CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 À propos de :
StefanCOLLINI, RichardWHATMORE, BrianYOUNG (ED.), Economy, Polity, and Society. British Intellectual History 1750-1950, Cambridge, Cambridge University Press, 2000,283 p.
StefanCOLLINI, RichardWHATMORE, BrianYOUNG (ED.), History, Religion, and Culture. British Intellectual History 1750-1950, Cambridge, Cambridge University Press, 2000,304 p.

2 L’histoire intellectuelle britannique, dont les travaux commencent enfin à être discutés en France, est surtout connue dans notre pays par les traductions récentes des livres de John Pocock et Quentin Skinner [1], ainsi que par des réflexions théoriques d’un maniement délicat car issues d’une tradition philosophique différente de la nôtre [2]. Ces écrits, transmis avec un retard d’une vingtaine d’années, reflètent ce qu’on appelait à l’époque de leur parution la Cambridge School. Cette expression est généralement utilisée pour désigner un ensemble assez varié d’approches selon lesquelles les textes politiques du passé, pour être correctement historicisés, doivent être remis dans le contexte de « discours » ou « langages », que caractérise une manière commune de poser certains problèmes politiques. Cette démarche générale, du point de vue de ceux qui l’ont défendue jusqu’à nos jours, s’opposerait de façon constructive d’une part aux interprétations « réductionnistes » des historiens marxistes britanniques et américains des années 1960, d’autre part aux reconstructions « téléologiques » ou « anachroniques » des philosophes et autres praticiens des sciences sociales intéressés par l’histoire de leur discipline [3]. Contextualisante sans être déterministe, conceptualisante sans être normative, la Cambridge School aurait contribué à redéfinir les rapports entre histoire et philosophie, leur permettant de mieux collaborer.

3 Pour ses critiques, au contraire, cette histoire intellectuelle ne serait en réalité qu’une réaction aux travaux de penseurs marxistes comme Raymond Williams, E.P.Thompson ou C.B. Macpherson, dans un contexte où l’étude historique des textes politiques du passé était relativement délaissée par la philosophie anglo-saxonne [4]. Cette réaction serait le fait d’un groupe de philosophes-historiens et d’historiens-philosophes dont les recherches, largement centrées sur les doctrines républicaines des XVIe-XVIIIe siècles, auraient partie liée avec la constitution d’un courant néo-républicain en philosophie politique [5]. L’expression Cambridge School, en réalité, ne ferait que signaler la redécouverte exagérément dramatisée de procédures depuis longtemps familières aux historiens. Car historiciser la pensée politique du passé, redécouvrir ses liens avec des controverses religieuses et des débats érudits aujourd’hui oubliés par la tradition philosophique, qu’est-ce donc si ce n’est faire l’histoire telle qu’elle doit être faite, et en quoi cela pourrait-il représenter une innovation méthodologique ? En revanche, la concentration exclusive sur les discours, en réduisant le contexte à sa dimension textuelle, constituerait une régression méthodologique par rapport à une tradition d’histoire socio-cultu-relle mieux implantée en Allemagne, aux États-Unis et en France.

4 Du point de vue de l’historiographie française, si éloignée du terreau particulier où il est né, il est bien difficile de réaliser tout l’intérêt de ce courant typiquement anglo-saxon, tout en le préservant des contresens et détournements qui accompagnent inévitablement la circulation des idées et des travaux [6]. Jusqu’ici, ce sont principalement les philosophes politiques qui se sont intéressés à cette Cambridge School, et ils en ont discuté les résultats et la méthode dans le cadre de leurs propres recherches [7]. S’ils ont beaucoup contribué à promouvoir certains ouvrages majeurs de ce côté de la Manche, ils en ont également orienté la lecture, et en particulier ils ont pu accréditer l’idée que l’histoire intellectuelle britannique s’adressait surtout à des philosophes soucieux d’ancrer leurs recherches historiques dans une perspective contemporaine. Du côté des historiens, l’effort de traduction intellectuelle a été dispersé et ne permet pas encore de voir clairement quel pourrait être l’intérêt pratique de cette école, ni d’en replacer les interrogations dans un contexte historiographique large [8]. En fonction des priorités de chacun, méthodologiques mais peut-être également politiques, et des sélections que l’on choisit de faire au sein de l’immense littérature à disposition, bien des images contradictoires peuvent être présentées de l’histoire intellectuelle britannique, qui sont en réalité autant de formes de protectionnisme intellectuel : tantôt des réflexions théoriques seront artificiellement isolées des questions empiriques auxquelles elles sont supposées répondre; tantôt, au contraire, des travaux empiriques seront discutés comme s’ils avaient été écrits en fonction de problématiques françaises.

5 Pour sortir de ce cercle interprétatif, c’est dans une pratique de l’histoire britannique qu’il convient de replacer les ouvrages de Pocock et Skinner désormais disponibles en français. En effet, depuis les premières publications de la Cambridge School, l’histoire intellectuelle est devenue un courant important de la recherche, qui s’est diffusé dans l’ensemble du monde anglophone [9], et dispose de chantiers variés, propres et incontestés.

6 L’important n’est pas tant que ce courant ne puisse adéquatement être attribué à la seule Université de Cambridge, mais plutôt qu’il ne se résume ni à un chantier précis (comme « l’humanisme civique » ou même la « pensée politique moderne »), ni à une « méthode » clairement formulée et qui serait à la fois originale et universellement valable. Ni théorie, ni empirie, l’histoire intellectuelle britannique doit avant tout être considérée comme une pratique de recherche collectivement menée.

DE LA CAMBRIDGE SCHOOL À LA SUSSEX SCHOOL

7 Les deux volumes dirigés par Stefan Collini, Richard Whatmore et Brian Young donnent un aperçu particulièrement révélateur de cette actualité de la recherche en histoire intellectuelle. Dans son introduction générale, Stefan Collini évoque la quelque peu confidentielle Sussex School, du nom de l’université où se forma un groupe d’historiens influencés par la Cambridge School à la fin des années soixante-dix. L’expression ne manque pas de malice. Si le temps a été inventé par Bergson pour que tout n’advienne pas simultanément, dit une plaisanterie universitaire anglaise, l’espace a pour principale fonction que tout ne se passe pas à Cambridge… Collini décrit les principales originalités de « l’École de Sussex » : le rejet de toute interprétation philosophique ou téléologique de l’histoire ( whig interpretation of history), le choix d’un certain éclectisme méthodologique à partir du moment où l’historicisation des idées est admise comme une fin en soi, une préférence pour les études empiriques plutôt que pour les programmes-manifestes. Pour autant, précise Collini, si l’École de Sussex propose « d’écouter aux portes des conversations du passé » (John Burrow) plutôt que de rechercher les « fondements » de la pensée politique « moderne » (Quentin Skinner), sa principale source d’inspiration est bien l’École de Cambridge [10].

8 Portant respectivement sur l’histoire de l’économie politique et sur l’histoire de l’histoire entre 1750 et 1950, les deux volumes préfacés par Collini présentent deux principaux intérêts. Tout d’abord, ils indiquent un élargissement de l’histoire des discours politiques desXVIe-XVIIIe siècles à d’autres thèmes et à d’autres périodes de l’histoire intellectuelle. Ensuite, ils réalisent le quasi exploit, compte tenu de la variété des thèmes traités, de produire un sentiment global de cohérence. Au premier abord, l’unité de l’ensemble paraît en effet difficile à trouver.

9 Il appartient au genre du « florilège », avec cette originalité qu’il s’agit d’un hommage couplé rendu à deux historiens à la fois, John Burrow et Donald Winch.

10 Les auteurs, semble-t-il, ne se sont pas entendus sur d’autre programme que la célébration d’amis partant à la retraite, à partir d’articles portant sur leurs thèmes de recherche respectifs. Pourtant, les deux volumes qui, nous dit-on, peuvent se lire séparément, se présentent comme la défense et illustration d’un type d’approche. C’est ce que souligne le sous-titre commun, British Intellectual History 1750-1950, qui désigne l’adhésion d’historiens fort différents à une même « famille », plutôt que la volonté de proposer une synthèse sur la question [11]. Au final, les deux volumes montrent comment opèrent une vingtaine de chercheurs face à des terrains et des problèmes de types différents. Ce qui fait la cohérence de leur approche n’est pas une même méthode répétée d’article en article, mais plutôt un esprit commun et un même « tour de main ».

11 À partir des Lumières écossaises, et en particulier d’Adam Smith, la pensée politique britannique s’est en partie réorientée autour de deux nouveaux langages, deux nouvelles manières de comprendre la modernité : l’économie politique, et l’histoire des stades de civilisation (ou théorie « stadiale » de l’histoire).

12 C’est de ces deux langages qu’il est question ici et, de façon appropriée, deux tableaux de Turner illustrent chacun des volumes. Dido Building Carthage, or The Rise of the Carthaginian Empire date de 1815. Ordonnée par une division du travail dont Turner connaissait bien le mécanisme, la foule, au pied des palais et des temples en construction, est occupée à charger les navires, à lire les cartes, et à poser les bases de sa grandeur commerciale. Au-dessus d’elle, dans un ciel matinal et sans profondeur, est imprimé le premier titre, Economy, Polity and Society. L’autre tableau, The Decline of Carthage, date de 1817. La nuit tombe, et en attendant la catastrophe imminente les personnages tournent le dos au rivage.

13 Dans le ciel ocre, apparaît le second titre, History, Religion, and Culture. Ces deux tableaux de Turner posent clairement la problématique. Pour comprendre la nature d’une société commerciale comme la leur, les Britanniques se posèrent plusieurs questions. Une puissance commerciale est-elle, doit-elle être régie par les lois de l’économie politique ? Au contraire, son devenir historique n’est-il pas guidé par la logique des cycles et des catastrophes ? Enfin, est-elle condamnée ou justifiée par la morale carthaginoise d’une « nation de boutiquiers »?

14 Observer deux peintures, plutôt que de se tourner d’emblée vers des textes dont l’histoire des idées a d’ores et déjà fixé le cadre interprétatif, nous fait entrer de plain pied dans la démarche propre de l’histoire intellectuelle britannique, qui consiste à partir des interrogations d’une société sur elle-même pour en éclairer les œuvres [12]. Cette démarche peut se décrire en fonction de trois de ses caractéristiques principales : son effort pour construire un corpus de sources, l’originalité de sa méthode pour situer synchroniquement des « discours » dans des contextes idéologiques particuliers, enfin son étude diachronique des ancrages idéologiques successifs de ces discours.

LA CONSTRUCTION DES SOURCES DE L’HISTOIRE INTELLECTUELLE

15 La façon dont on écrit l’histoire dépend toujours dans une certaine mesure de la manière dont les sources se « présentent » à l’historien.

16 Centralisées ou dispersées, publiques ou privées, plus ou moins bien classées par les archivistes, elles sont dans leur matérialité même le produit d’une histoire nationale qui conduit souvent à poser les problèmes différemment d’un pays à l’autre. En Grande-Bretagne, où la tradition de la biographie intellectuelle est restée particulièrement forte, l’historien dispose d’un nombre impressionnant d’éditions critiques d’œuvres philosophiques ou littéraires [13]. Un aspect souvent ignoré de l’École de Cambridge, dont on discute souvent les positions théoriques sans se préoccuper de leurs origines concrètes et matérielles, est l’ampleur du travail préliminaire sur les textes pour en faire des sources historiques à part entière plutôt que des monuments culturels. Ce travail présente deux facettes : tout d’abord, une critique érudite des textes, ensuite une réflexion sur leur transmission jusqu’à notre époque.

La critique érudite des sources

17 Si l’École de Cambridge est surtout connue pour s’être inspirée de la philosophie analytique anglo-saxonne, le renouveau de l’histoire intellectuelle en Grande-Bretagne provient d’abord et avant tout de l’histoire des textes. Au milieu des années cinquante, Peter Laslett, le célèbre historien de Trinity College récemment disparu, montra que Les deux traités du gouvernement civil de Locke dataient de 1679 et non des lendemains de la Révolution de 1688.

18 Cette démonstration, en ouvrant une brèche dans l’interprétation traditionnelle qui tenait pour admis que Locke se voulait l’idéologue de la monarchie mixte « à l’anglaise », devait constituer l’acte fondateur d’une nouvelle école d’histoire de la pensée politique. Plus tard, John Pocock présenta une édition du Commonwealth of Oceana de James Harrington qui permettait de relire toute l’histoire de la pensée politique britannique moderne en fonction du paradigme de « l’humanisme civique ». Cette fois-ci, c’est l’analyse sémantique qui était privilégiée, à partir d’une comparaison du texte d’Harrington avec ceux de Machiavel. Dans ces deux cas, c’est la critique érudite des sources qui avait permis de déconstuire tout un système interprétatif fondé sur une vision implicite et non démontrée de l’enchaînement des causes. Par son caractère positif, cette critique externe et interne est le préliminaire indispensable à toute ambition démonstrative en histoire intellectuelle.

19 L’article de David Lieberman sur Bentham dans Economy, Polity, and Society est un bon exemple de cette construction méthodique de la « preuve », où l’interprétation des textes se fonde d’abord sur une bonne connaissance de leur histoire [14]. Depuis Élie Halévy, Leslie Stephen et A.V. Dicey, la circularité des débats sur l’utilitarisme de Bentham découlait avant tout de la mauvaise connaissance qu’on avait de ses manuscrits et de leur chronologie. Le patient travail d’édition critique des œuvres complètes de Bentham mené à l’University College de Londres permet aujourd’hui de relancer ces débats sur des bases nouvelles. David Lieberman s’appuie sur ces travaux érudits pour montrer que, contrairement à ce que décrivait la tradition ouverte par Élie Halévy, la pensée juridique de Bentham ne se fonde pas sur la même anthropologie que son économie politique, celle d’un economic man rationnel. À partir notamment du Constitutional Code édité en 1993, il montre que l’utilitariste anglais, dans sa science de la jurisprudence, raisonne à partir d’une théorie de la nature humaine proche de celle de Hume, et d’une conception optimiste du rôle de l’imprimé dans une démocratie.

20 L’histoire méthodique des textes ne peut pourtant pas tout, et bien vite l’interprétation reprend ses droits, et avec elle la capacité de l’historien à accumuler un maximum de citations pour appuyer son point de vue. Dans le même volume, l’article de Phillipson, qui cherche à montrer l’importance pour Adam Smith de la philosophie du langage de Condillac, repose par exemple sur quelques hypothèses plausibles mais non démontrables concernant les lectures de ce dernier durant ses années à Balliol College, Oxford, entre 1740 et 1746. L’essentiel de sa démonstration s’appuie donc plus classiquement sur la relecture de textes déjà bien connus, ainsi que sur le rapprochement de citations qui font « voir » au lecteur la présence d’une philosophie du langage là où on n’avait jamais pensé à la chercher, du fait d’un cadre interprétatif hérité qui limitait le questionnaire [15].

De l’histoire des textes à celle de leurs interprétations

21 Ce cadre interprétatif hérité est le second objet du travail de « construction des sources ». Parce que l’ambition des historiens britanniques est avant tout, comme le dit Quentin Skinner, de « souligner l’historicité de (… ) l’histoire intellectuelle » [16], la sélection d’un corpus impose d’emblée une réflexion sur le processus de canonisation de certains auteurs par rapport à d’autres, aspect majeur de l’histoire des interprétations. Ce processus, tout en limitant le nombre de textes susceptibles d’être sélectionnés par l’historien, oriente également notre manière de les comprendre, comme c’est le cas de Machiavel et son « machiavélisme », Malthus et son « malthusianisme », ou du prétendu « darwinisme social » des historiens victoriens [17]. Il est donc un objet d’histoire intellectuelle à part entière, en même temps qu’il fait obstacle à sa mise en pratique.

22 Dans Economy, Polity, and Society, c’est l’économie politique écossaise du XVIIIe siècle qui est soumise à ce travail de déconstruction. Les économistes allemands de la fin du XIXe siècle avaient déjà identifié, avant Donald Winch, ce qu’ils appelaient das Adam Smith Problem : à un moment donné de l’histoire, le projet du philosophe écossais de fonder une « science du législateur » fondée sur une théorie morale et incorporant une science de l’éducation autant que des richesses, fut effacé derrière l’image d’un Adam Smith « père fondateur » de l’économie. Richard F. Teichgraeber III offre ici un exemple de cette approche réflexive de l’histoire intellectuelle qui éclaire l’histoire des œuvres par celle de leurs interprétations. Le moment clé, selon lui, se situe une génération après la première publication de La Richesse des Nations, au moment de la Révolution française. Pour les « radicaux », qui s’alignaient derrière les révolutionnaires et leur conception extensive de la liberté, l’autorité symbolique du philosophe écossais représentait une arme puissante en cette époque d’essor massif de l’imprimé. L’année de la déclaration de guerre à la France, en 1793, au Parlement, le Marquis de Lansdowne opposait à Pitt le Jeune que les prétendus « principes français » trouvaient en réalité leur origine en Grande-Bretagne : « les nouveaux principes de gouvernement, fondés sur l’abolition de l’ancien système féodal (… ) [découlent de l’enseignement d’] Adam Smith, dans son ouvrage sur la Richesse des Nations » [18]. Mais à cette date, le travail de séparation entre les idées progressistes en économie d’une part, le radicalisme politique et social d’autre part, avait déjà porté ses fruits. La même année, la publication du Account of the Life and Writings of Adam Smith par Dugald Stewart contribuait à l’ancrer solidement dans le camp des réformateurs modérés. Le processus de canonisation, comme l’explique Teichgraeber, était rendu d’autant plus dramatique que la notoriété de Smith arrivait à un moment où la culture de l’imprimé prenait tout son essor. Onze éditions successives en trente ans, dans ce contexte où les réformateurs modérés cherchaient à isoler « l’économiste » chez Smith, suffirent à donner à La Richesse des nations le statut de livre fondateur d’une tradition nouvelle.

23 Tout ce travail d’érudition et de réflexion sur les textes afin d’en faire des sources d’histoire intellectuelle permet (en même temps qu’il oriente) la deuxième phase de la recherche, qui consiste à replacer ces textes dans des contextes.

LES DIFFÉRENTES MANIÈRES DE CONTEXTUALISER

24 « Contextualiser » ou « historiciser » peut signifier plusieurs choses différentes selon les enjeux historiographiques et la nature des sources sélectionnées. On parle souvent, à propos de l’École de Cambridge, de contextualism. On se plaît à opposer les différentes formalisations théoriques de ce contextualisme, et à évoquer les « discours » de Pocock, les « langages normatifs » ou les « intentions » de Skinner, sans toujours insister sur ce que ces différentes formulations théoriques doivent à leur ancrage dans une recherche particulière [19]. La contextualisation, souvent présentée comme une « méthode », présente en réalité de multiples formes en fonction des sujets abordés, des époques historiques, mais aussi de ce que l’on cherche à démontrer.

25 À Cambridge, dans les années 1960, la philosophie analytique héritière de Russell, Whitehead et Wittgenstein tournait le dos à l’histoire. Pour Quentin Skinner, travaillant à cet endroit précis, à ce moment précis, un enjeu important était de réintroduire l’étude des textes de philosophie politique du passé qu’avaient abandonnée les philosophes : tâche qui revenait naturellement à l’histoire [20]. Une manière possible d’abolir la frontière entre les théories anglosaxonnes du langage et l’histoire de la philosophie revenait par exemple à comprendre l’utilisation qu’un auteur comme Machiavel faisait des conventions littéraires du discours politique de l’Italie de la Renaissance, en particulier celle des « Miroirs des princes » [21]. Cela supposait de reconstruire les « intentions » d’un auteur, que le texte lui-même ne suffit pas à expliquer.

26 Skinner faisait bien là œuvre d’historien, puisqu’il replaçait l’étude des théories dans le contexte de leurs idéologies, en partant du présupposé qu’une convention littéraire contient tout un langage normatif qui « légitime tout en décrivant » [22]. Dans la foulée, il devenait possible de rompre avec l’histoire politique « sans les idées » telle qu’on la pratiquait au Royaume-Uni depuis Sir Lewis Namier. Pocock quant à lui a fait sa carrière en dehors de Cambridge, et il s’est concentré sur des paradigmes discursifs plutôt que sur des énoncés particuliers.

27 Là encore, il est important de se demander pourquoi. Pour cet historien d’origine néo-zélandaise, l’étude du discours de « l’humanisme civique », passant, après sa naissance en Italie, de l’Angleterre du milieu du XVIIe siècle à l’Amérique du Nord de la fin du XVIIIe siècle, servait à élargir considérablement le sens du mot British dans l’expression British history[23]. Avec l’étude complète de ce discours et de ses transferts, Pocock montrait qu’on pouvait réécrire toute l’histoire britannique depuis ses marges atlantiques, voire océaniques : les discours politiques, en voyageant d’un continent à l’autre, fournissaient un contexte langagier commun à toute la communauté anglo-saxonne [24]. Chez Pocock comme chez Skinner, l’effort de conceptualisation dépasse bien sûr de beaucoup leur cadre d’investigation spécifique ainsi que leurs préoccupations personnelles ou institutionnelles. Mais, à tort ou à raison, il tend à devenir un mot d’ordre plutôt qu’une méthodologie précise pour les historiens qui s’intéressent à des sociétés différentes ou à des discours spécifiques comme l’économie politique ou l’histoire. Stefan Collini insiste sur ce point dans son introduction, où il rappelle que la proximité d’auteurs comme Winch et Burrow avec l’École de Cambridge s’accompagna toujours d’éclectisme théorique [25]. Le problème n’est pas tant d’avoir une méthode que d’avoir une méthode adaptée à ce que l’on veut prouver.

28 Deux exemples tirés de Economy, Polity, and Society permettent de le voir clairement. Alors que le premier se situe dans la lignée de Pocock en montrant l’importance des contextes discursifs, le second illustre plutôt l’intérêt d’historiens comme Skinner pour l’étude des conventions littéraires; mais à chaque fois le choix de la méthode est dicté par les besoins concrets de la démonstration.

29 Richard Whatmore souligne pour commencer la difficulté dans laquelle se trouvent les historiens britanniques pour comprendre le radicalisme républicain d’un auteur comme Thomas Paine. Il est en effet difficile de voir ce dernier autrement que comme une exception inclassable, alors qu’il semble ne pouvoir entrer de manière satisfaisante dans aucune des traditions que distingue l’histoire intellectuelle, comme le libéralisme, l’humanisme civique néo-harringtonien, le discours du Commonwealth ou la philosophie des droits naturels. Même la redécouverte d’un républicanisme britannique au XVIIIe siècle ne fait guère avancer les choses, puisque ce dernier était plus théorique que pratique, et ne supposait pas que la solution républicaine pût être envisageable à l’échelle d’une société commerciale européenne. Pour Whatmore, le problème vient avant tout de ce que les historiens n’ont pas assez cherché quel contexte discursif précis permettrait d’éclairer les idées de Paine. Lui-même spécialiste des rapports entre économie politique et pensée républicaine en France à l’époque de Jean-Baptiste Say, Whatmore propose de traverser la Manche et de replacer la pensée de Paine dans le contexte intellectuel de la Révolution française. C’est l’association entre l’idée républicaine et une économie politique égalitariste inspirée de Condorcet qui permit à Paine de développer une position consciemment dirigée contre celle de Sieyès. Whatmore s’appuie sur une étude minutieuse des échanges entre Paine et ses interlocuteurs français pour montrer, dans un style plutôt « pocockien », que c’est bien à Paris qu’il faut chercher le contexte des idées du radical anglais, et sortir ce dernier de son image d’exception inclassable [26].

30 Pour Jane Garnett au contraire, l’étude des conventions rhétoriques du discours économique s’avère plus utile pour réévaluer la contribution d’un auteur comme Ruskin aux débats économiques de son époque. Son objet est d’expliquer pourquoi l’économie politique de la fin de l’époque victorienne continua à se désintéresser de l’étude de la sphère domestique, alors qu’elle était stimulée dans tout le reste de l’Europe par les écrits de Laveleye ou Le Play, et que l’intérêt des Victoriens pour l’antiquité grecque et en particulier pour l’Oikonomia de Xénophon en fournissait la possibilité théorique. La façon dont Ruskin tenta d’introduire, principalement dans sa présentation de la traduction anglaise de Xénophon de 1876, une nouvelle vision de l’économie à travers l’étude de la household, dans laquelle les rapports économiques ne peuvent se séparer des rapports sociaux consistait, à la manière des philosophes grecs, à explorer des métaphores. Les rapports entre Isomache et sa femme, ou la description de l’oikos impérial du roi perse Cyrus, permettaient selon Ruskin une meilleure compréhension des principes de l’économie que l’étude détaillée des aspects « mineurs et accidentels » du commerce qui remplissaient les écrits de John Stuart Mill.

31 Mais, comme le montre Garnett, la métaphore de la household, parce qu’elle impliquait de repenser le rôle de la femme dans la sphère économique, ne pouvait s’introduire dans une rhétorique qui postulait la nécessité scientifique d’étudier la richesse pour elle-même et de distinguer cette étude de tout réformisme ou philanthropisme. Surtout, un langage philosophique d’inspiration grecque ne pouvait trouver d’écho auprès d’économistes déjà très attachés à leurs conventions langagières propres [27].

32 Comme on le voit à travers ces deux exemples, le recours aux « discours » de Pocock, ou aux « langages normatifs » de Skinner ne sont jamais que des outils librement utilisés pour répondre à un questionnaire empirique dont la définition se fait indépendamment. À partir du moment où la réflexion méthodologique fournit à l’historien suffisamment d’outils maniables, dès lors l’enjeu consiste à définir des chantiers pertinents qui permettront de mener un travail collectif.

La réhabilitation du contexte religieux de l’histoire intellectuelle

33 L’un des grands chantiers actuels de l’histoire intellectuelle britannique, particulièrement bien mis en valeur dans History, Religion, and Culture, consiste à remettre l’histoire religieuse au centre de tout effort d’historicisation des discours, en réaction à la tendance de l’histoire des sciences humaines de considérer la religion comme intrinsèquement étrangère à son objet. Si la pensée politique moderne en général, et les sciences humaines en particulier, sont bien les héritières du projet de séculariser la pensée sur l’homme, alors l’histoire que cette forme de rationalité moderne peut faire d’elle-même est toujours fondée sur l’oubli de la religion [28]. Cet horizon paraît d’autant plus indépassable que cette même rationalité a dès l’origine pour vocation de remplacer la pensée religieuse en offrant des explications séculaires de chaque domaine de l’activité humaine (y compris, évidemment, le domaine religieux). Toute archéologie d’un espace de rationalité sécularisé se fixe ainsi à elle-même cette condition de possibilité, l’occultation de ce qu’elle est censée remplacer.

34 John Dunn avait fait un pas important dans cette direction dans son ouvrage sur Locke, où il relisait les écrits politiques du philosophe à la lumière de son calvinisme. Pour cet autre représentant de l’École de Cambridge, il s’agissait, contre la philosophie politique et l’histoire marxiste nord-améri-caines de la fin des années soixante, de replacer les Deux traités du gouvernement dans le contexte religieux de la Crise de l’Exclusion de 1679-1681 [29]. L’intérêt consistait ici à montrer comment un même texte, à la manière des peintures anciennes auxquelles on restitue leurs couleurs primitives, peut prendre un sens radicalement différent lorsqu’on l’explique à la lumière de débats qui ont perdu depuis longtemps toute « actualité ». De nombreux chercheurs l’ont suivi dans cette direction. Ainsi, Boyd Hilton, à travers une étude de l’univers mental économico-religieux des hommes politiques tory de la première moitié du XIXe siècle, a expliqué le succès de l’économie politique ricardienne par l’importance d’une morale évangélique centrée sur la responsabilité individuelle [30]. Dans Economy, Polity, and Society, Norman Vance poursuit ce travail, qui a permis de mieux comprendre quelle spiritualité sous-tendait la New Poor Law de 1834, en revenant sur le cas de Richard Whately [31]. Pour ce dernier, économiste au Trinity College de Dublin à l’époque de la famine de la pomme de terre, et homme d’Église, l’économie politique devait se concevoir comme une branche de la morale chrétienne.

35 La même démarche est appliquée dans History, Religion, and Culture à propos de l’historiographie du siècle englobant la Révolution française. Brian Young concentre sa réflexion sur l’hindouisme, thème majeur de l’historiographie britannique [32]. Les écrits historiques sur l’Inde de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle peuvent là encore se lire du point de vue de l’histoire de l’histoire, ou, à la manière d’Edward Saïd, du point de vue de l’histoire culturelle des représentations de l’Autre [33]. Mais le type d’histoire intellectuelle dont il est question ici privilégie une approche sensiblement différente. Young concentre son attention sur ce qui était à l’époque perçu comme l’enjeu principal des débats : la question de la coexistence du christianisme anglican avec d’autres formes de piété perçues comme imparfaites, et la question de la politique impériale britannique en Inde.

36 Aucun des historiens étudiés n’est allé en Inde; et seuls les philosophes écossais de l’Edinburgh Review s’interrogent, à l’image de Robertson, sur les conditions philosophiques et empiriques d’une véritable compréhension de la religion hindoue. Ce qui oriente les visions de la société de castes, de la spiritualité hindoue ou du fameux lingam, à partir du moment où ce sont plus ou moins les mêmes informations qui circulent entre tous les auteurs, c’est ce qui se passe en Grande-Bretagne : l’impeachment de Warren Hastings en 1788 et surtout, à plus long terme, l’évolution des rapports de force autour du catholicisme ou de l’athéisme, les débats sur la Révolution française et son modèle de civilisation sans christianisme. Ce sont ces questions qui contribuent le mieux à expliquer les différences entre les historiens britanniques de l’Inde au début du XIXe siècle. Young s’attache également à définir la nature du consensus qui caractérise chaque époque et crée une complicité entre des écrivains aussi divers que Robertson, Burke, Logan ou Maurice. Tandis que ces derniers suivent dans l’ensemble le « Scottish Orientalism » de l’Edinburgh Review, favorable à l’hindouisme, le renouveau évangélique et baptiste des années 1800 replace la réforme morale au premier plan des préoccupations : cette fois-ci ce sont des auteurs comme Claudius Buchanan ou William Ward qui donnent le ton, à travers une violente condamnation de la religion orientale qui influence même un utilitariste comme James Mill.

37 On voit bien toute l’originalité de ce recentrage. L’histoire de l’histoire, appliquée aux textes qu’étudie Young, se concentrerait sur le rôle modeste accordé à l’érudition et à la vérification des sources. L’histoire de l’anthropologie y verrait une étape dans la constitution d’une méthode de connaissance (ou méconnaissance) des autres civilisations, et s’intéresserait particulièrement à la construction d’une vision négative de l’hindouisme destinée à justifier l’impérialisme britannique du XIXe siècle. Sans chercher à se substituer à elles, l’étude du contexte intellectuel anglais des années 1790-1820 montre que la véritable dynamique de ces évolutions du discours historique sur l’Inde est religieuse, et interne au christianisme britannique.

Pocock et Gibbon

38 L’article de John Pocock portant sur « Gibbon and the primitive church » nous offre la possibilité de constater, en revenant maintenant sur le travail du « maître », que nous y retrouvons la plupart des thèmes mentionnés jusqu’ici :
travail critique sur les textes pour en faire des sources, recherche méthodique de contextes discursifs, réhabilitation du contexte religieux [34].

39 Gibbon, qui séjourna à Lausanne et à Paris, est traditionnellement vu comme un homme des Lumières exilé en terre anglaise, « a philosophe in exile ».

40 Cette vision, pour Pocock, règle un sort trop rapide à la question de l’existence de lumières spécifiquement « anglaises ». L’enjeu est plutôt de comprendre comment Gibbon s’insère dans plusieurs contextes à la fois, et comment il parvient à produire une œuvre qui les reflète tous. Pocock part – et c’est révélateur – d’un problème philologique : pourquoi Gibbon, dans son Decline and Fall of the Roman Empire ( 1776), ne mentionne-t-il le christianisme qu’aux chapitres 15 et 16, avec le Concile de Nicée, alors qu’il affirme par ailleurs qu’il existe un lien entre le déclin de Rome et l’essor de la religion chrétienne ?

41 Étrange choix de la part de celui qui raconte avoir eu l’idée de son grand œuvre en marchant dans les ruines du Capitole, alors qu’il entendait chanter les Vêpres depuis le temple de Jupiter. L’explication la plus évidente de cette organisation déroutante des chapitres – celle d’ailleurs qui fut donnée par nombre de contemporains – était que Gibbon évitait de la sorte d’appliquer sa méthode historique de recherche de causes séculaires à une période de l’histoire du christianisme qui appartenait au registre de l’histoire sacrée. C’est à partir de ce présupposé que se déroule toute l’interprétation traditionnelle. Le projet historiographique de Gibbon se placerait dans la continuité immédiate des Lumières françaises. C’est bien sûr le Continent que ce dernier avait adopté l’idéal d’érudition et de recherche des « causes secondaires » qui devait le caractériser comme historien. En outre, si l’histoire des Lumières, celle de Voltaire, Hume ou Robertson, avait également pour but philosophique de décrire et d’expliquer le passage d’une société ecclésiastique à une société civile, Diderot avait lui-même conçu en 1763 le projet d’une histoire ecclésiastique, préalable indispensable à la mise en place d’une religion civile par les Philosophes. Gibbon, en entamant son récit dans la Rome antique, s’inscrivait par conséquent dans une démarche comparable.

42 Mais c’est là, nous dit Pocock, une historicisation incomplète qui conduit à des conclusions erronées. Sa démonstration, pour le lecteur français, n’est pas sans évoquer certains passages de Lucien Febvre sur « l’incroyance » de Rabelais.

43 Car Gibbon, qui avait décidé d’écrire désormais dans sa langue natale, ne fut pas « éclairé » aux seules Lumières françaises, et il ne reprenait à son compte qu’une petite partie du projet des philosophes parisiens. En milieu anglais, une critique radicale de la religion chrétienne à la manière française, même de façon implicite, aurait été inintelligible, « unnecessary » et « counter-productive ». La fameuse ironie des chapitres 15 et 16 ne pouvait donc pas être voltairienne. La démarche des Lumières anglaises consistait au contraire à prendre au sérieux la théologie et, à la manière des Rational Dissenters, à critiquer en théologiens les Trente-Neuf Articles du credo anglican et la doctrine de LaTrinité, tout en poussant l’Église anglicane à une tolérance de plus en plus grande. Pour Gibbon, annonçant en cela Burke, une religion tolérante était préférable à une religion civile toujours susceptible de conduire au fanatisme.

44 Pocock, à ce stade, ne cherche plus à expliquer les raisons pour lesquelles Gibbon n’introduit le christianisme qu’aux chapitres 15 et 16 de son Decline and Fall : la question des intentions précises de l’auteur, chère à Skinner, ne peut trouver de réponse en l’absence de sources. L’intérêt réside pour lui dans l’analyse des débats qu’activa de façon quasi automatique un tel texte dans le milieu intellectuel anglais [35]. Pour les théologiens lecteurs de Gibbon, l’enjeu crucial concernait la possibilité des miracles. Le scepticisme apparent de l’auteur pouvait s’interpréter comme une forme cachée de déisme – mais un déisme anglais, associé au nom de Middleton, lequel n’était d’ailleurs pas totalement inadmissible en ce milieu protestant où l’on acceptait que les miracles aient cessé de se réaliser à partir d’une certaine époque de l’histoire. Pour répondre au sceptique, plusieurs stratégies furent opposées à l’historien anglais. L’une consistait à comprendre la diffusion même du christianisme en milieu païen comme un miracle. Une autre, plus élaborée car laissant tout l’espace nécessaire à la méthode historique de Gibbon, était providentialiste : le Créateur aurait simplement disposé les âmes et les esprits de manière à pouvoir recevoir plus aisément le message chrétien. Comme le souligne Pocock (s’opposant en cela à une interprétation stricte de la démarche de Skinner), Gibbon n’était peut-être pas lui-même conscient de toutes les implications théologiques de son histoire. L’important, en définitive, est de constater que tout cet espace des possibles interprétatifs se mit effectivement en place à la parution du Decline and Fall.

45 En défendant l’idée paradoxale de « Lumières anglaises », cet article n’a pas pour seul intérêt de contribuer à renouveler la compréhension historique des Lumières au sein des cultures nationales du XVIIIe siècle. Il montre aussi comment un problème empirique d’histoire intellectuelle conduit à une réflexion de méthode. Certains auteurs ou certains textes ne sauraient se comprendre en référence à un seul contexte ou à une seule idéologie. Dans certaines situations – c’est ici le cas de Gibbon en 1776, mais nous avons vu que ce ne sera plus celui de Paine en 1792 – le problème consiste non pas à déterminer laquelle de ces idéologies l’emporte en dernière instance, mais de quelle manière particulière elles se combinent. Là se trouve non seulement la principale condition de possibilité d’une configuration intellectuelle particulière, mais aussi toute l’originalité de la démarche de l’historien par rapport à celle du généalogiste des formes littéraires ou des formes de pensée.

UNE HISTOIRE IDÉOLOGIQUE DES THÉORIES SCIENTIFIQUES

46 Tous ces exemples montrent bien que l’étude des contextes de discours comme l’économie politique ou comme l’historicisme écossais, en réaction à l’histoire des disciplines, revient à ancrer leur signification dans un milieu et une époque particulière, caractérisés par une ou plusieurs idéologies qui les nourrissent. Géographie intellectuelle, cette démarche permet de voir que les discours « voyagent », mais aussi que les frontières qu’ils traversent ont une réalité qui se paye au prix de réinterprétations profondes. Histoire intellectuelle, elle envisage le passage de frontières temporelles entre les époques historiques et révèle, en moyenne ou en longue durée, comment les discours créent des solutions de continuité entre des idéologies et des contextes très différents. Pocock avait bien montré le rapport entre discours et idéologies dans Le Moment machiavélien. Chez Machiavel, à Florence au début du XVIe siècle, l’idéal de l’humanisme civique consistait à fonder la légitimité politique sur une virtú, différente de la vertu chrétienne, définie comme pratique active de la citoyenneté par une élite de propriétaires fonciers. Si l’on trouve un idéal comparable à celui de Machiavel chez James Harrington, dans l’Angleterre de 1656, ou chez Thomas Jefferson, dans l’Amérique de 1776, celui-ci prend des formes différentes en fonction du contexte en question.

47 En risquant un regard synthétique sur les deux volumes on voit comment plusieurs idéologies cohabitent, après 1750, autour de langages comme l’économie politique ou l’histoire, et comment ces idéologies évoluent ou sont remplacées d’une époque à l’autre. Les Lumières écossaises correspondent au premier moment envisagé. Pour les auteurs de Wealth and Virtue, en 1983, la philosophie écossaise du XVIIIe siècle mettait en jeu les deux principaux paradigmes explorés par l’École de Cambridge pour expliquer la pensée politique moderne : l’humanisme civique d’une part, la jurisprudence civile d’autre part [36]. Si les philosophes écossais « inventent » le langage des stades successifs de développement historique, c’est d’abord pour souligner les limites du modèle du patriotisme civique et de la « vertu » dans une société devenue commerciale; mais c’est aussi, avec une économie politique qu’Adam Smith définit comme « science du législateur », pour offrir un fondement solide aux règles de la justice et aux droits. Économie et histoire, chez les Écossais, paraissaient ainsi surgir des tiraillements conceptuels entre commerce, virtus et ius. En 2000, soit dix-sept ans plus tard, les auteurs de Economy, Polity, and Society insistent quant à eux sur l’unité de la pensée écossaise plutôt que sur les tensions qui la traversent, et sur la spécificité du discourse of the North plutôt que sur le pouvoir explicatif de discours allogènes. À partir d’un examen de l’influence de Bernard Mandeville sur Adam Smith, des conceptions écossaises de la liberté, ou du rôle de la théorie du langage dans la conception smithienne de la nature humaine, l’accent est mis sur la cohérence qui relie entre eux un effort philosophique de compréhension de la morale et de la politique autour d’une observation empirique de l’homme en société, une philosophie historique attentive à l’évolution des sociétés vers un stade de civilisation commerciale et de mœurs pacifiques, et enfin une économie politique qui n’a pas de notion d’un economic man qui ne soit pas en même temps moral et polite[37].

48 Élargissant le champ d’observation à l’Angleterre et à l’Irlande aux lendemains de la Révolution française, les auteurs décrivent alors la « scotticisation » de la pensée britannique. Économie politique et théorie stadiale de l’histoire sont transférés vers l’Angleterre où les intellectuels Whigs deviennent tous de fervents lecteurs de l’Edinburgh Review à partir de 1802. Mais cette « scotticisation » est en même temps une « anglicisation »: comme on l’a déjà vu, l’économie politique de Smith, dans le Londres des années 1790, est séparée de son enveloppe écossaise et récupérée par le conservatisme de Pitt [38]. Au même moment, elle devient la science abstraite et théorique de Ricardo et s’acclimate à l’utilitarisme de Bentham et James Mill. Enfin, le passage des Lumières écossaises à une Angleterre en plein renouveau religieux impose de nombreuses adaptations.

49 Alors que l’économie politique doit maintenant s’accommoder d’une spiritualité « évangélique » qui justifie la New Poor Law de 1834, l’histoire stadiale des philosophes écossais devient la vision whig de l’histoire, celle-là même qui permet à Macaulay de célébrer la grandeur anglaise et de justifier la politique impériale en Inde [39]. Jusqu’à la fin de la période victorienne, ce ne sont pas seulement l’histoire et l’économie, mais également toute entreprise intellectuelle qui est marquée de religion. C’est le cas de la critique littéraire des auteurs de la Quarterly Review, qui suit de près les préoccupations de l’Église anglicane [40], mais aussi, à l’autre bout du champ intellectuel, de la science médicale dont pratiquement chaque courant est animé par une vision différente de la providence comme le montre Boyd Hilton [41].

50 Les articles de Peter Mandler et de Julia Stapleton montrent comment ces deux discours s’adaptent à un nationalisme anglais, dernière idéologie étudiée ici, qui s’impose en force à partir de la fin du XIXe siècle même s’il s’écarte du paradigme racial des nationalismes continentaux [42]. Ce qui permet cette dernière particularité du nationalisme anglais, selon Mandler, c’est précisément la force du discours historique whig étudié par John Burrow, qui s’enrichit désormais d’un évolutionnisme social post-darwinien et présente l’Angleterre comme la plus élaborée des sociétés modernes. L’économie politique n’est malheureusement pas traitée systématiquement par ces auteurs, hormis quelques remarques de Stapleton sur l’historien économiste George Unwin, mais on sait par ailleurs toute la place accordée par Alfred Marshall à ce paradigme évolutionniste dans son système économique [43]. Par ailleurs, le nationalisme est l’un des seuls thèmes abordés pour la période postérieure à 1850, qui est donc nettement négligée. Il aurait pourtant été intéressant d’étudier dans la même perspective bien des aspects de l’idéologie victorienne : ainsi, les langages de l’altruism et du character que Stefan Collini a finement décrits dans un autre ouvrage [44]. Avec l’étude des enveloppes idéologiques de disciplines comme l’économie ou l’histoire, on admettra cependant qu’un chantier nouveau est ouvert, qui consiste à étudier comment des théories prolongent leur existence en dehors de la sphère scientifique.

CONCEPTS ET CONTEXTES À L’ÉPREUVE

51 On a tenté de voir ici, à partir de la lecture d’un ouvrage récent, comment des historiens britanniques influencés par l’École de Cambridge pratiquent l’histoire intellectuelle. Ce point de vue particulier, rompant avec les habitudes acquises, a permis de montrer combien l’image d’une histoire intellectuelle britannique dominée par des questions théoriques, et pour laquelle l’historicisation serait avant tout une manière de poser des problèmes philosophiques, est erronée ou pour le moins simpliste. L’expression même d’« École de Sussex », discutée par Stefan Collini, suffit à signaler la complexité et la diversité d’un domaine de recherche au sein duquel nombreux sont ceux qui abordent l’histoire de la pensée politique en historiens plutôt qu’en politologues ou en philosophes, sans rompre pour autant avec les idées directrices de l’École de Cambridge.

52 Si la pratique qui vient d’être décrite découle bien du projet d’une histoire historique de la pensée, on peut dès lors regretter que le débat sur la prétendue « École de Cambridge » se limite souvent à un dialogue avec la philosophie post-structuraliste française ou avec l’herméneutique allemande, interdisant par avance toute discussion vraiment internationale d’historiens sur les objets et les méthodes de l’histoire intellectuelle [45]. Ne serait-il pas plus productif de comparer un texte méthodologique comme le premier chapitre de Vertu, commerce et histoire de John Pocock avec les exhortations d’un Lucien Febvre en faveur d’une histoire historique de la littérature, ou les réflexions d’un Pierre Bourdieu sur l’étude des champs intellectuels [46] ? Le problème que soulève Pocock à propos de la religion de Gibbon présente, comme on l’a déjà souligné, plus d’un point commun avec les réflexions de Febvre sur Rabelais : alors que l’un pose la question de l’incroyance au XVIe siècle, l’autre se demande si un Anglais pouvait avoir la religion de Diderot vers 1776. Mais là où l’historien français parle de « mentalités », Pocock choisit d’analyser des « discours »:
innovation essentielle et la plus caractéristique de ce courant historiographique anglophone.

53 L’exemple de l’économie politique telle qu’elle est traitée dans le volume Economy, Polity and Society met particulièrement bien en valeur l’originalité et les limites de l’approche britannique, par rapport à une histoire sociale de l’économie comme profession ou comme champ, ou encore par rapport à l’histoire des sciences en général et celle des sciences humaines en particulier [47]. Plutôt que de retracer à la manière de Schumpeter les progrès de « l’analyse économique » [48], les historiens britanniques étudient l’économie comme une modalité possible du discours politique. Alors que l’histoire d’une discipline scientifique revient à comparer sans cesse les concepts de la science présente aux concepts de la science passée, et à reproduire finalement une interprétation whig ou téléologique de l’histoire [49], on privilégie ici d’autres outils : déconstruction du panthéon de la discipline en jumelant l’histoire des interprétations à celles des œuvres, contextualisation au sein de « discours », étude d’auteurs considérés a posteriori comme « secondaires », comme Whately ou Ruskin. Ces outils permettent de compléter et de mettre en perspective l’histoire de l’analyse économique. Plutôt qu’une étude de la permanence et de l’évolution de la structure même des discours [50], les historiens de Economy, Polity, and Society proposent une histoire des arrimages idéologiques de théories qu’ils ne souhaitent pas étudier pour elles-mêmes. Si l’économie politique revêt une telle importance dans le discours politique des Britanniques du XIXe siècle, si elle paraît si centrale dans leur vision du monde, c’est d’abord, selon Boyd Hilton, travaillant sur les traces de Max Weber, du fait de son armature théologique, et surtout de la puissance des représentations « évangéliques » pour lesquelles l’homo economicus est d’abord un protestant frappé par le pêché originel et sur le chemin de la rédemption.

54 D’autres parti-pris méthodologiques, une culture théorique différente, plus ouverte par exemple à l’histoire et à la sociologie des sciences, auraient peut-être suggéré d’autres manières d’historiciser les théories économiques du passé. Les auteurs de Economy, Polity, and Society ne tentent pas d’entrer dans le processus de conceptualisation lui-même afin de proposer, comme le fait par exemple Jean-Claude Perrot, une « histoire concrète de l’abstraction » économique qui viendrait concurrencer l’histoire abstraite des économistes [51]. Pas plus qu’ils ne s’inspirent de l’histoire des sciences, ils ne tentent, comme cela deviendrait probablement nécessaire à partir du moment où la discipline se professionnalise à la fin du XIXe siècle, de rattacher leur histoire intellectuelle à une sociologie des intellectuels. Cette dernière a pourtant prouvé ses résultats, sur le terrain même de Pocock, par exemple lorsque l’historien australien John Gascoigne a montré comment l’idée de « Lumières anglaises » pouvait être validée par une étude des clientèles whigs entre Londres et Cambridge, qui permirent, après 1688, la « sainte alliance » entre une théologie « latitudarienne » et une philosophie naturelle newtonienne [52]. D’une façon générale, l’absence de discussion sérieuse des mérites et des limites de l’histoire sociale des intellectuels ou des idées dans ses différentes formes ne peut manquer de frapper le lecteur français, mais aussi allemand ou américain [53]. Pour Melvin Richter, soucieux de favoriser l’internationalisation du débat historique, il n’y aurait là que l’héritage contingent d’une histoire particulière des rapports entre histoire, philosophie et sciences sociales en Grande-Bretagne, où l’histoire sociale n’a jamais bénéficié de soutiens institutionnels comparables à ceux dont elle dispose dans d’autres pays [54]. Il est d’ailleurs important de souligner que cette histoire intellectuelle britanique n’est pas sans rappeler la Begriffsgeschichte allemande lorsqu’elle est amenée à montrer comment les idées, en changeant d’ancrage idéologique, passent d’un groupe social à un autre : Boyd Hilton a montré l’émergence d’une économie politique « évangélique » inspirée de Malthus et Ricardo chez les classes moyennes provinciales et les élites politiques tory au début du XIXe siècle [55], et John Burrow a accompli un travail comparable en étudiant les liens entre la théorie stadiale de l’histoire écossaise et l’idéologie whig anglaise à l’époque victorienne [56].

55 Prétendre que le projet des historiens intellectuels britanniques représente un « retour en arrière » historiographique, voire un « retour des émigrés » qui n’auraient rien oublié ni rien appris de l’histoire sociale de la culture et des milieux intellectuels, découle d’une incompréhension profonde [57]. L’histoire de la pensée politique britannique, loin de se résumer à une Cambridge School souvent fantasmée et dont on risque de mal saisir les enjeux si on la sépare artificiellement de la Sussex School de Burrow, Collini et Winch, ne constitue en aucune manière un retour à l’histoire traditionnelle des idées. Adaptée à divers terrains de recherche et pouvant être combinée à d’autres approches, elle offre des outils de grande valeur pour une histoire sociale des discours participant du renouveau de l’histoire intellectuelle.

Je tiens à remercier Christophe Charle, Stefan Collini, Emmanuelle Hériard-Dubreuil, Philippe Minard, Camilla Rhodes et Gareth Stedman Jones pour leur aide lors de la préparation de ce texte.

Notes

  • [1]
    John G.A. POCOCK, Le Moment machiavélien [ 1975], Paris, PUF, 1997 (trad. L. Borot); Vertu, Commerce et histoire [ 1985], Paris, PUF, 1998 (trad. H. Aji); L’Ancienne Constitution et le droit féodal [ 1957,2e éd. 1987], Paris, PUF, 2000 (trad. S. Reurgoat, M. Vignaux). Quentin SKINNER, Machiavel [ 1981], Paris, Seuil, 1989 (trad. M. Plon); La liberté avant le libéralisme, Paris, Seuil, 2000 (trad. M. Zagha); Les fondements de la pensée politique moderne [ 1978], Paris, Albin Michel, 2001 (trad. J. Grossman, J.-Y. Pouilloux).
  • [2]
    Voir en particulier James TULLY (éd.), Meaning and Context : Quentin Skinner and his Critics, Cambridge, Polity Press, 1988; Jacques GUILHAUMOU, « L’histoire des concepts : le contexte historique en débat (note critique)», Annales HSS, 56/3, mai-juin 2001, p. 685-698, et la préface de Jean-Fabien Spitz à John G.A. POCOCK, Le Moment…, op. cit., p. V-XLV.
  • [3]
    Pour un exemple de présentation synthétique de la Cambridge School par l’un de ses représentants : Richard TUCK, « The History of Political Thought » in Peter BURKE, New Perspectives in Historical Writing, Cambridge, Polity Press, 1991, p. 193-205. Sur les rapports entre marxisme et histoire intellectuelle : Dennis DWORKIN, Cultural Marxism in Postwar Britain : History, the New Left, and the Origins of Cultural Studies, Durham, N.C., Duke University Press, 1997. Sur le contexte philosophique : Melvin RICHTER, « Reconstructing the History of Political Languages : Pocock, Skinner, and the Geschichtliche Grundbegriffe», History and Theory, vol. 29,1990, p. 38-70, et du même auteur, The History of Political and Social Concepts : A Critical Introduction, Oxford, Oxford University Press, 1995. En ligne
  • [4]
    Sur les rapports avec l’histoire marxiste, voir en particulier John DUNN, The Political Thought of John Locke. An Historical Account of the Argument of the ‘Two Treatises of Government’, Cambridge, Cambridge University Press (désormais CUP), 1980, écrit contre C.B. MACPHERSON; Quentin SKINNER, « The idea of a cultural lexikon », Essays in Criticism, vol. 29,1979, p. 205-224, contre Raymond WILLIAMS; Istvan HONT et Michael IGNATIEFF (ed.), Wealth and Virtue, Cambridge, CUP, 1983, contre E.P. THOMPSON (la réponse de ce dernier est reproduite in Customs in Common, Londres, Merlin Press, 1991). Sur le contexte philosophique de la Cambridge School, voir Melvin RICHTER, art. cit., p. 51-53.
  • [5]
    Pour un exemple, pris au sein d’une littérature extrêmement large, de mise en relation des recherches historiques de l’École de Cambridge avec la philosophie politique contemporaine, voir James HANKINS (ed.), Renaissance Civic Humanism. Reappraisals and Reflections, Cambridge, CUP, 2000, p. 1-13.
  • [6]
    Pierre BOURDIEU, « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », Romanistische Zeitschrift fur Literaturgeschichte, 14-1/2, Heidelberg, 1990, p. 1-10.
  • [7]
    On peut mentionner, entre autres, Yves-Charles ZARKA, et en particulier son débat avec Quentin Skinner dans Le Débat, n° 96,1997, p. 92-107, ainsi que Jean-Fabien SPITZ, « Comment lire les textes politiques du passé ? Le programme méthodologique de Quentin Skinner », Droits. Revue français de théorie juridique, 1989,10, p. 133-145; Id., La liberté politique. Essai de généalogie conceptuelle, Paris, PUF, 1995, p. 142-177, ainsi que sa préface à J. POCOCK, Le moment…, op. cit., p. V-XLV. Les travaux des historiens de l’École de Cambridge ont d’abord animé le débat républicain aux États-Unis, avant d’alimenter celui de plusieurs autres pays européens dont la France.
  • [8]
    J. GUILHAUMOU, art. cit., discute les thèses d’un ouvrage récent consacré à la théorie de l’histoire intellectuelle. Il est également question de l’École de Cambridge dans plusieurs des contributions à François-Joseph RUGGIU, Isabelle LESCENT-GILES (éd.), Histoires d’Outre-Manche, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2001.
  • [9]
    Les auteurs de l’ouvrage discuté ici, loin d’être tous associés à l’Université de Cambridge, enseignent à Oxford, Londres, Brighton, Durham, Édinburgh, ainsi qu’aux États-Unis et au Canada.
  • [10]
    Stefan COLLINI, « General Introduction » in S. COLLINI, R. WHATMORE et B. YOUNG (ed.), Economy…, op. cit., p. 13-15.
  • [11]
    Stefan COLLINI, art. cit., p. 19.
  • [12]
    Comme le rappelle Stefan COLLINI, art. cit., p. 2-3, l’histoire intellectuelle britannique s’oppose à la fois à l’histoire des idées qui sépare ces dernières du contexte dans lequel elles prennent sens, et à l’histoire des disciplines qui effectue la même opération à propos de problèmes théoriques définis a posteriori et dont elle étudie la généalogie.
  • [13]
    Sur ce point, voir les remarques de Stefan COLLINI, English Pasts. Essays in History and Culture, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 119-230.
  • [14]
    David LIEBERMAN, « Economy and polity in Bentham’s science of legislation » in S. COLLINI et al., Economy…, op. cit., p. 107-134.
  • [15]
    Nicholas PHILLIPSON, « Language, sociability, and history : some reflections on the foundations of Adam Smith’s science of man » in S. COLLINI et al., Economy…, op. cit., p. 70-84.
  • [16]
    Quentin SKINNER, « The rise of, challenge to and prospects for a Collingwoodian approach to the history of political thought » in Dario CASTIGLIONE et Ian HAMPSHER -MONK, The History of Political Thought in National Context, Cambridge, CUP, 2001, p. 176.
  • [17]
    Q. SKINNER, Machiavel, op. cit.; Donald WINCH, Malthus, Oxford, Oxford University Press, 1987; John BURROW, A Liberal Descent. Victorian Historians and the English Past, Cambridge. CUP, 1981.
  • [18]
    Richard F. TEICHGRAEBER III, « Adam Smith and tradition : the Wealth of Nations before Malthus », in S. COLLINI et al., Economy…, op. cit., p. 93.
  • [19]
    Un exemple de discussion purement théorique de la méthode est donné par l’ouvrage de Mark Bevir commenté par J. GUILHAUMOU, art. cit., p. 693-698. Manquer de voir le lien entre la « théorie » de l’histoire intellectuelle, et son « empirie », fait subir une double déformation à la description historiographique. Tout d’abord, elle risque de faire penser que l’opposition de ce que Bevir appelle les « contextes » de Pocock et les « conventions » de Skinner peut avoir un sens pour le chercheur en dehors de la discussion de cas précis. Ensuite, contrairement à ce que ce genre de présentation pourrait faire penser, la pratique habituelle des historiens anglais (Collini, Burrow et Winch en sont autant d’exemples) n’est pas de présenter leur pratique de l’histoire intellectuelle sous la forme d’une théorie systématique.
  • [20]
    Sur ce point, voir M. RICHTER, art. cit., p. 51-52.
  • [21]
    Pour une présentation synthétique de sa démarche appliquée au cas de Hobbes, voir J. GUILHAUMOU, art. cit., p. 589-593.
  • [22]
    Q. SKINNER, Les fondements…, op. cit., p. 11.
  • [23]
    Sur l’humanisme civique, voir principalement Le Moment machiavélien. Sur la redefinition de l’histoire britannique, voir J.G.A. POCOCK, « British history : a plea for a new subject », Journal of Modern History, 47,1975, p. 601-628 et Id., The Limits and Divisions of British History, Glasgow, Centre for the Study of Public Policy, University of Strathclyde, 1978.
  • [24]
    Voir également Cesare VASOLI, « The Machiavellian Moment : A Grand Ideological Synthesis », Journal of Modern History, 49,1977, p. 661-670, qui dénonce les présupposés politiques de la synthèse pocockienne.
  • [25]
    S. COLLINI, « General introduction », in S. COLLINI et al., op. cit., p. 14-15.
  • [26]
    Richard WHATMORE, «“A gigantic manliness”: Paine’s republicanism in the 1790s » in S. COLLINI et al., Economy…, op. cit., p. 135-157.
  • [27]
    Jane GARNETT, « Political and domestic economy in Victorian social thought : Ruskin and Xenophon » in S. COLLINI et al., Economy…, op. cit., p. 205-223.
  • [28]
    John DUNN, « From applied theology to social analysis : the break between John Locke and the Scottish Enlightenment » in I. HONT et M. IGNATIEFF, Wealth…, op. cit., p. 119-136.
  • [29]
    La crise de l’Exclusion, entre 1679 et 1681, résultait d’une tentative pour exclure le catholique Jacques, duc d’York et futur roi, de la succession à la couronne.
  • [30]
    Boyd HILTON, The Age of Atonement : The Influence of Evangelicalism on Social and Economic Thought, 1785-1865, Oxford, Clarendon Press, 1988.
  • [31]
    Norman VANCE, « Improving Ireland : Richard Whately, theology, and political economy » in S. COLLINI et al., Economy…, op. cit., p. 181-202.
  • [32]
    Brian YOUNG, «“The Lust of Empire and Religious Hate”: Christianity, history, and India, 1790-1820 » in S. COLLINI et al., History…, op. cit., p. 91-111.
  • [33]
    Edward SAID, Orientalism :Western Conceptions of the Orient, New York, Pantheon, 1978.
  • [34]
    S. COLLINI et al., History…, op. cit., p. 48-68.
  • [35]
    Comme le rappelle J. GUILHAUMOU, pour Pocock « la signification d’un texte dérive d’un paradigme discursif », art. cit. p. 687.
  • [36]
    Pour une explication détaillée de ces concepts, voir les contributions de John POCOCK et Donald WINCH dans Istvan HONT et Michael IGNATIEFF (ed.), Wealth and Virtue, Cambridge, CUP, 1983.
  • [37]
    E. J. HUNDERT, « Sociability and self-love in the theatre of moral sentiments : Mandeville to Adam Smith »; Dario CASTIGLIONE, «“That noble disquiet”: meanings of liberty in the discourse of the North »; Nicholas PHILLIPSON, « Language, sociability, and history : some reflections on the foundations of Adam Smith’s science of man » in S. COLLINI et al., Economy…, op. cit., p. 31-47, p. 48-69 et p. 70-84 respectivement.
  • [38]
    Richard F. TEICHGRAEBER III, art. cit.
  • [39]
    Brian YOUNG, art. cit.
  • [40]
    William THOMAS, « Religion and politics in the Quarterly Review, 1809-1853 » in S. COLLINI et al., History…, op. cit., p. 136-155.
  • [41]
    Boyd HILTON, « The politics of anatomy and an anatomy of politics c. 1825-1850 » in S. COLLINI et al., History…, op. cit., p. 179-197.
  • [42]
    Peter MANDLER, «“Race” and “nation” in mid-Victorian thought », et Julia STAPLETON, « Political thought and national identity in Britain, 1850-1950 », in S. COLLINI et al., History…, op. cit., p. 224-244 et p. 245-269 respectivement.
  • [43]
    Talcott PARSONS, « Wants and Activities in Marshall », Quarterly Journal of Economics, n° 46, 1931, p. 101-140.
  • [44]
    Stefan COLLINI, Public Moralists. Political Thought and Intellectual Life in Britain 1850-1930, Oxford, Clarendon Press, 1991.
  • [45]
    Ainsi Quentin SKINNER, dans « The rise of challenge… », art. cit., p. 175-188, évoque « the continuing French passion for post-structuralist and especially deconstructionist methodologies » et oppose son approche à celles de Jacques Derrida et Paul Ricœur, mais n’évoque pas le travail des historiens et sociologues français de la vie intellectuelle.
  • [46]
    John POCOCK, op. cit.; Lucien FEBVRE, Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, [ 1953] 1992, p. 264; Pierre BOURDIEU, Les Règles de l’Art, Paris, Seuil, 1992.
  • [47]
    Richard S. HOWEY, A Bibliography of General Histories of Economics 1692-1975, Lawrence (Kansas), The Regents Press of Kansas, 1982.
  • [48]
    Pour un exemple classique de ce type approche : Joseph A. SCHUMPETER, Histoire de l’analyse économique, Paris, Gallimard, [ 1954] 1983.
  • [49]
    Stefan COLLINI, Donald WINCH & John BURROW, That Noble Science of Politics, Cambridge, CUP, 1983, p. 5.
  • [50]
    Voir par exemple J.G.A. POCOCK, Vertu…, op. cit., chapitre 1, §7.
  • [51]
    Jean-Claude PERROT, Une histoire intellectuelle de l’économie politique, Paris, Éditions de l’EHESS, 1992.
  • [52]
    John GASCOIGNE, Cambridge in the Age of the Enlightenment. Science, Religion and Politics from the Restoration to the French Revolution, Cambridge, CUP, 1989.
  • [53]
    La sociologie des professions aux États-Unis, l’approche de Pierre Bourdieu en termes de champs en France, ou la Begriffsgeschichte de Reinhart Koselleck en Allemagne sont autant de méthodes qui sont ignorées par les historiens intellectuels britanniques. Melvin Richter, se limitant il est vrai au cas allemand, montre pourtant qu’il n’existe aucune impossibilité à combiner ces approches, The History…, op. cit. Pour une critique de l’absence d’histoire sociale des intellectuels en Grande-Bretagne, voir Geoffrey CROSSICK, « La Bourgeoisie britannique au XIXe siècle », Annales HSS, 53/6,1998, p. 1114.
  • [54]
    M. RICHTER, art. cit., p. 53, pour une comparaison entre Cambridge et Heidelberg après 1945.
  • [55]
    B. HILTON, The Age…, op. cit.
  • [56]
    John BURROW, A Liberal Descent, op. cit. Il est vrai que ce travail n’est pas considéré à Cambridge comme relevant de l’histoire sociale, mais c’est en grande partie parce que l’histoire de ce terme est différente en Angleterre de ce qu’elle est en France. Sur ce thème, voir par exemple les remarques de Gérard NOIRIEL, État, nation et immigration, Paris, Belin, 2001, p. 30 sq.
  • [57]
    J’emprunte cette comparaison à Jeremy JENNINGS «“Le retour des émigrés”? The study of the history of political ideas in contempory France », in Daris CASTIGLIONE, Ian HAMPSHER -MONK, The History of Political Thought in National Context, Cambridge, Cambridge UP, 2001, p. 209.
Français

Julien VINCENT Concepts et contextes de l’histoire intellectuelle britannique: l’«École de Cambridge» à l’épreuve La reconnaissance tardive de la préten~due «École de Cambridge» en France est pour une bonne part le produit d’un malen~tendu. Si philosophes et politologues français ont raison de souligner l’apport théorique de John Pocock ou Quentin Skinner,ceci ne sau~rait dispenser de reconnaître leur impact sur la recherche historique. Cette lecture des tra~vaux de plusieurs auteurs influencés par l’«École de Cambridge» (et assimilés pour certains d’entre eux à la moins célèbre mais plus historique «École de Sussex» de Collini, Burrow et Winch) permet de mettre en valeur l’originalité et la richesse de l’histoire intel~lectuelle britannique.

Julien Vincent
Julien VINCENT Université de Paris-I Panthéon-Sorbonne et Institut d’Histoire Moderne et Contemporaine (UMR 8066 CNRS) ENS, 45 rue d’Ulm 75005 Paris.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Belin © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...