CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Après un demi-siècle de croissance rapide alimentée principalement par la migration, la croissance de Bogotá se ralentit depuis les années 1980, devenant plus endogène et métropolitaine. L’accroissement naturel prend l’avantage sur l’apport migratoire et les mobilités intra-urbaines s’imposent comme le principal facteur de la dynamique de peuplement. À l’image d’autres métropoles latino-américaines, la dynamique de Bogotá rejoint des logiques en cours dans les villes européennes. Ce changement de modèle de développement s’accompagne d’amples redistributions des populations dans l’espace métropolitain et d’une diversification des échelles de la ségrégation ; de nouvelles proximités spatiales entre groupes sociaux voient le jour (Dureau et al., 2000). La mise en relation des biographies résidentielles recueillies à Bogotá en 1993 [1] et des données des recensements de 1973, 1985 et 1993 a permis d’analyser précisément les jeux d’interactions entre les comportements de mobilité des habitants et les transformations physiques et sociales de la capitale colombienne, tout en prenant la mesure de l’importance des facteurs globaux : taille, distances, rythmes de croissance (Dureau et al., 2004 ; Dureau, Delaunay, 2005). Par ailleurs de nombreux travaux [2] s’accordent à montrer que les changements résidentiels sont liés aux événements à l’origine de la décision de déménager et qui peuvent être relatifs au ménage (notamment au cycle de vie de la personne de référence, à son activité), au logement (taille, statut d’occupation, équipement) ou à l’environnement (qualité du quartier, accessibilité, proximité sociale, composition du parc de logements).

2Partant de ce constat, nous cherchons à saisir l’impact des mobilités résidentielles sur la dynamique des quartiers de Bogotá et, inversement, la manière dont les caractéristiques des quartiers, celles de l’offre de logement en particulier, peuvent orienter les pratiques résidentielles des ménages. Comment, dans le contexte de Bogotá, les mobilités résidentielles font-elles évoluer la composition sociale des quartiers ? De quelle façon la population se redistribue-t-elle spatialement, participant ainsi à une réorganisation sociale et spatiale de la ville ? Pour répondre à ces questions et en tirant parti des résultats déjà produits, nous proposons de développer, à l’échelle de la ville, un modèle dynamique des mobilités résidentielles et de leur impact sur les transformations sociales et spatiales. Fondé sur un modèle économique du marché du logement et formalisé dans le cadre de la théorie des jeux, le modèle s’appuie également sur des logiques sociales et démographiques de la mobilité des ménages. Il évalue pour cela l’évolution et la redistribution des ménages qui changent de logement à l’intérieur de la ville en couplant plusieurs dynamiques : une dynamique démographique du cycle de vie des ménages, une dynamique de la mobilité sociale, une dynamique du parc de logements et une dynamique économique du marché du logement.

3La prise en compte d’un grand nombre de paramètres relatifs aux différents processus sociaux, démographiques et économiques mis en jeu, nous incite à adopter une approche synthétique. Nous nous plaçons alors à un niveau global de l’organisation socio-résidentielle de la ville tout en fixant comme entités de modélisation le ménage et le logement, définis au travers de typologies éprouvées et localisées. Ceci nous conduit à définir d’une part, des groupes sociaux pertinents, produits du cycle de vie des ménages et de leur hiérarchie sociale donnée par l’activité et le niveau d’éducation et, d’autre part, des types de logements représentatifs du parc de Bogotá. Nous cherchons à expliciter et à tester les hypothèses générales sur les causes des recompositions des quartiers en tenant compte simultanément des choix résidentiels d’ordre social (préférence d’un groupe social pour un type de logement) et d’ordre spatial (préférence pour un lieu donné). L’objectif est d’identifier les facteurs déterminants de la mobilité des groupes sociaux et des transformations des quartiers, d’expliquer les différenciations spatiales autour de comportements résidentiels très typés et de représenter ainsi les tendances d’évolution à l’échelle de la ville.

État de la question

4La majorité des études sur les mobilités résidentielles traite soit à un niveau individuel, de la propension à se déplacer et des raisons qui sous-tendent cet acte, soit à un niveau agrégé, des transformations urbaines opérées par les mobilités. Dans le premier cas, les modèles de régression (log-linéaires, logit, probit) sont utilisés pour comprendre les comportements individuels de mobilité. Ils mettent en évidence les effets de plusieurs variables sur la décision de déménager : l’âge, le revenu, le niveau de formation, la structure familiale, le lieu de travail, la qualité du logement ou encore les relations sociales de proximité, s’avèrent, de façon générale, déterminants [3] ; dans ce sens, les travaux du Centre de recherche en aménagement et en développement (Thierault et al., 2002) analysent les effets de l’accessibilité, du cycle de vie et de l’environnement sur les marchés fonciers et visent à modéliser, avec des outils d’analyse statistique, d’analyse spatiale et des systèmes d’information géographique, les comportements individuels et les effets de leur agrégation sur l’évolution de la ville ; d’autres études mettent l’accent sur les facteurs individuels relatifs à l’histoire de vie tels que le changement de statut matrimonial ou d’activité ou encore une naissance dans la prise de décision de déménager et font appel alors à des données spécifiques longitudinales ou biographiques (Courgeau, 1984 ; 1995). Dans le deuxième cas, des modèles agrégés souvent économétriques et basés sur la théorie de l’utilité et des modèles d’interactions spatiales (on trouvera des exemples dans Système de villes et synergétique de Lena Sanders, 1992), permettent de comprendre et de représenter l’évolution de la distribution spatiale de la population à l’échelle de la ville mais ne focalisent plus sur les motifs du changement de logement.

5Plus récemment, des modèles dynamiques des mobilités résidentielles simulent les mouvements de population et les transformations urbaines. Ils couplent des modèles statistiques, économétriques et spatiaux. Là encore, on retrouve les deux types d’approches, agrégées et individuelles. L’approche agrégée représente des unités localisées en intégrant les comportements des individus qui y habitent, s’y déplacent, y travaillent dans des fonctions d’état spécifiques. Dans cette situation, les raisons de changer de logement ne sont pas explicitement prises en compte. Cette démarche modélise les déplacements entre les lieux et s’intéresse davantage aux résultats de la mobilité sur l’organisation spatiale qu’à ses causes. Les modèles d’automates cellulaires (Dubois-Paillard et al., 2003 ; Langlois, Phipps, 1997) se prêtent à cette approche. Notons en particulier les travaux de Diane Vanbergue et al. (2000), de Dominique Badariotti et Christiane Weber (2002) sur un modèle, appliqué à Bogotá et liant automates cellulaires et systèmes multi-agents, où les groupes d’individus se déplacent selon leur satisfaction à résider dans un secteur. La seconde approche, individuelle, considère l’individu comme un acteur central dans l’ensemble social. Elle prend en compte la diversité des comportements migratoires, les pratiques spatiales de la population et des décisions individuelles (Sanders, 1998) comme élément important de l’évolution de l’organisation spatiale de la ville. On se réfère dans ce cas à la microsimulation ou aux modèles individus-centrés qui connaissent actuellement de nombreux développements, notamment dans l’étude des dynamiques résidentielles urbaines (Benenson, 2004). La plupart de ces travaux sont fondés sur des systèmes auto-organisés et portent sur des villes artificielles (Benenson, 1998 ; Portugali et al., 1997). De plus en plus, ils s’appuient sur des données réelles, et l’on notera le modèle SVERIGE qui porte sur des données de la population suédoise entre 1985 et 1995 et a pour objectif de réaliser des projections nationales et des simulations de biographies individuelles (Holm, Sanders, 2001) ; le modèle MICDYN qui teste l’impact de la croissance de l’emploi sur l’évolution de la distribution spatiale de la population au niveau communal dans deux départements français (Aschan et al., 2000) ; le modèle MIRO (Banos et al., 2005) qui vise, à partir d’une information individuelle finement datée et localisée, à simuler et évaluer l’influence de comportements de mobilité individuels sur le fonctionnement collectif d’un espace urbain. Notons, enfin, les travaux d’Anne-Marie Meyer (2005) d’analyses et de simulations des mobilités résidentielles de l’agglomération de Hambourg pour tester des choix résidentiels fondés sur les styles de vie. Cependant, et malgré les capacités croissantes des calculs scientifiques, ces modèles restent encore difficiles à mettre en œuvre du fait du grand nombre d’entités à représenter et de la difficulté à caractériser les comportements individuels nécessitant de combiner plusieurs critères.

Niveaux de modélisation intermédiaires

6L’approche adoptée ici constitue un compromis entre une approche agrégée qui rend compte de l’évolution de la distribution de la population et des reconfigurations sociale et spatiale de la ville et une approche individuelle qui met l’accent sur les causes et l’impact des choix résidentiels sur la mobilité intra-urbaine. Le principe est d’établir des niveaux de modélisation, intermédiaires entre l’unité géographique et le ménage, à l’échelle de la ville. Nous considérons ainsi comme entités de modélisation, d’une part, des groupes homogènes de ménages, quant à leurs caractéristiques sociologiques, démographiques et économiques, et, d’autre part, des types de logements, au regard de leurs caractéristiques et de leurs équipements. Ces entités sont localisées par quartier. Parce qu’elles sont construites à partir de structures multivariées combinant simultanément plusieurs caractéristiques sociodémographiques ou de logement, elles définissent des individus synthétiques. Il est ainsi différent de construire un modèle dynamique à partir de structures univariées, par âge ou par activité par exemple, et, comme ici de le construire autour de structures multivariées : dans le premier cas, l’approche est agrégée et l’entité de modélisation est une unité spatiale ; dans le second cas qui est le nôtre, l’approche est intermédiaire, voire individuelle, et l’entité de modélisation reste l’individu ou un méta-individu représenté par son groupe.

7Contrairement à la modélisation individu-centrée qui tient compte des particularités et des différences individuelles, nous considérons que le raisonnement sur les structures, obtenues à partir des comportements individuels, n’a pas perdu de sens et d’intérêt en analyse urbaine, et au contraire rend possible, voire facilite une approche globale et systémique de la ville. En effet, le fait de considérer de telles structures, c’est-à-dire de privilégier les grands traits d’une organisation, oblige à perdre un certain degré de détail dans la définition des processus mais permet en revanche d’en intégrer un plus grand nombre, de simplifier cette intégration et de considérer ensemble plusieurs facteurs individuels influant sur la décision de déménager, de nature et de niveaux différents (mobilité liée au cycle de vie, à la position sociale ; préférence d’un ménage pour un quartier ou un logement, évolution du parc de logements). La théorie économique des réseaux justifie cette approche dans la mesure où elle montre l’équivalence des équilibres dérivant de la concurrence d’un grand nombre d’agents et des équilibres dérivant de la concurrence de groupes d’agents ayant des caractéristiques communes (Nagurney, 1999 ; Dafermos, Nagurney, 1987).

8Nous rejoignons ainsi les propos de Lena Sanders (1992, p. 52) qui pose le problème de l’intégration des approches micro et macro-géographiques : « il y a place pour de nombreuses positions intermédiaires. Entre ce qui amène un individu à prendre la décision de migrer, de choisir telle destination plutôt qu’une autre, et des régularités observées au niveau des flux de populations, des soldes migratoires, des distributions de population qui en découlent, il y a un lien évident mais difficile à expliciter et à modéliser ». L’ambition du modèle est donc de combiner ces approches et par conséquent les logiques des trois principaux courants de pensée du développement de modèles dynamiques et spatiaux à savoir les théories de l’économie de l’équilibre, de l’auto-organisation et de la microsimulation (Sanders, 1998) : le modèle proposé se réfère à un modèle économique basé sur un marché de logement ; on dépasse les contraintes d’une rationalité économique en considérant des structures sociales émergentes qui ont la capacité d’exprimer les motifs de changer de logement classiquement appréhendés à un niveau individuel.

Le modèle

Hypothèses : comportements, stratégies et choix résidentiels

9Le principe qui sous-tend le modèle est que le comportement résidentiel est rationnel et que cette rationalité est non seulement économique mais aussi sociale. Les stratégies résidentielles [4] recouvrent à la fois le choix d’un type de logement et d’un statut d’occupation, et celui d’une localisation dans la ville. Elles relèvent de la volonté des ménages d’améliorer leurs conditions de logement. Elles dépendent aussi du marché immobilier et des politiques locales en la matière. Ce cadre d’analyse est posé et discuté pour plusieurs métropoles du Nord et du Sud par Catherine Bonvalet et Françoise Dureau (2000) qui soulignent « qu’à travers une certaine position résidentielle, définie par la localisation, le type d’habitat et le statut d’occupation, ce sont bien un statut social et un niveau de développement qui sont recherchés ». Rejoignant ainsi les observations dans d’autres contextes urbains, les analyses sur Bogotá montrent l’importance de la localisation dans les choix résidentiels, aux côtés du statut d’occupation et du type d’habitat : pour les familles aisées comme pour les classes moyennes et les plus pauvres, les réseaux familiaux sont déterminants dans les choix de localisation dans la capitale colombienne (Delaunay, Dureau, 2003). À partir de là, nous définissons deux principales hypothèses de la mobilité résidentielle intra-urbaine sur les raisons des changements résidentiels :

  • une hypothèse d’ordre social : un ménage cherche à améliorer ses conditions de logement ou recherche un type d’habitat en adéquation avec son statut social. Cette hypothèse sera traduite par une relation préférentielle entre un ménage et un logement ;
  • une hypothèse d’ordre spatial : un ménage accorde de l’intérêt au quartier qu’il habite et à sa localisation dans la ville selon la présence d’un réseau familial ou social ou selon l’attractivité de certains quartiers. Cette hypothèse sera traduite par une relation de distance entre quartiers. Le modèle doit permettre de représenter la conjugaison de ces deux hypothèses dans les processus de transformation socio-spatiale de la ville.

Entités

10Des travaux préliminaires sur l’organisation socio-résidentielle de Bogotá (Piron et al., 2004 ; 2006) ont décrit les recompositions sociales et les changements du parc de logements de la ville observés sur une génération. Ils ont ainsi conduit à élaborer et formaliser deux typologies (tabl. 1) sur la base des critères [5] influant sur un changement de résidence, c’est-à-dire ceux liés au cycle de vie, au niveau économique, au statut d’occupation et à la qualité du logement.

Tabl. 1

Typologie des ménages (a) et typologie de logements et des conditions d’habitat (b)

Tabl. 1
a - Onze groupes sociaux S1 : Inactif âgé (15%) S2 : Analphabète (3 %) S3 : Chômeur non qualifié (5 %) S4 : Femme séparée (9 %) S5 : Jeune célibataire (8 %) S6 : Jeune migrant actif (8 %) S7 : Jeune autochtone actif (10 %) S8 : Actif d’âge moyen (11 %) S9 : Actif d’âge mûr (10 %) S10 : Actif âgé (10 %) S11 : Actif qualifié (10 %) b - Neuf types d’habitat H1 : Petit logement précaire non connecté (3 %) H2 : Logement sans accès aux réseaux (4 %) H3 : Petit logement précaire (3 %) H4 : Une pièce dans logement partagé (18 %) H5 : Deux pièces standard (18 %) H6 : Maison ancienne standard (12 %) H7 : Trois pièces récentes standard (13 %) H8 : Quatre pièces confort (14 %) H9 : Grand logement confort (15 %)

Typologie des ménages (a) et typologie de logements et des conditions d’habitat (b)

11Ce sont également des critères reconnus et éprouvés, notamment dans les travaux d’écologie urbaine qui ont mis en évidence la permanence de trois grands facteurs dans les configurations socio-spatiales urbaines relatifs à des contextes variés : le cycle de vie, la hiérarchie sociale et l’origine (Bailly, Béguin, 1998 ; Reymond, 1998 ; Rhein, 1994). Compte tenu du caractère factuel de ces descripteurs, l’utilisation de ces typologies offre des bases solides à une démarche de modélisation : elle produit des structures stables nécessaires à une analyse diachronique. Pour chacune d’elles, nous avons testé leur invariance dans le temps, entre les deux recensements de 1973 et de 1993 (Piron, 2005) et dans l’espace intra-urbain de Bogotá (Dureau et al., 2006).

12Les entités du modèle sont localisées et résultent du croisement de chacune des typologies avec les vingt arrondissements (fig. 1). Nous disposons ainsi, d’une part, de 220 (11 x 20) entités « groupes de ménages » et, d’autre part, de 180 (9 x 20) entités « parcs de logements ».

Fig. 1

Les vingt arrondissements de Bogotá selon les six zones urbaines

Fig. 1

Les vingt arrondissements de Bogotá selon les six zones urbaines

La commune de Soacha est considérée ici comme un arrondissement de Bogotá.

Principe du modèle

13Le modèle est basé sur l’articulation entre trois processus : 1) un processus économique d’équilibre du marché du logement qui est le moteur du modèle ; 2) un processus d’évolution du parc de logements ; 3) un processus d’évolution démographique.

14Nous considérons les stratégies résidentielles intra-urbaines comme le résultat d’un équilibre spatial (Mullon et al., 2001) entre, d’une part, une offre qui est fonction de la capacité d’accueil des arrondissements selon le parc de logements disponibles et, d’autre part, une demande de logement dans un arrondissement donné qui est fonction de l’attractivité d’un type d’habitat pour un groupe social et de l’attractivité de certains arrondissements. Ceci représente les composantes d’ordre économique du modèle. Les deux formes d’attractivité, une fois quantifiées sous la forme de matrices de coefficients de préférence, constituent les hypothèses du modèle (encadré 1) : 1) une matrice, R, qui représente l’attraction d’un groupe social pour un type d’habitat (hypothèse d’ordre social) ; 2) une matrice, C, qui rend compte de la plus ou moins grande attractivité des arrondissements (hypothèse d’ordre spatial). Les coefficients de ces matrices constituent les paramètres du modèle et représentent un coût qui sera d’autant plus élevé que l’attractivité est faible.

Encadré 1/ Traduction matricielle des hypothèses et construction d’une simulation

Pour chacune des deux hypothèses du modèle, nous distinguons deux cas de figure :
1- Concernant l’hypothèse d’ordre spatial, deux matrices de distances ordinales entre arrondissements sont proposées où l’on considère : a) une hypothèse de centralité, c’est-à-dire l’existence d’un centre attractif de la ville (matrice C1) ; b) une hypothèse de proximité, c’est-à-dire l’existence d’un réseau de liens sociaux favorisant des déménagements de proximité et qui stipule que les ménages déménagent préférentiellement vers des quartiers limitrophes (matrice de contiguïté C2). Sur ce principe il est possible d’introduire d’autres critères d’attractivité des quartiers comme la prise en compte du lieu de travail ou d’un réseau de transport.
2- Concernant l’hypothèse d’ordre social, nous considérons deux matrices construites sur la base du tableau de contingence croisant les deux typologies qui rendent compte : a) d’une hypothèse de préférence d’un groupe social pour l’amélioration du type d’habitat (matrice R1), c’est-à-dire un ménage cherche à améliorer son logement dans des catégories égales ou supérieures à celui dans lequel il réside en 1973 ; b) d’une hypothèse de préférence d’un groupe social dans le maintien du type de logement (matrice R2), c’est-à-dire un ménage ne cherche pas à changer de logement. On construit un scénario en pondérant les différentes matrices. On peut ainsi privilégier, les situations très typées comme l’hypothèse de centralité en posant C = C1, ou encore l’hypothèse de proximité, c’est-à-dire de préférer un arrondissement limitrophe, avec C = C2, mais on peut également considérer un compromis entre ces deux hypothèses en posant C = a C1+ b C2. Il en est de même pour l’hypothèse d’ordre social associée au tableau R.

15Nous considérons comme exogènes à la dynamique : 1) l’évolution de la composition sociale de la population, la croissance démographique endogène et les migrations extra-urbaines (encadré 2) ; 2) l’évolution du parc de logements (encadré 3). Ces facteurs représentent les composantes d’ordre démographique du modèle et sont obtenus à partir des données des recensements de 1973 et 1993 ou d’une appréciation chiffrée donnée par un expert. Nous considérons comme constantes les transitions entre groupes sociaux, l’évolution du nombre de logements, une pression de la population sur le parc de logements.

Encadré 2/ Processus d’évolution démographique – Équations de la transition démographique

Soit le nombre de ménages caractérisés par la catégorie sociale s résidant dans l’arrondissement q à l’année t. La population à l’année t+1 est obtenue en appliquant à la population de l’année t, une matrice de transition entre types de ménages Tss’ puis en ajoutant à chaque groupe l’immigration Itqs de l’année t :
où : equation im3
Tss’ est un coefficient obtenu en combinant le taux de croissance endogène du groupe social s et la probabilité d’une transition d’une catégorie sociale s vers une autre catégorie s’. Cette probabilité est définie selon les règles suivantes : la transition entre catégories sociales est faible (termes diagonaux élevés) ; elle est liée à l’âge ; on passe d’une catégorie défavorisée vers une plus favorisée.
Itqs désigne le nombre des ménages immigrants entrant l’année t dans un groupe (q, s). Cette matrice est calculée sur la base de la proportion de ménages arrivés à Bogotá durant les cinq années précédant le recensement de 1993. Elle est actualisée par la fonction représentant la décroissance de la pression migratoire et l’on a : equation im4. La structure est supposée constante.

Encadré 3/ Processus d’évolution du parc de logement

Soit le parc de logements de type h dans l’arrondissement q à l’année t. Ltqh est calculé, à partir des parcs L73qh et L93qh en supposant que l’évolution de la pression de la population sur le parc de logements ptqh = est constante sur toute la période, soit : equation im5
Un calcul algébrique immédiat aboutit à la formulation : equation im6

16Le modèle calcule et simule l’évolution des entités entre 1973 et 1993 : à chaque pas de temps (assimilé à une année), les ménages d’un groupe social et d’un arrondissement donnés ont la possibilité de se répartir dans les différents types d’habitat de tous les arrondissements. Ils tiennent compte pour cela de l’attractivité des arrondissements et de la préférence d’un groupe social pour un type d’habitat. L’ensemble constitue un marché du logement dans lequel les ménages s’échangent des logements de différents types dans différents arrondissements (encadré 4). En prenant des fonctions simples et néanmoins réalistes pour calculer le bénéfice à déménager d’une entité en fonction des choix des autres entités, on obtient ce qui, dans la théorie mathématique des jeux, est appelé un jeu non coopératif dont on montre qu’il présente un et un seul équilibre (équilibre de Nash). Le ménage, identifié par un groupe social et un lieu de résidence, reste l’acteur de la décision de déménager. Le modèle simule ainsi les flux de ménages ce qui permet de suivre l’ensemble des déménagements et l’évolution de la structure sociale et spatiale de la ville à partir des hypothèses faites sur les choix résidentiels.

Encadré 4/ Processus économique d’équilibre du marché du logement

Nous considérons que chaque groupe de ménages (q,s) définit sa stratégie résidentielle par le nombre Mqs,q’h’ de ménages qui décideront de résider dans les parcs (q’,h). Entre un groupe de ménages (q,s) et un parc de logements (q’,h), les coûts des choix résidentiels intra-urbains Cqs,q’h sont fonction à la fois :
  • de la position géographique respective des deux quartiers q et q’ donnée par une matrice C de terme Cqq’. Elle est calculée à partir des distances entre quartiers et représente les coûts de déménager d’un quartier à un autre. Les valeurs sont comprises entre 0 et 1 : plus le coût est faible, plus le quartier d’arrivée est attractif par rapport à celui du départ ;
  • de l’attirance d’un type de ménages s pour le type d’habitat h donnée par une matrice R de terme Rsh’. Elle est inversement proportionnelle aux préférences d’un type de ménages pour un type d’habitat, telles qu’elles apparaissent en considérant le tableau de contingence croisant les deux typologies ; les valeurs sont comprises entre 0 et 1 ;
  • de la pression de la population sur le parc (q’,h’) qui découle directement des choix de résidence de tous les groupes (q’’, s’’) vers ce même parc (q’,h’) notées Mq’’s’’, q’h’ et aboutissant à une population equation im7 et à une pression equation im8. On a donc : equation im9.
L’équilibre du marché du logement est caractérisé par les relations suivantes :
  • lorsque des ménages d’un même groupe choisissent d’habiter dans des parcs différents, les coûts des choix résidentiels sont identiques sinon, un certain nombre d’entre eux changeraient de décision. Pour un groupe (q, s) si (q’, h’) et (q’’, h’’) sont tels que Mqs, q’h’ > 0 et Mqs, q’’h’’ > 0 alors Cqs,q’h’ = Cqs, q’’h’’ ;
  • lorsque les ménages d’un groupe ne se déplacent pas vers un parc donné, c’est qu’il existe un autre parc dont le coût est inférieur. Pour un groupe (q, s) si (q’, h’) est tel que Mqs,q’h’ > 0 alors Cqs,q’h’ ? Cqs, q’’h’’ pour tout parc (q’’, h’’).
Une formulation équivalente est de considérer, à chaque année t, que la fonction de gain G (ou de satisfaction) de chaque groupe (q, s), correspondant au choix d’affecter Mqs,q’h’ ménages vers un parc (q’, h’), est calculée de la façon suivante : equation im10
equation im11 correspond à la pression exercée sur le logement dans le parc (q’,h’).
Chaque groupe (q,s) cherche la stratégie résidentielle [Mqs,q’h] qui maximise la fonction de satisfaction. Il a sa propre stratégie en compétition avec celles des autres.

Éléments de validation

17Pour valider ces flux, nous nous fixons comme « pattern » à reproduire, les trajectoires des arrondissements dans la structure sociale de Bogotá entre 1973 et 1993. Celles-ci sont représentées par le plan factoriel principal de l’analyse des correspondances (fig. 2) de la matrice d’information spatiale qui croise les groupes sociaux avec les arrondissements décomposés par date. Ce plan rend compte des principales tendances de l’évolution et de la répartition spatiale de la composition sociale de Bogotá entre 1973 et 1993 (encadré 5). Le but est de faire varier les paramètres du modèle pour faire converger les données simulées et observées en 1993. Nous recherchons ainsi les situations pour lesquelles les hypothèses conduisent à un ajustement du plan factoriel satisfaisant.

Fig. 2

Dynamique socio-spatiale de Bogotá entre 1973 et 1993, plan factoriel (1,2) (source : Piron et al., 2004)

Fig. 2

Dynamique socio-spatiale de Bogotá entre 1973 et 1993, plan factoriel (1,2) (source : Piron et al., 2004)

Encadré 5/ Dynamique socio-spatiale de Bogotá entre 1973 et 1993

L’axe 1 reflète une échelle sociale et oppose les classes défavorisées très représentées dans les arrondissements du Sud (gauche) aux classes favorisées des arrondissements du Nord (droite) ; l’axe 2, très marqué par la dimension temporelle oppose les classes moyennes et s’affirmant en 1993 (haut) aux classes extrêmes bien représentées en 1973 (bas). En projetant les vingt arrondissements de Bogotá en 1973 et en 1993 et en représentant leurs trajectoires, on observe que les arrondissements populaires du Sud en 1973 hébergent davantage de classes moyennes en 1993 (compte tenu de la croissance démographique élevée entre les deux dates, il s’agit bien d’une « mixité » par arrivée de populations nouvelles et non une simple substitution des catégories sociales) ; les arrondissements du Nord (ceux du péricentre encore plus que ceux de la périphérie) caractérisés par la présence de classes aisées en 1973 voient cette caractéristique s’affirmer en 1993. L’évolution va dans le sens d’une modernisation des comportements socio-démographiques en relation avec l’amélioration du niveau d’éducation et l’adoption de nouveaux modèles de comportements résidentiels.

Simulations et résultats

Résultat 1 : impact des choix résidentiels sur la mobilité

18Une première série de simulations vise à ajuster le modèle, à tester sa sensibilité et à en évaluer le comportement général. Pour cela, nous éliminons d’abord l’effet spatial dans le choix résidentiel (les cœfficients de la matrice C sont nuls – voir encadré 1), pour ne retenir que l’hypothèse d’ordre social, c’est-à-dire la préférence d’un ménage pour un logement. Dans ce cadre, les populations sont particulièrement mobiles quelle que soit la préférence d’un groupe social pour un type de logement. La quasi-totalité des ménages change de logement à chaque étape, ce qui n’est pas réaliste. Dans la mesure où l’on n’exprime aucune préférence pour un quartier, le parc de logements disponibles couvre tout l’espace urbain, favorisant les déplacements intra-urbains non limités spatialement. Toutefois, une préférence d’un groupe social pour un type d’habitat marqué par une amélioration du logement (R1) freine la mobilité dans la mesure où l’accès au parc de logements est plus ouvert et arrive plus vite à saturation.

19En revanche, la mobilité résidentielle intra-urbaine diminue considérablement lorsque seule la composante spatiale, c’est-à-dire l’attractivité d’un quartier, est prise en compte, après élimination de l’effet social (les cœfficients de la matrice R sont nuls – voir encadré 1) dans le choix résidentiel. Cet effet de régulation des mobilités montre que les choix des ménages se portent vers un nombre plus réduit de logements. La concurrence entre les ménages face à un parc de logements ciblé pour un quartier donné est alors plus forte et seule une partie de la population peut effectivement y accéder. Cela est particulièrement visible dans le cas où les quartiers centraux sont attractifs (C1) : les choix des ménages sont orientés vers le centre de la ville, ce qui entraîne une saturation rapide de l’offre et une mobilité plus réduite dans ce cas. Par ailleurs, l’attraction des quartiers limitrophes (C2) rejoint l’hypothèse que pour les classes aisées, moyennes et les plus pauvres, les réseaux familiaux sont souvent de proximité et sont déterminants dans les choix de localisation dans la ville.

20Si chacune de ces hypothèses rend compte de processus cohérents sur l’ensemble de la ville, aucune ne reproduit localement les structures sociales par arrondissement, au regard du plan factoriel des trajectoires simulées qui convergent mal avec celles observées. Ceci incite à prendre en considération simultanément les deux hypothèses pour tenter de saisir les mécanismes généraux des mobilités intra-urbaines de Bogotá.

Résultat 2 : comportements résidentiels entre 1973 et 1993

21Une deuxième série de simulations vise à reproduire, par simulation et en partant de la situation de 1973, l’évolution des groupes sociaux et du parc de logements sur l’ensemble des arrondissements pour approcher la configuration de 1993. Les données simulées de 1993 vont être projetées en éléments supplémentaires sur le plan factoriel principal afin d’expliquer les trajectoires observées. L’objectif est d’observer l’impact des choix résidentiels sur la mobilité des ménages et leur redistribution dans les arrondissements de la ville. Parmi l’ensemble des simulations effectuées, nous retenons les deux situations les plus satisfaisantes quant à la convergence des trajectoires des arrondissements.

22Première situation (fig. 3) : ces stratégies résidentielles favorisent la mobilité intra-urbaine des ménages, quel que soit leur groupe social, de façon fréquente et constante sur l’ensemble de la ville. Elles rendent compte de la redistribution de la population dans la plupart des arrondissements et notamment ceux du péricentre nord et de la périphérie ouest (Los Mártires, Barrios Unidos, Engativa et Fontibon) et, dans une moindre mesure, ceux du péricentre et périphérie sud (Antonio Nariño, San Cristóbal, Ciudad Bolívar, Tunjuelito et Usme). Les résidants de ces arrondissements privilégient un déménagement vers les arrondissements limitrophes en améliorant un tant soit peu leur logement. Cette configuration ne satisfait en revanche ni l’évolution de la population de la Candelaria, ni surtout celle d’Usaquen, de Teusaquillo et de Chapinero qui, en 1993, ont tendance à se spécialiser dans les classes aisées, et tendraient, sous cette hypothèse, vers des profils de classes moyennes pouvant accéder à un habitat de meilleure qualité.

Fig. 3

Première situation, attractivité des quartiers limitrophes et compromis entre le maintien et l’amélioration du logement

Fig. 3

Première situation, attractivité des quartiers limitrophes et compromis entre le maintien et l’amélioration du logement

23Deuxième situation (fig. 4) : ces choix résidentiels favorisent dans des proportions plausibles (en moyenne sur la période un tiers des ménages changent de logements) les déménagements entre arrondissements. Ils touchent différemment les groupes sociaux et provoquent une plus grande mobilité, tout au long de la période, des « actifs d’âge moyen et mûr », des « femmes séparées », puis des jeunes ménages célibataires et migrants. Cette configuration convient à beaucoup d’arrondissements, et plus particulièrement à Soacha, Ciudad Bolívar et Bosa dans le Sud de Bogotá et à Chapinero et Barrios Unidos dans le péricentre nord, qui arrivent, dans cette hypothèse, à satisfaire leur population en demande de logements correspondant à leur statut social. En revanche, les autres arrondissements du Nord (Suba, Usaquen) ainsi que Fontibón tendent vers des populations de classes moyennes et actives, alors que ceux du péricentre (Los Mártires, Antonio Nariño et Fontibón) et du centre (Santa Fé et La Candelaria) renforcent trop, dans ces conditions, leur population vers les classes aisées.

Fig. 4

Deuxième situation, attractivité des quartiers centraux, des quartiers limitrophes et maintien du type de logement

Fig. 4

Deuxième situation, attractivité des quartiers centraux, des quartiers limitrophes et maintien du type de logement

24Le fait de disposer de plusieurs situations satisfaisantes montre qu’il n’existe pas un comportement résidentiel uniforme dans la ville. Par ailleurs, les hypothèses correspondant aux situations très typées sont trop fortes pour s’adapter à la configuration socio-spatiale de Bogotá qui répond davantage à des situations de compromis. Toutefois de ces deux situations qui conviennent le mieux à la plupart des arrondissements, il ressort que les stratégies résidentielles qui répondent simultanément au maintien d’un même type de logement ainsi qu’au fait de déménager vers des quartiers limitrophes sont des choix privilégiés.

Résultat 3 : nouvelles configurations socio-spatiales

25Cette troisième série de simulations vise à étudier ce que seraient les nouvelles configurations de la ville dans les quatre situations très typées. Pour cela, nous examinons les trajectoires des arrondissements en 1973 et celles simulées en 1993 considérées maintenant comme éléments actifs. Nous obtenons quatre configurations très différenciées :

  • lorsque les choix résidentiels portent sur l’attraction des quartiers centraux et le maintien du type de logement, l’espace urbain est scindé en deux. Les arrondissements des périphéries nord, ouest et sud attirent les ménages jeunes ou d’âge moyen ; les arrondissements du centre et du péricentre nord voient leur population vieillir (fig. 5a) ;
  • les choix résidentiels en faveur des quartiers centraux et de l’amélioration du type de logement tendent vers une homogénéisation de la population caractérisée par des « femmes séparées » et des « actifs qualifiés », moins marquée cependant pour les arrondissements du Sud-Ouest qui évoluent vers les jeunes ménages migrants et célibataires (fig. 5b) ;
  • les choix résidentiels en faveur des quartiers limitrophes et du maintien du type de logement retiennent les « actifs qualifiés » dans la périphérie et le péricentre nord et spécialisent la périphérie et le péricentre sud ainsi que le centre dans une population de « jeunes autochtones » et « d’actifs d’âge moyen » (fig. 5c). Notons que l’ordre des axes est inversé par rapport à la configuration actuelle (cf. fig. 2), le premier facteur opposant les classes moyennes aux classes extrêmes et le second reflétant l’échelle sociale ;
  • cette différenciation spatiale se retrouve pour les choix résidentiels privilégiant les quartiers limitrophes et une amélioration du type de logement, ce qui correspond le mieux à la situation observée en 1993, l’ordre des axes étant respecté (fig. 5d).

Fig. 5

Configuration de l’espace social de Bogotá, vers les quartiers centraux (A : pour le maintien du type de logement ; B : pour l’amélioration du type de logement) ; vers les quartiers limitrophes (C : pour le maintien du type de logement ; D : pour l’amélioration du type de logement)

Fig. 5

Configuration de l’espace social de Bogotá, vers les quartiers centraux (A : pour le maintien du type de logement ; B : pour l’amélioration du type de logement) ; vers les quartiers limitrophes (C : pour le maintien du type de logement ; D : pour l’amélioration du type de logement)

26Ces deux dernières situations confirment que le choix d’un quartier limitrophe est privilégié à celui des quartiers centraux contribuant ainsi à l’hypothèse de la recherche d’une proximité avec les réseaux familiaux.

Conclusion

27Le couplage des processus d’ordre socio-démographique (migrations extra-urbaines, mobilités sociales, croissance démographique) et d’ordre économique (marché du logement) a impliqué la définition des niveaux d’organisation urbaine auxquels s’expriment les interactions entre ces deux processus et qui satisfont à la fois les hypothèses sur les stratégies résidentielles et l’échelle de l’étude.

28Les niveaux de modélisation considérés, construits à partir de structures multivariées, ont permis d’adopter une posture intermédiaire entre les approches agrégée et individuelle classiquement utilisées dans l’élaboration des modèles urbains dynamiques. Il s’avère, à l’expérience et parce que nous travaillons à partir de telles structures, que le modèle est assez robuste et peu sensible aux variations des pondérations affectant les matrices de préférence.

29Le modèle, que nous avons développé pour prendre en compte ces niveaux d’organisation, a essentiellement une fonction heuristique et permet d’explorer, de façon raisonnée, des mécanismes invoqués de manière qualitative tels que les rapports centre-périphérie, l’appropriation de l’espace par différents groupes sociaux, l’évolution de ces groupes sociaux et de leur rapport au logement. Il permet de tester des hypothèses fortes et les plus simples possibles pour mettre en évidence les interactions les plus dominantes.

30Les simulations offrent d’autres possibilités d’analyses notamment celle des mouvements intra-urbains des groupes sociaux et celle des trajectoires des arrondissements sur l’ensemble des itérations. Sur ces principes, il est possible de faire évoluer différemment le parc de logements qualitativement et spatialement, de poser d’autres hypothèses sur l’espace urbain en favorisant par exemple des retours vers la périphérie, pour en observer les conséquences sur la mobilité spatiale des groupes sociaux.

31La démarche de modélisation adoptée ici est donc résolument généraliste et simplificatrice et vise à mieux intégrer la complexité des phénomènes étudiés. Elle s’appuie sur un grand nombre de descripteurs, des données réelles présentes dans les recensements, les enquêtes socio-démographiques ou les enquêtes sur le logement, a priori faciles d’accès. En retour, elle permet d’en discuter la pertinence, la représentativité.

32Nous souhaitons favoriser ces niveaux de modélisation car ils permettent de travailler dans la « masse » sur des éléments de synthèse qui traduisent les grandes tendances, de simuler les effets de l’émigration ou de l’arrivée massive à un moment donné d’un groupe social ou encore ceux d’une opération d’aménagement privilégiant un type d’habitat.

Notes

  • [1]
    L’enquête a été réalisée dans le cadre d’un programme de recherche mené par une équipe franco-colombienne dirigée par Françoise Dureau (IRD) et Carmen Elisa Flórez (CEDE), et d’un accord de coopération scientifique entre l’Institut de recherche pour le développement et le Centro de Estudios sobre Desarrollo Económico de l’université des Andes.
  • [2]
    Voir par exemple, les travaux présentés en décembre 2005, à Lyon, au colloque « Les choix résidentiels ».
  • [3]
    Voir l’état des lieux des recherches sur la mobilité résidentielle en France dressé par Catherine Bonvalet et Jacques Brun (2002).
  • [4]
    « Parler de stratégies revient à “restituer à l’acteur sa part d’initiative dans l’élaboration de sa propre existence”. Tout en reconnaissant que de multiples facteurs (politique et offre de logement, préférences en matière de mode de vie, revenus,…) interviennent dans les choix résidentiels, l’hypothèse est faite que les individus et les ménages disposent au cours de leur vie d’un minimum de liberté d’action et de lucidité dans leurs pratiques résidentielles. […] Le développement de stratégies, le décalage par rapport à la trajectoire déterminée par une condition sociale, suppose des ressources, financières certes mais pas seulement » (Bonvalet, Dureau, 2000, p. 132).
  • [5]
    Les catégories sociales sont obtenues à partir de onze variables descriptives du ménage (le nombre de personnes dans le ménage et le statut d’occupation du logement) et de la personne de référence (le sexe, l’âge, l’état civil, le lieu de naissance, le lieu de résidence cinq ans avant le recensement, le niveau d’éducation, l’analphabétisme, le type d’activité, le statut professionnel). Les types d’habitat sont définis par la nature du logement (maison, appartement, autre), le nombre de pièces, le type de sanitaire, de cuisine et d’énergie pour cuisiner, le mode d’accès à l’eau, les matériaux du sol et des murs, la connexion aux réseaux d’électricité, d’eau et d’égout du quartier.
Français

Résumé

Nous proposons de développer un modèle des mobilités résidentielles intra-urbaines et de leur impact sur les transformations socio-spatiales de la ville qui couple plusieurs dynamiques : une dynamique démographique du cycle de vie et de la mobilité sociale, une dynamique du parc de logements et une dynamique économique du marché du logement. Il s’appuie sur la mise en place de niveaux d’abstraction de modélisation qui intègrent à la fois une approche agrégée pour rendre compte de l’évolution de la distribution de la population et des reconfigurations de la ville et une approche individuelle pour mettre l’accent sur les causes et l’impact des choix résidentiels sur la mobilité intra-urbaine.

  • Bogotá
  • mobilité résidentielle
  • modélisation dynamique
  • niveau d’abstraction
  • structure sociale

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Marie Piron
IRD, UR Migrations, mobilités et territoires
Christian Mullon
IRD, UR Écosystèmes d’upwelling
Françoise Dureau
Migrinter, université de Poitiers
Arnaud Deman
Laboratoire d’informatique de l’université Paris vi
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Mis en ligne sur Cairn.info le 26/10/2007
https://doi.org/10.3917/eg.364.0337
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