CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1M. S. c/ P. S.

2(Les motifs décisoires de l’arrêt commenté sont accessibles sur le site figure im1)

3Du 9 février 2017 – Cour de justice de l’Union européenne (6e ch.) – Aff. C-283/16 – MM. Regan, prés., Fernlund, rapp. Bot, av. gén. – Mme Barnes, MM. Scott et Bennet, av.

4(1-2) 1. Cette décision d’apparence technique mérite néanmoins d’être portée à la connaissance des lecteurs de cette Revue (sur cette décision v. déjà Europe n° 4, avr. 2017. Comm. 165, note L. Idot ; AJ fam. 2017. 409, note A. Boiché ; Procédures n° 4, avr. 2017. Comm. 66, note C. Nourissat). Concernant l’application du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, dit règlement Aliments (JO 2009, L 7, p. 1 ; sur le règlement v. B. Ancel et H. Muir Watt, Aliments sans frontières, Rev. crit. DIP 2010. 457), elle rappelle que l’autonomie procédurale des États membres ne peut être mise en œuvre que si elle ne compromet pas le bon fonctionnement du droit européen. Au regard des principes fondamentaux du droit européen, elle rappelle le fameux arrêt Simmenthal et l’obligation pour le juge national de laisser inappliquées les dispositions contraires du droit national qui viendraient entraver l’effet utile des règlements.

52. Le point crucial de l’arrêt porte sur les efforts mis en œuvre pour favoriser la coopération d’autorités, question phare de la dernière période (sur la coopération administrative v. G. Droz, Évolution du rôle des autorités administratives dans les conventions de droit international privé au cours du premier siècle de la Conférence de La Haye, Études Bellet, 1991, p. 129 ; M. Salord, La coopération entre autorités centrales, AJ fam. 2009. 114). Si cette coopération administrative est bien connue des conventions de La Haye, au sein desquelles elle a fait ses preuves, et qui servent ici de modèle, elle est mise en œuvre dans le règlement Aliment pour la première fois de façon aussi complète en droit européen (le règlement Bruxelles II bis de son côté met en œuvre une coopération beaucoup moins étendue, limitée à l’échange d’informations, à la consultation en vue d’un placement ou à l’assistance au titulaire de l’autorité parentale, v. art. 53 s. Sur les différences qui peuvent exister concernant le rôle des autorités dans les différentes conventions de La Haye et leurs relations avec les autorités judiciaires, v. H. Muir Watt, La Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, Trav. Com. fr. DIP 1993-1995, p. 49 s., not. p. 50-51. V. également F. Marchadier, La contribution de la Cour européenne des droits de l’homme à l’efficacité des conventions de La Haye de coopération judiciaire et administrative, Rev. crit. DIP 2007. 677. Et sur les conséquences sur le contentieux, S. Corneloup et V. Corneloup, Le contentieux de la coopération des autorités centrales dans le cadre des conventions de La Haye. Compétence administrative ou judiciaire ?, Rev. crit. DIP 2000. 641 s.). La vulnérabilité du créancier d’aliments, particulièrement lorsqu’un recouvrement transfrontière est nécessaire, fait de la circulation des décisions, et notamment de leur exécution, la pierre angulaire du règlement (v. aussi la coopération d’autorités mise en place, dans le même but, par la Convention de New York du 20 juin 1956, et notamment son article 3, qui ne concerne que les obligations alimentaires à l’égard des enfants). À cette fin, le texte consacre une coopération administrative par le biais d’autorités centrales instaurées dans les États membres. Cette organisation particulièrement efficace doit venir en soutien de la suppression de l’exequatur décidée par le texte qui oblige l’État membre d’exécution de mettre à disposition du créancier les voies d’exécution locales.

6Ainsi le système permet au demandeur, créancier ou débiteur d’aliments, de saisir l’autorité centrale de sa résidence habituelle, laquelle pourra transmettre les différentes demandes à l’autorité centrale de l’État membre requis (art. 55). Ces demandes relèvent pour le créancier, en vertu de l’article 56 du règlement, de trois catégories : l’obtention d’une décision, y compris portant sur l’établissement de la filiation, si celle-ci est nécessaire pour obtenir une obligation alimentaire, la modification d’une décision, ou encore la reconnaissance ou l’exécution de la décision dans un autre État membre. Quant au débiteur, s’il a déjà été condamné à payer une obligation alimentaire, il peut saisir l’autorité centrale de deux types de demandes : la modification de cette décision ou sa reconnaissance, si celle-ci a pour effet de suspendre ou restreindre l’exécution d’une décision antérieure dans l’État membre requis.

73. Tout le système, calqué sur celui de la Convention de La Haye de 2007, vise ainsi à simplifier et favoriser le règlement des litiges alimentaires. L’arrêt rappelle alors fort opportunément que cette coopération administrative a pour objectif de lever les obstacles au paiement des aliments et donc de simplifier la vie des citoyens européens. Elle n’est pas un but en soi, de sorte que lorsqu’au contraire elle constitue un frein à l’obtention des aliments, elle doit être écartée.

84. L’espèce, en effet, concernait un jugement de divorce prononcé par un tribunal allemand qui avait adopté des mesures réglant les obligations alimentaires du père à l’égard des deux enfants. Au moment où la question préjudicielle est posée à la Cour de justice, la mère vit en Allemagne avec les enfants tandis que le père réside habituellement en Angleterre où il travaille. Or ce dernier refuse de verser les pensions alimentaires prévues par l’ordonnance de la juridiction allemande au motif que la mère des enfants multiplie les entraves aux contacts qu’il pourrait avoir avec les enfants. Pour obtenir l’exécution de la décision allemande, sur le fondement du règlement Aliments, la mère a saisi la division de la famille de la Haute Cour de Justice pour l’Angleterre et le Pays de Galles (High Court of Justice [England and Wales], Family Division). Cette dernière interroge la Cour de justice sur le point de savoir si une telle demande peut être formée directement devant elle en qualité de juridiction compétente en matière d’obligations alimentaires, ou si elle doit, dans tous les cas, être soumise au préalable à l’autorité centrale visée à l’article 49 du règlement n° 4/2009 qui est en l’espèce le Lord Chancellor lequel transmettra ensuite la demande à la juridiction. La juridiction anglaise relève, en effet, que la législation anglaise indique clairement le caractère obligatoire de la saisine préalable de l’autorité centrale en la personne du Lord Chancellor, tandis que les juridictions nationales ont des pratiques souvent contradictoires sur ce point. Elle relève en outre que pour les situations internes, ce type de demandes peut être porté directement devant la juridiction compétente.

95. La réponse à cette question dépend de l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 41, § 1, du règlement n° 4/2009 qui porte sur la procédure et les conditions d’exécution dans un État membre d’une décision en matière d’obligations alimentaires rendue dans un autre État membre. Ce texte prévoit en effet que les décisions rendues en matière alimentaire sont exécutées selon « le droit de l’État membre d’exécution » et, « dans les mêmes conditions » qu’une décision rendue dans cet État membre d’exécution. Il semble donc renvoyer au droit procédural national ce qui est conforme au principe d’indépendance procédurale des États membres. Une contradiction existait cependant en l’espèce puisque le droit procédural de l’État membre requis prévoit des procédures différentes selon que la décision à exécuter provient d’un autre État membre, et est donc soumise au droit européen, ou qu’il s’agit d’une décision purement interne. Il s’agit donc de savoir si, pour un recouvrement transfrontière, il est obligatoire de respecter les règles édictées spécifiquement, ou s’il est possible d’utiliser, ainsi que le suggère la seconde partie de l’article 41, les voies procédurales applicables aux procédures internes. En somme peut-on faire une différence entre les procédures internes et les procédures internationales de recouvrement d’aliments ? La seconde partie de l’article 41 semble suggérer que les procédures internationales peuvent suivre la procédure applicable aux procédures internes (et donc en l’espèce se passer du recours préalable à l’autorité centrale).

106. Adoptant une interprétation téléologique du texte en se fondant sur ses objectifs affichés dans un certain nombre de considérants, la Cour de justice insiste sur la nécessité d’une mise en œuvre simple et rapide des procédures d’exécution en matière alimentaire (sont cités, les travaux préparatoires, et notamment le livre vert de la Commission, du 15 avr. 2004, sur les obligations alimentaires [COM(2004) 254 final] ; son arrêt Sanders et Huber, CJUE, 3e ch., 18 déc. 2014, aff. C-400/13 et C-408/13, Europe 2015. Comm. 96, note L. Idot ; Procédures 2015. Comm. 82, note C. Nourissat, point 41 ainsi que les considérants 9 et 27 du règlement). Au titre plus spécifiquement de la coopération administrative entre les autorités centrales, la Cour relève qu’elle est mise en place dans le but de faciliter le recouvrement transfrontière des aliments (considérants 31 et 32 du règlement) et d’en diminuer la charge, notamment financière, pour le requérant ainsi que le souligne le considérant 27 du règlement. Elle note que le recours aux autorités centrales est présenté dans le texte, et dans les considérants, comme un droit pour les parties et en aucune manière comme une obligation (sont également invoqués l’article 17 du règlement dont le paragraphe 1 précise que les décisions rendues dans un État lié par le protocole de La Haye sont reconnues dans un autre État membre sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure et l’article 20, § 1, qui précise que le demandeur fournit les documents exigés « aux autorités compétentes chargées de l’exécution » c’est-à-dire aux juridictions). Enfin, il découle de l’article 56 que l’assistance fournie par les autorités centrales est facultative, ce qu’indique l’utilisation du terme « peut ». Si cette assistance peut être utile au créancier d’aliment, notamment pour localiser le cas échéant le débiteur, elle n’est donc en aucun cas obligatoire au sens du texte.

11La Cour confirme donc ce que laissait entendre la simple lecture du texte et notamment de l’article 45 du règlement : les demandeurs en matière alimentaire bénéficient d’une option entre deux procédures. La première consiste à saisir directement les autorités compétentes dans l’État requis conformément aux dispositions du chapitre IV, tandis que la seconde leur permet de faire transiter la demande par l’autorité centrale de leur État de résidence en vertu des dispositions du chapitre VII.

12Dès lors, l’obligation imposée au créancier d’aliments par le droit anglais de saisir l’autorité centrale de l’État membre requis alors même qu’il souhaite s’adresser directement aux autorités compétentes sur le fondement du chapitre IV du règlement est contraire à l’article 41, § 1, du règlement.

13La solution ne peut être qu’approuvée dès lors que les exigences procédurales du droit anglais entraînent un allongement de la procédure qui est contraire aux objectifs fondamentaux du texte.

147. C’est donc dans un second temps toute l’autonomie procédurale (v. not., CJCE 16 déc. 1976, aff. 33/76, Rewe I, Rec. 1989, et aff. 45/76, Comet, Rec. 2043 ; RTD eur. 1977. 93, note Nafylian ; CJCE 7 juill. 1981, aff. 158/80, Rewe II, Rec. 1805 ; G. Montagnier, T. Debard, Rép. eur. Dalloz, v° Droit de l’Union européenne et procédure civile, 2014, spéc. n° 17 s.) des États qui apparaît remise en cause puisque pour assurer la pleine efficacité du droit à l’exécution prévu à l’article 41, § 1, les États doivent, et c’est la seconde partie de la réponse de la Cour, modifier leurs règles de procédure. En l’absence d’une intervention législative, il revient au juge national d’appliquer le règlement en laissant inappliquées les dispositions contraires contenues dans le droit national. Le demandeur dans l’espèce commentée doit donc pouvoir porter sa demande directement devant la Family Division, même si le droit anglais ne le prévoit pas (v. not. CJCE 9 mars 1978, aff. 106/77, Simmenthal, points 21 et 24).

15L’autonomie procédurale des États apparaît ainsi toute relative et doit s’effacer face aux objectifs d’efficacité et d’effet utile de la législation européenne. Ceci préfigure peut-être l’avenir du droit européen et la nécessité pour les États membres d’harmoniser au moins partiellement leurs règles procédurales.

Français

Les dispositions du chapitre IV du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, et en particulier l’article 41, § 1, de ce règlement, doivent être interprétées en ce sens qu’un créancier d’aliments, qui a obtenu une décision en sa faveur dans un État membre et qui souhaite en obtenir l’exécution dans un autre État membre, peut présenter sa demande directement à l’autorité compétente de ce dernier État membre, telle qu’une juridiction spécialisée, et ne peut être tenu de soumettre sa demande à cette dernière par l’intermédiaire de l’autorité centrale de l’État membre d’exécution (1).
Les États membres sont tenus d’assurer la pleine efficacité du droit prévu à l’article 41, § 1, du règlement n° 4/2009 en modifiant, le cas échéant, leurs règles de procédure. En tout état de cause, il incombe au juge national d’appliquer les dispositions de cet article 41, § 1, en laissant au besoin inappliquées les dispositions contraires du droit national et, par conséquent, de permettre à un créancier d’aliments de porter sa demande directement devant l’autorité compétente de l’État membre d’exécution, même si le droit national ne le prévoit pas (2).

Mots clés

  • Règlement (CE) n° 4/2009
  • Article 41, § 1
  • Reconnaissance de l’exécution des décisions et de la coopération en matière d’obligations alimentaires
  • Exécution d’une décision dans un État membre
  • Présentation de la demande directement à l’autorité compétente de l’État membre d’exécution
  • Législation nationale obligeant de recourir à l’autorité centrale de l’État membre d’exécution
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.174.0568
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