CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 La réforme des retraites de 1993 est la première à initier une série de modifications des paramètres du système français des retraites. Cette réforme a uniquement concerné les affiliés aux régimes des salariés et des non-salariés du secteur privé, avec pour objectif d’en assurer la soutenabilité à long terme face à l’arrivée à l’âge de la retraite des générations du Baby-Boom et à l’allongement de l’espérance de vie. Elle s’est appuyée sur une mesure clé susceptible d’influencer le comportement des assurés : la hausse progressive de la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Cette durée est ainsi passée de 150 à 160 trimestres, à raison d’un trimestre par génération, pour les individus nés entre 1934 et 1943. Face à ce changement dans les conditions de départ à la retraite, les assurés ont opté pour une stratégie parmi les suivantes :
– un maintien du départ à l’âge anticipé, à taux plein si la durée d’assurance à 60 ans était supérieure ou égale à la nouvelle durée requise, ou en subissant une décote si cette condition n’était pas remplie ;
– un report de l’âge de départ visant à annuler, partiellement ou totalement, la décote potentielle, et permettant en outre d’intégrer le cas échéant des revenus de fin de carrière plus élevés dans le calcul des droits à retraite.
Qu’il s’agisse des conséquences de la décote ou de celles du report, dans les deux cas, la réforme a abouti à une diminution de la masse des pensions à recevoir sur l’ensemble de la durée de retraite des assurés. C’est cette masse qui est évaluée par l’Équivalent Patrimonial des Droits à la Retraite (EPDR). Cet indicateur synthétique de la générosité d’un système de retraite dépend formellement des conditions de liquidation, de la durée de la retraite, de la méthode de revalorisation des pensions et, puisqu’il intègre la chronique des pensions, d’un taux d’actualisation. L’objectif de l’article est d’analyser d’un point de vue global les conséquences de la mise en œuvre de cette réforme des retraites sur l’EPDR des générations concernées (1934 à 1943) mono-pensionnées du régime général, mais aussi d’évaluer les inégalités dans les effets de cette réforme, selon le genre et tout au long de la distribution (quantiles) d’EPDR. Pour ce faire, nous utilisons les données de l’Échantillon Interrégimes des Retraités (EIR) de 2008, qui nous renseignent sur la carrière et les conditions de liquidation des assurés et font apparaître les situations de report et/ou décote. Puis, après un calcul de l’EPDR dans la population étudiée, nous estimons à l’aide de modèles de régressions sur la moyenne et les quantiles d’EPDR, l’ampleur des effets nets liés « au report de l’âge de liquidation et à la décote » induits par cette réforme.
Pour l’ensemble de la population, la réforme a donné lieu à un phénomène de report avec une élasticité proche de 1 (une hausse de la durée d’assurance requise d’une année entraîne un report moyen de l’âge de liquidation d’un an). Ce report ne semble pas avoir engendré de perte d’EPDR pour l’ensemble des assurés touchés, mais l’effet global masque un impact différencié selon le genre. Alors que les femmes subissent une perte d’EPDR (liée à l’effet dominant de la baisse de la durée de pension), les hommes enregistrent une hausse légère d’EPDR grâce à la prise en compte de revenus de fin carrière supérieurs dans le calcul de leurs droits à retraite. Les conséquences de la décote sont plus homogènes entre les deux populations et relativement massives : les assuré(e) s partant à la retraite sans la durée d’assurance requise enregistrent une perte d’environ 30 % d’EPDR comparativement à ceux qui partent à taux plein.
L’analyse sur les quantiles d’EPDR montre que la réforme a eu un impact inégal dans les générations concernées au-delà des questions de genre. Ainsi, si la décote entraîne une perte d’EPDR sur l’ensemble de la distribution, celle-ci est particulièrement prononcée sur les premiers déciles. L’effet report est généralement peu significatif, sauf pour le haut de la distribution où la réduction de la durée de perception de la pension joue davantage et se traduit par une baisse d’EPDR. Enfin, le report accentue la perte associée à la décote dans le bas de la distribution. En reportant l’âge de départ, les individus les plus modestes en termes d’EPDR ne compensent pas l’effet de la décote mais au contraire l’aggravent en diminuant la durée de perception de leur pension.

2 Depuis 1993, la France a enregistré une série de réformes de son système de retraites, avec pour objectif principal d’en assurer la soutenabilité. De nature paramétrique, ces réformes ont notamment visé à inciter les assurés sociaux à retarder l’âge de la liquidation de leurs droits. En raison de leur fréquence et de la progressivité des mesures adoptées, les conditions d’application d’une réforme ne sont souvent pas encore pleinement atteintes que de nouvelles mesures sont introduites. Ceci rend difficile l’évaluation de la portée de chacune de ces réformes, en termes de soutenabilité des régimes, de générosité ou d’équité.

3 Cet article utilise le concept « d’équivalent patrimonial des droits à la retraite » (EPDR), indicateur synthétique de la générosité d’un système de retraite, sensible à l’âge de liquidation des droits à la retraite, à la durée de retraite, mais aussi à la méthode de revalorisation des pensions et au taux d’actualisation. Notre étude, qui porte sur les mono-pensionnés de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse des Travailleurs Salariés (CNAVTS), évalue dans quelle mesure la réforme de 1993 :

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  • a modifié la valeur actuelle probable des droits à retraite des assurés ;
  • a contribué à accroître, ou à réduire, les écarts de droits à retraite acquis au régime général entre les assurés concernés par cette réforme jusqu’à leur décès.

5 La réforme de 1993 (cf. encadré 1), à travers l’une de ses mesures-phare, à savoir l’allongement progressif (par génération) de la durée d’assurance requise pour bénéficier d’une retraite à taux plein, a engendré deux effets ayant une incidence directe sur l’équivalent patrimonial des droits à retraite d’un assuré :

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  • un effet lié au report de l’âge de liquidation pour les individus qui, ayant atteint l’âge légal d’ouverture des droits à retraite, ont dû liquider leur pension au-delà de cet âge pour atteindre la durée d’assurance requise pour jouir d’une retraite à taux plein ;
  • un effet lié à la décote qui se traduit par une minoration du taux de liquidation par trimestre manquant, instituée par l’ordonnance du 26 mars 1982, mais dont l’ampleur évolue avec la réforme de 1993 au regard de l’allongement de la durée d’assurance requise au fil des générations.

Encadré 1 : la réforme des retraites de 1993

La loi du 22 juillet 1993 a réformé le régime des retraites des travailleurs salariés et les régimes alignés (des salariés agricoles et des indépendants), sans modifier les dispositions applicables aux régimes de fonctionnaires et aux régimes spéciaux. Plusieurs mesures affectent directement le calcul des droits à pension :
  • la durée de cotisation nécessaire à l’obtention d’une retraite à taux plein passe progressivement de 150 à 160 trimestres selon les générations (la première génération affectée est la génération née en 1934, la dernière celle née en 1943) ;
  • le salaire moyen de référence est calculé progressivement sur les 25 meilleures années au lieu des 10 meilleures, par incrément d’une année de la génération 1934 à la génération 1948 ;
  • les pensions sont revalorisées annuellement en fonction de l’indice des prix à la consommation et non plus du taux de croissance des salaires nominaux.

7 Pour un individu, la modification des critères d’éligibilité introduit une contrainte qui peut entraîner une adaptation au nouvel environnement légal, ou au contraire être subie sans aucun ajustement du comportement. Ainsi, le report de l’âge de départ peut permettre de compenser les effets des modifications des conditions de liquidation, dans le but de réévaluer le montant de la pension. Dans ce cas, c’est la durée de perception de la pension qui se réduit.

8 Le champ de notre étude couvre la population des assurés à la retraite affiliée à la CNAVTS, exposée à l’allongement progressif de la durée d’assurance requise pour une retraite à taux plein institué pour la première fois en France par la réforme de 1993, à savoir les personnes nées à partir de la génération de 1934. Dans cette population, nous retenons uniquement les mono-pensionnés car les poly-pensionnés n’ont en général pas une carrière complète au régime général en raison de très faibles durées d’assurance. Les informations relatives aux conditions de liquidation des droits à retraite sont extraites de l’Échantillon Interrégimes des Retraités (EIR, cf. encadré 2) administré par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Les estimations des effets de la réforme reposent sur un calcul de l’EPDR qui tient uniquement compte du montant de l’avantage principal de droit direct servi sous forme de pensions normales par le régime général, ce qui, à l’instar de nombreuses études, revient à exclure de l’analyse les pensions versées au titre de l’inaptitude au travail, les pensions d’ex-invalidité, les pensions servies par les régimes complémentaires et les avantages non contributifs (minimum vieillesse).

9 Afin d’évaluer l’impact de cette réforme, nous avons recours à des estimations de modèles de régression sur la moyenne et les quantiles de la distribution de l’EPDR. Ces estimations nous permettent de quantifier les écarts d’EPDR engendrés par le report de l’âge de liquidation et la décote sur la pension, induits par la réforme des retraites de 1993, selon que les assurés ont été ou non exposés à ces effets à la liquidation de leurs droits. Elles permettent, par rapport à un groupe de référence qui ouvre ses droits aux conditions requises (sans report ni décote), d’évaluer le gain ou la perte d’EPDR consécutive à l’adoption de cette réforme pour les générations concernées.

Encadré 2 : Échantillon Interrégimes des Retraités et population à l’étude

Les Échantillons Interrégimes des Retraités (EIR) renseignent sur la carrière et les conditions de liquidation des assurés (affiliés et pensionnés) aux régimes de base, complémentaire et supplémentaire qui composent le système de retraite français. Les personnes représentées dans l’EIR 2008 sont âgées de 34 ans et plus au 31 décembre 2008, et extraites du Répertoire National d’Identification des Personnes Physiques (RNIPP) mis à jour par l’Insee. La base se compose d’individus nés au mois d’octobre, dont initialement une génération sur deux est sélectionnée jusqu’à la génération 1940, avant que toutes les générations de 1942 à 1954 ne soient retenues dans l’échantillon final.
L’EIR est un panel qui permet d’observer l’évolution du nombre et de la composition des retraités, de décrire les conditions de départ à la retraite, et de reconstituer le montant moyen de pension par retraité tous régimes confondus. Les bases de l’EIR proposent une information représentative de la population des assurés à la retraite (flux des nouveaux et stock des anciens) et relativement exhaustive : affiliation au(x) régime(s) de retraite, montant des pensions, conditions de liquidation (âge de liquidation, durée de cotisation validée, etc.). Cette approche présente l’avantage de ne s’appuyer que sur des données observées. La pension de retraite versée à un individu peut provenir de plusieurs régimes de retraite différents s’il a changé de régime en cours de carrière (par exemple s’il a été salarié puis a exercé une profession libérale). L’EIR permet de reconstituer le montant de la retraite globale pour un échantillon anonyme d’individus, en rapprochant les données des différents régimes français légalement obligatoires. L’EIR collecte également des informations sur les éléments de calcul du montant de pension : nombre de trimestres validés, taux et circonstances de liquidation, décote et surcote éventuelle, etc.
Dans l’EIR 2008, les individus qui perçoivent une pension de droit direct dans au moins un régime de base sont au nombre de 233 165. Parmi ces individus, 32,10 % sont poly-pensionnés et 67,90 % sont mono-pensionnés. Ils sont au nombre de 152 767 individus à recevoir un droit direct versé par le régime général, dont 77,28 % de mono-pensionnés et 22,72 % de poly-pensionnés.
Parmi les mono-pensionnés du régime général (118 052 individus), 80 % d’entre eux perçoivent des pensions normales, 12 % des pensions d’inaptitude ou assimilés et 8 % des pensions d’ex-invalidité. L’échantillon d’assurés mono-pensionnés du régime général percevant des pensions normales, c’est-à-dire des pensions issues de leur activité professionnelle, contient ainsi au départ 94 462 individus de toute génération confondue. Nous retenons ceux qui liquident leur pension de retraite entre 60 ans et 65 ans exclus (l’âge du taux plein automatique sur la période d’étude). Nous obtenons alors une base de 52 932 individus de toutes les générations pour laquelle nous calculons la durée d’assurance à 60 ans.

10 Les résultats des estimations sur l’EPDR moyen montrent un effet significatif et négatif de la décote pour l’ensemble des retraités nés entre 1934 et 1943, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. La perte d’EPDR liée à la décote est de 29 % pour les hommes et de 25 % pour les femmes par rapport aux assurés qui partent à taux plein. Le report de l’âge de liquidation a un effet non significatif dans l’ensemble des retraités, mais se révèle significatif et positif pour les hommes et négatif pour les femmes. Le gain d’EPDR lié au report pour les hommes est annulé par la décote, tandis que la perte d’EPDR liée à la décote est réduite par le report pour les femmes. Les résultats des estimations sur les quantiles d’EPDR révèlent que l’effet lié à la décote est significatif et croissant avec le quantile (décroissant en valeur absolue), ce qui montre que la décote a un impact de plus en plus réduit dans le haut de la distribution de l’EPDR. À l’exception du premier décile où son effet est significatif et positif, le report n’a pas d’incidence significative du bas de la distribution de l’EPDR à la médiane (ce qui coïncide avec l’effet moyen), alors qu’il est significatif et négatif dans le haut de la distribution de l’EPDR.

11 L’article est organisé comme suit. La première partie présente les principales conclusions des études d’impact de la réforme de 1993 sur le montant des pensions. Nous exposons ensuite la méthode de calcul de l’équivalent patrimonial des droits à la retraite à partir des données de l’Échantillon Interrégimes des Retraités de 2008, puis les choix méthodologiques retenus pour l’évaluation de l’impact des effets induits de la réforme. La troisième partie présente les modèles de régressions économétriques et les résultats avant de conclure sur les enseignements de l’étude en matière de politique publique.

Revue de la littérature empirique

12 Plusieurs études d’impact de la réforme de 1993 ont déjà été réalisées. Certaines cherchent à analyser l’évolution des comportements (offre de travail, âge de liquidation et durée d’assurance) des assurés proches de la retraite (Aubert, 2009, 2012 et Bozio, 2011). D’autres mettent l’accent sur les effets de la réforme sur le montant des pensions (Debrand et Privat, 2006 ; Bridenne et Brossard, 2008 ; Duc et Lermechin, 2013) et des engagements implicites de retraite (Blanchet et Le Minez, 2012). Notre travail s’inscrit dans le prolongement de ce second courant de travaux empiriques sur l’impact des réformes.

13 Debrand et Privat (2006) proposent une évaluation des effets agrégés (masses des pensions, poids dans le PIB, nombre de bénéficiaires et pension moyenne) et individuels (par génération et déciles de pension) des réformes de 1993 et de 2003 à l’aide du modèle de microsimulation dynamique Artemis (Analyse des retraites du secteur privé par microsimulation). La population cible est affiliée à la CNAVTS : cotisants des générations 1935 à 1970 et retraités des générations 1899 à 1934. Ainsi, pour les pensions de base servies par le régime général des salariés du secteur privé, ils comparent : i) un scénario de référence dans lequel les conditions de liquidation et les paramètres de calcul des pensions sont ceux en vigueur avant 1993, ii) un scénario alternatif dans lequel seuls deux paramètres de calcul des pensions, le Salaire Annuel Moyen (SAM) et la durée d’assurance requise pour le taux plein, évoluent en lien avec les mesures de la réforme de 1993. Les résultats se fondent sur une simulation de l’évolution des pensions de 2002 à 2030. Au niveau agrégé, la réforme de 1993 (via son effet sur le SAM et la durée d’assurance requise) semble avoir un impact négatif important sur la masse des pensions. Elle aboutit à verser une pension moyenne annuelle aux assurés de 6 483 euros contre 7 808 euros dans le scénario de référence, tout en entraînant le report des départs à la retraite à taux plein puisque l’âge moyen de liquidation augmente de quelques mois pour chaque génération jusqu’en 2030. La baisse du niveau des pensions concerne chaque génération, de manière d’autant plus prononcée que la génération est jeune.

14 Dans ce même cadre méthodologique et avec le même type de données individuelles, Bridenne et Brossard (2008) proposent une analyse discriminante des effets de la réforme de 1993 sur les pensions versées par le régime général, en comparant la valeur constatée et la valeur théorique des pensions des assurés partis à la retraite entre le 1er janvier 1994 et le 3 décembre 2003. Pour l’ensemble de la population, la pension moyenne baisse de 6 %.

15 Pour plus de 40 % des femmes et plus de 70 % des hommes, la pension théorique est plus élevée que la pension constatée. Pour les assurés nés en 1938, tous à la retraite dans leur étude, les auteures relèvent que :

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  1. l’allongement de la durée de cotisation, qui agit sur le taux de liquidation, aurait un effet limité puisque seuls 3 % des retraités de la génération 1938 subissent une baisse de pensions ;
  2. la hausse du nombre de salaires pris en compte et le changement du mode de revalorisation des salaires retenus dans le calcul du SAM touchent un plus grand nombre de retraités (80 % des hommes et 75 % des femmes) et entraînent une baisse du salaire de référence (de l’ordre de 10 % en moyenne pour les hommes et de 13 % pour les femmes) ;
  3. l’effet « indexation » engendré par la modification des règles de revalorisation des pensions, se révèle d’autant plus prononcé que la date de départ à la retraite est ancienne (avant 1994).

17 Duc et Lermechin (2013) étudient les réformes du régime général et de la Mutualité Sociale Agricole (MSA) en 1993, 2003 et 2008. Ils utilisent les données de l’Échantillon Interrégimes de Cotisants (EIC) 2005, qui permettent de suivre la carrière des assurés, et celles de l’EIR 2004, qui fournissent des informations sur les conditions de liquidation et les paramètres de calcul des pensions de retraite. Les auteurs cherchent à évaluer la déformation dans le temps du niveau mensuel et du montant cumulé des pensions sur le cycle de vie des individus de la génération 1938. Des simulations permettent d’étudier l’évolution des comportements de départ à la retraite à partir de 55 ans et les montants de pension. Le calcul des écarts entre les montants simulés et les montants constatés mesure l’effet des réformes sur les revenus de remplacement. Trois principaux résultats émergent :

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  1. l’effet « indexation » : logiquement, l’indexation des pensions sur les prix entraîne une baisse du montant cumulé des pensions par rapport à une indexation sur les salaires moyens chaque fois que le rythme d’évolution des salaires est supérieur à celui des prix. La réduction de pension induite chez les femmes est plus élevée que chez les hommes ;
  2. l’effet des modifications du calcul du salaire de référence est atténué par le minimum contributif ;
  3. l’effet « durée d’assurance » : l’allongement de la durée d’assurance requise pour le taux plein aurait entraîné une baisse limitée du montant des pensions et se serait traduit par un taux de liquidation plus faible pour seulement 6 % des individus de la génération 1938. Il aurait même eu un impact positif sur le montant des pensions pour 21 % des individus. Cet effet se révèle plus modéré que les deux précédents parce qu’il se combine aux effets sur les autres paramètres agissant sur le montant mensuel et le montant cumulé des pensions (1).

19 Blanchet et Le Minez (2012) proposent une évaluation de l’impact des réformes de 1993, 2003 et 2010 sur les engagements implicites de retraite à l’aide du modèle de microsimulation Démographique économique et social de trajectoires individuelles simulées (Destinie 2) ; pour une présentation détaillée du modèle dans sa dernière version, on pourra consulter Blanchet et alii (2011). Les engagements implicites de retraite qui leur servent d’indicateur se définissent formellement comme un équivalent patrimonial des droits à retraite (cf. partie suivante). Ils sont estimés à la fois pour les actifs et les retraités assurés aux régimes du secteur privé (base et complémentaire), du secteur public et aux régimes de base des indépendants. Les profils de carrière des assurés sont extraits de l’enquête Patrimoine de l’Insee de 2003.

20 Les auteurs soulignent que les effets des réformes successives sont difficiles à simuler au vu de la complexité du système français. Sur le plan macroéconomique, ils suggèrent que les réformes de retraite ont entraîné une baisse du poids des engagements implicites de retraite dans le PIB qui étaient de l’ordre de 17,5 % en 2011. Ils poursuivent leurs travaux au niveau microéconomique par une microsimulation des effets des réformes sur différents types de ménages, en fonction de leur âge et de leur niveau d’éducation (2) : les réformes ont un impact progressif sur les assurés en activité négativement lié à leur niveau d’études. Les différentes réformes ont assez peu sollicité les agents déjà à la retraite au moment de chaque réforme (3) ; les efforts demandés sont progressifs en fonction de l’âge, pour les différents profils, avec une stabilisation pour les agents ayant moins de 40 ans (4). Notre contribution mesure les effets liés au report de l’âge de liquidation et à la décote sur la pension, tous deux liés à l’allongement progressif de la durée d’assurance requise pour une retraite à taux plein, institué pour la première fois en France suite à l’adoption de la loi portant réforme des retraites de 1993. Contrairement à d’autres travaux, nous mettons en évidence l’ampleur réelle de ces deux effets dans la population des retraités, à travers un indicateur qui combine deux dimensions (le montant de la pension et la durée de retraite) souvent analysées séparément. Par ailleurs, notre article s’appuie sur une méthode économétrique peu exploitée dans d’autres études, qui utilisent le plus souvent de la microsimulation. Enfin, nos travaux portent sur plusieurs cohortes de retraités, celles des individus nés entre 1934 et 1943 et complètement à la retraite au 31 décembre 2008, ce qui nous permet d’étudier ex post leur comportement de départ à la retraite entre 60 ans et 65 ans exclus (5).

Définitions et méthodologie

21 Pour un assuré à la retraite, l’équivalent patrimonial des droits à retraite (EPDR) se définit comme la valeur actuelle probable des droits à retraite exigibles de la date (ou âge) de liquidation de ses droits jusqu’à la date (ou âge) de son décès. L’EPDR d’un retraité est par conséquent fonction de son âge courant, de sa probabilité de survie à chaque âge de la retraite, du montant de la pension à recevoir qui évolue avec les facteurs de revalorisation des pensions jusqu’à son décès, et d’un coefficient d’actualisation.

22 Le montant de la pension (cf. encadré 3) dépend naturellement des conditions de liquidation des droits (directs ou dérivés) applicables à chaque assuré (âge légal d’ouverture des droits, durée d’assurance requise, décote, surcote, etc.) qui elles-mêmes varient en fonction des caractéristiques individuelles (genre, génération, salaire de référence, catégorie ou groupe socioprofessionnel, mono ou poly-affiliation aux régimes, etc.).

Définition de l’équivalent patrimonial des droits à la retraite avec l’EIR 2008

23 Notre évaluation de l’impact de la réforme de 1993 repose sur un calcul d’EPDR adapté à la population des retraités étudiés, qui tient compte des flux de prestations versées depuis la liquidation des droits à la retraite et des flux de prestations à recevoir jusqu’au décès de chaque assuré. Les données de l’EIR 2008 fournissent le montant de la pension versée au 31 décembre 2008 à chaque retraité de l’échantillon. Sachant que ces retraités appartiennent à des cohortes différentes (à la retraite avant et au cours de l’année 2008), nous décomposons l’EPDR total en un EPDR liquidé et un EPDR résiduel. En effet, hormis les néo-retraités de 2008 qui n’ont qu’un EPDR résiduel, les autres retraités ont accumulé des pensions depuis la date de liquidation de leurs droits et le feront jusqu’à leur décès. Pour un retraité en 2008, nous définissons un EPDR liquidé, relation (1), comme la somme capitalisée des pensions qu’il a perçues depuis l’âge de liquidation de ses droits jusqu’à l’âge atteint en 2008, et un EPDR résiduel, relation (2), comme la somme actuarielle des pensions qu’il percevra à chaque âge atteint dès 2009 jusqu’à la date de son décès.

24 Pour un assuré i à la retraite, l’EPDR liquidé à la date courante de 2008, noté equation im1, est formellement défini par la relation suivante :

equation im2
(1) EPDRli = 2008 t=ALi Pl, t (1+ r)2008-t

Encadré 3 : formule de calcul d’une pension de retraite au régime général et dans les régimes alignés (1945-2013)

P = τ × CP × Min (PASS, SR)
equation im3

MINPMAX
⎪⎪
⎨ τ =θtaux plein−δ × g(AGE, D, N) + s × h(AGE, D, N)
⎪ ⎧̃⎫
CP = Min ⎨1, D2
⎪⎩ ⎩ N2⎭
Avec τ le taux de liquidation (qui est fonction de AGE, D, N, δ et s), CP le coefficient de proratisation, PASS le plafond annuel de la Sécurité Sociale, SR le salaire de référence, AGE l’âge de liquidation, D la durée d’assurance tous régimes confondus, N la durée d’assurance requise pour une retraite à taux plein (ou de proratisation), δ le taux de décote, s le taux de surcote, θtaux plein le taux de liquidation maximal égal à 50 %. Le montant P ne peut être inférieur au minimum contributif ou au minimum vieillesse (MIN) et ne peut dépasser le plafond annuel de la sécurité sociale (MAX). equation im4 est la durée d’assurance (de cotisation) « corrigée » (majoration de durée d’assurance pour les liquidateurs après 65 ans qui ne disposent pas de la durée requise d’assurance) et N2 la durée de cotisation requise pour le taux plein (en trimestres) dans le régime considéré.
Les règles de calcul applicables de 1945 à 2003, utilisées pour la population étudiée, n’intègrent pas le mécanisme de surcote (s = 0). Les éléments clés sont les suivants :
equation im5
θtaux plein = θ65 ans =50 %
⎧ ⎡ ND⎤⎫
g (AGE, D, N) = Max
⎨0, Min ⎢ (65 − AGE), ⎥⎬
⎩ ⎣ 4 ⎦⎭
h (AGE, D, N) = 0
N2 = 160 trimestres
N = 150 trimestres
δ=5 %
⎧ ̃⎫
CP = Min
⎨1, D2 ⎬
⎩ 150⎭
2 = Min {150, D2 + D2 × 4 × 2,5 % × Max [(AGE −65,0)]}
SR = moyenne des 25 meilleures années

25Pi, t est la pension annuelle de droit direct de l’individu i l’année t ; ALi est l’année d’entrée en jouissance de sa pension (antérieure à 2008) ; et r est le taux de capitalisation.

26 L’EPDR restant à percevoir (ou EPDR résiduel), noté equation im6, est donné par la formule :

equation im7
(2) EPDRir = ∑t2=00280+09100 − a i L i ((t1|+2r0)0t8)200×8Pi, t

27Li (t | 2008) est la probabilité conditionnelle de survie de l’individu i l’année t, ai est l’âge de l’individu i en 2008, Pi,t est la prestation annuelle de droit direct versée par le régime général à l’assuré i l’année t, r est le taux d’actualisation, et t = 2008 + 100 - ai est l’année maximale de survie de l’individu i d’âge ai en 2008. Les probabilités de survie sont calculées à partir de la table de mortalité de l’Insee des années 2000-2008 issue des travaux de Blanpain et Chardon (2011). Par convention, l’âge maximum de survie est fixé à 100 ans, de sorte que l’année maximale de survie de l’individu i est t = 2008 + 100 - ai. Par ailleurs, les pensions sont revalorisées suivant les coefficients d’indexation extraits des barèmes officiels et réglementaires de la CNAVTS du 01/01/1949 au 01/04/2013. Au-delà de 2013, nous retenons l’hypothèse d’un taux de revalorisation anticipé à 1,5 %.

28 En résumé, pour chaque assuré, nous déterminons un EPDR total qui comprend un EPDR résiduel à partir de 2009, auquel peut s’ajouter un EPDR liquidé si son départ à la retraite a eu lieu avant 2008. Nos estimations de l’EPDR total reposent enfin sur une hypothèse de taux d’intérêt à 1,5 %.

Stratégie d’identification

29 L’objectif de cette étude est de mesurer l’impact de l’augmentation de la durée requise d’assurance sur les comportements de liquidation, et conséquemment sur l’EPDR des assurés du régime général. En effet, avec la volonté de maîtriser les déficits croissants des différents régimes, la réforme de 1993 avait pour objectif d’inciter les salariés du secteur privé à augmenter leur offre de travail aux âges élevés (report de l’âge de liquidation) et de baisser les taux de remplacement par le biais de l’augmentation du nombre d’années à prendre en compte dans le calcul du salaire annuel moyen (6) (SAM) sur lequel repose le calcul des pensions. Cette dernière mesure peut être compensée par le report de l’âge de liquidation. En reportant leur cessation d’activité, certains salariés ont pu intégrer dans le SAM les meilleures années de salaire, celles en fin de carrière, et ainsi améliorer leur pension et donc leur taux de remplacement. Les comportements de liquidation des assurés peuvent donc se traduire par deux effets sur l’EPDR : un effet décote de la pension pour les assurés qui partent à la retraite sans la durée d’assurance requise pour leur génération, et qui se traduit par une réduction de l’EPDR ; et un effet report de l’âge de liquidation dont l’impact sur l’EPDR reste ambigu. En effet, le report de l’âge de liquidation peut avoir un impact négatif sur l’EPDR pour les assurés qui ont reporté leur âge de liquidation pour limiter et/ou annuler la décote, en raison d’une durée de perception des pensions réduite par le report. Mais a contrario, le report de l’âge de liquidation peut aussi avoir un impact positif sur l’EPDR de ces assurés s’ils ont intégré de meilleures années de salaire en fin de carrière dans le SAM et augmenté leur pension.

30 Nous reprenons la méthodologie d’estimation développée par Bozio (2011) sur les données de l’EIR 2001 et 2004 pour évaluer l’élasticité de l’offre de travail aux âges élevés. Le principe est de considérer la réforme de 1993 comme une expérience naturelle dont la mise en place progressive a induit des variations dans la modification du barème.

31 Certains assurés sont touchés à 60 ans par l’augmentation de la durée d’assurance (le groupe de traitement), quand d’autres, avec des caractéristiques très proches, auront à 60 ans la durée requise pour leur génération. En principe (7), ces derniers ne vont pas voir leur incitation à repousser le départ modifiée (groupe de contrôle). Parmi les individus du groupe de traitement, certains choisissent de partir à la retraite sans la durée requise pour leur génération (individus subissant une décote), tandis que d’autres reportent leur âge de liquidation pour limiter ou annuler la décote (individus utilisant le report). Le tableau 1 indique les différentes situations vis-à-vis de la décote et du report en fonction de la durée d’assurance à la liquidation et de la durée d’assurance à 60 ans (estimation décrite en annexe 1). Ceci permet de construire les variables de traitement pour les générations 1934 à 1943.

Tableau 1

situations possibles permettant de définir les groupes

Durée d’assurance Situation avec
Décote Report
Durée d’assurance à 60 ans supérieure à la durée requise pour le taux plein Non (1) Report volontaire de la liquidation éventuel, sans obligation (2)
Durée d’assurance à 60 ans inférieure à la durée requise pour le taux plein, et durée d’assurance à la liquidation inférieure à la durée requise pour le taux plein Oui (3) Report possible afin de limiter la décote (4)
Durée d’assurance à 60 ans inférieure à la durée requise pour le taux plein, mais durée d’assurance à la liquidation supérieure à la durée requise pour le taux plein Non (5) Oui (6)
figure im8

situations possibles permettant de définir les groupes

32 Ainsi, les assurés de chaque génération qui ont à 60 ans une durée d’assurance tous régimes confondus supérieure ou égale à la durée requise pour leur génération ne sont pas concernés par l’augmentation de la durée d’assurance et peuvent potentiellement faire partie du groupe de contrôle (mais pas tous). Par ailleurs, le groupe de traitement est constitué des assurés de chaque génération qui ont à 60 ans une durée d’assurance tous régimes confondus inférieure à la durée requise pour leur génération : certains sont partis à la retraite avec une décote, qu’ils aient reporté ou non leur âge de liquidation (situations 3 et 4) ; et d’autres sont partis à la retraite en ayant reporté leur âge de liquidation, avec ou sans décote (situations 4 et 6 du tableau 1).

33 Pour mesurer ces deux effets sur l’EPDR, notre groupe de contrôle sera constitué des assurés des générations 1934 à 1943 partant à la retraite à 60 ans avec au moins la durée d’assurance requise pour leur génération (départs à 60 ans sans décote ni report), auxquels nous ajoutons les assurés de la génération 1932 (non concernés par la réforme) qui partent à la retraite à 60 ans. L’objectif est d’obtenir des individus comparables dans le groupe de contrôle et de traitement en termes de caractéristiques observables (surtout en termes de durée d’assurance, variable primordiale dans notre stratégie d’estimation).

34 Au total, l’échantillon final d’estimation comporte 18 720 individus des générations 1932 à 1943, dont la répartition selon qu’ils sont touchés ou non par le report, la décote ou les deux, est renseignée dans le tableau 2.

Tableau 2

fréquences (en %) du report et de la décote dans l’échantillon

Report Ensemble
Décote Non Oui
Non
Oui
80,07
2,39
16,09
1,45
96,16
3,84
Ensemble 82,46 17,54 100,00
figure im9

fréquences (en %) du report et de la décote dans l’échantillon

Lecture : dans l’échantillon global (traitement et contrôle), 17,5 % des
individus sont touchés par le report et 3,8 % par la décote. Seuls 1,45 % des individus sont touchés à la fois par le report et la décote ; 2,39 % des individus ont seulement la décote et 16,09 % seulement le report. Ceux qui ne sont ni touchés par le report ni touchés par la décote représentent 80,07 % de l’échantillon (groupe de contrôle).
Champ : retraités mono-pensionnés et mono-affiliés nés entre 1932 et 1943 ayant liquidé une pension normale de droit direct dans le régime général. Les individus de la génération 1932 partant à la retraite à 60 ans n’ayant pas été concerné par la réforme de 1993 sont introduits comme groupe de contrôle trivial.
Données : Échantillon Interrégime de Retraités 2008.
Source : calculs des auteurs.

35 Contrairement à une expérience naturelle classique, où les groupes de traitement et de contrôle sont observés avant et après la réforme, la méthodologie de cette étude repose sur la comparaison de générations différentes, touchées de façon variable par la réforme. La génération joue le rôle de variable temporelle dans le modèle d’estimation en double différence classique que nous développons dans la relation (3) où la durée d’assurance à 60 ans sert en outre à distinguer les groupes de traitement et de contrôle :

equation im10
(3) EPDRi = α + β × I (GENi = 1934)
+ γ × I(TRIMi =150)
+ δ × I (GENi =1934) × I(TRIMi =150) +εi

36I sont les indicatrices des variables de la génération 1934 et du nombre de trimestres cotisés égaux à 150 trimestres.

37 Par exemple, tel que décrit dans la relation (3), un individu né en 1934 et qui parvient à 60 ans avec 151 trimestres d’assurance, bénéficie du taux plein dès ses 60 ans et appartient au groupe de contrôle. Si un autre individu de la même génération ne dispose à 60 ans que de 150 trimestres ou moins, il devra au contraire choisir soit de partir avec une pension réduite à 60 ans, soit de repousser son départ en retraite d’un trimestre ou plus (groupe de traitement). En comparant ces deux individus nés en 1934 à des individus similaires nés en 1932 (qui ont 150 et 151 trimestres à 60 ans et qui peuvent partir au taux plein dès cet âge), on obtient une mesure de l’augmentation de la durée requise d’assurance (cf. tableau 3) en double différence, purgée des effets de durée de carrière et des effets de génération.

38 L’équation (3) peut être réécrite pour l’ensemble des durées d’assurance et des générations en introduisant des indicatrices pour chaque génération et chaque durée d’assurance inférieure à la durée requise. Par exemple, pour la génération 1934, les durées inférieures à la durée requise vont de 131 à 150 trimestres ; pour la génération 1936, de 133 à 152 trimestres ;… ; pour la génération 1943, de 140 à 159 trimestres. Nous obtenons ainsi 29 indicatrices de durée d’assurance (de 131 à 159 trimestres).

39 Par ailleurs, la réforme de 1993 a aussi instauré la revalorisation des pensions sur les prix et l’augmentation du nombre d’années à prendre en compte dans le SAM. Si cette dernière mesure est uniforme à l’intérieur des générations (tous les individus d’une même génération se voient appliquer le même nombre d’années dans le SAM), elle sera donc capturée par les effets générations, tel n’est pas le cas de la revalorisation des pensions qui s’applique plutôt de manière uniforme aux retraités présents une même année donnée (8). Pour essayer de purger les paramètres d’intérêt de cette mesure, nous introduisons dans les équations à estimer les indicatrices d’années de liquidation : les retraités ayant liquidé leur pension la même année ont eu au cours de leur retraite les mêmes séries de revalorisations. Ainsi, l’équation (4) donne le modèle généralisé suivant à mettre en œuvre :

equation im11
(4) EPDRi =α + ∑ βg × I(GENi = g)
g
+ ∑ γt × I(TRIMi =t)
t
+ ∑ ∑ δgt × I(GENi = g) × I(TRIMi = t)
gt
+ ∑ τa × I(YEARi = a) +θXi + εi
a

40 L’EPDR d’un individu i dépend de sa génération GENi , de sa durée d’assurance à 60 ans TRIMi , et de son année de liquidation YEARi. Il est également impacté par le fait d’être ou non touché par l’augmentation de la durée d’assurance lors de la réforme de 1993, capturé par l’interaction de la génération et de la durée d’assurance à 60 ans, et par d’autres variables de contrôle Xi telles que le sexe, le niveau du SAM, le pays de naissance, le nombre d’enfants, etc. Toutefois, il est possible de simplifier les interactions d’indicatrices de l’équation (4) en les remplaçant par une variable Ri indiquant si l’individu a besoin de trimestres à 60 ans pour valider le taux plein en raison de la réforme de 1993 : par exemple (Ri =1) si l’individu est de la génération 1934 avec entre 131 et 150 trimestres d’assurance à 60 ans, ou bien s’il appartient à la génération 1936 avec entre 133 et 152 trimestres d’assurance à 60 ans, etc. Cette même variable Ri pourrait alors être décomposée en deux variables distinctes : decotei si l’individu i subit la décote (il est parti à la retraite avec la décote), et reporti s’il a reporté sa liquidation d’au moins un trimestre. Pour améliorer les analyses, nous introduisons un effet croisé reporti × decotei permettant de distinguer les individus qui ont été touchés à la fois par le report et la décote et estimer l’influence exercée par un effet (le report, par exemple) sur l’autre (la décote, par exemple).

Tableau 3

double différence pour la génération 1934

Durée d’assurance à 60 ans
Génération 150 trimestres 151 trimestres Différences
1932 EPDR moyen (a) : α + γ EPDR moyen (b) : α (a) - (b) : γ
1934 EPDR moyen (c) : α + β + γ + δ EPDR moyen (d) : α + β (c) - (d) : γ + δ
Différence des différences [(c) - (d)] - [(a) - (b)] : δ
figure im12

double différence pour la génération 1934

Source : les auteurs.

41 Une telle spécification impose ainsi un effet similaire de l’augmentation d’un trimestre de durée d’assurance quelle que soit la génération ou la durée d’assurance à 60 ans. Elle traduit en outre un effet linéaire entre une augmentation d’un, deux ou trois trimestres d’assurance supplémentaire. Nous estimons alors l’équation (5) :

equation im13
(5) EPDRi =α + ∑ βg × I (GENi = g)
g
+ ∑ γt × I(TRIMi =t) +δ1 × decotei
t
+ δ2 × reporti + δ3 × reporti × decotei
+ ∑ τa × I (YEARi = a) +θXi + εi
a

42 De même, l’élasticité du report de l’âge de liquidation due à l’augmentation de la durée d’assurance peut être estimée par une spécification similaire. Ainsi, la variable de traitement, notée report _ agei , indique si l’individu i a besoin à 60 ans de trimestres supplémentaires pour partir au taux plein : cette variable prend la valeur 1 si la durée d’assurance à 60 ans de l’individu est inférieure à la durée requise pour le taux plein dans sa génération, et 0 sinon. L’équation à estimer est alors :

equation im14
(6) AGELIQi =α + ∑ βg × I (GENi = g)
g
+∑ γt × I(TRIMi = t)
t
+ μ × report_ ageiXi + εi

43 Le paramètre μ donne l’élasticité de l’âge de liquidation à l’augmentation de la durée d’assurance.

Résultats

44 Avant d’évaluer les conséquences de la réforme sur l’EPDR et sa distribution, nous étudions l’ampleur estimée du report de l’âge de liquidation suite à l’augmentation de la durée d’assurance requise pour une retraite à taux plein dans l’échantillon à l’étude.

L’impact de la réforme sur l’âge de liquidation

45 Le tableau 4 présente les résultats de l’estimation de l’élasticité report de l’âge de liquidation (équation (6) pour l’ensemble des assurés, puis en distinguant les hommes et les femmes. Nous trouvons que l’élasticité report de l’âge de liquidation est de 1,04 an pour notre population totale, ce qui signifie qu’une augmentation de la durée d’assurance requise pour le taux plein de 1 an se traduit par un report de l’âge de liquidation de 1,04 an en moyenne. L’élasticité report de l’âge de liquidation est plus élevée chez les hommes (1,08 ans) que chez les femmes (0,96 an). Ces résultats sont conformes aux observations relevées dans les distributions de l’âge de liquidation et des durées d’assurance tous régimes des assurés, présentées dans les annexes A3 et A4. Génération après génération, la durée d’assurance modale des assurés correspond en général à la durée nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein suite à la réforme. Les distributions de la durée d’assurance tous régimes des assurés présentent une asymétrie à droite, ce qui suggère que la durée moyenne de cotisation est supérieure à la durée modale.

L’impact de la réforme sur l’EPDR moyen

46 Le report de l’âge de liquidation étant constaté, nous nous tournons vers les conséquences de ce report sur l’EPDR, en tenant compte également de l’effet décote, conformément à la relation (5). Pour l’ensemble des retraités nés entre 1934 et 1943, le report a un effet non significatif. En revanche, la décote a un effet négatif et significatif qui se traduit par un EPDR en moyenne inférieure de 30 % pour les assurés qui partent à la retraite sans la durée d’assurance requise par rapport à ceux qui partent à la retraite à taux plein (9).

Tableau 4

résultats des modèles de régression sur l’âge de liquidation

Ensemble Hommes Femmes
Constante 60,05273*** (0,02267) 60,02152*** (0,02309) 60,01071*** (0,04521)
Élasticité report 1,04149*** (0,02375) 1,08021*** (0,02585) 0,95874*** (0,04297)
Né en France - 0,06741*** (0,01204) - 0,01102 (0,01186) - 0,05331* (0,02622)
Nombre d’individus 18 720 11 701 7 019
R2 0,7074 0,8017 0,6076
figure im15

résultats des modèles de régression sur l’âge de liquidation

Note : les effets trimestres d’assurance et générations n’ont pas été reportés dans le tableau. *** significatif au seuil de 1 % ; ** : significatif au seuil de 5 % ; * : significatif au seuil de 10 %. Les écarts- types figurent entre parenthèses.
Lecture : une augmentation d’une année de la durée requise d’assurance pour obtenir le taux plein a conduit les individus touchés des générations 1934 à 1943 à repousser la liquidation de leur retraite de plus d’une année en moyenne (1,04 ans).
Champ : retraités mono-pensionnés et mono-affiliés nés entre 1932 et 1943 ayant liquidé une pension normale de droit direct dans le régime général.
Données : Échantillon Interrégime des Retraités 2008.
Source : calculs des auteurs.
Tableau 5

résultats des modèles de régression sur l’EPDR moyen

Ensemble Hommes Femmes
Constante 90 047*** (1229,1) 84 137*** (1221,98) 100 233*** (2559,47)
Décote - 38 261*** (2065,89) - 41 561*** (2726,46) - 30 310*** (3452,47)
Report - 1 546,44 (2057,76) 6 211,09*** (2173,94) - 10 814*** (3957,74)
Report*décote - 1 468,86 (2643,79) - 11101*** (3338,97) 5 763,80 (4589,39)
Né en France 14 953*** (653,42) 17 580*** (628,79) 11104*** (1484,24)
Nombre d’individus 18 720 11 701 7 019
R2 0,4252 0,5205 0,3689
figure im16

résultats des modèles de régression sur l’EPDR moyen

Note : pour les estimations sur l’EPDR, les effets trimestres d’assurance, générations et années de liquidation n’ont pas été reportés dans le tableau. *** significatif au seuil de 1 % ; ** : significatif au seuil de 5 % ; * : significatif au seuil de 10 %. Les écarts- types figurent entre parenthèses.
Lecture : pour l’ensemble de la population, l’augmentation de la durée d’assurance a réduit l’EPDR de 38 261 euros en moyenne chez les individus partant à la retraite avec une décote par rapport aux départs à 60 ans sans décote ni report.
Champ : retraités mono-pensionnés et mono-affiliés nés entre 1932 et 1943 ayant liquidé une pension normale de droit direct dans le régime général. Les individus de la génération 1932 qui partent à la retraite à 60 ans (non concernés par la réforme de 1993) sont introduits dans le groupe de contrôle. Données : Échantillon Interrégime des Retraités 2008.
Source : calculs des auteurs.

47 Les effets de la décote et du report sont statistiquement significatifs lorsque l’on distingue les hommes et les femmes au sein des générations à l’étude. Dans l’ensemble des femmes nées entre 1934 et 1943, le report et la décote ont tous deux un effet négatif entraînant une perte d’EPDR respectivement de 7 % et de 25 % par rapport aux assurées qui partent à 60 ans avec une retraite à taux plein. Dans l’ensemble des hommes nés entre ces mêmes dates, la décote a toujours un effet négatif et significatif générant une perte d’EPDR de 29 %. En revanche, le report a un effet positif et significatif et augmente l’EPDR d’environ 4 %. La décote annule l’effet positif du report et le ramène à une perte de 3 %. Le report augmente la perte d’EPDR liée à la décote et la porte à 34 %. Ainsi, si hommes et femmes affichent un comportement de report relativement proche, les conséquences sur leur EPDR sont loin d’être homogènes. Pour les femmes en particulier, le report du départ à la retraite génère globalement une perte due à la réduction de la durée de perception que ne compense pas la prise en compte de meilleurs salaires en fin de carrière.

L’impact de la réforme sur les quantiles d’EPDR

48 Les résultats des estimations sur les quantiles d’EPDR présentés dans le tableau 6 confirment l’effet significatif et négatif de la décote sur l’ensemble de la distribution, et non plus uniquement sur l’EPDR moyen. Par exemple, la décote diminue en moyenne l’EPDR du premier décile des retraités des générations 1934 à 1943 de 50 945 euros, par comparaison avec le premier décile de l’EPDR des retraités de ces générations qui partent à 60 ans sans report ni décote.

49 L’effet de la décote est croissant avec le quantile (décroissant en valeur absolue), ce qui montre que la décote a un impact de plus en plus réduit dans le haut de la distribution de l’EPDR, passant ainsi d’une perte de 50 945 euros pour le premier décile à une perte de « seulement » 13 459 euros pour le dernier décile de l’EPDR. D’autre part, l’effet de la décote sur l’EPDR moyen est uniquement proche de l’effet de la décote sur l’EPDR médian et sur le premier quartile de l’EPDR (cf. graphique 1). Ce résultat révèle que les effets moyens ne correspondent pas aux effets sur toute la distribution de l’EPDR. En particulier, l’effet décote n’est pas significatif dans le dernier percentile de la distribution de l’EPDR. Il apparaît ainsi que la décote à elle-seule a renforcé les inégalités d’EPDR pour les générations 1934 à 1943.

Tableau 6

résultats des modèles de régression sur les quantiles d’EPDR

Quantiles
0,01 0,05 0,10 0,25 Médiane 0,75 0,90 0,95 0,99
Constante 51194,66***
(3254,89)
61937,21***
(378,77)
75644,26***
(963,28)
81305,21***
(1659,03)
86465,60***
(1056,33)
103851,6***
(769,09)
113268,1***
(1729,42)
124307,8***
(2136,5)
138811,5***
(1285,59)
Décote - 73718,6***
(4332,83)
- 64614,8***
(1798,23)
- 50944,7***
(2704,81)
- 44617,7***
(3594,74)
- 43159,1***
(2949,66)
- 25585,9***
(2491,03)
- 13459,3***
(3613,54)
- 10740***
(3567,65)
- 8735,74 (5872,68)
Report 4627,74 (5160,40) 4,58 (536,53) 1802,27*
(1017,25)
- 2656,27 (3398,44) - 3223,23 (2497,35) - 3500,15**
(1470,96)
- 8800,57***
(3200,22)
- 11402,1***
(3550,32)
- 9343,06**
(4067,33)
Report × décote - 15070,2***
(5837,88)
- 29056,7***
(2110,28)
- 39433,1***
(5139,79)
3377,53 (5125,35) 11586,43**
(4691,89)
9794,97***
(3393,99)
2544,207 (5596,46) 2449,42 (4903,71) - 6102,66 (7134,26)
Né en France 9997,72***
(1892,09)
13833,25***
(404,65)
4746,17***
(480,01)
14313,05***
(983,49)
18233,96***
(662,12)
7627,9***
(445,22)
15158,81***
(1175,09)
10902,80***
(1509,63)
85,21 (582,21)
EPDR prédit moyen 86 194,20 100 737,48 105 444,71 127 189,95 152 668,17 165 847,94 185 710,01 196 634,61 208 346,32
figure im17

résultats des modèles de régression sur les quantiles d’EPDR

Note : pour les estimations sur l’EPDR, les effets trimestres d’assurance, générations et années de liquidation n’ont pas été reportés dans le tableau.
*** significatif au seuil de 1 % ; ** : significatif au seuil de 5 % ; * : significatif au seuil de 10 %. Les écarts-types figurent entre parenthèses.
Champ : retraités mono-pensionnés et mono-affiliés nés entre 1932 et 1943 ayant liquidé une pension normale de droit direct dans le régime général. Les individus de la génération 1932 qui partent à la retraite à 60 ans (non concernés par la réforme de 1993) sont introduits comme groupe de contrôle trivial.
Données : Échantillon Interrégime des Retraités 2008.
Source : calculs des auteurs.

50 Quant à l’effet propre du report de l’âge de liquidation, l’augmentation de la durée d’assurance a par exemple induit une augmentation de 1 802 euros en moyenne (significativité à 10 %) du premier décile d’EPDR des retraités des générations 1934 à 1943 qui partent à la retraite après un report de leur âge de liquidation, par rapport au premier décile d’EPDR des retraités qui partent à 60 ans sans report ni décote. L’effet propre du report n’est en revanche pas significatif dans les autres quantiles du bas de la distribution de l’EPDR et ce jusqu’à la médiane (ce qui coïncide avec l’effet moyen), alors qu’il est significatif et négatif dans le haut de la distribution de l’EPDR (cf. graphique 2). En effet, en reportant leur âge de liquidation, les retraités du haut de la distribution de l’EPDR pâtissent de la durée de retraite réduite, qui génère une perte d’EPDR.

51 Enfin, il ressort de nos estimations que le report accentue la perte associée à la décote dans le bas de la distribution (premier décile) où la variable d’interaction est statistiquement significative avec un signe négatif (cf. graphique 3). Ce résultat indique que la distance au taux plein pour ces assurés est telle que le report ne suffit pas à annuler la décote sur la pension, mais l’aggrave avec l’effet négatif sur l’EPDR de la réduction de la durée de retraite induite par le report. En revanche, le report réduit l’effet négatif de la décote sur l’EPDR médian et le dernier quartile où la variable d’interaction est statistiquement significative avec un signe positif. Ainsi, il apparaît que les inégalités observées au niveau de la décote sont renforcées par la prise en compte des effets croisés.

Graphique 1

effet lié à la décote sur la distribution de l’EPDR

figure im18

effet lié à la décote sur la distribution de l’EPDR

Graphique 2

effet lié au report de l’âge de liquidation sur la distribution de l’EPDR

figure im19

effet lié au report de l’âge de liquidation sur la distribution de l’EPDR

Graphique 3

effet croisé du report et de la décote sur la distribution de l’EPDR

figure im20

effet croisé du report et de la décote sur la distribution de l’EPDR

Données : Échantillon Interrégime des Retraités 2008.
Source : calculs des auteurs.

Conclusion

52 Cet article propose une évaluation de l’impact de la loi portant réforme des retraites de 1993. Cette évaluation se fonde d’une part sur l’analyse du comportement observé des assurés après la réforme, et d’autre part sur une évaluation des conséquences de leur choix à la liquidation des droits à retraite. Plus précisément, nous cherchons à évaluer dans quelle mesure la réforme de 1993 a modifié la valeur actuelle probable des pensions reçues par chaque assuré mono-pensionné du régime général du secteur privé (CNAVTS) au cours de sa retraite (l’équivalent patrimonial des droits à la retraite). Nous examinons également l’impact de la réforme sur la distribution de cet indicateur entre les assurés de ce régime concernés par les nouvelles règles jusqu’à leur décès. La réforme de 1993, à travers l’une de ses mesures-phare, l’allongement progressif (par génération) de la durée d’assurance requise pour bénéficier d’une retraite à taux plein, a entraîné deux effets qui ont une incidence directe sur l’EPDR de chaque assuré : i) un effet lié au report de l’âge de liquidation qui, en même temps qu’il permet d’acquérir des droits supplémentaires, réduit la durée de vie à la retraite, et ii) un effet lié à la décote sur la pension auquel s’expose un assuré qui, pour des causes endogènes ou exogènes, liquide ses droits à retraite sans la durée requise pour une retraite à taux plein, réduisant ainsi le montant des pensions à recevoir jusqu’à son décès.

53 Nos résultats montrent que l’augmentation de la durée de cotisation requise pour une retraite à taux plein s’est traduite par une baisse d’EPDR de faible ampleur et non significative pour l’ensemble des assurés nés entre 1934 et 1943 qui repoussent leur âge de départ à la retraite, et une baisse significative d’EPDR pour ceux qui ont une décote sur leur pension.

54 La distinction par genre révèle des effets distincts et significatifs du report et de la décote sur l’EPDR. En effet, alors que la décote réduit l’EPDR des hommes et des femmes, le report réduit de nouveau celui des femmes alors qu’il augmente celui des hommes. Pour les femmes nées entre 1934 et 1943, l’effet (négatif) lié à la durée de la retraite l’emporte sur l’effet (positif) lié au salaire de référence. Pour les hommes de ces générations, c’est en revanche l’effet (positif) lié au salaire de référence qui l’emporte sur l’effet (négatif) lié à la durée de la retraite. Pour ces derniers, l’augmentation d’EPDR induite par le report est annulée par la décote, tandis que chez les femmes l’effet du report sur la perte d’EPDR induite par la décote n’est pas significatif.

55 Par ailleurs, les estimations sur les quantiles d’EPDR révèlent des effets du report et de la décote non homogènes le long de la distribution de l’EPDR dans les premières générations impactées par la réforme des retraites de 1993. En effet, l’ampleur de l’effet lié à décote est plus important dans les quantiles du bas de la distribution de l’EPDR. Or, à ces niveaux de la distribution, il s’agit d’assurés qui n’ont pu ou su, compenser l’effet de la décote par un report de l’âge de départ.

56 Ainsi, en matière de politique publique, cette étude soulève implicitement la question des conséquences de l’application d’une mesure (en l’occurrence l’allongement de la durée de cotisation requise pour une retraite à taux plein) destinée à permettre le retour à l’équilibre financier des régimes de retraite, mais qui affecte un ensemble hétérogène d’assurés sociaux aux profils de carrière différents. L’accent mis sur le comportement observé des assurés sociaux à la liquidation de leurs droits permet de mettre en évidence les risques de creusement des inégalités à la retraite. Il est nécessaire d’évaluer ces risques avant l’application de toute mesure visant à garantir la soutenabilité du système de retraite.

Annexes

Annexe 1 : le calcul de la durée d’assurance à 60 ans

57 À partir de la dernière année de validation des droits dans le régime (variable DAVDD dans l’EIR2008), nous calculons l’âge de cessation d’activité au régime général (différence entre la dernière année de validation des droits dans le régime et l’année de naissance) pour les individus dont cette variable est renseignée (cf. équation 1). Puis pour ces individus, nous confrontons cet âge de cessation d’activité (AGECes ) à l’âge de liquidation des droits (AgeLiq) pour déterminer, à partir de la durée d’assurance tous régimes à la liquidation (DAS), la durée d’assurance à 60 ans (DAS60).

equation im21
(1) AgeCes = DAVDDAnneeNaissance

58 Pour les individus dont on n’arrive pas à déterminer l’âge de cessation d’activité (0,5 % des individus de la base de donnée seulement), nous retenons l’hypothèse selon laquelle la durée d’assurance à 60 ans est égale à la durée d’assurance à la liquidation diminuée du nombre de trimestres existant entre 60 ans et l’âge de liquidation (donc nous supposons que chaque retraité a validé exactement le nombre de trimestres existant entre 60 ans et son âge de liquidation). Cette hypothèse conduit à sous-estimer la durée d’assurance à 60 ans des individus qui ont été inactif entre 60 ans et leur âge de liquidation. Néanmoins, pour les individus qui ont connu le chômage ou la préretraite entre 60 ans et l’âge de liquidation, cette hypothèse est plausible car les caisses d’allocation chômage ou de préretraite ont versé des cotisations au nom de ces retraités. Cette hypothèse a aussi été retenue par Bozio (2011) pour évaluer l’impact de l’augmentation de la durée d’assurance de la réforme de 1993 sur le report de l’âge de liquidation des droits. L’équation 2 donne la formule utilisée pour le calcul de la durée d’assurance à 60 ans.

equation im22
(2) DAS60 =
DASInt (Age −60) ×4 siAge estnonrenseigné
Liq Ces
DAS si AgeCes< 60

DASInt (AgeCes − 60) ×4 si60 ≤ AgeCesAgeLiq

Annexe 2 : les effectifs par génération

59 Pour analyser les effets de l’augmentation de la durée d’assurance due à la réforme de 1993, la population à l’étude se limite aux assurés des générations 1930 à 1943 qui ont à 60 ans une durée d’assurance comprise entre la durée requise moins 20 trimestres (1) et 180 trimestres. En effet, la décote s’applique pour chaque génération jusqu’à la limite de 20 trimestres, et nous retenons la borne supérieure de 180 trimestres à 60 ans pour les assurés qui auraient commencé leur carrière à l’âge de 15 ans (à 60 ans, ces assurés auraient 45 années de carrière soit 180 trimestres validés). En définitive, la base de travail comporte 22 005 observations dont le nombre d’individus par génération est donné dans le tableau ci-dessous (cf. tableau A2.a). La génération 1942 a été surreprésentée dans l’EIR2008 pour des études sur les taux de remplacement, c’est la raison pour laquelle l’effectif de cette génération est plus conséquent dans notre échantillon de travail. Les EPDR moyens par génération sont donnés dans le tableau suivant celui des effectifs (cf. tableau A2.b).

Tableau A2.a

effectifs par génération

Génération Effectifs Fréquences(%)
1930 1 101 5,00
1932 1 195 5,43
1934 2 076 9,43
1936 2 292 10,42
1938 2 568 11,67
1940 2 477 11,26
1942 6 968 31,67
1943 3 328 15,12
figure im23

effectifs par génération

Tableau A2.b

EPDR moyen par génération

Génération EPDR moyen (en €)
1930 91 557,86
1932 102 807,88
1934 113 796,73
1936 125 366,42
1938 139 046,96
1940 150 237,90
1942 164 338,70
1943 170 376,66
figure im24

EPDR moyen par génération

Annexe 3 : l’âge de liquidation par génération

60 Afin de décrire l’effet de la réforme de 1993, nous avons relevé l’âge de liquidation par génération des assurés qui à 60 ans enregistrent 150 trimestres de cotisation. Nous observons que la plupart des assurés qui avaient 150 trimestres d’assurance à 60 ans ont repoussé leur départ à la retraite du nombre de trimestres requis pour une retraite à taux plein.

Graphique A3

distribution de l’âge de liquidation pour l’ancienne durée requise pour le taux plein

a. Génération 1934 - 150 trimestres à 60 ans

figure im25

a. Génération 1934 - 150 trimestres à 60 ans

b. Génération 1936 - 150 trimestres à 60 ans

figure im26

b. Génération 1936 - 150 trimestres à 60 ans

c. Génération 1938 - 150 trimestres à 60 ans

figure im27

c. Génération 1938 - 150 trimestres à 60 ans

d. Génération 1940 - 150 trimestres à 60 ans

figure im28

d. Génération 1940 - 150 trimestres à 60 ans

e. Génération 1942 - 150 trimestres à 60 ans

figure im29

e. Génération 1942 - 150 trimestres à 60 ans

f. Génération 1943 - 150 trimestres à 60 ans

figure im30

f. Génération 1943 - 150 trimestres à 60 ans

distribution de l’âge de liquidation pour l’ancienne durée requise pour le taux plein

Annexe 4 : la durée d’assurance à la liquidation par génération

61 L’analyse de la distribution de la durée d’assurance tous régimes confondus par génération dans la population à l’étude, à savoir les retraités affiliés à la CNAVTS nés entre 1930 et 1943, laisse apparaître une asymétrie à droite, à savoir que le mode est inférieure à la moyenne et à la médiane. Le mode est le plus souvent égal à la durée d’assurance requise pour chaque génération, à l’exception des générations 1940 et 1942 pour lesquelles la durée d’assurance modale, égale à 160 trimestres, est différente de celle requise pour le taux plein (157 trimestres pour la génération 1940 et 159 pour la génération 1942). En conclusion, la plupart des assurés enregistrent à la liquidation des durées d’assurance tous régimes souvent supérieures à celle requise pour leur génération.

Graphique A4

distribution de la durée d’assurance tous régimes confondus

a. Génération 1930 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

figure im31

a. Génération 1930 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

b. Génération 1932 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

figure im32

b. Génération 1932 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

c. Génération 1934 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

figure im33

c. Génération 1934 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

d. Génération 1936 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

figure im34

d. Génération 1936 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

e. Génération 1938 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

figure im35

e. Génération 1938 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

f. Génération 1940 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

figure im36

f. Génération 1940 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

g. Génération 1942 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

figure im37

g. Génération 1942 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

h. Génération 1943 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

figure im38

h. Génération 1943 (pensions normales avant l’âge du taux plein)

distribution de la durée d’assurance tous régimes confondus

Données : Échantillon Interrégime des Retraités 2008.
Source : calculs des auteurs.

Annexe 5 : EPDR moyen dans les groupes de contrôle et de traitement

Tableau A5.a

EPDR moyen dans les groupes de contrôle et de traitement dans l’ensemble des retraités

Ensemble des retraités Report Ensemble
Décote Non Oui
Non 150 077 151 700 150 349
Oui 91 624 95 945 93 255
Ensemble 148 385 147 098 148 159
figure im39

EPDR moyen dans les groupes de contrôle et de traitement dans l’ensemble des retraités

Lecture : les montants sont en euros de 2008. L’EPDR moyen des assurés sans report ni décote (groupe de contrôle) est de 150 077 euros, celui des assurés qui ont une décote sur leur pension de 93 255 euros (groupe de traitement), et celui des assurés qui reportent leur âge de liquidation est de 147 098 euros (groupe de traitement).
Champ : retraités mono-pensionnés et mono-affiliés nés entre 1932 et 1943 ayant liquidé une pension normale de droit direct dans le régime général. Les individus de la génération 1932 qui partent à la retraite à 60 ans sont introduits comme groupe de contrôle trivial n’ayant pas été concerné par la réforme de 1993.
Données : Échantillon Interrégime des Retraités 2008.
Source : calculs des auteurs.
Tableau A5.b

EPDR moyen dans les groupes de contrôle et de traitement selon le sexe

Report Ensemble
Non Oui
Sexe Sexe Sexe
Décote Homme Femme Homme Femme Homme Femme
Non 148 189 153 509 157 286 143 506 149 611 151 642
Oui 105 769 87 118 97 298 94 659 101110 89 311
Ensemble 147 721 149 532 153 168 138 514 148 616 147 397
figure im40

EPDR moyen dans les groupes de contrôle et de traitement selon le sexe

Lecture : les montants sont en euros de 2008. L’EPDR moyen des hommes sans report ni décote est de 148 189 euros, et celui des femmes sans report ni décote est de 153 509 euros. Celui des hommes qui ont une décote sur leur pension est de 101110 euros alors que celui des femmes est de 89 311 euros. Celui des hommes qui reportent leur âge de liquidation de 153 168 euros et celui des femmes de 138 514 euros.
Champ : retraités mono-pensionnés et mono-affiliés nés entre 1932 et 1943 ayant liquidé une pension normale de droit direct dans le régime général. Les individus de la génération 1932 qui partent à la retraite à 60 ans sont introduits comme groupe de contrôle trivial n’ayant pas été concerné par la réforme de 1993.
Données : Échantillon Interrégime des Retraités 2008.
Source : calculs des auteurs.

Notes

  • (1)
    Par exemple, le fait de prolonger une carrière de quelques trimestres supplémentaires permet à certains assurés d’intégrer des salaires plus élevés dans le calcul du SAM et d’améliorer le montant des pensions.
  • (2)
    Approché par l’âge auquel l’individu a quitté le système éducatif.
  • (3)
    Cela ne signifie pas que les retraités n’ont pas été mis à contribution, seulement que ce ne fut pas l’effet direct des réformes analysées.
  • (4)
    La réforme 2010 est assez différente sur ce plan, que ce soit par âge ou niveau d’éducation, puisque les plus affectés sont ceux dont le niveau d’éducation est le plus faible.
  • (5)
    Ce dernier étant l’âge du taux plein automatique sur la période d’étude.
  • (6)
    L’idée était que l’augmentation du nombre d’années à prendre en compte dans le calcul du SAM ferait baisser la moyenne sur laquelle repose le calcul de la pension.
  • (7)
    Certains assurés remplissant à l’âge de 60 ans la durée d’assurance requise pour leur génération peuvent quand même décider de reporter volontairement leur âge de liquidation.
  • (8)
    Cependant, il existe des cas particuliers où la revalorisation des pensions est intervenue deux fois en une année, et les retraités ayant pris leur retraite en début d’année n’ont pas forcément eu les mêmes revalorisations que ceux ayant pris leur retraite en fin d’année. Nous négligeons ces situations dans nos estimations.
  • (9)
    Cette perte est calculée en considérant l’EPDR moyen des assurés qui ont une décote sur leur pension et qui s’élève à 93 255,46 euros (cf. annexe 5). Le montant estimé de l’effet propre lié à la décote est de 38 261 (cf. tableau 5), par conséquent la perte est de 29,1 % (38261/ (93255+38261) = 0,2909). L’EPDR moyen des groupes de contrôle et de traitement, nécessaire aux calculs des effets, est fourni en annexe 5.
  • (1)
    130 trimestres pour les générations 1930 et 1932, 131 trimestres pour la génération 1934, 133 trimestres pour la génération 1936, et ainsi de suite jusqu’à 140 trimestres pour la génération 1943.
Français

À l’aide des données de l’Échantillon Interrégimes des Retraités de 2008, nous quantifions les effets de la réforme des retraites de 1993 sur l’équivalent patrimonial des droits à retraite (EPDR) des retraités de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS). Cet indicateur permet d’estimer les effets sur les droits à la retraite du report de l’âge de liquidation et de la décote induits par l’allongement de la durée d’assurance requise pour une retraite à taux plein. Nous montrons que la décote a un effet négatif sur l’EPDR de l’ensemble des retraités considérés, aussi bien chez les hommes que chez les femmes nées entre 1934 et 1943. La diminution de l’EPDR liée à la décote est plus importante pour les hommes que pour les femmes. Le report de l’âge de liquidation a en revanche un effet positif pour les hommes et négatif pour les femmes. L’augmentation d’EPDR entrainée par le report est annulée par la décote pour les hommes ; tandis que la baisse de l’EPDR liée à la décote est amortie par le report pour les femmes. Par ailleurs, les conséquences de la réforme ne sont pas homogènes le long de la distribution de l’EPDR, avec un effet décote plus marqué pour les EPDR les plus modestes, sans que le report ne permette une compensation totale.

Mots-clés

  • retraites par répartition
  • âge de la retraite
  • durée d’assurance
  • durée de la retraite
  • report
  • décote
  • doubles différences
  • effets propres
  • effets croisés
  • régression quantile

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Christophe Daniel
GRANEM, Université d’Angers.
Stéphane Mottet
CRIEF, Université de Poitiers.
Jesus Herell Nze Obame
GRANEM, Université d’Angers.
jesus.nzeobame@univ-angers.fr
Bruno Séjourné
GRANEM, Université d’Angers.
Christian Tagne
LEO, Université d’Orléans.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 14/01/2019
https://doi.org/10.3917/ecop.214.0141
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