CAIRN.INFO : Matières à réflexion
Je remercie le rapporteur de la revue pour ses remarques sur une version préliminaire de cet article.

1Du point de vue économique, les politiques environnementales devraient principalement s’attacher à rétablir un signal-prix approprié, pour orienter les choix des agents vis-à-vis de la rareté des ressources environnementales, en leur faisant internaliser les coûts des dommages externes associés à leurs comportements. Les instruments à privilégier pour cela sont la fiscalité environnementale et les marchés de permis d’émission. Le recours à la réglementation devrait être réservé aux cas où un effet de seuil catastrophique est avéré. Sinon, les analyses économiques des réglementations environnementales sont essentiellement critiques. Elles soulignent les limites de l’instrument réglementaire et les gains d’efficacité à atteindre d’un recours accru à des instruments économiques.

2Quoique ces instruments économiques des politiques environnementales aient pris leur essor depuis la fin des années quatre-vingt, la réalité reste cependant très éloignée de cette approche économique. La réglementation demeure l’instrument privilégié des politiques environnementales. Ceci vaut en particulier dans les secteurs clefs des transports, de l’énergie et de l’agriculture, à l’origine de la croissance des principales pollutions diffuses qui demeurent non maîtrisées.

3Dans le cas des transports, par exemple, des progrès substantiels ont été réalisés pour réduire les émissions des métaux lourds, de substances acidifiantes ou de précurseurs d’ozone troposphérique. Mais les résultats les plus significatifs restent attribuables à des réglementations, comme l’obligation du pot catalytique et l’évolution des normes des carburants. En revanche, l’introduction d’instruments économiques y est laborieuse, y compris dans le domaine de la fiscalité pétrolière, dont la structure entre gazole et supercarburant, par exemple, est loin de refléter les écarts de coûts externes.

4Pourtant, les études coût-avantages des réglementations environnementales confortent plutôt les craintes et recommandations des économistes. Si les réglementations introduites à la fin des années soixante-dix apparaissent en effet indiscutables, il n’en va plus de même pour certaines réglementations plus récentes, dont le bilan global apparaît, soit très incertain, soit susceptible d’être fortement amélioré en recourant à des instruments plus efficaces.

5Cette situation soulève trois types de questions : comment expliquer ce recours préférentiel à la réglementation ? Peut-on évaluer les gains potentiels que procureraient une approche économique ? Quels sont les obstacles à son adoption ?

6La réglementation du bruit des aéroports permet d’aborder les deux premières questions, tout d’abord en illustrant comment celle-ci se construit en pratique, puis en permettant d’expliciter comment on peut procéder à une évaluation des coûts de la réglementation par rapport à celui des instruments économiques.

7Cet exemple est en effet illustratif de la prédilection à recourir à l’instrument réglementaire, dans un contexte où la multiplicité des leviers d’action et des agents concernés suggérerait pourtant de recourir plutôt au signal-prix pour assurer leur coordination efficace. Une politique efficace de régulation devrait en effet répartir les efforts de diminution de la gène sonore en vérifiant, qu’à la marge, le coût d’un effort de réduction supplémentaire serait identique, quel que soit l’agent à qui il serait demandé. C’est typiquement ce que ne peut faire une réglementation, dont la nature rigide fait que, pour certains, l’effort demandé sera excessivement coûteux, alors que des gisements de réduction à faible coût pourront demeurer inexploités.

8C’est pourtant l’encadrement réglementaire qui demeure privilégié, et il concerne à la fois la plate-forme, les avions et leur exploitation. L’estimation du surplus social que procurerait une approche économique de la gestion de la gêne sonore de Roissy-CDG consiste à évaluer le surplus qu’apporterait le passage d’une régulation du nombre de passagers, telle qu’elle fut un temps envisagée, à une régulation efficace du bruit permettant d’atteindre le même niveau de gêne sonore. Ce surplus apparaît important si l’on se rappelle qu’il s’agit d’un pur bénéfice, qui peut être réparti entre les acteurs concernés, et non un transfert entre ceux-ci. Il augmenterait par ailleurs avec le temps, le rationnement devenant de plus en plus coûteux avec le développement de la demande.

9La discussion des modalités de mise en œuvre d’une telle approche économique conduit à souligner les interactions qui existent entre les réglementations environnementales et les régulations sectorielles - ici, celles des créneaux - et à qualifier les problèmes de coordination qui en résultent. De telles interactions apparaissent aussi au cœur des problèmes de régulation des déplacements dans le cadre des procédures de planification urbaine.

10À cet égard, on observe que l’extension des couronnes péri-urbaines constitue un trait caractéristique de l’évolution des villes au cours de ces trente dernières années. Cette tendance apparaît préjudiciable du point de vue environnemental car la péri-urbanisation est très consommatrice d’espace et qu’elle implique un mode de vie dans lequel l’automobile joue un rôle prépondérant. La poursuite de ce processus va ainsi à l’encontre de l’inflexion des modes de déplacements qui serait souhaitable du point de vue de la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, pour prévenir les changements climatiques.

11Évaluer la réglementation signifie, dans ce cas, répondre à des questions telles que : Faut-il des mesures correctrices pour infléchir cette dynamique ? Comment en tenir compte lorsque l’on évalue les infrastructures de transport ? Peut-on, en particulier, se satisfaire d’un système de décision fondée sur des autorités spécifiques pour les transports, l’urbanisme et l’environnement; ou faut-il envisager un dispositif plus centralisé ?

12L’examen de ces problèmes de coordination entre régulations a comme préalable d’identifier les imperfections de marché que celles-ci visent à corriger. Ceci conduit à suggérer que la “ nécessaire ” coordination de ces autorités qui est souvent mise en avant qualifie mal un problème de mauvaise qualité des réglementations sectorielles concernées, qui se trouve exacerbé lorsque l’on intègre l’environnement.

13Du point de vue économique, les politiques environnementales devraient principalement s’attacher à rétablir un signal-prix approprié, pour orienter les choix des agents vis-à-vis de la rareté des ressources environnementales, en leur faisant internaliser les coûts des dommages externes associés à leurs comportements. Les instruments à privilégier pour cela sont la fiscalité environnementale et les marchés de permis d’émissions. Le recours à la réglementation devrait être réservé aux cas où un effet de seuil catastrophique est avéré. Sinon, les analyses économiques des réglementations environnementales sont essentiellement critiques. Elles soulignent les limites de l’instrument réglementaire et les gains d’efficacité à atteindre d’un recours accru à des instruments économiques.

14Quoique ces instruments économiques des politiques environnementales aient pris leur essor depuis la fin des années quatre-vingt, la réalité reste cependant très éloignée de cette approche économique. L a réglementation demeure l’instrument privilégié des politiques environnementales. Ceci vaut en particulier dans les secteurs clefs des transports, de l’énergie et de l’agriculture, à l’origine de la croissance des principales pollutions diffuses qui demeurent non maîtrisées.

15Le cas des transports est illustratif. Des progrès substantiels y ont été réalisés pour réduire les émissions des métaux lourds, de substances acidifiantes ou de précurseurs d’ozone troposphérique. Mais les résultats les plus significatifs restent attribuables à des réglementations, comme l’obligation du pot catalytique et l’évolution des normes des carburants. E n revanche, l’introduction d’instruments économiques y est laborieuse, y compris dans le domaine de la fiscalité pétrolière, dont la structure entre gazole et supercarburant, par exemple, est loin de refléter les écarts de coûts externes.

16Pourtant, les études coût-avantages des réglementations environnementales (Myrick Freeman, 2002) confortent plutôt les craintes et recommandations des économistes. Si les réglementations introduites à la fin des années soixante-dix apparaissent en effet indiscutables, il n’en va plus demême pour certaines réglementations plus récentes, dont le bilan global apparaît, soit très incertain, soit susceptible d’être fortement amélioré en recourant à des instruments plus efficaces.

17Cette situation soulève trois types de questions : comment expliquer ce recours préférentiel à la réglementation ? Peut-on évaluer les gains potentiels que procureraient une approche économique ? Quels sont les obstacles à son adoption ?

18Les développements qui suivent se proposent de fournir, à partir de deux cas particuliers situés dans le secteur des transports, quelques éléments d’éclairage dans cette perspective.

19Le premier cas concerne la réglementation du bruit des aéroports. Il permet d’aborder les deux premières questions, tout d’abord en illustrant comment celle-ci se construit en pratique, puis en permettant d’expliciter comment on peut procéder à une évaluation des coûts de la réglementation par rapport à celui des instruments économiques. Le second considère les déplacements dans le cadre des procédures de planification urbaine. Il conduit à souligner les interactions qui existent entre les réglementations environnementales et les régulations sectorielles et à qualifier les problèmes de coordination qui en résultent.

É conomie des r églementations environnementales : le bruit des aéroports

Éléments de contexte

20L es impacts environnementaux dus au fonctionnement d’une plate-forme aéroportuaire sont de nature diverse. Outre les pollutions directement liées à l’activité aéroportuaire, que sont les pollutions et nuisances des transports (bruit et risques des avions ; pollutions atmosphériques des avions et des transports terrestres, en particulier de desserte), il faut prendre en compte en effet les pollutions des activités industrielles liées aux centrales d’énergie, de chauffage et de climatisation, et les enjeux associés au « management environnemental » de l’aéroport : ressources en eau potable ; gestion des déchets banals (emballages, ferrailles, déchets de restauration et des bureaux) ou spéciaux (huiles, piles et batteries, peintures, solvants, tubes fluorescents) ; impact de la plate-forme sur le fonctionnement des milieux, avec notamment la gestion du ruissellement des eaux pour protéger les sols et les nappes.

21L’ensemble de ces questions tend maintenant à être intégré dans la gestion des grandes plate-formes comme Roissy Charles de Gaulle. La régulation des nuisances sonores demeure cependant mal résolue. Celles-ci se trouvent pourtant au cœur des relations entre la plate-forme et ses riverains, l’efficacité de leur régulation conditionnant l’acceptabilité par ceux-ci de ses éventuels développements ou de ses modifications d’exploitation, couloirs aériens par exemple.

22Ces nuisances alimentent ainsi les controverses sur la création de nouvelles pistes à Roissy. Elles ont été aussi au centre du débat qui s’est tenu en 2001 sur un éventuel troisième site aéroportuaire international dans le Bassin parisien. L’horizon de saturation de Roissy apparaissait conditionné en effet par les mesures envisagées de plafonnement du trafic, prises pour diminuer la gêne sonore de ses riverains. Plusprécisément, lasolutionqui étaitalors soumiseà débat aurait consisté à combiner un plafonnement de Roissy à 55 millions de passagers, avec la réalisation rapide d’une nouvelle plate-forme.

23Cet exemple est illustratif de la prédilection à recourir à l’instrument réglementaire, dans un contexte où la multiplicité des leviers d’action et des agents concernés suggérerait pourtant de recourir plutôt au signal-prix pour assurer leur coordination efficace. Une politique efficace de régulation devrait en effet répartir les efforts de diminution de la gêne sonore en vérifiant, qu’à la marge, le coût d’un effort de réduction supplémentaire serait identique, quel que soit l’agent à qui il serait demandé. C’est typiquementce que ne peut faire uneréglementation, dont la nature rigide fait que, pour certains, l’effort demandé sera excessivement coûteux, alors que des gisements de réduction à faible coût pourront demeurer inexploités. Par ailleurs, il existe en théorie un niveau de gêne sonore « optimale », caractérisée par l’égalité du consentement marginal à payer pour la diminution de la gêne sonore et du coût marginal nécessaire pour cela.

24C’est pourtant l’encadrement réglementaire qui demeure privilégié. Celui-ci est multiforme. Il concerne à la fois la plate-forme, les avions et leur exploitation. De façon à prévenir le développement de l’habitat dans les zones exposées au bruit, des plans d’exposition au bruit (PEB) sont inscrits dans les documents d’urbanisme. En zone de bruit « fort » ou « intense », il est interdit de construire ou de densifier l’habitat existant. En zone de bruit « sensible », seules peuvent être autorisées, sous certaines conditions, des constructions en secteur déjà urbanisé. La loi du 12 juillet 1999 a instauré de plus une zone, extérieure aux zones précitées, dans laquelle les constructions sont autorisées, sous réserve de respecter des normes d’insonorisation.

25L’autorité de contrôle des nuisances sonores (ACNUSA) qui a à connaître des questions relatives à la mesure du bruit et à l’évaluation de la gêne sonore estconsultée surlesprojetsde réglementation de la circulation aérienne et sur les projets de réglementation du bruit autour des aéroports. Les principaux aéroports français disposent par ailleurs de programmes d’insonorisation des bâtiments. Lorsque des bâtiments sont situés à l’intérieur des plans de gêne sonore (PGS), ils peuvent bénéficier d’une aide à l’insonorisation ou, exceptionnellement, faire l’objet d’un rachat.

26Les progrès réalisés sur les moteurs d’avion à réaction ont permis par ailleurs de réduire les émissions de bruit des nouveaux types d’avion d’une vingtaine de décibels en trente ans. Pour engranger les gains technologiques et inciter les constructeurs à aller plus loin, les avions sont certifiés selon les procédures internationales définies par l’organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Les niveaux de bruit certifiés constituent la base des réglementations sur le bruit des avions. Les normes correspondantes ont fait l’objet de “chapitres” successifs annexés à la convention de Chicago.

27En raison des progrès réalisés d’une génération d’avion à l’autre, le renouvellement naturel des flottes permet ainsi, à trafic constant, de réduire le bruit. Il y a onze ans, l’Europe et les États-Unis avaient fait connaître à l’OACI que ce renouvellement naturel ne serait cependant pas suffisant, étant donné la forte croissance du trafic. Un cadre a alors été défini pour le retrait des avions dont les performances ne sont pas au moins égales à celles du « chapitre 3 ». Sur les aéroports européens, les compagnies aériennes ont été contraintes de retirer progressivement d’exploitation, depuis 1995, ces avions qui ne respectent pas la norme du « chapitre 3 », leur retrait étant total le 1er avril 2002. De nouvelles dispositions sont par ailleurs débattues pour restreindre l’usage des avions les plus bruyants « chapitre 3 ». Parmi ces avions, figurent des appareils initialement « chapitre 2 » qui ont été munis de « hushkits », c’est-à-dire d’atténuateurs de bruit, de façon à atteindre les limites du chapitre 3. Afin de préparer cette nouvelle vague de restrictions, l’Union européenne a adopté un règlement ( 925/1999) qui interdit de nouvelles immatriculations d’appareils munis de « hushkits » à partir du 4 mai 2000.

28Le bruit perçu au sol dépend enfin des conditions d’exploitation, notamment de la situation météorologique, qui détermine notamment les positions du trafic face à l’est ou à l’ouest. Des procédures de vol « à moindre bruit » sont définies en conséquence et incluses dans la réglementation. Enfin, des restrictions concernent les utilisations les plus bruyantes, notamment les mouvements nocturnes.

29Ce dispositif, au sein duquel le recoursà l’instrument « réglementaire » apparaît prédominant, s’est cependantrévélé insuffisant, dans deuxdimensions :

  • les mouvements nocturnes. Quoique l’indice de bruit nocturne soit assez stable depuis 1997, le trafic de nuit a fortement augmenté depuis cette date du fait notamment du développement du transport express, dans des conditions qui sont jugées peu acceptables par les riverains;
  • l’acceptabilité des extensions induites par l’augmentation du trafic. Les réflexions sur les possibilités d’extension de Roissy-Charles-de-Gaulle, avec l’éventualité de créer une cinquième piste pour y répondre, se sont en effet trouvées confrontées à l’impossibilité de concilier un tel scénario, avec la demande des riverains concernant la gêne sonore.

Tableau 1

perspectives sur Roissy [3]

Tableau 1
Tableau 1 : perspectives sur Roissy Trafic de 1999 Mouvements effectifs Prévision au fil de l’eau sans plafonnement(3) Plafond envisagé (millions passagers) (milliers) (en milions) (en millions) 2010 2020 Roissy 43,5 467 55 63 88

perspectives sur Roissy [3]

30Pour rassurer ceux ci, l’engagement avait été pris de limiter le trafic de Roissy à 55 millions de passagers. Comme le montre le tableau 1, le bridage ainsi constitué aurait été important. Il ne pouvait de plus être comblé aisément par les marges de manœuvre concernant d’éventuels reports sur les TGV ou les aéroports de province.

31Ce scénario, qui aurait consisté à résoudre le conflit entre les riverains de Roissy et ses usagers, en plafonnant son utilisation et en créant une nouvelle plate-forme, s’inscrit dans deux traditions bien établies : celle des ingénieurs, qui, faisant face à une perspective de saturation d’un équipement, proposent un nouvel investissement de capacité ; celle des environnementalistes, qui, pour contenir une nuisance, proposent une réglementation.

32L’hypothèse – même si elle est aujourd’hui abandonnée – du plafonnement à 55 millions de passagers, fournit ainsi un cas type pour l’évaluation du coût des réglementations, permettant d’examiner les raisons « d’économie politique » qui conduisent à privilégier cet instrument, malgré son inefficacité économique, et de prendre la mesure de cette inefficacité.

33La prédilection pour l’instrument réglementaire résulte, en général, du fait que la répartition des coûts de la réglementation demeure cachée au moment où celle-ci est décidée, ceux-ci pouvant de plus être concentrés sur les agents mal représentés dans le processus de décision que sont les entrants potentiels et finalement les usagers.

34Dans ce cas, un autre argument possible réside dans la crédibilité et la lisibilité d’une contrainte quantitative sur le trafic, pour la négociation entre le monde aéroportuaire et ses riverains, ces derniers réclamant en effet des engagements sûrs.

35Mais ce dernier souci pourrait être aussi bien pris en compte dans le cadre d’un marché de permis d’émissions sonores. Comme on le verra, la flexibilité correspondante permettrait de réduire le coût d’un tel engagement, grâce à un signal-prix différencié agissant sur deux leviers sensibles et actuellement mal exploités :

  • le taux d’emport des avions, qui est faible relativement, avec un emport moyen en 1999 de 93 passagers par mouvement, contre 138 à Heathrow, par exemple, la différence ne s’expliquant pas seulement par la structure des trafics;
  • la demande de trafic, notamment sa répartition temporelle. Les structures horaires des trafics des aéroports parisiens sont en effet marquées par des pointes fortes, si on les compare à celles de leurs homologues européens.

36Le recours à un marché de permis pourrait par ailleurs être étendu à la plupart des acteurs de la plate-forme pour les responsabiliser à la gène sonore ou stimuler les actions propres à la réduire. Les agences intervenant sur l’insonorisation, par exemple, pourraient ainsi y être incorporées, en les rémunérant par les permis qu’elles génèreraient.

Le coût des réglementations

37L’estimation du surplus social que procurerait une approche économique de la gestion de la gêne sonore de R oissy-CDG doit distinguer le niveau d’optimisation visé, par référence aux deux étapes du processus évoqué ci-dessus : répartition efficace des efforts à objectif de gêne sonore fixé; choix de cet objectif, en fonction du consentement à payer des riverains pour réduire la gêne sonore.

38L’évaluation esquissée ci-dessous se focalise sur la première étape de minimisation des coûtsà niveau de bruit fixé, l’absence de consensus préalable sur la valeur du bruit étant justement un élément de contexte important. Elle consiste à évaluer le surplus qu’apporterait le passage d’une régulation du nombre de passagers, à une régulation efficace du bruit permettant d’atteindre le même niveau de gêne sonore.

39On supposera par ailleurs que la situation de référence avec plafonnement des passagers serait « efficace de second rang », donc que ce seraient les passagers dont le consentement à payer est le plus faible qui seraient évincés dans la situation de référence. Pour fixer les idées, on supposera que, pour cela, une taxe sur les passagers aurait été mise en œuvre.

40En effet, les hypothèses qui pourraient être faites sur la manière de gérer les rationnements pourraient sembler arbitraires, en dépit de la certitude que l’information etlesconditionspour gérer aumieux la pénurieseraienttrèsdifficiles à réunir. Car comment, sans prix de référence, choisir parmi des transports express ou postaux, des passagers en correspondance du système de hub, ou des passagers moyenne distance, ceux qui devraient être évincés des horaires sensibles ? De même, comment arbitrer entre la fréquence et la taille des vols domestiques, ou entre les différentes classes de destinations, pour élever le taux d’emport ? Comment mettre en place les incitations pour réaliser les vols à moindres nuisances ? etc…

41Le surplus ainsi calculé sous-estimera donc le gain réel qu’apporterait le basculement d’un plafonnement des passagers à une régulation efficace, car il est peu probable que le rationnement initial aurait été si efficace. Ce gain intègre deux éléments. L e premier est le passage d’un plafonnement des passagers à un plafonnement de la gêne sonore. Le second réside dans le recours à des instruments économiques pour répartir les efforts de protection. À cet égard, la régulation efficace peut recourir, soit à une taxe sur le bruit, soit à un marché de permis. C’est ce second scénario qui sera explicité.

42Afin d’illustrer les mécanismes à l’œuvre, on considère une modélisation simple qui permet d’illustrer comment une approche économique permettrait de mobiliser les leviers que constituent le taux d’emport et l’orientation de la demande. L’accent missurle taux d’emport se justifiepar le fait que dans la situation actuelle, la faiblesse de ce taux apparaît comme un gaspillage manifeste.

43Les hypothèses sont les suivantes :

  • côté demande, on suppose que la valeur monétaire totale associée à la satisfaction d’un niveau X de trafic vaut A, étant un paramètre.
    equation im2

    Avec cette fonction d’utilité, un comportement de maximisation de cette satisfaction sous contrainte de revenu conduit à la fonction de demande suivante, caractérisée par une élasticité du trafic par rapport au prix p du vol, pour l’usager égale à 2;
    equation im3
  • côté offre, on suppose que le coût d’un mouvement vaut C x a bx x( ) ,= +2 étant le niveau d’emport, a et b deux paramètres techniques. Cette spécification, qui combine un coût fixe et un coût marginal croissant définit naturellement un taux d’emport optimal pour les compagnies

44Supposant que le nombre de passagers transportés X se répartit entre des vols ayant tous un même taux d’emport x, on notera n = X / x le nombre de vols (en considérant pour simplifier les variables comme continues).

45Si l’on désigne le coût d’un vol par C(x), le coût total CT(n, x) estalors égal à nC x XC x( ) ( )= oùC x( ) M M est le coût moyen par passager transporté, donné par

equation im4

46A X donné, la valeur du taux d’emport x qui minimise le coût moyen par passager transporté, correspond à
equation im5
avec comme nombre de mouvements

equation im6

47Si l’on suppose le marché concurrentiel et suffisammentlarge, l’équilibre aveclibre entrée tend vers cette situation (Novshek, 1980), caractérisée par un prix p égal au minimum du coût moyen, soit

equation im7

48Si il n’y avait pas à tenir compte des coûts « sociaux » de la gêne sonore, cet équilibre serait efficace, puisque : le trafic serait réparti de manière homogène sur un nombre de mouvements minimisant le coût total, CT(n, x) = nC (x) à trafic donné; le niveau trafic étant par ailleurs efficace, puisque le consentement à payer du dernier passager servi est juste égal au coût marginal nécessaire pour satisfaire sa demande.

49On suppose maintenant que, dans la situation de référence, ce trafic est plafonné à Xp par l’instauration d’une taxe t par passager. Celle-ci n’affecte donc ni le taux d’emport, ni le prix à la production ( )pr.

50L’équilibre vérifie donc :

equation im8

n X x r r r = / représente le nombre de mouvements correspondant. Si l’on suppose pour simplifier, hypothèse sur laquelle nous reviendrons, que celui-ci détermine la gêne sonore, il peut servir de référence pour le passage à une approche économique de la régulation de l’aéroport, « internalisant » la gène sonore dans le système de prix. Ceci peut être réalisé, soit en créant un dispositif de permis par mouvement échangeables, soit une taxe de niveau équivalent à celui du permis, si l’on suppose que l’autorité de régulation saurait la calculer exactement. Dans l’exercice que nous suggérons, le nombre total de permis alloués serait donc égal à cette valeur nr, déterminant le même niveau de gêne sonore que dans la situation réglementée.

51Notant q le prix des permis (par mouvement), la régulation efficace correspondante est alors caractérisée, quelle que soit la répartition initiale des permis entre compagnies, par un taux d’emport et un prix d’équilibre tels que :

equation im9

L’ajustement au plafonnement de la gêne sonore sera donc partagé entre le taux d’emport qui augmente, et le prix du billet, qui lui diminue par rapport à pr. Le prix du permis q est déterminé par l’équilibre concurrentiel du marché correspondant, soit :
equation im10

nr correspond en effet à l’offre de permis. Par ailleurs, le nombre de vols – donc de permis – demandé étant égal à X x A p x * * * * / ( / ) /=2, la valeur de q est fournie par l’équation :
equation im11

d’où
equation im12

52Cet équilibre (si le nombre de mouvements est important) est identifiable à l’optimum correspondant à la maximisation du surplus W u X CT n x= ?( ) ( , ) sous la contrainte correspondant au plafonnement de la gêne sonore n nr <. Le gain apporté par l’approche économique de la régulation, qui résulte à la fois d’une meilleure efficacité des choix de production des compagnies et de la moindre éviction des usagers par rapport à la situation de référence, vaut donc :

equation im13

53Le premier terme correspond au surplus brut procuré aux passagers, par le relâchement de la contrainte de plafonnement du trafic. Il faut cependant en retrancher le surcoût marchand lié à la satisfactionde cette demande supplémentaire grâce à l’accroissement du taux d’emport.

54L’application numérique (cf. encadré 1) illustre le « surplus » social net (annuel) apporté. Celui-ci est important si l’on se rappelle qu’il s’agit d’un pur bénéfice, qui peut être réparti entre les acteurs concernés et non un transfert entre ceux-ci.

55Il augmenterait par ailleurs avec le temps, le rationnement devenant de plus en plus coûteux avec le développement de la demande.

56Le fait que l’ensemble de la demande spontanée avant plafonnement ne soit pas servie dans le scénario efficace ne saurait surprendre, celle-ci étant socialement excessive puisqu’elle n’internalise pas les coûts marginaux des dommages liés au bruit. Comme il a été indiqué ci-dessus, la question qu’il faudrait examiner ensuite est de comparer la valeur attribuée à ceux-ci par le marché de permis, à celle que l’on pourrait estimer directement, à partir d’enquêtes oudu comportement desriverains, ou des prix fonciers au voisinage de l’aéroport. En d’autres termes, il s’agirait d’apprécier si l’objectif retenu pour les nuisances sonores est optimal. Le fait qu’un marché de permis objective la valeur associée au plafonnement ne peut que faciliter cette rationalisation, par rapport à une approche réglementaire qui maintient cachée cette valeur (et ne retient en général pas une seule valeur commune, d’ailleurs).

Encadré 1 : application numérique

Hypothèses. Partant d’un trafic de 48 millions de passagers en 2000, on se place en 2010 avec un trafic spontané (possible) de 71 millions de passagers (+ 4% par an). On suppose qu’en l’absence de régulation particulière, le taux d’emport resterait à son niveau actuel, avec un prix du billet “moyen” de 150 euros, ce qui fixe les paramètres a et b.
Résultats (pour l’année 2010)

tableau im14
Tr Plafonnement Approche afic nonrégulé à 55M de économiquede passagers (même niveaunuisances) Emport 100 100 109 Prix du billet 150 € 170,4 € 163 € Trafic 71 M 55 M 60 M

Le scénario avec plafonnement des passagers correspond donc à une taxe implicite sur le billet de 13%. Le prix des permis dans le second scénario s’établit par ailleurs à 1,4 millier d’euros par mouvement.
L e surplus social annuel procuré par l’approche économique s’établit à environ 50 millions d’euros pour l’année 2010.

57Au-delà des modifications possibles des paramètres numériques, ce modèle peut être enrichi dans deux directions : une description plus fine de la demande, des technologies, et des modalités d’ajustement possibles pour réduire la gêne sonore; l’introduction de comportements non concurrentiels sur les marchés concernés.

58Sur le premier point, il est clair en effet qu’un modèle agrégé est trop schématique. Par ailleurs, seul a été pris en compte l’arbitrage entre prix du billet et taux d’emport, alorsquela questionde lastructure horaire du trafic, par exemple, est aussi importante. Conceptuellement, construire un modèle de simulation plus désagrégé ne pose pas de problème particulier – si ce n’est de données – compte tenu des instruments économétriques qui ont été développés par l’économie des transports.

59Dans ce cadre, le critère de bruit devrait être enrichi pour sortir de l’identité entre le bruit et le nombre de mouvements, qui est évidemment schématique. Dans le cas où l’on considère la gêne sonore comme strictement complémentaire des mouvements, il est clair en effet que ce qui compte au fond est le prix total du créneau horaire, c’est-à-dire la somme de la tarification du créneau et de celle de la gêne sonore associée. Mais cette hypothèse de complémentarité stricte est trop schématique. D’autres paramètres sont à prendre en compte, par exemple le pilotage. Surtout, elle ne tient plus dans un modèle distinguant plusieurs plages horaires [1], sauf à imaginer une corrélation parfaite entre la valeur des créneaux, eu égard aux capacités aéroportuaires, et la valeur de la gêne sonore associée. De même, on pourrait décrire plus finement la structure de la flotte. On illustrerait ainsi une autre facette de l’intérêt d’une démarche économique : accélérer la restructuration de la flotte vers les avions les plus performants socialement, c’est-à-dire ceux dont c’est le coût fixe « social » a + q qui est faible, et non seulement le coût fixe marchand a.

Tarification ou marché d’autorisations ?

60La remise en cause de l’hypothèse concurrentielle soulève des enjeux plus complexes. En effet, si le marché des créneaux n’est pas concurrentiel, il devrait en être tenu compte dans la tarification du bruit. L’évaluation de ce point supposerait une analyse approfondie des comportements stratégiques et des structures industrielles en cause, aux deux niveaux des compagnies aériennes et des plates-formes aéroportuaires. L’évaluation de l’impact de l’institution d’un marché de permis pour les nuisances sonores devrait alors être amendée pour tenir compte de la structure des marchés concernés. Mais ceci ne discrédite pas pour autant l’existence de bénéfices importants à en tirer par rapport à la réglementation, grâce à l’optimisation des coûts induite. Ceci peut en revanche affecter le choix d’instruments, entre tarification du bruit et marché de permis d’émissions.

61À cet égard, une tarification publique semble offrir plus de marges de manœuvre qu’un marché de permis pour intégrer de tels amendements. À cela, on peut objecter cependant, que si distorsions sur le marchédescréneauxhorairesil ya, le mieux serait de commencer par mettre en place les instruments correctifs au bon niveau, c’est-à-dire de renforcer la politique de la concurrence sur le marché des créneaux horaires. Différentes dispositions existantes encadrant l’attribution des créneaux par leur coordonnateur s’inscrivent dans cette perspective : vérification que les créneaux alloués sont utilisés à hauteur de 80% avant réattribution ; redistribution prioritaire – à hauteur de 50% au moins – des créneaux disponibles aux entrants éventuels, etc…

62Il restequel’introductiond’un signal-prix, pourfaire internaliser par les compagnies aériennes et les passagers les coûts des nuisances sonores qu’ils génèrent, et par là orienter efficacement leurs choix, peut se faire de deux manières : par la mise en place d’une tarification publique (taxe sur le bruit, différenciation des redevances pour créneaux horaires) ou par la création d’un marché d’autorisations d’émissions sonores.

63En théorie, ces deux instruments sont strictement équivalents, si la puissancepubliquedisposede toute l’information nécessaire pour fixer au niveau optimal le niveau du tarif du bruit, ou la quantité totale de permis allouée (selon l’option choisie). Du point de vue incitatif, ce qui compte en effet pour orienter le choix des agents est le niveau de prix qui émergera finalement, soit sous forme tarifaire, soit par le biais du prix des permis.

64Par ailleurs, leurs effets redistributifs ne dépendent pas tant du choix de l’approche que des modalités retenues par ailleurs au sein de celles-ci : dosage entre taxation du bruit et subventionnement des mesures de diminution de la gêne sonore; existence ou non d’abattements à la base pour l’approche tarifaire ; répartition des droits initiaux pour les marchés de permis, avec les deux cas extrêmes que sont, d’un côté, l’allocation sur la base des émissions passées, qui consolide les droits acquis (« grandfathering ») et, à l’opposé, leur mise aux enchères, qui aboutit aux mêmes résultats, en information parfaite, qu’une pure taxe sur le bruit.

65Les éléments qui peuvent orienter le choix entre l’approche tarifaire et l’approche des permis échangeables sont autres.

66Dupoint de vue théorique, un argument importantest associé à l’incertitude. Si l’on craint un effet de seuil « catastrophique » sur les dommages, l’approche des permis est alors préférable car la limite fixée aux nuisances est stricte. Si l’on craint au contraire d’engager des coûts démesurés, l’approche tarifaire a le mérite de borner supérieurement le coût des efforts engagés pour réduire les nuisances, le paiement de la taxe étant en effet « libératoire ».

67L’approche des permis présente par ailleurs l’avantage que la puissance publique n’a pas nécessairement à évaluer préalablement les coûts sociaux des dommages sonores pour fixer le niveau de bruit optimal si les riverains participent aussi au marché, par le biais des collectivités concernées. Il lui suffit en effet d’organiser le marché, qui lui révélera cette valeur. Cet argument doit toutefois tenir compte du fait que la qualité sonore est un bien public. L’efficacité de l’intervention des collectivités territoriales suppose donc une certaine homogénéité (ou symétrie) de la distribution des préférences de leurs électeurs.

68Malgré cette limite, cet argument pousse sans aucun doute vers la solution du marché de permis. L’approche tarifaire a en effet comme prérequis l’établissement d’un consensus objectif sur la valeur de la gêne sonore vis-à-vis de laquelle on souhaite légitime de se prémunir. Or c’est celui-ci qui semble justement très difficile à obtenir.

69L’efficacité de la solution des permis nécessite en revanche un apprentissage, avec le risque d’avoir transitoirement des niveaux de prix excessifs. La contrepartie, favorable en termes d’acceptabilité, est de garantir, ex ante, un niveau de qualité sonore aux riverains, ce quipeut faciliterladiscussioninitiale.

70L’état initial de la réglementation peut aussi influencer les choix. Aux États-Unis, les premiers marchés, dits de crédits d’émission, se sont ainsi constitués sur la base de systèmes d’autorisation pré-existants, auxquels ils apportaient la flexibilité des échanges. Cet argument n’apparaît pas majeur dans notre problème, car si des plafonnements globaux ont été envisagés, ils ne se sont pas concrétisés en autorisations individuelles par compagnie. Au contraire, des instruments tarifaires (taxe sur le bruit, redevances pourcréneauxhoraires) existent, qu’il suffirait donc de moduler pour leur faire jouer le rôle voulu d’incitations vis-à-vis du bruit.

71Finalement, un élément qui peut être déterminant tient à l’organisation de la régulation. En présence d’une autorité publique bien établie, qui maîtriserait à la fois l’attribution des créneaux et la politique de développement de la plate-forme, la solution de la tarification publique s’imposerait probablement. Ce responsable pourrait en effet élaborer des taxes d’atterissage différenciées, prenant en compte, simultanément, la congestion et les nuisances sonores.

72Malheureusement, l’organisation existante est plus complexe, le coordinateur des créneaux (COHOR) étant une entité indépendante de l’aéroport. Si l’on peut donc se réjouir que l’argument environnement puisse être pris en compte dans ses barèmes des redevances et dans l’attribution des créneaux horaires, car ceci en reconnaît l’importance, on peut craindre aussi un mélange des genres. Comment chaque régulateur interviendra-t-il en effet sur la taille des avions, leur productivité, l’articulation avec celle des aérogares, etc. ? Leurs décisions seront-elles « cohérentes » ? Il est peut-être plus raisonnable dans un tel cas de bien établir en premier les responsabilités, en séparant donc celles concernant la congestion, le développement aéroportuaire, la concurrence, et celle du bruit. Cette dissociation bruit-congestion suppose toutefois que la désutilité du bruit soit indépendantede l’écart dans le temps entre deux mouvements. Si ce n’est pas le cas, l’arbitrage à effectuer demeure plus délicat.

L’articulation des réglementations : le cas de l’étalement urbain

73Ce problème de coordination entre les réglementations environnementales et les régulateurs du secteur considéré apparaît comme une donnée récurrente, qui constitue souvent un véritable obstacle à l’essor des politiques environnementales. Les controverses à propos de l’étalement et de la mobilité urbaine en fournissent une autre illustration, cas d’école par la multiplicité des régulations concernées et par les enjeux qu’elles représentent :

  • multiplicité des réglementations. La loi sur l’air de 1996, donc une régulation environnementale, a introduitlesplans dedéplacements urbains. Maisces plans, obligatoires pour les agglomérations de plus de 100 000 habitants, ont une vocation plus large que la pollution de l’air puisqu’ils doivent définir les principes généraux de l’organisation des transports, de la circulation et du stationnement dans les zones urbaines. L’articulation de ces documents avec les schémas d’aménagement territoriaux (schémas de cohérence territoriales notamment) est loin d’être réglée, malgré les efforts des lois récentes en matière d’urbanisme (solidarité et renouvellement urbain, urbanisme et habitat) pour la clarifier. Tout le monde s’accorde aujourd’hui à souligner l’importance des interfaces entre urbanisme et déplacements, au travers par exemple de l’impact des voies rapides sur l’organisation urbaine. Mais l’organisation du travail entre communautés d’agglomération et autorités organisatrices des transports est loin d’être stabilisée. Ceci vaut a fortiori lorsqu’il s’agit de prendre en compte les éléments ayant trait à l’environnement;
  • enjeux. L’extension des couronnes péri-urbaines constitue un trait caractéristique de l’évolution des villes au cours de ces trente dernières années. Cette tendance apparaît préjudiciable du point de vue environnemental, car la péri-urbanisation est très consommatrice d’espace et qu’elle implique un mode de vie dans lequel l’automobile joue un rôle prépondérant. La poursuite de ce processus va ainsi à l’encontre de l’inflexion des modes de déplacements qui serait souhaitable du point de vue de la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, pour prévenir les changements climatiques.

Faits stylisés

74Deux types de statistiques sont disponibles pour prendre la mesure de l’étalement urbain : les données de l’IFEN (Institut français de l’environnement) (Coutellier, 2003) sur l’artificialisationdessolsetles données de l’Insee issues des recensements de la population.

75Les surfaces artificielles considérées par l’IFEN regroupent l’habitat et les espaces verts associés, les infrastructures, les équipements sportifs ou de loisir, les bâtiments divers (industrie, commerces, entrepôts, décharges, services…). Représentant 8 % du territoire, leur étendue est en croissance rapide : elles sont passéesde 38000 à 43000 km²entre 1992 et 2000. Elles ont ainsi connu une progression de près de 1,6 % par an contre 1,2 % par an sur la période 1981-1990.

76Trois grands types d’utilisation caractérisent cette artificialisation des terres, souvent irréversible : le bâti qui ne représente qu’un quart de l’ensemble, les infrastructures routières ou ferroviaires qui en utilisent 39 % et les surfaces non bâties (jardins, pelouses, terrains vagues urbains…) qui en couvrent 36 %. Ces dernières ont connu l’évolution la plus rapide sur la période. Mais les surfaces de construction et d’infrastructures ont également connu un fort accroissement, supérieur à 10 %, augmentant l’imperméabilisation des sols, facteur d’amplification des risques d’inondation.

77L es travaux de l’Insee (B essy-Pietri, 2000) apportent un éclairage très complémentaire. Pour caractériser l’étalement urbain, l’aire urbaine y est divisée en trois éléments :

  • la ville-centre, qui correspond le plus souvent à la villeau sens« historique » duterme, constituée d’une commune, parfois plusieurs;
  • la banlieue, territoire plus ou moins vaste sous l’influence directe de la ville (elle forme, avec la ville-centre, une unité urbaine, au sens de la continuité du bâti);
  • la couronne périurbaine, périphérie plus lointaine, au-delà du front dense de l’urbanisation mais encore sousl’influencedirecte delavilleetde sa banlieue.

78Le tableau 2, qui met en évidence des taux de croissance d’autant plus élevés que l’on s’éloigne du centre-ville, matérialise le processus d’étalement urbain.

79Il est à noter toutefois qu’entre 1990 et 1999, l’étalement de la population du centre vers la périphérie a été moins marqué qu’il ne l’était durant les deux précédentes périodes intercensitaires. Les taux d’évolution annuels de la population des villes-centres, des banlieues et des couronnes sont respectivement de 0,15 %, 0,41 % et 1,19 %. Cette hiérarchie était beaucoup plus accentuée en 1990 et surtout en 1982.

80Ces évolutions d’ensemble masquent toutefois des disparités entre agglomérations, avec, dans certains cas, un certain rééquilibrage en faveur des villes-centres et une relative stagnation des banlieues et, dans d’autres, la poursuite au contraire d’une croissance très vive du péri-urbain. De ce fait, les problèmes rencontrés, notamment ceux de la gestion des transports, peuvent être sensiblement différents d’une agglomération à l’autre. Les deux tendances de l’évolution des déplacements urbains que constituent la progression de la mobilité quotidienne et la croissance des taux de motorisation, apparaissent cependant très générales et en ligne avec l’évolution des villes qui vient d’être décrite.

81L’atlas des aires urbaines établi par la Fédération nationale des agences d’urbanisme (FNAU, 2001) rappelle à cet égard :

  • que le taux de motorisation est d’autant plus élevé que l’on s’éloigne du centre-ville. Alors que dans les villes-centres plus du tiers des ménages ne possèdent pas de véhicule, ils ne sont que 12 % dans les zones périurbaines. C’est par ailleurs dans ces zones que l’augmentation de la multi-motorisation est la plus dynamique, avec un taux de ménages possédant une deuxième voiture passant de 26 % en 1990 à 44 % en 1999;
  • comment les déplacements suivent le processus d’étalement. Le cas des déplacements domiciletravail est ici illustratif. En comparant (Talbot, 2001) les recensements de 1990 et 1999, il apparaît que la distance totale parcourue par les migrants intercommunaux a cru de près de 28 % en moins de dix ans. Cette augmentation des distances parcourues est portée par l’évolution des localisations résidentielles vers des espaces périurbains moinsdensesetpluséloignésducentre.

82Faut-il des mesures correctrices pour infléchir cette dynamique ? Comment en tenir compte lorsque l’on évalue les infrastructures de transport ? De quels instruments dispose-t-on pour élaborer les réglementations en ce domaine ? Quelles conséquences en tirer du point de vue institutionnel ? Peut-on, en particulier, se satisfaire d’un système de décision fondée sur des autorités spécifiques pour les transports, l’urbanisme et l’environnement ; ou faut-il envisager un dispositif plus centralisé ?

Tableau 2

tendances à l’étalement urbain

Tableau 2
Tableau 2 : tendances à l’étalement urbain Taux d’évolution annuel moyen 1990 - 1999 Taux d’évolution annuel moyen 1982 - 1990 s Total Dûau solde naturel Dû au solde desentrées-sorties Total Dû au soldenaturel Dû au solde deentrées-sorties Ville-centre 0,12 (0,16) 0,46 (0,45) -0,34 (-0,29) -0,09 (-0,08) 0,53 (0,52) -0,62 (-0,60) Banlieue 0,42 (0,51) 0,65 (0,46) -0,25 (0,05) 0,86 (0,94) 0,72 (0,89) 0,14 (0,35) Couronne périurbaine 1,03 (1,01) 0,40 (0,37) 0,63 (0,64) 1,89 (1,80) 0,42 (0,40) 1,47 (1,40) Les 361 aires urbaines 0,40 (0,44) 0,52 (0,43) -0,12 (0,01) 0,61 (-0,59) 0,58 (0,53) 0,03 (0,06) (sans l’aire urbaine de Paris) Source : recensement de la population, Insee.

tendances à l’étalement urbain

recensement de la population, Insee.

83Répondre à cette question suppose d’examiner plus avant la nature des problèmes de coordination pouvant se poser entre ces régulations, ce qui a comme préalable d’identifier les imperfections de marché que celles-ci visent à corriger.

Transports et étalement urbain dans le modèle monocentrique

84On peut aborder théoriquement ces questions en examinant les relations entre étalement urbain et politiques de transport dans le cadre des modèles de l’économie urbaine. Par souci de simplicité, on considèrera le cas simple d’une ville circulaire dont le marché foncier est supposé concurrentiel, composée d’une population fixée de résidents, homogène par concernant les revenus et les préférences de ceux-ci. L’objectif n’est pas de développer ici des éléments originaux (cf. Bernard, 1998), mais seulement d’expliciter les mécanismes à considérer. La seule complication introduite, par rapport au modèle de base monocentrique (Arnott et Stiglitz, 1979 ; Arnott, 1987), est la taille éventuellement variable des terrains selon leur localisation par rapport au centre de la ville (Fujita, 1989).

85On considère une ville dont on note N la population (fixée) de ménages résidents. Ceux-ci sont supposés identiques en termes de revenus et de préférences.

86On suppose que chaque consommateur arbitre entre, d’une part, l’agrément de son logement, assimilé à la surface x de la parcelle qu’il occupe et, d’autre part, sa consommation en autres biens, agrégés en un bien composite pris comme numéraire. Chaque agent est supposé maximiser sa fonction d’utilité sous contrainte de revenu, face au prix du foncier R, pour déterminer la surface de terrain qu’il demande. On suppose la fonction d’utilité quasi-linéaire, son élément caractéristique étant le consentement à payer u x( )du consommateur pour un terrain de taille x. Dans ces conditions, la demandede terrain vérifie : u x R'( ) =, soit à la marge l’égalité entre le consentement à payer pour un accroissement de sa taille et le prix à payer pour cela.

87Le centre de la ville est pris comme origine et est supposé concentrer l’ensemble des entreprises. Si l’on note t la distance de la parcelle à ce centre et t* le rayon de la ville, l’équilibre urbain sera ainsi caractérisé par les fonctions x t( ) et R t( ) déterminant la taille des parcelles et le prix du foncier en fonction de leur localisation t. Au-delà de la ville, ce dernier est égal au prix du foncier agricole, noté Ra.

88On suppose enfin que l’habitant résident en t supporte des coûts de transport proportionnels à son éloignement du centre, soit f.t.

89Avec ces notations, le surplus net ( )t ?retiré par l’agentsituéà ladistanceducentre-villevaut donc:

equation im16

L’équilibre concurrentiel du marché foncier d’une telle ville peut alors être caractérisé par trois équations.

90La première définit la taille des parcelles en fonction du prix du foncier. Pour un résident localisé en t, celle-ci dérive simplement des courbes de demande introduites ci-dessus, soit :

equation im17

L a seconde traduit l’équilibre de ce modèle monocentrique simplifié, qui implique que tous les consommateurs jouissent du même niveau de surplus net, ?quelle que soit la distancetde leur logement au centre-ville. Sinon, certains consommateurs auraient en effet intérêt à changer de localisation. La différentielle de ( )t ?doitdoncêtre identiquement nulle soit :
equation im18

d’où une relationentreleprixduterrain et sasurface:
equation im19

91Cette équation exprime l’arbitrage existant à l’équilibre, dans ce type de modèle où l’on suppose que la localisation des ménages est flexible, les prix fonciers plus élevés en centre-ville compensant exactement les gains que réalisent les résidents correspondants sur le transport, par rapport aux résidents plus éloignés.

92La courbe du prix du mètre carré de logement en fonction de sa distance au centre se construit donc à partir de l’équation différentielle (3) et de la condition aux limites selon laquelle, à la frontière externe (inconnue) t* de la ville monocentrique, le prix du sol est égal au prix des terres agricoles Ra (on suppose celui-ci connu, bien qu’en fait, il soit lui-même endogène si l’on tient compte de l’effet von Thünen).

93Enfin, la taille dela villedoitaccueillir l’ensemble de la population. Négligeant l’emprise des voies de communication et sachant que si les résidents situés en t occupent des parcelles de taille x t( ), leur densité à cette distance vaudra 2?t x t t/ ( ),* vérifie :

equation im20

Compte tenu de (3), la rente foncière R t( ) est donc une fonction décroissante lorsque l’on s’éloigne du centre de la ville, la rente différentielle R t Ra ( ) ? capitalisant en effet le gain d’accessibilité dont bénéficient les résidents au centre par rapport à ceux situés à la périphérie.

94Si la demande de foncier résidentiel était inélastique, celle-ci suivrait une formule linéaire :

equation im21

Mais ce n’est évidemment pas le cas qui nous concerne, puisque l’on s’intéresse ici aux déterminants de l’étalement urbain (à N fixé).

95Dans ce cas, on a une configuration de type [2] :

figure im22
x, R _ R x R Ra t -t* t*

Pour apprécier l’efficacité de l’équilibre ainsi défini, il faut préciser les coûts sociaux à prendre en compte et examiner ensuite dans quelle mesure le fonctionnement concurrentiel du marché foncier décrit ci-dessus optimise le surplus social correspondant.

96Surle premier point, on peutenvisager trois éléments de divergence possibles entre les coûts pris en compte par les agents et les coûts sociaux :

  • subventionnement des transports, notamment si leur tarification n’assure par l’internalisation des coûts dedéveloppementdes infrastructures routières et celle desimpacts environnementauxde leur usage, pollutions locales et effet de serre en particulier. On notera alors f* les coûts unitaires sociaux et s = f* – f la subvention correspondante;
  • non prise en compte de la valeur des aménités as s o c i é es a u x e s p a ce s n a t u re l s o u a g ri c o l e s périurbains. En d’autres termes, la valeur sociale du foncier correspondant serait supérieure à son prix de marché, soit R R a a* >. On notera a R R a a = ? * leur écart, que l’on peut interpréter comme la valeur de ces aménités;
  • enfin, on envisagera que la tarification des services collectifs urbains (eau, déchets, prévention des risques…) ne reflète pas correctement les surcoûts associés à la fourniture de ces services en fonction de la densité. Le surplus « social » v(x) associé à une parcelle de taille x diffèrerait alors de u(x). On considèrera, par exemple,v x u x cx c( ) ( ) ,= ? reflétant donc des coûts, liés à l’inverse de la densité, et non internalisés par l’agent lorsqu’il choisit la taille de son terrain.

97Avec ces notations, le surplus agrégé social à considérer s’écrit :

equation im23

En l’absence de distorsion, c’est-à-dire si s = 0, a = 0 et c = 0, la maximisation du surplus social sous la contrainte de population de la ville (4) se résout aisément. x(t) dérive en effet d’une simple maximisation point par point, qui conduit à la condition suivante :
equation im24

En reportant celle-ci dans la condition sur t*, on obtient par ailleurs la condition limite :
equation im25

Identifiant (cf. équation (2)) u x t'( ( )) avec la rente foncière R t( ), on retrouve donc les équations caractéristiques de l’équilibre compétitif. Celui-ci est donc efficace, ce qui se comprend bien de la manière suivante : si f R u a, , sont représentatifs de f Ra* *, et v, les choix des agents sont bien confrontés aux coûts d’opportunité associés à leur comportement : par exemple,Ra oriente correctement les choix des citadins situés à la périphérie, pour choisir la taille de terrains qu’ils demandent, en reflétant le coût social du prélèvement associé sur les espaces naturels ; de même, l’équation (3) reflète le coût d’opportunité associé au choix de l’agent situé en t, qui évince d’autre résidents, lesquels supporteront des coûts de transport accrus…

98En revanche, l’équilibre compétitif n’est plus efficace dès lors que prévaut l’une ou l’autre des distorsions envisagées ci-dessus. La taille de la ville est excessive. Et il conviendrait alors de mettre en place les politiques correctrices d’internalisation des externalités associées à s, a et c, pour rétablir l’efficacité de l’équilibre foncier.

Les choix en présence de distorsions préexistantes

99L’enjeu que représente le démantèlement de ces distorsions (la suppression des subventions dommageables à l’environnement, suivant la terminologie des économistes de l’environnement) peut être illustré en considérant la question de l’évaluation des projets d’infrastructures de transports dans ce cadre. En effet, si des distorsions demeurent ou si l’internalisation des externalités environnementales demeure incomplète, l’évaluation des infrastructures de transports est affectée.

100On peut apprécier dans quelles conditions, en considérant l’impact sur le surplus social W d’un investissement qui réduiraitlescoûts de transportsur l’ensemble du territoire de ?f* < 0.

101Pour évaluer l’avantage correspondant, on notera W f R u a* ( , , ) le surplus partiel correspondant à la maximisation (en x t( ), et t* ) du seul surplus « marchand », calculé avec les valeurs de marché du transport et du foncier agricole, et comprenant les seulscoûtsinternalisésde l’aménagement (u), soit :

equation im26

sous la contrainte de population (4).

102L’identification qui a été réalisée ci-dessus entre équilibre et optimum, lorsqu’il n’y avait pas de distorsions, permet de montrer, lorsque ce n’est plus le cas, que la distribution compétitive des terrains dans la ville ( x t( )) maximise alors ce surplus partiel. Notant T f R u a ( , , ) le niveau des déplacements agrégés et t f R u a* ( , , ) le rayon de la ville correspondante, il en résulte que :

equation im27

En effet, les réorganisations à la marge de l’allocation du foncier et des déplacements, suite à la modification de f, n’auront qu’un effet du second ordre sur ce surplus partiel. Sinon ceci signifierait que x(t) ne maximisait pas W f R u x t t a ( , , , ( ), ) *.

103Avec ces notations, on peut décomposer le surplus social W, atteint à l’équilibre compétitif, de la manière suivante, qui fait apparaître, à coté du surplus partiel marchand, la valeur des dommages externes non pris en compte à l’équilibre concurrentiel :

equation im28

L’impact sur ce surplus social d’une baisse des coûts de transport vaut donc à la marge :
equation im29

avec
equation im30

et
equation im31

T représentant, rappelons-le, le niveau agrégé des déplacements dans l’agglomération et t* le rayon de la ville.

104En l’absence de distorsions, on retrouve l’évaluation habituelle des avantages procurés par un gain de qualité de service des infrastructures de transports, ( )? T f? à la marge, soit la valorisation du gain unitaire procuré aux usagers des transports multiplié par le traficde référence. Eneffet, les réorganisations induites par ce gain ?f sur l’urbanisme et les déplacements n’ont pas d’effet au premier ordre sur W.

105En présence de distorsions, cette évaluation doit être réduite, et ce, d’autant plus que la baisse des coûts de transport affectera la taille de la ville et donc le niveau des déplacements. L es termes correspondants s’interprètent de la manière suivante :

  • le terme ? s T f( / )? ? traduit le fait que si le gain?f est représentatif des avantages sociaux procurés aux déplacements, à organisation urbaine inchangée, il n’en va pas de même pour les déplacements induits. Compte tenu du subventionnement des transports, l’écart entre la valeur privée de ces déplacements « marginaux » et leur valeur sociale vaut en effet s, d’où cet élément de perte sociale à prendre en compte. Dans ce cas, le fait générateur de la perte réside dans la distorsion introduite dans la politique des transports. L’étalement urbain n’intervient qu’indirectement, comme élément d’élasticité-prix du trafic, ce paramètre déterminant la perte sociale qui sera associée à cette distorsion. En pratique le point est important, car il est souvent mis en avant que la sous-tarification des transports routiers en zone périurbaine ne serait pas dommageable, ce mode de transports n’ayant pas d’alternative crédible pour les déplacements diffus. Dès lors l’évaluation – T ?f serait pertinente, T étant inélastique. Mais c’est oublier que la structure n’est pas figée et que le partage modal n’est pas la seule variable d’ajustement du système des transports si l’on se place à moyen ou long terme. La portée des déplacements associée à l’étalement urbain devient alors un élément clef qu’il convient de réguler efficacement, en mettant en place, par exemple, la fiscalité environnementale appropriée sur l’utilisation des gaz à effet de serre. Sinon, la demande de déplacements exprimée diffère de la demande socialement justifiée et il faut en tenir compte dans les choix de projets;
  • les autres termes relèvent typiquement d’un calcul de coût marginal social en présence d’externalités. L’accroissement des déplacements est associé à des surcoûts d’aménagement (c) et à des atteintes à l’environnement périurbain (a) qui ne sont pas internalisés et qu’il convient aussi de prendre en compte lorsque l’on évalue les avantages associés à l’amélioration des systèmes de transports.

Conséquences sur l’organisation du pouvoir réglementaire

106Définir le degré de centralisation souhaitable des autorités de régulation est affaire d’arbitrage :

  • d’un coté, l’existence d’externalités entre ces autorités oblige à concevoir des mécanismes d’internalisation de celles-ci. Mais celles-ci n’impliquent pas nécessairement la centralisation, sauf en présence de risques et d’irréversibilités importantes;
  • del’autre, Tirole (2003) souligne les bénéfices de la spécialisation résultant de l’efficacité incitative d’une mission simple et pour la résolution des conflits (cf. encadré 2).

107Appliqué au modèle d’aménagement urbain développé ci-dessus, ces arguments pencheraient plutôt dans le sens du maintien de la spécialisation. Certes, les autorités en charge des infrastructures de transport doivent évaluer correctement la demande de leurs projets, en intégrant leurs effets structurants sur l’urbanisme. L a prise en compte de cette interaction est d’autant plus importante dans le cas des infrastructures de transport en commun que leur création représente un coût fixe important. Ainsi, un étalement urbain non maîtrisé s’avère ensuite très difficile à corriger, car les projets de transport en commun qui pourraient y contribuer en orientant l’urbanisation n’ont plus les trafics initiaux suffisants pour assurer leur rentabilité. Pour autant, on a vu qu’à la marge, la bonne application par les autorités environnementales et par celles en charge de la tarification des transports des règles habituelles de premier rang les concernant serait compatible avec l’efficacité économique.

108Ceci suggère que la « nécessaire » coordination de ces autorités qui est souvent mise en avant qualifie mal un problème, qui relève d’abord de la mauvaise qualité des réglementations sectorielles concernées et qui se trouve exacerbée lorsque l’on intègre l’environnement.

109À cet égard, on peut recenser différents éléments constitutifs de telles distorsions dans les agglomérations françaises.

110Tout d’abord, les différents travaux d’évaluation des taux de couverture des coûts marginaux sociaux d’infrastructure (C.G. Plan, 1995 ; Orfeuil, 1997 ; Brossier et Leuxe, 1999 ; Perbet et Rovira, 2002) aboutissent à un constat de sous-tarification des déplacements routiers en ville, même pour les véhicules légers à essence.

111Cette sous-tarification est partiellement compensée, du point de vue des choix entre modes de transports, par la sous-tarification concomitante des transports en commun. Mais celle-ci n’est pas compensatrice, vis-à-vis des distorsions à plus long terme, qui nous intéressent ici, qui passent par la localisation résidentielle.

112Qualitativement, les dommages occasionnés aux espaces naturels et agricoles périurbains par l’étalement des villes sont par ailleurs bien décrits dans le « Schéma de services collectifs des espaces naturels et ruraux » de la DATAR (2002). Parmi les problématiques majeures rencontrées par ces territoires, celui-ci met en effet au premier plan les phénomènes d’artificialisation croissants liés à l’urbanisation et au développement des infrastructures et leurs impacts sur : les activités agricoles et forestières ; les services liés aux ressources naturelles (air, eau, sols, ressources géologiques) ; les continuités écologiques ; les aménités et paysages; enfin lapréventiondes risques naturels.

Encadré 2 : les bénéfices de la spécialisation (d’après Tirole, 2003)

L’efficacité incitative d’une mission simple (« focus »)
Concluant son étude classique des agences gouvernementales américaines, Wilson (1989) estime que les agences les plus performantes sont celles qui ont une mission simple. A un niveau abstrait d’analyse, on peut considérer que les ministères et diverses agences ont pour fonction d’internaliser des externalités ou problèmes de bien public mal traités par le mécanisme du marché : environnement (contrôle de la pollution), travail, protection du consommateur, défense nationale, etc. De par leur nature même, ils ont donc un objectif beaucoup plus complexe (multidimensionnel) qu’une entreprise commerciale. L’intérêt de l’étude de Wilson, et de quelques travaux théoriques s’y rapportant, est de montrer qu’il n’est pas toujours bon de poursuivre plusieurs lièvres à la fois. L’abandon d’objectifs par ailleurs désirables permet de focaliser l’agence et de la responsabiliser, l’évaluation de sa performance étant grandement simplifiée.
Conflits entre missions
L’argument en faveur de la spécialisation est encore renforcé quand les tâches confiées à l’agence sont contradictoires. On ne peut demander à une agence de faire quelque chose et son contraire à la fois. Il est alors bon de transformer les agences en « avocats » pour différentes causes ( travailleurs, consommateurs, contribuables, pollués, etc.) quitte à réaliser les arbitrages en plus haut lieu.

113Or on observe (Jullien, 2000) que le développement de l’urbanisation se concentre justement dans des espaces sensibles de ce point de vue : littoraux atlantique et méditerranéen; plaine d’Alsace; sillon Alpin ; arrière-pays provençal ; grandes vallées fluviales.

114Ces éléments sont très directement constitutifs des distorsions représentées par les termes s et a dans le modèle. Mais beaucoup d’autres éléments des politiques publiques peuvent s’interpréter indirectement comme des subventions à l’extension urbaine.

115S’agissant du financement de l’aménagement, l’étude comparative réalisée pour le Centre de prospective et de veille scientifique du Ministère de l’équipement observe que les budgets généraux (c’est-à-dire le contribuable) sont très largement mis à contribution en France par rapport à la plupart des pays voisins. Compte tenu de l’exceptionnel émiettement communal, les budgets des communes ne peuvent, en effet, supporter qu’une partie de ces coûts de développement, ce qui conduit à faire appel au département, à la région ou à l’État. Mais ce coût, non supporté par les habitants de la commune, peut être considéré comme une subvention indirecte à l’étalement urbain.

116Par ailleurs, s’il est vrai que le financement par les constructeurs (donc par les acquéreurs) introduit en 1967 avec la TLE (taxe locale d’équipement) et les ZAC s’est étendu et diversifié, et qu’il existe en France une grande diversité de techniques utilisées en termes d’assiette, de recouvrement, de liens avec les règles d’urbanisme, celle-ci apparaît cependant insuffisamment prévisible, voire arbitraire.

117En amont, on peut s’interroger aussi sur l’impact du biais de nos politiques du logement en faveur de la construction. En effet, alors que 13 % des ménages se situent en rural périurbain, plus de 18 % des constructions neuves s’y trouvent localisées ainsi que plus de 27 % des accédants récents ayant acquis un logement neuf (Daubresse, 2003).

118Enfin, il faudrait examiner les services publics de distribution d’eau ou de ramassage des ordures, dont les réseaux représentent une part importante de l’aménagement. Bienque leurs coûts dépendent de la densité desservie, leur financement actuel relève plus d’une logique d’imposition que de redevances, représentatives d’une tarification économique.

Conclusion

119L es transports, l’agriculture et l’énergie apparaissent comme les secteurs clefs pour la maîtrise des pollutions diffuses. La multiplicité des acteurs concernés s’y accompagne d’une forte hétérogénéité des coûts d’abattement, qui justifierait un recours préférentiel aux instruments économiques plutôt qu’à la réglementation. Ceci n’est malheureusement pas le cas, en général, et il en résulte une perte importante pour la collectivité.

120S’agissant de secteurs où l’intervention publique est multiple, y compris dans le domaine tarifaire, on pourrait imaginer que l’introduction des instruments économiques puisse s’appuyer sur des outils préexistants, sans avoir à en introduire de nouveaux. Cela s’avère souvent difficile en pratique.

121L’ampleur, mais aussi la mauvaise qualité de la réglementation préexistante constituent en effet un véritable obstacle dans ces secteurs, à tel point que des problèmes communément qualifiés comme relevant de la coordination de ces régulations pourraient être très largement évités si chacune d’elle était d’abord réformée dans le sens de l’efficacité.

Notes

  • (*)
    Ministèrede l’Écologie et du DéveloppementDurable, Direction des études économiques et de l’évaluation environnementale, (au moment de la rédaction de cet article). E-mail : Dominique. Bureau@ equipement. gouv. fr
  • (1)
    Une extension à deux plages horaires est développée dans Bureau D. (2002). « Régulation du bruit à Roissy », Document de travail, n°02-E06, Ministère de l’écologie et du développement durable.
  • (2)
    La statique comparative de ce schéma est précisée dans Bureau et Thouverez (2003). « Evaluation des infrastructures de transport et étalement urbain », Document de travail, n° 03-E07, Ministère de l’écologie et du développement durable. Elle montre en particulier que l’on a alors ? ?t f * / < 0.
  • (3)
    Scénario « compagnies globales » du Schéma de Service Collectif Transport : +3,4% par an.
Français

On examine, à partir de deux cas particuliers dans le domaine des transports, les obstacles à l’adoption d’instruments de politique environnementale plus efficaces que la réglementation. Le cas du bruit à Roissy illustre l’économie politique de la réglementation et les gains qu’apporterait le recours à des instruments économiques. Le cas de la maîtrise de l’étalement urbain conduit à pointer le rôle des distorsions et de la mauvaise qualité des réglementations sectorielles pré-existantes.

Mots-clés

  • réglementation
  • bruit
  • transport aérien
  • aménagement urbain

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Dominique Bureau (*)
  • (*)
    Ministèrede l’Écologie et du DéveloppementDurable, Direction des études économiques et de l’évaluation environnementale, (au moment de la rédaction de cet article). E-mail : Dominique. Bureau@ equipement. gouv. fr
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2007
https://doi.org/10.3917/ecop.167.0049
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