchers entraînent un taux de surpopulation carcérale qui a atteint un taux record (67 000 détenus pour 57 700 places) [3]. Pour y remédier la loi de 2009 a instauré une possibilité d’aménager les peines de moins de 2 ans d’emprisonnement, c’est-à-dire de les exécuter en milieu ouvert. Nous sommes donc pris dans une absurde gestion des flux où l’on ne cesse d’alimenter un système d’un côté et de le vider de l’autre afin d’éviter sa saturation.

8Outre cette impasse, ce type de législation traduit un regard pessimiste sur la petite et moyenne délinquance. Il réduit la politique pénale à une gestion à courte vue sans regard sur ses contenus. La sévérité paraît populaire, comble d’aise une part de l’électorat, et fait peu débat tant sa fausse évidence s’impose à l’opinion. Nul ne s’en émeut sauf les professionnels qui constatent au quotidien les dégâts qu’elle cause. Dans un prétoire en effet, il n’y a pas d’ennemi du genre humain. Pas de monstres, pas de figures démoniaques. À l’audience viennent des individus ordinaires. Le plus souvent, si on excepte le cas du crime organisé, ils traversent le crime sans lui appartenir. Qu’ils soient victimes ou auteurs, si les uns sont punis et les autres indemnisés, ce sont aussi des familles frappées par un malheur qui comparaissent. Avec le temps, un délinquant peut raconter son histoire, parvenir à un aveu, mériter une peine de réconciliation. C’est le plus souvent ce que souhaite la victime plutôt qu’une peine carcérale. Toute peine qui perd son horizon de réhabilitation est une violence sans justification.

Un changement de méthode

9Il fallait permettre l’expression de cette approche longtemps inaudible. La conférence de consensus a fait le saut conceptuel en passant d’une analyse gestionnaire de la peine à une réflexion sur sa signification. Pour la première fois est donnée la possibilité à tous les professionnels du champ pénal de faire entendre leur voix. Désormais, les orientations viennent d’en bas, des capacités de réflexion collective des professions concernées. Il ne s’agit plus de désigner l’homme fautif mais de faire valoir les ressources validées par les expériences de terrain et les travaux scientifiques. La composition pluri-professionnelle de cette conférence (hommes politiques, magistrats, avocats, chercheurs, fonctionnaires, associatifs…), en fait un corps intermédiaire ad hoc pouvant apporter son expertise.

10Sa méthode est la recommandation, notion féconde quoique inhabituelle dans le monde politique. Rien n’est imposé mais tous les enjeux sont exposés. Cette ouverture est indispensable car la question technique de la récidive est prise dans un débat ouvert à l’opinion, codée dans le monde des médias de masse et donc dans le registre de la réponse immédiate à l’anxiété collective. Propagée sur le mode de la contagion émotionnelle, elle paralyse toute analyse alternative. Pire : elle nous culpabilise de ne pas agir avec la fermeté requise.

11Il faut donc être singulièrement armé pour résister à cette puissante attraction. Désormais toutes les données sont sur la table. Données statistiques : 60 % des entrants en prison sortent au bout de six mois. À quoi sert pour eux la traversée de la prison ? Données criminologiques : la probabilité de la récidive est élevée en cas d’incarcération, réduite en cas d’aménagement sans privation de liberté. Données politiques : redonner aux magistrats au cas par cas la maîtrise des choix de poursuite et de la peine. Autrement dit, nous sommes invités à repenser la peine non plus dans le sens de la dissuasion comme on n’a cessé de le faire avec les peines maximales (rétention de sûreté, longues peines) ou les peines minimales (peines planchers). Au contraire, la peine de probation (ou contrainte pénale) exclut toute référence à un quantum d’emprisonnement. Elle illustre une philosophie de l’individualisation législative de la peine que l’on croyait perdue de vue. Elle laisse le choix de la peine aux magistrats du siège et du parquet dont l’indépendance d’action est rétablie.

Le statut du parquet

12Ce n’est pas le pouvoir politique qui mettra en œuvre cette philosophie pénale mais la magistrature. Le statut des parquets, même s’il n’est pas abordé par cette réforme, ne peut en être dissocié. La circulaire dite de politique pénale (19 septembre 2012) propose une nouvelle grammaire des relations entre le ministre et ses parquets. Dorénavant, le Garde des sceaux s’occupe de la politique pénale (les instructions générales, qu’elles soient nationales ou locales) alors que les procureurs de la République détiennent seuls l’action publique (le droit de poursuivre) sous le contrôle des procureurs généraux. Cette distinction s’oppose à la loi votée en 2004 selon laquelle le ministre dirige l’action publique (art 30 du Code de Procédure Pénal) et au discours qui en fait le seul « chef » des parquets. À cette conception quasi militaire, se substitue une hiérarchie professionnelle interne et une relative indépendance des parquets par rapport à l’exécutif. S’y ajoute un double engagement de la ministre : elle s’interdit toute instruction individuelle dans les dossiers en cours et s’engage également à suivre les avis (simples) du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) quant aux nominations des procureurs.

13À elle seule, cette doctrine est une avancée politique. Elle contient les prémices d’un État de droit mieux équilibré et prépare le terrain à la réforme constitutionnelle souhaitée par François Hollande. Moins soumise aux injonctions chiffrées, les politiques pénales pourront, au niveau local, mobiliser au-delà des délits proprement dits, toute une gamme de régulations (îlotage municipal, cellules de veille, médiations, conseils de quartier…) bien plus adaptées aux besoins de la population. On retrouverait le concept de « sécurité globale », qui implique une chaîne de responsabilité de la prévention à la sanction et à la réinsertion [4]. Cette doctrine réconcilie aussi la magistrature avec elle-même en y réintégrant le parquet. Celui-ci, rattaché à la justice, est doté d’une indépendance externe plus grande (par rapport à l’exécutif) même si la circulaire insiste sur les indispensables « remontées du terrain » dont doivent s’acquitter les procureurs qui restent toujours « l’œil du pouvoir » comme le disait Michel Foucault.

14Mais la réforme qui implique, pour partie, une modification de la Constitution aura-t-elle lieu ? La gauche ne doit pas manquer cette étape comme ce fut le cas en 2000 dans un contexte de cohabitation. La doctrine Taubira dessine un nouveau paysage politico-judiciaire qui peut n’être qu’une initiative sans lendemain. Faute d’avoir pu, il y a une dizaine d’années, modifier dans la Constitution le statut du parquet, les pratiques de l’ère Jospin (les mêmes que celles de Mme Taubira aujourd’hui) furent aussitôt abandonnées après 2002. On se demande si un jour le corps judiciaire en France sortira du carcan de l’obéissance hiérarchique dès lors que les magistrats sont évalués par leurs chefs et, s’ils sont bien notés, promis à un avancement. Dans un tel système piloté d’en haut, toutes les instrumentalisations restent possibles. On saisit mieux le sens du mot de Michel Debré – « le problème pour le juge n’est pas d’éviter une révocation, c’est de recevoir un avancement » – et celui, plus cruel encore, d’un ancien procureur qui évoquait « cette terrible disponibilité, cette obéissance qui devance l’ordre [5] ».

La justice des mineurs

15Cet espace d’autonomie offert aux politiques pénales donnerait sa chance à des régulations sanitaires, éducatives et sociales longtemps bannies par une obligation chiffrée de poursuite. Actuellement le taux de poursuites pénales des mineurs (environ 93 % des affaires) affiche une stratégie de tolérance zéro. La justice pour enfants, imprégnée d’une volonté de punir les jeunes comme les adultes, en perd le fil de son histoire, tissée depuis un demi-siècle par une éthique de la compréhension. Trois textes, en 2002, 2007 et 2011 ont démantelé le droit des mineurs conçu par l’ordonnance de 1945 dans un esprit éducatif. Quand la loi Perben I (2002) a créé des « sanctions éducatives », beaucoup ont salué ce changement de cap « responsabilisant » pour les jeunes en oubliant que la contrainte réduit au silence et à l’immobilité mais en elle-même ne produit rien. Avec les peines planchers, le dogme de la dissuasion s’impose : en cas de récidive, il faut apporter des « garanties exceptionnelles » de réinsertion pour échapper à la peine plancher. Cette précipitation à punir annule le rôle du juge qui doit « tenir sa position sans s’enfermer dans la confrontation [6] » et tourne le dos à un droit des mineurs fondé sur l’action éducative.

16On retrouve ici aussi le même schéma utilitariste : augmenter la pénalité pour montrer qu’il est plus coûteux de frauder la loi que de la respecter. La loi devient un message, le crime un mauvais calcul et la peine le prix à payer. Cette logique va broyer l’édifice institutionnel mis en place à la Libération. La création en 2012 des « tribunaux correctionnels pour mineurs » achève cette déconstruction. Composés en majorité de magistrats non spécialisés, ils jugent les mineurs comme des adultes au nom de l’idée qu’un excès de compréhension paralyse la fermeté nécessaire pour des jeunes de 16-18 ans déjà condamnés. Cette fois, c’est un autre pilier de l’ordonnance de 1945 qui s’effondre : l’idée de spécialisation.

17La suppression de ces « réformes » n’est nullement acquise à ce jour. Il faudra tenir une ligne politique ferme malgré l’écho médiatique et les polémiques inhérentes au thème de la délinquance des mineurs. Pour cette jeunesse minoritaire et oubliée, renoncerons-nous à tout effort d’éducation ? Se résignera-t-on à placer les cas difficiles dans les tout nouveaux établissements pénitentiaires spécialisés ? La nouvelle politique pénale devra desserrer l’étau entre les poursuites systématiques et l’action éducative qui a besoin de temps et de moyens, y compris pour les jeunes majeurs oubliés aujourd’hui. Ses résultats n’ont rien de spectaculaire. Son action est microchirurgicale, son rythme est lent et ses effets ne sont pas immédiats. Le risque éducatif y est permanent, sous forme de fugue et d’échec scolaire. Penser l’avenir d’une nation avec sa jeunesse, toute sa jeunesse, suppose de lutter sans punir et dans la durée contre l’échec scolaire, l’épuisement parental et les ségrégations multiples qui frappent les cités dites de relégation.

Le sens de la peine

18Cette approche du sens de la peine suppose de rompre avec la fausse évidence qui associe sécurité et emprisonnement. Pourquoi se borner à punir de peines d’emprisonnement le non paiement de pension alimentaire (deux ans encourus) ou la non représentation d’enfants si fréquents dans les divorces conflictuels [7] ? Ne vaut-il pas mieux par des contraintes non carcérales laisser ces prévenus libres avec leur travail afin qu’ils paient leurs dettes ? Pourquoi ne pas tirer les leçons de l’échec de la prison en matière de conduite en état alcoolique dont le taux de récidive est évalué à 44 % et imposer aux contrevenants des travaux dans les établissements qui soignent les grands blessés ? Il faut rompre avec un imaginaire collectif qui sépare le monde des coupables et celui des victimes.

19L’autre est aussi mon semblable. Il n’est ni mon ennemi, ni le « tout autre » dont la violence, les mœurs ou le comportement compromettent ma sécurité. Une communauté doit se retrouver avec ses différences sous l’égide d’une parole politique qui n’attise pas ses clivages. C’est ainsi que face à la criminalisation des étrangers en situation irrégulière, la Cour constitutionnelle italienne – bien seule en Europe – a pu dire en 2007 et 2010 que « l’absence de titre de séjour ne peut en soi être un élément de la dangerosité sociale de l’étranger ». Pourquoi ne pas attendre de nos cours suprêmes une même vigilance ? La réintroduction d’une délibération sur les principes fondateurs de la démocratie (proportionnalité, nécessité et prévisibilité des peines) ne pourra se faire sans renforcer, en particulier par ses conditions d’indépendance et de nomination, notre Conseil constitutionnel afin de le placer à la hauteur d’une cour suprême garante des libertés.

20Mais pour renverser ce discours, sans se borner à y résister, il faut prendre comme point de départ l’homme réel et ses besoins, et non ses peurs. La population pénitentiaire est le miroir grossissant de la pauvreté dans notre pays. À partir du moment où la réalité des sortants de prison est la pauvreté, où le taux de renoncement aux soins et les troubles mentaux de cette population sont massifs, une politique publique spécifique s’impose. Il faudra donner sens au mot réinsertion bien au-delà des maigres moyens alloués aux services d’insertion et de probation. Nous avons besoin pour cela non d’une loi mais d’actions construites entre les services de l’État, les conseils généraux, la justice et les associations. Une alternative à l’incarcération sans accompagnement social n’a pas grand sens. Une lutte efficace contre la récidive, à l’opposé de ce qu’on entend un peu partout, doit être mise en réseau et territorialisée pour être individualisée. Cela suppose de percevoir autrement le délinquant, une fois sa peine purgée. Au-delà du récidiviste, on y verrait une personne en difficulté d’insertion. Derrière l’obsession de la dangerosité, on atteindrait les sources de la vulnérabilité. Sous le masque de la « responsabilisation » forcée, on décèlerait la demande de droits sociaux.

21Pour présenter une autre image que celle du délinquant menaçant à l’opinion publique, la justice devrait mieux dire qu’elle n’est « laxiste » ni dans ses poursuites ni dans ses condamnations, qu’elle exécute les peines non seulement en prison mais aussi en milieu ouvert, que la récidive des crimes est très faible, que les sorties accompagnées (libérations conditionnelles) sont les plus efficaces contre la récidive. Elle devra résister à la facilité de faire de l’emprisonnement une peine de référence. Elle aura à répondre aux victimes sur le terrain de la reconnaissance, de la vérité et de la réparation. L’utopie de la justice restauratrice expérimentée outre-Atlantique dans le but de réparer le lien social est encore trop embryonnaire dans notre pays. Elle est pourtant le moyen de donner une perspective reconstructive à une justice à bout de souffle, obsédée par le productivisme, trop souvent crainte parce que méconnue.

22Telle serait une politique pénale de gauche. Entendons-nous bien : la justice n’est ni de droite, ni de gauche, elle est un tiers pouvoir. Mais dans notre pays, depuis plusieurs années, la sécurité est un thème fortement « clivant ». Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le laxisme des juges fut dénoncé, l’indépendance des parquets fut abandonnée et le thème de la sévérité pénale a configuré le discours politique. Il se résume à une idée simpliste : la police interpelle, la justice condamne. Faute d’avoir fait l’inventaire de cet héritage, cette posture de fermeté perpétuellement justifiée par la souffrance des victimes et la dangerosité de leurs agresseurs reste dominante à droite. La gauche a d’abord surtout songé à se démarquer du procès en angélisme qui lui est fait sans trouver de doctrine alternative. Elle s’efforce de rester fidèle à un héritage libéral (la suppression de la peine de mort en 1981 en est l’exemple même) tout en étant attentive à la demande de sécurité de son électorat populaire [8]. Nous saurons dans les mois qui viennent si, ayant convaincu dans son propre camp par ses propositions, ce gouvernement pourra affronter la bataille de l’opinion, traverser les inévitables polémiques qui en résultent, avancer une politique pénale qui fasse sans démagogie la part des victimes et des auteurs.

23le 3 septembre

Notes

  • [*]
    Magistrat et essayiste, auteur de la Justice dévoyée, essai sur les utopies sécuritaires, Les Arènes, 2012.
  • [1]
    La « conférence de consensus » est habituellement utilisée dans les domaines médical ou social dans le but de clarifier un sujet controversé. Un débat public (en février 2013) sur l’efficacité des réponses pénales en matière de récidive a été soumis à un jury qui a émis des recommandations (voir le dossier complet sur le site du ministère de la Justice).
  • [2]
    Le Monde du 7 août 2013 a révélé l’ampleur des tensions autour de l’avant-projet de loi « relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation de la peine ».
  • [3]
    Entre le 1er janvier 2001 et le 1er janvier 2011, le nombre de personnes sous écrou est passé de 47 800 à 67 000, soit une augmentation de 40 %. Dans notre histoire, la seule période où le nombre de détenus a été supérieur à 60 000 fut celle de la Libération, entre 1945 et 1946.
  • [4]
    Sur la notion de « sécurité globale », voir le texte de Martine Aubry dans Sécurité, le fiasco de Sarkosy, les propositions du PS, J-C. Gawsevitch éditeurs, 2011.
  • [5]
    Propos d’un ancien procureur général, commenté par Roger Errera, Et ce sera justice…, Gallimard, 2012, p. 265.
  • [6]
    Catherine Sultan, Je ne parlerai qu’à ma juge. Voyage au cœur de la justice des enfants, Seuil, 2013, p. 218.
  • [7]
    Surtout, comme l’observe Pierre-Victor Tournier, si la mise à exécution de la peine est reportée au moment où le condamné a retrouvé du travail, La prison, une nécessité pour la République, Buchet-Chastel, 2013, p. 129.
  • [8]
    Au moment où j’écris ces lignes (3 septembre) les arbitrages rendus par François Hollande sur le projet de Christiane Taubira traduisent cette recherche d’équilibre : rester ferme en matière de sécurité (maintien de la rétention de sûreté, réduction des aménagements de peine) et renouer avec l’individualisation des peines (peine de probation ou contrainte pénale).
Français

Aspirons-nous à donner un nouveau sens à la protection de la société qui passe par une intelligence de la peine ? Pour comprendre cette orientation, il faut mesurer les limites de la frénésie sécuritaire qui a déferlé dans notre pays ces dernières années, comprendre la nouvelle politique proposée avant de sonder les réformes qui sont sur la table sans oublier les dossiers connexes de la justice des mineurs et du statut du parquet.

Denis Salas [*]
  • [*]
    Magistrat et essayiste, auteur de la Justice dévoyée, essai sur les utopies sécuritaires, Les Arènes, 2012.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 11/10/2013
https://doi.org/10.3917/etu.4194.0307
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