CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Christophe Bohez c/ Ingrid Wiertz

2[Les motifs décisoires de l’arrêt commenté ci-dessous sont publiés sur le site ]

3Du 9 septembre 2015 – Cour de justice de l’Union européenne – Aff. C-4/14 – M. Tizzano, prés., Mme Berger, rapp. M. Szpunar, av. gén. – M. Koskenvuo, av.

4(1-3) 1. L’arrêt prononcé par la première chambre de la CJUE, le 9 septembre 2015, dans l’affaire Christophe Bohez c/ Ingrid Wiertz (aff. C-4/14 ; UE:C:2015:563), a pour origine une demande de décision préjudicielle de la Cour suprême finlandaise (le Korkein oikeus) ayant trait à l’exécution, en Finlande, d’une astreinte ordonnée par une juridiction belge afin de garantir l’exercice d’un droit de visite.

52. Après s’être marié en Belgique en 1997 et avoir eu deux enfants, un couple divorce en 2005 et l’ex-épouse déménage en Finlande. Par une décision de justice obtenue en Belgique en 2007, l’ex-époux se voit octroyer un droit de visite à l’égard de ses enfants. Afin d’en garantir le respect, cette décision est assortie d’une astreinte, fixée à 1 000 € par enfant pour chaque jour, en cas de non-présentation. Ainsi que le permet la législation belge (code judiciaire, art. 1385 ter), un montant maximal d’astreinte est par ailleurs fixé à 2 5000 €. Estimant que son ancienne conjointe méconnaît ses obligations, le père demande à la juridiction finlandaise compétente de condamner cette dernière à lui verser l’astreinte fixée dans la décision belge ou que cette décision soit déclarée exécutoire en Finlande. Prenant appui sur le fait qu’en droit belge le recouvrement du produit de l’astreinte est directement réalisé par les autorités en charge de l’exécution, sans qu’une nouvelle procédure judiciaire soit nécessaire à cette fin, il considère que sa demande entre dans le domaine du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I (JOCE L 12, 16 janv. 2001, p. 1), en ce qu’elle tend au recouvrement d’une créance pécuniaire exigible. Cette demande n’a pas été couronnée de succès, la juridiction de première instance estimant qu’en l’absence de liquidation de l’astreinte dans l’État membre d’origine, l’article 49 du règlement Bruxelles I, qu’elle estime applicable en l’espèce, n’est pas respecté. Saisie ensuite du recours contre cette première décision, la cour d’appel d’Helsinki a également déclaré irrecevable la demande du père, tout en avançant une motivation différente. En effet, cette juridiction estime quant à elle que le règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 dit Bruxelles II bis (JOUE L 338, 23 déc. 2003, p. 1) trouve application dans cette affaire, mais fait usage des dispositions de l’article 47, paragraphe 1 de ce règlement et en déduit que le régime d’exécution de l’astreinte doit être apprécié au regard du droit finlandais (en tant que droit applicable à « la procédure d’exécution »). Or, si le droit finlandais connait l’astreinte, il subordonne son recouvrement à la fixation définitive préalable de son montant par une juridiction. L’ex-époux forme alors un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême finlandaise (juridiction de renvoi), laquelle sursoit à statuer et interroge la CJUE. Cinq questions préjudicielles – étroitement imbriquées – sont posées. Elles concernent la détermination du règlement européen applicable et les modalités d’exécution transfrontière d’une astreinte. La CJUE y répond en insistant sur le caractère « accessoire » de cette mesure à l’égard du droit de visite et sur la nécessaire liquidation de l’astreinte dans l’État membre d’origine, suivant en cela les conclusions de l’avocat général M. Szpunar (concl. présentées le 16 avr. 2015).

63. En premier lieu, la CJUE tire argument du caractère accessoire de l’astreinte pour écarter l’application du règlement Bruxelles I et affirmer l’identité de régime d’exécution du droit de visite et de l’astreinte qui en garantit le respect. À noter que cette solution conserve sa pertinence sous l’empire du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 dit Bruxelles I bis (JOUE L 51, 20 déc. 2012, p. 1).

74. D’une part, pour la CJUE, ne relèvent pas du champ d’application matériel du règlement Bruxelles I, les affaires portant sur l’exécution dans un État membre d’une astreinte ordonnée dans une décision de justice, prononcée dans un autre État membre, relative au droit de garde et au droit de visite aux fins de garantir le respect de ce droit de visite par le titulaire du droit de garde (arrêt, spéc. point 40). Elle répond ainsi à la première question préjudicielle (portant sur l’interprétation à donner de l’art. 1er, § 2 règl. Bruxelles I) et, partant, ne fait pas sienne l’argumentation du père. Cette solution s’inscrit dans le sillage d’une jurisprudence bien établie (par ex. CJUE, gr. ch., 18 oct. 2011, Realchemie Nederland BV c/ Bayer CropScience AG, aff. C-406/09, EU:C:2011:668, Rec. I-09773, concl. av. gén. Mengozzi présentées le 5 avr. 2011 ; Europe déc. 2011. comm. 498, note L. Idot) suivant laquelle, en ce qui concerne les mesures provisoires, la Cour estime que leur appartenance au domaine d’application du règlement Bruxelles I est déterminée « non par leur nature propre, mais par la nature des droits dont elles assurent la sauvegarde ». Or, dans cette affaire, l’astreinte dont l’exécution est réclamée est une mesure accessoire visant à assurer la sauvegarde d’un droit de visite, lequel – on le sait – relève du domaine du règlement Bruxelles II bis, à l’exclusion de celui du règlement Bruxelles I (arrêt, points 35-39).

85. D’autre part, une fois écartée l’application du règlement Bruxelles I (rendant, en cela, sans objet la deuxième question préjudicielle relative à l’interprétation de l’art. 49 de ce règlement), la CJUE devait se prononcer sur le régime d’exécution de l’astreinte. Plus exactement, à l’occasion d’une troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi lui a demandé si, en l’espèce, le recouvrement de l’astreinte dépendait de la « procédure d’exécution » du droit de visite au sens de l’article 47, § 1 du règlement Bruxelles II bis ou, au contraire, relevait du même régime d’exécution que le droit de visite dont elle assure le respect. L’enjeu est important car la première option conduit à appliquer la législation nationale de l’État membre requis (en l’occurrence, le droit finlandais), alors que la seconde revient à déclarer l’astreinte ordonnée en Belgique exécutoire en Finlande en application des règles simplifiées de reconnaissance et d’exécution transfrontières définies aux articles 28, § 1 et 41, § 1 dudit règlement. Raisonnant là encore sur le caractère accessoire de l’astreinte par rapport à l’obligation principale qu’elle garantit (arrêt, point 47), la CJUE opte pour la seconde branche de l’alternative. La Cour juge en ce sens que l’exécution de l’astreinte est « directement liée à l’existence à la fois de cette obligation principale et d’un manquement à cette dernière » et ajoute que « compte tenu de ce lien, l’astreinte ordonnée dans une décision relative au droit de visite ne peut être considérée de manière isolée comme constituant une obligation autonome, mais doit être considérée de manière indissociable du droit de visite dont elle assure la sauvegarde » (arrêt, points 48 et 49). De nouveau, la solution ici adoptée par la CJUE apparaît pleinement justifiée. Elle permet d’éviter que le juge de l’État membre requis n’ait à s’immiscer sur le fond du litige et à contrôler, en application de sa législation nationale, l’existence éventuelle d’un manquement au droit de visite (arrêt, points 51 et 52). À titre de comparaison, le droit finlandais régissant la procédure d’astreinte se serait appliqué si cette mesure avait été sollicitée auprès des autorités compétentes de cet État pour assortir une décision de justice belge préalablement déclarée exécutoire en Finlande en application du règlement Bruxelles II bis.

96. En second lieu, la CJUE subordonne l’application du dispositif de reconnaissance et d’exécution transfrontières prévu dans le règlement Bruxelles II bis à la nécessaire liquidation de l’astreinte dans l’État membre d’origine. Elle opère en cela une application par analogie de l’article 49 du règlement Bruxelles I et, par extension, conduit à s’interroger sur l’opportunité d’un rapprochement des législations nationales en matière d’astreinte.

107. En l’absence de disposition spécifiquement consacrée à la reconnaissance et à l’exécution des décisions étrangères condamnant sous astreinte dans le règlement Bruxelles II bis, la CJUE transpose la solution retenue par le législateur européen dans le règlement Bruxelles I (et conservée dans le règl. Bruxelles I bis, spéc. art. 55). Répondant par l’affirmative à la quatrième question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi, elle juge en conséquence qu’en matière de responsabilité parentale les « décisions étrangères condamnant à une astreinte ne sont exécutoires dans l’État membre requis que si le montant en a été définitivement fixé par les tribunaux de l’État membre d’origine » (arrêt, point 61). Cette solution n’est pas dépourvue de justifications propres à la matière couverte par le règlement Bruxelles II bis et aux enjeux spécifiques qui l’animent (dont la protection des droits de l’enfant). En ce sens, ainsi que le relève la CJUE, la détermination de la somme finale devant être acquittée au titre de l’astreinte « implique un contrôle des manquements allégués par le titulaire du droit de visite. Un tel contrôle, d’une importance capitale pour l’intérêt supérieur de l’enfant, n’implique pas seulement la constatation du nombre de défauts de présentation de l’enfant, mais également l’appréciation des raisons à l’origine de ces manquements. Or, seul le juge de l’État d’origine, en tant que juge compétent pour connaître du fond, est habilité à porter des appréciations de cette nature » (arrêt, point 59). Par ailleurs, la réponse apportée par la CJUE a le mérite d’assurer une certaine cohérence dans le domaine de la coopération judiciaire civile lato sensu. Cependant, elle n’en engendre pas moins des difficultés d’articulation avec certaines législations nationales. À ce propos, on peut rappeler que – contrairement au droit finlandais ou au droit français – la législation belge (C. jud., art. 1385 quater) permet au bénéficiaire de l’astreinte d’en poursuivre le recouvrement en vertu du titre même qui la prévoit. Autrement dit, ce dernier n’a pas à saisir une juridiction pour obtenir, préalablement à l’exécution, la liquidation de l’astreinte (arrêt, point 15). Pourtant, dans le présent arrêt, la CJUE invite le bénéficiaire de l’astreinte à « exploiter les voies procédurales ouvertes dans l’État membre d’origine pour obtenir un titre liquidant l’astreinte à son montant définitif » (arrêt, point 60).

118. Ces difficultés d’articulation entre le droit de l’Union européenne (et, singulièrement l’arrêt rendu dans l’affaire ici envisagée) et certaines législations nationales régissant la procédure d’astreinte peuvent être mises en relation avec une réflexion plus générale portant sur la faisabilité et l’opportunité d’un rapprochement des droits nationaux (à ce sujet, v. not. E. Guinchard, Nécessité et possibilité d’une astreinte européenne dans l’espace judiciaire civil, Dr. et proc., mars 2010, suppl. Droit des procédures internationales, p. 2 ; adde, M. Storme (dir.), Rapprochement du droit judiciaire de l’Union européenne – Approximation of Judiciary Law in the European Union, Kluwer éditions juridiques Belgique, Martinus Nijhoff Publishers, 1994). Sans doute, la prudence est-elle de mise lorsque l’on raisonne sur la tenue éventuelle d’une action de l’Union européenne en ce domaine. À ce sujet, on peut souligner que le respect « des différents systèmes et traditions juridiques des États membres » est érigé, à l’article 67 du TFUE, en véritable principe directeur de l’action de l’Union européenne en matière de justice. Cependant, plusieurs raisons rendent vraisemblable une telle action. Parmi elles figure celle tenant à l’existence de nombreuses disparités, entre les législations nationales, ayant une incidence sur l’efficacité des procédures. De telles disparités concernent principalement le champ d’application de l’astreinte, la désignation de l’autorité compétente pour procéder à sa liquidation ou encore la détermination du bénéficiaire du produit de cette mesure (v. en ce sens, concl. av. gén. M. Szpunar, spéc. point 40 ; adde, G. Payan, Droit européen de l’exécution en matière civile et commerciale, Bruylant, 2012, spéc. p. 172 s.). Un rapprochement des droits nationaux en matière d’astreinte (sur la teneur d’une hypothétique harmonisation européenne, v. par ex. G. Payan, Les astreintes dans le règlement Bruxelles I bis : permanence et perspectives, in E. Guinchard (dir.), Le nouveau règlement Bruxelles I bis, Bruylant, 2014, p. 249) rendrait également réaliste et opportune la solution d’étendre le principe de la libre circulation aux décisions de justice ordonnant une astreinte non liquidée, ainsi que l’avait suggéré la Commission européenne dans sa proposition de règlement du 14 décembre 2010 [COM(2010) 748 final]. Cette dernière proposait, en effet, qu’une astreinte puisse être liquidée dans un État membre différent de celui dans lequel elle a été prononcée. Cependant, le législateur de l’Union européenne n’a pas retenu cette solution dans le règlement Bruxelles I bis et a opté pour le statu quo (adde, H. Gaudemet-Tallon, Compétence et exécution des jugements en Europe, Matières civile et commerciale : Règlement n° 44/2001 et 1215/2012, Conventions de Bruxelles (1968) et de Lugano (1988 et 2007), LGDJ, 5e éd., 2015, spéc. p. 597).

Français

L’article 1er du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que ce règlement ne s’applique pas à l’exécution dans un État membre d’une astreinte ordonnée dans une décision, rendue dans un autre État membre, relative au droit de garde et au droit de visite aux fins d’assurer le respect de ce droit de visite par le titulaire du droit de garde (1).
Le recouvrement d’une astreinte ordonnée par le juge de l’État membre d’origine qui a statué au fond sur le droit de visite aux fins d’assurer l’effectivité de ce droit relève du même régime d’exécution que la décision sur le droit de visite que garantit ladite astreinte et cette dernière doit, à ce titre, être déclarée exécutoire selon les règles définies par le règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000.
Dans le cadre du règlement n° 2201/2003, les décisions étrangères condamnant à une astreinte ne sont exécutoires dans l’État membre requis que si le montant en a été définitivement fixé par les tribunaux de l’État membre d’origine (3).

Mots clés

  • Astreinte
  • Règlement (CE) no 44/2001
  • Articles 1er, § 2, et 49
  • Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale
  • Matières exclues
  • Droit de la famille
  • Règlement (CE) no 2201/2003
  • Article 47, § 1
  • Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière de responsabilité parentale
  • Décision sur le droit de visite imposant une astreinte
  • Exécution de l’astreinte.
Guillaume Payan
Maître de conférences HDR à l’Université de Toulon
Membre du CDPC Jean-Claude Escarras (UMR CNRS 7318 DICE)
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.161.0195
Pour citer cet article
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