CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1SCI Saint-Joseph c/ Société Dexia banque internationale

2La cour – Sur le moyen unique :

3Vu le considérant 11 et l’article 23 du règlement du Conseil n° 44/2001/(CE) du 22 décembre 2000 ;

4Attendu qu’il résulte du premier de ces textes que les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et, du second, que, si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents ; que cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties ; que cette convention attributive de juridiction est conclue par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou, dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée ;

5Attendu que, par arrêt du 9 novembre 2000 (Corek, C-387/98), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que l’article 17, 1er alinéa, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’il n’exige pas qu’une clause attributive de juridiction soit formulée de telle façon qu’il soit possible d’identifier la juridiction compétente par son seul libellé et qu’il suffit que la clause identifie les éléments objectifs sur lesquels les parties se sont mises d’accord pour choisir le tribunal ou les tribunaux auxquels elles entendent soumettre leurs différends nés ou à naître ; qu’elle a ajouté que ces éléments, qui doivent être suffisamment précis pour permettre au juge saisi de déterminer s’il est compétent, peuvent être concrétisés, le cas échéant, par les circonstances propres à la situation de l’espèce ;

6Attendu que l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne des dispositions de l’article 17, 1er alinéa, susvisé, vaut également pour l’article 23 du règlement n° 44/2001/CE qui lui succède (arrêt du 23 oct. 2014, FlyLAL-Lithuanian Airlines, C-302/13) ;

7Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 8 juill. 2015, n° 14-14942), que la SCI Saint-Joseph a assigné la société Dexia banque internationale (la banque) en réparation pour manquement à son obligation de conseil devant le Tribunal de grande instance de Grasse ; que la banque a soulevé l’incompétence du juge français en raison de la clause attributive de juridiction au Tribunal de première instance de Luxembourg, stipulée au contrat de prêt conclu entre les parties ;

8Attendu que, pour accueillir l’exception d’incompétence, après avoir rappelé que la clause attributive de compétence stipule que « chaque fois que les lois françaises le permettent, les contestations au sujet des présentes sont soumises au Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg. Toutefois, la banque se réserve la faculté de déroger à cette attribution de juridiction si elle le considère comme opportun », l’arrêt retient que la circonstance qu’une seule des parties, en l’occurrence la banque, se soit réservée la faculté de déroger à l’attribution de juridiction prévue par le contrat ne saurait conférer à la clause attributive de juridiction un caractère potestatif excluant sa prise en compte, dès lors que la banque, si elle renonçait à l’application de cette clause, ne pouvait que se référer aux dispositions de l’article 5.1 du règlement n° 44-2001 qui s’imposent lorsqu’une partie écarte la juridiction choisie par les parties, ce qui répond à l’objectif de prévisibilité ;

9Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la clause litigieuse ne contenait aucun renvoi à une règle de compétence en vigueur dans un État membre ni aucun élément objectif suffisamment précis pour identifier la juridiction qui pourrait être saisie, de sorte qu’elle ne répondait pas à l’objectif de prévisibilité, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

10Par ces motifs :

11Casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 avril 2017, entre les parties, par la Cour d’appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel de Toulouse ;

12Du 3 octobre 2018 – Cour de cassation (Civ. 1re) – Pourvoi n° 17-21.309 – Mme Batut prés. – M. Hascher, rapp. – Mme Marilly, av. gén. – SCP Hémery, Thomas-Raquin et Le Guerer, av. – SCP Bénabent, av.

13(1) 1. La clause attributive de juridiction dissymétrique, encore ! À ce sujet, les arrêts de la Cour de cassation se multiplient en effet, et, si leur position s’affine progressivement, les objections maintes fois formulées à leur encontre n’en persistent pas moins (v. la précédente NDLR, Rev. crit. DIP 2018. 630, et les réf.)… voire se multiplient à leur tour (v. cependant, à contre-courant : J.-B. Racine, Les clauses d’élection de for asymétriques, in Mélanges en l’honneur du Professeur Bertrand Ancel, LGDJ, coll. « Iprolex », 2018, p. 1323 s., développant une argumentation tout particulièrement apte à soutenir la décision ici présentée).

14En l’espèce, la clause était libellée de la façon suivante : « chaque fois que les lois françaises le permettent, les contestations au sujet des présentes sont soumises au Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg. Toutefois, la banque se réserve la faculté de déroger à cette attribution de juridiction si elle le considère comme opportun ». On apprend par ailleurs que la cour d’appel avait quant à elle retenu « que la circonstance qu’une seule des parties, en l’occurrence la banque, se soit réservée la faculté de déroger à l’attribution de juridiction prévue par le contrat ne saurait conférer à la clause attributive de juridiction un caractère potestatif excluant sa prise en compte… » ; ce qui semble vouloir dire qu’elle avait bien fait produire effet à la clause, nonobstant le caractère unilatéral de la faculté de dérogation prévue par le contrat. Au visa du considérant 11 et du texte de l’article 23 du règlement Bruxelles I, la Cour régulatrice censure cependant l’arrêt d’appel, au motif que les juges du fond avaient « constaté que la clause litigieuse ne contenait aucun renvoi à une règle de compétence en vigueur dans un État membre ni aucun élément objectif suffisamment précis pour identifier la juridiction qui pourrait être saisie… ».

152. Doit-on y voir l’expression d’une politique de protection des faibles – comme il est parfois soutenu à ce sujet – passés à travers les mailles du règlement, contre les banques puissantes ? La clause figurait pourtant dans un prêt de 800 000 € contracté auprès d’une banque luxembourgeoise par une SCI située dans le sud de la France (dont trois des quatre associés étaient respectivement promoteur immobilier, négociatrice en immobilier et … juriste ! Cf. le premier moyen de cassation avancé dans la procédure ayant donné lieu au précédent arrêt de cassation dans cette affaire : Civ. 1re, 8 juill. 2015, n° 14-14.942), en vue de réaliser une importante opération de promotion immobilière (« d’une certaine envergure et complexité ») au Venezuela et un investissement dans un portefeuille. On peine à voir ici un rapport inégalitaire justifiant le refus de la Cour de cassation de faire produire effet à l’intégralité de la clause, qui, en l’espèce, aurait désigné à titre principal le tribunal de l’État dans lequel le défendeur était domicilié, la disposition permettant à la banque de déroger à la clause attributive de compétence n’ayant pas même été mise en œuvre en l’espèce (cf., à nouveau, le premier moyen de cassation préc.).

163. Mais la surprise vient tout autant du contenu du visa, qui se réfère, au-delà du texte de l’article 23 du règlement Bruxelles I, à un considérant de celui-ci. On ne peut alors manquer de souligner le caractère performatif ainsi conféré à son énoncé, en ce sens que le considérant, dépourvu de lui-même de portée normative (v. l’Accord interinstitutionnel du 22 déc. 1998) s’en voit conférer ici une dans l’ordre juridique français par sa seule intégration dans le visa, et par le simple effet de l’article 1020 du code de procédure civile (« L’arrêt vise la règle de droit sur laquelle la cassation est fondée »). Le voici donc transformé en règle de droit ! On sait pourtant que le statut des considérants est discuté (v. par ex., S. Lemaire, Interrogations sur la portée juridique du préambule du règlement Rome I, D. 2008. 2157), et s’il semble concevable (comme l’admet cette auteure) que l’intervention de la plus haute autorité judiciaire suffise ainsi à opérer la transformation, du moins dans l’ordre interne, on peut du moins s’interroger sur la faculté ici utilisée de conférer la normativité à une telle disposition alors que cette normativité devrait logiquement préexister à son intégration dans le visa (C. pr. civ., art. 1020 oblige)…

17Quant à l’opportunité d’une telle intervention, elle n’est pas quant à elle démontrée. En effet, le considérant visé est repris par l’arrêt de manière tronquée, soulevant ainsi toute une série de difficultés. D’abord, le grief tiré du préambule du règlement et opposé ici à la clause attributive était celui de l’absence de prévisibilité de cette dernière. Cependant, si l’on reprend la totalité du considérant 11, on constate que : « Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur »… Or, en l’espèce, la clause conduisait à désigner ce for à titre principal. On apprend ensuite que, si elle est contestable aux yeux de la Cour de cassation, c’est parce que « la clause litigieuse ne contenait aucun renvoi à une règle de compétence en vigueur dans un État membre » ; ce qui peut tout de même étonner lorsqu’on relève que la clause ne permettait concrètement de déroger ici à la compétence du tribunal de Luxembourg qu’en faveur des dispositions de l’article 5-1° du règlement. Enfin, à ce dernier égard, les conditions générales du contrat (cf. 2e moyen, arrêt du 8 juill. 2015, préc.) prévoyaient que « le présent crédit ainsi que tous les rapports juridiques de la banque avec le crédité et les garants sont régis par le droit luxembourgeois et la ville de Luxembourg en est le lieu d’exécution ». Or, de ce point de vue, il résulte de l’arrêt Zelger (CJCE 17 janv. 1980, aff. 56/79) que la désignation du lieu d’exécution fonde la compétence de ce juge au sens de l’art. 5-1°. v. plus généralement, H. Gaudemet-Tallon, Compétence et exécution des jugements en Europe, 5e éd., LGDJ, 2015, n° 196). En l’espèce, par conséquent, tout convergeait vers le Luxembourg…

184. L’argument selon lequel l’exercice par la banque de la faculté de dérogation ne pouvait se faire qu’au profit des dispositions de l’article 5-1° du règlement n° 44/2001, déterminant en l’occurrence pour la cour d’appel, est donc écarté par la Cour de cassation. Il l’est au nom du principe posé par l’arrêt Coreck (CJCE, 9 nov. 2000, aff. C-387/98). Il est loin cependant d’être certain que cette décision puisse être convoquée au soutien de la conception de la prévisibilité qui semble animer ici la Cour de cassation. Pour celle-ci en effet, « la clause litigieuse ne contenait […] aucun élément objectif suffisamment précis pour identifier la juridiction qui pourrait être saisie ». En revanche, si l’on reprend les termes de l’arrêt Coreck, « les termes “sont convenues”, qui figurent à l’article 17, 1er alinéa, 1re phrase, de la convention, ne sauraient être interprétés en ce sens qu’ils exigent qu’une clause attributive de juridiction soit formulée de telle façon qu’il soit possible d’identifier la juridiction compétente par son seul libellé. Il suffit que la clause identifie les éléments objectifs sur lesquels les parties se sont mises d’accord pour choisir le tribunal ou les tribunaux auxquels elles entendent soumettre leurs différends nés ou à naître. Ces éléments, qui doivent être suffisamment précis pour permettre au juge saisi de déterminer s’il est compétent, peuvent être concrétisés, le cas échéant, par les circonstances propres à la situation de l’espèce ». Autrement dit, il n’est pas exigé que la clause elle-même contienne les éléments objectifs visés, dès lors que sa concrétisation, en contexte, est possible. Or, le retour par défaut aux dispositions de l’article 5-1° du règlement – ici inéluctables – semblait bien répondre suffisamment à l’exigence, ou à la préoccupation, de la Cour de justice.

195. Quant à l’imprévisibilité résultant de la clause au regard des circonstances de l’espèce, justifiant pour la Cour de cassation que son efficacité soit ici paralysée, on avouera tout de même que la conception de la prévisibilité qui anime cette dernière est assez singulière, puisque son invocation conduit à ajouter à un texte une exigence qui n’y figure pas expressément, et ce pour priver d’efficacité une clause précisément destinée à assurer… la prévisibilité du contentieux contractuel entre les parties. Et que cette même prévisibilité revient ici à consacrer le forum actoris, là où les tribunaux luxembourgeois auraient pu raisonnablement recevoir compétence sur le fondement de l’article 2 (tribunal de l’État du domicile du défendeur), de l’article 5-1° (tribunal du lieu d’exécution de l’obligation) ou de l’article 23 (la clause désignant à titre principal le « Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg » et la faculté de dérogation prévue par le contrat n’ayant pas été mise en œuvre) du règlement Bruxelles I.

206. On admettra volontiers que puisse exister une part d’interprétation – ici comme ailleurs – s’agissant des conditions requises pour qu’il y ait concrétisation des éléments permettant de désigner le juge compétent, d’autant que la clause dissymétrique continue, en France, à engendrer discussions et hésitations, suivies de près dans les pages de cette Revue. Autrement dit, il est sans doute difficile d’exclure tout doute sur le sens de l’article 23 du règlement, tel qu’interprété par l’arrêt Coreck dans des circonstances à vrai dire différentes. Mais précisément ! Aux termes de l’article 267 TFUE, la Cour de cassation n’avait-elle pas au moins l’obligation d’interroger alors la Cour de justice (cf. CJUE 4 oct. 2018, aff. C-416/17, Commission c/ France, AJDA 2018. 1933 ; ibid. 2280, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; JCP 2018, act. 1123, D. Berlin, actualisant, au détriment du Conseil d’État, l’interprétation de l’article 267, § 3, TFUE faisant obligation aux juridictions de dernier ressort de renvoyer à la Cour de justice l’interprétation du droit de l’Union, en cas de doute sur le sens de celui-ci), comme elle l’avait d’ailleurs récemment fait en d’autres circonstances (mais à propos là aussi de clauses attributives de juridiction), quitte à se faire désavouer (CJUE 24 oct. 2018, aff. C-595/17) ? Ici, il faudra encore attendre…

21NDLR

Français

Une clause attributive de juridiction réservant à l’une des parties la faculté de déroger à la compétence des tribunaux désignés ne peut fonder une exception d’incompétence, dès lors qu’elle ne contient aucun renvoi à une règle de compétence en vigueur dans un État membre ni aucun élément objectif suffisamment précis pour identifier la juridiction pouvant être saisie, de sorte qu’elle ne répond pas à l’objectif de prévisibilité fixé à l’article 11 du règlement n° 44/2001 (1).

Mots clés

  • Règlement (CE) 44/2001 du 22 décembre 2000
  • Considérant 11
  • Article 23
  • Clause attributive de juridiction
  • Clause optionnelle unilatérale
  • Renvoi à une règle de compétence en vigueur dans un État membre (non)
  • Présence d’un élément objectif suffisamment précis pour identifier la juridiction pouvant être saisie (non)
  • Objectif de prévisibilité (non)
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.184.0867
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