CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Wiemer & Trachte GmbH c/ Zhan Oved Tadzher

2Le litige au principal et les questions préjudicielles

313. Wiemer & Trachte est une société à responsabilité limitée dont le siège se situe à Dortmund (Allemagne). Par une décision du 10 mai 2004, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie) a ordonné l’inscription au registre du commerce bulgare d’une succursale de Wiemer & Trachte en Bulgarie.

414. Par une ordonnance du 3 avril 2007, l’Amtsgericht Dortmund (tribunal de district de Dortmund, Allemagne) a, dans le cadre de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité visant Wiemer & Trachte, désigné un syndic provisoire et a décidé que les actes de disposition de cette société ne produiraient d’effet qu’avec l’accord de ce syndic. Cette première ordonnance a fait l’objet d’une inscription au registre du commerce allemand le 4 avril 2007. Par une deuxième ordonnance, rendue le 21 mai 2007, et inscrite à ce registre le 24 mai 2007, ce tribunal a imposé à Wiemer & Trachte une interdiction générale de disposer de ses biens. Par une troisième ordonnance, rendue le 1er juin 2007 par ledit tribunal, le patrimoine de la société a été soumis à une procédure d’insolvabilité. Cette troisième ordonnance a fait l’objet d’une inscription audit registre le 5 juin 2007.

515. Les 18 et 20 avril 2007, des montants, respectivement, de 2 149,30 € et de 40 000 € ont été virés depuis le compte de Wiemer & Trachte auprès de la banque Obedinena Balgarska banka AD, par l’intermédiaire du gérant de la succursale bulgare de Wiemer & Trachte, vers un compte au nom de M. Tadzher, au titre, respectivement, d’une « déclaration de frais de voyage » et d’une « avance pour des dépenses professionnelles ».

616. Wiemer & Trachte a dès lors saisi le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) d’une action dirigée contre M. Tadzher, en faisant valoir que ces transactions bancaires étaient dépourvues d’effet dans la mesure où elles étaient intervenues après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité. Elle demandait la restitution des montants mentionnés au point 15 du présent arrêt, majorés d’intérêts légaux, dans la masse d’insolvabilité.

717. M. Tadzher a soutenu que le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) était incompétent pour examiner l’affaire au principal et que le montant correspondant à l’avance pour dépenses professionnelles, n’ayant pas été utilisé, avait été reversé à Wiemer & Trachte le 25 avril 2007.

818. L’exception d’incompétence a été rejetée par le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) ainsi que, en appel, par l’Apelativen sad (cour d’appel, Bulgarie). Par une ordonnance du 28 janvier 2013, le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie) a considéré que le pourvoi en cassation formé contre l’ordonnance rendue par l’Apelativen sad (cour d’appel) n’était pas recevable et que cette ordonnance, qui reconnaissait la compétence du Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) pour trancher l’affaire sur le fond, avait force de chose jugée.

919. Cette dernière juridiction a accueilli, sur le fond, le recours introduit par Wiemer & Trachte. M. Tadzher a interjeté appel de cette décision. Le 26 juillet 2016, l’Apelativen sad (cour d’appel) a annulé ladite décision et a rejeté la demande de restitution des montants mentionnés au point 15 du présent arrêt comme étant non fondée et non étayée par des preuves.

1020. Wiemer & Trachte s’est donc pourvue en cassation devant le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) contre l’arrêt de l’Apelativen sad (cour d’appel), en soutenant que l’article 24 du règlement n° 1346/2000 n’était pas applicable au litige au principal et que, dès lors, M. Tadzher ne pouvait prétendre avoir ignoré l’ouverture de la procédure d’insolvabilité visant Wiemer & Trachte.

1121. Dans ces circonstances, le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

12« 1) Convient-il d’interpréter l’article 3, § 1, du [règlement n° 1346/2000] en ce sens que la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte pour statuer sur une action révocatoire fondée sur l’insolvabilité et dirigée contre un défendeur ayant son siège statutaire ou son domicile dans un autre État membre est une compétence exclusive, ou bien le syndic peut-il introduire une action révocatoire devant une juridiction dans l’État membre sur le territoire duquel est situé le siège statutaire ou le domicile de la partie défenderesse dans l’hypothèse prévue à l’article 18, § 2, du même règlement lorsque l’action révocatoire du syndic est fondée sur un acte de disposition portant sur un bien mobilier et effectué sur le territoire de cet autre État membre ?

132) La libération de la responsabilité prévue à l’article 24, § 2, du [règlement n° 1346/2000], lu en combinaison avec son paragraphe 1, s’applique-t-elle en cas d’exécution d’une obligation au profit du débiteur dans un État membre, par l’intermédiaire du gérant d’une succursale, immatriculée dans cet État membre, de la société débitrice, lorsqu’au moment de cette exécution, une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité visant le débiteur a été présentée dans un autre État membre et qu’un syndic provisoire a été désigné, mais qu’aucune décision d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité n’a été prise ?

143) L’article 24, § 1, du [règlement n° 1346/2000], concernant l’exécution d’une obligation, s’applique-t-il au paiement d’une somme d’argent au profit du débiteur lorsque le transfert initial de cette somme par le débiteur à la personne qui a exécuté l’obligation est considéré comme étant sans effet conformément au droit national de la juridiction compétente en matière d’insolvabilité et que cette absence d’effet résulte de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ?

154) La présomption d’ignorance prévue à l’article 24, § 2, du [règlement n° 1346/2000] s’applique-t-elle lorsque les personnes visées à l’article 21, § 2, deuxième phrase, de ce règlement n’ont pas pris les mesures nécessaires pour garantir la publication, dans le registre de l’État membre sur le territoire duquel est située l’entreprise du débiteur, des actes pris par la juridiction compétente en matière d’insolvabilité portant désignation d’un syndic provisoire et ordonnant que les actes de disposition de la société ne produisent d’effets que moyennant l’accord du syndic provisoire, si l’État membre du lieu du siège de l’entreprise prévoit la publication obligatoire de ces actes, bien qu’il les reconnaisse en vertu de l’article 25, lu en combinaison avec l’article 16, dudit règlement ? »

16Sur les questions préjudicielles

17Sur la première question

1822. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, § 1, du règlement n° 1346/2000 doit être interprété en ce sens que la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte, pour statuer sur une action révocatoire fondée sur l’insolvabilité et dirigée contre un défendeur ayant son siège statutaire ou son domicile dans un autre État membre, est une compétence exclusive ou si le syndic peut introduire une telle action révocatoire également devant une juridiction de l’État membre sur le territoire duquel est situé le siège statutaire ou le domicile du défendeur.

1923. L’article 3, § 1, du règlement n° 1346/2000 confère aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts du débiteur la compétence exclusive pour ouvrir la procédure d’insolvabilité principale (arrêt du 15 déc. 2011, Rastelli Davide et C., C-191/10, EU:C:2011:838, point 27).

2024. Aux fins de déterminer les critères permettant de décider si une action est incluse ou non dans le champ d’application de cette disposition, la Cour a précisé qu’il convenait d’avoir égard au considérant 6 du règlement n° 1346/2000 selon lequel ce règlement devrait se limiter à des dispositions qui règlent la compétence pour l’ouverture de procédures d’insolvabilité et la prise des décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et s’y insèrent étroitement (v., en ce sens, arrêts du 12 févr. 2009, Seagon, C-339/07, EU:C:2009:83, point 20, et du 19 avr. 2012, F-Tex, C-213/10, EU:C:2012:215, point 26).

2125. La Cour en a déduit que, compte tenu de l’objectif du législateur ainsi exposé dans ce considérant et de l’effet utile du règlement n° 1346/2000, l’article 3, § 1, de ce règlement doit être interprété en ce sens qu’il attribue aux juridictions de l’État membre compétent pour ouvrir une procédure d’insolvabilité une compétence internationale pour connaître des actions qui dérivent directement de cette procédure et qui s’y insèrent étroitement (v., en ce sens, arrêts du 12 févr. 2009, Seagon,C-339/07, EU:C:2009:83, point 21, et du 19 avr. 2012, F-Tex, C-213/10, EU:C:2012:215, point 27).

2226. Eu égard, notamment, à ces considérations, la Cour a déjà jugé que les actions révocatoires ayant pour but d’accroître l’actif de l’entreprise soumise à une procédure de faillite relèvent de cette catégorie d’actions. L’article 3, § 1, du règlement n° 1346/2000 doit, dès lors, être interprété en ce sens que les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte sont compétentes pour statuer sur une action révocatoire fondée sur l’insolvabilité et dirigée contre un défendeur domicilié dans un autre État membre (arrêt du 12 févr. 2009, Seagon, C-339/07, EU:C:2009:83, point 28).

2327. La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si cette compétence internationale est exclusive ou si, au contraire, elle est optionnelle, permettant au syndic de saisir une juridiction de l’État membre du domicile du défendeur d’une telle action révocatoire.

2428. À ce titre, il y a lieu de relever, d’une part, que le considérant 7 du règlement n° 1346/2000 précise que les procédures d’insolvabilité relatives à la faillite d’entreprises insolvables ou d’autres personnes morales, les concordats et les autres procédures analogues sont exclus du champ d’application de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale qui a été remplacée, dans les relations entre les États membres à l’exclusion du Royaume de Danemark, par le règlement n° 44/2001. D’autre part, en vertu de l’article 1er, § 2, sous b), de ce règlement, sont exclus du champ d’application de ce dernier les « faillites, concordats et autres procédures analogues ».

2529. Ce dernier règlement et le règlement n° 1346/2000 doivent être interprétés de façon à éviter tout chevauchement entre les règles de droit que ces textes énoncent et tout vide juridique. Ainsi, les actions exclues, au titre de l’article 1er, § 2, sous b), du règlement n° 44/2001, du champ d’application de ce dernier relèvent du champ d’application du règlement n° 1346/2000. Symétriquement, les actions qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 3, § 1, du règlement n° 1346/2000 relèvent du champ d’application du règlement n° 44/2001 (v., en ce sens, arrêt du 9 nov. 2017, Tünkers France et Tünkers Maschinenbau, C-641/16, EU:C:2017:847, point 17 ainsi que la jurisprudence citée).

2630. À cet égard, la Cour a précisé que ce dernier règlement a vocation à s’appliquer à l’ensemble de la matière civile et commerciale à l’exception de certaines matières bien définies, et que l’article 1er, § 2, sous b), du règlement n° 44/2001 n’exclut de son champ d’application que les actions qui dérivent directement d’une procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement, lesquelles relèvent du champ d’application du règlement n° 1346/2000 (v., en ce sens, arrêt du 19 avr. 2012, F-Tex, C-213/10, EU:C:2012:215, point 29).

2731. Il en résulte que les champs d’application respectifs de ces deux règlements relatifs à la compétence internationale des juridictions des États membres sont clairement délimités et qu’une action révocatoire, dès lors qu’elle dérive directement d’une procédure d’insolvabilité et s’y insère étroitement, relève du champ d’application du règlement n° 1346/2000 et non de celui du règlement n° 44/2001.

2832. Or, il y a lieu d’observer que le règlement n° 1346/2000 ne prévoit aucune règle d’attribution de compétence internationale qui conduirait à attribuer aux juridictions de l’État membre du domicile du défendeur la compétence pour connaître des actions révocatoires qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et s’y insèrent étroitement.

2933. Par ailleurs, la Cour a déjà jugé qu’une concentration de l’ensemble des actions directement liées à l’insolvabilité devant les juridictions de l’État membre compétent pour l’ouverture de la procédure d’insolvabilité est conforme à l’objectif d’amélioration de l’efficacité et de la rapidité des procédures d’insolvabilité ayant des effets transfrontaliers, visé aux considérants 2 et 8 du règlement n° 1346/2000 (arrêt du 12 févr. 2009, Seagon, C-339/07, EU:C:2009:83, point 22).

3034. En outre, il y a lieu de relever que, selon le considérant 4 de ce règlement, il est nécessaire, pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, d’éviter que les parties soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures judiciaires d’un État à un autre en vue d’améliorer leur situation juridique (forum shopping) (arrêt du 12 février 2009, Seagon, C-339/07, EU:C:2009:83, point 23).

3135. Or, la possibilité que divers fors exercent une compétence en ce qui concerne les actions révocatoires engagées dans différents États membres aboutirait à affaiblir la poursuite d’un tel objectif (arrêt du 12 févr. 2009, Seagon, C-339/07, EU:C:2009:83, point 24).

3236. Il découle des considérations qui précèdent que les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel a été ouverte la procédure d’insolvabilité, visées à l’article 3, § 1, du règlement n° 1346/2000, bénéficient d’une compétence exclusive pour connaître des actions qui dérivent directement de cette procédure et qui s’y insèrent étroitement et donc des actions révocatoires fondées sur l’insolvabilité.

3337. Cette conclusion ne saurait être infirmée par le contexte dans lequel s’insère l’article 3, § 1, du règlement n° 1346/2000.

3438. En premier lieu, il ne saurait être tiré argument de l’article 18, § 2, de ce règlement pour remettre en question le caractère exclusif de la compétence internationale des juridictions visées à l’article 3, § 1, dudit règlement pour connaître des actions révocatoires.

3539. En effet, l’article 18, § 2, du règlement n° 1346/2000 concerne uniquement la situation particulière dans laquelle le syndic a été désigné dans le cadre d’une procédure relevant de l’article 3, § 2, dudit règlement et ne saurait s’appliquer dans une situation telle que celle en cause au principal dans laquelle le syndic a été désigné dans le cadre de la procédure d’insolvabilité principale.

3640. Ainsi que le souligne M. l’avocat général au point 64 de ses conclusions, une telle distinction s’explique par le fait que les pouvoirs du syndic sont, dans le cadre d’une procédure relevant de l’article 3, § 2, du règlement n° 1346/2000, territorialement limités dans la mesure où, en vertu de cet article, les effets de cette procédure sont circonscrits aux biens du débiteur se trouvant sur le territoire de l’État membre à la date d’ouverture de ladite procédure. Le syndic doit donc avoir, dans un tel cas, la possibilité de saisir d’une action révocatoire liée à une telle procédure une juridiction d’un État membre autre que celui de l’ouverture de la procédure secondaire si des biens faisant l’objet de cette procédure ont été transférés, après son ouverture, dans un autre État membre.

3741. En second lieu, l’article 25, § 1, du règlement n° 1346/2000 ne peut pas davantage servir au soutien d’une interprétation de l’article 3, § 1, de ce règlement en faveur d’une option de compétence internationale pour les actions révocatoires.

3842. Ainsi que M. l’avocat général le relève au point 65 de ses conclusions, cette disposition vise uniquement la reconnaissance et le caractère exécutoire des décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y attachent étroitement, même si elles sont rendues par une autre juridiction. Ladite disposition ne fait qu’admettre la possibilité que les juridictions d’un État membre sur le territoire duquel a été ouverte une procédure d’insolvabilité, au titre de l’article 3, § 1, du règlement n° 1346/2000, connaissent également d’une action qui dérive directement de cette procédure, qu’il s’agisse de la juridiction qui a procédé à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, au titre dudit l’article 3, § 1, ou d’une autre juridiction territorialement et matériellement compétente de ce même État membre (v., en ce sens, arrêt du 12 févr. 2009, Seagon, C-339/07, EU:C:2009:83, points 26 et 27).

3943. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 3, § 1, du règlement n° 1346/2000 doit être interprété en ce sens que la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte, pour statuer sur une action révocatoire fondée sur l’insolvabilité et dirigée contre un défendeur ayant son siège statutaire ou son domicile dans un autre État membre, est une compétence exclusive.

40Sur les deuxième à quatrième questions

4144. Dans la mesure où les deuxième à quatrième questions supposent, contrairement à ce qui découle de la réponse apportée à la première question, qu’une action révocatoire puisse être introduite devant une juridiction de l’État membre sur le territoire duquel est situé le siège statutaire ou le domicile du défendeur, il n’y a pas lieu de répondre auxdites questions.

42Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

43L’article 3, § 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité, doit être interprété en ce sens que la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte, pour statuer sur une action révocatoire fondée sur l’insolvabilité et dirigée contre un défendeur ayant son siège statutaire ou son domicile dans un autre État membre, est une compétence exclusive.

44Du 14 novembre 2018 – CJUE (4e ch.) – Aff. C-296/17 – M. T. von Danwitz, prés., Mme K. Jürimäe, rapp., MM. M. C. Lycourgos, E. Juhász et C. Vajda, juges, M. N. Wahl, av. gén.

451. Divers types de plaideurs concourent à l’accroissement de la jurisprudence de droit international privé, contribuant parfois au développement de variations multiples autour d’un même thème (rappr., plus généralement, J. Carbonnier, Caractères juridiques, in Flexible droit, LGDJ, 1983, p. 286) : le joueur, que l’incertitude de la règle posée incite à tenter sa chance (v. ainsi, sur la rupture de relations commerciales établies : Com. 21 juin 2017, 20 sept. 2017, Rev. crit. DIP 2018. 126, et les réf.) ; le combattant, qui mécontent de la position jurisprudentielle, nourrit avec constance l’espoir d’un revirement (v. ainsi, sur les clauses attributives de juridiction dissymétriques : Civ. 1re, 3 oct. 2018, Rev. crit. DIP 2018. 867, et les réf.) ; l’arpenteur, qui, par confrontation de principes posés de longue date à la diversité des situations de fait, recherche un affinement progressif, sinon linéaire, du domaine de la règle : les actions dites connexes ou annexes, parce qu’elles présentent des liens étroits avec une procédure d’insolvabilité, semblaient jusqu’à présent appartenir essentiellement à ce dernier courant, irrigant les recueils de jurisprudence (v. ainsi, CJUE, 20 déc. 2017, aff. C-649/16, Valach, D. 2018. 18 ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; BJE 2018. 130, note L.-C. Henry, et les réf.) et alimentant le flot des études doctrinales (C. Legros, Les actions annexes, in Le droit européen des procédures d’insolvabilité à la croisée des chemins, Montchrestien, 2013, p. 115 s. ; D. Robine, Les actions connexes, in Le nouveau règlement insolvabilité : quelles évolutions ?, Joly éditions, 2015, p. 61 s. ; R. Dammann, M. Guermonprez, Les critères de l’action annexe au sens du règlement 2015/848, in Mélanges AEDBF VII 2018, p. 157 ; Th. Mastrullo, La notion d’action ou de décision « qui dérive directement de la procédure d’insolvabilité et s’y insère étroitement » : étude du domaine de la faillite en droit de l’Union européenne, in Études en la mémoire de Ph. Neau-Leduc, LGDJ, 2018, p. 701). S’agissant plus précisément d’une action révocatoire, ce n’est pas cependant au sujet de la délimitation du domaine de la règle mais plutôt à propos de son régime que l’arrêt ci-dessus reproduit s’est prononcé cette fois, l’arpenteur cédant la place au ciseleur…

462. Depuis quelques temps déjà, on savait en effet que les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité avait été ouverte étaient compétentes pour statuer sur une action révocatoire dirigée contre un défendeur ayant son siège statutaire ou son domicile dans un autre État membre de l’Union européenne (CJCE 12 févr. 2009, aff. C-339/07, Seagon, D. 2009. 1311, note J.-L. Vallens ; ibid. 2384, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD com. 2010. 211, obs. J.-L. Vallens ; JCP E 2009.1482, note F. Mélin), voire dans un État non membre (CJUE 16 janv. 2014, aff. C-328/12, Ralph Schmid, D. 2014. 915, note F. Jault-Seseke et D. Robine ; ibid. 1708, chron. R. Dammann et V. Bleicher ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2014. 670, note D. Bureau ; JCP 2014. 253, note F. Mélin). Mais le point de savoir si le syndic disposait également de la faculté de saisir d’autres tribunaux demeurait quant à lui incertain, à défaut de solution clairement exprimée par la Cour de justice elle-même.

47L’occasion lui en a été fournie dans les circonstances suivantes : une société dont le siège est situé en Allemagne avait fait immatriculer une succursale en Bulgarie. Après ouverture d’une procédure collective de la société en Allemagne, diverses sommes avaient été virées depuis le compte de cette dernière auprès de la banque bulgare, par l’intermédiaire du gérant de la succursale bulgare, vers un compte au nom d’un individu dont tout porte à croire qu’il était lui-même domicilié en Bulgarie. Ajoutons – en simplifiant à l’extrême pour les seuls besoins de ce commentaire – que c’est à l’occasion d’une action révocatoire exercée par le syndic de la procédure collective devant les tribunaux bulgares que la question préjudicielle a été posée à la Cour de justice. Et précisons simplement que l’espèce était tout de même assez singulière, au point que l’avocat général estima nécessaire de présenter quelques « observations liminaires sur le contexte factuel et sur la pertinence des questions posées », spécialement parce que les plus hautes juridictions bulgares s’étant déjà prononcées, la question de la compétence était ici définitivement tranchée (cf. concl. av. gén. N. Wahl, points 21-22). La réponse ne fut assurée que par la grâce d’une « présomption de pertinence qui s’attache aux questions préjudicielles » (concl. N. Wahl, point 23). Présomption qui pourrait sembler quelque peu insolite, mais qui, déjà présente en jurisprudence (v. ainsi, CJUE 22 juin 2010, aff. C-188/10, Aziz Melki et aff. C-189/10, Sélim Abdeli, point 27), sert seulement à expliquer que le « refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (v., not., CJCE 22 déc. 2008, aff. C-333/07, Regie Networks, Rec. I-10807, point 46 ; CJCE 8 sept. 2009, aff. C-478/07, Budejovicky Budvar, Rec. I-07721, point 63 et CJUE 20 mai 2010, aff. C-56/09, Zanotti, Rec. I-04517 point 15) ».

48Tel n’étant pas le cas en l’espèce, c’est ainsi que put être examinée la question du caractère optionnel ou « exclusif » de la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte pour statuer sur une action révocatoire dirigée contre un défendeur ayant son siège statutaire ou son domicile dans un autre État membre. La réponse est formulée sans ambages : il s’agit là d’une « compétence exclusive ».

493. On ne reviendra pas ici en détail sur les différentes étapes du raisonnement suivi par la Cour pour y parvenir, renvoyant pour ce faire à la simple lecture de l’arrêt. Il suffira de relever qu’il n’y avait rien à tirer de ce point de vue des différentes dispositions du règlement Insolvabilité : ni de l’article 3-1, qui ne dit rien à ce sujet ; ni de l’article 18-2, qui vise le cas des procédures secondaires ; ni même, en dépit des apparences, de l’article 25-1, alinéa 2 (« Le premier alinéa s’applique également aux décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement, même si elles sont rendues par une autre juridiction ») : le texte signifie simplement en effet qu’il « incombe aux État membres de déterminer la juridiction territorialement et matériellement compétente, laquelle ne doit pas nécessairement être celle qui a procédé à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité » (Seagon, point 27).

50En l’absence de disposition pertinente au sein du règlement Insolvabilité, il ne restait donc plus à la Cour qu’à se conformer à une ligne jurisprudentielle précédemment dessinée et visant à éviter le cumul de compétences pouvant résulter de la dualité des textes en présence, pour en tirer toutes les conséquences (cf. spéc., CJUE 9 nov. 2017, aff. C-641/16, Tünkers France, D. 2017. 2357, note J.-L. Vallens ; ibid, 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée, point 17 : « les actions exclues, au titre de l’article 1er, § 2, sous b), du règlement n° 44/2001, du champ d’application de ce dernier, en tant qu’elles relèvent des “faillites, concordats et autres procédures analogues”, relèvent du champ d’application du règlement n° 1346/2000. Symétriquement, les actions qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 3, § 1, du règlement n° 1346/2000 relèvent du champ d’application du règlement n° 44/2001 (arrêt du 4 sept. 2014, Nickel & Goeldner Spedition, C-157/13, EU:C:2014:2145, point 21) »). Les actions en justice relèvent ainsi en principe, soit du règlement Insolvabilité, soit du règlement Bruxelles I bis. De sorte que, les actions révocatoires ayant été intégrées dans le champ d’application du règlement Insolvabilité par l’arrêt Seagon (préc.), aucune autre compétence ne serait plus possible que celle des tribunaux de l’État d’ouverture de la procédure.

514. En opportunité, la solution serait de surcroît justifiée par l’efficacité et la rapidité de la procédure (point 33), ainsi que par la nécessité de lutter contre le forum shopping (point 34). N’y insistons pas, mais soulignons toutefois que l’avocat général avait quant à lui estimé dans ses conclusions que ces arguments demeuraient discutables (point 52 s.), au point que « les objectifs d’efficacité et de rapidité des procédures d’insolvabilité transfrontalières militent en faveur de la possibilité pour le syndic désigné de choisir les juridictions auprès desquelles il souhaite former ses actions » (point 55)… et que le système de l’option était tout de même plus respectueux du droit à un procès équitable en admettant, le cas échéant, la possible compétence des tribunaux de l’État du domicile du défendeur. Bref : une certaine conception de l’efficacité et de la concentration du contentieux l’a ici emporté sur les nécessité de l’accès à la justice. Soit ! la Cour de justice est évidemment libre de ses arbitrages, alors même que la Commission préférait quant à elle un système de compétence optionnelle (concl., point 34).

525. Pour l’avenir, le règlement Insolvabilité révisé (2015/848 du 20 mai 2015), qui consolide la jurisprudence Seagon, laissera d’ailleurs très vraisemblablement se maintenir l’interprétation de la Cour de justice au sujet de la compétence « exclusive » du tribunal d’ouverture de la procédure (art. 6-1 : « Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte en application de l’article 3 sont compétentes pour connaître de toute action qui découle directement de la procédure d’insolvabilité et y est étroitement liée, telles les actions révocatoires »). Sous réserve de deux observations : la première provient du simple constat que le règlement révisé prévoit une option dans des cas délimités par le second alinéa (art. 6-2 : « Lorsqu’une action visée au paragraphe 1 est liée à une action en matière civile et commerciale intentée contre le même défendeur, le praticien de l’insolvabilité peut porter les deux actions devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié ou, si l’action est dirigée contre plusieurs défendeurs, devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel l’un d’eux est domicilié, à condition que ces juridictions soient compétentes en vertu du règlement (UE) n° 1215/2012 »). Ce qui pourrait ainsi conforter la solution en faveur d’une compétence « exclusive » exprimée à titre de principe dans l’alinéa 1er (en ce sens, v. spéc. D. Robine, Les actions connexes, préc., spéc. p. 12). La seconde remarque provient du champ d’application de la solution posée en l’espèce par la Cour de justice, limitée aux actions révocatoires dirigées « contre un défendeur ayant son siège statutaire ou son domicile dans un autre État membre ». Les conséquences les plus fâcheuses de l’« exclusivité » de la compétence en termes d’accès à la justice qui auraient pu résulter de sa transposition aux données factuelles de l’arrêt Ralph Schmid (préc.) seront ainsi écartées (aj., considérant 35 du règlement révisé, limitant, en matière d’action révocatoire, la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel des procédures d’insolvabilité aux hypothèses où de telles actions auront été engagées contre des défendeurs établis dans d’autres États membres).

536. En guise de conclusion, on peut alors s’interroger sur le sens réel de cette affirmation d’une compétence « exclusive ». Formulée en l’espèce en termes de compétence optionnelle ou « exclusive », la question avait été posée au regard de la compétence directe (ce qui avait d’ailleurs conduit l’avocat général à s’interroger sur sa pertinence puisque celle-ci avait été définitivement tranchée par les juridictions bulgares) et aux fins d’interpréter l’article 3-1 du règlement Insolvabilité, dont les dispositions s’étaient déjà vu attribuer un caractère « exclusif », dans un contexte différent il est vrai (mais où était également en cause la compétence internationale directe : CJUE 15 déc. 2011, aff. C-191/10, Rastelli, spéc. point 27, D. 2012. 403, note J.-L. Vallens ; ibid, 406, note R. Dammann et F. Müller ; ibid. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid, 2196, obs. F.-X. Lucas et P.-M. Le Corre ; ibid. 2331, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. sociétés 2012. 189, obs. P. Roussel Galle ; ibid. 313, note N. Morelli ; Rev. crit. DIP 2012. 435, note G. Khairallah). Mais l’exclusivité ici affirmée pourrait-elle également valoir pour la compétence internationale indirecte ? Certes, dans la plupart des cas, il ne serait pas même nécessaire de demander la reconnaissance d’un jugement rendu au domicile du débiteur en cas de succès de l’action révocatoire : celui-ci suffirait, en tant que tel, sans nécessité de l’exécuter dans l’État d’ouverture de la procédure d’insolvabilité (tel était d’ailleurs le cas en l’espèce : v. ainsi F. Jault-Seseke, D. Robine, note préc.). Mais dans l’hypothèse même où ce pourrait être utile, cette « exclusivité » empêcherait-elle au jugement s’étant prononcé sur l’action révocatoire de produire effet dans l’État d’ouverture de la procédure d’insolvabilité ? Rien n’est moins sûr : ni à l’égard de jugements extra-européens, dont les juges de Luxembourg ne peuvent établir le régime ; ni en vertu du règlement Bruxelles I bis, qui ne fait pas figurer la compétence en matière d’action révocatoire – et pour cause – au titre des chefs de compétence exclusive ; ni même en contemplation du règlement Insolvabilité, dont l’article 26 – combiné aux dispositions de l’article 25 – prévoit que le seul motif prévu pour refuser la reconnaissance ou l’exécution d’une procédure d’insolvabilité ou d’une décision prise dans le cadre d’une telle procédure repose sur la contrariété à l’ordre public, sans même évoquer le caractère exclusif de la compétence du juge de la procédure (sur la mise en œuvre de cette directive, excluant d’ailleurs par là même les critères qui pourraient résulter du règlement Bruxelles I, v. Civ. 1re, 6 juill. 2016, n° 15-147.664, Rev. crit. DIP 2017. 191, note G. Cuniberti ; RPC 2016. Comm. 177, note M. Menjucq). Bref : au regard de la compétence indirecte, l’affirmation de l’exclusivité pourrait bien être inutile, ou dépourvue de toute efficacité.

547. C’est là l’occasion de revenir sur quelques questions de vocabulaire : la notion de compétence exclusive s’oppose-t-elle à celles de compétence impérative, optionnelle, concurrente… ? Au sens où on l’entendait traditionnellement, dans ce droit international privé que l’on pouvait alors qualifier de « commun » sans autre forme d’interrogation, l’exclusivité de la compétence d’une juridiction française empêchait de reconnaître et d’exécuter la décision de toute autre juridiction étrangère. Aux hypothèses de compétence exclusive s’opposaient dès lors les hypothèses de compétence concurrente : celles où l’on pouvait admettre la compétence du juge étranger, alors même que le juge français se serait reconnu lui aussi compétent s’il avait été saisi du litige. Et les termes de « compétence exclusive » renvoyaient seulement à ce cas de figure. Corrélativement, le caractère impératif de la compétence concernait seulement la compétence directe : il s’agissait tout spécialement de déterminer si les plaideurs pouvaient, ou non, y déroger. Mais il n’y avait pas nécessairement coïncidence entre les deux notions. Ainsi, dans l’arrêt Simitch (Civ. 1re, 6 févr. 1985, JDI 1985. 460, note A. Huet ; D. 1985. IR 497, obs. B. Audit ; Rev. crit. DIP 1985. 243, chron. Ph. Francescakis ; GADIP n° 70), la Cour de cassation avait clairement admis que la matière du divorce ne relevait pas du domaine de la compétence exclusive, ce alors même que la compétence directe pouvait être quant à elle qualifiée d’impérative ; en ce domaine, la compétence était donc directement impérative et indirectement concurrente. En d’autres circonstances cependant, il était admis de longue date, du point de vue de la compétence directe, que l’on pouvait déroger à certaines règles (v. not, à propos du privilège de l’art. 15 C. civ. : Civ. 4 oct. 1967, Bachir, Rev. crit. DIP 1968. 98, note P. Lagarde ; JDI 1969. 102, note B. Goldman ; D. 1968. 95, note E. Mezger ; JCP 1968. II. 15634, note J.-B. Sialelli, GADIP n° 45), alors même qu’à l’égard de la compétence indirecte, le défendeur français pouvait se prévaloir de leur exclusivité, pour s’opposer à l’effet en France d’un jugement étranger (v. ainsi : Civ. 1re, 21 janv. 1992, n° 90-10.628, D. 1993. 351, obs. B. Audit ; et, sur renvoi, Versailles, 22 sept. 1993, JCP 1995. II. 22459, note H. Muir Watt) ; à ce sujet, la compétence était donc indirectement exclusive sans être directement impérative (v. depuis lors, abandonnant l’exclusivité de la compétence fondée sur l’art. 15 C. civ. : Civ. 1re, 23 mai 2006, n° 04-12.777, Prieur, D. 2006. 1880, obs. I. Gallmeister ; ibid. 1846, chron. B. Audit ; ibid. 2007. 1751, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2006. 324, obs. A. Boiché ; Rev. crit. DIP 2006. 870, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 2006. 1377, note C. Chalas ; JCP 2006. II. 10134, note P. Callé ; GADIP. n° 87).

55Tels étaient du moins les principes terminologiques le plus souvent enseignés… bien que la Cour de cassation ait parfois pris quelques libertés à leur égard (v. ainsi, dans l’arrêt Prieur : « attendu que l’article 15 du code civil ne consacre qu’une compétence facultative de la juridiction française, impropre à exclure la compétence indirecte d’un tribunal étranger ». Et, dans l’arrêt Fercometal, Civ. 1re, 22 mai 2007, n° 04-14.716, D. 2007. 1596, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2548, chron. B. Audit ; ibid. 2008. 1507, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2007. 610, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 2007. 956, note B. Ancel et H. Muir Watt : « attendu que l’article 14 du code civil n’ouvre au demandeur français qu’une simple faculté et n’édicte pas à son profit une compétence impérative, exclusive de la compétence indirecte d’un tribunal étranger »). Liberté elle-même érigée en principe dans le règlement Bruxelles I (art. 22) comme dans le règlement Bruxelles I bis (art. 24), où les compétences évoquées par ces textes sont qualifiées d’exclusives, à la fois au sens classique de la compétence indirecte et au sens de la compétence directe. En visant la seule exclusivité, ces textes signifient donc que les règles de compétence qu’ils édictent sont directement impératives et indirectement exclusives. Ajoutant à la confusion sémantique, d’autres acceptions de l’exclusivité sont d’ailleurs concevables (notamment comme obstacle aux mécanismes d’assouplissement juridictionnels tels le forum non conveniens : D. P. Fernãndez Arroyo, Compétence exclusive et compétence exorbitante dans les relations privées internationales, RCADI, t. 323, 2006, spéc. n° 94 ; ou comme nécessité de ne désigner les tribunaux que d’un État : art. 3-a, conv. La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for).

56En l’espèce, la Cour de justice a donc retenu qu’exclusif devait être opposé à optionnel, semblant signifier que la compétence était ici… impérative. Rien n’est dit cependant de son exclusivité au sens de la compétence indirecte, dont tout porte à croire qu’elle n’aurait d’ailleurs pas pu être affirmée (v. supra). Ce ne serait certes pas la première fois que l’exclusivité affirmée ne jouerait cependant qu’au stade de la compétence directe (sur les clauses attributives de juridiction, le règlement Bruxelles I bis affirme ainsi que la compétence résultant d’une convention attributive de juridiction est « exclusive, sauf convention contraire des parties », mais ne mentionne nullement, parmi les motifs de refus de reconnaissance et d’exequatur, la méconnaissance par le for d’origine d’une clause d’élection de for ; sur un tel constat, v. not. D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, t. 2, PUF, 2017, spéc. n° 870 ; aj. V. H. Gaudemet-Tallon, M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6e éd. LGDJ, 2018, spéc. § 162 ; contra, en doit commun : Civ. 1re, 15 mai 2018, n° 17-17.546, D. actu. 4 juin 2008, obs. F. Mélin ; D. 2019. 1016, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2019. 194, note D. Sindres ; JCP 2018. 919, note F. Mailhé). Ce n’est pas sans doute une raison suffisante pour entretenir cette forme de polysémie, que le Doyen Cornu avait naguère si justement qualifiée de… désordonnée (Linguistique juridique, Montchrestien, 1990, spéc. p. 99).

Français

L’article 3, § 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité, doit être interprété en ce sens qu’est une compétence exclusive celle des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte, pour statuer sur une action révocatoire fondée sur l’insolvabilité et dirigée contre un défendeur ayant son siège statutaire ou son domicile dans un autre État membre.

Mots clés

  • REGLEMENT (CE) n° 1346/200
  • Article 3-1
  • Action révocatoire
  • Défendeur ayant son domicile ou son siège statutaire sur le territoire d’un autre État membre
  • Compétence du tribunal de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte
  • Compétence exclusive
Dominique Bureau
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Mis en ligne sur Cairn.info le 12/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.192.0476
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