CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Au cœur de la stratégie de Naval Group, l’anticipation et l’adaptation des besoins en compétences recouvrent des enjeux majeurs pour l’avenir du Groupe et l’exécution opérationnelle des programmes. Cet enjeu est d’autant plus important qu’il s’applique à un portefeuille de compétences particulièrement large qui englobe l’ensemble du cycle de vie des navires et des systèmes d’armes.

2Le caractère unique de ces enjeux tient à la combinaison de trois facteurs : la nature de l’activité de Naval Group, le challenge du renouvellement de compétences lié aux départs en retraite et la conjonction de programmes complexes appelant des besoins en compétences de pointe.

3Naval Group conçoit, intègre, entretient et modernise des navires de combat et des systèmes d’armes comptant parmi les produits les plus complexes au monde à réaliser. Outre le défi technique, les temps de cycle industriel sont atypiques. Ils peuvent aller jusqu’à cinquante ans pour des programmes de sous-marins ou de porte-avions, dépassant largement le cycle d’une carrière professionnelle. Enfin, la réalisation de ces produits subit de fortes variations de charge, avec l’alternance de pics d’activité et de ruptures parfois durables entre deux programmes.

4Naval Group va construire deux grands programmes : porte-avions de nouvelle génération, sous-marin nucléaire de 3e génération. Les enjeux actuels en matière de recrutement, d’intégration et de développement des compétences sont sans précédent. Dans notre domaine, les compétences de pointe sont particulièrement longues à acquérir, de l’ordre de six à sept ans pour atteindre un niveau de maîtrise [1]. Le groupe a déjà recruté environ 4 500 collaborateurs durant les trois dernières années pour renouveler les compétences et gréer les programmes au niveau de capacité requis, si bien qu’un collaborateur sur trois a aujourd’hui moins de cinq ans d’ancienneté. Et l’enjeu de maintien et de transmission des compétences, adressé depuis de nombreuses années par le Groupe, est amplifié par le challenge démographique à venir. De l’ordre de 600 départs à la retraite sont prévus chaque année d’ici 2030, dont une majorité sur des compétences techniques à temps long d’acquisition.

Gestion prévisionnelle des emplois et compétences

5Adossée à un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC) solidement ancré, la stratégie d’anticipation et de maîtrise des compétences s’est considérablement amplifiée ces dernières années pour répondre aux besoins de nouveaux programmes nationaux et export.

La GPEC opérationnelle au cœur de la maîtrise des compétences

6La maîtrise des compétences du Groupe s’appuie sur un réseau de 1 220 spécialistes/experts et experts seniors dont la mission principale est de capitaliser et transmettre leurs connaissances tout en intervenant au plus près du terrain sur des faits techniques. Un dispositif propre de reconnaissance, reconduction et développement de carrière entoure ce réseau métier. Chaque année, ce réseau technique établit un bilan de criticité des domaines d’expertise technique du groupe, afin d’assurer la disponibilité d’un socle suffisant d’experts.

7Le réseau de GPEC opérationnel permet d’éclairer les managers sur les choix de maintien et de développement des compétences. Constitué de 28 responsables de spécialité groupe (RSG) et de 250 relais locaux, le réseau de GPEC opérationnel établit chaque année une cartographie des évolutions des métiers à l’horizon de cinq ans ; celle-ci intègre des préconisations sur les compétences à développer et les formations à mettre en place. Chaque RSG formule ainsi des recommandations qui sont intégrées dans la GPEC opérationnelle de chaque manager. Dans la continuité de ce dispositif, cinq « familles souveraines » recouvrant des métiers critiques pour la souveraineté nationale et pour la sécurité des navires et des personnes ont été structurées avec à leur tête des « chefs de famille » rendant compte du maintien des compétences en architecture sous-marin, systèmes aviation, propulsion nucléaire, sécurité plongée et invulnérabilité.

8Chaque année, des travaux de prospective sur l’impact des évolutions technologiques sur les métiers viennent éclairer la stratégie RH pour accompagner l’innovation et anticiper les nouveaux besoins de compétences.

La sécurisation du ramp-up des programmes

9L’appel de charge lié à la construction des sous-marins nucléaires d’attaque Barracuda, la conception et la réalisation de 12 sous-marins de classe « Attack » pour l’Australia’s Future Submarine program (AFS), des 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de 3e génération et de sous-marins océaniques se traduit par une augmentation d’activité d’environ 50 % sur les programmes sous-marins d’ici 2030.

10Le projet ramp-up vise à assurer la disponibilité des ressources nécessaires aux grands programmes, selon une vision à long terme intégrant l’entreprise étendue. Le projet se concentre en particulier sur les programmes sous-marins et porte-avions de nouvelle génération. Il assure la cohérence d’ensemble entre les directions opérationnelles et fonctionnelles, veillant à l’adéquation entre le besoin opérationnel traduit dans les plans de charge et les différents plans d’actions définis par les entités et directions.

11Afin d’assurer l’adéquation en effectifs et compétences, la direction des ressources humaines a mis en place une démarche de « strategic workforce planning » permettant de modéliser à l’horizon de dix ans les trajectoires de montée en compétences de collaborateurs selon une échelle de maturité à quatre niveaux (sensibilisation, application, maîtrise, expertise – SAME), intégrant l’évolution naturelle des effectifs et les besoins de charges des programmes. Devenu indispensable, le « strategic workforce planning » permet de projeter l’évolution des ressources de façon fine et de modéliser l’effet de différents leviers RH pour accélérer les temps d’acquisition de compétences par niveau de maturité. Il facilite également des manœuvres RH complexes telles que celle du programme AFS, qui nécessite d’anticiper des flux croisés de ressources entre l’Australie et la France, la montée en compétences de la filiale australienne et la création de viviers, avec la structuration de filières entières de formation.

Le plan d’anticipation des compétences, pivot de la feuille de route RH

12Le plan d’anticipation des compétences identifie l’ensemble des leviers à actionner parmi lesquels :

13• L’identification et la préparation de viviers permettant de gréer les programmes en compétences de haut niveau.

14• La maîtrise de seuils de compétences par métier nécessaires à l’excellence d’exécution de programmes.

15• L’anticipation des besoins en ressources intégrant le temps d’acquisition des compétences ; c’est le cas par exemple pour les métiers de fabrication de la coque afin de maintenir un vivier de collaborateurs de niveau « Maîtrise » ou « Expertise » ou pour le domaine « Études intégrateur projeteur » afin de répondre à la montée en charge importante sur les dix ans à venir.

16• Le suivi et le maintien des compétences dormantes (« la réserve »), qui peut être assorti de plans de continuité ou du développement de la polyvalence/polycompétences.

17• Le développement de nouvelles compétences, qui passe par des leviers internes tels que la mise en œuvre de passerelles métiers ou la formation, et externes, avec le développement de partenariats académiques et de recherche, le déploiement de réseaux internes/externes ou la certification des compétences par des organismes.

18• Le pilotage de la politique industrielle, qui se traduit en termes de ressources humaines par des chantiers de montée en puissance de la sous-traitance, comme pour les études de la troisième génération de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE 3G) par exemple, ou à l’inverse de réinternalisation.

Le maintien et le renouvellement des compétences

19Pour sécuriser le maintien et le renouvellement des compétences, Naval Group déploie une stratégie de formation multiforme associant des dispositifs agiles d’apprentissage terrain, la mise en place d’écoles internes et l’adaptation de l’offre de formation initiale, de concert avec les autres acteurs de la filière navale.

20Avec plus de 4 % de sa masse salariale brute investie chaque année dans la formation, Naval Group consacre plus de 70 % de son effort de formation dans les domaines techniques cœur de métier, au service de la qualité d’exécution des programmes, de la préparation de l’avenir et de l’excellence opérationnelle.

21Pour maintenir ses compétences clés dans un contexte de renouvellement de ses effectifs, Naval Group combine plusieurs leviers.

Développer l’apprentissage sur le terrain : la formation au pied du chantier

22Parmi les axes clés de la stratégie des ressources humaines figure la formation terrain, alliant agilité dans la mise en œuvre et adéquation aux besoins opérationnels, en cohérence avec une vision « entreprise étendue » :

23• Mis à disposition des opérationnels – y compris les sous-traitants – au plus proche du terrain, pour garantir la parfaite maîtrise du geste technique, les chantiers-écoles sont directement implantés au sein de l’atelier ou à proximité dans des zones modulaires aménagées et disposant de l’outillage technique reproduisant l’environnement de travail. Quatorze chantiers école sont aujourd’hui opérationnels, sur des domaines métiers à forts enjeux tels que la sécurité plongée, le nucléaire, le montage, l’usinage, la chaudronnerie ou à la manutention et plus d’une quinzaine sont en projet.

24• Pratique historique, le matelotage permet d’accompagner la montée en compétences de collaborateurs débutants par des collaborateurs plus expérimentés. L’objectif est de profiter de la compétence des plus anciens et de leur motivation à transmettre leurs savoirs pour accélérer la montée en compétences des plus jeunes. Le matelotage s’exerce en particulier dans le cadre des « vendredis à l’école » consacrés à l’apprentissage ou à la mise en pratique de gestes techniques.

25• La mise en place de parcours d’intégration sur-mesure sur les domaines métiers à forts enjeux de renouvellements vise à les rendre opérationnels plus rapidement tout en assurant une maîtrise des exigences en termes de qualité et santé sécurité. C’est le cas par exemple pour les domaines coque/soudage, industrialisation, études ou informatique produit.

Mettre en place ses propres écoles internes pour répondre à des enjeux critiques de maîtrise de compétences selon une vision intégrant l’entreprise étendue

26• Pour maîtriser la qualité d’exécution et renforcer en continu les fondamentaux métiers, six écoles de soudage ont été mises en place, permettant de former des collaborateurs et les sous-traitants.

27• Pour anticiper la montée en compétences de l’ingénierie sous-marine et plus particulièrement répondre aux besoins d’emménageurs, en amont du programme SNLE 3G, Naval Group a créé fin 2018 une formation d’intégrateurs-projeteurs à Cherbourg, devenue aujourd’hui l’école des métiers de la conception et d’industrialisation du Groupe. Les premières promotions mixant juniors Bac + 2 et seniors en reconversion ont permis de qualifier des intégrateurs-projeteurs qui emménagent des sous-marins en maquette 3D en divisant par trois le temps d’acquisition des compétences. L’école dispense aujourd’hui cinq formations sur les métiers en tension d’intégrateur-projeteur et de chargés d’études technologie, structures, systèmes fonctionnels et méthode et industrialisation. À ce jour, 85 personnes ont été formées, recrutées à plus de 90 % par Naval Group.

Amplifier l’impact de la stratégie de développement des compétences grâce à la digitalisation

28La digitalisation est devenue indispensable pour capitaliser les connaissances, accélérer la transmission des savoirs au profit de générations plus jeunes et accompagner le ramp-up des programmes export. L’ambition est de déployer une offre modulaire, à la demande, accessible à bord ou au pied des chantiers, et mobilisée en appui d’opérations de matelotage, de binômage ou des chantiers école, en France, mais aussi demain en Australie. Aujourd’hui, des parcours de formation digitaux et des tutoriels vidéos captant des gestes techniques peuvent être visionnés en bord de ligne de production, par l’opérateur ou le jeune en apprentissage pour apprendre ou (ré)apprendre et s’exercer. L’ambition est de généraliser les formations immersives, s’appuyant sur la réalité virtuelle, comme cela est déjà le cas par exemple au sein de l’école des métiers de la conception.

La stratégie RH s’inscrit dans une dynamique de filière

29Intégrant pleinement l’écosystème industriel et éducatif, la stratégie RH s’inscrit dans une dynamique de filière, en particulier pour répondre aux besoins sur les métiers en tension.

Adapter la formation initiale pour répondre aux besoins industriels : l’implication dans le Campus des industries navales (Cinav)

30Projet collaboratif rassemblant cinq régions, cinq industriels dont Naval Group, quatre ministères et trois syndicats professionnels, le Campus des industries navales (Cinav) a pour missions de renforcer l’attractivité de la filière des industriels de la mer, navaliser les formations et en labelliser le contenu.

31Un défi lorsque l’on connaît les besoins énormes de recrutement de la défense navale, notamment aux échelons ouvriers et techniciens (du brevet à Bac + 3). Depuis 2019, Naval Group joue un rôle moteur au sein du Cinav pour navaliser les formations et labelliser celles qui répondent à un cahier des charges en termes de contenu pédagogique et de mise en pratique. Depuis 2020, seize premières formations ont été labellisées et la dynamique va s’accélérer en 2021. Demain, le Cinav étendra son action au-delà des métiers de production, au numérique (cyber) et à d’autres régions littorales dont l’Occitanie et les Hauts-de-France. Naval Group s’engage à recruter à terme 90 % de ses alternants parmi les jeunes issus des formations labellisées Cinav.

S’engager en faveur de la jeunesse par une politique d’alternance ambitieuse, ciblée sur les métiers de production à forts enjeux de renouvellement de compétences

32La politique d’attractivité de Naval Group se déploie dès le collège pour sensibiliser les enseignants, les jeunes et leurs familles, se traduisant notamment par des stages de connaissance de l’entreprise pour les élèves de 3e et les enseignants. Parmi les axes clés de la stratégie d’attractivité figurent également l’intensification et la diversification des actions et des partenariats avec les écoles, en cohérence avec les enjeux de renouvellement ou d’acquisition de compétences : positionnement sur les nouveaux métiers (data, cyber, etc.) ; poursuite de l’ancrage à l’international, avec par exemple la création d’un double diplôme Double Degree Marine Engineering Masters en partenariat avec University of Adelaide et l’Ensta Bretagne ou encore la mise en place d’un Master MCO avec l’École navale ; élargissement aux écoles de techniciens…

33Naval Group accueille chaque année plus de 1 000 jeunes dans ses équipes, dont 450 nouveaux alternants en 2021, accueillis à 80 % sur des métiers de production. L’objectif est de recruter au moins la moitié des alternants sur les spécialités d’études et de production d’ici 2025.

Diversifier les viviers grâce à la reconversion, selon une logique de GPEC territoriale

34La reconversion est également un levier privilégié pour attirer sur les métiers en tension. Naval Group soutient le développement de CQPM et s’engage aussi dans des partenariats avec le secteur de la défense. C’est par exemple le cas de la coopération avec Airbus en 2020, avec la mise en place de quarante mobilités temporaires à Nantes-Indret et Cherbourg, dans une logique de gestion de compétences du secteur de la défense. À l’issue de leur mission, les collaborateurs pourront retourner à leur précédent poste ou rejoindre Naval Group.

Fidéliser les compétences en améliorant l’expérience collaborateurs

35Naval Group déploie une stratégie pour attirer les compétences nécessaires à son activité et fidéliser les collaborateurs ayant rejoint ses équipes. Le faible niveau de turn-over traduit l’efficacité des actions engagées et constitue un atout majeur pour assurer le maintien des compétences critiques. Pour améliorer l’expérience collaborateurs et renforcer la cohérence de la promesse employeur, des actions sont engagées telles que la refonte du parcours d’intégration Groupe ou encore le développement de modes de travail plus collaboratifs, grâce à la digitalisation.

Des ambitions largement partagées

36L’ambition d’anticipation et de maîtrise des compétences s’est traduite en septembre 2020, par un accord GPEC signé par les quatre organisations syndicales représentatives, fixant la feuille de route pour maintenir et développer les compétences. Dans la continuité de la stratégie engagée, il confirme les trois priorités stratégiques : développer en continu les compétences des collaborateurs et miser sur l’apprentissage en situation de travail, amplifier la transmission des savoirs des expérimentés vers la jeunesse et réussir les programmes grâce à une GPEC au plus près du terrain.

Notes

  • [1]
    Exemples de temps d’acquisition de compétences : sur les métiers de la coque, il faut environ deux ans pour savoir appliquer les fondamentaux, quatre ans (formage) pour atteindre le niveau « Maîtrise », de cinq à dix ans (soudage coque épaisse) pour atteindre le niveau « Maîtrise ».
Français

Naval Group conduit des programmes dont la durée de vie peut atteindre le demi-siècle, d’où l’importance d’anticiper et de maîtriser toutes les compétences de conception et de fabrication techniques et industrielles. La stratégie RH doit utiliser les leviers disponibles dont la formation en apprentissage au plus près du terrain.

  • Naval Group
  • GPEC
  • Cinav
  • apprentissage
Anne Domaizon
Directrice du développement RH – Naval Group.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 16/04/2021
https://doi.org/10.3917/rdna.839.0075
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