CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La cour : – Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme Y., originaire d’Ukraine et ayant acquis la nationalité américaine par mariage, a assigné M. X. en recherche de paternité de l’enfant Nicole Y. ;

2Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé :

3Attendu que M. X. fait grief à l’arrêt de dire que Mme Y. et sa fille sont de nationalité américaine, que la loi applicable au litige est la loi de l’État fédéré de Virginie (USA), de déclarer recevable l’action en recherche de paternité intentée par Mme Y. à l’encontre de M. X., avant-dire droit, d’ordonner une expertise biologique ;

4Attendu que, sous le couvert de griefs non fondés de manque de base légale au regard de l’article 311-14 du code civil et de violation de l’article 455 du code de procédure civile, le moyen ne tend qu’à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, l’appréciation souveraine de la loi ukrainienne par la cour d’appel qui a estimé que Mme Y. avait perdu la nationalité de cet État ; qu’il ne peut être accueilli ;

5Mais sur la quatrième branche du même moyen :

6Vu les articles 3 et 311-14 du code civil ;

7Attendu qu’après avoir constaté qu’un passeport américain a été délivré à Mme Y. par l’État de Louisiane, l’arrêt relève qu’elle a obtenu un certificat de naturalisation de l’État de Virginie et en déduit que la loi de cet État est applicable au litige ;

8Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, d’après les règles américaines de conflits internes, de quel État fédéré la loi était applicable et le contenu de celle-ci, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

9Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen : casse et annule, mais seulement en ce qu’il dit applicable au litige la loi de l’État de Virginie, déclare recevable l’action en recherche de paternité et ordonne une mesure d’instruction, l’arrêt rendu le 19 janvier 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Lyon.

10Du 20 avril 2017 – Cour de cassation (Civ. 1re) – Pourvoi no 16-14.349 (arrêt no 453) – Mme Batut, prés., M. Hascher, cons. rapp., SCP Waquet, Farge et Hazan et SCP Boulloche, av.

11(1) Quelle est la loi nationale d’un sujet britannique ? La question, insoluble, soulevée dans la célèbre affaire successorale O’Keefe (In re O’Keefe [1940] Ch. 124, Poingdestre c/ Sherman : JDI 1940-1945. 138, obs. G. F. Krassa. Adde R. De Nova, Il caso in re O’Keefe e la determinazione della lex patriae di un cittadino britannico domiciliato all’estero, in H. P. Ipsen (dir.), Festschrift für Leo Raape zu seinem siebzigsten Geburtstag am 14. Juni 1948, Hamburg, Rechts- und Staatswissenschaftlicher Verlag GmbH, 1948, p. 67), a constitué le point de départ de l’introduction, en 1961, des clauses relatives aux conflits internes de lois dans les Conventions de La Haye. Près de soixante ans plus tard, l’interrogation relative à la détermination de la loi nationale est toujours d’actualité toutes les fois que cette loi, désignée par la règle de conflit du for, est celle d’un État dont la législation n’est pas unifiée, que cette plurilégislation soit de nature territoriale, comme aux États-Unis ou au Canada, ou de nature personnelle, comme dans les États confessionnels (tel l’Égypte) ou comme au Liban (v. sur l’ensemble des questions soulevées par les ordres plurilégislatifs, V. Parisot, Les conflits internes de lois, préf. P. Lagarde, 2 vol., IRJS, 2013). C’est à cette difficulté que les juges français étaient confrontés dans l’affaire tranchée par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 avril 2017.

12En l’espèce, une mère originaire d’Ukraine et ayant acquis la nationalité américaine suite à son mariage avec un citoyen américain avait assigné le prétendu père en recherche de paternité de son enfant. L’article 311-14 du code civil, qui soumet la filiation à « la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant », était susceptible de donner compétence soit à la loi ukrainienne, soit à la loi américaine. La cour d’appel, après avoir décidé que la mère avait été « déchue nécessairement de la nationalité ukrainienne » lors de son acquisition volontaire de la nationalité américaine, retient l’application de la loi de l’État fédéré de Virginie – État qui lui a délivré un certificat de naturalisation et dans lequel elle a résidé après son mariage avant de venir s’installer en France – et non la loi de l’État fédéré de Louisiane, dans lequel elle avait régulièrement obtenu un passeport américain (Grenoble, 19 janv. 2016, 14/05089, M. Pierre X. c/ Mme Margaryta Y. et autre). Devant la Cour de cassation, le père conteste tout à la fois la déchéance de la nationalité ukrainienne (il estime notamment qu’en présence d’une double nationalité de la mère, il incombe à la cour d’appel « de rechercher la nationalité étrangère la plus effective ») et le choix, par la cour d’appel, de la loi de l’État de Virginie plutôt que de la loi de l’État de Louisiane.

13La Cour de cassation, concernant le premier point, se retranche derrière « l’appréciation souveraine de la loi ukrainienne par la cour d’appel qui a estimé que [la mère] avait perdu la nationalité de cet État ». La solution est connue et n’appelle pas de remarque particulière : les juges du fond disposent en toute matière d’un pouvoir souverain pour interpréter les lois étrangères ; seule la dénaturation – non alléguée par le pourvoi du père – encourt la censure de la Haute Juridiction (v. en dernier lieu, à propos du code du travail camerounais, Soc. 13 déc. 2017, no 15-13.098, BEAC, à paraître au Bulletin, D. 2018. 14 ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke). En revanche, et s’agissant du second grief, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel pour défaut de base légale au visa des articles 3 et 311-14 du code civil : la cour d’appel aurait dû « rechercher, comme il le lui incombait, d’après les règles américaines de conflits internes, de quel État fédéré la loi était applicable et le contenu de celle-ci ». L’obligation qui pèse sur le juge de mettre en œuvre, au besoin d’office, la règle de conflit de lois propre à la filiation et de rechercher quelle suite doit être donnée à l’action en application de la loi de la mère, posée par l’arrêt Rebouh (Civ. 1re, 11 oct. 1988, no 87-11.198, Rebouh c/ Bennour, Bull. civ. I, no 278 ; Rev. crit. DIP 1989. 368 et 277, étude Y. Lequette ; JDI 1989. 349, note D. Alexandre ; ibid. 1990. 317, chron. D. Bureau ; GADIP nos 74-78, 1re esp.), puis confirmée par l’arrêt Belaïd (Civ. 1re, 26 mai 1999, no 97-16.684, Belaïd c/ Elkhbizi, Bull. civ. I, no 174 ; D. 1999. 162 ; Rev. crit. DIP 1999. 707, note H. Muir Watt, 2e esp. ; GADIP nos 74-78, 5e esp.) n’a jamais été remise en cause par la suite. Reposant aujourd’hui sur l’article 3 du code civil, elle vaut pour tous les droits indisponibles (v., à propos des conditions de fond de formation du mariage, Civ. 1re, 25 mai 2016, no 15-14.666, Dupuy c/ Park, D. 2017. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1082, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; Rev. crit. DIP 2016. 668, note E. Ralser ; Dr. fam. 2016, comm. 191, obs. M. Farge ; LPA, 12-13 sept. 2017, nos 182-183, p. 16, note A. Dionisi-Peyrusse). L’intérêt de l’arrêt commenté est ailleurs : il est d’imposer aux juges du fond de régler le conflit interne américain en se référant aux règles de conflits internes américaines. La solution, pour être classique (I), n’en est pas moins d’une mise en œuvre délicate (II).

I – Une solution classique

14La consultation des règles de conflits internes étrangères, afin d’identifier la loi concrètement applicable lorsque cette loi est celle d’un État plurilégislatif, est une solution largement répandue (A). Elle est le reflet d’une certaine conception de la règle de conflit international du for (B).

A – Une solution largement répandue

15C’est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation se prononce sur la loi applicable à une action en recherche de paternité, lorsque cette loi est celle d’un État plurilégislatif. Optant très clairement pour une application des règles de conflits internes étrangères – américaines en l’occurrence –, elle met ainsi fin aux hésitations des juges du fond, révélées par quelques rares décisions publiées. Appelée à appliquer la loi polonaise de la mère, à une époque où la Pologne acceptait en son sein une pluralité de lois en matière familiale, la cour d’appel de Douai, sous couvert d’une consultation de la loi polonaise du 2 août 1926 relative au droit interprovincial (Rev. crit. DIP 1928. 198), avait en réalité procédé à une désignation directe de la loi de la province polonaise dans laquelle la mère était née (Douai, 16 oct. 1934, Blazejewska c/ Lemaitre, Rev. crit. DIP 1937. 146, obs. anonymes ; comp., pour le divorce, T. Toulouse, 8 juin 1938, épx Anklewicz, Rev. crit. DIP 1939. 105, note H. Batiffol, qui abandonne toute référence au règlement polonais des conflits internes au profit d’une sélection directe de la loi polonaise de la localité où est né le mari). À l’inverse, le tribunal de grande instance de Paris, saisi d’une action en recherche de paternité concernant l’enfant d’une mère née en Californie et de nationalité américaine, s’en était remis au « droit commun des États-Unis », déclarant applicable la loi française du domicile de la mère et de l’enfant « sous réserve que le Droit International Privé français ne fasse renvoi à la loi nationale de l’intéressée ». Consacrant de la sorte la théorie du double renvoi, il avait ensuite déclaré applicable la loi californienne (TGI Paris, 20 avr. 1982, Martone c/ Hublin, Rev. crit. DIP 1984. 290, note J. Foyer, 1re esp. ; JDI 1983. 583, note J. Derruppé ; compétence de la loi californienne non contestée sur ce fondement par la suite : Paris, 8 mars 1983, Rev. crit. DIP 1984. 290, note J. Foyer, 2e esp. ; Civ. 1re, 9 oct. 1984, no 83-12.665 ; Bull. civ. I, no 250 ; Rev. crit. DIP 1985. 643, note J. Foyer ; JDI 1985. 906, note M. Simon-Depitre).

16L’arrêt du 20 avril 2017 prône quant à lui de façon tout à fait explicite une consultation du système étranger de conflits internes, à propos de l’article 311-14 du code civil, qui désigne la loi nationale de la mère ou, si la mère n’est pas connue, celle de l’enfant. Ce faisant, la Haute Juridiction se rallie à une solution très largement répandue en droit positif (v. par ex., pour un panorama des règles supranationales en ce sens, V. Parisot, Rép. internat., vo Conflits internes de lois, nos 88-93, p. 18-20), que cette consultation du système étranger soit préconisée de façon systématique, c’est-à-dire quelle que soit la nature, personnelle ou territoriale, du rattachement retenu par la règle de conflit (v. en dernier lieu, art. 33 des règl. du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine des régimes matrimoniaux et des effets patrimoniaux des partenariats enregistrés, et notre commentaire in S. Corneloup, V. Égéa, E. Gallant et F. Jault-Seseke (dir.), Le droit européen des régimes patrimoniaux des couples. Commentaire article par article des règlements 2016/1103 et 2016/1104, SLC, à paraître), ou qu’elle n’intervienne que de façon sélective, plusieurs méthodes étant alors combinées en fonction de la nature, territoriale ou personnelle, du rattachement. L’article 14 du règlement du 20 décembre 2010 sur la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, par exemple, illustre cette seconde configuration : il procède à une désignation directe de la loi applicable lorsque le rattachement, telle la résidence habituelle, est susceptible d’une localisation géographique précise en un point du territoire et il s’en remet au contraire aux règles de conflits internes étrangères lorsque le rattachement est la nationalité (v. notre commentaire in S. Corneloup (dir.), Droit européen du divorce, LexisNexis, 2013, p. 632-646).

17Ce consensus en faveur de l’application des règles de conflits internes étrangères, lorsque le for se réfère à la loi de la nationalité d’un État plurilégislatif, est le plus souvent motivé par le fait qu’un tel rattachement, qui rend impossible une localisation précise en un point du territoire, est impuissant à déterminer la loi applicable au sein d’un système étranger qui comporte une pluralité de lois territoriales. L’explication cache mal une conception particulière de la règle de conflit international de lois.

B – Une conception particulière de la règle de conflit international

18La méthode privilégiée afin de régler le conflit interne étranger est liée à la fonction que l’on attribue à la règle de conflit international du for. Deux approches sont en effet concevables (v. not., pour une présentation synthétique de ces deux fonctions de la règle de conflit, D. Bureau, H. Muir Watt, Droit international privé, t. 1, 4e éd., PUF, 2017, no 512, p. 602). La première considère que la règle de conflit a pour objet la désignation d’un « ordre juridique » et qu’elle épuise sa fonction en identifiant un État étranger dans son ensemble. Par suite, le choix éventuel entre les systèmes de droit privé compris dans cet ordre juridique devra s’opérer en suivant les règles en vigueur dans celui-ci. La seconde estime au contraire que la règle de conflit de lois doit individualiser concrètement la « règle » substantielle applicable au rapport litigieux et qu’elle peut donc procéder de manière autonome au choix du droit applicable au sein d’un État plurilégislatif.

19En imposant aux juges du fond qu’ils recherchent « d’après les règles américaines de conflits internes de quel État fédéré la loi était applicable », la Cour de cassation s’engage dans la première voie. La technique est souvent dénommée « renvoi interne », en raison de l’analogie qu’elle présente avec le « renvoi international ». De fait, dans les deux cas, le juge du for prend en considération un système conflictuel étranger afin de choisir la loi applicable. Pour autant, ces deux mécanismes de coordination ne devraient pas être confondus car ils n’ont pas un objet identique. Le renvoi international consiste à prendre en considération des règles étrangères relatives aux conflits internationaux de lois. La loi finalement applicable au rapport litigieux sera soit la lex fori (renvoi au premier degré), soit une loi tierce n’appartenant pas à l’ordre juridique initialement désigné par le for (renvoi au nième degré). Le renvoi interne sert au contraire à sélectionner la loi matérielle interne applicable à la cause. Il rend compétente une loi appartenant nécessairement à l’ordre juridique individualisé au départ par le for, ce qui est à l’évidence exclu des figures du renvoi international : il n’y a pas de renvoi lorsque la règle de conflit du for désigne une loi étrangère qui se reconnaît compétente. La distinction ainsi opérée emporte deux conséquences. D’une part, l’admission, par l’arrêt commenté, du « renvoi interne », ne renverse pas, à notre avis, le principe de l’exclusion – pourtant discutable – du renvoi international à propos de l’article 311-14 du code civil. Partant, les juges continueront très certainement d’admettre que ce texte contient une « désignation directe et impérative de la loi applicable » (Paris, 11 mai 1976, Annick D. c/ Kostia de D., Rev. crit. DIP 1977. 109, note I. Fadlallah ; JDI 1977. 656, note J. Foyer ; jurispr. confirmée par la suite). D’autre part, le recours aux règles de conflits internes étrangères devrait uniquement servir à opter pour l’un des systèmes juridiques coexistant au sein de l’ordre juridique plurilégislatif étranger, sans remettre en question le principe même de la compétence de cet ordre juridique, résultant du rattachement retenu par le for. Le renvoi international – à condition qu’il soit accueilli en la matière – ne devrait intervenir qu’une fois identifié le système territorial applicable (v. par ex., à propos du régime matrimonial, T. civ. Orléans, 27 févr. 1951, Morelos, Rev. crit. DIP 1954. 358, note H. Batiffol, déclarant directement applicable la loi de l’État de New York, où les époux, résidents de cet État, ont ouvert un compte joint, puis acceptant un renvoi – de droit international privé – de la loi de cet État vers la loi française du lieu de situation des biens immobiliers).

20En toute hypothèse, la solution posée dans cet arrêt du 20 avril 2017 paraît de prime abord répondre aux exigences de permanence du statut personnel et de continuité du rattachement auxquelles aspire la règle française de conflit. Ces objectifs généraux avaient déjà conduit Patrick Courbe, dans le domaine particulier du changement de la loi étrangère dans le temps, à la conclusion que « le juge du for [doit] se référer à la loi étrangère dans toutes ses dispositions, transitoires comme de fond » (P. Courbe, Les objectifs temporels des règles de droit international privé, préf. J. Foyer, PUF, 1981, spéc. nos 294-295, p. 304-306). Or, l’analogie, défendue par certains auteurs, entre les conflits de lois dans le temps et les conflits de lois dans l’espace est susceptible de justifier que les seconds soient résolus, comme les premiers, en analysant les objectifs poursuivis par la règle de conflit du for. Par suite, le respect de ces impératifs de permanence et de continuité, qui fonde le respect du droit transitoire étranger, commande pareillement le « [respect des] règles interlocales étrangères, lorsqu’elles existent ». La solution est donc dictée par la règle de conflit du for qui « [vise] l’alignement de son choix de l’ordre subordonné compétent sur celui du droit interlocal étranger » (v. sur cette démonstration, H. Muir Watt, La fonction de la règle de conflit de lois, thèse dactyl., Paris 2 Panthéon-Assas, 1985, p. 465-476, spéc. p. 476. Adde A. Boiché, AJ fam. 2017. 416, traçant un parallèle entre l’arrêt commenté et l’arrêt Leppert de la Cour de cassation, qui considère qu’en cas de modification dans le temps de la loi étrangère désignée par l’article 311-14 du code civil, « il appartient [à cette loi] de résoudre les conflits dans le temps » : Civ. 1re, 3 mars 1987, Leppert c/ Grauschopf, no 85-12.693 ; Bull. civ. I, no 78 ; Rev. crit. DIP 1988. 695, note M. Simon-Depitre ; GADIP no 73).

21Si la directive avancée par la Cour de cassation est claire, sa mise en œuvre s’avère en revanche délicate.

II – Une solution délicate à mettre en œuvre

22Depuis les arrêts de la Cour suprême Erie Railroad de 1938 et Klaxon de 1941, il n’y a pas, aux États-Unis, de droit commun fédéral des conflits de lois et il peut donc exister, potentiellement, autant de règles de conflit que d’États fédérés (v. not. Y.-É. Le Bos, Renouvellement de la théorie du conflit de lois dans un contexte fédéral, préf. H. Muir Watt, Dalloz, 2010, spéc. p. 140-152, sur la pluralité – néanmoins encadrée – des sources du mécanisme de résolution du conflit de lois aux États-Unis). En d’autres termes, les « règles américaines de conflits internes » que la Cour de cassation prescrit de consulter n’existent pas ! Deux voies s’offrent alors à l’interprète. Il peut, poussant à bout la logique suivie par la Haute Juridiction, chercher à identifier la loi américaine en se référant à des solutions communes, énoncées par le système américain (A) ou, constatant la défaillance du rattachement à la nationalité, compléter la règle française de conflit international par un critère subsidiaire de rattachement (B).

A – La recherche de la solution américaine communément admise

23Il a été suggéré, afin de pallier l’absence d’un règlement américain uniforme des conflits internes, « d’appliquer la solution la plus communément admise », ce qui reviendrait à substituer à la loi nationale d’un Américain la « loi de l’État où il est domicilié, conformément à la règle commune aux différents États fédérés » (B. Audit, L. d’Avout, Droit international privé, 7e éd., Économica, 2013, no 358, p. 320). La recherche de la « solution concordante » au sein du système étranger a pu aussi être proposée dans le domaine du conflit dans le temps. Lorsqu’une situation juridique présente au moment de sa naissance des points de contact avec plusieurs systèmes étrangers et qu’elle n’est appréhendée par le for que postérieurement à sa naissance, la règle de conflit du for doit, afin de respecter les droits internationalement acquis, « [céder] le pas [si] tous les systèmes de droit international privé impliqués au moment de la création du droit sont d’accord sur la compétence d’une loi interne déterminée » (Ph. Francescakis, note sous Rabat, 24 oct. 1950, Machet c/ Revelu, Rev. crit. DIP 1952. 89, spéc. p. 94). Cette recherche ne conduit d’ailleurs pas toujours, notons-le au passage, à remplacer la loi nationale d’un Américain par la loi de son domicile. La règle communément admise aux États-Unis peut ainsi désigner, au lieu et place de la loi américaine, la loi du lieu de célébration du mariage, pour en apprécier les conditions de fond (v. par ex. T. civ. seine, 6 avr. 1951, Ryan c/ de Lussigny, Rev. crit. DIP 1953. 586, note H. Batiffol), ou encore, dans le domaine de la dévolution héréditaire, la lex situs pour les immeubles et la loi du domicile du défunt pour les meubles (v. P. Gannagé, note sous Cour de cassation du Liban, 3 juill. 1968, Rev. crit. 1970. 266).

24Il reste que le critère du domicile a été retenu à plusieurs reprises par la jurisprudence française, avant la loi du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce, lorsqu’il s’agissait de préciser le droit applicable au divorce d’époux américains, soumis à leur loi nationale commune (v. par ex. T. civ. Havre, 17 nov. 1923, épx Knibloë, Rev. crit. DIP 1926. 264, obs. anonymes, 1re esp., qui décide qu’une telle action « ne [peut] être jugée que d’après les règles des lois américaines et plus spécialement de celles de l’État de New York, où [le mari] a son domicile », puisqu’« en Amérique, le statut personnel est déterminé, non par la nationalité, mais par le domicile »). Ce dispositif, toutefois, avait pour résultat de dénaturer le système américain, celui-ci ne contenant pas à proprement parler de règles de conflit de lois mais plutôt une règle de compétence judiciaire « renvoyant » à un tribunal étranger, lequel applique sa propre loi (v., sur ce « renvoi de compétence législative par l’intermédiaire d’un renvoi de compétence judiciaire », Ph. Francescakis, Rép. internat. 1969, vo Renvoi, no 67, p. 757). Dans l’affaire objet du présent commentaire, l’arrêt de la cour d’appel, qui a sélectionné directement la loi de l’État de Virginie – correspondant non seulement à l’État qui a délivré à la mère un certificat de nationalité américaine mais également à l’État où elle a fixé son domicile après son mariage – est cassé pour défaut de base légale. La cour d’appel de renvoi devra, si elle souhaite maintenir la compétence de la loi de cet État, motiver sa position en se référant au droit américain, censé donner compétence à la loi du domicile en matière de statut personnel.

25Ce recours au critère du domicile – à supposer qu’il recueille l’adhésion de l’ensemble des États fédérés américains pour régir la filiation naturelle – ne règle toutefois pas toutes les difficultés. D’une part, l’existence d’une règle de conflit commune aux États impliqués dans la relation ne sera d’aucun secours toutes les fois que ces États ne retiendront pas la même définition du domicile. Or, rien ne garantit, en l’espèce, que l’État de Virginie, qui puise dans la common law anglaise, et l’État de Louisiane, qui porte l’empreinte du droit français, concevront le domicile de façon semblable. D’autre part et surtout, cette règle de conflit devrait, selon nous, être écartée lorsque le domicile est situé à l’extérieur de l’ordre juridique initialement individualisé par le for, sous peine de méconnaître la distinction entre le renvoi interne et le renvoi international (v. supra I, B). L’arrêt Kenny de la Cour de cassation, rendu à propos de l’ouverture de la tutelle d’une ressortissante canadienne domiciliée en France, ne dément pas cette analyse (Civ. 1re, 21 sept. 2005, no 04-10.217, Kenny c/ Martinez-Kenny, Bull. civ. I, no 336 ; D. 2006. 1726, note F.-X. Morisset ; AJ fam. 2005. 450, obs. C. Grimaldi ; Rev. crit. DIP 2006. 100, note H. Muir Watt). Certes, il y est affirmé que le « droit canadien de common law », désigné par l’article 3 du code civil pour régir les questions d’état et de capacité d’un Canadien, renvoie à la loi française du domicile de l’intéressée. Toutefois, et contrairement à ce qu’une lecture rapide de la décision pourrait laisser accroire, la formule ne doit pas être interprétée comme un renvoi, par la règle canadienne de conflit interprovincial communément applicable, à la loi d’un État tiers, française en l’occurrence. En effet, le renvoi international n’est intervenu que dans un second temps, une fois le conflit interprovincial tranché en faveur de la loi de la Nouvelle-Écosse, dont était originaire l’intéressée (H. Muir Watt, note préc., spéc. p. 102-103). La haute juridiction, loin de consulter les règles canadiennes réglant les conflits entre les lois d’États fédérés – qui l’auraient conduite à sortir du système canadien –, a d’abord procédé à une désignation directe de l’une des lois canadiennes applicables avant de suivre la désignation par celle-ci de la loi française. Dans notre affaire, la mère, après avoir fixé son domicile dans l’État de Virginie, est partie vivre en France, à la suite de la mutation de son mari. Que décider s’il est établi que son domicile était en France au jour de la naissance de son enfant ? Comment concilier l’exigence d’une consultation des règles américaines, qui se traduit par une cassation pour défaut de base légale de l’arrêt d’appel ayant déterminé directement la loi substantielle américaine applicable, et la réalisation, à l’extérieur du système américain, du critère de rattachement résultant prétendument de l’ensemble de ces règles ? L’arrêt de 2017 signe-t-il l’abandon de l’arrêt Kenny ?

26Les difficultés liées à la recherche de la solution américaine communément admise peuvent être évitées en complétant la règle de conflit international du for par un critère subsidiaire de rattachement.

B – La recherche d’un critère subsidiaire de rattachement de la règle française

27Lorsque la loi nationale désignée par la règle de conflit du for est celle d’un État plurilégislatif qui ne dispose pas de règles de conflits internes unifiées, le for peut renoncer aux règles de conflits étrangères et compléter sa règle de conflit international par un ou plusieurs critère(s) subsidiaire(s) de rattachement, lui permettant d’identifier concrètement la loi applicable. De fait, cette méthode a gagné la faveur d’un grand nombre de législations ou de textes supranationaux. Le droit positif offre, à cet égard, une véritable diversité, selon les matières, des critères subsidiaires de rattachement concevables : substitution, à titre de principe, de la loi de la dernière résidence habituelle du ou des époux à la loi nationale défaillante dans la Convention de La Haye du 14 mars 1978 relative aux régimes matrimoniaux (solution qui sera remplacée par la « loi de l’unité territoriale avec laquelle les époux/les partenaires présentent les liens les plus étroits » dans les règlements précités du 24 juin 2016) ; application de la loi de l’unité territoriale choisie par les parties et, en l’absence de choix, de la loi de l’unité territoriale avec laquelle l’époux ou les époux présente(nt) les liens les plus étroits dans le règlement Rome III portant sur le divorce et la séparation de corps ou encore appel au principe de proximité dans le Protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur les obligations alimentaires (v., pour un essai de systématisation des critères envisageables, V. Parisot, Les conflits internes de lois, op. cit., vol. 2, spéc. p. 2299-2317).

28La technique doit être approuvée. Bien plus, et contrairement à ce qui est affirmé par le présent arrêt, la recherche d’un critère subsidiaire de rattachement nous paraît devoir s’imposer même si l’État plurilégislatif étranger dispose d’un système uniforme de règles de conflits internes. En effet, la consultation des règles étrangères de conflits internes, qui se heurte très souvent à des difficultés pratiques insurmontables, peine le plus souvent à trouver un fondement théorique réellement satisfaisant (ibid., spéc. p. 2343-2365). En outre, les règles de conflits internes étrangères, qui se présentent comme des règles de fonctionnement de l’ordre juridique qui les a édictées, ne s’imposent pas au juge français. Celui-ci est donc parfaitement fondé à résoudre le conflit interne étranger par une interprétation de la règle de conflit international française (ibid., spéc. p. 2366-2375). Lorsque la mère est américaine, la référence à la nationalité opérée par l’article 311-14 du code civil ne permet pas de donner compétence à la loi d’un État fédéré américain donné. Le juge français, constatant une défaillance du critère de rattachement principal (v. en ce sens P. Mayer, V. Heuzé, Droit international privé, 11e éd., LGDJ/Lextenso, 2014, spéc. no 182, p. 139), devrait alors y remédier en recourant à un critère subsidiaire, sans qu’il soit nécessaire à cet égard de s’interroger préalablement sur l’existence éventuelle, à l’étranger, d’un système (uniforme) de règlement des conflits internes. Dans cette voie, il a été proposé de remplacer en ce cas le rattachement à la nationalité par le rattachement au domicile, comme dans les autres situations – telle l’apatridie – où le rattachement à la nationalité est inopérant (D. Bureau, H. Muir Watt, Droit international privé, op. cit., no 515, spéc. p. 609). La réalisation du critère de rattachement à l’extérieur de l’ordre juridique – américain en l’occurrence – ne se heurte pas aux objections précédemment formulées à l’encontre de ce critère (v. supra I, A). En effet, il ne s’agit plus, dans cette perspective, de faire jouer la règle de conflit interne américaine, mais de compléter la règle de conflit international française défaillante.

29À la réflexion toutefois, il nous semble préférable de ne pas recourir de façon systématique au critère du domicile afin de parer à la défaillance du rattachement principal à la nationalité. Dans le cadre de l’article 311-14 du code civil en particulier, le critère du domicile devrait en effet être assorti de la même précision temporelle que le critère de la loi personnelle de la mère et être compris comme renvoyant au domicile de la mère au jour de la naissance de l’enfant. Le critère, qui peut donc s’avérer purement fortuit et sans lien significatif avec l’enfant, lequel constitue pourtant le centre de gravité de la relation, paraît inapte à garantir la continuité et la permanence du statut personnel poursuivies par le législateur. De notre point de vue, les critères de rattachement subsidiaires spécifiquement prévus par la règle de conflit en cause devraient – lorsqu’il en existe – être privilégiés (V. Parisot, Les conflits internes de lois, op. cit., vol. 2, spéc. p. 2386-2390). En l’espèce, l’on pourrait ainsi songer à appliquer la loi personnelle de l’enfant… en espérant qu’il ne s’agisse pas de la loi d’un État plurilégislatif. En toute hypothèse, la loi française ne devrait intervenir qu’à titre infiniment subsidiaire, en tout dernier recours. Le système préconisé, simple d’application et respectueux de la logique du système français de droit international privé, éviterait les errements auxquels ne manquera pas de conduire la mise en œuvre de la solution posée par la Cour de cassation. Formons le vœu que la jurisprudence saura évoluer.

Français

Prive sa décision de base légale au regard des articles 3 et 311-14 du code civil la cour d’appel saisie d’une action en recherche de paternité qui, après avoir constaté que la mère de l’enfant était de nationalité américaine, déduit de l’obtention, par celle-ci, d’un certificat de naturalisation de l’État de Virginie que la loi de cet État fédéré est applicable au litige, sans rechercher, d’après les règles américaines de conflits internes, de quel État fédéré la loi était applicable et le contenu de celle-ci (1).
M. Pierre X. c/ Mme Margaryta Y. et autre

Mots clés

  • Conflit interne étranger de lois
  • Action en recherche de paternité
  • Loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant
  • Mère américaine
  • Application de la loi de l’État fédéré désignée par les règles américaines de conflits internes
Valérie Parisot
Maître de conférences à l’Université de Rouen Normandie, CUREJ, équipe CREDHO-DIC
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.182.0329
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