CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 « Depé les a fait chanter une dernière fois… » [1]. Le 2 août 2000, dans et aux abords d’un funérarium du cinquième arrondissement de Marseille, plusieurs centaines de personnes reprennent en chœur un chant : « Depé ! Depé ! ». Outre la famille et des amis proches, sont présents de nombreux anonymes et membres des associations de supporters de l’Olympique de Marseille (OM), mais aussi une délégation du club composée de dirigeants (dont le président) et de joueurs professionnels, un représentant en vue de la mairie, des artistes, des militants associatifs, des journalistes, autant de personnalités témoignant de la stature de l’homme auquel on rend hommage ce jour-là comme de l’importance prise par le football et le « supportérisme » dans la ville.

2 Patrice de Peretti, surnommé « Depé », est mort le 28 juillet d’une rupture d’anévrisme à l’âge de 28 ans, le matin même de la reprise du championnat de France, qu’il devait vivre depuis le Virage Nord du Stade Vélodrome avec les Marseille Trop Puissant (mtp), le groupe qu’il avait fondé en 1994. Les réactions qui s’expriment alors sont à la mesure de la singularité de sa disparition, prématurée, soudaine et brutale. Avant le coup d’envoi du match, des chants à son nom partent des tribunes. Sous les yeux du propriétaire de l’OM, accompagné par les responsables des associations de supporters, main dans la main, Éric Di Meco, ancien joueur et alors manager général du club, lit un message en son honneur depuis la pelouse. Les représentants des Ultras Marseille, situés dans le Virage Sud, déposent une gerbe de fleurs derrière les buts, annulent l’animation prévue et déploient une banderole qui affiche le message suivant : « Une nouvelle étoile brille dans le ciel olympien, Depé, le Commando ne t’oubliera jamais. » Pendant la minute de silence, les joueurs marseillais ôtent leurs maillots et font face torse nu aux tribunes, imitant ainsi ce qui faisait la marque de fabrique de Depé. Filmé par les caméras de Canal Plus qui retransmet la rencontre, un hommage aussi appuyé à propos d’un supporter est extrêmement rare dans un stade de football.

3 Les destinées tragiques fondent souvent les légendes des artistes, savants, hommes politiques ou héros militaires, les « grands hommes » retenant habituellement l’attention des sciences sociales. Bien que moins légitime, le football est aussi un univers de consécration individuelle. Les joueurs sont certes les premiers concernés [Dini, 1994]. Mais s’offrent à ceux qui sont censés les regarder et les soutenir des possibilités de devenir, sous certaines conditions, des personnages hors du commun accédant à la reconnaissance et parfois même à la renommée [2]. Ainsi en va-t-il de Depé, dont la vie et la mémoire possèdent les attributs de la grandeur. Son décès marque un repère fondamental dans la chronologie des tribunes marseillaises. Mais, apanage des figures d’exception, son histoire ne s’achève pas avec sa mort.

Une trajectoire posthume exceptionnelle

4 Dans les semaines suivant son inhumation, les mtp adressent une lettre à la mairie de Marseille, propriétaire du stade, pour que le Virage Nord soit rebaptisé « Virage Patrice de Peretti ». C’est chose faite officiellement le 28 juillet 2002, pour le deuxième anniversaire de sa disparition. Une plaque commémorative est apposée sur le parvis de l’enceinte. C’est la première fois en France qu’une tribune d’un stade porte le nom d’un supporter [3]. Des chants y sont depuis repris en son honneur. Des étendards, voiles et drapeaux à son effigie y sont également déployés.

5 Un tournoi de football dénommé « challenge Patrice de Peretti » a existé durant quelques années dans le cadre de la fête annuelle du Plateau organisée dans le quartier de la Plaine, où est implanté le siège des mtp. Un an après son décès, le chanteur Manu Chao, ancien leader de la Mano Negra, un groupe de rock aujourd’hui dissous, se produit dans ce local. Révélateurs de l’emprise des supporters sur l’espace du stade, une fresque représentant Depé en train de chanter, torse nu et le poing levé, et un mur « graffé » de l’inscription « Depé R est in Peace » ornent les coursives du virage. D’autres traces iconographiques sont présentes au siège des mtp : des photographies et une peinture recouvrant l’intégralité d’un mur intérieur. On trouve parfois des cadres plus ou moins visibles derrière le comptoir de bars du quartier dans lesquels Depé avait ses habitudes.

Photo 1 – Fresque dans les coursives du Virage De Peretti : à gauche, le dessin représentant Depé ; à droite, le graff
« Depé Rest in Peace » (repose en paix) avec la date de son décès (Stade vélodrome, Marseille). Photo de l’auteur.

6 Ces marques de respect honorant sa mémoire sont le fruit de l’action de ceux l’ayant connu. Ce sont des membres des mtp qui parlent longuement de lui sur la chaîne de télévision de l’OM en 2008. À l’occasion des dix ans de sa mort, ce sont des proches, ayant rompu pour certains avec le supportérisme à sa disparition, qui mettent sur pied une soirée au Stade Vélodrome dédiée au souvenir de « Pépé » (son autre surnom pour les intimes). Une exposition photographique, la projection d’un documentaire intitulé « Ferveur Depé » et des concerts assurés par des artistes marseillais (dont certains de renommée nationale) se succèdent. La presse locale couvre l’événement (La Provence ainsi qu’une radio associative et une chaîne de télévision). Alternance de tristesse et de joie, le rassemblement réunit plusieurs centaines de personnes et confirme la puissance du célébré « car c’est le privilège des grands singuliers que de générer post mortem des collectifs, des célébrations publiques, des fêtes » [Heinich, 1991 : 196].

7 Mais la présence posthume de Depé est attestée au-delà de Marseille et du cercle de ses fidèles. En 2012, il est la seule individualité à bénéficier d’un article complet illustré par quatre photographies, dont une pleine page, dans un hors-série du magazine So Foot consacré aux supporters [4]. Il fait l’objet d’une entrée dans le Dictionnaire des supporters publié en 2013 aux éditions Stock par un journaliste habitué des stades. Quand la presse internationale souhaite évoquer la passion singulière en France qui entoure le club marseillais, il arrive que la trajectoire de Depé soit mentionnée. Il est enfin très présent sur Internet : des blogs, sites, forums de discussion évoquent son souvenir, une page sur Facebook fédère plus de 2 000 personnes et des vidéos hommage sont postées sur les plateformes d’hébergement.

8 En somme, avant même d’exposer ce qui est dit de lui et de son action, il convient donc de relever qu’il n’est pas tombé dans l’oubli et que bien des choses sont exprimées et écrites à son sujet. Comme nous le verrons, cette situation a commencé avant son décès. Pourquoi a-t-il laissé autant de traces ? On ne peut comprendre l’exceptionnalité d’une destinée sans la rapporter à l’organisation du monde social dans laquelle elle se déroule. C’est ce qu’a fait Tia DeNora [1998] en replaçant la figure du génie de Beethoven dans la structuration de la vie musicale viennoise de la fin du xviii esiècle. C’est ce qu’avait fait avant elle Norbert Elias, refusant de considérer que « la création des plus grands chefs-d’œuvre serait indépendante de l’existence sociale de leurs auteurs, autrement dit de leur cheminement et de leur expérience d’homme parmi les hommes » [Elias, 1991 : 82]. Sa sociologie de Mozart appelle ainsi une étude plus large que celle de sa vie elle-même, qui nécessite d’être située dans les configurations sociales dont le « grand homme » a fait partie, c’est-à-dire les réseaux de relations existant entre des individus et dans lesquels il a évolué et a été inséré. Aussi convient-il de décrire la succession de configurations relationnelles qui ont offert à Depé des marges de manœuvre lui permettant de jouer un rôle visiblement important au stade et autour du club. C’est sur cette histoire sociale qu’il faut d’abord se pencher.

De Patrice de Peretti à Depé : de l’anonymat des foules sportives à la visibilité personnelle

9 Patrice de Peretti est né à Marseille le 11 mars 1972. Il grandit dans une famille bien intégrée économiquement et socialement, installée dans le quartier de la Belle de Mai. Son père est dessinateur industriel dans une entreprise de fabrication de produits agrochimiques et sa mère, après avoir élevé ses deux fils, travaille dans une crèche située dans les quartiers nord. Au cours de son adolescence, ses parents font l’acquisition d’une maison située dans un agréable lotissement privé d’Allauch, une commune limitrophe de Marseille réputée pour sa tranquillité et sa qualité de vie. Le schème de la vocation ou de la prédestination n’est pas pertinent ici. Ses parents ne suivent pas particulièrement le football. Ils éprouvent même quelques réticences à l’égard de ce sport, ayant été profondément marqués par la tragédie du Heysel [5]. Lorsqu’il met pour la première fois les pieds au Stade Vélodrome en 1987, deux faits marquants permettent de comprendre combien aller au stade à Marseille à cette époque peut apparaître comme une expérience particulièrement excitante pour un adolescent.

10 D’une part, l’OM est depuis plus d’un an entre les mains d’un entrepreneur très ambitieux, Bernard Tapie. Au moment de sa reprise, le club est secoué par une grave crise financière et marqué par des performances sportives médiocres. Mais ce « self-made-man » à l’image de gagneur veut faire de l’OM la meilleure équipe française, capable de lutter dans les compétitions européennes. Il promeut le « spectacle » et fait des trois R (« Rêve, Risque et Rire ») sa devise. Il engage un entraîneur réputé, attire des vedettes et obtient rapidement ses premiers résultats : l’OM finit deuxième du championnat en 1987.

11 D’autre part, cette période coïncide avec une intense transformation du paysage des tribunes, portée par de jeunes (voire très jeunes) hommes urbains issus des classes populaires et moyennes qui souhaitent rénover en profondeur les manières de suivre les rencontres de football [Hourcade, 2003]. Ainsi, en 1984, une bande d’amis entend s’inspirer de ce qui se pratique dans les stades italiens depuis les années 1970 pour animer les matchs et fonde les Ultras Marseille, le premier collectif de supporters dit « ultra ». Après deux années passées dans le Virage Nord, foyer traditionnel de la passion au Stade Vélodrome, le groupe s’implante dans le Virage Sud, une décision qui symbolise ce tournant moderniste.

12 Ces nouveaux supporters érigent le soutien au club en cause sérieuse, associant le football à la défense de l’honneur de la ville et à l’affirmation de l’identité marseillaise. Ils valorisent l’organisation : règles communes, division des tâches, cotisations, etc. Ils entendent aussi être acteurs des matchs. Pour ce faire, ils font de l’espace des tribunes un territoire juvénile, délimité par une banderole à leur nom, au sein duquel se déroule un « spectacle total » [Bromberger, 1995 : 297]. Celui-ci repose sur une intense participation vocale et corporelle, l’usage d’alcool et de drogues aidant parfois au débridement des actes et paroles. Slogans et chants rythment la partie, postures et gestes sont codifiés. L’ambiance est rehaussée par le recours à des instruments et accessoires : tambours, étendards, drapeaux, écharpes, engins pyrotechniques. De sorte que le développement de cette modalité de soutien à l’équipe correspond à un « déplacement du pôle de visibilité du terrain vers les gradins » [Ehrenberg, 1991 : 58].

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Le « génie » de ce type de supportérisme a, en effet, consisté à dédoubler le spectacle sportif et à opérer une double métamorphose. De spectateurs passifs, les ultras se sont promus en acteurs de leur propre destin, comme y invite le temps présent ; de sujets invisibles, contemplant des vedettes, ils se sont hissés au rang de vedettes spectaculaires de la représentation [Bromberger, 1995 : 259].

14 Dans les groupes ultras, la fonction du « capo tifoso » attire particulièrement l’attention. Son activité consiste en un travail d’orchestration de la participation des supporters. Mégaphone à la main, debout sur le grillage ou sur un promontoire face à la tribune et dos à la pelouse, il lance les chants et donne les consignes.

15 De fait, le premier match de Patrice de Peretti vécu au Stade Vélodrome agit comme une « révélation ». L’attraction exercée plus généralement auprès des jeunes Marseillais par ce supportérisme novateur se lit à travers deux indicateurs. La hausse continue du nombre des adhérents des Ultras Marseille en est le premier. D’une poignée d’individus en 1984, ils passent à 570 membres en 1988 et près de 1 200 l’année suivante. La création de nouveaux groupes s’inspirant plus ou moins directement du modèle promu par les Ultras Marseille est le second. Les Yankee Virage Nord se constituent en 1987. Les South Winners investissent le Virage Sud la même année suivis des Fanatics en 1988. Tous ces groupes fondent leur naissance puis leurs premiers recrutements sur l’interconnaissance, selon deux critères principaux : l’âge et le lieu de résidence. Aussi n’est-il pas illogique que Patrice de Peretti rejoigne les South Winners pourtant balbutiants plutôt que les Ultras Marseille par exemple, déjà forts de trois années d’expérience et bien plus nombreux. Les fondateurs des premiers sont tous mineurs et résident dans le quartier de la Belle de Mai quand les membres des seconds sont plus âgés et plutôt originaires des quartiers Sud. En 1987, Patrice de Peretti n’a que quinze ans et il connaît personnellement certains des fondateurs des South Winners.

16 Ainsi débute sa carrière de supporter qui va s’étendre sur une douzaine d’années. Il entraîne rapidement quelques amis habitant comme lui à Allauch afin de créer une section dont il prend la tête. Il délaisse ses études, s’approprie un emplacement au Virage Sud, en marge du reste du collectif, et y joue le rôle de capo. Ses capacités d’animateur sont vite reconnues, et il en vient à tenir le mégaphone pour l’ensemble des South Winners [6]. Il se retrouve identifié au-delà du cercle étroit de son groupe d’appartenance (une cinquantaine de membres environ en 1988) car il est amené à côtoyer très régulièrement les Ultras Marseille (étant plus aguerris et auprès desquels il fait ses gammes) et les Fanatics. Outre qu’ils occupent la même tribune, les trois groupes se déplacent ensemble lors des rencontres jouées par l’OM hors de Marseille. Ils fondent par ailleurs en 1990 une association qui encourage plus avant encore la collaboration, le fuw (pour Fanatics Ultras Winners), dans l’objectif de mutualiser et améliorer l’organisation des animations dans le Virage Sud.

17 La montée en puissance du supportérisme est liée aux succès sportifs accumulés par le club pendant plusieurs années consécutives. Après avoir remporté le championnat et la coupe de France en 1989, il conquiert de nouveau le titre de champion en 1990, 1991 et 1992. À la faveur de sa réussite nationale, l’OM découvre la scène européenne. Après avoir atteint deux fois les demi-finales, le club se hisse en finale de coupe d’Europe en 1991. Ces performances sont évidemment déterminantes dans le dynamisme des tribunes marseillaises, d’autant que Bernard Tapie, soucieux de faire de chaque rencontre un événement spectaculaire, voit d’un bon œil l’activité des supporters.

18 Pour Patrice de Peretti, la réussite de son club a trois conséquences entremêlées selon une logique circulaire et exponentielle. Comme pour d’autres supporters très investis à Marseille, les matchs européens sont tout d’abord l’occasion pour lui de se frotter à des manières de faire étrangères plus abouties, à une époque où les images (vidéos, photos) ne circulent pas aussi aisément qu’aujourd’hui. Le supportérisme ultra étant particulièrement développé en Grèce, il est ainsi très impressionné par la démonstration de force réalisée par la centaine de supporters de l’aek Athènes lors d’un match au Stade Vélodrome en 1989. Torses nus, ils chantent avec ferveur pendant toute la partie et assurent le spectacle en tribunes, après avoir semé le désordre dans la ville auparavant. Patrice de Peretti entend s’en inspirer et prend pour habitude d’encourager l’OM dans la même tenue, par n’importe quel temps [7].

19 Son activisme au sein du Virage Sud est alors d’autant plus visible et repéré par les médias. Au début des années 1990, de jeunes journalistes de la presse écrite locale sensibilisés à l’univers des supporters entendent chroniquer la vie des tribunes, ce qu’ils peuvent faire relativement aisément car la réussite sportive de l’OM profite économiquement aux journaux. Ainsi Depé fait-il, à partir de 1991, l’objet de mentions dans certains articles et d’un portrait en avril 1993 dans Le Provençal (le quotidien ayant fusionné avec Le Méridional pour devenir La Provence en 1997). Sa position de capo et son torse nu attirent l’œil des photographes et des cameramen lors des matchs télévisés, notamment ceux de Coupe d’Europe retransmis par TF1, la chaîne étant d’une part alléchée par les audiences que les succès de l’OM peuvent lui assurer et d’autre part liée à Bernard Tapie qui en est un actionnaire minoritaire. Il n’est pas rare que Depé apparaisse sur les plans larges ou plus serrés des gradins. Il est même arrivé que les commentateurs prononcent son surnom et lui souhaitent un joyeux anniversaire en direct.

Photo 2 – Depé au Parc des Princes en 1991. Photo Alain Sauvan.

20 Enfin, Bernard Tapie prend la décision en 1992 de le salarier pour assurer le lien entre la direction du club et les différents groupes de supporters. En réalité, il est « homme à tout faire ». Il fréquente quasi quotidiennement le nouveau centre d’entraînement où il a le loisir de côtoyer les joueurs. Il a portes ouvertes au siège du club et entretient des rapports étroits avec les responsables en charge de la sécurité et de la billetterie. L’OM lui offre donc un soutien matériel et symbolique lui permettant de se consacrer pleinement à sa vie de supporter et d’étoffer ses ressources relationnelles.

21 Cette trajectoire ascendante voit son couronnement au mois de mai 1993, lorsque l’OM devient le premier club français à remporter la Coupe d’Europe des clubs champions. Après la victoire, Depé participe aux festivités avec l’équipe et est reçu avec le staff et les joueurs à la cérémonie organisée par le Conseil régional présidé alors par Jean-Claude Gaudin. Sous les yeux de ce dernier, Bernard Tapie se saisit du micro, s’adresse à son adversaire aux élections régionales de 1992 (et potentiel rival pour la mairie de Marseille en 1995) tout en prenant à partie la salle : « Avant que vous ne remettiez la suivante, j’aimerais offrir ma médaille à celui qui symbolise tellement cette ville, Depé ». Celui-ci surgit de derrière les joueurs, prend la médaille et danse sur l’estrade la coupe dans les mains. En moins de cinq années, Patrice de Peretti est devenu Depé.

Du Virage Sud au Virage Nord : Depé comme leader du stade

22 Son parcours semble indissociable de l’ascension de Tapie et de la réussite de l’OM. Il résiste pourtant à la chute du président et aux déboires du club à la suite de la retentissante affaire de corruption dite VA-OM qui éclate durant l’été 1993 [8]. Certes, Depé perd son travail à l’OM et les tribunes sont affectées par une dégradation sensible des relations entre les associations de supporters. Mais cela va de pair avec une profonde reconfiguration des rapports de force entre ces dernières et les nouveaux dirigeants du club, de sorte que les groupes s’en trouvent renforcés et incarnent un pôle de stabilité dans un environnement de nouveau en proie à de fortes secousses et des difficultés financières.

23 Ainsi, le fuw des années conquérantes de l’OM explose, et les trois groupes se séparent. Pour des raisons assez obscures (un conflit avec d’autres cadres étant le plus probable, sans que le motif soit très clair), Depé décide de quitter les South Winners durant l’été 1994 au moment de la descente du club en deuxième division. Il entend fonder un nouveau groupe. Une telle décision n’est pas aisée à prendre sans soutiens. Il convainc quelques dizaines d’amis et connaissances de le suivre mais, surtout, il bénéficie de l’aide des responsables du club avec lesquels il s’est lié pour trouver un nouvel emplacement dans le stade, disposer de la reconnaissance officielle de l’OM et accéder de fait à la billetterie. Il peut alors redémarrer une activité. Les mtp prennent place dans le Virage Nord avec l’ambition de concurrencer les groupes phares du Virage Sud et de faire chanter une tribune souvent considérée comme plus désordonnée et moins ardente.

24 Au moment de son décès, son pari est réussi. Le groupe fédère 3 000 adhérents et a construit une solide place dans un paysage supportériste qui s’est considérablement structuré au cours de la seconde moitié des années 1990. Les neuf associations existantes fédèrent plusieurs milliers de membres après avoir profité de la reconstruction du stade, nécessaire à l’accueil de la coupe du monde de 1998 pour négocier auprès du club la commercialisation exclusive des abonnements (les places louées à l’année) dans la zone qui leur est réservée [9]. Lors des campagnes d’abonnement qui se déroulent chaque été à leur siège, elles ajoutent au tarif fixé par la direction de l’OM (quelques centaines de francs en 2000, que les associations reversent ensuite au club, pas toujours rapidement) le montant de la cotisation au groupe. Dit autrement, l’abonnement dans un virage entraîne de fait l’adhésion automatique à l’une des associations. Cette manne financière nouvelle a deux effets pour les supporters. D’un côté, elle permet de salarier des permanents, d’acheter des locaux ou bien encore des autocars. De l’autre, elle offre aux responsables des groupes une assise importante et un réel pouvoir de négociation avec le club. Depé a profité de cette situation comme tous les leaders supportéristes. Tous sont devenus des figures connues et identifiées au stade.

25 Pour autant, tous ne jouissent pas d’une aura comme celle de Depé. Dès lors, qu’avait-il de plus que les autres ? Pourquoi est-il encore aujourd’hui perçu, de loin, comme le supporter numéro un de l’OM ? L’argument de sa vie brève et empêchée n’est pas suffisant pour le comprendre.

Depé ou la fureur de l’OM

26 Si Depé bénéficie d’une grande considération auprès des supporters, même ceux qui sont trop jeunes pour l’avoir connu, c’est qu’il concentre toutes les valeurs qui font système dans l’univers des tribunes. Trois aspects méritent ici d’être soulevés.

27 Depé fut d’abord, aux yeux de tous, un « ultra » compétent pouvant faire valoir son ancienneté et la permanence de son investissement. Il est vu comme ayant contribué à faire l’histoire de l’OM. Actif au moment de l’« âge d’or » du supportérisme à Marseille, il a en outre contribué à la fondation et à l’essor de deux groupes moteurs du Stade Vélodrome situés dans des virages différents en tenant le mégaphone sans discontinuité pendant douze ans. La légende veut qu’il ait raté « moins de matchs que les doigts d’une main », sillonnant par tous les moyens possibles les stades de France et d’Europe. Son inventivité en matière d’animations est unanimement reconnue. Il apparaît comme un précurseur sur bien des aspects, n’hésitant pas à casser les habitudes pour créer de nouvelles traditions et « c’est là une dimension fondamentale de la reconnaissance du singulier dans la modernité » [Heinich, 1991 : 51]. Après avoir œuvré à associer la couleur orange aux South Winners, il singularise les mtp en intégrant les couleurs rasta plutôt que le bleu et blanc traditionnels de l’OM. Sous son impulsion, les mtp accueillent un groupe exclusivement féminin, « les Cagoles », ces dernières assurant une ambiance festive et humoristique au stade selon une logique classique de retournement du stigmate (le terme renvoie, en effet, à une expression péjorative courante à Marseille, qui désigne des femmes vulgaires et aguicheuses).

28 Depé était par ailleurs un leader charismatique de type pur ou prophétique selon la terminologie weberienne, agrégeant aux yeux de ceux qui l’ont connu des qualités extraordinaires, « un personnage […] pour ainsi dire doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains ou tout au moins en dehors de la vie quotidienne, inaccessibles au commun des mortels » [Weber, 1995 : 320]. Son charme dépasse le charisme imparti à sa fonction de capo. Il est lié à sa personne et à son corps [Bourdieu, 1977]. Sa voix éraillée, sa carrure, sa gouaille et sa jovialité ne séduisent pas seulement les jeunes femmes. Son exubérance et son énergie sont communicatives. On lui attribue le don de « mettre le feu » dans une tribune. Il charme par la parole, par son talent oratoire, dans les interactions de face à face comme lorsqu’il s’adresse à la foule. Sa qualité de persuasion et sa capacité d’enrôlement sont attestées : n’a-t-il pas amené au stade de très nombreux non connaisseurs du football restés fidèles ? Les chants puissants des anonymes répondant à sa voix ne sont-ils pas le meilleur gage de sa virtuosité à générer l’« hystérie collective » ? Il charme par sa bravoure et l’acceptation du risque. Aussi possède-t-il ce que l’on pourrait nommer l’aguante, en référence à cette notion usitée chez les barras bravas d’Amérique latine (des groupes de supporters semblables aux ultras européens) qui renvoie « à l’idée de résistance, avant tout corporelle », à deux niveaux.

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Sur le plan festif, l’idée d’aguante représente la capacité à aller au stade quelles que soient les conditions climatiques, à chanter, sauter et danser durant tout le match, à s’user les cordes vocales, à suivre l’équipe partout où elle va. L’aguante comporte également une connotation combative, mise en avant dans de nombreuses chansons. Il s’agit ici de ne pas reculer lors des affrontements avec d’autres barras ou avec la police, de défendre ses biens (banderoles, tambours, etc.) [Fleury, 2014 : 100].

30 De fait, Depé a fait la démonstration de son endurance à de nombreuses reprises. Il est notamment connu (et s’est fait connaître) dans le monde des supporters français pour une anecdote fondatrice de sa légende, « une action inaugurale » dirait Max Weber, en étant torse nu à Berlin par moins douze degrés en mars 1993, sous le regard des caméras de TF1. En outre, « il possède un grand courage physique et une capacité de combat dont il a donné des preuves dans des batailles mémorables, entrées depuis dans la tradition orale » [Signorelli, 1994 : 624]. Bagarres victorieuses contre des supporters adverses, défis aux forces de l’ordre et aux agents de sécurité, gifles adressées à des joueurs (de l’OM…), ses coups d’éclats et son audace confirment la grandeur charismatique, instable par nature, et procurent des profits symboliques pour ses suiveurs. Sa force individuelle signifie, par procuration, la puissance collective.

31 Enfin, Depé tire son autorité auprès des supporters de la sincérité de son engagement et de son intégrité, du respect scrupuleux des idéaux ultras en somme. Bien que salarié pendant un temps de l’OM (il le redeviendra en 1999 jusqu’à sa mort), sa position n’est pas vue comme une forme de compromission. Très revendicatif, il négocie avec le club le prix des places et promeut un stade « populaire », accessible au plus grand nombre. Il n’hésite pas à déclencher des mouvements de protestation et à interpeller publiquement si nécessaire les dirigeants. Bien que les mtp soient concernés par le système de délégation accordée par le club aux groupes de supporters pour commercialiser les abonnements dans les virages, ce n’est pas perçu comme une soumission à la « logique du business ». Sous sa direction, le groupe n’assure aucune vente de gadgets ou de vêtements comme c’est le cas dans d’autres associations. Il fixe un seuil à 3 000 adhérents, souhaite que les mtp soient ouverts aux jeunes des quartiers populaires de Marseille (voire des secteurs les plus difficiles) et porte un discours antiraciste affirmé. Il s’arrange avec les agents de sécurité pour faire entrer gratuitement au stade le plus grand nombre de « minots ». « Homme au grand cœur », il n’est pas un gestionnaire et entretient un rapport charismatique à l’argent. La manne financière générée par la vente des abonnements est redistribuée sous des formes diverses : création de petits emplois pour ses amis, organisation de fêtes, aides au financement des déplacements afin de suivre l’OM « à l’extérieur » pour les adhérents les plus défavorisés. À l’occasion de ses 25 ans, il paye intégralement la location d’un car pour aller soutenir l’OM à Guingamp. Finalement, il accorde une grande indifférence à sa propre réussite matérielle : quand il n’est pas torse nu au stade, son aspect vestimentaire porte la marque de la modestie ; il ne possède ni voiture, ni appartement. Comparativement à d’autres responsables de groupes de supporters, aucun soupçon d’enrichissement personnel ne pèse sur lui.

Depé à la ville. Un supporter à la croisée de cercles sociaux multiples

32 Dans le monde des supporters, Depé bénéficie donc d’une vraie reconnaissance au-delà des frontières de son groupe d’appartenance. Son excellence en tribune est affirmée et certifiée dans le cercle de ses pairs et par d’autres porteurs de charisme, des partenaires et des concurrents (les leaders actuels et anciens des autres groupes marseillais et même français), issus du même monde social que lui [Coulmont, 2013] [10]. Si beaucoup s’accordent donc à dire qu’il a été un « grand supporter », l’exceptionnalité de Depé tient également au fait que, à la différence d’autres personnages qui comptent au stade, il est aussi devenu une figure à la ville, connue hors de l’univers du football. C’est là la nuance entre la reconnaissance et la renommée, la première étant l’estime dont jouit un individu au sein du monde spécialisé dans lequel il agit tandis que la seconde atteint l’individu dont le nom va au-delà de ce monde spécialisé pour entrer dans l’histoire (ici locale) ou, du moins, dans d’autres cercles sociaux [Dubois, 2009].

Photo 3 – Le local des MTP. Sont exposées deux photographies de Depé dans une pose combative caractéristique : torse nu,
écharpe nouée autour du cou, poing levé et mégaphone à la main (quartier de la Plaine, Marseille). Photo de l’auteur.

33 Depé a, en effet, établi une « passerelle » entre le stade et la cité. Son investissement s’est notamment porté vers le quartier de la Plaine, où est situé le siège des mtp. Il y réside, alternant squat chez des amis ou dans des bars et colocation avec des camarades. Marqué par la présence ancienne du marché de gros, volontiers qualifié d’alternatif, ce quartier comporte trois spécificités dans les années 1990. D’abord, il dispose de nombreux lieux de fête et se pose comme l’un des endroits prisés des nuits marseillaises. Bars, restaurants, discothèques et salles de concert se concentrent autour de quelques rues et places. Ensuite, des groupes musicaux et des artistes y élisent domicile, tels iam ou Massilia Sound System. Enfin, il y existe un tissu associatif extrêmement dense portant sur des objets très variés : insertion sociale, activités culturelles, promotion de l’occitan, mixité, lutte contre la toxicomanie et prévention contre le Sida, etc. À l’époque de Depé, les mtp sont pleinement intégrés aux réseaux de la Plaine. Loin d’être replié sur son local, le groupe s’investit dans l’animation du quartier. Depé a un œil sur la rue et, tel le berger ramenant les brebis égarées, entend occuper les jeunes désœuvrés. Les membres des mtp fréquentent les bars, participent aux fêtes, aux concerts. Depé se lie à des animateurs sociaux et des militants investis dans des associations, à des musiciens. Si bien qu’il dispose de solides amitiés dans les mondes festifs, artistiques et associatifs. Plus, « les combats des uns deviennent les combats des autres, d’autant qu’il s’agit de brandir également haut et fort les couleurs et les valeurs de Marseille, le dénominateur commun de tous ces mouvements » [Gasquet-Cyrus, 2001 : 58]. La pieuvre, l’emblème choisi par Depé pour représenter les mtp, symbolise cet engagement multidirectionnel et multi-facettes.

34 L’activisme déployé par les mtp dans la vie de la cité, le poids acquis par le supportérisme au sein du club et le discours tenu par les supporters sur Marseille forment autant de motifs qui ont progressivement attiré des acteurs dominants de la ville, particulièrement les personnalités politiques. Au cours des années 1990, il devient banal que les groupes de supporters soient courtisés en période de campagne électorale par les candidats et leur équipe [Peraldi et Samson, 2006 : 135-153]. Depé est notamment repéré et identifié par un conseiller de Jean-Claude Gaudin (élu maire en 1995) et futur adjoint à la Culture de Marseille à partir de 2001. Leader d’un groupe devenu force politique dans la ville, mobilisant autour de lui de nombreux membres, Depé obtient ainsi de la mairie la construction d’un terrain synthétique de football, attestant de son engagement au service des autres, ce qui ne manque pas de lui procurer des gratifications symboliques au sein du quartier.

35 Depé se situe finalement à la confluence de mondes sociaux variés et occupe une position proche de celle du médiateur ou de l’« articulateur » telle qu’elle est documentée par l’analyse structurale des réseaux sociaux, c’est-à-dire une place clef connectée à de nombreux acteurs diversifiés et pour certains non reliés entre eux. Conformément aux enseignements tirés des travaux menés dans cette direction, une telle position dans une structure relationnelle peut offrir des opportunités et avantages certains [Degenne et Forsé, 2004 : 136-150]. En voici un exemple : du fait de son action au stade et de sa fréquentation des soirées à la Plaine, Depé devient proche du propriétaire d’un bar et d’une salle de concert du quartier, lui-même supporter de l’OM. Celui-ci entretient des rapports d’amitié avec Manu Chao, et Depé se retrouve ainsi en lien avec ce dernier qui aime séjourner à Marseille. Engagé à gauche, sensible à la vie des quartiers populaires et à l’antiracisme, le chanteur se prend d’affection pour Depé dans lequel il reconnaît une sorte de double, version footballistique. Lorsqu’il cherche un endroit pour réaliser le clip illustrant une chanson de la Mano Negra sur le football (Santa Maradona), il pense au Stade Vélodrome et à Depé qui est filmé pour la postérité. Un tel « appariement sélectif » [Menger, 2009] entre personnes à forte réputation renforce par ailleurs les liens forgés par Depé avec des artistes locaux. Il lui permet également d’être en contact avec des militants de la Caravane des quartiers, une association née en région parisienne qui aide à l’insertion des jeunes issus des quartiers défavorisés pour laquelle Manu Chao s’est investi. Cela le rend d’autant plus intéressant aux yeux des éducateurs et des bénévoles associatifs marseillais. En somme, Depé fait dialoguer des cercles sociaux pluriels et, de supporter, il est aussi devenu une figure de Marseille. En 1998, il fait ainsi partie des cinquante-cinq portraits de Marseillais qui font la ville, réalisés pour un numéro spécial du magazine Terre provençale.

Icône et iconoclastes. La réception réversible de la figure d’exception

36 « Il n’y a pas de célébration sans critique », écrit Nathalie Heinich à propos de Van Gogh [Heinich, 1991 : 9]. Et d’ajouter en évoquant la personnalité atypique du grand artiste et sa réception par le public ou tout autre exégète : « On est là sur la ligne de crête entre célébration et stigmatisation, où la particularité peut basculer, soit dans l’acceptation progressiste d’une admirable originalité, soit dans le rejet conservateur d’un inadmissible excès » [ibid. : 36]. N’est-ce pas là le lot des figures d’exception que de susciter des discours contrastés ? Tel nous semble être le cas de Depé. L’interprétation de sa « différence » est indéfiniment réversible, à la manière des versions pile et face d’une médaille. En effet, ses qualités peuvent être retournées en défauts et vice versa. Les personnes qui l’ont connu de manière plus lointaine sont celles qui potentiellement discutent de sa trajectoire avec le plus de circonspection. Mais cette réception à haute réversibilité est aussi présente chez tous ceux qui l’ont approché de près.

37 Faisant du supportérisme un style de vie, Depé a repoussé les limites de l’engagement pour la cause de l’OM, jusqu’à donner sa vie pour elle. Aussi incarne-t-il l’annulation symbolique de la séparation entre vies personnelle et publique de supporter. Il est l’exemple de l’esprit de sacrifice, de l’investissement total et du rapport fusionnel au club. « Y a pas d’arrangement », la devise qu’il a donnée aux mtp est à ce titre lourde de sens. Cette quête d’absolu peut être valorisée mais, dans le même temps, paraître comme pure folie, voire parfaitement ridicule car excessive, s’agissant d’autant plus d’une cause à faible légitimité intrinsèque : ce n’est que du football et un si grand dévouement semble bien inutile. Cet argument peut toutefois encore être révoqué en soulignant l’utilité sociale de la vie de Depé : il a œuvré à la défense de l’identité et de l’honneur d’une ville, il a travaillé auprès des « minots ». Le consensus sur son excellence au stade est proportionnellement inverse aux débats sur la conduite de sa vie personnelle. Le don de soi, l’altruisme peuvent aller de pair avec des remarques sur son inaptitude au bonheur personnel, les mauvaises fréquentations, son rapport à la drogue, son enfermement dans un personnage et la fuite en avant. La force de l’homme, son sens de l’initiative côtoient les failles et la vulnérabilité du grand enfant qu’il aurait fallu mieux protéger. Ainsi pourrait-on multiplier les exemples.

38 Les figures d’exception le sont aussi du fait de cette capacité à se laisser parler par d’autres. Elles sont objet de discours. Mais dans un cas (apologie) comme dans l’autre (critique), si un tel état de fait existe, c’est qu’elles touchent les gens et ne les laissent pas indifférents. Au petit matin du 28 juillet 2000, dans l’appartement de la Plaine que Depé occupait avec un ami, même les pompiers qui ont tenté de le réanimer le connaissaient. ■

Notes

  • [1]
    Selon le titre d’un article publié dans le journal La Provence le 3 août 2000.
  • [2]
    Cet article repose sur l’exploitation de matériaux ethnographiques relatifs aux supporters et à la popularité du football, récoltés autour du cas de l’Olympique de Marseille. Une enquête de terrain a été menée au début des années 2000 dans le cadre de notre thèse de doctorat. Celle-ci a donné lieu à un ouvrage : Lestrelin [2010]. Depuis, de nouvelles données ont été recueillies, centrées sur la trajectoire de Patrice de Peretti. Nous remercions Alain Sauvan pour la mise à disposition de la photo 2.
  • [3]
    À l’entrée d’une tribune du stade Grimonprez-Jooris de Lille, il existait une plaque honorant la mémoire de Franck Lescieux, fondateur d’un groupe de supporters mort en 1992, mais l’enceinte est aujourd’hui détruite. À Toulouse, le Virage Est porte depuis 2009 le nom de Brice Taton, en hommage à ce supporter décédé à la suite d’une agression par des hooligans serbes. Là encore, une plaque orne l’une des portes d’accès à la tribune.
  • [4]
    Toutes les « traces » ici mentionnées sont autant de sources documentaires précieuses. Centré sur le parcours de Depé, cet article s’avère néanmoins particulièrement intéressant pour les indications biographiques qu’il fournit et les témoignages de proches qu’il convoque : Romain Canuti, « Depé et de fureur », So Foot, hors-série spécial supporters, 2012 : 24-27.
  • [5]
    En mai 1985, lors de la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions opposant le Liverpool FC à la Juventus de Turin au stade du Heysel, à Bruxelles, les fans anglais envahissent la tribune des partisans italiens provoquant un mouvement de panique qui se solde par la mort de 39 personnes devant des millions de téléspectateurs.
  • [6]
    Sur son passage aux South Winners, voir un ouvrage portant sur ce groupe, issu d’un mémoire de maîtrise d’ethnologie réalisé à l’université de Provence : Roumestan [1998].
  • [7]
    En onze ans, la finale de Coupe d’Europe jouée par l’OM en 1999 à Moscou contre l’équipe italienne de Parme est la seule rencontre où il ne peut se dévêtir, les forces de l’ordre russes lui intimant de se rhabiller.
  • [8]
    Pour de plus amples renseignements, voir dans le présent numéro la contribution d’Yvan Gastaut sur la figure de Jacques Glassmann, le joueur par qui l’affaire éclate.
  • [9]
    Soit 28 000 places tous groupes confondus, situées dans les deux virages sur une capacité totale de 60 000 spectateurs.
  • [10]
    Les leaders des groupes de supporters ne sont pas les seuls à goûter à l’estime de leurs semblables, car il existe une variété de charismes spécifiques au supportérisme : charisme de la parole, du courage physique, de l’anticonformisme et de l’humour, etc., autant de qualités qui sont reconnues dans les tribunes. Sur la notion de charisme spécifique, voir : Dericquebourg [2007].
Français

Si le football professionnel produit de « grands hommes », les individualités consacrées ne sont pas toujours celles qu’on croit. Cet article décrit la trajectoire hors du commun d’un supporter de l’Olympique de Marseille. De spectateur anonyme à leader reconnu au stade, il est devenu un personnage renommé de la ville, objet de célébration après son décès. L’auteur étudie les discours à son sujet rapportés aux configurations sociales au sein desquelles il a évolué et met en évidence la réversibilité de la réception propre aux figures d’exception.

Mots-clés

  • Football
  • Icône
  • Marseille
  • Réception
  • Supporters
Deutsch

« Depé ».  Eine Fan-Ikone des Olympique de Marseille

Auch wenn der professionelle Fußball „große Männer” hervorgebracht hat, sind die ihm gewidmeten Individualitäten nicht immer die, die man denkt. Dieser Artikel beschreibt den außergewöhnlichen Lebensweg eines Fans des Vereins Olympique de Marseille. Vom anonymen Zuschauer hin zum anerkannten Stadionsanführer, ist er zu einer stadtbekannten Person geworden, die nach ihrem Tod gefeiert wurde. Der Autor studiert die verschiedenen Diskurse über ihn. Diese beziehen sich auf die sozialen Konfigurationen, in denen er sich entwickelt hat und machen die Umkehrbarkeit der Eigenwahrnehmung von Ausnahmefiguren deutlich.

Stichwörter

  • Fussball
  • Ikone
  • Marseille
  • Aufnahme
  • Fans
Español

« Depé ». Un aficionado icono del Olympique de Marsella

Si el futbol profesional produce « grandes hombres », las individualidades consagradas no son siempre lo que parece. Este artículo describe la trayectoria fuera de lo común de un aficionado (hincha) del’ Olympique de Marsella. De espectador anónimo a líder reconocido en el estadio, se hizo un personaje famoso en la ciudad, celebrado después de su muerte. El autor estudia los relatos sobre él, y los pone en relación con las configuraciones sociales donde vivió, destacando la reversibilidad de la recepción propia a las figuras de excepción.

Palabras claves

  • Futbol
  • Icono
  • Marsella
  • Recepción
  • Aficionados

Références bibliographiques

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Ludovic Lestrelin
Centre d’étude sport et actions motrices
Ludovic Lestrelin
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Mis en ligne sur Cairn.info le 11/07/2016
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