CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Dans le cadre de ce dossier consacré à l’articulation entre logement et inégalités, nous avons souhaité faire connaître aux lecteurs francophones deux textes extraits d’un dossier publié en 2016 par la revue internationale de géographie critique, Acme[1]. Ce dossier est issu d’une session de la rencontre annuelle de l’Association des géographes étatsuniens (Association of American Geographers – aag) qui s’est tenue à New York en février 2012. Consacrés à l’actualité de l’ouvrage d’Engels, La question du logement (1873), les deux textes sélectionnés ont été rédigés par des chercheurs anglais, suédois et étatsunien qui s’inscrivent dans la géographie radicale et font le lien entre le travail précurseur d’Engels et la question du logement dans le capitalisme néolibéral contemporain. Ils sont aussi l’occasion de faire connaître en France les questionnements de nos collègues, qui nourrissent une critique radicale des contradictions capitalistes face à l’enjeu du logement.

2 Le premier texte correspond à la première partie de l’introduction du dossier, signée par ses quatre coordinateurs. Il établit un parallèle stimulant entre la critique qu’Engels adresse à Proudhon et aux thuriféraires de la propriété privée (même partagée et accessible aux classes populaires) et les effets désastreux de la politique thatchérienne du « right to buy ». Les auteurs évoquent aussi les prolongements de cette politique sous des gouvernements du New Labour et l’accentuation actuelle des mesures de privatisation des logements sociaux et d’accès généralisé à la propriété privée en Angleterre. Au-delà du renforcement dramatique des inégalités sociales et de la vulnérabilité des plus modestes, ces politiques permettent de reposer la question même de la propriété privée du logement et de ses liens intrinsèques avec le capitalisme et les rapports de classe, dans la mesure où elles ont pour effet d’accentuer les inégalités de classe qui sont déjà produites par la propriété privée des moyens de production et des logements.

3 Le second texte correspond à la transcription de la conférence donnée par Neil Smith à l’occasion de cette session de l’aag. Écrite sept mois avant sa mort, elle fait partie des dernières communications de ce géographe radical écossais vivant à New York, qui fut l’un des principaux théoriciens de la gentrification. Dans ce texte, Smith fait le lien entre le texte d’Engels et la crise des subprimes aux États-Unis: les contradictions de la propriété privée du logement apparaissent ici particulièrement aiguës, des millions de ménages se faisant expulser de leur logement du fait même de leur accession à la propriété (mise à mal par la crise financière). Mais le texte s’intéresse en particulier aux capacités de résistance et d’organisation collective des habitants, à la fois contre les expulsions et contre l’injustice que constitue la propriété privée et celle du capital. À la fin de sa vie, Smith s’intéressait particulièrement à la question des stratégies politiques pour renverser le capitalisme et il s’était par exemple beaucoup impliqué dans le mouvement Occupy Wall Street. Dans ce texte, il insiste sur un classique de stratégie politique révolutionnaire – pourtant largement perdu de vue –, à savoir l’articulation entre revendications transitoires et perspectives révolutionnaires : sur le plan du logement, cela suppose de toujours penser de concert luttes contre les expulsions ou promotion de l’habitat coopératif, remise en cause des logiques inégalitaires de la propriété privée et affermissement des capacités d’organisation collective contre ce système.

Notes

  • [1]
    Acme. An International Journal for Critical Geographies, vol. 15, no 3, dossier « The Housing Question Revisited » [en ligne], [url : http://ojs.unbc.ca/index.php/acme/issue/view/99], consulté le 28 septembre 2016. Nous remercions chaleureusement la rédaction d’Acme, les coordinateurs du dossier, ainsi que Don Mitchell (pour Neil Smith) de nous avoir autorisées à traduire et publier ces deux textes.
Florence Bouillon
Maîtresse de conférence en sociologie, université Paris 8, Laboratoire architecture ville urbanisme environnement (Lavue)
florence.bouillon@gmail.com
Anne Clerval
Maîtresse de conférence en géographie, université Paris-Est Marne-la-Vallée, Laboratoire analyse comparée des pouvoirs
anne.clerval@univ-paris-est.fr
Stéphanie Vermeersch
Directrice de recherche cnrs, Laboratoire architecture ville urbanisme environnement (Lavue)
Stephanie.vermeersch@lavue.cnrs.archi.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 08/08/2017
https://doi.org/10.3917/esp.170.0123
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Érès © Érès. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...