CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Cour de cassation (Civ. 1re) – 18 mars 2015 – n° 14-14.638

2Rétention administrative – Notification des droits – Droit de former une demande d’asile – Défaut de délivrance de l’information sur la procédure de demande d’asile – Conséquences – Irrégularité de la procédure de rétention administrative (non)

3Le défaut de délivrance de l’information sur la procédure de demande d’asile et les droits et obligations au cours de celle-ci est sans incidence sur la régularité de la procédure de rétention administrative soumise au contrôle du juge des libertés et de la détention.

4(M. X.)

5La Cour : – Sur le moyen unique : – Attendu, selon l’ordonnance attaquée rendue par le premier président d’une cour d’appel (Bordeaux, 19 avr. 2013) et les pièces de la procédure, que M. X… a fait l’objet d’une procédure de retenue administrative aux fins de vérification du droit de séjour qui a révélé qu’il était de nationalité algérienne et en situation irrégulière ; qu’un arrêté portant obligation de quitter sans délai le territoire français et une décision de placement en rétention administrative lui ont été notifiés ; qu’après son placement en rétention, il a déposé une demande d’asile ;

6Attendu que M. X… fait grief à l’ordonnance de prolonger la rétention alors, selon le moyen :

71°/ qu’en application des articles 66 de la Constitution de 1958 ainsi que des articles L. 552-2 et R. 553-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le premier président doit s’assurer de ce que l’intéressé avait été, au moment de la notification de la décision de placement en rétention, mis en mesure d’exercer effectivement les droits qui lui sont reconnus, qu’en particulier, M. X… ayant exposé dans sa requête d’appel qu’il n’avait pas été informé de ses droits et obligations au cours de la procédure de demande d’asile, il devait vérifier si l’intéressé avait reçu cette information et qu’en s’abstenant de le faire, l’ordonnance attaquée n’a pas satisfait aux exigences des textes susvisés ;

82°/ qu’il appartenait au préfet de prouver que cette information avait été donnée à l’intéressé, qu’en statuant ainsi et en intervertissant la charge de la preuve, l’ordonnance a violé ces mêmes textes ainsi que l’article 1315 du Code civil ;

9Mais attendu que le défaut de délivrance de l’information sur la procédure de demande d’asile et les droits et obligations au cours de celle-ci est sans incidence sur la régularité de la procédure de rétention administrative soumise au contrôle du juge des libertés et de la détention ; que le moyen est inopérant ;

10Par ces motifs : – Rejette le pourvoi.

11Du 18 mars 2015 – Cour de cassation (Civ. 1re) – Pourvoi n° 14-14.638 (publié au Bulletin) – Mme Batut, prés., SCP Delvolvé, av.

121. Selon l’article L. 551-3 du CESEDA, l’étranger qui fait l’objet d’une décision d’éloignement et qui est placé en rétention administrative en vue de l’exécution de cette décision doit recevoir, à son arrivée au centre de rétention, la notification des droits qu’il est susceptible d’exercer en matière de demande d’asile. L’article L. 551-3 ajoute qu’il lui est également indiqué qu’une demande d’asile formulée en rétention plus de cinq jours après la notification des droits ne sera plus recevable. Le principe de l’irrecevabilité de la demande au terme des cinq jours a pour objectif d’empêcher les demandes d’asile dilatoires qui auraient uniquement pour objet de retarder l’exécution de la décision d’éloignement. C’est ce qui explique que le délai de recevabilité vise uniquement les demandes d’asile qui sont formées au cours de la période de rétention, et non celles formées une fois que la rétention a pris fin. En effet, le Conseil d’État a jugé que le délai de cinq jours n’empêche pas qu’une demande d’asile soit présentée après la fin de la rétention (CE, réf., 21 sept. 2009, n° 331915), ce qui est conforme à l’objectif poursuivi puisque le processus d’exécution de la décision d’éloignement n’est alors plus en cours et la demande ne peut donc pas être considérée comme dilatoire. Par ailleurs, le délai de cinq jours n’est pas non plus prescrit à peine d’irrecevabilité lorsque l’étranger invoque des faits survenus postérieurement à son expiration, ou lorsqu’il ne peut être regardé comme ayant pu utilement présenter une demande, faute d’avoir bénéficié d’une assistance juridique et linguistique effective (CE 30 juill. 2014, n° 375430 ; solution reprise dans le nouvel art. L. 55A-3 issu de la loi n° 2015-925 du 29 juill. 2015). En ce qui concerne la sanction du non-respect de l’obligation de notification des droits, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt du 14 mars 2006, que le non-respect empêche le délai de recevabilité de cinq jours à courir (Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 05-15.295). En revanche, il n’entraîne pas la nullité de la procédure.

132. À cette première obligation de notification s’ajoute une obligation d’information plus précise dans l’hypothèse où l’étranger exprime son souhait de demander l’asile. Il doit alors être informé de la procédure de demande d’asile, de ses droits et obligations au cours de cette procédure, des conséquences que pourrait avoir le non-respect de ces obligations ou le refus de coopérer avec les autorités et des moyens dont il dispose pour l’aider à présenter sa demande (CESEDA, art. R. 553-15, issu de l’art. 10 dir. 2005/85/CE du 1er déc. 2005, devenu l’art. 12 § 1er dir. 2013/32/UE du 26 juin 2013 qui dispose : « les États membres veillent à ce que tous les demandeurs bénéficient des garanties suivantes : a) ils sont informés, dans une langue qu’ils comprennent ou dont il est raisonnable de supposer qu’ils la comprennent, de la procédure à suivre et de leurs droits et obligations au cours de la procédure ainsi que des conséquences que pourrait avoir le non-respect de leurs obligations ou le refus de coopérer avec les autorités. Ils sont informés du calendrier, des moyens dont ils disposent pour remplir leur obligation de présenter les éléments visés à l’article 4 de la directive 2011/95/UE, ainsi que des conséquences d’un retrait explicite ou implicite de la demande. Ces informations leur sont communiquées à temps pour leur permettre d’exercer les droits garantis par la présente directive et de se conformer aux obligations décrites à l’article 13 » ; sur l’art. 10 dir. 2005/85, v. CE 10 déc. 2010, n° 326704). La question à laquelle la Cour de cassation a eu à répondre dans le présent arrêt était de savoir si la méconnaissance par l’Administration de cette deuxième obligation d’information est susceptible d’affecter la régularité de la rétention administrative. Le code n’y apporte aucune réponse explicite. Cette question a été soulevée dans le cadre d’une affaire où l’étranger avait demandé et reçu le formulaire de demande d’asile et avait ainsi déposé une demande d’asile en rétention, mais prétendait ne pas avoir reçu d’information sur les droits et obligations dont il disposait au cours de la procédure d’asile. À l’expiration de la période initiale de rétention, le préfet avait demandé au juge des libertés et de la détention une prolongation de celle-ci et c’est alors que l’étranger a invoqué l’irrégularité pour s’opposer à la prolongation.

143. En tant que gardien de la liberté individuelle (art. 66 de la Constitution), le juge des libertés et de la détention doit statuer sur toutes les atteintes à la liberté invoquées par l’étranger. En particulier, il résulte de l’article L. 552-2 du CESEDA qu’il doit s’assurer que l’étranger a été pleinement informé de ses droits dans les meilleurs délais suivant la notification de la décision de placement en rétention, et qu’il a été placé en état de les faire valoir à compter de son arrivée au lieu de rétention. En l’espèce, l’étranger avait placé son pourvoi sur le terrain de l’office du juge et sur celui de la répartition de la charge de la preuve, en soutenant, d’une part, qu’il appartenait au juge de s’assurer que l’intéressé avait reçu l’information et que c’était seulement dans l’affirmative qu’il pouvait prolonger la rétention et, d’autre part, qu’il appartenait au préfet de prouver que l’information avait été donnée. Concernant l’office du juge, la Cour de cassation avait déjà précisé en 2006 qu’il appartient effectivement au juge et non à l’étranger de démontrer qu’il n’a pas été mis en mesure, au moment de la notification de la décision de placement en rétention, d’exercer effectivement ses droits (Civ. 1re, 31 janv. 2006, n° 04-50.093, 04-50.121 et 04-50.128, 3 arrêts, Bull. civ. I, n° 45, p. 46). Néanmoins, en l’espèce, la première Chambre civile n’a pas suivi l’argumentation du pourvoi. Elle l’a rejeté au motif que le défaut de délivrance de l’information sur la procédure de demande d’asile et les droits et obligations au cours de celle-ci était sans incidence sur la régularité de la procédure de rétention administrative et que le moyen était, par conséquent, inopérant.

154. Le caractère sibyllin de la motivation ne facilite pas l’interprétation de l’arrêt. On peut toutefois conjecturer que, selon la Cour de cassation, le défaut de délivrance de l’information sur la procédure d’asile et les droits et obligations au cours de celle-ci, prévue par l’article R. 553-15, n’est assorti d’aucune sanction dès lors que la demande d’asile a pu être déposée dans les délais, comme cela semble avoir été le cas en l’espèce, même si l’arrêt ne fournit aucune information précise à ce sujet. En revanche, le présent arrêt ne remet pas en cause le principe d’une mise à l’écart du délai de recevabilité de la demande d’asile, posé par l’arrêt précité du 14 mars 2006, lorsque les exigences de l’article L. 551-3 relatives à la notification des droits en matière d’asile au moment de l’arrivée dans le centre de rétention n’ont pas été respectées : faute d’avoir été dûment informé de ses droits en matière d’asile, l’étranger sera recevable de présenter sa demande à tout moment.

165. La solution paraît, à première vue, tout à fait logique. Effectivement, le défaut d’information sur le déroulement de la procédure d’asile n’affecte pas les conditions de régularité, à proprement parler, de la rétention administrative, d’autant qu’en l’espèce, l’étranger avait formé une demande d’asile qui apparemment n’a pas été déclarée tardive et qui a donc été examinée par l’OFPRA. Et dans l’attente de la décision de l’OFPRA, il ne pouvait être procédé à l’éloignement de l’étranger même si la demande a été examinée dans le cadre de la procédure prioritaire (CESEDA, art. L. 742-6 ; la loi n° 2015-925 du 29 juill. 2015 a réformé en profondeur la procédure applicable aux demandes formées en rétention : v. le nouvel art. L. 556-1 CESEDA ; S. Corneloup, La réforme du droit d’asile, D. 8 oct. 2015). Toutefois, à la réflexion, la solution n’est pas pleinement satisfaisante puisqu’elle est susceptible d’affecter l’effectivité du droit d’asile. En effet, en ce qui concerne, tout d’abord, l’information exigée par l’article R. 553-15 qui était au cœur de l’affaire commentée, l’absence d’incidence sur la régularité de la procédure de rétention signifie que la violation de cette disposition n’entraîne finalement aucune conséquence juridique, ce qui ne constitue guère un encouragement pour l’Administration à s’y conformer, ni une façon satisfaisante de transposer une obligation découlant d’une directive européenne. En effet, le défaut d’information n’affectera pas non plus la légalité des actes administratifs que sont la décision d’éloignement et la décision de placement en rétention administrative. Or, devant l’OFPRA, faute d’information préalable suffisante, le demandeur risque de présenter sa demande dans de mauvaises conditions, ce qui peut conduire à une décision injustifiée de rejet de sa demande d’asile. L’effectivité du droit d’asile n’est pas garantie. Ensuite, même la sanction de la mise à l’écart du délai de recevabilité de la demande d’asile, en cas de non-respect de la notification prévue par l’article L. 551-3, n’est pas entièrement satisfaisante. Dans la mesure où ce défaut d’information n’affecte pas non plus la régularité de la procédure de rétention administrative, le juge des libertés et de la détention peut ordonner une prolongation de cette dernière, et il est tout à fait possible que la décision d’éloignement soit finalement exécutée avant que l’intéressé n’ait eu le temps de former sa demande d’asile. La mise à l’écart du délai de recevabilité de la demande d’asile n’y changera rien. Le droit d’asile est alors méconnu, sans qu’il n’y ait la moindre possibilité de contrôle ni de sanction.

176. La réforme du droit d’asile issue de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 (sur laquelle, v. S. Corneloup, art. préc.) comporte plusieurs dispositions réformant l’examen des demandes d’asile en rétention, mais aucune d’entre elles ne porte sur l’information de l’étranger de ses droits en matière d’asile. À notre avis, une garantie effective du droit d’asile exige une remise en liberté de l’étranger pour que celui-ci puisse déposer sa demande d’asile. Si cette solution est jugée politiquement irréalisable, il faudrait a minima, dans l’hypothèse d’une violation de l’obligation de notification de l’article L. 551-3, que non seulement le délai de recevabilité de la demande soit écarté, mais également que le juge des libertés et de la détention, saisi d’une demande de prolongation de la rétention, puisse suspendre l’exécution de la décision d’éloignement dans l’attente que l’étranger ait remis sa demande d’asile. En cas de violation de l’obligation d’information sur la procédure d’asile et les droits et obligations au cours de celle-ci, une possibilité de régularisation devrait être ouverte devant l’OFPRA, permettant à l’étranger le cas échéant de réécrire la demande déposée ou de reprendre d’autres étapes de la procédure pour lesquelles il n’était pas suffisamment préparé. Bien entendu, de telles solutions ne pouvaient pas être posées par la Cour de cassation qui devait se prononcer exclusivement sur l’ordonnance de prolongation de la rétention.

18Sabine Corneloup

Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.153.0589
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