CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le 25 juin 1910, La Revue Maritime et Fluviale[1] publie à propos des travaux de la Commission d’aviation de la Marine, un article intitulé : « Une abominable plaisanterie » dans lequel figure ceci : « … Il y a mieux encore : ladite commission rêve d’un bâtiment de fort déplacement, dont les plages AV et AR seraient disposées pour permettre aux aéroplanes de se lancer dans les airs ou de revenir à leur garage naturel après avoir accompli leurs besognes d’éclairage et de destruction. Il y aurait sur les plages des rails de lancement, des matelas pour rendre « l’atterrissage » plus doux, des tentes pour abriter les ailes des oiseaux mécaniques ainsi que leurs moteurs. En résumé, ce bâtiment serait une mère gigogne d’aéroplanes… ». Et la conclusion de l’article est : « … nous demandons au ministre de faire cesser cette abominable plaisanterie. La France, quoique riche, ne l’est pas assez pour s’intéresser à une fabrique de jouets alors que sa défense navale n’est pas assurée ».

Le La Fayette en baie d’Along (mai 1953)

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Le La Fayette en baie d’Along (mai 1953)

© Ardhan.

2Quelle clairvoyance ! Non pas, évidemment, celle du rédacteur de l’article, mais celle des membres de ladite commission dont les travaux leur ont valu les foudres du plumitif hargneux. Tout y est : pont d’envol, catapultes, zone d’appontage, hangars et ateliers. Bien sûr, la route a été longue entre ces premières visions prophétiques et leur concrétisation. En revanche, elle a été continue et, encore de nos jours, l’augmentation des performances des avions, génération après génération, sous-tend la modernisation permanente des bâtiments et de leurs équipements.

Données générales

3Avant de s’intéresser à l’envol et à la récupération des avions, examinons rapidement les paramètres qui ont conduit régulièrement à améliorer l’un et l’autre. Un avion, embarqué dans les phases de lancement et de récupération, peut se résumer à quelques valeurs physiques dimensionnantes. Pour la phase de « lancer dans les air », ce seront la puissance (et accessoirement le type de propulsion), la vitesse de décrochage et la masse de départ ; pour la récupération, la vitesse de décrochage et la masse de retour. Les dimensions géométriques de l’avion, avec ou sans repliage de la voilure, influent sur les surfaces nécessaires pour le parking, le hangarage et le roulage.

4Rappelons ici qu’augmentant le vent relatif sur la voilure au catapultage et diminuant la vitesse relative de l’avion par rapport au pont à l’appontage, le vent de face est une donnée indispensable. Jusqu’à un certain point, le porte-avions peut compenser le manque de vent, soit en forçant sur sa vitesse propre, soit en augmentant la puissance demandée aux catapultes, l’un et l’autre de ces artifices ayant des limites et des contraintes propres [2].

5Les premières générations d’avions embarquées étaient composées de biplans à la faible charge alaire avec une hélice soufflant les gouvernes, démunis la plupart du temps de systèmes de freinage. Ces avions ne demandaient pas d’assistance pour décoller, l’accélération initiale était bonne et la longueur de piste assez faible, voire nulle [3]. En revanche, leur sensibilité aux conditions météorologiques et à l’aérologie autour du navire porteur, ainsi que leur fragilité intrinsèque étaient fortes. Leur coût unitaire était presque négligeable, la casse fréquente, pilote inclus, et considérée comme normale, d’ailleurs sans dommages pour le porte-avions.

6L’avènement du monoplan puissant et de plus en plus lourd, à la voilure plus dessinée pour la vitesse ou l’emport d’armements nombreux que pour les circuits d’appontage, a conduit à l’allongement des ponts d’envol, à l’introduction pour l’envol de systèmes accélérateurs plus ou moins évolués, et à l’apparition de freins et de barrières d’appontage.

Vought V-156-F à l’appontage sur le Béarn (mai 1940)

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Vought V-156-F à l’appontage sur le Béarn (mai 1940)

© Ardhan.

7L’apparition des avions à réaction, privés du soufflage naturel des gouvernes par l’hélice et générant une accélération initiale faible, a renforcé le besoin de vraies catapultes dont ils ne peuvent, aujourd’hui, plus se passer. Les masses des avions augmentant, ces catapultes sont devenues de plus en plus puissantes, le plus souvent par accroissement de leur longueur [4]. Il en va de même avec l’adoption quasi généralisée des ailes en flèche, même pourvues de systèmes d’hypersustentation (becs de bords d’attaque, volets de bords de fuite, soufflage de la couche limite et des volets, voire voilure à géométrie variable).

8Nous oublierons ici les hélicoptères et les avions de type STOVL (Short Take Off Vertical Landing) [5]. Ces appareils ont donné naissance à une famille de porte-avions spécifiques. La possibilité de s’affranchir des catapultes et des brins d’arrêt se paye par des limitations sur les capacités militaires : compromis entre les emports et le carburant, difficulté à ramener à bord l’armement non utilisé, nécessité d’utiliser toute la longueur du pont pour l’envol, donc limitation du format des missions et des capacités militaires des patrouilles.

« Permettre aux aéroplanes de se lancer dans les airs »

9Les premières plateformes de décollage ont été constituées de planches supportées par la volée des canons de l’artillerie principale. Les tourelles – par nature, orientables – lançaient dans le vent relatif et la longueur de « piste » était suffisante pour les chasseurs de l’époque. La récupération du pilote se faisait après amerrissage. À la fin de la Première Guerre mondiale, pratiquement tous les cuirassés anglais étaient dotés d’une ou deux plateformes de ce type… dont on imagine le sort en cas d’engagement naval avec l’artillerie principale.

10Les premiers porte-avions, souvent des anciens croiseurs de bataille refondus (classe anglaise des Glorious et l’Akaji japonais), ont été dotés de plusieurs ponts d’envols superposés permettant l’appontage sur le pont supérieur et le décollage sur les ponts inférieurs, à partir des hangars. Cette disposition a rapidement été abandonnée au profit du décollage à partir du seul pont d’envol, pratique utilisée jusqu’en 1945 [6]. Pour l’anecdote, dans certaines conditions, pour économiser les coups de catapulte, les Breguet Alizé ont décollé des Foch et Clemenceau jusqu’à leur retrait du service en 1999.

Curtiss SB2C de la Flottille 3F au catapultage sur l’Arromanches (1954)

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Curtiss SB2C de la Flottille 3F au catapultage sur l’Arromanches (1954)

© Ardhan.

11L’introduction des petits porte-avions d’escorte et, simultanément, de celle d’avions embarqués lourds, a généralisé l’adoption des catapultes tractant l’avion par l’intermédiaire d’élingues [7]. Les premières étaient à poudre, une cartouche percutée générant les gaz sous pression ou, comme les catapultes Penhoët de la Marine française entre 1926 et 1943, à air comprimé. Le lancement était brutal et les accélérations fortes. Les Britanniques ont introduit des catapultes hydrauliques sur leurs navires à partir des années 1930, celles que la Marine utilisera sur l’Arromanches[8].

12Les porte-avions d’escorte étaient équipés d’une seule catapulte courte, les porte-avions de combat généralement de deux de plus grande longueur. Les premiers Essex étaient même dotés d’une troisième catapulte transversale à l’avant du pont hangar, derniers avatars des catapultages et appontages simultanés, avant l’adoption de la piste oblique.

13C’est en 1950 qu’est inventée la catapulte à vapeur qui accompagnera l’évolution des masses à catapulter. Longueur et puissance n’ont cessé d’augmenter jusqu’à atteindre 120 mètres sur les derniers « Nimitz » et autoriser le lancement en sécurité d’avions de plus de 35 tonnes. Longtemps utilisées, les élingues ont été abandonnées au profit de la traction par la roulette de nez. Véritable brute mécanique dans son fonctionnement, la catapulte à vapeur doit son étanchéité à la discrète dilatation du métal des anneaux des cylindres qui la composent, sans cesse réchauffés par la vapeur. En finale de lancement, le bélier double de la pièce mobile qui supporte le croc vient s’arrêter dans un amortisseur à eau dont le fonctionnement résonne encore dans les oreilles des années après.

14L’avenir passe par la catapulte électromagnétique où l’accélération de l’avion est obtenue par les courants d’induction circulant entre deux rangées d’aimants. Difficiles à mettre au point en raison du très fort taux de fiabilité exigé, ces catapultes commencent à équiper la nouvelle classe dont l’USS Ford en est le prototype.

« Revenir à leur garage naturel après avoir accompli leurs besognes »

15Dans le domaine de l’appontage aussi, l’imagination a été à la barre et tout ce qui pouvait être essayé l’a été. Passons rapidement sur l’amerrissage le long du bord ou près d’un destroyer de l’escorte qui a prévalu pendant la Première Guerre mondiale. Après avoir échappé à l’accident au décollage, après avoir esquivé les coups de l’ennemi sur l’objectif comme les hangars à dirigeables Zeppelin de Tondern en juillet 1918 par exemple, le pilote devait retrouver à l’estime son navire mère ou un de ses escorteurs, se poser sur l’eau pour enfin être récupéré par une chaloupe manœuvrée aux avirons avec les risques réels de noyade ou d’hypothermie en mer du Nord.

16Chez les Britanniques, les premiers navires disposant de plateformes à l’arrière ont gréé des cordages nombreux placés longitudinalement : leur but premier était d’aider l’avion à conserver l’axe du navire. Les freins étaient constitués par des plaquettes qui pinçaient les câbles longitudinaux. Des matelots sortaient alors de leurs abris, les boulevards, pour se saisir des ailes et bloquer l’avion. Très vite avec l’augmentation des vitesses et des masses, un vrai freinage a été requis. Les cordages sont devenus transversaux et ont été munis de sacs de sables à leurs extrémités. L’avion parfois équipé d’une crosse, parfois avec son seul patin arrière, accrochait un ou plusieurs câbles et, remorquant de plus en plus de sacs, finissait par s’arrêter.

17Par la suite, des systèmes d’arrêt fondés sur les frottements mécaniques ou le laminage de fluide hydraulique, ont été perfectionnés [9]. Le nombre de ces brins d’arrêt a pu atteindre la douzaine. Initialement sur le Béarn, l’avion venant d’apponter était descendu dans le hangar puis le suivant se présentait avec un intervalle d’environ 5 minutes. C’était l’époque des petites pontées et des avions à faible consommation, donc avec possibilité d’attendre en vol. Rapidement, la nécessité de raccourcir les séquences d’appontage a conduit à utiliser l’avant du pont d’envol comme parking des avions après appontage.

18Malgré un nombre parfois impressionnant de brins d’arrêt, presque 20 sur les classe Essex de 1943, les barrières ont été inventées. Devant stopper net un avion ayant raté les brins, elles consistaient le plus souvent en un réseau de trois câbles de fort diamètre, élevé au niveau du fuselage, pour immobiliser l’avion avant qu’il n’aille percuter ses congénères sur le parking avant. Cette méthode était brutale, destructrice et l’appareil finissait fréquemment par-dessus bord une fois récupérées les pièces de rechange précieuses.

19Si les premiers avions à réaction se sont accommodés de cette sauvegarde ultime, le danger pour les pilotes était augmenté car, placés le plus souvent à l’extrême avant de leur appareil, ils n’étaient plus protégés par le gros moteur en étoile. Des barrières munies de filets ont fait leur apparition, mais le progrès capital a été l’invention de la piste oblique qui dégage le parking avant de la trajectoire d’appontage et permet au pilote mal présenté de refaire un circuit.

20Le Foch et le Clemenceau, bien que munis de deux barrières, ne s’en sont servi qu’une seule fois pour récupérer un Aquilon. Le Charles de Gaulle ne dispose pas de barrière. L’engagement de la barrière, ou barricade, est couramment mis en œuvre sur les porte-avions américains, y compris pour les aéronefs de grande taille.

21Puisque tout a été essayé, nous mentionnerons ici trois curiosités :

22• Sur le projet du PA16 Joffre de 1939, il a été envisagé, comme c’était le cas sur le Béarn, d’apponter dans les deux sens afin de moins contraindre la cinématique du porte-avions. Ce navire avait donc les brins disposés au centre du pont (9 prévus) près du point tranquille de la plateforme ce qui était vu comme favorable aux appontages. Conformément à la doctrine Béarn, un ascenseur disposé à chaque extrémité du pont devait ravaler l’avion dans le hangar avant l’appontage suivant.

23• La classe Yorktown de 1940 avait adopté cette disposition en plaçant les brins aux deux extrémités du pont d’envol, la partie centrale étant consacrée à un réseau dense de barrières d’arrêt. Chez les Américains, l’idée d’apponter par l’avant avait pour origine la volonté d’éviter qu’un impact sur une extrémité du pont ne rende le porte-avions inopérant. Elle avait conduit les architectes navals à prévoir une vitesse en arrière de 20 nœuds, spécification extrêmement sévère pour le système de propulsion.

24• L’appontage sur matelas pneumatique gonflable. La Royal Navy a testé à terre comme à bord, l’appontage avec prise de brins sans train d’atterrissage, un « de Havilland Vampire », se posant sur le ventre sur ce tapis caoutchouté largement arrosé d’eau de mer [10].

« Ce bâtiment serait une mère gigogne d’aéroplanes »

25Si nous nous sommes penchés sur l’envol et la récupération de l’avion, il convient d’ajouter que l’équipement du pont d’envol fait appel à de nombreux systèmes, tous indispensables pris séparément et tous physiquement entremêlés dans les ponts et compartiments dédiés à l’aéronautique :

26• Le déflecteur de jet, panneau rétractable dans le pont, protège personnel et avions derrière la catapulte. Certains sont refroidis par circulation d’eau de mer pour supporter le jet brûlant des tuyères au catapultage.

27• Le miroir, ou optique d’appontage, équipement gyro stabilisé qui indique l’écart par rapport au plan idéal d’appontage. Il est doublé d’un système Laser qui se réfléchit sur l’avion et dont l’image retour permet aux officiers d’appontage d’évaluer la trajectoire verticale de l’avion.

28• Un dispositif de caméras rapides, à optiques infrarouges pour la nuit, afin de suivre, tant à la passerelle qu’à la plateforme des officiers d’appontage, tous les mouvements sur le pont et l’avion en finale.

29• Un réseau de balisage du pont d’envol dont deux éléments sont primordiaux : le « lièvre », système d’allumage séquentiel de feux qui déterminent l’axe de la piste oblique et la drop line barre lumineuse verticale qui descend de l’arrondi vers la mer. Pour le pilote, de nuit, l’angle formé entre le lièvre et la drop line est un indicateur très fin de son écart latéral par rapport à l’axe. Bien aligné, le pilote doit voir les feux former une droite continue.

30• Plusieurs ascenseurs, vastes découpes dans la structure résistante du navire. Des monte-munitions pour alimenter le pont d’envol depuis les hangars ou les soutes afin de ne conserver sur le pont que le minimum de matières dangereuses et d’avions soumis aux intempéries.

31• De nombreux réseaux de fluides (carburant aviation, anti-incendie, air comprimé, électricité en différents voltages) et de transmissions doivent être partout accessibles sur le pont d’envol. Parmi ces derniers, celui qui distribue les informations requises pour l’alignement des centrales à inertie est fondamental, réseau doublé par câble et par émission infrarouge.

32Cette énumération d’équipements strictement nécessaires au fonctionnement du porte-avions laisse deviner les compromis opérationnels, le prodige d’intégration et le savoir-faire nécessaires pour, in fine, disposer d’un outil fonctionnel et performant.

33Dessiner un pont d’envol impose de positionner certains éléments dimensionnants. Une fois faits, ces choix engagent le navire pour la durée de sa vie. Ainsi, la masse des avions à catapulter jouera sur la longueur de la catapulte (50 m sur le Clemenceau, 75 m sur le Charles de Gaulle et probablement 100 ou 120 m pour son successeur). Le recouvrement en longueur entre les deux catapultes (et donc la découpe des déflecteurs de jet), la nécessité de lancer les avions avec les deux catapultes simultanément – voire trois ou quatre catapultes sur un « USS Nimitz » – dimensionnent directement la longueur et la largeur du pont d’envol.

34Catapultages et appontages simultanés confèrent des facilités opérationnelles notables. A contrario, ils induisent des contraintes de dimensionnement. Pour alimenter les catapultes au lancement des pontées, pour récupérer au plus vite les avions en retour de vol, pour basculer d’une séquence d’appontage au catapultage de la pontée suivante, une étude rigoureuse des flux de circulation et de stationnement doit valider les choix.

35Les liaisons de tous genres du pont d’envol avec les ponts inférieurs sont une donnée critique : les ascenseurs ou monte-charges (et donc, les soutes à munitions desservies) ne peuvent être positionnés n’importe où. Il est facile de comprendre que quelques choix opérationnels sur le pont d’envol conditionnent en fait l’architecture quasi complète du porte-avions. On ne s’improvise pas constructeur de porte-avions du jour au lendemain.

36Plusieurs années de travail, en commun avec les Britanniques, autour du projet franco-britannique CVF-PA2, au début du XXIe siècle, ont mis en évidence des habitudes nationales particulières. Si la France a clairement adopté, à sa mesure bien sûr, une gestion du pont d’envol à l’américaine, la culture anglaise s’est révélée assez largement divergente dans certains domaines d’agencement du pont d’envol. Au Royaume-Uni, la préférence est donnée à deux catapultes sur l’avant du pont d’envol, une à bâbord et l’autre à tribord, celle de tribord étant alimentée par la « Alaska Highway » faisant circuler les avions à tribord de l’îlot, zone où Américains et Français stockent les armements et optionnels parés à être avionnés, protégés par l’îlot, à l’abri d’un éventuel sinistre sur le pont [11]. Ces divergences comme d’autres non mentionnées ici, souvent fondamentales, parfois plus amusantes [12] ont mis du piment culturel dans la gestation de ce projet binational avorté.

37Puisqu’il est question du projet CVF/PA2, une complexité liée au choix politique de la coopération avait conduit la France à adopter le plan d’ensemble du CVF britannique. Ce bâtiment était doté d’une propulsion électrique dont l’énergie était produite par des turbo-alternateurs à partir de moteurs Diesel et de turbines à gaz. À cette époque, les catapultes électromagnétiques étaient encore dans les limbes et seules les traditionnelles catapultes à vapeur répondaient au besoin. Dans la version française du projet, faute de vapeur de propulsion, il aurait fallu implanter un réseau redondant [13] de production et de distribution de vapeur spécifique aux catapultes et embarquer un supplément notable de carburant pour les chaudières ad hoc. Ce nouveau besoin en gazole n’était pas neutre en consommation de volumes internes et en besoins de ravitaillement à la mer. En effet, pour que les catapultes soient disponibles en permanence, leurs structures – dont l’étanchéité est assurée par la dilatation du métal – doivent être réchauffées en permanence par une circulation à vapeur perdue.

38Autre domaine, invisible mais fondamental : la stabilité latérale du pont d’envol. La mise en œuvre des avions, tant pour la maintenance que pour les opérations de lancement et de récupération, ne s’accommode pas bien du roulis et de la gîte. Sur le Charles de Gaulle, des moyens importants et, pour certains, ingénieux, ont été incorporés dès la construction. La gîte, qu’elle soit durable (effet du vent ou en préparation d’un ravitaillement à la mer) ou temporaire et parfois brutale (giration à vitesse élevée ou séquence d’appontage en cours) [14] peuvent être compensées par un ballastage rapide avec des pompes à très grande vitesse et par un système astucieux de masses mobiles disposées sous le pont d’envol et qui sont déplacées pour contrer l’inclinaison du pont. Plus traditionnellement, le roulis dû à l’état de la mer est contré par des paires de stabilisateurs.

39Tous les systèmes évoqués contribuent à la fois à la performance du porte-avions et de son groupe aérien, et à la complexité de sa conception.

« Nous demandons au ministre de faire cesser l’abominable plaisanterie »

40Fruit d’une évolution continue, le porte-avions classique a trouvé depuis une cinquantaine d’années une forme stabilisée. Il a connu des périodes d’innovation, accélérées à sa naissance ou dans les années 1950 (piste oblique, miroir d’appontage, catapulte à vapeur, avions à réaction) entrecoupées de périodes de longue maturation. Les expérimentations farfelues ou dangereuses ont été écartées. Des branches parallèles de la famille sont apparues avec les porte-hélicoptères et les navires sans catapultes (STOBAR) [15] ou porteurs d’avions (STOVL) [16].

41Non seulement « l’abominable plaisanterie » n’a pas été arrêtée, mais les navires qui en sont issus sont toujours de nos jours un composant majeur des puissances maritimes. Plus que par leur capacité à amuser les plumitifs grincheux, les membres de la commission de 1910 se sont révélés particulièrement inspirés et ingénieux. Les anciens du Service central de l’aéronautique navale se souviendront avec un peu de nostalgie du cadre contenant une copie de l’article de 1910 figurant dans une coursive de l’Hôtel de la Marine, incitation quotidienne à la modestie dans les prévisions péremptoires et à l’innovation visionnaire dans les travaux de prospective.

42Cette leçon est toujours valable de nos jours.

Wibault 74 de la Flottille 7C1 sur le Béarn (1935)

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Wibault 74 de la Flottille 7C1 sur le Béarn (1935)

© Ardhan.

Notes

  • [1]
    Cette revue apparaît en 1907 et s’interrompt fin 1914 quand la censure de guerre ne lui permet plus de remplir sa mission d’information sur les sujets maritimes. Très rarement, voire jamais citée en référence, cette revue dont la notoriété est éclipsée par celle de l’autre grande publication maritime, Le Yacht, est une mine d’information sur la Marine nationale, les marines militaires du monde, sur les marines marchandes et, dans les premières années, de plaisance pour la période d’avant-guerre.
  • [2]
    Deux aspects moins évidents de cette omniprésence du vent relatif. Quand le vent naturel est fort, la récupération des avions impose au navire de naviguer à faible vitesse tout en restant manœuvrant. Quand une ligne de propulsion (turbine ou ligne d’arbres) elle-même est en avarie, les autres lignes de propulsion supportent toute la puissance demandée, ce qui n’est pas sans conséquences mécaniques sur les butées de lignes d’arbres. Ce qui a rapidement conduit à l’abandon de cette méthode
  • [3]
    Le premier avion embarqué sur des cuirassés, était gruté à l’extrémité d’une vergue en haut de mâture. Hissé moteur tournant, il était placé face au vent et brutalement lâché. La traction de l’hélice, les actions du pilote et la gravité terrestre se chargeaient de la transition entre le pendulage en bout de vergue et le vol, sous réserve que le pilote ne percute pas l’eau. Le record du vol le plus court a régulièrement été atteint.
  • [4]
    Entre 1940 et 1960, les catapultes britanniques ont vu leur longueur multipliée par 3 et leur puissance par 7.
  • [5]
    À décollage vertical ou court et posé à la verticale, le Hawker Harrier a été un franc succès, le Yak-36 Forger soviétique un vrai échec. Quant au furtif F-35B, son rayon d’action est limité par les dispositifs de sustentation, lourds et consommant des volumes internes dévolus au carburant sur d’autres versions.
  • [6]
    Tout le monde se souvient des bombardiers B-25 Mitchell décollant en 1942 du USS Hornet pour attaquer Tokyo. Dans les années 1950, des bombardiers nucléaires Neptune ont été testés au décollage avec l’aide de fusées accélératrices JATO (Jet-Assisted Take-Off). Pour compenser la vitesse insuffisante de l’Arromanches, les Seafire ont souvent utilisé les fusées d’appoint.
  • [7]
    Câble d’acier capelé sur l’avion et se glissant devant le croc de lancement.
  • [8]
    Dans la catapulte hydraulique, la détente dans un piston de l’énergie du fluide est transmise à l’avion par l’intermédiaire de tout un réseau de câbles et de poulies démultiplicatrices.
  • [9]
    Le Béarn en France a été doté en 1929 de systèmes de la maison Schneider-Fieux, s’apparentant dans leur fonctionnement aux freins à tambour des voitures.
  • [10]
    Évidemment, tous les inconvénients de manutention liée à cette méthode se retrouvaient ensuite comme la mise sur un chariot de l’avion pour circuler sur le pont. Cette expérience britannique n’a pas eu plus de descendance que celle du SNCASO « Baroudeur » à terre en France.
  • [11]
    Cette Alaska Highway permet appontages et catapultages simultanés sur un bâtiment de taille moyenne au prix d’une gestion tendue de la sécurité et de la circulation sur le pont d’envol.
  • [12]
    Comme la répartition géographique des logements à bord en fonction des grades. Les plus anciens se souviennent du local « baignoires pour officiers » situé à l’arrière de l’Arromanches, ex HMS Colossus.
  • [13]
    Deux chaudières de production de vapeur, alimentation croisée des deux catapultes par une seule chaudière.
  • [14]
    Sur le Foch et le Clemenceau, le ramassage d’une pontée de 24 avions entraînait le stationnement sur tribord de plus de 200 tonnes qui généraient une gîte d’environ 2° à la limite des normes. Avant les appontages, on engendrait par ballastage une gîte de 1° sur bâbord pour terminer la pontée avec une gîte acceptable de 1° sur tribord.
  • [15]
    Short Take Off But Arrested Recovery.
  • [16]
    Short Take Off Vertical Landing.
Français

Le porte-avions est un navire complexe mettant en œuvre des aéronefs, en ayant pour objectif de les récupérer à l’issue de la mission. En un siècle, les plateformes ont évolué, démontrant la justesse du concept, mais aussi les contraintes spécifiques propres aux milieux marin et aéronautique.

  • porte-avions
  • catapultes
  • ascenseurs
  • appontage
Jean-Marc Brûlez
Vice-amiral (2S). Pilote d’essais et commandant de flottille de Super-Étendard, officier de programme Rafale de 1994 à 1998 puis, de 2002 à 2006, responsable du programme de deuxième porte-avions, d’abord à l’EMA puis à l’EMM.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 06/05/2021
https://doi.org/10.3917/rdna.840.0088
Pour citer cet article
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