CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le jugement en date du 14 novembre 2017 [1], rendu par le tribunal de première instance de Tunis, retient l’attention par les solutions audacieuses et pertinentes qu’il propose. Il se prononce, pour la première fois, sur la question de la reconnaissance du divorce extrajudiciaire du droit français dans l’ordre juridique tunisien.

2Par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du xxie siècle [2], le législateur français a introduit une réforme substantielle du droit de la famille en adoptant une nouvelle modalité du divorce par consentement mutuel sans recours au juge [3]. Le nouvel article 229-1 du code civil prévoit ainsi que « lorsque les époux s’entendent sur la rupture du mariage et ses effets, ils constatent, assistés chacun par un avocat, leur accord dans une convention prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par leurs avocats… ». Le divorce par consentement mutuel ne peut être demandé que si les époux sont d’accord sur le principe du divorce et sur ses conséquences pécuniaires et personnelles.

3La convention est ensuite déposée au rang des minutes d’un notaire « qui contrôle le respect des exigences formelles » prévues par l’article 229-3 du même code [4]. Ce dépôt donne ses effets à la convention en lui conférant date certaine et force exécutoire.

4Le nouveau divorce sans juge vise essentiellement à simplifier la procédure et à désengorger les tribunaux. En effet, plus de la moitié des divorces prononcés en 2015 l’était par consentement mutuel [5]. C’est dire l’importance des conséquences espérées par la réforme au niveau de la pratique judiciaire courante.

5Avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016, les époux qui souhaitaient divorcer par consentement mutuel devaient élaborer une convention réglant l’ensemble des conséquences du mariage. Cette convention, rédigée avec leur avocat commun ou leurs avocats respectifs, devait ensuite être soumise à l’homologation du juge. Celui-ci était tenu de vérifier si les intérêts de chacun des époux ainsi que ceux des enfants avaient été préservés.

6Avec la loi du 18 novembre 2016, le divorce par consentement mutuel ne peut être judiciaire que dans le cas où l’un des enfants du couple demande à être entendu par le juge dans le cadre d’une procédure de divorce, ou si l’un des époux est placé sous un régime de protection.

7La réforme avait provoqué une certaine réserve en France [6]. Mais dès son entrée en vigueur, les critiques ont semblé s’atténuer, et la pratique a suscité une acceptation de ce nouveau mode de dissolution du mariage, si bien qu’on a pu estimer qu’il « pourrait faire des petits » dans d’autres domaines, et notamment en matière d’adoption simple [7].

8La portée internationale du divorce extrajudiciaire avait cependant été oubliée par la réforme. Contrairement à la réforme instituant le pacte civil de solidarité [8] ou celle ouvrant le mariage à tous [9], la loi du 18 novembre 2016 n’a pas du tout envisagé les relations internationales privées [10].

9Le décret d’application de la loi, paru le 28 décembre 2016 [11], contient quelques indications très timides liées à l’aspect international. Il prévoit notamment que « les agents diplomatiques et consulaires… ne sont pas compétents pour recevoir en dépôt, au rang des minutes, les conventions de divorce par consentement mutuel prévues à l’article 229-1 du code civil ».

10La circulaire du 26 janvier 2017 [12] tente, tant bien que mal, de combler la lacune laissée par la loi du 18 novembre 2016 en proposant quelques bribes de solutions. Mais elle opère une sorte de « désinternationalisation » du divorce par consentement mutuel [13] en le détachant des règles de compétence internationale directe consacrées par le règlement Bruxelles II bis du 27 novembre 2003 [14] et en le soumettant « de préférence » à la loi française conformément au règlement Rome III du 20 décembre 2010 relatif à la loi applicable au divorce et à la séparation de corps [15].

11Cette circulaire laisse cependant subsister plus de difficultés qu’elle n’en résout. Elle laisse en effet planer le doute sur de nombreuses questions : le recours au divorce extrajudiciaire est-il possible en l’absence de tout lien de proximité avec l’ordre juridique français ? Un couple tuniso-marocain résidant en Italie peut-il se rendre en France pour divorcer par voie de consentement mutuel extrajudiciaire ? Que faire si les époux ne peuvent pas ou ne veulent pas choisir la loi française conformément au règlement Rome III ?

12De plus, comme on l’a souligné, s’il est à la limite possible d’ignorer l’aspect international du divorce au stade de sa « création » en France, on ne saurait l’occulter lorsque celui-ci est appelé à circuler en dehors de l’ordre juridique français [16].

13La circulation internationale du divorce extrajudiciaire suscite maintes interrogations. La circulaire du 26 janvier 2017 distingue sa reconnaissance dans les pays de l’Union européenne de sa reconnaissance en dehors des pays de l’Union européenne.

14La reconnaissance du principe même du divorce sans juge pourra s’insérer dans le cadre européen puisque l’article 46 du règlement Bruxelles II bis du 27 novembre 2003 prévoit que « les actes authentiques reçus et exécutoires dans un État membre ainsi que les accords entre les parties exécutoires dans l’État membre d’origine sont reconnus et rendus exécutoires dans les mêmes conditions que les décisions ». C’est ce que rappelle la circulaire du 26 janvier 2017. Le divorce extrajudiciaire, qui constitue un accord entre les parties, sera reconnu et rendu exécutoire dans les autres pays de l’Union européenne.

15La reconnaissance des effets du divorce sans juge posera davantage de difficultés [17], en raison de son incompatibilité avec le règlement Bruxelles II bis du 27 novembre 2003 et le règlement « Aliments » du 18 décembre 2008 [18].

16En dehors de l’Union européenne, la circulaire se contente de prévoir que « la reconnaissance et l’exécution des décisions françaises rendues en matière de divorce et d’autorité parentale dans un autre État sont fonction des conventions particulières reliant la France et l’État requis ou du droit national applicable en la matière ».

17Dès son entrée en vigueur dans l’ordre juridique français, le 1er janvier 2017, le divorce sans juge n’a pas tardé à s’exporter en dehors des frontières européennes. Eu égard à l’importance des relations familiales tuniso-françaises, il a très vite atterri devant les autorités tunisiennes, suscitant chez elles questionnement et perplexité.

18C’est ainsi que plusieurs personnes ayant eu recours au divorce par consentement mutuel extrajudiciaire se sont présentées aux autorités tunisiennes aux fins de transcrire sur les registres de l’état civil la dissolution du mariage.

19La transcription des divorces prononcés en France ou en Tunisie est soumise aux dispositions de la Convention tuniso-française du 28 juin 1972 relative à l’entraide judiciaire en matière civile et commerciale [19]. Or l’article 18 de cette Convention prescrit la transcription, dans les registres de l’état civil, des « décisions relatives à l’état et à la capacité des personnes, émanant des juridictions des Hautes Parties contractantes rendues par les autorités judiciaires en matière d’état et de capacité » [20]. N’étant pas des décisions « rendues par les autorités judiciaires », les actes de divorce se sont retrouvés en dehors des dispositions de la Convention de 1972 et se sont heurtés au refus des services de l’état civil en Tunisie.

20Devant le refus légitime opposé, dans plusieurs cas, par les services de l’état civil de transcrire ce divorce inconnu des autorités tunisiennes, le ministère de la Justice réagit en demandant l’avis du Centre d’études juridiques et judiciaires [21] et de la Commission de réforme du code tunisien de droit international privé tunisien [22]. Le premier rendit un avis daté du 25 mai 2017 par lequel il se montrait plutôt hostile à l’accueil du divorce sans juge en raison de son caractère extrajudiciaire, tandis que la seconde lui semblait plus favorable. Dans un avis exprimé au mois de novembre 2017, la Commission estima que le divorce extrajudiciaire devrait être reconnu par les autorités tunisiennes. Elle suggéra, en cas de refus opposé par l’officier d’état civil de transcrire la convention de divorce dans les registres de l’état civil des intéressés, de saisir les tribunaux.

21C’est ce que firent les plaideurs dans l’affaire ayant donné lieu au jugement du 14 novembre 2017.

22En l’espèce, deux époux ayant la double nationalité française et tunisienne et résidant depuis de nombreuses années en France s’accordent pour divorcer par voie de consentement mutuel. Le 9 juin 2017, ils rédigent avec leurs avocats respectifs une convention de divorce par consentement mutuel et la déposent au rang des minutes d’un notaire le 16 juin 2017.

23Ils s’adressent ensuite aux services de l’état civil en Tunisie afin que la mention de la dissolution du mariage soit portée sur leurs actes d’état civil.

24Les services de l’état civil refusent de transcrire la convention de divorce présentée. L’époux s’adresse alors au tribunal de première instance de Tunis afin de demander au juge d’enjoindre aux services de l’état civil la transcription de l’acte de divorce.

25Statuant, pour la première fois, sur la reconnaissance en Tunisie du divorce extrajudiciaire français, le tribunal de première instance de Tunis saisit l’occasion présentée pour donner le ton. Il accepte de reconnaître le divorce sans juge en dépassant l’obstacle formel lié à la nature privée de l’acte (I) et en se basant sur des arguments de nature substantielle (II).

I – Le dépassement de l’obstacle formel : la neutralisation de la nature de l’acte de divorce

26C’est la nature de l’acte présenté aux services tunisiens de l’état civil qui a justifié son rejet. En effet, les services de l’état civil, conformément à la Convention de 1972, ne sont tenus de transcrire que « les décisions émanant des autorités judiciaires ». La Convention ne pouvait donc s’appliquer à l’acte sous signature privée passé entre les deux époux et déposé au rang des minutes d’un notaire.

27Avec une certaine audace, le juge du tribunal de première instance de Tunis contourne cependant l’obstacle que constituait la Convention de 1972 (A) et accepte de tolérer le caractère non judiciaire du divorce (B).

A – Le contournement de la Convention tuniso-française du 28 juin 1972

28Le tribunal de première instance de Tunis s’est bien rendu compte de l’incompatibilité entre le divorce extrajudiciaire et la Convention de 1972, mais il a contourné l’obstacle qu’elle constituait en considérant qu’elle était devenue inadaptée (1), et en cherchant une solution dans « l’esprit du code de droit international privé » qui permettrait le recours à la méthode de la reconnaissance des situations (2).

291. Tout comme l’officier de l’état civil, le juge était prisonnier des dispositions très claires de la Convention tuniso-française du 28 juin 1972, qui prévoit la transcription des seules « décisions émanant des autorités judiciaires » et rendues en matière d’état et de capacité.

30Outre la Convention de 1972, l’accord relatif au divorce était incompatible avec une autre convention : celle du 18 mars 1982 relative à l’entraide judiciaire en matière de droit de garde des enfants, de droit de visite et d’obligation alimentaire [23]. Le juge ne la mentionne pas, car la demande ne concernait que la reconnaissance du divorce. La Convention de 1982 comporte deux volets essentiels : la mise en place d’un système de coopération entre les autorités centrales des deux États contractants et l’adoption d’un système de contrôle de régularité qui se veut allégé [24]. Tout comme la Convention de 1972, celle de 1982 vise dans plusieurs articles « les décisions judiciaires ». La reconnaissance des effets du divorce à l’égard des enfants, que l’accord entre les époux est appelé à organiser, se retrouve donc en dehors du champ d’application de la Convention de 1982.

31Une application rigoureuse de la Convention de 1972 aurait très certainement abouti à refuser la reconnaissance de l’acte sous signature privée présenté par les époux aux autorités tunisiennes.

32Mais le juge du tribunal de première instance de Tunis se libère des dispositions conventionnelles en estimant que « la Convention de 1972 ne pouvait, au moment où elle a été conclue entre les deux parties, prévoir que ce qui existait à cette époque », c’est-à-dire les décisions rendues par les autorités judiciaires.

33Il s’agit certainement d’une approche très libérale de la question du droit applicable à la réception des décisions étrangères. S’il avait montré un strict respect de la Convention de 1972, le juge aurait refusé de reconnaître l’acte de divorce. Il choisit une autre solution, en mettant à l’écart un texte dépassé, et en se dirigeant vers le droit commun, c’est-à-dire vers les dispositions du code de droit international privé.

34En faisant de la sorte, le juge accepte de faire prévaloir le droit commun sur le droit conventionnel, et semble adhérer, sans le dire clairement, à la thèse préconisant une mise à l’écart du principe de la hiérarchie des normes aux fins de favoriser la circulation internationale des décisions.

35Pour une partie de la doctrine tunisienne, la circulation internationale des décisions constitue un objectif essentiel du droit international privé qui justifie de préférer les solutions libérales apportées par le code de droit international privé à celles souvent strictes et désuètes des conventions internationales d’entraide judiciaire [25]. La plupart des conventions liant la Tunisie à d’autres pays ont, en effet, été conclues à une époque où les règles régissant la réception des décisions étrangères étaient encore assez restrictives. La solution présente une certaine parenté avec la thèse de l’efficacité maximale préconisée pour la résolution des conflits de conventions en droit international privé [26].

36Promulgué le 27 novembre 1998 [27], le code de droit international privé a mis en place un système de contrôle des décisions étrangères beaucoup plus libéral que celui consacré par les conventions d’entraide judiciaire. À titre d’exemple, le code de droit international privé prévoit un système de contrôle de la compétence indirecte du juge étranger extrêmement allégé. Il suffit ainsi, au regard des dispositions de l’article 11 du code, que la décision étrangère, dont la reconnaissance ou l’exequatur est demandé devant le juge tunisien, n’ait pas empiété sur un cas de compétence exclusive des tribunaux tunisiens. Les conventions bilatérales conclues entre la Tunisie et d’autres pays instaurent, quant à elles, des systèmes de contrôle de la compétence indirecte assez complexes : renvoi aux règles de compétence directe admises dans l’État où la décision a été rendue, double référence aux règles de compétence exclusive directe admises dans l’État requis et aux règles de compétence ordinaire directe de l’État requérant, renvoi aux règles de compétence directe de l’État requis, mise en place de règles de compétence indirecte spécifiques, combinaison entre les différents systèmes [28]. Les règles adoptées par les conventions internationales, contrairement à celles issues du code de droit international privé, ne sont pas de nature à faciliter la reconnaissance ou l’exequatur.

372. C’est donc vers le code de droit international privé que le juge tente de se tourner pour trouver un socle permettant de reconnaître la convention de divorce présentée [29]. Mais la convention de divorce extrajudiciaire pouvait-elle relever du régime de la réception ?

38Le code de droit international privé est resté très timide, voire confus, sur la question de la nature des actes étrangers éligibles au système de la réception [30].

39La détermination des actes relevant de la méthode de la réception a donné lieu à une vive discussion et à une littérature juridique très abondante en France [31].

40Le régime de la réception des décisions émanant d’une autorité judiciaire, mis en place par le code de droit international privé, peut-il s’étendre à d’autres catégories d’actes émanant d’une autorité publique ?

41Certaines dispositions du code permettent de considérer que le régime de la réception en Tunisie des décisions judiciaires s’étend aux actes publics non judiciaires ayant un caractère décisionnel. Fixant l’objet du code, son article 1er énonce qu’il régit notamment « les effets en Tunisie des jugements et décisions étrangères ». Son article 12 s’appliquant aux « jugements » et aux « décisions gracieuses rendues par une autorité étrangère compétente ». À côté des décisions contentieuses et gracieuses émanant des autorités judiciaires, les dispositions contenues dans les articles 11 à 18 du code seraient aussi applicables à des décisions émanant d’une autorité publique non judiciaire. Outre les décisions judiciaires, le régime de la réception s’applique donc certainement aux actes publics décisionnels.

42Cependant, bien que le code se réfère aux « décisions », la doctrine tunisienne admet, dans sa majorité, l’extension du régime de la réception aux actes publics non décisionnels [32]. Elle rejette ainsi la thèse restrictive excluant les actes publics non décisionnels du régime de la réception, et rejoint la thèse libérale qui les y inclut. Le régime de la réception s’appliquerait donc aux divorces administratifs, aux actes notariés relatifs à la kafala[33] ou aux actes notariés de répudiation [34]. La jurisprudence semble également pencher pour cette approche [35].

43Peut-on aller au-delà et considérer que les actes privés peuvent relever du régime de la réception posé par le code de droit international privé ? La convention de divorce présentée au juge tunisien n’était même pas un acte public non décisionnel. Il est difficile de ne pas voir dans le divorce extrajudiciaire sous signature privée un acte privé. La convention élaborée par les époux constate le divorce. Le notaire n’exerce qu’un rôle réceptif, car il ne procède, aux termes de l’article 229-1 du code civil, qu’à un contrôle formel.

44Même avec une lecture bienveillante et une interprétation extensive, les dispositions du code de droit international privé tunisien ne peuvent englober les actes privés. Le juge du tribunal de première instance de Tunis, montrant davantage d’audace, délaisse alors la lettre du texte et se tourne vers « l’esprit du code de droit international privé », qui autorise, selon lui, « la reconnaissance des situations valablement créées à l’étranger ».

45À côté de la méthode classique de la reconnaissance des décisions s’est développée, en droit international privé, la méthode de la reconnaissance des situations [36]. La méthode de la reconnaissance des situations se présente comme un mécanisme de résolution des conflits de lois impliquant un alignement de l’appréciation, portée par le for par rapport à une situation, « sur le point de vue normatif précédemment concrétisé dans un État étranger dont les titres à régir la situation sont reconnus » [37]. Ainsi, lorsqu’une situation est constituée à l’étranger en conformité avec la loi applicable à l’étranger, le for renonce à la soumettre à un second examen conformément à ses propres règles de conflit. En effet, une réévaluation de la situation valable à l’étranger, selon le système de conflit de lois du for, peut aboutir à l’invalider.

46La méthode de reconnaissance des situations permet notamment de « repêcher » les situations que les tenants de la thèse restrictive entendent exclure du domaine de la reconnaissance des décisions, car elles ne sont pas issues d’un acte décisionnel, mais d’un acte non décisionnel, voire de la volonté privée [38].

47C’est justement à propos de la reconnaissance des situations issues de la volonté privée que la méthode de la reconnaissance révèle sa spécificité et son utilité [39]. La position libérale prônant la reconnaissance des situations issues de la volonté privée a gagné du terrain dans la doctrine à l’étranger et en Tunisie. Menant sa réflexion à partir du divorce, Madame Salma Triki estime, en effet, qu’« il semble nécessaire d’intégrer au sein de la catégorie des situations juridiques celles considérées comme valables à l’étranger sans la moindre intervention publique. Un ordre juridique peut, en effet, décider qu’un divorce n’est valable que s’il est judiciaire, administratif, législatif ou du fait du prononcé d’une formule par l’une des parties. Dans chacun de ces choix, l’ordre juridique précise la condition qui donne au divorce une existence juridique et qui en fait une situation opposable et pouvant être sanctionnée par le système juridique concerné » [40].

48Le tribunal de première instance de Tunis semble adopter ce point de vue. Bien qu’elle soit issue de la seule volonté privée, et simplement déposée au rang des minutes du notaire, la convention de divorce présentée a donc été reconnue par le juge tunisien. Mais afin de parvenir à ce résultat, le juge devait montrer une grande tolérance à l’égard du divorce non judiciaire.

B – La tolérance à l’égard du divorce non judiciaire

49En acceptant de reconnaître le divorce sans juge, le tribunal de première instance de Tunis fait preuve d’une très grande tolérance dans le traitement des divorces transfrontières.

50Le caractère judiciaire du divorce constitue, en effet, l’un des piliers du droit tunisien de la famille. Il fut imposé en Tunisie dès 1956, avec la promulgation du code du statut personnel, en même temps que l’interdiction de la polygamie et l’abolition de la tutelle matrimoniale. La promulgation du code du statut personnel fut, pour le jeune État tunisien, une véritable « révolution par le droit » [41], s’écartant des solutions traditionnelles du droit musulman et garantissant à la femme tunisienne un statut resté inégalé jusqu’à nos jours dans le monde arabe [42].

51Le divorce, qui a nécessairement un caractère judiciaire, est ouvert aux deux époux dans les mêmes conditions et pour les mêmes causes. Il peut être prononcé dans trois cas selon l’article 31 du code tunisien du statut personnel : en cas de consentement mutuel, sur la base de la volonté unilatérale de l’un des époux, et en cas de faute. Le caractère judiciaire du divorce est renforcé par un ensemble de règles procédurales impératives : une tentative de conciliation obligatoire s’il n’y pas d’enfants, trois tentatives obligatoires en cas de présence d’enfants mineurs, désignation d’un juge de la famille, vérification de la notification de la signification…

52Le divorce judiciaire a remplacé en Tunisie la dissolution extrajudiciaire du mariage par voie de répudiation. Le caractère judiciaire et le caractère égalitaire du divorce sont deux caractéristiques intimement liées en droit tunisien de la famille. En ôtant au mari la possibilité de dissoudre le mariage sur la base de sa volonté unilatérale, c’est-à-dire par voie de répudiation, le législateur tunisien a confié au juge la mission de prononcer un divorce égalitaire et de veiller à la protection des intérêts de la femme.

53Malgré l’importance du caractère judiciaire du divorce, le juge tunisien a su s’en défaire dans les relations internationales privées. C’est ainsi que plusieurs décisions émanant des tribunaux tunisiens acceptent de passer outre le caractère non judiciaire des actes de répudiation étrangers. Ces derniers sont toutefois rejetés pour une autre raison : leur contrariété au principe d’égalité entre époux, principe fondamental de l’ordre public international tunisien [43]. Tel est notamment le cas d’un jugement rendu le 27 juin 2000 par le tribunal de première instance de Tunis [44]. Pour le tribunal, « l’acte établi en Égypte, par le Bureau du statut personnel du Caire est un simple témoignage rédigé par un officier public qui s’est contenté de constater que l’époux a répudié son épouse et n’a pas un caractère judiciaire ». Mais même s’il n’a pas un caractère judiciaire, constate le tribunal, il pourra produire effet s’il remplit les conditions de régularité exigées par le code de droit international privé.

54Le tribunal de première instance de Tunis réitère la même position dans un jugement du 1er décembre 2003 [45] à propos d’un acte de répudiation établi par deux notaires au Maroc, et enregistré par la suite auprès d’une autorité judiciaire. Le tribunal considère que cet acte, qui constitue une simple preuve établie par deux notaires et n’a pas un caractère judiciaire, pourra néanmoins produire effet en Tunisie s’il remplit les conditions de régularité exigées par le code de droit international privé [46].

55Le juge reprend cette même approche tolérante dans la décision examinée. Il accepte, un peu à contrecœur, de considérer que « rien n’empêche de reconnaître ce divorce, même s’il n’a pas un caractère judiciaire ». Il est certain que le divorce extrajudiciaire français présentait aux yeux du juge tunisien une certaine parenté avec les répudiations admises dans les pays arabo-musulmans et contre lesquelles les tribunaux tunisiens tentent de lutter depuis des décennies… Mais le juge fait la part des choses et accepte de reconnaître le divorce extrajudiciaire français par consentement mutuel. Pour ce faire, il délaisse la forme de la convention de divorce pour s’intéresser à sa substance.

II – Le recours aux arguments d’ordre substantiel : l’acceptation du divorce sans juge

56Deux arguments essentiels permettent au juge d’admettre la reconnaissance du divorce extrajudiciaire : sa régularité internationale (A) et l’impératif de continuité de l’état des personnes (B).

A – La régularité internationale de l’acte de divorce

57N’étant pas un jugement, mais un simple acte sous signature privée, la régularité de la convention de divorce présentée aux juges du tribunal de première instance de Tunis ne pouvait se faire à l’aune de l’article 11 du code tunisien de droit international privé. Ce texte, conçu pour les actes rendus par les autorités judiciaires, comporte des conditions de régularité propres à ces dernières. Selon ce texte, quatre conditions de régularité essentielles doivent être remplies. Ainsi, le jugement étranger sera reconnu ou déclaré exécutoire s’il n’empiète pas sur un cas de compétence exclusive des juridictions tunisiennes, s’il ne porte pas atteinte à l’ordre public international, si les droits de la défense ont été respectés, et s’il ne contredit pas une décision rendue par les autorités tunisiennes [47].

58Le tribunal de première instance de Tunis prend une certaine liberté par rapport à un texte inadapté. Opérant une sorte d’adaptation du texte à la nature de l’acte présenté, le tribunal vérifie sa régularité par rapport à trois conditions : sa conformité à l’ordre public international tunisien (1), l’absence de toute fraude (2), et l’absence d’une décision contraire (3).

591. La conformité de tout acte étranger, quelle que soit sa nature, à l’ordre public international du for constitue indéniablement la principale condition de régularité internationale.

60Le juge s’attarde sur la question de la conformité de l’acte étranger à l’ordre public international tunisien [48]. Il estime que la convention de divorce conclue entre les deux époux et déposée auprès d’un notaire avait préservé deux principes fondamentaux de l’ordre public international tunisien : celui de l’égalité entre l’homme et la femme et celui de l’intérêt de l’enfant.

61Le juge estime tout d’abord que la convention de divorce est conforme au principe d’égalité entre les sexes, auquel il montre, encore une fois, son attachement. La décision du 14 novembre 2017 prolonge la liste des nombreuses décisions rendues par les tribunaux tunisiens qui se sont fondées sur le principe d’égalité entre les sexes pour déclarer contraires à l’ordre public la loi étrangère autorisant le mariage polygamique [49] ou les actes de répudiation intervenus à l’étranger [50]. On évoquera ainsi une décision très remarquée du 27 juin 2000 rendue également par le tribunal de première instance de Tunis, qui avait déclaré contraire à l’ordre public un acte de répudiation intervenu en Égypte [51]. En l’espèce, un époux égyptien avait répudié son épouse tunisienne en Égypte. L’acte de répudiation avait été dressé par une autorité publique, le Bureau du statut personnel au Caire. Le tribunal refusa la reconnaissance de l’acte en affirmant que « la répudiation, qui est un mode classique et religieux de dissolution du lien conjugal et qui repose sur la volonté unilatérale de l’époux, heurte l’ordre public international tunisien ». Afin de justifier sa position, le tribunal se référa à trois textes, l’article 6 de la Constitution tunisienne, qui proclame le principe de l’égalité des citoyens devant la loi, la Convention de Copenhague de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, et la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948.

62Cet appel aux « grands textes » se retrouve dans la décision commentée. Le principe d’égalité est puisé dans les articles 21 de la nouvelle Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 [52] et 16 de la Convention de Copenhague du 18 décembre 1979 sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes [53].

63L’article 21 de la Constitution tunisienne énonce dans son premier paragraphe que « les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination ». Il constitue indéniablement l’un des principaux acquis de la nouvelle Constitution de 2014 [54].

64Le juge se réfère également à l’article 16 de la Convention de Copenhague du 18 décembre 1979 sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes, selon lequel « les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes, dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux, et assurent, sur la base de l’égalité entre l’homme et la femme… les mêmes droits et les mêmes responsabilités au cours du mariage et lors de sa dissolution » [55].

65Le juge estime ensuite que la convention de divorce a bien préservé l’intérêt de l’enfant. Il s’appuie sur l’article 47 de la Constitution et sur l’article 3 de la Convention des droits de l’enfant du 20 novembre 1989.

66Selon l’article 47 de la Constitution, « la dignité, la santé, les soins, l’éducation et l’instruction constituent des droits garantis à l’enfant par son père et sa mère et par l’État. L’État doit assurer aux enfants toutes les formes de protection sans discrimination et conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant ».

67Quant à l’article 3 de la Convention des droits de l’enfant, il énonce que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » [56].

68Tout comme le principe d’égalité, le principe de l’intérêt de l’enfant semble également s’imposer comme principe fondamental de l’ordre public international tunisien. Il fut à l’origine d’un important revirement que la jurisprudence tunisienne a connu en ce qui concerne la question de la reconnaissance et de l’exequatur des jugements étrangers relatifs à la garde [57]. Le cas de figure classique concerne un litige entre un père tunisien et une mère étrangère, généralement européenne, résidente en Europe. Un jugement étranger, ayant accordé la garde à la mère, est invoqué devant le juge tunisien. Après avoir, pendant longtemps, imposé un ordre public international à coloration confessionnelle pour refuser la reconnaissance ou l’exequatur de jugements étrangers, les tribunaux ont fini par abandonner ce point de vue. La Cour de cassation a ainsi estimé, dans un important arrêt du 2 mars 2001, que la décision étrangère était conforme à l’ordre public international tunisien [58], car « le droit tunisien prend en considération l’intérêt de l’enfant pour l’attribution de la garde ». Pour la Cour de cassation, la décision ayant attribué la garde à la mère danoise résidente en Belgique et non au père tunisien résident en Tunisie était conforme à l’ordre public, dans la mesure où « seul l’intérêt de l’enfant doit être pris en compte, sans autre considération ».

69On pourrait cependant se poser la question de savoir si la convention de divorce est réellement conforme au principe de l’intérêt de l’enfant. La loi du 18 novembre 2016 a fait dépendre le passage de la procédure de divorce extrajudiciaire vers la procédure de divorce judiciaire de la demande de l’enfant capable de discernement. Il n’est pas du tout certain qu’une telle solution soit conforme à l’intérêt de l’enfant. Outre qu’elle prive le jeune enfant du droit d’être entendu par le juge, elle fait peser sur l’enfant capable de discernement un lourd fardeau. On peut donc exprimer un doute quant à la conformité de la convention de divorce présentée par les parties au juge tunisien à l’ordre public international tunisien. L’enfant, âgé de six ans lors de l’élaboration de la convention de divorce, n’avait pas été entendu par le juge.

702. Bien qu’elle n’ait pas spécialement visée par l’article 11 du code de droit international privé, l’absence de fraude pourrait constituer une condition de régularité de tout acte étranger [59].

71Rappelons qu’en droit international privé, la fraude peut prendre essentiellement deux formes. Elle peut porter soit sur les règles de conflit de lois, soit sur les règles de conflit de juridictions [60].

72Le code de droit international privé ne consacre que cette première forme de fraude, portant sur les règles de conflit de lois [61] et constituée par un changement artificiel de l’élément de rattachement visant à éluder la loi normalement applicable [62].

73Le code ne fait pas de place à la seconde forme de fraude, portant sur les règles de conflit de juridictions. Pourtant, il est beaucoup plus facile d’éluder l’application des règles de conflit de juridictions que d’échapper à l’application de la loi désignée par la règle de conflit de lois.

74En matière de conflit de juridictions, la fraude peut prendre deux aspects différents. Le premier aspect consiste pour un justiciable à créer artificiellement un rattachement fictif à un ordre juridique étranger dans le but de rendre ses juridictions compétentes. Ainsi, deux époux tunisiens peuvent créer artificiellement une compétence en faveur des tribunaux français par la constitution d’une résidence conjugale fictive dans le but de divorcer plus rapidement par voie de consentement mutuel extrajudiciaire. Cette manœuvre serait frauduleuse au regard de l’ordre juridique tunisien.

75Le second aspect de la fraude portant sur les conflits de juridictions consisterait en une utilisation de la diversité des systèmes nationaux, par le biais d’un forum shopping malus[63], dans le but d’obtenir une décision dont on pourrait se prévaloir dans l’ordre international [64]. Le forum shopping, ou la recherche du for qui convient aux parties, se fait donc dans le but de contrecarrer un jugement intervenu ou devant intervenir dans l’ordre juridique du for. Le forum shopping apparaît alors souvent comme le moyen de réaliser une fraude au jugement.

76Les juges tunisiens ne semblent pas enclins à recourir au mécanisme de la fraude. Il semble qu’une seule décision, rendue par la cour d’appel de Tunis le 22 février 2005 [65] dans un litige relatif à un contrat refuse l’exequatur en raison d’une saisine frauduleuse des juridictions étrangères.

77Le jugement du 14 novembre 2017 examiné semble fournir un second exemple. Pour le juge du tribunal de première instance de Tunis, la convention de divorce n’était pas entachée de fraude. Il prend soin de vérifier que les deux époux tunisiens résidaient régulièrement en France, que le mari y travaillait et que leur fille y était née. C’est dire que les deux époux n’ont usé d’aucune manœuvre frauduleuse, et que c’est tout naturellement en France qu’ils devaient divorcer.

78La vérification de l’absence de fraude est particulièrement opportune s’agissant du divorce sans juge. En effet, l’accès au divorce extrajudiciaire n’est soumis à aucune condition de proximité avec l’ordre juridique français. Aucun lien n’est exigé entre les avocats, le notaire ou les époux et l’ordre juridique français. Il s’agit, comme on l’a noté, d’une véritable incitation au « tourisme législatif » [66], risquant de faire de la France « le paradis des mariages boîteux » [67].

793. Le juge examine une dernière condition de régularité : l’absence d’une décision contraire rendue par les juridictions tunisiennes.

80L’examen de cette condition était-il utile ? Il est difficile d’imaginer une double démarche des deux époux pour divorcer par voie de consentement mutuel en France d’une part et en saisissant le juge tunisien d’autre part… Mais il n’est pas impossible d’imaginer que les deux époux divorcent par voie de consentement mutuel extrajudiciaire en France, et que l’un d’eux saisisse le juge tunisien pour obtenir un divorce dans des conditions qui lui seraient plus favorables.

81Si la décision tunisienne précède la convention de divorce français, l’article 11 du code pourrait inspirer une solution pour résoudre le conflit. Ce texte prévoit que la décision étrangère ne sera pas accueillie lorsque « les tribunaux tunisiens ont déjà rendu une décision non susceptible de recours par les voies ordinaires, sur le même objet, entre les mêmes parties et pour la même cause ». Il accorde donc la primauté à la décision tunisienne sur la décision étrangère. A fortiori, la décision tunisienne antérieure l’emportera sur la simple convention extrajudiciaire.

82Mais eu égard à la rapidité du divorce extrajudiciaire, il n’est pas impossible que la convention de divorce s’intercale entre la saisine du juge tunisien et le prononcé de la décision de divorce. La procédure imposée par le droit tunisien est assez longue. Plusieurs mois s’écoulent généralement entre la saisine du juge et le prononcé du divorce. C’est dire qu’il est très probable que le divorce extrajudiciaire français précède le divorce judiciaire tunisien.

83L’existence d’une simple procédure engagée devant les tribunaux tunisiens pourrait-elle justifier le rejet de la reconnaissance ? Comment serait résolu le conflit entre la convention française de divorce et la procédure entamée devant les juridictions tunisiennes ?

84La Convention tuniso-française du 28 juin 1972, dont l’article 15-f donne préférence à la procédure nationale, à condition que la saisine des juridictions nationales soit antérieure à celle des juridictions étrangères, est inapplicable car elle ne concerne que les décisions judiciaires.

85Le droit commun tunisien ne permet pas de trouver une meilleure issue. Les tribunaux admettent que la décision étrangère pourrait bloquer la procédure nationale sur la base d’une exception de chose jugée à l’étranger [68]. Or l’exception de chose jugée est inapplicable au divorce extrajudiciaire. Aucune « chose » n’a été jugée.

B – L’impératif de continuité de l’état des personnes

86Dernier argument du juge, l’impératif de continuité de l’état des personnes a justifié l’admission du divorce extrajudiciaire.

87Il s’agit, en effet, d’un principe de base qui fut à l’origine du système de la reconnaissance immédiate ou de plein droit des décisions relatives à l’état et à la capacité des personnes en droit international privé.

88Dès la moitié du xixe siècle, la Cour de cassation française affirme dans le célèbre arrêt Bulkley du 28 février 1860 que « l’étranger dont le premier mariage a été légalement dissous dans son pays par le divorce a acquis définitivement sa liberté et porte avec lui cette liberté partout où il lui plaira de résider ». L’arrêt se fondait sur une justification simple : en tant qu’élément de l’état des personnes, le statut matrimonial ne peut être remis en cause dès que la personne concernée franchit la frontière.

89En droit international privé tunisien, la reconnaissance immédiate des décisions relatives à l’état et à la capacité des personnes mit du temps à s’imposer. Bien que consacrée par les textes du droit conventionnel et ceux du droit commun, la reconnaissance n’a eu que tardivement les faveurs de la jurisprudence tunisienne.

90Amorcée quelque temps avant la promulgation du code de droit international privé [69], la solution s’est confirmée par la suite. Une décision rendue le 13 avril 2005 [70] par la cour d’appel de Tunis s’est ainsi fondée, notamment, sur le principe de l’unicité de l’état des personnes pour justifier la reconnaissance de plein droit. Pour la cour d’appel de Tunis, « la situation d’une personne, comme étant célibataire, mariée ou divorcée fait partie de son état civil. L’état civil de la personne doit être le même quel que soit le lieu où elle se trouve. La soumission de la décision étrangère prononçant le divorce à l’exequatur signifierait que les personnes concernées seraient considérées comme divorcées dans un pays et mariées dans un autre. Cette situation n’est pas acceptable dans les faits et en droit. L’instabilité de l’état des personnes conduit à des situations inconfortables et dangereuses pour la famille et contraires à l’ordre social ».

91Le jugement rendu par le tribunal de première instance de Tunis pourrait atténuer les inquiétudes exprimées par la doctrine française quant à la circulation internationale du divorce extrajudiciaire [71]. Dépassant les nombreux obstacles dressés devant la reconnaissance du divorce extrajudiciaire, le tribunal de première instance de Tunis a cherché à faire prévaloir l’intérêt des particuliers. Espérons que les solutions qu’il a préconisées soient suivies par la pratique administrative et judiciaire en Tunisie.

Annexes

92Tribunal de première instance de Tunis, 14 novembre 2017, no 86358 [72]

93Le tribunal de première instance de Tunis, rend, en matière de référé, en date du 14 novembre 2017, le jugement suivant entre :

94Le demandeur, M. Rafik B.,

95La défenderesse, Mme Amina B.,

96Objet de la demande,

97Il ressort de la demande introduite en date du 10 novembre 2017 que le demandeur, M. Rafik B. et la défenderesse Mme Amina B. se sont mariés le 24 juin 2009, qu’ils résident en France et qu’une fille est née de leur union le 25 juin 2010.

98Les deux parties ont conclu une convention de divorce en date du 9 juin 2017, la convention a été déposée au rang des minutes d’un notaire le 16 juin 2017.

99Les services de l’état civil ont refusé la transcription de la convention dans les registres de l’état civil des intéressés.

100La demande présentée vise à ordonner aux services de l’état civil de procéder à la transcription de la convention susvisée dans les registres de l’état civil.

101Le tribunal

102Attendu que le divorce est intervenu en France conformément aux dispositions de l’article 229-1 du code civil français, tel qu’il a été ajouté par la réforme du 18 novembre 2016.

103Attendu que le divorce est intervenu entre deux Tunisiens résidant en France. La convention de divorce a été rédigée en date du 9 juin 2017 en présence des avocats des parties, qui ont exprimé clairement leur consentement, et ont organisé les conséquences du divorce en accordant à l’épouse une compensation sur laquelle elles se sont entendues. La convention de divorce a également porté sur les droits et les devoirs des deux parties à l’égard de leur fille, qui habitera chez sa mère durant les périodes scolaires, et passera les périodes de vacances courtes chez son père. Quant aux grandes vacances, il a été entendu qu’elles seront partagées entre les deux parents. La convention a également organisé la contribution de chacun des parents à l’entretien de l’enfant.

104Le 16 juin 2017, la convention a été déposée au rang des minutes de Maître P., notaire à Caen. La convention est donc devenue à cette date exécutoire et a produit un effet de dissolution du mariage à l’égard des parties, et ce conformément au troisième paragraphe de l’article 229-1 du code civil français.

105Attendu que l’ordonnance requise, de transcrire la convention dans les registres de l’état civil, dépend de sa reconnaissance par les autorités tunisiennes.

106Le fait que le divorce soit intervenu en dehors du cadre judiciaire n’empêche pas sa reconnaissance… La Convention du 28 juin 1972 relative à l’entraide judiciaire en matière civile et commerciale ne pouvant au moment où elle a été conclue prévoir que la reconnaissance de ce qui existait à l’époque, l’esprit du code de droit international privé autorise la reconnaissance des situations valablement créées à l’étranger… à condition que cela respecte les règles nécessaires à la protection de l’ordre juridique tunisien.

107Attendu que l’ordre public international tunisien impose, en ce qui concerne les divorces intervenus à l’étranger, le respect du principe de non-discrimination entre l’homme et la femme et la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, et ce conformément aux articles 21 et 47 de la Constitution, à l’article 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979, et à l’article 3 de la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant.

108Attendu que rien n’empêche la reconnaissance du divorce dans la mesure où il est compatible avec les principes énoncés, puisqu’il est intervenu d’un commun accord entre les parties, sur la base d’une égalité totale, qu’il a été entouré des garanties nécessaires pour que les parties puissent exprimer leur libre consentement, avec l’assistance de l’avocat de chacun d’eux, et l’intervention d’un notaire pour contrôler les conditions requises.

109Attendu qu’il n’y a aucun soupçon de fraude dans le fait que le divorce ait eu lieu en France puisque les deux époux y résidaient, que le mari y travaillait, que leur fille y est née, et qu’aucune décision de divorce entre les deux parties ne soit intervenue en Tunisie.

110Attendu qu’il résulte de ce qui précède que rien n’empêche la reconnaissance du divorce en Tunisie. […]

111Attendu que refuser la reconnaissance du divorce pourrait engendrer un préjudice pour les parties en créant une incohérence et une perturbation de leur état civil, ainsi qu’une confusion au niveau de leur vie personnelle, en les empêchant d’exercer les droits découlant du changement de leur situation matrimoniale.

Notes

  • (1)
    Tribunal de première instance de Tunis, réf., 14 nov. 2017, n° 86358, jugement inédit, AJ fam. 2018. 148, étude C. Roth.
  • (2)
    Loi no 2016-1547 du 18 nov. 2016 de modernisation de la justice du xxie siècle, JORF 19 nov. 2016, no 19, texte no 1.
  • (3)
    Sur la réforme, v. notamment, J.-R. Binet, Le divorce par consentement mutuel sans juge, Propos liminaires, Dr. fam. janv. 2017. Dossier 2, p. 12 ; N. Fricero et F. Dymarski, Le nouveau divorce extrajudiciaire par consentement mutuel, Dr. fam. janv. 2017. Dossier 3, p. 14 ; H. Fulchiron, Le divorce sans juge, c’est maintenant. Et après ? Observations sur l’après-divorce sans juge, Dr. fam. janv. 2017. Dossier 4, p. 17.
  • (4)
    Selon l’art. 229-3 C. civ., « Le consentement au divorce et à ses effets ne se présume pas. La convention comporte expressément, à peine de nullité : 1° les nom, prénoms, profession, résidence, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des époux, la date et le lieu de mariage, ainsi que les mêmes indications, le cas échéant, posur chacun de leurs enfants ; 2° le nom, l’adresse professionnelle et la structure d’exercice professionnel des avocats chargés d’assister les époux ainsi que le barreau auquel ils sont inscrits ; 3° la mention de l’accord des époux sur la rupture du mariage et sur ses effets dans les termes énoncés par la convention ; 4° les modalités du règlement complet des effets du divorce conformément au chapitre III du présent titre, notamment s’il y a lieu au versement d’une prestation compensatoire ; 5° l’état liquidatif du régime matrimonial, le cas échéant en la forme authentique devant notaire lorsque la liquidation porte sur des biens soumis à publicité foncière, ou la déclaration qu’il n’y a pas lieu à liquidation ; 6° la mention que le mineur a été informé par ses parents de son droit à être entendu par le juge dans les conditions prévues à l’article 388-1 et qu’il ne souhaite pas faire usage de cette faculté ».
  • (5)
    C. Renault-Brahinsky, Le nouveau divorce sans juge, Gualino, Lextenso, coll. « Droit en poche », 2017, p. 5.
  • (6)
    G. Dupont, Levée de bouclier contre le divorce sans juge, Le Monde, 18 mai 2016.
  • (7)
    J.-B. Jacquin, Le divorce sans juge pourrait faire des petits, Le Monde, 15 nov. 2017.
  • (8)
    Loi no 99-944 du 15 nov. 1999 relative au pacte civil de solidarité, JORF, no 265, 16 nov. 1999, p. 16959. Et, sur la loi no 2009-526 du 12 mai 2009, insérant dans le C. civ. un art. 515-7-1, destiné à régir les partenariats enregistrés sous l’angle du droit international privé, v. not. : P. Hammje, Rev. crit. DIP 2009. 483 ; P. Callé, Defrénois 2009. 1662 ; H. Péroz, JDI 2010. 399.
  • (9)
    Loi no 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, JORF. no 0114, 18 mai 2013, p. 8253. Cette loi a cherché à promouvoir le mariage pour tous. Sur cette question, v. not. : A. Boiché, Aspects de droit international privé, AJ fam. 2013. 362 ; D. Bureau, Le mariage international pour tous à l’aune de la diversité, in Mélanges en l’honneur du professeur B. Audit, LGDJ, 2014 (tiré à part) ; H. Fulchiron, Le « mariage pour tous » en droit international privé : le législateur français à la peine…, Dr. fam. no 1, janv. 2013. 31 ; Le mariage entre personnes du même sexe en droit international privé au lendemain de la reconnaissance du mariage pour tous, JDI 2013. 1055 ; S. Godechot-Patris et J. Guillaumé, La loi no 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, Perspectives de droit international privé, D. 2013. 1756 ; P. Hammje, Mariage pour tous et droit international privé. Dits et non-dits de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, Rev. crit. DIP 2013. 773. Concernant les relations franco-maghrébines, v. : S. Ben Achour, La loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage pour tous et les relations franco-maghrébines, in L. Chedly et S. Ben Achour (dir.), Actualités du droit international privé de la famille en Tunisie et à l’étranger, RIPCAM, Tunis, Latrach éditions, 2015, p. 139.
  • (10)
    Sur ces questions, A. Boiché, Divorce 229-1 : aspect de droit international privé et européen. La France, nouveau Las Vegas du divorce ?, AJ fam. 2017. 57 ; A. Devers, Le divorce sans juge en droit international privé, Dr. fam. 2017. Dossier 5, p. 21 ; P. Hammje, Le divorce par consentement mutuel extrajudiciaire et le droit international privé, Rev. crit. DIP 2017. 143 ; M.-L. Niboyet, I. Rein-Lescastereyres et L. Dimitrov, La « désinternationalisation » du nouveau divorce par consentement mutuel ?, Gaz. Pal. 4 avr. 2017, no 14, p. 7.
  • (11)
    Décr. d’application no 2016-1907 du 28 déc. 2016, relatif au divorce prévu à l’article 229-1 du code civil et à diverses dispositions en matière successorale, JURSC1633390D, JORF 29 déc. 2016.
  • (12)
    Circ. de présentation du divorce par consentement mutuel sans juge, JUSC1638274C du 26 janv. 2017. La circulaire est complétée par 12 fiches.
  • (13)
    M.-L. Niboyet, I. Rein-Lescastereyres et L. Dimitrov, art. préc.
  • (14)
    Règl. CE no 2201 /2003 du Conseil du 27 nov. 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, abrogeant règl. Bruxelles II du 29 mai 2000 no 1347/2000, JOUE L 338, 23 déc. 2003. Sur le règlement Bruxelles II, v. notamment B. Ancel et H. Muir Watt, La désunion européenne, Le règlement dit « Bruxelles II », Rev. crit. DIP 2001. 403 ; H. Gaudemet-Tallon, Le règlement no 1347/2000 : Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants communs, JDI 2001. 381. Sur le règlement Bruxelles II bis, v. notamment B. Ancel et H. Muir Watt, L’intérêt supérieur de l’enfant dans le concert des juridictions : Le règlement Bruxelles II bis, Rev. crit. DIP 2005. 569.
  • (15)
    Règl. UE no 1259/2010 du Conseil du 20 déc. 2010, mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, JOUE L 343/10, du 29 déc. 2010 (sur ce texte, v. not. : S. Corneloup (dir.), Droit européen du divorce, LexisNexis, 2013, spéc. p. 483 s. ; P. Hammje, Rev. crit. DIP 2011. 291). La fiche no 4 annexée à la circulaire du 26 janv. 2016 rappelle que le règlement Rome III permet un choix de la loi applicable au divorce. Elle prévoit que « si les époux souhaitent divorcer en utilisant le mécanisme de l’article 229-1, il est préférable qu’ils désignent expressément la loi française comme loi applicable à leur divorce, dans la mesure où il s’agit de la loi de l’État de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion de la convention, de la loi de l’État de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que l’un d’eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention, de la loi de l’État de la nationalité de l’un des époux au moment de la conclusion de la convention ».
  • (16)
    M.-L. Niboyet, I. Rein-Lescastereyres et L. Dimitrov, art. préc., no 4.
  • (17)
    Ibid.
  • (18)
    Règl. CE no 4/2009 du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaire du 18 déc. 2008, JOUE L 7, 10 janv. 2009. Sur ce règlement, v. not. : B. Ancel et H. Muir Watt, Aliments sans frontières. Le règlement CE no 4/2009, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, Rev. crit. DIP 2010. 457 ; E. Gallant, Règlement no 4/2009/CE relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, in L. Cadiet, E. Jeuland et S. Amrani-Mekki (dir.), Droit processuel civil de l’Union européenne, LexisNexis, 2011, p. 99.
  • (19)
    Convention relative à l’entraide judiciaire en matière civile et commerciale entre la République française et la République tunisienne, signée à Paris, le 28 juin 1972. En Tunisie, la Convention a été ratifiée par la loi no 72-65 du 1er août 1972, JORT no 32, 4-8 août 1972, et publiée par le décr. no 74-109 du 21 févr. 1974, JORT no 15, 26 févr. 1974, en France, elle a été ratifiée par la loi n° 73-464 du 9 mai 1973, JORF 10 mai 1973, p. 5187, et publiée par le décr. no 74-249 du 11 mars 1974, JORF 17 mars 1974, p. 3076. Sur cette Convention, v. K. Meziou, J.-Cl. Int., vol. 9, Convention franco-tunisienne du 28 juin 1972, fasc. 594, 2014, et M. Hammouda, La Convention tuniso-française d’entraide judiciaire, quarante ans après, in La diversité dans le droit, Mélanges offerts à la Doyenne Kalthoum Meziou-Dourai, CPU 2014, p. 423.
  • (20)
    En application de cette convention, une circulaire du ministère de la Justice du 29 nov. 1976 rappelle qu’il est nécessaire de transcrire les décisions émanant des autorités judiciaires françaises relatives au divorce dans les registres de l’état civil des intéressés, sans besoin d’obtenir l’exequatur. Circ. citée par M. Ghazouani, La nécessité de reconnaître immédiatement les décisions étrangères relatives au divorce, Revue tunisienne de droit 2006. 82 (en langue arabe).
  • (21)
    Le Centre d’études juridiques et judiciaires relève du ministère tunisien de la Justice. Il a pour principal objet de mener, dans différents domaines du droit, des études et une recherche scientifique.
  • (22)
    La Commission de réforme du code de droit international privé a été instituée par un arrêté du ministère de la Justice du 30 déc. 2015.
  • (23)
    La Convention tuniso-française relative à l’entraide judiciaire en matière de droit de garde des enfants, de droit de visite et d’obligation alimentaire, signée à Paris le 18 mars 1982, publiée en France par le décr. no 83-555 du 30 juin 1983, JORF 1er juill. 1983, p. 1998, et en Tunisie par le décr. no 83-1088 du 21 nov. 1983, JORT p. 3075.
  • (24)
    La Convention de 1982 n’a pas réellement fait progresser la circulation des décisions relatives au droit de garde, au droit de visite, et à l’obligation alimentaire dans les relations entre la Tunisie et la France. Elle se contente de reprendre la plupart des conditions de régularité posées par celle de 1972, en aménageant certaines d’entre elles. La conformité de la décision étrangère à l’ordre public est ainsi toujours exigée. La Convention de 1982 consacre des règles de compétence indirecte spécifiques. Son art. 10 prévoit qu’en matière de garde d’enfants, la reconnaissance ou l’exécution d’une décision rendue dans l’un des deux États ne peut être refusée par l’autre État lorsque le tribunal qui a rendu la décision est celui de la résidence commune effective des parents, ou de la résidence du parent avec lequel l’enfant vit habituellement. Par ailleurs, l’art. 4, al. 2, de la Convention de 1982 prévoit que la décision étrangère relative aux droits de garde et de visite doit seulement être exécutoire dans l’État où elle a été rendue, alors que la Convention 1972 exige que la décision étrangère soit passée en force de chose jugée.
  • (25)
    En ce sens, I. Béjaoui, La concurrence des normes en matière de conditions de régularité internationale des jugements étrangers, Droit commun et droit conventionnel, th. Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, 2014 ; S. Ben Achour, Les sources du droit tunisien de l’exequatur, tentative de résolution du conflit entre le droit commun et le droit conventionnel, in Le code tunisien de droit international privé, deux ans après, CPU 2003, p. 51.
  • (26)
    F. Majoros, Les conventions internationales en matière de droit privé, t. II : Le droit des conflits de conventions, Pédone, 1980 ; B. Dutoit et F. Majoros, Le lacis des conflits de conventions en droit privé et leurs solutions possibles, Rev. crit. DIP 1984. 565.
  • (27)
    Loi no 98-97 du 27 nov. 1998, portant promulgation du code de droit international privé, JORT no 96, p. 2332.
  • (28)
    S. Ben Achour, La réception des décisions étrangères dans l’ordre juridique tunisien, CPU, 2017, p. 137 à 143.
  • (29)
    Le juge n’aurait pas pu non plus trouver une solution dans la loi du 1er août 1957 relative à l’état civil (JORT nos 2 et 3, des 30 juill. et 2 août 1957), car celle-ci prévoit la transcription des seuls jugements étrangers. Dans sa version arabe, l’art. 42 de cette loi dispose que « si le jugement de divorce est prononcé à l’étranger, la transcription est faite à la diligence des intéressés, à peine d’une amende… sur les registres de l’état civil du lieu où le mariage a été transcrit ». En plus, l’art. 42 est inséré dans un chapitre relatif à « la transcription des jugements prononçant le divorce ou constatant la nullité du mariage ».
  • (30)
    A. Mezghani, Commentaires du code de droit international privé, CPU, 1999, p. 184.
  • (31)
    Sur cette question, v. S. Bollée, L’extension du domaine de la méthode de reconnaissance unilatérale, Rev. crit. DIP 2007. 307 ; P. Callé, L’acte public en droit international privé, Économica, 2004 ; E. Fohrer-Dedeurwaerder, La prise en considération des normes étrangères, LGDJ, 2008 ; P. Lagarde, La reconnaissance, mode d’emploi, in Mélanges en l’honneur de H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 479 ; P. Mayer, La méthode de la reconnaissance en droit international privé, in Le droit international privé, esprit et méthodes, Mélanges Paul Lagarde, Dalloz, 2005, p. 547 ; Ch. Pamboukis, L’acte public étranger en droit international privé, LGDJ, 1993 ; La renaissance-métamorphose de la méthode de la reconnaissance, Rev. crit. DIP 2008. 513 ; Les actes quasi publics en droit international privé, Rev. crit. DIP 1993. 565.
  • (32)
    En ce sens, S. Ben Achour, La réception des décisions étrangères…, op. cit., p. 48 ; M. Ben Jemia, L’exequatur des décisions étrangères en matière de statut personnel, Revue tunisienne de droit, 2000. 139 ; A. Mezghani, Commentaires…, op. cit., p. 184 et 185 ; S. Triki, La coordination des systèmes juridiques en droit international privé de la famille, th. Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, 2012, nos 307 à 311 ; La reconnaissance des situations juridiques en droit international privé de la famille, in Actualités du droit international privé de la famille en Tunisie et à l’étranger, op. cit., p. 117.
  • (33)
    L’art. 117 du code algérien de la famille dispose que « le recueil légal (kafala) est accordé par devant le juge ou le notaire, avec le consentement de l’enfant quand celui-ci a un père et une mère ».
  • (34)
    Dans plusieurs pays, les décisions de répudiation interviennent devant une autorité publique (adouls) qui prendra acte de la volonté du mari. Tel était notamment le cas au Maroc, avant la promulgation du Nouveau code de la famille par la loi du 3 févr. 2004.
  • (35)
    S. Ben Achour, La réception des décisions étrangères…, op. cit., p. 51 ; L. Chedly et M. Ghazouani, Code de droit international privé annoté, CEJJ, 2008, p. 277.
  • (36)
    V. sur ce point les réf. citées supra, note 31.
  • (37)
    S. Clavel, Droit international privé, Dalloz, coll. « HyperCours », 3e éd., 2015, no 220. Comp., D. Bureau, H. Muir Watt, Droit international privé, t. I, PUF, 4e éd., 2017, § 569 s., et les réf. citées sur la méthode de la reconnaissance.
  • (38)
    Selon cette thèse, la méthode de la reconnaissance des décisions s’appliquerait aux seuls actes publics décisionnels, tandis que la méthode de la reconnaissance des situations concernerait les situations émanant d’actes publics non décisionnels, ainsi que celles qui sont issues de la volonté privée des personnes. Critiquant ces points de vue, M. A. Bucher (La dimension sociale du droit international privé, RCADI 2009, vol. no 341, p. 313, no 188) estime que « les auteurs qui soutiennent que seuls les actes décisionnels seraient susceptibles de reconnaissance sont… obligés de compléter leur thèse par une autre, en sens opposé, dans le but d’assurer un minimum de respect aux rapports de droit créés valablement et de bonne foi à l’étranger avec le concours d’une autorité n’ayant pas agi avec sa volonté propre. Au lieu d’être fondée sur l’acte non décisionnel, la reconnaissance serait commandée par le respect de la prévision légitime des parties ».
  • (39)
    S. Triki, th. préc., nos 312 à 315.
  • (40)
    S. Triki, La reconnaissance des situations juridiques…, art. préc., p. 127.
  • (41)
    En ce sens, Y. Ben Achour, Politique, religion et droit dans le monde arabe, CERP, 1992, p. 203 ; F. Fregosi, Bourguiba et la régulation institutionnelle de l’Islam : les contours audacieux d’un gallicanisme politique à la tunisienne », in M. Camau et V. Geiser (dir.), Habib Bourguiba, La trace et l’héritage, Paris/Institut d’études politiques, Aix-en-Provence, éd. Karthala, 2004, p. 78.
  • (42)
    En ce sens, S. Ben Achour, Le code du statut personnel et les législations des pays arabes, in R. Jelassi et S. Ben Achour (dir.), Le code du statut personnel (1956-2016), Une révolution par le Droit, CPU, 2017, sous presse (en langue arabe) ; K. Meziou, Du bon usage du droit comparé. À propos du code de la famille marocain et de la réforme algérienne de 2005, Droits et culture, in Droits et culture. Mélanges en l’honneur du Doyen Yadh Ben Achour, CPU, 2008, p. 367.
  • (43)
    Notons toutefois que quelques rares décisions dénient aux actes non judiciaires toute efficacité dans l’ordre juridique tunisien. C’est notamment le cas du jugement rendu le 19 juin 2000 (no 34116, rapporté par L. Chedly et M. Ghazouani, Code annoté, préc., p. 277), qui affirme que « le document dont le mari demande l’exequatur est une simple preuve de la dissolution du mariage établi au Maroc entre un mari marocain et son épouse tunisienne. Cet acte n’a pas un caractère judiciaire et ne peut recevoir l’exequatur ». C’est également le cas du jugement rendu le 9 juill. 2001 par le tribunal de première instance de Tunis (no 35878). Le juge refuse l’exequatur d’une décision américaine relative à la garde parce qu’elle n’émane pas d’une autorité juridictionnelle, inédit rapporté par S. Triki, th. préc., p. 264, note 967.
  • (44)
    Tribunal de première instance Tunis, 27 juin 2000, no 34179, Revue tunisienne de droit 2000. 425, note M. Ben Jemia.
  • (45)
    Tribunal de première instance Tunis, 1er déc. 2003, no 47564, rapporté par L. Chedly et M. Ghazouani, Code annoté, préc., p. 248.
  • (46)
    En l’espèce, l’acte prononçant la répudiation n’a pas été reconnu, car il ne remplissait pas les conditions de régularité exigées par l’article 11 du code de droit international privé. Le tribunal avait considéré qu’il était contraire au principe d’égalité entre les sexes.
  • (47)
    Sur les conditions de régularité, S. Ben Achour, La réception des décisions étrangères…, préc., p. 83 à 162.
  • (48)
    Sur l’ordre public international tunisien, notamment, M. Ben Jemia, Le jeu de l’ordre public dans les relations internationales privées de la famille, th. Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, 1997 ; Ordre public, Constitution, et exequatur, in Mélanges en l’honneur de Habib Ayadi, CPU, 2000, p. 272 ; Y a-t-il du nouveau en matière d’ordre public familial international, in Actualités du droit international privé de la famille en Tunisie et à l’étranger, op. cit., p. 43.
  • (49)
    K. Meziou, Formation du mariage et principe de monogamie, in Polygamie et répudiation dans les relations internationales, Unité de recherches RIPCAM, éditions AB Consulting, 2006, p. 43.
  • (50)
    Sur cette question, v. S. Ben Achour, L’ordre juridique tunisien face à la répudiation islamique, in Polygamie et répudiation dans les relations internationales, Unité de recherches RIPCAM, éditions AB Consulting, 2006, p. 43 ; M. Ben Jemia, Répudiation islamique et effet atténué de l’ordre public, in Le code tunisien de droit international privé, deux ans après, op. cit., p. 129.
  • (51)
    Tribunal de première instance de Tunis, 27 juin 2000, no 34179, Revue tunisienne de droit 2000. 425, note M. Ben Jemia.
  • (52)
    Décision du président de l’Assemblée constituante du 31 janv. 2014 relative à l’autorisation de publier la Constitution de la République tunisienne, JORT no 10, p. 316. La version française de la Constitution a été publiée au JORT 2015, n° spécial du 20 avr. 2015, p. 3.
  • (53)
    Loi no 85-68 du 12 juill. 1985 portant ratification de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, JORT no 54, 12-16 juill. 1985, p. 919. Sur cette convention, La non-discrimination à l’égard des femmes entre la convention de Copenhague et le discours identitaire, Colloque, Tunis 13-16 janv. 1988, UNESCO-CERP, 1989.
  • (54)
    Sur cette question, notamment, v. C. Saïd, La nouvelle Constitution et les droits, in Mouvances du droit, études en l’honneur du Professeur Rafâa Ben Achour, Konrad Adenauer Stiftung, 2015, p. 521.
  • (55)
    La Tunisie avait fait usage d’une réserve à l’art. 16 de la convention de Copenhague au moment où elle l’a ratifiée. Selon cette réserve, « le gouvernement tunisien ne se considère pas lié par les alinéas c, d, f et h de l’article 16 ». Cette réserve était surtout destinée à préserver au mari sa qualité de chef de famille. Elle signifiait aussi que « l’épouse n’assumera pas l’autorité au sein de la famille étant donné que le mari monopolise l’autorité paternelle » (en ce sens, v. H. Chekir, Les réserves présentées par la Tunisie, in La non-discrimination à l’égard des femmes…, colloque préc., p. 51). Mais cette réserve ne remettait nullement en cause la réglementation égalitaire de la dissolution du mariage en droit tunisien. La réserve a ensuite été retirée par le décret-loi du 24 oct. 2011 (JORT no 82, p. 246). La notification des réserves au secrétaire général des Nations unies a d’abord été gelée par les gouvernements de Hammadi Jebali et de Ali Larayedh. Elle n’a eu lieu qu’au mois d’avr. 2014, avec le gouvernement de Mehdi Jomaa.
  • (56)
    Selon le paragraphe 2 de cet article, « les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées ». Selon le paragraphe 3 de l’article 3, « les États parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leurs personnels ainsi que l’existence d’un contrôle approprié ».
  • (57)
    Sur cette question, S. Ben Achour, Enfance disputée, les problèmes juridiques relatifs aux droits de garde et de visite après divorce dans les relations franco-maghrébines, CPU, 2004.
  • (58)
    Civ. 2 mars 2001, no 7286-2000, RJL, janv. 2002, p. 183, Revue tunisienne de droit 2001. 201, note M. Ghazouani.
  • (59)
    En ce sens, v. S. Ben Achour, La réception des décisions étrangères…, préc., p. 133 ; A. Mezghani, Commentaires…, p. 199.
  • (60)
    Pour une étude d’ensemble sur la fraude, B. Audit, La fraude à la loi, Dalloz, 1974 ; E. Cornut, Théorie critique de la fraude à la loi. Étude de droit international privé de la famille, préface H. Fulchiron, Defrénois, 2006.
  • (61)
    L’article 30 du code de droit international privé dispose que « la fraude à la loi est constituée par le changement artificiel de l’un des éléments de rattachement relatifs à la situation juridique réelle dans l’intention d’éluder l’application du droit tunisien ou étranger désigné par la règle de conflit applicable ».
  • (62)
    B. Audit et L. D’Avout, Droit international privé, 7e éd., Économica, 2013, nos 297 à 301 ; Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, Droit international privé, 10e éd., Précis Dalloz, 2013, no 411 ; P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, 11e éd., Domat-Montchrestien, 2014, nos 275 à 283 ; D. Bureau et H. Muir Watt, op. cit., spéc. nos 428 s.
  • (63)
    Selon P. de Vareilles-Sommières, Le forum shopping devant les juridictions françaises, TCFDIP 1998-1999, p. 49, il convient de distinguer entre le forum shopping bonus et le forum shopping malus.
  • (64)
    Sur cette question, v. B. Audit et d’Avout, op. cit., no 298 ; E. Cornut, Forum shopping et abus de choix de for en droit international privé, JDI 2007. 27 ; P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., no 276 ; D. Bureau et H. Muir Watt, op. cit., no 267 ; P. de Vareilles-Sommières, art. préc., p. 49.
  • (65)
    CA Tunis, 22 févr. 2006, rapporté par L. Chedly et M. Ghazouani, Code annoté, op. cit, p. 263.
  • (66)
    P. Hammje, Le divorce par consentement mutuel extrajudiciaire…, art. préc., no 6.
  • (67)
    Ibid., no 1.
  • (68)
    S. Ben Achour, Les conflits de procédures et de décisions en droit international privé tunisien, RID comp. no 2, 2013. 287.
  • (69)
    Civ. mai 1997, no 49-602, RJL janv. 2002. 223 ; Civ. 4 janv. 1999, no 69522-98, RJL janv. 2002. 167.
  • (70)
    CA Tunis, 13 avr. 2005, no 15886, cité par L. Chedly et M. Ghazouani, Code annoté, op. cit., p. 302.
  • (71)
    A. Boiché, Divorce 229-1 …, art. préc. ; A. Devers, Le divorce sans juge…, art. préc. ; P. Hammje, Le divorce par consentement mutuel extrajudiciaire…, art. préc. ; M.-L. Niboyet, I. Rein-Lescastereyres et L. Dimitrov, art. préc.
  • (72)
    Traduction à partir de l’arabe des principaux extraits du jugement.
Souhayma Ben Achour
Professeur à la Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, Université El Manar.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.182.0211
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