CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 On a parfois résumé les motivations russes en Crimée à la quête pluriséculaire d’un port en eau profonde avec accès aux mers chaudes. Le renforcement du dispositif russe sur cette forteresse naturelle est suffisamment significatif pour, d’une part dissuader l’Ukraine de reprendre par la force la péninsule, et d’autre part constituer un point fort dissuasif à portée des pays de l’Otan, à l’instar de l’enclave de Kaliningrad. Si les installations de Sébastopol ont assurément une haute valeur, d’autres facteurs militaires expliquent l’intérêt stratégique de la Crimée. Ils relèvent de trois domaines, où se concentrent les investissements et les efforts des pays souhaitant se doter d’outils militaires crédibles : les boucliers antimissiles, la maîtrise de l’espace aussi bien aérien qu’électromagnétique, voire maritime, et les missiles de croisières.

Un arrangement difficile après l’effondrement de l’Union soviétique

2 La présence des forces armées russes en Crimée a fait l’objet de difficiles négociations entre l’Ukraine et la Fédération de Russie lors de la dislocation de l’Union soviétique. Alors dans une position fragile, la Russie a dû accepter non seulement le maintien de la Crimée au sein de l’Ukraine désormais indépendante, mais surtout de la souveraineté de cette dernière sur la ville de Sébastopol. Ville martyre de la Seconde Guerre mondiale et quartier général de la Flotte de la mer Noire, elle jouissait à l’époque soviétique d’un statut spécial, au même titre que Moscou et Leningrad, y compris après le rattachement de la Crimée à la République socialiste soviétique d’Ukraine en 1954.

3 Un premier accord fut signé le 3 août 1992 près de Yalta, en Crimée, entre les présidents Boris Eltsine et Leonid Kravtchouk, afin de régler par étapes le sort de la Flotte de la mer Noire. Il fut suivi le 9 juin 1995 par la signature d’un accord entre Boris Eltsine et Leonid Koutchma sur le principe d’implantations séparées pour les Forces navales ukrainiennes, d’une part et pour la Flotte de la mer Noire de la Fédération de Russie, d’autre part. Sébastopol fut alors confirmée comme base principale de la Flotte russe, et les bâtiments furent partagés entre l’Ukraine (18 %) et la Russie (82 %), quelques rares unités revenant également à la Géorgie. Le 28 mai 1997, trois nouveaux accords furent signés à Kiev entre l’Ukraine et la Fédération de Russie. Ils portaient sur les termes du partage de la Flotte de la mer Noire ainsi que sur le statut et les conditions du maintien de la Flotte russe de la mer Noire en Crimée. L’Ukraine a ainsi consenti un bail de vingt ans à la Russie pour l’utilisation des infrastructures portuaires, des terrains et des baies, non seulement à Sébastopol, mais également dans le reste de la Crimée. En contrepartie, la Russie s’engageait à payer un loyer annuel de 98 millions de dollars, le bail devant s’achever en 2017 ; elle acceptait également de limiter sa présence militaire globale en Crimée à 25 000 hommes, 24 pièces d’artillerie de plus de 100 mm, 132 blindés, 161 aéronefs, dont 22 avions de combat, et à 388 embarcations de toute taille.

4 L’accord octroyait aux forces militaires russes les implantations suivantes [1] : le 31e centre d’essai (Feodasia) ; l’aérodrome de Katcha (Sébastopol) pour le 318e régiment aérien mixte ; l’aérodrome de Gvardeysky (Simferopol) pour le 43e régiment aéronaval d’attaque ; les centres de transmission implantés à Yalta et à Soudak ; et l’hôpital militaire de Crimée. L’accord prévoyait, en outre, la libre disposition de différentes baies : la baie principale de Sébastopol, permettant l’amarrage de plus de 30 navires ; la baie de Karantinaya, abritant la brigade de vedettes lance-missiles de la Flotte de la mer Noire et le centre de plongée ; la baie Kazachnaya, lieu d’implantation de la brigade d’infanterie de marine ; la baie Yuzhnaya ; et la baie Strelkovaya, où bâtiments russes et ukrainiens étaient stationnés sous contrôle russe. La Russie reçut en outre un camp d’entraînement et une part significative des munitions entreposées.

5 Enfin, le 21 avril 2010, un nouvel accord fut signé entre les présidents Dmitri Medvedev et Viktor Ianoukovitch à Kharkiv. Il prorogeait le bail initial de vingt-cinq ans jusqu’en 2042, renouvelable par tranches de cinq ans par tacite reconduction. À compter du 28 mai 2017, le loyer annuel devait être porté à 100 millions de dollars, plus un rabais de 30 % sur le prix du gaz vendu par la Russie à l’Ukraine. Cette extension était voulue par les dirigeants russes qui avaient craint, à la suite de la révolution Orange en Ukraine en 2004, que les autorités ukrainiennes ne cherchent à évincer les forces armées russes de la péninsule.

6 Au-delà de tous ces accords, les Russes n’ont jamais réellement pu se résoudre à accepter la souveraineté de l’Ukraine sur la Crimée mais, surtout, sur Sébastopol [2]. Les révolutions de couleur ont renforcé l’idée que ces accords restaient fragiles et pourraient être dénoncés en cas d’accession au pouvoir d’un gouvernement désirant se rapprocher davantage de l’Otan voire y adhérer. Jusqu’en 2008, la présence russe en Crimée était au maximum de 15 000 hommes. Depuis que l’Otan a annoncé officiellement, au Sommet de Bucarest, en avril 2008, avoir décidé que l’Ukraine et la Géorgie « deviendraient membres de l’Otan », cette présence a augmenté de façon constante, matérialisant ainsi les craintes des Russes sur la pérennité de leur présence en Crimée.

Les conséquences stratégiques de l’annexion de la Crimée en 2014

7 Les événements de 2014 et l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie ont totalement changé la donne. Les dirigeants russes ont dénoncé les Accords de Kharkiv de 2010, notamment la clause portant sur le rabais gazier, et conclu de nouveaux accords avec la « République autonome de Crimée », devenue l’un des 85 sujets de la Fédération de Russie, accords qui prévoient le déploiement de nouvelles bases et unités sur la péninsule.

8 Dès l’annexion de la Crimée, la Russie a renforcé sa présence militaire dans la péninsule et dans le port de Sébastopol. Il s’agissait dans un premier temps pour l’armée russe de s’approprier les implantations jusque-là occupées et utilisées par les forces armées ukrainiennes et d’y installer des unités russes. Ce mouvement suivait deux logiques : mettre en place une présence militaire suffisamment dissuasive pour éviter toute tentative de reprise de la Crimée par la force, et reconstituer la cohérence de la Flotte de la mer Noire, telle qu’elle existait avant 1991, en disposant cette fois de l’ensemble des installations de la péninsule et sans contraintes de volume et de puissance.

9 En plus de ces implantations, les autorités russes se sont approprié le complexe militaro-industriel (CMI) présent en Crimée, directement lié à la marine militaire. Ils ont ainsi pu prendre le contrôle de chantiers navals et de bureaux d’études jusque-là ukrainiens, mais très utiles au CMI russe (entités qui souvent travaillaient déjà à son profit). Ce point est non négligeable car il permet l’entretien et la mise en réparation de navires de guerre en Crimée, alors qu’auparavant il était nécessaire de rejoindre les infrastructures au Nord de la Russie. Enfin, selon la Russie, 9 000 Ukrainiens membres des forces armées et 7 000 civils ukrainiens de la défense auraient rejoint les forces armées russes lors de l’annexion de la Crimée ; 43 bâtiments de toutes tailles auraient été rendus par la Russie (sur les 79 bâtiments de la marine ukrainienne qui restaient en Crimée, dont 25 navires de guerre) à l’Ukraine, ainsi qu’une partie des hélicoptères et des avions [3].

10 Au-delà de ces gains terrestres, l’annexion procure à la Russie une meilleure maîtrise de l’espace aérien. Depuis le retrait des États-Unis du traité ABM (Anti-Ballistic Missile) en 2001, le dossier de la défense antimissile est une pierre d’achoppement dans les relations entre Washington et Moscou. La mise en place du bouclier antimissile en Europe, notamment le déploiement de certaines de ses composantes dans les pays d’Europe de l’Est, est vécue par Moscou comme une menace principalement dirigée contre elle et susceptible de remettre en question l’équilibre nucléaire. La réintégration de la Crimée dans le giron russe et la possibilité d’y déployer des systèmes de défense sol-air S-300, S-400 et, dans le futur, des S-500 permet donc à Moscou de marquer son territoire, de maintenir à distance, voire d’empêcher, une hypothétique extension du déploiement du bouclier américain en Europe de l’Est. Les autorités militaires russes semblaient en effet craindre que la remise en cause de la neutralité de l’Ukraine et une possible entrée dans l’Alliance atlantique pouvaient avoir pour conséquence le déploiement d’unités de l’Otan en Crimée.

Le renforcement tous azimuts de la composante aérienne

11 La composante aérienne est certainement celle qui devrait être la plus notablement renforcée, aussi bien quantitativement que qualitativement. Les modèles âgés sont progressivement remplacés par des appareils plus récents, et la composante aérienne basée en Crimée s’est dotée de composantes supplémentaires, notamment dans le domaine de l’interception. Si jusqu’en 2014 la Russie disposait de 161 aéronefs, dont 22 chasseurs autorisés, elle disposerait ou devrait disposer au total dans la péninsule d’environ 70 avions de combat de tous types, ainsi que d’un nombre important d’hélicoptères. Là où la Russie disposait de deux régiments aériens avant 2014, ce sont 5 régiments qui doivent être stationnés en Crimée. La mise en place des nouvelles unités et appareils reste cependant progressive et il est difficile de déterminer la date où le dispositif réel sera conforme aux annonces.

12 On observe une militarisation de la péninsule avec le déploiement de nombreux appareils. Avant 2014, la composante aérienne russe était essentiellement constituée du 43e régiment aéronaval d’attaque, qui était doté d’appareils de reconnaissance Su-24 et Su-24MR stationnés sur l’aérodrome de Gvardeïsky. Après l’annexion, le régiment a été déménagé sur l’aérodrome Novofedorovka à Saki, et rééquipé en partie avec des chasseurs multirôles Su-30SM (environ 18 appareils au total sont stationnés sur cet aérodrome). Le 318e régiment aérien mixte est resté sur l’aérodrome de Katcha. Il est équipé d’hydravions de patrouille Be-12, d’avions de transport An-26 et d’hélicoptères Ka-27 et Mi-8 (soit au total 31 appareils).

13 Ces deux unités ont été rejointes par la 27e division aérienne mixte, composée de 3 régiments. Implanté sur l’aérodrome de Gvardeïsky, le 37e régiment aérien mixte est composé de deux escadrilles. La première est constituée de bombardiers tactiques Su-24M (transférés du 559e régiment de bombardiers situé à Morozovsk, oblast de Rostov, rééquipé en Su-34), tandis que la deuxième dispose de Su-25SM, prélevés au 368e régiment aérien d’attaque (Boudennovsk). Il est également question d’y affecter un régiment de bombardiers Tu-22M3. Le 38e régiment aérien de chasseurs occupe, lui, la base de Belbeek qui, à l’époque soviétique, servait de base d’intercepteurs. Il est équipé de Su-27P, Su-27UB, Su-27SM et Su-30M2, des avions prélevés principalement sur les 22e et 23e régiments aériens situés en Extrême-Orient et sur le 3e régiment aérien de Krymsk ; 30 chasseurs devraient y être déployés au total, dont 6 d’instruction. Enfin, sur l’ancien aérodrome de Dzhankoï a été formé le 39e régiment d’hélicoptères, composé d’au moins 3 escadrilles d’appareils de tous types, attaque et transport (Ka-52, Mi-35M, Mi-28H, Mi-8AMT ainsi que des Mi-26).

14 Pour compléter le dispositif aérien, 2 régiments de lance-missiles antiaériens ont été déployés en Crimée et équipés de S300-PS : le 12e à Sébastopol (en lieu et place de la 74e brigade de lance-missiles antiaériens ukrainienne) et le 18e (ex-50e régiment ukrainien situé à Feodasia), implanté plus en profondeur sur la presqu’île. Ces deux régiments ont par ailleurs été équipés de systèmes antiaériens Pantsir-S. Enfin, le déploiement récent à Feodasia du S-400 vient compléter un système de défense antiaérien particulièrement conséquent et complet, comprenant ainsi toutes les composantes : missiles sol-air très courte portée (SATCP), sol-air courte portée (SACP) et sol-air moyenne portée (SAMP). Les capacités aériennes aussi bien que de défense antiaérienne ont donc été considérablement renforcées tant quantitativement que qualitativement, faisant de la Crimée un « super porte-avions » très bien défendu.

Le remplacement des unités à vocation terrestre

15 Les unités à vocation terrestre n’ont pas vu leurs effectifs croître de façon aussi importante, les unités russes venant tout simplement prendre la place laissée vacante par les forces armées ukrainiennes (notamment la composante blindée). S’il y a clairement un saut quantitatif et qualitatif des matériels dans tous les domaines, il ne semble pas qu’il y ait véritablement un phénomène d’entassement de troupes sur la péninsule, mais plutôt une volonté de mettre en place un dispositif suffisamment dissuasif et complet. Les évolutions concernent principalement les appuis, notamment l’artillerie, et visent à donner aux forces stationnées en Crimée un éventail très large de capacités.

16 Cependant, nous sommes loin des 24 pièces d’artillerie autorisées avant 2014. La seule composante à vocation terrestre russe, qui auparavant était autorisée en Crimée, était la 810e brigade d’infanterie de marine, renforcée du 1096e détachement d’artillerie antiaérien, équipé du système Ossa (ou Sa-8 Gecko, système de défense antiaérien). Elle a été depuis renforcée du 501e bataillon autonome basé à Feodasia, formé à partir des 1er et 501e bataillons d’infanterie de marine ukrainiens. Une nouvelle brigade de défense côtière, la 126e, a été créée à Perevalny sur la base de la 36e brigade mécanisée autonome ukrainienne, dont les T80-BV ont été restitués à l’Ukraine et remplacés par des T72-B3. Enfin, le 8e régiment d’artillerie, composé de canons de 152 mm MSTA-B, de lance-roquettes multiple Tornado et du système de lance-roquettes anti-char Krysantème-S, a remplacé le 406e groupe d’artillerie de la marine ukrainienne de Simferopol et posséderait plus de 60 pièces d’artillerie de tous types.

17 D’autres unités ont également été déployées : des unités de génie, de défense nucléaire bactériologique chimique (ou défense NBC, équipes chargées de détecter et de traiter ce type de risque), ainsi qu’un régiment de guerre électronique, achevant un dispositif complet disposant de toutes les composantes utiles. En dernier lieu, d’autres unités sont en cours de formation, notamment la 127e brigade autonome de reconnaissance à Sébastopol. Il est prévu de former en 2020 à Djankoï le 97e (ou 7e selon les sources) régiment de commandos, appartenant à la 7e division de parachutistes de Novorossiisk, un bataillon devant voir le jour dès 2017-2018. En attendant, des bataillons de parachutistes d’autres unités russes sont déployés par rotations. En janvier 2017, il a été confirmé qu’un bataillon commando parachutiste s’implanterait de manière permanente dans le courant de l’année et qu’il servirait d’embryon au futur régiment de 2020 [4]. Les effectifs et les matériels des unités à vocation terrestre ont donc évolué en nombre comme en qualité mais dans des proportions moindres que pour la composante aérienne, permettant d’obtenir un dispositif suffisamment complet et dissuasif.

La modernisation de la composante maritime

18 Jusqu’à l’annexion de la Crimée, la Flotte de la mer Noire avait perdu beaucoup de sa puissance et ne disposait en son sein que de rares unités modernes et significatives. Il s’agit donc principalement pour la Russie de rattraper son retard, notamment par rapport à la Turquie. Les tentatives de l’Otan de constituer une Flotte de la mer Noire autour de la Roumanie, la Bulgarie et la Turquie sont une raison supplémentaire rendant nécessaires la modernisation et le renforcement de la Flotte russe.

19 En planification, il est incontestable que la Flotte de la mer Noire fasse l’objet de la priorité sur les autres Flottes. Elle doit en effet recevoir d’ici 2020 une trentaine de bâtiments de guerre. Ce renforcement tarde cependant à se concrétiser et on constate que pour l’essentiel, ce sont plutôt des unités polyvalentes de faible ou de moyen tonnage qui devraient avant tout venir renforcer cette Flotte.

20 En effet, aucune frégate « projet 22350 » ne pourra rejoindre dans l’immédiat la Flotte, contrairement à ce qui avait pu être annoncé dans la presse russe. Sur la douzaine de frégates de ce type devant être construites, 6 seraient prévues pour la Flotte de la mer Noire, mais la date de livraison n’est pas encore connue. De la même manière, deux vedettes lance-missiles (projet 21631-Bourian équipées de missiles Kalibr), le Serpoukhov et le Zelioniy Dol, bien qu’affectés à la Flotte de la mer Noire en décembre 2015, ont rejoint en octobre 2016 la Flotte de la Baltique. L’affectation de nouvelles vedettes de ce type à la Flotte de la mer Noire ne semble pas prévue à court terme, 3 à 4 exemplaires pourraient être concernés.

21 Le renforcement le plus significatif de la Flotte de la mer Noire réside finalement dans l’affectation de frégates « projet 11356 ». Sur les 6 frégates dont la construction a été planifiée et qui semblent toutes destinées à la Flotte de la mer Noire, 3 ont réellement été lancées. L’Admiral Essen a bien rejoint la mer Noire en octobre 2016 mais a dû être mise en réparation suite à une avarie sur la ligne d’arbre. La première de la série, Admiral Grigorovich, a elle aussi rejoint effectivement la Flotte de la mer Noire (affectée à Sébastopol). Elle a notamment été déployée au large de la Syrie et a effectué des tirs réels de Kalibr, en novembre 2016. Enfin, l’Admiral Makarov est en phase d’essai en mer Baltique.

22 Le renforcement a également concerné notablement les capacités de défense côtière de la Crimée. À partir d’unités de la 11e brigade d’artillerie côtière, basée à Anapa, a été constituée la 15e brigade autonome équipée de systèmes antinavires Bastion et Bal. Ces deux systèmes de missile antinavires viennent considérablement renforcer non seulement le système de défense de la péninsule mais également la mainmise de la Russie sur la mer Noire. Les systèmes Bal ont en effet une portée de 120 à 280 km selon les missiles. Les systèmes Bastion ont eux, selon les versions, des portées allant jusqu’à 300 km. Il est à noter que les systèmes Bastion déployés à Sébastopol auraient été projetés en Syrie en novembre 2016 et devraient être remplacés, cette année, par la version la plus récente (Bastion-S).

23 * * *

24 L’intérêt stratégique de la re-militarisation de la péninsule va bien au-delà du simple entassement de troupes. L’armée russe poursuit en Crimée des objectifs qui ne peuvent pas se résumer à la constitution d’une base de départ permettant d’envahir l’Ukraine. Si un tel scénario devait se produire, il est certain que les unités basées en Crimée seraient mises à contribution, mais elles ne constitueraient assurément pas l’élément principal. Les forces projetables qui y sont placées sont en effet peu de choses au regard des 25 000 à 50 000 hommes [5] qui ont été massés au plus fort de la crise du Donbass sur la frontière terrestre entre l’Ukraine et la Russie.

25 L’annexion de la Crimée par la Russie lui a surtout permis de construire un véritable mur constitué de bulles d’A2-AD, interdisant tout franchissement non seulement de missiles balistiques mais aussi d’avions. La Russie lance ainsi un véritable défi à l’Otan, qui place la supériorité aérienne comme un postulat à tout engagement. Le taux de pertes probables en cas de confrontation directe pourrait être tel, qu’il serait suffisamment dissuasif pour prévenir toute tentative d’action aérienne contre la Russie. Dans cet ensemble, la Crimée permet de verrouiller l’espace aérien au-dessus de la mer Noire et d’assurer la continuité du dispositif du Nord (Mourmansk) vers le Sud (Lattaquié).

26 Le principe de cette bulle d’A2-AD ne s’applique pas seulement à la dimension aérienne mais également à la dimension navale. En effet, les déploiements en Crimée de systèmes antinavires Bastion placent tous navires évoluant en mer Noire sous cette menace. Sous la protection de cette bulle, la Russie peut ainsi déployer en sécurité les porteurs de systèmes Kalibr, capacité qui lui faisait jusque-là défaut. La guerre en Syrie a été pour Moscou l’occasion de faire étalage de cette capacité, et l’affectation de frégates et de vedettes lance-missiles dotées de Kalibr, ainsi que de sous-marins de classe Kilo à la Flotte de la mer Noire, n’est certainement pas un hasard.

27 La montée en puissance du dispositif en mer Noire reste cependant progressive, marquant l’impact non négligeable des sanctions et permettant de supposer que les capacités militaires de la Russie ne sont pas inépuisables.

Notes

  • [1]
    « Kakie vojska černomorskogo flota uže est’ v Krymu » [Quelles forces de la Flotte de la mer Noire sont déjà déployées en Crimée], A&F, 1er mars 2014.
  • [2]
    Emmanuelle Armandon : La Crimée entre Russie et Ukraine. Un conflit qui n’a pas eu lieu ; Bruylant, Bruxelles, 2013, p. 320 et suivantes.
  • [3]
    « Rossijskaâ armiâ v Krymu god spustâ : sil’naâ i sovremennaâ » [Les forces armées russes en Crimée un an après : forte et moderne], Ria Novosti, 13 mars 2015.
  • [4]
    « Osinoe gnezdo » [Guêpier], Lenta.ru, 16 mars 2016.
  • [5]
    « De quelles troupes dispose la Russie à la frontière ukrainienne ? », Le Monde, 3 avril 2014.
Français

Trois ans après l’annexion de la Crimée, la péninsule peut apparaître comme une forteresse sous le quasi- contrôle des forces armées de la Russie. Ce territoire, pièce maîtresse du système de défense de l’Union soviétique, semble avoir retrouvé ce rôle. Cette mainmise pose un véritable défi stratégique pour l’Otan.

English

Changes in Russian Armed Forces in the Crimea since 2014

Three years after the annexation of the Crimea, the peninsula has taken on the appearance of a fortress apparently under the control of the Russian armed forces. This territory, once a key element in the Soviet Union’s defence organisation, would seem to playing the same role once more. This stronghold is posing a real strategic challenge for NATO.

Robert Hazemann
Lieutenant-colonel. Breveté de l’École de Guerre. Attaché de Défense adjoint en Ukraine d’août 2014 à mai 2015. Diplômé de l’Inalco.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.802.0042
Pour citer cet article
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