CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Syndic de Princesse de Provence mbH & Co. KG c/ M. X

2La Cour : – Sur le moyen unique : Attendu, selon l’arrêt attaqué statuant sur contredit (Lyon, 31 mars 2014), rendu sur renvoi après cassation (Soc. 19 déc. 2012, n° 11-22.838) que M. X a été engagé le 2 février 2006 en qualité de premier capitaine par la compagnie de navigation de droit allemand Princesse de Provence mbH & Co. KG, qui l’a affecté à bord du bateau de croisière touristique fluviale « Princesse de Provence », qui effectuait des trajets au départ de Lyon, selon un parcours empruntant la Saône et le Rhône, de Chalon-sur-Saône à Arles en faisant escale en Avignon, Châteauneuf, Mâcon et Lyon ; que le 1er septembre 2009, le tribunal d’instance de Cuxhaven (Allemagne) a ouvert une procédure d’insolvabilité à l’encontre de l’employeur, M. Y étant désigné en qualité de syndic judiciaire ; que le salarié a été licencié le 29 janvier 2010 et qu’il a saisi le conseil de prud’hommes de Mâcon ;

3Attendu que M. Y en qualité de syndic de la société Schiffarhrtsgesellshaft Princesse de Provence fait grief à l’arrêt de dire le conseil de prud’hommes de Mâcon compétent, alors, selon le moyen, que l’action du salarié, dont l’employeur a fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité ouverte dans un État membre de l’Union européenne, qui tend à l’admission à cette procédure et au paiement de diverses créances relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail, dérive directement de la faillite et s’insère étroitement dans le cadre de la procédure collective ; qu’en retenant néanmoins que les demandes de M. X, visant à obtenir le paiement de diverses sommes relatives à l’exécution et à la rupture du contrat de travail qui le liait à la société Princesse de Provence à l’encontre de laquelle une procédure d’insolvabilité avait été ouverte en Allemagne, ne dérivaient pas directement de cette procédure et ne s’y inséraient pas étroitement, pour retenir la compétence du Conseil de prud’hommes de Mâcon sur le fondement du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale et exclure l’application du règlement (CE) n° 1346/ 2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, la cour d’appel a violé l’article 1er de ce premier règlement, ensemble les articles 1er et 3 du second ;

4Mais attendu que la cour d’appel a retenu à bon droit que le litige relatif à la rupture du contrat de travail du salarié et aux créances salariales durant la relation de travail ne relevait pas de la procédure d’insolvabilité, ainsi que cela résulte des articles 4 et 10 du règlement CE n° 1346/2000 du conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, et que la compétence juridictionnelle pour connaître de ce litige devait être déterminée en application de l’article 19 du règlement CE n° 44 2001 du conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ; que le moyen n’est pas fondé ;

5Par ces motifs : – Rejette le pourvoi.

6Du 28 octobre 2015 – Cour de cassation (Soc.) – Pourvoi n° 14-21.319 – MM. Frouin, prés., Huglo, rapp., Petitprez, av. gén. – SCP Boré et Salve de Bruneton, av.

7(1) Les relations entre le droit du travail et le droit de l’insolvabilité sont complexes. Ces deux branches du droit ont tendance à faire chambre à part. En témoignent, en matière de conflit de lois, les articles 10 du règlement n° 1346/2000 et 13 du règlement n° 2015/848 sur les procédures européennes d’insolvabilité qui réservent l’application de la loi du contrat de travail. Qu’en est-il de l’application des règles de compétence juridictionnelle ?

8En droit interne, alors même que la compétence de la juridiction qui a ouvert la procédure collective est entendue de façon extensive (C. com., art. R. 662-3), elle s’efface devant celle du conseil de prud’hommes pour les litiges relatifs aux créances salariales (C. com., art. L. 625-1 et L. 625-4, respectivement pour l’établissement de leur relevé et leur prise en charge par l’AGS). La Cour de cassation a jadis mis en exergue le caractère exclusif et d’ordre public de la compétence prud’homale pour justifier une interprétation large de l’exception (Soc. 3 oct. 1989, n° 88-42.835). La Cour de cassation confirme, dans l’arrêt commenté, cette dualité de compétence dans le contexte des procédures d’insolvabilité européenne (sur l’arrêt, v. aussi, JCP S 2015. 1477, note L. Fin-Langer).

9En l’espèce, une compagnie allemande de navigation qui employait du personnel sur un bateau effectuant des croisières touristiques sur la Saône et le Rhône a fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité ouverte en Allemagne en 2009. Le syndic a procédé début 2010 au licenciement d’un salarié qui exerçait en tant que capitaine. Celui-ci a saisi le conseil de prud’hommes de Mâcon, pris en tant que juridiction du lieu d’exécution habituelle du travail (sur la détermination de ce lieu dans cette affaire, v. Soc. 19 déc. 2012, n° 11-22.838, inédit). Le syndic fait valoir que l’action en paiement de créances liées à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail dérive directement de la faillite et s’insère étroitement dans le cadre de la procédure collective et est de la compétence des juridictions allemandes, la procédure ayant été ouverte en Allemagne. La cour d’appel, en faisant application de l’article 19 du règlement Bruxelles I, retient la compétence des juridictions françaises. La Cour de cassation l’en approuve.

10L’affirmation de la compétence de juridictions françaises pour connaître de l’action du salarié supposait de prendre parti sur l’articulation des règlements Bruxelles I et Insolvabilité. Le premier, on le sait, offre au salarié, dans son article 19, une option de compétence juridictionnelle qui lui permet, notamment pour faciliter son accès au juge, de saisir la juridiction du lieu d’exécution habituelle du travail (v. H. Gaudemet-Tallon, Compétence et exécution des jugements en Europe, 5e éd., LGDJ, 2015, n° 297 s.). Dans le cadre de l’interprétation du second, la CJUE a indiqué que les juridictions de l’État-membre où la procédure a été ouverte connaissent des actions qui dérivent directement de la procédure ouverte ou qui s’y insèrent étroitement (CJCE 12 févr. 2009, aff. C-339/07, Seagon c/ Deko Marty, D. 2009. 1311, note J.-L. Vallens ; ibid. Pan. 2384, obs. S. Bollée ; Act. proc. coll. 2009, n° 13, p. 1, obs. F. Mélin ; RTD com. 2010. 811, obs. J.-L. Vallens ; Rev. proc. coll. 2009. Comm. 152, obs. Th. Mastrullo ; Europe, avr. 2009. Comm. 175, note L. Idot). Ces actions sont communément appelées actions annexes ou connexes. Cette interprétation figure désormais expressément à l’article 6 du nouveau règlement Insolvabilité (sur lequel D. Robine, Les actions connexes, in F. Jault-Seseke, D. Robine (dir.), Le nouveau règlement insolvabilité : quelles évolutions ?, Lextenso, 2015, p. 61, spéc. n° 10 s. ; adde F. Jault-Seseke, D. Robine, Rev. crit. DIP 2016. 21, spéc. n° 40). Elle est, en miroir, la conséquence de l’exclusion des faillites du champ d’application du règlement Bruxelles I. Rappelons que pour l’interprétation de la convention de Bruxelles, et la solution a été confirmée à différentes reprises, la Cour de justice avait indiqué que l’exclusion s’étendait aux décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement (CJCE 22 févr. 1979, aff. 133/78, Gourdain).

11La question est alors de savoir, et pour reprendre les termes du pourvoi, si « l’action du salarié, dont l’employeur a fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité ouverte dans un État membre de l’Union européenne, qui tend à l’admission à cette procédure et au paiement de diverses créances relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail, dérive directement de la faillite et s’insère étroitement dans le cadre de la procédure collective ». La Cour de cassation y répond par la négative : « le litige relatif à la rupture du contrat de travail du salarié et aux créances salariales durant la relation de travail ne relevait pas de la procédure d’insolvabilité ». La cour d’appel l’avait affirmé avant elle en utilisant le langage de la Cour de justice : l’action ne découle pas directement de et ne s’insère pas dans la procédure d’insolvabilité.

12La Cour de cassation a déjà eu à connaître de l’articulation du règlement Bruxelles I (ou des conventions de Bruxelles et de Lugano) avec le règlement Insolvabilité (v. Com. 5 mai 2004, n° 01-02.041, Bull. civ. IV, n° 82 sur l’action en comblement de passif qui est indissociable de la procédure collective ; Com. 18 déc. 2007, n° 06-17.610, Bull. civ. IV, n° 266 indiquant que l’action en recouvrement d’une créance déclarée à la procédure mais introduite après la clôture de la procédure ne dérive pas de la faillite ; Com. 22 janv. 2013, n° 11-17.968, NOB, Rev. crit. DIP 2014. 404, 2e espèce, note F. Jault-Seseke et D. Robine, qualifiant l’action tendant au prononcé d’une interdiction de gérer à l’encontre du dirigeant de la personne morale faisant l’objet d’une procédure d’insolvabilité d’action annexe). C’est néanmoins la première fois qu’elle se livre aussi clairement à l’exercice à propos d’un litige portant sur l’exécution et la rupture d’un contrat de travail (pour la mise à l’écart implicite du règlement Insolvabilité, v. Soc. 27 nov. 2013, n° 12-20.426, Rev. crit. DIP 2014. 858, note J.-M. Jude).

13La solution mérite approbation. D’abord, en ce qu’elle facilite l’accès du salarié à son juge, elle permet de respecter l’objectif de protection des travailleurs. Ensuite, elle est également cohérente par rapport à la notion d’action annexe dessinée par la Cour de justice. Si cette notion conserve certains mystères (v. D. Robine, article préc.), on peut néanmoins tenir pour acquis que les exceptions à l’application du règlement Bruxelles I sont d’interprétation stricte (v. particulièrement CJCE 10 sept. 2009, aff. C-292/08, German Graphics, D. 2009. 2782, note J.-L. Vallens ; ibid. 2010. 1585, note P. Courbe et F. Jault-Seseke ; ibid. 2323, note L. d’Avout) et que l’action qui ne trouve pas son origine dans le droit des procédures d’insolvabilité mais dans le droit commun n’est pas une action qui dérive directement de la procédure d’insolvabilité (CJUE 4 sept. 2014, aff. C-157/13, Nickel & Goeldner Spedition, Europe 2014. Comm. 503, note L. Idot ; Procédures 2014, n° 11, p. 20, note C. Nourissat). Dans l’espèce commentée, l’action du salarié n’était en rien fondée sur l’insolvabilité de son employeur et le contentieux aurait tout aussi pu se nouer en l’absence de procédure d’insolvabilité.

14Au demeurant, et parce que les dispositions du droit du travail, par le biais de l’article 6 de la convention de Rome, ont vocation à s’appliquer à ce salarié qui exécutait habituellement son travail en France, la solution retenue renforce la coïncidence des compétences juridictionnelle et législative. À cet égard, il faut relever que la Cour de cassation fait référence, alors que rien ne l’exigeait – le rejet de la qualification d’action annexe à la procédure d’insolvabilité étant suffisant à justifier le jeu de la règle de compétence propre au contrat de travail – aux articles 4 et 10 du règlement Insolvabilité du 29 mai 2000. Ces deux dispositions ont trait aux conflits de lois : la première affirme le principe de la compétence de la lex fori concursus alors que la seconde réserve l’application de la loi du contrat de travail. Ainsi, non sans une certaine maladresse, la Chambre sociale semble justifier la compétence du juge prud’homal par la prévalence de la loi du contrat de travail sur la lex fori concursus.

15Cette lecture ne doit pas induire en erreur et laisser penser que le juge de la procédure et la loi de la procédure se voient privés de tout rôle dès lors que les droits des salariés sont en cause. En effet, la déclaration et l’admission des créances salariales restent régies par la lex fori concursus (règl. n° 1346/2000, art. 4 ; règl. n° 2015/848, art. 7 ; par application de la convention franco-monégasque du 13 sept. 1950, v. Soc. 14 oct. 2015, n° 14-17.622, JCP S 2015. 1438, note L. Fin-Langer : indépendamment de la loi française applicable à la rupture du contrat de travail, la loi applicable à l’admission de la créance du salarié est la loi monégasque – loi de la procédure – et l’autorité de la chose jugée par le jugement du tribunal de première instance de Monaco ayant déclaré la créance du salarié non admise rend la demande de fixation de sa créance salariale devant la juridiction prud’homale française irrecevable) afin d’organiser l’insertion des créances salariales dans la procédure (v. notre article : Les droits des salariés, in F. Jault-Seseke, D. Robine (dir), Le nouveau règlement insolvabilité…, op. cit., p. 163, spéc. p. 168-169).

Français

Le litige relatif à la rupture du contrat de travail du salarié et aux créances salariales durant la relation de travail ne relève pas de la procédure d’insolvabilité, ainsi que cela résulte des articles 4 et 10 du règlement-insolvabilité n° 1346/ 2000 du conseil du 29 mai 2000 et la compétence juridictionnelle pour connaître de ce litige doit être déterminée en application de l’article 19 du règlement CE n° 44/ 2001 (1).

Mots clés

  • Compétence judiciaire internationale
  • Procédure d’insolvabilité
  • Contrat de travail
  • Créances relatives à l’exécution et à la rupture du contrat de travail
  • Contentieux extérieur à la procédure d’insolvabilité
  • Non-application du règlement CE n° 1346/ 2000
  • Application du règlement CE n° 44/2001
Fabienne Jault-Seseke
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Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.163.0534
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