CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Cour de cassation (Civ. 1re) - 25 juin 2014 - Pourvoi n° 13-23.669

2Compétence internationale – Clause attributive de juridiction – Clause compromissoire – Conflit de clauses de juridiction – Principe compétence-compétence

3Viole l’article 1448 du Code de procédure civile la cour d’appel qui, sans constater que les parties avaient substitué à la clause compromissoire une clause attributive de juridiction, déduit de l’acquittement de factures contenant cette dernière la volonté des parties de s’y soumettre et juge manifestement inapplicable la clause compromissoire stipulée dans le contrat de distribution (1).

4(Soc. Kodak c. Soc. Encad)

5La Cour : – Sur le moyen unique : Vu l’article 1448 du Code de procédure civile ; Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Kodak, qui vient aux droits de la société Encad, a confié à la société Canon France qui vient aux droits de la société OCE, la distribution de ses produits ; que celle-ci s’étant plainte de la rupture brutale de leurs relations commerciales, a assigné la société Kodak en paiement devant un tribunal de commerce ; que la société Kodak a soulevé l’incompétence de la juridiction saisie en invoquant la clause compromissoire contenue dans le contrat de distribution ; Attendu que, pour rejeter le contredit et dire le tribunal de commerce compétent, l’arrêt retient que l’acquittement régulier et sans réserve de 2009 à 2012, par la société Canon France, des factures émises par la société Kodak contenant une clause attribuant compétence aux tribunaux de Paris manifeste la volonté des parties de soumettre leurs relations à ces conditions et rend manifestement inapplicable la clause compromissoire stipulée par le contrat de distribution ; Qu’en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l’inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage, dès lors qu’elle ne constatait pas que les parties avaient substitué à la clause compromissoire une clause attributive de juridiction, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

6Par ces motifs : – Casse.

7Du 25 juin 2014 - Cour de cassation (Civ. 1re) - Pourvoi n° 13-23.669 - M. Charruault, prés., - M. Haas, SCP Bénabent et Jéhannin, av.

8(1) Il n’est pas rare qu’un même ensemble contractuel – voire un même contrat – donne naissance à un conflit entre une clause compromissoire et une clause attributive de juridiction. Le phénomène a suscité l’intérêt de la doctrine (L. Perreau-Saussine, Le conflit entre clause compromissoire et clause attributive de juridiction, in Mélanges en l’honneur du Professeur Bernard Audit, LGDJ, 2014, p. 611 s. ; G. Blanc, Clause compromissoire et clause attributive de juridiction dans un même contrat ou dans un même ensemble contractuel : de la concurrence à la subsidiarité de la compétence des tribunaux étatiques, JCP E 1997, n° 47, p. 485 s.). Et il a été porté à plusieurs reprises devant les juridictions ; la Cour de cassation a ainsi rendu en la matière près de dix arrêts en dix ans (v. la jurisprudence analysée infra). L’arrêt commenté, rendu par la première chambre civile le 25 juin 2014, n’est donc ni la première, ni d’ailleurs la dernière, des décisions traitant des conflits de clauses de compétence. Il n’en est pas moins intéressant en ce qu’il invite à analyser la façon dont la Haute juridiction répartit, entre l’arbitre et le juge judiciaire, la compétence pour trancher les conflits de clauses de compétence, en prenant appui sur l’effet négatif du principe compétence-compétence.

9L’affaire, relativement simple, présentait une configuration factuelle fréquente en matière de conflit de clauses de compétence. Deux sociétés avaient conclu un contrat-cadre de distribution, dans lequel était stipulée une clause compromissoire. Plusieurs contrats de vente successifs avaient été conclus en application de ce contrat-cadre ; or les factures émises par le fabricant/vendeur, et régulièrement acquittées sans réserve pendant quatre ans par le distributeur/acheteur, contenaient toutes une clause attribuant compétence aux tribunaux de Paris. Les conditions étaient apparemment remplies – même si les données de l’espèce ne permettent pas de le vérifier avec précision – pour que la validité de la clause attributive de juridiction ainsi convenue entre les parties soit reconnue. Cette clause était en effet régie par le règlement Bruxelles I (l’une des parties était domiciliée en France, l’autre aux États-Unis et la clause désignait les juridictions françaises), qui admet les clauses d’élection de for dont la forme est conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles (avec pour conséquence, notamment, que la clause reproduite sur les factures dans le cadre d’une relation commerciale de longue durée est opposable à l’acheteur qui les a régulièrement acquittées : Civ. 1re, 17 févr. 2010, n° 08-12.749 et n° 08-15.024, D. 2010. 588, obs. X. Delpech ; Rev. crit. DIP 2010. 525, note N. Joubert ; RTD com. 2010. 460, obs. Ph. Delebecque). Il semble qu’il y avait donc bien, dans les relations entre les parties, deux clauses valables, l’une compromissoire, l’autre attributive de juridiction aux tribunaux de Paris.

10Invoquant une rupture brutale des relations commerciales par le fournisseur, le distributeur saisit le tribunal de commerce de Paris. Le défendeur soulève une exception d’incompétence, en opposant la clause compromissoire incluse au contrat de distribution. La Cour d’appel de Paris rejette le contredit de compétence pour retenir la compétence du tribunal de commerce, l’acquittement sans réserve des factures incluant une clause attributive de juridiction manifestant selon elle « la volonté des parties de soumettre leurs relations à ces conditions » et rendant « manifestement inapplicable la clause compromissoire stipulée par le contrat de distribution ». La Cour de cassation, saisie d’un moyen de violation de l’article 1448 du Code de procédure civile et du principe compétence-compétence, censure l’arrêt en faisant grief à la cour d’appel d’avoir statué « par des motifs impropres à caractériser l’inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage, dès lors qu’elle ne constatait pas que les parties avaient substitué à la clause compromissoire une clause attributive de juridiction ».

11Cette solution ne peut être qu’approuvée, mais il faut veiller à bien en circonscrire le fondement et la portée. À ceux familiers de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de règlement des conflits de clauses de compétence, les faits de l’espèce pourraient donner à penser que la censure était évidente dès lors que le conflit devait manifestement être réglé en faveur de la clause compromissoire. L’action en justice est en effet fondée sur la rupture des relations commerciales ; elle découle du contrat-cadre de distribution plutôt que des contrats de vente subséquents. Dès lors, elle relève a priori de la compétence arbitrale, en vertu de la clause compromissoire insérée dans le contrat de distribution, même si les contrats de vente incluent une clause attributive de juridiction. Mais la Cour de cassation ne s’aventure pas sur le terrain du règlement du conflit pour motiver la censure de l’arrêt d’appel ayant retenu la compétence des juges judiciaires. Ainsi que l’y invitait le pourvoi, elle se borne à traiter de la compétence pour régler le conflit de clauses de compétence. Se prononçant au visa de l’effet négatif du principe compétence-compétence, elle souligne que, faute par les juges du fond d’avoir constaté une volonté des parties de substituer la clause attributive de juridiction incluse dans les contrats de vente à la clause compromissoire stipulée dans le contrat de distribution, celle-ci n’était pas « manifestement inapplicable ». En l’état des constatations des juges du fond, seul l’arbitre était donc compétent pour régler le conflit de clauses, en application de l’article 1448 du Code de procédure civile. La Haute juridiction invite ainsi à s’interroger sur la compétence – arbitrale ou judiciaire – pour trancher les conflits de clauses de procédure opposant une clause compromissoire et une clause attributive de juridiction.

12On ne s’arrêtera pas sur la compétence arbitrale. L’arbitre, s’il est saisi, est toujours en position de régler l’éventuel conflit de clauses de compétence qui lui est opposé. C’est la conséquence de l’effet positif du principe compétence-compétence : puisque le conflit met en cause l’applicabilité de la clause compromissoire, il soulève une question de compétence de l’arbitre que celui-ci a compétence pour trancher. On observera alors que l’arbitre, parce qu’il est compétent pour statuer sur sa propre compétence, est en position de priver d’effet une clause attributive de juridiction contrariant une clause compromissoire. On rappellera cependant que sa décision sur ce point n’échappe pas à tout contrôle ultérieur du juge étatique, dans le cadre d’un éventuel examen de la sentence arbitrale. Si l’arbitre devait indûment privilégier la clause compromissoire au détriment d’une clause attributive de juridiction pourtant applicable, le juge pourrait sanctionner son incompétence (V. pour ce contrôle en présence d’un conflit de clauses, mais concluant à la compétence de l’arbitre : Civ. 1re, 29 janv. 2014, n° 1226.597).

13La position du juge judiciaire français désigné par la clause attributive de juridiction est moins confortable, puisqu’en présence d’une clause compromissoire il doit en principe, selon l’article 1448 du Code de procédure civile, donner priorité à l’arbitre pour le laisser statuer sur sa propre compétence ; c’est l’effet négatif du principe compétence-compétence. Cela ne signifie cependant pas que le juge judiciaire est radicalement incompétent pour trancher un conflit de clauses de compétence dès que l’une de ces clauses est une clause compromissoire. Il convient de distinguer ici selon que la clause compromissoire est manifestement inapplicable (I), ou qu’il existe un doute sur son applicabilité (II), ou qu’elle est au contraire manifestement applicable (III).

I. – Inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire : le juge est compétent en dépit du principe compétence- compétence

14L’article 1448 du Code de procédure civile permet de déroger à la compétence prioritaire de l’arbitre pour statuer sur sa propre compétence lorsque la clause compromissoire est « manifestement nulle ou inapplicable ». L’arrêt commenté invite à rappeler en premier lieu que la nature spécifique de l’action fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies – action que la jurisprudence française qualifie de délictuelle (not. en matière internationale : Com. 18 janv. 2011, n° 10-11.885, Bull. civ. IV, n° 9 ; Com. 21 oct. 2008, n° 07-12.336) – ne suffit pas à retenir l’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire incluse dans le ou les contrats conclus dans le cadre de la relation. Cette question a déjà été jugée par la Cour de cassation : la clause compromissoire, pour peu qu’elle vise tout litige né du contrat ou en relation avec celui-ci, n’est pas manifestement inapplicable à l’action fondée sur la rupture des relations commerciales établies, qui présente un lien avec le ou les contrats puisqu’elle se rapporte aux conditions dans lesquelles il y a été mis fin (Civ. 1re, 8 juill. 2010, n° 09-67.013, Bull. civ. I, n° 156 ; D. 2010. 2884, note M. Audit et O. Cuperlier ; Ibid. p. 2933, obs. Th. Clay ; Rev. crit. DIP 2010. 743, note D. Bureau, H. Muir Watt ; Rev. arb. 2010. 513, note R. Dupeyré). L’argument n’était d’ailleurs pas invoqué en l’espèce, l’inapplicabilité de la clause compromissoire étant discutée sur le fondement du conflit de clauses de compétence. Or le conflit de clauses de compétence autorise à retenir l’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire dans deux principales circonstances.

15La première est celle où les parties ont clairement exprimé la volonté que la clause attributive de juridiction se substitue, à un moment donné, à la clause compromissoire ; les juges judiciaires peuvent alors faire prévaloir la clause attributive de juridiction selon un critère temporel. La Cour de cassation l’a jugé dans un arrêt de principe du 11 juillet 2006 (n° 03-19.838, Bull. civ. I, n° 366 ; D. 2006. 2273, Rev. crit. DIP 2007. 128, note F. Jault-Seseke ; RTD com. 2006. 764, obs. E. Loquin). Les parties avaient stipulé dans leurs accords de réservation de fret à la fois une clause d’arbitrage, et une clause prévoyant que ces documents seraient annulés et remplacés par les stipulations du connaissement après son émission ; or le connaissement comportait une clause attributive de juridiction. La Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel, « qui n’a pas eu à procéder à une quelconque interprétation », de retenir que les parties ont exprimé la volonté de remplacer la clause compromissoire par la clause attributive de juridiction. Cette décision appelle deux observations. D’une part, la précision que la cour d’appel n’a pas eu à interpréter la volonté des parties est essentielle, car elle marque la limite de la compétence du juge judiciaire. Dès qu’il est nécessaire de recourir à une interprétation de la volonté des parties, parce que celle-ci n’est pas suffisamment « évidente », l’inapplicabilité de la clause compromissoire n’est plus « manifeste », et le juge judiciaire ne peut trancher lui-même le conflit. D’autre part et en conséquence, si le juge judiciaire peut ici « régler » le conflit, c’est parce que celui-ci n’est pas réel. Il s’agit d’un « faux conflit », puisque les clauses ne sont pas véritablement contradictoires. Elles régissent certes la même relation entre les parties, mais à des moments différents dans le temps.

16La même observation peut être faite à propos de la seconde hypothèse dans laquelle le juge judiciaire reçoit compétence pour régler un « conflit » et faire prévaloir une clause attributive de juridiction sur une clause compromissoire. Lorsque les clauses apparemment contradictoires sont stipulées dans des contrats distincts n’ayant pas le même objet, il est permis de considérer que la volonté des parties a été de « distinguer les contrats », et de les soumettre distributivement aux clauses de procédure qu’ils incluent. Le critère est donc ici matériel. La clause applicable est déterminée en considération de l’objet de la procédure : fondée sur le contrat incluant une clause compromissoire, l’action doit être portée devant l’arbitre ; fondée sur le contrat incluant une clause attributive de juridiction, elle doit être portée devant le juge. Le juge peut donc, s’il est saisi d’une action relevant clairement de sa compétence en raison de cette « répartition matérielle », valablement régler le conflit et retenir sa compétence. La Cour de cassation l’a jugé à deux reprises (Civ. 1re, 4 juill. 2006, n° 05-11.591, Bull. civ. I, n° 337 ; D. 2006. 2127 ; RTD com. 2006. 764, obs. E. Loquin ; Civ. 1re, 12 févr. 2014, n° 13-18.059). Là encore toutefois, les mêmes observations s’imposent. D’une part, il importe que les modalités de l’application distributive des clauses de procédure résultent sans la moindre ambiguïté de l’expression de la volonté des parties. La Cour de cassation l’a précisé dans un arrêt très récent (Civ. 1re, 14 janv. 2015, n° 13-23.806) : alors que deux contrats distincts comportaient deux clauses contradictoires, elle a confirmé la décision des juges d’appel de renvoyer néanmoins les parties à l’arbitrage pour trancher le conflit, parce que le règlement de celui-ci imposait de rechercher « lequel des deux contrats avait régi les relations contractuelles entre les parties ». S’il est nécessaire de procéder à une recherche la volonté des parties, l’inapplicabilité de la clause compromissoire n’est pas manifeste, et le juge doit donc renvoyer à l’arbitre. D’autre part et en conséquence, le juge judiciaire n’est là encore compétent pour trancher le conflit que lorsqu’il s’agit d’un « faux conflit » : si les clauses de compétence ont des domaines d’application matérielle distincts, elles ne sont pas réellement en conflit.

17Il ressort ainsi de la jurisprudence que le juge judiciaire ne peut régler le conflit de clauses de procédure qu’à la condition que celui-ci soit « manifestement » un « faux conflit ». Le moindre doute quant à la volonté des parties l’oblige à renvoyer à l’arbitre en vertu de l’effet négatif du principe compétence-compétence.

II. – Incertitude sur la volonté des parties : le juge est incompétent en application du principe compétence-compétence

18S’il ne ressort pas clairement de la volonté des parties qu’elles ont entendu procéder à une application distributive, dans le temps ou par l’objet, des clauses de procédure, la clause compromissoire n’est pas manifestement inapplicable. Le juge judiciaire, saisi du conflit, doit en application de l’article 1448 du Code de procédure civile renvoyer les parties à l’arbitrage en vertu de l’effet négatif du principe compétence-compétence (en ce sens : Civ. 1re, 14 nov. 2007, n° 06-21.629 : le juge d’appui ne peut refuser de désigner l’arbitre motif pris d’une contradiction de clauses de compétence, la clause compromissoire n’étant pas manifestement inapplicable ; Civ. 1re, 17 mars 2010, n° 08-21.641 : l’indivisibilité des demandes ne suffit pas à faire obstacle au jeu de la clause compromissoire). On l’a vu, cette situation peut se concrétiser lorsqu’il existe deux contrats comportant des clauses de procédure contraires, mais que le fondement de l’action en justice opposant les parties ne peut pas être aisément restitué à l’un ou l’autre de ces contrats. C’est alors à l’arbitre qu’il revient de rechercher la volonté des parties, et le juge judiciaire n’a pas compétence pour trancher le conflit (Civ. 1re, 14 janv. 2015, n° 13-23.806 ; Civ. 1re, 9 juill. 2014, n° 13-17.402). Mais d’autres cas de figure peuvent être envisagés.

19En particulier, des parties ayant conclu des contrats distincts par l’objet et contenant des clauses de procédure différentes (hypothèse invitant à une application distributive des clauses en fonction de l’objet du litige) peuvent valablement décider que l’ensemble de leur relation sera régie à partir d’un moment donné par l’une des clauses : pour le dire autrement, elles peuvent privilégier à l’approche distributive (répartition en fonction de l’objet) qu’appelle en apparence leur montage contractuel, une approche sub-stitutrice (répartition dans le temps). L’arrêt commenté illustre cette hypothèse. Les parties avaient en effet conclu deux sortes de contrats ayant des objets différents ; un contrat de distribution incluant une clause compromissoire ; et des contrats de vente, pris en application du premier, incluant une clause attributive de juridiction.

20L’action fondée sur la rupture des relations commerciales établies est a priori fondée sur le contrat de distribution. En application de l’approche distributive (en fonction de l’objet du litige), les juges du fond auraient donc pu/dû en conclure qu’ils étaient incompétents pour en connaître. Ils ont pourtant choisi de retenir leur compétence sur le fondement de la clause attributive de juridiction, en faisant valoir que l’inclusion par les parties d’une telle clause dans les contrats de vente d’application conclus entre elles manifestait leur « volonté (…) de soumettre leurs relations à ces conditions » et rendait manifestement inapplicable la clause compromissoire. Cette décision de donner primauté à la clause attributive de juridiction ne peut se justifier que parce qu’ils ont estimé que les parties ont entendu substituer dans l’ensemble de leurs relations, à la clause compromissoire insérée dans le contrat de distribution, la clause attributive de juridiction insérée dans les ventes. En d’autres termes, la décision des juges du fond ne peut se comprendre, alors que les faits incitaient à se référer à un critère matériel de répartition (contrats ayant des objets différents), que parce qu’ils ont choisi une approche fondée sur un critère temporel (contrats se succédant dans le temps, la clause de compétence des plus récents l’emportant sur celle du plus ancien). Or il semble que rien dans la motivation des juges ne justifiait, d’un point de vue objectif, ce glissement de l’approche matérielle à l’approche temporelle. Dès lors la Cour de cassation n’avait d’autre solution que de censurer et de renvoyer, puisqu’il y a en définitive trois options :

21

  • soit il existe dans le dossier des éléments qui permettent d’établir clairement la volonté des parties, non de voir les clauses de procédure régir distributivement les contrats mais bien de substituer à la clause compromissoire d’origine une clause attributive de juridiction applicable à l’ensemble de la relation ; par exemple, il existe un échange de courriers dans lequel les parties conviennent que dorénavant, l’ensemble de leur relation relèvera de la compétence des juridictions parisiennes. Le juge judiciaire pouvait alors valablement trancher le conflit de clauses de compétence en faveur de la clause attributive de juridiction et retenir sa compétence (v. supra I), mais il lui appartenait de faire ressortir des éléments pour permettre à la Cour de cassation d’exercer son contrôle. La censure ne pouvait être évitée en raison de l’insuffisance de motivation, et il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de mettre ces éléments en évidence pour justifier l’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire ;
  • soit il existe dans le dossier des éléments qui donnent à penser que les parties ont peut-être eu la volonté de substituer une clause à l’autre, mais ces éléments ne sont pas suffisamment clairs ; ni la clause compromissoire, ni la clause attributive de juridiction ne sont donc manifestement inapplicables. La seule existence d’une clause compromissoire qui n’est pas manifestement inapplicable suffit alors à conférer priorité à l’arbitre, à qui le doute profite. La censure de la Cour de cassation était inéluctable, et la cour d’appel de renvoi ne pourra sans doute que renvoyer à l’arbitre en application du principe compétence-compétence ;
  • soit le dossier ne comporte aucun élément autorisant à penser que les parties ont envisagé de substituer une clause à l’autre ; la clause compromissoire est donc manifestement applicable en vertu d’une application distributive des clauses de procédure selon l’objet du litige, la rupture des relations commerciales relevant du contrat de distribution. La décision des juges du fond de retenir leur compétence sur le fondement de la clause attributive de juridiction était vouée à la censure. Il est alors intéressant de s’interroger sur la marge de manœuvre dont dispose la cour d’appel de renvoi.

III. – Applicabilité manifeste de la clause compromissoire : que peut faire le juge au regard du principe compétence- compétence ?

22En présence d’un conflit de clauses de compétence dans lequel la clause compromissoire est manifestement applicable, le juge judiciaire peut-il trancher le conflit ? Naturellement, il devra renvoyer les parties à l’arbitrage, ce point ne souffre aucune discussion. Mais sur quel fondement devra-t-il le faire ? La question se pose car si le juge ne peut, en application du principe compétence-compétence, statuer sur l’applicabilité de la clause compromissoire sauf inapplicabilité manifeste, en revanche il lui revient en principe de se prononcer sur la validité et l’applicabilité de la clause attributive de juridiction qui le désigne. Or on pourrait imaginer que, constatant l’applicabilité manifeste d’une clause compromissoire, le juge étatique en déduise immédiatement l’inapplicabilité de la clause attributive de juridiction pour justifier son incompétence. L’incompétence étatique, fondée sur l’inapplicabilité de la clause attributive de juridiction, serait alors définitivement acquise là où, fondée sur le principe compétence-compétence, elle ne serait pas définitivement tranchée mais dépendrait de la décision prise par le tribunal arbitral sur sa propre compétence.

23En droit, la question peut être discutée. On sait que lorsque la convention d’arbitrage n’est pas manifestement inapplicable, le juge étatique ne peut que se déclarer incompétent. S’il prononce sur quelque question de fond que ce soit, il commet un excès de pouvoir (Civ. 1re, 12 févr. 2014, n° 13-10.346, Bull. civ. I, n° 23 : le juge ne peut notamment pas statuer sur le fondement des relations contractuelles entre les parties). Mais la règle s’appliquerait-elle à l’identique au juge statuant, non sur une question de fond, mais sur l’applicabilité de la clause attributive de juridiction contrariant une clause compromissoire ?

24En opportunité, il est sans doute préférable que le juge étatique s’abstienne de statuer sur sa propre compétence en attendant la décision de l’arbitre. Si par impossible le tribunal arbitral concluait à l’inapplicabilité de la clause compromissoire, il n’y aurait certes pas d’inconciliabilité entre le dispositif de la sentence arbitrale et celui de la décision étatique d’incompétence ; confrontées à la double inapplicabilité de la clause attributive de juridiction et de la clause compromissoire, les parties devraient alors saisir le juge compétent selon les règles de compétence ordinaires. Mais les motifs des deux décisions seraient inconciliables, puisque la décision du juge étatique d’écarter la clause attributive de juridiction serait fondée sur une applicabilité de la clause compromissoire pourtant déniée par l’arbitre. En outre, si l’arbitre devait juger la clause compromissoire inapplicable, il serait regrettable en termes de prévisibilité des solutions que les parties ayant stipulé à la fois une clause compromissoire et une clause attributive de juridiction soient finalement renvoyées devant le juge compétent en droit commun.

25Sandrine Clavel

26Cour européenne des droits de l’homme - 1er juillet 2014 - n° 54443/10

27Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants – Article 13 § 2 – Refus de l’enfant de rentrer au pays de sa résidence habituelle – Motif indépendant pour refuser le retour (oui) – Absence de droit de veto pour l’enfant dans le processus décisionnel quant à son retour – Obligation du juge de prendre en compte toutes les circonstances – Article 11 – Procédure d’urgence (manque de)

28Convention européenne des droits de l’homme – Article 8 – Exigences procédurales inhérentes – Obligations positives – Violation du droit à la vie familiale (oui) – Décision de non-retour de l’enfant – Rejet d’analyse automatique et stéréotypée – Mise en balance des intérêts – Changement de circonstances pertinentes – Article 6 – Violation du délai raisonnable (oui)

29Mineur – Divorce – Attribution de la garde de l’enfant – Double nationalité – Litispendance – Injonction des juridictions américaines – Juridictions roumaines saisies en premier

30(Blaga c. Roumanie)

31Résumé de l’arrêt : Le couple Blaga s’était marié en 1993 aux États-Unis, dans l’État de Géorgie, où ils avaient établi leur résidence habituelle avec leurs trois enfants, une fille née en mars 1998 et des jumeaux, nés en octobre 2000. Parents et enfants avaient tous la double nationalité roumaine et américaine, les premiers ayant la garde conjointe des enfants lors de la dégradation de leur relation. Dans ce contexte, la juridiction américaine locale avait prononcé le 1er mai 2007 une injonction à l’encontre des deux époux leur interdisant de déplacer les enfants ou de s’établir en dehors de son ressort sans permission expresse. Néanmoins, en septembre 2008 la mère est partie en Roumanie avec les enfants sur la base du consentement du père, donné devant le notaire, pour un court séjour, sous condition du retour aux États-Unis à la fin de celui-ci. En violation de cet accord, elle s’installe en Roumanie avec les enfants et introduit, un mois plus tard, une demande de divorce et d’attribution de la garde devant les juridictions roumaines.

32Le père fait appel au mécanisme de coopération mis en place par la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (« la Convention de La Haye »), en vue d’obtenir le retour immédiat des enfants. Par conséquent, le 18 décembre 2008 le ministère de Justice roumain a été saisi en tant qu’autorité centrale au sens de la Convention de La Haye. Suite à l’échec des démarches visant le retour volontaire des enfants, une action en justice est introduite le 4 février 2009, qui résulte dans une première décision de non-retour rendue par le Tribunal de Bucarest deux mois et demi plus tard, sur la base de l’article 13 § 2 de la Convention de La Haye, c’est-à-dire le refus des enfants de retourner aux États-Unis. Celle-ci est cassée par la cour d’appel de Bucarest pour des raisons de motivation. La procédure est reprise et une deuxième décision de non-retour est rendue par le Tribunal de Bucarest en novembre 2009, ensuite confirmée par la cour d’appel de Bucarest le 25 mars 2010, une nouvelle motivation fondée sur l’article 13 § 2 étant retenue.

33En 2011 M. Blaga est également débouté de ses demandes auprès des juridictions américaines, qui se sont dessaisies au profit des juridictions roumaines en ce qui concerne le divorce et l’attribution de la garde. Ces dernières ont poursuivi l’action sur la base de la décision définitive de non-retour des enfants, ont prononcé le divorce et ont attribué la garde exclusive des enfants à la mère, après une procédure totalisant cinq ans et cinq mois, voies de recours compris, qui s’achève le 12 mars 2014.

34M. Blaga a agi en justice l’État roumain devant la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) pour violation de l’article 8 (droit à la vie privée et familiale) et de l’article 6 (droit à un procès équitable).

35La Cour EDH a constaté à une majorité de cinq à deux une ingérence disproportionnée dans le droit à la vie familiale du requérant résultant de la violation des exigences procédurales inhérentes à l’article 8, par le processus décisionnel des juridictions roumaines en ce qui concerne l’application de la Convention de La Haye (§ 90 de l’arrêt). D’une part, la Cour n’a pas été entièrement convaincue que les juges nationaux aient suffisamment mis en balance l’intérêt du requérant au droit à la vie familiale à l’en-contre des intérêts concurrents des autres parties et par conséquent aient protégé suffisamment l’intérêt supérieur de l’enfant tel que défini à la lumière de la Convention de La Haye (§ 90 de l’arrêt). D’autre part, la lenteur du processus décisionnel a contribué aux changements des circonstances dans la situation initiale des enfants, pris en compte par les juges en faveur du non-retour (§ 90 de l’arrêt). La Cour EDH a également constaté à l’unanimité la violation de l’article 6 en termes de défaut de délai raisonnable, du fait de la longueur de la procédure de divorce et d’attribution de la garde des enfants (§ 102 de l’arrêt).

36Du 1er juillet 2014 - Cour européenne des droits de l’homme (3e section) - Requête n° 54443/10 - M Casadevall, prés., Mmes Gyulumyan, Motoc MM. Šikuta, Popovic, López Guerra, Silvis, juges.

371. La décision rendue le 1er juillet 2014 par la Cour EDH dans l’affaire Blaga contribue à préciser les obligations procédurales « inhérentes » à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Convention EDH) [§ 90 [1]], lorsque les juridictions nationales mettent en œuvre la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants [2], dans l’hypothèse d’une demande de retour d’un État membre de l’Union européenne vers un État tiers. C’est sur le terrain de la constatation d’une violation de ces obligations par l’État roumain que l’arrêt apporte des précisions d’intérêt. En revanche, la motivation pour la violation de l’article 6 ne contient pas d’éléments de nouveauté (procédure de divorce et d’attribution de la garde dont la longueur avait dépassé les exigences du délai raisonnable).

382. Dans le litige au principal, opposant le mari à son épouse ayant quitté leur résidence habituelle aux États-Unis avec leurs trois enfants pour s’installer en Roumanie, les juridictions roumaines avaient abouti à une décision de non-retour des enfants sur la base de leur refus de rentrer aux États-Unis (Convention de La Haye, art. 13, § 2). L’arrêt donne l’occasion à la Cour EDH de tracer encore une fois les contours de l’appréciation qu’elle demande des juridictions nationales par rapport au respect in concreto de l’article 8 [3], déjà objet d’un riche contentieux. Confirmant que l’opposition de l’enfant ne constitue pas un veto dans la prise de décision quant à son retour (§ 80), la Cour EDH souligne l’importance de la mise en balance de tous les intérêts en présence au regard de l’article 8 (§ 70), lorsque le délicat équilibre entre le principe du retour immédiat de l’enfant et les exceptions retenues par la Convention de La Haye est recherché. Le respect du droit à la vie familiale devient par conséquent le pôle autour duquel doit s’articuler une analyse « circonstanciée » des intérêts en présence, qui demande un véritable rôle actif du juge national (I). Si la casuistique se profile derrière ce critère flou, la composante temporelle du respect effectif des droits fondamentaux peut contribuer à éclairer les termes actuels du débat de la lutte contre l’enlèvement international d’enfants (II).

I. – L’analyse « circonstanciée » des intérêts en présence requise par le respect du droit à la vie familiale

393. L’application de la Convention de La Haye par les juridictions nationales dans le respect de l’article 8 de la Convention EDH se heurte au caractère collectif de facto du droit à la vie familiale, lorsqu’il est démembré juridiquement dans son appréciation au regard de chacun des membres concernés. Face à ce défi, la Cour EDH a construit une jurisprudence qui s’articule autour de l’exigence d’une analyse circonstanciée et implicitement de l’office du juge (A), sans admettre en revanche la création des droits supplémentaires, tel qu’un veto de l’enfant quant à son retour (B).

A. – La polarisation de l’application de la Convention de La Haye par l’exigence du respect de l’article 8 de la Convention EDH

404. La Convention de La Haye a été adoptée dans l’objectif de lutter contre l’enlèvement international d’enfants, y compris à travers la dissuasion du phénomène, ayant également comme but subséquent la modification de la compétence internationale pour l’attribution du droit de garde [4]. En ce sens, l’hypothèse de l’affaire Blaga illustre le cas typique de forum shopping ainsi envisagé, la mère qui avait enlevé les enfants ayant éventuellement obtenu le divorce et leur garde exclusive en Roumanie.

415. Pour éviter les débats quant à ce qui constitue l’intérêt supérieur de l’enfant, la Convention de La Haye est fondée sur le principe du retour immédiat de l’enfant prévu en tant qu’expression d’une « conception déterminée » de cet l’intérêt (a specific conception of « the child’s best interests ») (§ 52) [5], par conséquent considéré in abstracto[6]. Cependant, cela étant fait dans le souci d’identifier les « intérêts réels » (§ 52), des correctifs issus d’une appréciation in concreto de cet intérêt (§ 52) [7] sont également prévues : les hypothèses des articles 13 § 1 b) – l’existence d’un risque grave de danger physique ou psychique pour l’enfant du fait de son retour – et 13 § 2 – le refus de l’enfant quant à son retour sous condition d’avoir atteint « un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion ». Cette appréciation revient aux juridictions nationales saisies de la demande de retour, et par conséquent est susceptible de contrôle par rapport au respect des droits fondamentaux, notamment du droit à la vie privée et familiale.

426. L’obligation du respect de l’article 8 de la Convention EDH lorsque les juridictions nationales sont saisies d’une demande de retour de l’enfant implique de leur part une analyse, qui, selon la jurisprudence de la Cour « soit non pas automatique et stéréotypée, mais suffisamment circonstanciée » (CEDH, gr. ch., 26 nov. 2013, n° 27853/09, X c/ Lettonie, § 107 [8]) au regard de la prise en compte des possibles allégations concernant les motifs légitimes de non-retour de l’enfant. L’exclusion d’un raisonnement automatique étant acquis s’agissant des juridictions saisies de la demande de retour (v. CEDH 6 déc. 2007, n° 39388/05, Maumousseau et Washington c/ France, § 72 ; CEDH 6 juill. 2010, n° 41615/07, Neulinger et Shuruk c/ Suisse, § 138 [9]), la mise en œuvre déductive de la base juridique pertinente n’assure pas l’immunité du raisonnement juridictionnel par rapport à l’engagement de la responsabilité de l’État [10].

437. La mission du juge statuant sur le retour est par ailleurs encore plus délicate lorsqu’une violation de l’article 8 est susceptible d’être invoquée à la fois au regard du parent qui demande le retour de l’enfant (comme dans l’affaire Blaga), de celui ayant commis l’enlèvement (v. CEDH 9 sept. 2014, 2e sect., n° 43730/07, Gajtani c/Suisse), ainsi qu’au regard de l’enfant enlevé (v. CEDH 26 oct. 2010, n° 25437/08, Raban c/Roumanie). Le respect de la vie familiale perturbée de facto par l’enlèvement, est susceptible également d’une atteinte de jure par la violation des obligations positives (§ 65) qui incombent aux États dans le respect effectif de l’article 8. Il s’ensuit qu’une décision de retour ou de non-retour doit fournir une motivation suffisante par rapport à tous les intérêts en présence : de l’enfant, des parents et de l’ordre public (v. arrêt Maumousseau et Washington, préc., § 62), priorité étant donnée aux intérêts de l’enfant [11] (CEDH 19 sept. 2000, n° 40031/98, Gnahoré c/ France, § 59) (§ 65).

448. Cette motivation doit permettre à la Cour de Strasbourg de vérifier le respect de l’article 8 sans qu’elle se substitue au juge national. En ce sens, la Cour limite son contrôle à l’arbitraire manifeste du juge national (v. arrêts Raban, préc., § 38-39 ; Maumousseau et Washington, préc. ; Gajtani, préc., § 112). Néanmoins, la Cour précise l’existence d’une obligation procédurale spécifique (« a particular procedural obligation ») des juridictions nationales qui exige, d’une part, de prendre en considération les objections pertinentes quant au retour de l’enfant, et d’autre part de fournir une motivation spécifique quant à l’acceptation ou au rejet de ces objections [v. X c/ Lettonie, préc. § 107) (§ 70 [12]] (v. infra n° 16 sur la conciliation de ces deux approches). Par conséquent, le respect de l’article 8 polarise le raisonnement d’application de la Convention de La Haye par les juridictions nationales, dans le but d’une « interprétation harmonieuse » des deux instruments internationaux (§ 69).

459. Beaucoup plus problématique s’avère le contrôle de l’étendue de cette obligation dite procédurale dont la frontière avec le contrôle substantiel est nébuleuse [13], au regard de la marge d’appréciation des juridictions nationales et du cadre processuel du litige. En tout cas, pour les juges de Strasbourg c’est aux juridictions nationales qu’incombe la charge de la preuve en ce sens, car dans l’affaire Blaga la Cour estime n’être pas « entièrement convaincue » (« not entirely convinced ») quant à une véritable mise en balance par les juridictions roumaines, auxquelles il est reproché fondamentalement de n’avoir pas exploré toutes les possibilités disponibles et les conséquences envisageables (§ 81), point sur lequel porte l’opinion dissidente de l’arrêt.

4610. Dans l’affaire Blaga le caractère illicite du déplacement des enfants au sens de l’article 3 de la Convention de La Haye étant patent, les débats ont concerné la potentielle incidence de l’article 13 en tant qu’exception au retour immédiat. L’allégation d’un comportement abusif du père du fait de ses principes sociaux et religieux stricts comme constitutif d’un risque de danger pour les enfants [art. 13 § 1 b)] étant rejetée par les juges, leur motivation s’est articulée autour de l’intérêt supérieur de l’enfant tel qu’il résulte de sa propre position (art. 13 § 2) ainsi que d’autres circonstances comme l’intégration dans le milieu local et l’intérêt conjoint des trois enfants à ne pas être séparés entre eux ainsi que de la mère. Néanmoins, la majorité des juges de Strasbourg n’a pas été convaincue par cette motivation, reprochant aux juridictions roumaines de n’avoir pas envisagé si les enfants auraient pu se réintégrer rapidement en rentrant aux États-Unis, ainsi que la possibilité pour les enfants de rentrer aux États-Unis accompagnés par leur mère et de vivre séparément de leur père jusqu’à la fin du procès de divorce et d’attribution de la garde (§ 81). Si la première critique est justifiée, la deuxième pose un problème quant à l’étendue de l’office du juge, lorsque le retour forcé des enfants accompagnés par leur mère aurait impliqué une ingérence dans la vie de cette dernière comparable à une expulsion, qui dépasse l’objet de la Convention de La Haye. Malgré cette brèche qui montre la faiblesse d’un raisonnement exclusivement en termes ex post (v. infra n° 32), la direction prise par la construction jurisprudentielle de la Cour EDH est celle d’une impulsion du rôle actif du juge national dans la mise en œuvre de la Convention de La Haye. Cette direction est doublée par le rejet d’un droit de veto pour l’enfant résultant de l’article 13 § 2 de la Convention de La Haye.

B. – L’inexistence d’un droit de veto pour l’enfant quant à son retour

4711. Dans un souci de ne pas vider de contenu le principe du retour immédiat, l’année 2014 a marqué, à travers les affaires Blaga, Rouiller (CEDH 22 juill. 2014, n° 3592/08, Rouiller c/ Suisse) et Gajtani (préc.), l’encadrement de la portée de l’article 13 § 2 de la Convention de La Haye par la Cour de Strasbourg. Il s’agit de la possibilité reconnue à l’enfant de se porter interprète de son propre intérêt, sous condition d’avoir atteint « un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion » ; faute d’un accord sur des critères objectifs, la vérification de ces circonstances revient à l’autorité statuant sur le retour [14], qui dans l’affirmative « peut aussi refuser d’ordonner le retour de l’enfant ».

4812. Quant au poids de cet avis, le Rapport Pérez-Vera envisage que « l’avis de l’enfant sur le point essentiel de son retour ou de son non-retour puisse être décisif » [15]. L’hypothèse visée par le rapport était plutôt celle de l’enfant-adolescent qui échappe à l’influence de ses parents [compte tenu que la Convention de La Haye couvre les enfants jusqu’à leur seizième anniversaire (art. 4)]. Cependant, la rédaction de l’article 13 § 2 de la Convention de La Haye confère au juge une marge d’appréciation non négligeable.

4913. La Cour EDH n’a pas hésité à encadrer cette marge d’appréciation, précisant qu’en tant qu’exception au mécanisme du retour, l’hypothèse était de stricte interprétation (arrêt Maumousseau et Washington, préc., § 73). Dans la même ligne, elle avait clarifié sa position quant aux poids à accorder à l’opinion de l’enfant : « si le point de vue des enfants doit être pris en compte, leur opposition ne fait pas nécessairement obstacle à leur retour » [CEDH 7 mars 2013, n° 10131/11, Raw e.a. c/ France, § 94 [16]], orientation que les juridictions françaises avaient déjà adoptée [17].

5014. L’approche converge avec celle de la Cour de justice de l’Union européenne en ce qui concerne l’interprétation de l’article 8 § 2 du règlement Bruxelles II bis à la lumière de l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux. Dans l’affaire Pelz[18] la Cour de Luxembourg avait précisé que ce sont les juges statuant sur le retour qui doivent apprécier l’opportunité de l’audition de l’enfant en fonction de son intérêt supérieur, qui peut demander à la fois qu’il soit entendu ou non (§ 63-64 arrêt Pelz, préc.), ainsi qu’il ait, lorsqu’il est entendu, « une possibilité réelle et effective de s’exprimer » (§ 66 arrêt Pelz, préc.).

5115. La question du poids de la position de l’enfant lorsqu’il est considéré pertinent qu’il soit entendu se pose au regard de la rédaction de l’article 13 § 2 de la Convention de La Haye. Dans l’affaire Blaga, bien que la Cour EDH admette que cette base juridique est capable, de manière indépendante, d’étayer une décision de non-retour (§ 78), elle refuse d’y voir un droit de veto de l’enfant dans le processus décisionnel quant à son retour (§ 80). Par conséquent, les juridictions nationales disposent d’une marge d’appréciation non seulement sur le fait de savoir si l’enfant dispose de l’âge et de la maturité nécessaires pour que son opinion soit prise en compte (inhérente au fonctionnement de la Convention de La Haye), mais également au regard du poids de la position des enfants vis-à-vis d’autres circonstances de l’affaire (§ 80) [19]. C’est dans l’affaire Gajtani que la Cour EDH a confirmé que l’article 13 § 2 de la Convention de La Haye créait, d’une part, une faculté et non une obligation pour le juge, et que « d’autre part, l’appréciation de la question de savoir s’il est opportun de tenir compte de l’opinion d’un enfant enlevé appartient en premier lieu aux autorités internes, qui jouissent dans ce domaine d’une certaine latitude » (arrêt Gajtani, préc., § 108).

5216. Voir dans le domaine de la marge d’appréciation des États la clé de lecture de l’affaire Blaga serait pertinent également au regard de la jurisprudence antérieure de la Cour EDH [20]. Cela correspondrait à deux étapes du raisonnement, et par conséquent à deux niveaux du pouvoir d’appréciation des juridictions nationales, ce qui permettrait de concilier les deux approches précédemment suivies par la Cour EDH (v. supra n° 8) : d’une part la limitation du contrôle à l’arbitraire (v. arrêt Raban, préc.), et d’autre part le contrôle de la mise en balance des intérêts en présence dans la motivation des juges nationaux (v. arrêts X c/ Lettonie, préc. et Blaga).

5317. L’affaire Blaga ne contient aucune référence quant à l’arbitraire des juridictions roumaines et, selon l’opinion dissidente, l’objet du contrôle aurait dû être limité à ce point. Les juges roumains avaient appliqué la loi n° 369/2004 pour la mise en œuvre de la Convention de La Haye [21] (ci-après « loi n° 369/2004 »), selon laquelle l’enfant ayant l’âge de dix ans doit être entendu, alors que l’enfant n’ayant pas atteint cet âge peut être entendu si le juge l’estime nécessaire. Les trois enfants Blaga se situaient à l’époque autour de cette limite : l’aîné ayant 11 ans, et les jumeaux 9 ans. Les juges roumains avaient entendu les trois qui avaient exprimé leur refus de rentrer aux États-Unis, avaient motivé d’une part pourquoi ils considéraient leur degré de maturité suffisant ainsi que, d’autre part, le refus de distinguer entre les situations des trois enfants (§ 77 et § 33). Cependant, cela n’a pas été suffisant pour que la décision de non-retour soit à l’abri des critiques. C’est au niveau de la mise en balance des intérêts en présence, résultat de la polarisation de l’application de la Convention de La Haye par le droit à la vie familiale de chacun des membres, que la motivation des juridictions nationales fait défaut.

5418. Si l’affaire Blaga semble contredire le test négatif de l’arbitraire par l’emploi exclusif du test positif de proportionnalité, c’est l’affaire Rouiller (préc.) rendue le même mois, qui fait ressortir clairement que les deux sont cumulatifs et non pas équivalents (arrêt Rouiller, préc., § 73-75) : le premier concerne les appréciations sur la pertinence de la position de l’enfant pour qu’il soit entendu, le deuxième vise le poids de cette position par rapports à d’autres circonstances pour la prise de la décision de retour. En ce sens, dans l’affaire Rouiller la Cour EDH a approuvé les juridictions suisses dans leur appréciation selon laquelle « la Convention de La Haye ne confère pas à l’enfant la possibilité de librement choisir l’endroit où il veut vivre » (arrêt Rouiller, préc., § 73) sur le terrain de l’inexistence de l’arbitraire quant au fait que l’enfant en question avait exprimé une préférence pour le pays de résidence et non un refus de retour. Elles ajoutent également « que les juridictions internes ont motivé leurs décisions de manière suffisamment circonstanciée » (arrêt Rouiller, préc., § 74), s’agissant dans ce cas d’une décision de retour. Présentée moins clairement, l’existence de deux tests peut être identifiée également dans l’affaire Gajtani[22].

5519. L’obscurité de la finesse d’analyse requise par la Cour EDH des juridictions nationales dans l’affaire Blaga trouve par ailleurs un éclaircissement dans la dimension temporelle du respect des droits fondamentaux.

II. – Les contraintes temporelles et le respect des droits fondamentaux

5620. La longueur de la procédure devant les juridictions roumaines avant l’obtention d’un jugement définitif, même de non-retour, a une contribution non négligeable dans la constatation d’une violation de l’article 8 lors de la mise en œuvre de la Convention de La Haye, malgré l’existence d’un dispositif de célérité en droit interne dans la matière (A). La recherche du juste équilibre entre les contraintes temporelles et les garanties procédurales dans le fonctionnement de la Convention de La Haye pour le respect de la vie familiale pourrait également se poursuivre au niveau du conflit de procédures sous-jacent dans l’affaire Blaga et inexplorée par l’analyse de la Cour EDH (B).

A. – La violation de l’article 8 par le défaut d’assurer le traitement urgent de la demande de retour de l’enfant

5721. La nécessité de traiter avec urgence la demande de retour de l’enfant illicitement amené en dehors de l’État de sa résidence habituelle est primordiale pour l’efficacité du mécanisme prévu par la Convention de La Haye, mais également pour le respect du droit à la vie familiale. L’article 11 de la Convention de La Haye prévoit l’obligation des juridictions nationales d’agir avec urgence, et de statuer sur la demande de retour dans un délai de six semaines, au-delà duquel une déclaration sur les motifs de retard peut être demandée. La Cour EDH n’hésite pas à se référer également aux dispositions l’article 11 § 3 du règlement Bruxelles II bis (§ 54) – utilisation des procédures les plus rapides prévues par le droit national – ainsi qu’au guide de bonnes pratiques pour l’application de la Convention de La Haye [23] (instrument non contraignant) qui envisage l’urgence sous la forme de « procédures expéditives » (v. pt. 1.5 du guide) qui seraient à la fois rapides et efficace, y compris dans les voies de recours, contribuant ainsi au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant (§ 53).

5822. La Cour EDH confirme dans l’affaire Blaga que le défaut de traiter avec urgence les demandes de retour est constitutif d’une violation de l’article 8 lorsque la lenteur des autorités a contribué à l’intégration des enfants dans leur nouvel environnement et donc aux changements de circonstances dans leur situation familiale initiale, prises en compte par les juges nationaux (§ 87-89). Il s’ensuit que les juridictions nationales ont pris en compte des aspects rendus pertinents par la faute même de celles-ci de respecter l’exigence d’urgence (§ 88), ce qui est de nature à fausser le raisonnement. Corroborée avec le reproche de n’avoir pas explorée toutes les possibilités envisageables quant au retour des enfants (§ 81) (v. supra n° 10), cette critique est éclairante : l’analyse circonstanciée comporte une dimension temporelle qui fait également partie des exigences de l’article 8 de la Convention EDH.

5923. Le fait que les parents avaient voulu que les enfants maintiennent des liens forts avec la Roumanie (§ 32), ce qui avait sans doute facilité leur intégration dans le nouvel environnement n’est pas de nature à exonérer les juridictions roumaines d’agir avec urgence, bien au contraire. Sur ce terrain la faute retenue par la Cour EDH renforce le caractère exceptionnel qu’une décision de non-retour doit présenter.

6024. La longue durée d’une procédure dont l’efficacité réside dans sa célérité soulève également un problème d’équilibre entre les garanties procédurales offertes par les mécanismes du droit interne. Dans l’affaire Blaga, bien qu’une première décision eût été rendue dans les deux mois, l’obtention d’une décision définitive, voies de recours comprises, avait duré plus de 13 mois, malgré l’existence d’un dispositif dérogatoire pour la procédure de retour prévu par la loi n° 369/2004 modifiée suite à l’entrée en vigueur du Nouveau Code de procédure civile.

6125. Désormais ce dispositif procédural est renforcé en termes de célérité dans le sens que la réponse du défendeur n’est pas obligatoire, ainsi qu’en termes de délais précis [24], ce qui devrait éliminer les hésitations des juridictions roumaines quant au respect des droits de la défense vis-à-vis de la nécessité de procéder avec urgence. De plus, il est prévu que les juridictions roumaines peuvent coopérer soit directement soit à travers l’autorité centrale roumaine avec les autorités de l’État où l’enfant avait sa résidence habituelle [25], ce qui contribue au renforcement du dialogue international en la matière. En ce sens, le contentieux devant la Cour EDH n’est pas resté sans écho en droit roumain, bien que les modifications soient intervenues avant que l’arrêt Blaga ne soit rendu.

6226. Au niveau plus général, la complexification de l’analyse in concreto effectuée par les juges de Strasbourg par rapport à l’appréciation des juridictions nationales dans l’application de la Convention de La Haye et de son correspondent européen (le règlement Bruxelles II bis) a soulevé déjà des interrogations quant au fonctionnement efficace dans l’intérêt supérieur de l’enfant du mécanisme de retour tel qu’il avait été envisagée [26]. Si la jurisprudence de la Cour EDH concentre l’attention sur la mise en œuvre des mécanismes de retour, les circonstances factuelles du contentieux montrent également l’intérêt d’une réflexion au niveau des outils disponibles et enjeux possibles au niveau du conflit des procédures.

B. – Le conflit de procédures et l’efficacité de la lutte contre l’enlèvement international d’enfants dans le respect du droit à la vie familiale

6327. À titre préventif, les époux Blaga avaient été tous les deux frappés d’une injonction issue une année avant l’enlèvement, par les juridictions américaines, qui les empêchaient de quitter l’État de Géorgie avec les enfants ou de s’installer en dehors du ressort de ces juridictions sans l’autorisation expresse des juges (§ 7). Cette mesure provisoire était de nature à assurer de facto la compétence exclusive des juridictions américaines, lieu de la résidence habituelle des enfants, en ce qui concerne le divorce et l’attribution de la garde, et son existence témoigne d’un divorce imminent. Néanmoins, aucun des époux n’avait saisi les juridictions américaines d’une telle demande avant l’incident de l’enlèvement survenu plus d’une année après cette décision. Cette inaction est sanctionnée par le jeu des règles de la litispendance en faveur de la mère, ayant saisi en premier les juridictions roumaines. Pour débouter M. Blaga de sa demande en divorce, les juridictions américaines avait également retenu le lien de la nationalité roumaine que les époux avaient gardé, ainsi que la résidence de fait des enfants en Roumanie (§ 11), ce dernier élément ayant clairement basculé la compétence au vu de la double nationalité des époux.

6428. De plus, il semble que la mère était partie pour la Roumanie avec les enfants sur la base du consentement donné en forme notariale par M. Blaga pour un court séjour, sans qu’il soit précisé si une autorisation expresse des juges américains existait également. De ce point de vue, supposant que l’injonction émise par les tribunaux américains ait été toujours applicable à l’époque, les deux époux l’avaient méconnue. Bien que le droit international privé roumain commun s’oppose à l’exécution des décisions concernant des mesures conservatoires ou avec exécution provisoire [27], la loi n° 369/2004 prévoit que les juridictions roumaines peuvent tenir compte des décisions étrangères sans recourir aux procédures spécifiques de reconnaissance [28], disposition destinée à établir le caractère illicite de l’enlèvement, qui montre néanmoins une possible ouverture en ce sens.

6529. Voué à l’échec du fait de la confiance mutuelle entre les époux dans l’affaire Blaga, le contentieux du provisoire et son efficacité internationale mériteraient une réflexion approfondie en tant que mécanisme ex ante de lutte contre l’enlèvement international complémentaire au fonctionnement de la Convention de La Haye, vue la voie ouverte par le règlement Bruxelles II bis dans le sens d’octroyer le dernier mot au pays de la résidence habituelle de l’enfant avant l’enlèvement.

6630. Cela fait ressurgir le problème du respect des droits fondamentaux au niveau ex ante[29], y compris au niveau du renversement de la présomption d’innocence lors de l’émission d’une injonction à l’encontre des parents [30]. Les hypothèses fournies par d’autres affaires (v. arrêt Neulinger et Shuruk préc.) rendent également visibles les enjeux à cet égard. D’une part le problème du respect des droits fondamentaux et les termes du débat seraient portés plus vite devant les juridictions du pays de la résidence habituelle, avec la possibilité de mettre en place des mécanismes adéquats de protection pour l’enfant dans ce pays sans rupture dans sa vie courante. D’autre part, les hypothèses exceptionnelles liées aux dangers pour l’enfant qui justifieraient l’enlèvement dans un autre pays ne doivent pas être écartées ou éliminer le droit d’un parent de changer de résidence dans un autre pays.

6731. La confirmation par l’affaire Blaga du rejet d’un raisonnement automatique et purement déductif est bienvenue et compatible avec la complexité du contentieux dans cette matière. De vrais risques ou dangers n’existaient pas effectivement aux États-Unis pour les enfants Blaga, seulement des liens relativement équivalents de rattachement avec les États-Unis et la Roumanie du fait de la double nationalité et des liens maintenus. Par conséquent, la portée de l’affaire Blaga transposée dans une interprétation ex ante des principes de la Convention de La Haye consiste à dire que l’enlèvement n’est ni excusable (art. 13 § 1), ni équivalent à une décision autonome des enfants de quitter la résidence habituelle accompagnés par leur parent [31] (art. 13 § 2), prenant une forme moins subjective et avec moins de méandres que l’analyse circonstanciée de la mise en balance des intérêts dans sa forme procédurale.

68Catalina Avasilencei

69Cour européenne des droits de l’homme - 16 décembre 2014 Req. n° 52265/10

70Adoption internationale – Droit belge – Intérêt supérieur de l’enfantKafala – Statut prohibitif – Droit au respect de la vie privée et familiale – Violation (non)

71Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales

72– Article 8 – Violation (non)Kafala – Adoptabilité de l’enfant (non) – Statut prohibitif – Intérêt supérieur de l’enfant – Unicité de la filiation (Belgique, Maroc)

73Dans la mesure où l’enfant avait une filiation et avait conservé des liens avec sa famille maternelle au Maroc, les autorités belges ont pu, sans méconnaître la Convention, refuser qu’une kafala produise les effets d’une adoption ou qu’elle s’efface au profit de l’adoption. Avoir une filiation unique, valable tant en Belgique qu’au Maroc, ne dessert pas l’intérêt supérieur de l’enfant dès lors qu’il bénéficie d’une protection juridique en Belgique (1).

74(Chbihi Loudoudi c. Belgique) Arrêt (extraits)

75

  1. Sur le point de savoir si l’affaire concerne une obligation positive ou une ingérence

7688. La Cour rappelle que, si l’article 8 de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il peut de surcroît engendrer des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie familiale (Jeunesse c/ Pays-Bas [GC], n° 12738/10, § 106, 3 oct. 2014).

7789. Les dispositions de l’article 8 ne garantissent ni le droit de fonder une famille ni le droit d’adopter (E.B. c/ France [GC], n° 43546/02, 22 janv. 2008). Cela n’exclut toutefois pas que les États parties à la Convention puissent se trouver, dans certaines circonstances, dans l’obligation positive de permettre la formation et le développement de liens familiaux (v., dans ce sens, Harroudj, préc., § 41, et réf. citées). D’après les principes qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour, là où l’existence d’un lien familial avec un enfant se trouve établie, l’État doit agir de manière à permettre à ce lien de se développer et accorder une protection juridique rendant possible l’intégration de l’enfant dans sa famille (Wagner et J.M.W.L., préc., § 119).

7890. Le Gouvernement conteste en l’espèce que l’impossibilité d’adopter la troisième requérante constitue une « ingérence » dans la vie familiale. La Cour partage cet avis. Elle estime que, de manière plus évidente encore que dans l’affaire Harroudj sur laquelle s’appuie le Gouvernement, les requérants ne se plaignent pas que le refus d’adoption ait généré des obstacles majeurs dans le déroulement de leur « vie familiale » ou ait entraîné des changements concrets dans la manière dont les requérants menaient leur vie familiale jusque-là. Les conséquences qu’ils dénoncent (v. § 77, ci-dessus) concernent le séjour de la troisième requérante (qui sera examiné ci-après). Dans ces conditions, la Cour juge approprié d’envisager la situation sous l’angle de la question de savoir s’il pesait sur l’État belge une obligation positive à établir un lien de filiation entre les requérants.

7991. À ce titre, la Cour opère une distinction entre la présente affaire et l’arrêt Wagner et J.M.W.L. précité. Dans ce dernier (§ 123), la Cour a décidé que la décision des juges luxembourgeois de refuser d’exequatur d’un jugement péruvien qui avait prononcé une adoption et qui était exécutoire au Pérou, avait constitué une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale. En l’espèce, la situation était autre. Certes, la kafala valablement établie au Maroc a créé un lien juridique entre les requérants mais, cette institution n’existant pas en Belgique, l’adoption qu’ils sollicitaient constituait, comme l’ont justement souligné les juridictions internes (v. § 36 et 38, ci-dessus), une situation juridique nouvelle.

8092. Cela étant dit, que l’on aborde la question sous l’angle d’une obligation positive de l’État ou d’une ingérence d’une autorité publique, les principes applicables sont comparables. Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble. De même, dans les deux hypothèses, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (Jeunesse, préc., § 106).

8193. La Cour rappelle par ailleurs qu’elle n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux autorités internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont prises en vertu de leur pouvoir d’appréciation [Aksu c/ Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, § 65, CEDH 2012, et Mouvement raëlien suisse c/ Suisse [GC], n° 16354/06, § 60, CEDH 2012 (extraits)]. Il lui importe avant tout en l’espèce de vérifier si les décisions des juridictions belges de refuser l’adoption ont heurté le bon développement des liens familiaux entre l’enfant et les personnes l’ayant accueilli sous kafala.

  1. Sur l’observation de l’article 8

8294. La Cour observe à titre préalable que le droit belge ne reconnaît pas l’institution de la kafala. Toutefois, elle remarque qu’à la différence de la situation en droit français qui fut examinée dans l’affaire Harroudj précitée, il autorise le déplacement d’un enfant en provenance d’un pays qui interdit l’adoption vers la Belgique en vue de son adoption. Dans ce cas, le droit belge permet l’adoption de l’enfant moyennant le respect de plusieurs conditions – certes plus nombreuses que pour les autres cas d’adoption internationale –, énumérées par une disposition spécifique, l’article 361-5 du Code civil, introduite en 2005 à l’occasion de la réforme du régime de l’adoption (v. § 59, ci-dessus).

8395. La Cour relève ensuite que, pour rejeter les demandes en prononciation d’adoption, les juridictions belges ont, à deux reprises et dans le cadre de deux procédures distinctes, jugé que la kafala coutumière ne pouvait être assimilée à une adoption et que les conditions prévues par le droit interne, ancien et nouveau, pour autoriser l’adoption d’un enfant dont la loi nationale ne connaît pas l’adoption, n’étaient pas remplies en l’espèce. Cela étant, la Cour estime que son examen peut se limiter à la seconde procédure en prononciation d’adoption que les requérants ont mise en mouvement sur pied d’une disposition transitoire et dérogatoire – l’article 24sexies inséré dans la loi du 24 avril 2003 par la loi du 6 décembre 2005 (v. § 62, ci-dessus) – et qui s’est achevée par l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 19 mai 2010.

8496. Il n’est pas contesté que les juridictions internes se sont basées sur des considérations procédurales pour constater que les conditions d’application du régime transitoire n’étaient pas remplies. Tant le Tribunal de première instance de Bruxelles que la Cour d’appel de Bruxelles ont considéré que ni la kafala adoulaire ni la circonstance qu’elle ait été homologuée par le jugement du tribunal de première instance de Meknès du 11 novembre 2003 ne permettait de considérer que l’enfant avait été confiée aux adoptants par l’« autorité » compétente de l’État d’origine de l’enfant. Il n’appartient pas à la Cour de remettre en cause cette interprétation qu’ont faite les juridictions internes de la loi nationale.

8597. La Cour doit en revanche vérifier si, conformément à sa jurisprudence relative à l’article 8 de la Convention, l’intérêt supérieur de l’enfant, en tant que composante du respect de la vie familiale, a constitué la principale considération des juridictions belges dans l’évaluation des intérêts concurrents en présence (X c/ Lettonie [GC], n° 27853/09, § 95, CEDH 2013 ; v. également Jeunesse, préc., § 109).

8698. À cet égard, elle constate que les normes que les juridictions belges ont appliquées, pour refuser l’adoption, trouvent leur origine dans une loi entrée en vigueur en 2005, elle-même destinée à mettre en œuvre l’objectif, poursuivi par la Convention de La Haye, d’assurer que les adoptions internationales aient lieu dans l’intérêt « supérieur » de l’enfant à être protégé contre tout usage abusif de l’institution d’adoption et ainsi dans le respect de sa vie privée et familiale. La cour d’appel s’est également référée expressément à la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant dont l’article 20 reconnaît la kafala de droit islamique comme « protection de remplacement » au même titre que l’adoption et l’article 21 oblige les États qui admettent l’adoption à s’assurer que l’intérêt « supérieur » de l’enfant est la considération primordiale.

8799. Il résulte de ce qui précède que le refus opposé aux requérants tient en partie au souci du respect de l’esprit et de l’objectif de protéger l’intérêt « supérieur » de l’enfant qui résultent des conventions internationales pertinentes dans ce domaine (v., mutatis mutandis, Harroudj, préc., § 49 et 50).

88100. Les requérants se plaignent toutefois que les juridictions ont fait l’impasse d’une appréciation in concreto de l’intérêt de l’enfant. La Cour ne partage pas cet avis. Il ressort au contraire de l’examen des décisions des juridictions internes, notamment l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 19 mai 2010 (v. § 40 et 41, ci-dessus), que celles-ci ont procédé à une évaluation de la réalité sociale et familiale et l’ont confrontée à plusieurs éléments caractérisant l’intérêt de l’enfant. Elles ont fondé leur décision sur un double constat à savoir, d’une part, que la prise en charge socio-éducative et affective de l’enfant reposait depuis 2003 sur ses khafils et, d’autre part, que la troisième requérante avait un lien de filiation avec ses parents biologiques et avait maintenu des contacts avec sa famille maternelle au Maroc. Elles considérèrent que ce dernier élément pesait particulièrement lourd et, du fait que la jeune fille courrait le risque subséquent d’avoir en Belgique et au Maroc deux statuts personnels différents, qu’il plaidait en faveur du refus de prononcer l’adoption au profit des khafils en Belgique.

89101. La Cour ne décèle rien d’arbitraire dans la démarche des autorités belges. On ne saurait en effet déduire de l’article 8 de la Convention, comme semblent le faire les requérants, une conception univoque de l’intérêt de l’enfant qui exigerait que soit prononcée, alors que l’enfant disposait déjà d’une filiation lors de son recueil, une adoption au sens de la loi belge. Les autorités belges pouvaient estimer, au contraire, que l’intérêt de l’enfant exigeait qu’elle n’ait qu’une et même filiation, aussi bien en Belgique qu’au Maroc (comp., au sujet de l’importance pour une personne d’avoir un nom unique, Henry Kismoun c/ France, n° 32265/10, § 36, 5 déc. 2013).

90102. La Cour observe au surplus que le refus d’adoption ne privait pas les requérants de toute reconnaissance du lien qui les unissait. Le droit belge offrait en effet une autre possibilité d’accorder une protection juridique à la vie familiale des requérants. Il s’agit de la procédure de tutelle officieuse dont l’objet est fort proche de la kafala (v. § 64 et 65, ci-dessus) et qui permet à des personnes adultes de faire reconnaître leur engagement à entretenir et à élever un enfant. Il est vrai qu’une éventuelle procédure de tutelle officieuse aurait nécessité des démarches administratives et judiciaires et qu’il n’était pas garanti que les requérants aient obtenu gain de cause à l’issue de cette démarche. Quoi qu’il en soit, la Cour ne saurait spéculer sur l’issue qu’aurait pu avoir une telle procédure (v., mutatis mutandis, Chavdarov c/ Bulgarie, n° 3465/03, § 54, 21 déc. 2010).

91103. À cela s’ajoute que les requérants ne font état d’aucun obstacle concret qu’ils auraient effectivement dû surmonter pour bénéficier en Belgique de leur droit au respect de la « vie familiale » et à vivre ensemble dans des conditions globalement comparables à celles des autres familles (v., mutatis mutandis, Mennesson, préc., § 92).

92104. Enfin, envisageant à titre accessoire le refus d’adoption sous l’angle de la vie privée de la troisième requérante, la Cour ne parvient pas à une conclusion différente. La jeune fille bénéficie d’un lien de filiation avec ses parents biologiques et ne s’est plaint ni devant les autorités belges ni devant la Cour des conséquences, autres que celles résultant de l’incertitude relative à son droit de séjour, qui résulteraient de l’absence de reconnaissance en Belgique d’un lien de filiation avec ses khafils.

93105. Eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu manquement au respect du droit des requérants à leur vie familiale, ni au droit de la troisième requérante au respect de sa vie privée. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

94Du 16 décembre 2014 - Cour européenne des droits de l’homme - 2e sect. - Req. n° 52265/10 - M. Raimondi, prés., Mmes et MM. Karaka , Vu ini, Keller, Lemmens, K ris, Spano, juges, M. Naismith, gref.

95(1) L’inadoptabilité des enfants de statut prohibitif confortée par la Cour européenne des droits de l’homme – Après l’arrêt Harroudj c/ France[32], la Cour européenne des droits de l’homme confirme, dans son arrêt Chbihi Loudoudi, que le refus de prononcer l’adoption d’un enfant de statut prohibitif recueilli sous le régime de la kafala ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant.

96En l’espèce, c’est après avoir consulté l’office des étrangers belge que les deux premiers requérants, un couple marié de nationalité belge, ont entrepris les démarches nécessaires pour faire venir en Belgique un enfant qu’ils souhaitaient adopter. En 2002, leur nièce a été confiée à leurs soins par un acte de kafala dressé par deux adouls instrumentaires et homologué par un juge. Celui-ci a ensuite autorisé l’enfant à quitter le Maroc pour la Belgique. L’enfant y est entrée à la fin de l’année 2005 sur le fondement d’un visa court séjour en vue de son adoption. Tant qu’elle n’avait pas le statut d’enfant adoptif, elle ne pouvait prétendre qu’à un titre de séjour temporaire dont les requérants redoutaient qu’il ne soit pas renouvelé, ce qui contraindrait l’enfant à retourner dans son pays d’origine. Elle a constamment bénéficié d’une prorogation de son titre en attendant l’issue des procédures d’adoption initiées par ses oncle et tante. Aucune n’ayant abouti favorablement, le renouvellement de son titre devenait impossible. Un ordre de reconduite a été émis sans être cependant notifié aux requérants ni exécuté. Ce n’est qu’en avril 2014, après plusieurs rejets entre 2010 et 2013, que l’Office des étrangers accorda à l’enfant un titre de séjour d’une durée illimitée.

97L’affaire s’est développée sur fond de condition des étrangers. La précarité du séjour de l’enfant et les désagréments qu’elle a engendrés dans sa vie quotidienne résultaient directement de son statut et de l’obstination des autorités belges. Elles auraient dû admettre l’équivalence entre la kafala et l’adoption simple, en considérant que la kafala produit dans l’ordre juridique belge les effets d’une adoption simple, ou substituer à la kafala marocaine une adoption de droit belge. Or, dans un premier temps, les juridictions belges ont refusé l’homologation de l’acte notarié d’adoption simple dressé en Belgique car il ne mentionnait pas le consentement des parents à l’adoption. Puis, dans un second temps, en application des nouvelles dispositions relatives à l’adoption internationale, les juridictions belges ont estimé que le prononcé de l’adoption ne correspondait pas nécessairement à l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, soucieux de mettre en œuvre la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale et de garantir les droits des enfants, le législateur belge subordonne l’adoption internationale à de strictes conditions. La procédure est normalement initiée en Belgique et ne peut l’être à l’étranger qu’exceptionnellement, lorsque, dans les États qui ignorent l’adoption, l’enfant est orphelin de père ou de mère ou qu’il a été abandonné et placé sous la tutelle de l’autorité publique, notamment par un acte de kafala.

98Ces règles, dont une partie de la doctrine suggère au législateur français de s’inspirer afin de contourner l’obstacle tiré du statut prohibitif de l’adoptant ou de l’enfant [33], ont conduit en l’occurrence à maintenir l’enfant sous le régime de la kafala tout au long de son séjour en Belgique, de l’âge de ses 9 ans jusqu’à sa majorité. Contrairement au droit français, l’impossibilité d’adopter durant la minorité de l’enfant était définitive.

99C’est ce qui explique peut-être que l’arrêt Harroudj a été rendu à l’unanimité [34] alors que l’arrêt Chbihi Loudoudi a été acquis à une courte majorité de quatre voix contre trois et s’accompagne d’une opinion dissidente commune aux juges Karakaş, Vucinic et Keller [35]. L’arrêt retient l’attention en ce qu’il réitère la solution de l’arrêt Harroudj en dépit d’un contexte factuel et juridique sensiblement différent. Il illustre, après les affaires sur la gestation pour autrui [36], le caractère hautement indéterminé de l’intérêt de l’enfant. Selon les requérants, il justifiait le prononcé de l’adoption. À cette argumentation fondée sur l’intérêt de l’enfant, la Cour oppose … l’intérêt de l’enfant. Il permettait d’opter pour l’harmonie internationale des solutions plutôt que pour la discontinuité du statut personnel (I). Dès lors que la protection juridique de l’enfant et des liens tissés avec les kafils est assurée, il ne condamne pas davantage l’institution de la kafala dans un État où elle est pourtant inconnue. Ainsi, la Cour consolide, tout en la malmenant cependant, l’idée d’un respect du pluralisme évoqué de façon grandiloquente dans l’arrêt Harroudj[37] (II).

I. – Garantir la cohérence du statut de l’enfant

100La Cour de Strasbourg confirme l’ambivalence de l’intérêt de l’enfant, qui se prête décidément mal à une formulation abstraite. Seul le contexte permet de le concrétiser. Fréquemment, l’établissement de la filiation répond à l’intérêt de l’enfant. Cependant, et contrairement à l’affaire Harroudj, il ne s’agissait pas en l’espèce d’attribuer à l’enfant une filiation dont il était dépourvu. L’adoption n’était pas destinée à combler un vide, sinon affectif [38], mais de remplacer (adoption plénière) ou tout au moins de compléter (adoption simple) des liens familiaux préexistants. Si elle n’avait plus de contact avec son père, l’enfant avait en revanche conservé des liens avec sa famille maternelle au Maroc. Elle y séjournait chaque année à l’occasion des vacances. Dès lors, l’intérêt de l’enfant ne résidait-il pas dans l’unité de son statut et l’harmonie internationale des solutions ? Les juridictions internes ont préféré éviter que son statut personnel ne soit éclaté entre son État d’accueil (la Belgique) et son État d’origine (le Maroc), puisque la filiation adoptive créée dans le premier n’aurait eu aucune chance d’être reconnue dans le second. La Cour européenne des droits de l’homme ne décèle rien d’arbitraire dans la décision des juridictions belges. Elle confirme la valeur qu’elle attribue, dans l’ordre international, à la cohérence de l’identité (arrêt Chbihi Loudoudi, § 101). Celle-ci justifie aussi bien que le for reconnaisse les effets du statut valablement créé à l’étranger correspondant à la réalité socialement vécue par l’individu [un nom [39], une filiation [40]] ou qu’il s’abstienne d’établir un statut dont l’efficacité sera territorialement limitée (une filiation adoptive, comme en l’espèce).

101La recherche d’harmonie internationale, idéal inaccessible dont il convient toutefois de se rapprocher [41], a pourtant été fortement tempérée en cette matière en raison de son abstraction. Le risque de donner naissance à un statut boiteux serait surévalué, observe Béatrice Bourdelois [42]. Il est faible sinon inexistant si l’enfant est adopté en la forme plénière. Un nouvel état civil se substitue à l’ancien et pour peu que l’adoptant et l’adopté partagent le même phénotype, les autorités de l’État d’origine n’auront aucune raison de soupçonner que la filiation contrarie leur ordre public. Pourtant, même lorsque l’enfant n’a aucune filiation et/ou qu’il a été abandonné, la Cour de Strasbourg a estimé dans son arrêt Harroudj que l’application de l’interdit posé par la loi personnelle ne heurtait pas la Convention.

102La solution vaut a fortiori dans l’affaire Chbihi Loudoudi. Non seulement l’enfant avait une filiation, mais les personnes qui l’avait recueillie maintenaient un lien avec le Maroc. Dès lors que les candidats à l’adoption n’ont pas rompu toute attache avec le pays d’origine, il est plus difficile d’ignorer les lois locales. Privé d’une partie de son effectivité, c’est alors le nouveau lien de filiation qui desservirait l’intérêt de l’enfant [43].

103Pour autant la Cour n’érige pas la continuité des éléments formant l’identité d’une personne en absolu. En l’espèce, elle indique simplement que la Belgique pouvait faire le choix de la continuité et de la cohérence. Si bien que, dans d’autres circonstances, ce choix pourrait être différent et tout autant compatible avec la Convention. La Cour l’admet implicitement dans l’affaire Harroudj, l’intégration progressive de l’enfant dans le milieu social français justifiant l’octroi de la nationalité française et la possibilité de prononcer l’adoption. Dans leur opinion dissidente commune, les juges Karakaj, Vucinic et Keller estimaient que l’inflexibilité du droit belge [44] appelait, dans la situation des requérants, un constat de violation. Les attaches avec le pays d’origine sont alors déterminantes. Leur consistance et leur intensité pouvaient être discutées, mais leur existence ne pouvait être niée. Elles autorisaient à ne pas assimiler le recueil légal à une adoption ou à ne pas le remplacer par une adoption. L’essentiel est d’accorder une protection juridique à l’enfant et aux liens qui l’unissent aux personnes qui pourvoient à son entretien et son éducation en Belgique.

II. – Garantir une protection juridique à l’enfant

104Au titre de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’État a l’obligation d’assurer la protection de l’enfant. Ainsi que le rappelle la Cour (arrêt Chbihi Loudoudi, § 89), même si ce texte ne garantit ni un droit de fonder une famille, ni un droit d’adopter, il contraint, dans certaines circonstances, les États à adopter les mesures raisonnables et adéquates de nature à permettre la formation et le développement de liens familiaux. Parmi toutes les options offertes, certaines sont sans doute plus protectrices que d’autres, mais aucune ne s’impose particulièrement.

105Les requérants souhaitaient au contraire que la Cour établisse un ordre de priorité et s’assure que l’État a retenu la meilleure solution pour l’enfant. Soutenue par le puissant argument de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui constitue en toute matière la principale considération, la proposition ne manque pas de poids. Elle est cependant contrebalancée par la Convention internationale des droits de l’enfant qui mentionne la kafala aux côtés de l’adoption et du placement dans un établissement approprié comme offrant une protection suffisante à l’enfant en remplacement de celle qu’une institution familiale défaillante ne fournit plus [45]. Les requérants invitaient la Cour à examiner le choix opéré par l’État de maintenir l’enfant sous le régime de la kafala, malgré les inconvénients qu’il présente au quotidien, plutôt que de le placer sous le régime de l’adoption. Comme dans l’affaire Harroudj, l’intérêt de l’enfant commanderait d’assouplir les conditions permettant de prononcer une adoption internationale.

106En l’espèce, l’enfant n’est pas dépourvue d’un statut juridique protecteur. La Cour le concède, mais selon un raisonnement qui est assez déroutant. Après avoir observé « que le droit belge ne reconnaît pas l’institution de la kafala » (arrêt Chbihi Loudoudi, § 94), elle considère en effet que les requérants auraient pu demander l’ouverture d’une tutelle officieuse (arrêt Chbihi Loudoudi, § 102). Pourtant, aucune démarche en ce sens n’avait été accomplie et une issue favorable demeurait incertaine. Comment la Cour peut-elle sérieusement se satisfaire d’une protection purement virtuelle et hypothétique ? L’argument paraît bien faible et repose sur des prémisses contestables qui sèment la confusion. La kafala, bien qu’elle soit inconnue en Belgique comme en France, y produit ses effets sans nécessairement recourir à la méthode de la reconnaissance. Pour l’essentiel, la kafala de droit marocain impose à celui qui recueille l’enfant d’assumer l’entretien, la garde et la protection de l’enfant pris en charge [46]. En cela, elle ressemble à l’institution belge de la tutelle officieuse qui permet à des personnes adultes de faire reconnaître leur engagement à entretenir et à élever un enfant [47]. Pourquoi faudrait-il cependant emprunter cette voie ? La reconnaissance du jugement étranger confiant l’enfant au titre de la kafala[48] et, le cas échéant, le conflit de lois répondent à la principale préoccupation de la Cour, la protection de la personne de l’enfant et l’administration de ses biens.

107L’adoption déploie davantage d’effets, en particulier elle crée un lien de filiation et permet l’acquisition de la nationalité de sorte que plus aucun problème de séjour ne se serait posé à l’enfant. Cependant, de ce point de vue, les griefs allégués, du moins tels qu’ils apparaissent à la lecture de l’arrêt, sont relativement modestes. Au-delà du stress émotionnel ressenti (arrêt Chbihi Loudoudi, § 134), en neuf ans, la prolongation et le renouvellement de titres de séjour temporaires n’a eu pour seule conséquence que de priver l’enfant d’un voyage scolaire (arrêt Chbihi Loudoudi, § 136). Pour le reste, elle a pu séjourner au Maroc pendant les vacances et son séjour en Belgique n’a jamais réellement été menacé. Une seule fois, elle s’est retrouvée en situation irrégulière. Un ordre de retour a été émis, mais il n’a même pas été notifié.

108Si ce n’est le fait d’avoir isolé la question du séjour (critiqué à raison par les juges dissidents, même s’il n’est pas certain que cela aurait modifié la conclusion), l’approche de la Cour rappelle celle qu’elle adopte en matière d’accès à la nationalité du pays de résidence par l’étranger [49]. La qualité importe moins que la condition et le respect des droits garantis par la Convention. Peu importe le moyen employé pourvu qu’il assure la protection juridique de l’enfant. Or, en l’espèce, les requérants ont pu vivre ensemble dans des conditions globalement comparables à celles des autres familles (arrêt Chbihi Loudoudi, § 103). Ils n’ont pas connu plus d’entraves ou de désagréments que dans les affaires Wagner[50], Mennesson[51] ou Labassée[52] où la Cour avait pourtant constaté une violation de l’article 8 de la Convention. La filiation est décisive pour distinguer ces affaires. Dans l’affaire Chbihi Loudoudi, l’identité de l’enfant n’est pas incertaine. Elle possède déjà un lien de filiation, identique en Belgique et au Maroc, et ce lien présente de surcroît une certaine effectivité. À défaut, l’adoption devra certainement être envisagée, soit au terme d’une période permettant une intégration progressive de l’enfant dans son nouveau milieu social [solution française après octroi de la nationalité française [53]], soit à l’issue d’une procédure destinée à prévenir tout trafic d’enfant (solution belge, l’adoption est possible même lorsque la loi de l’État où se trouve l’enfant ignore l’institution).

109L’arrêt Chbihi Loudoudi consolide le pluralisme : la kafala assure une protection suffisante à l’enfant. Les États n’ont pas à lui donner les effets d’une adoption, même simple, et la réponse adéquate à la préservation des liens familiaux de facto noués entre le kafil et le makfoul réside alors dans l’octroi d’un titre de séjour adéquat. Il n’est pas nécessaire de donner la nationalité ou d’ouvrir la possibilité de créer un lien de filiation, malgré les difficultés administratives, sociales ou civiles auxquelles les intéressés peuvent se heurter [54]. Pourtant, la Cour les a-t-elle réellement mesurées ? Sans même évoquer les questions successorales et pour s’en tenir au strict minimum, une situation de crise compromettra fortement l’obligation d’entretenir l’enfant [55]. Le règlement aliments n° 4/2009 [56] garantirait la compétence des juridictions proches de l’enfant [57]. En revanche, le Protocole de La Haye du 23 novembre 2007 (si la kafala correspond à une relation de famille au sens de ce texte) mène à une impasse. Dans les circonstances de l’affaire Chbihi Loudoudi, seule la loi belge serait applicable, en tant que loi du for ou en tant que loi de la résidence habituelle du créancier [58]. À défaut de nationalité commune (en l’espèce, les kafils sont belges cependant que le makful est marocain), les dispositions alimentaires propres à la kafala ne sont pas applicables et l’enfant n’aura aucun droit à aliments [59]. Si tant est que l’enfant soit animé d’une détermination suffisante pour obtenir une décision des juridictions marocaines, produira-t-elle ses effets dans le for ? Sa compatibilité avec l’ordre public international est-elle assurée ? Bien sûr, la Cour n’est pas censée raisonner dans l’abstrait et l’affaire se présentait pour l’essentiel sous l’angle du séjour. Sous un autre angle, la question du respect de la Convention européenne des droits de l’homme pourrait donc de nouveau se poser.

110Fabien Marchadier

111Cour de cassation (Civ. 1re) - 17 décembre 2014 Pourvois nos 13-21.365, 13-21.366 et 13-24.295

112Exequatur – Enlèvement international d’enfants – Enfants résidant en France – Décision étrangère de retour – Compétence obtenue par fraude

113Litispendance – Procédures de divorce – Décision étrangère statuant sur le sort des enfants – Décision déclarée irrégulière – Compétence étrangère obtenue par fraude – Obstacle à l’exception de litispendance (non)

114Une décision américaine prescrivant le retour d’enfants de France où ils résident avec leur père aux États-Unis pour y résider avec leur mère ne peut recevoir l’exequatur en France dès lors que le choix de la juridiction américaine par la mère est frauduleux (1).

115Le refus d’exequatur opposé à la décision de retour concernant les enfants prise par une juridiction étrangère dont la compétence a été obtenue par fraude ne fait pas obstacle à l’accueil de l’exception de litispendance internationale portant uniquement sur le divorce et la situation des époux (2).

1161er Arrêt

117Sur le moyen unique : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 5 juill. 2013), que M. X…, de nationalité française, et Mme Y…, de nationalité américaine, se sont mariés aux États-Unis le 26 décembre 2003, où ils ont vécu après leur mariage et où sont nés leurs deux enfants, Eva, le 8 février 2007, et Tristan, le 18 avril 2008 ; qu’à la suite de l’engagement par chacun des époux d’une procédure de divorce, aux États-Unis et en France, une juridiction américaine (District Court, County of Dakota, State of Minnesota), par décision du 19 mars 2012, telle que modifiée le 10 avril 2012, s’est déclarée compétente pour connaître de la procédure et a prescrit le retour des enfants aux États-Unis, pour y vivre avec leur mère, à l’issue de leur année scolaire en France ;

118Attendu que Mme Y… fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande d’exequatur de cette décision en France, alors, selon le moyen :

1191°/ que, pour accorder l’exequatur, en l’absence de convention internationale, le juge français doit s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure ainsi que l’absence de fraude ; qu’il ne peut, sous couvert de fraude à la loi, contrôler la compétence du juge d’origine dont il est constaté qu’il présente des liens suffisamment étroits avec le litige ; que la fraude ne peut résulter que de la manipulation des éléments ayant conduit à retenir la compétence du juge étranger ; qu’en l’espèce il est constant que le juge américain a retenu sa compétence au motif que Mme Y…-X… avait, au sens du droit du Minnesota, conservé une résidence au Minnesota dès lors que, bien qu’ayant fait des démarches pour s’installer en France avec son mari, elle y avait conservé un domicile, y payait ses impôts et y avait un compte en banque ; qu’en disant qu’il y avait fraude aux motifs que Mme Y…-X… aurait fait « en sorte d’accréditer par une présentation fallacieuse de la situation existante que la résidence familiale était demeurée établie sur le sol américain et que le séjour des enfants en France n’était pas consécutive à la décision conjointement prise par les époux d’établir la résidence de la famille à Paris », la cour d’appel a, sous couvert de fraude à la loi, remis en cause la compétence du juge américain qui retenait que le seul fait pour le demandeur d’avoir sa résidence sur le territoire du Minnesota était suffisant, violant ainsi les principes qui gouvernent la compétence internationale des juridictions, et l’article 509 du Code de procédure civile ;

1202°/ que, pour accorder l’exequatur, en l’absence de convention internationale, le juge français doit s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure ainsi que l’absence de fraude ; qu’il ne peut, sous couvert de fraude à la loi, contrôler la compétence du juge d’origine dont il est constaté qu’il présente des liens suffisamment étroits avec le litige ; qu’en l’espèce il est constant que la question de la résidence des époux a été discutée devant le juge américain qui a retenu sa compétence au motif que Mme Y…-X… avait, au sens du droit du Minnesota, conservé une résidence au Minnesota dès lors que, bien qu’ayant fait des démarches pour s’installer en France avec son mari, elle y avait conservé un domicile, y payait ses impôts et y avait un compte en banque ; qu’en disant qu’il y avait fraude aux motifs que Mme Y…-X… aurait fait « en sorte d’accréditer par une présentation fallacieuse de la situation existante que la résidence familiale était demeurée établie sur le sol américain et que le séjour des enfants en France n’était pas consécutive à la décision conjointement prise par les époux d’établir la résidence de la famille à Paris », la cour d’appel a, sous couvert de fraude à la loi, remis en cause l’appréciation par le juge étranger de sa propre compétence, violant ainsi les principes qui gouvernent la compétence internationale des juridictions, et l’article 509 du Code de procédure civile ;

1213°/ que, pour accorder l’exequatur, en l’absence de convention internationale, le juge français doit s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure ainsi que l’absence de fraude ; que dès lors qu’il est constaté que le litige présente des liens suffisants avec le juge d’origine, il n’y a fraude que dans la mesure où il est démontré que le juge étranger a été saisi frauduleusement dans le but exclusif de tirer un bénéfice supérieur à celui procuré par la saisine du juge français ; qu’en l’espèce il est constant que le litige présente des liens étroits avec les États-Unis ; qu’en disant qu’il y avait fraude aux motifs que Mme Y… aurait fait « en sorte d’accréditer par une présentation fallacieuse de la situation existante que la résidence familiale était demeurée établie sur le sol américain et que le séjour des enfants en France n’était pas consécutive à la décision conjointement prise par les époux d’établir la résidence de la famille à Paris », sans constater que Mme Y…-X… avait saisi le juge américain dans le but exclusif de tirer un bénéfice supérieur à celui procuré par la saisine du juge français, la cour d’appel a violé les principes qui gouvernent la compétence internationale des juridictions, et l’article 509 du Code de procédure civile ;

1224°/ que, pour accorder l’exequatur, en l’absence de convention internationale, le juge français doit s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure ainsi que l’absence de fraude ; qu’il ne peut, sous couvert de fraude à la loi, contrôler la compétence du juge d’origine dont il est constaté qu’il présente des liens suffisamment étroits avec le litige ; qu’en l’espèce il est constant que M. et Mme X… se sont mariés aux États-Unis où ils ont eu leur résidence commune, où sont nés leurs deux enfants dont la garde est discutée, que M. X… a quitté les États-Unis pour la France en raison de procédures pénales à son encontre ; que Mme Y…-X… a, malgré la signature d’un bail pour un domicile commun en France, conservé ses attaches aux États-Unis et n’est restée que quelques mois à Paris ; que Mme Y…-X… était domiciliée aux États-Unis au moment de l’introduction de sa demande et qu’elle y est aujourd’hui encore domiciliée ; qu’en disant qu’il y avait fraude aux motifs que Mme Y…-X… aurait fait « en sorte d’accréditer par une présentation fallacieuse de la situation existante que la résidence familiale était demeurée établie sur le sol américain et que le séjour des enfants en France n’était pas consécutive à la décision conjointement prise par les époux d’établir la résidence de la famille à Paris », la cour d’appel a statué par insuffisance de motifs, privant sa décision de base légale au regard des principes qui gouvernent la compétence internationale des juridictions, et l’article 509 du Code de procédure civile ;

123Mais attendu qu’après avoir constaté l’existence de plusieurs liens de rattachement du litige avec les États-Unis, l’arrêt relève que, d’un commun accord, les époux ont quitté ce pays pour s’installer avec leurs enfants en France, Mme Y… ayant signé, le 2 février 2011, avec son conjoint, un bail d’habitation à Paris où les enfants ont été scolarisés en école maternelle ; qu’il précise que, si celle-ci a engagé, le 29 septembre 2011, une procédure aux États-Unis alors que les enfants se trouvaient auprès d’elle, il ne s’agissait que d’un séjour de vacances temporaire dont elle a, seule, prolongé la durée contre la volonté du mari, et que cette procédure, qu’elle avait suspendue pour regagner la France avec les enfants, n’a été réactivée que le 20 décembre 2011 lors de son retour sur le territoire américain ; qu’il ajoute que ce nouveau déplacement avait pour seul objet, en faisant en sorte d’accréditer par une présentation fallacieuse de la situation existante que la résidence familiale était demeurée établie sur le sol américain et que le séjour des enfants en France n’était pas consécutif à la décision conjointement prise par les époux d’établir la résidence de la famille à Paris, d’obtenir en trompant délibérément le juge étranger, que la résidence des enfants soit établie auprès d’elle aux États-Unis ; que de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d’appel a pu déduire que le choix de la juridiction américaine, opéré par Mme Y…, était frauduleux et que, par conséquent, les conditions requises pour accorder l’exequatur de la décision américaine n’étaient pas remplies ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

124Par ces motifs : – Rejette le pourvoi.

125Du 17 décembre 2014 - Cour de cassation (Civ. 1re) - Pourvoi n° 13-21365 - Mme Batut, prés. - Me Rémy-Corlay, SCP Piwnica et Molinié, av.

1262 e Arrêt

127Sur le moyen unique : – Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 5 juill. 2013), que M. X…, de nationalité française, et Mme Y…, de nationalité américaine, se sont mariés aux États-Unis le 26 décembre 2003, où ils ont vécu après leur mariage et où sont nés leurs deux enfants, Eva, 8 février 2007, et Tristan, le 18 avril 2008 ; qu’à la suite de l’engagement par chacun des époux d’une procédure de divorce, aux États-Unis et en France, une juridiction américaine (District Court, County of Dakota, State of Minnesota), par décision du 19 mars 2012, telle que modifiée par celle du 10 avril 2012, s’est déclarée compétente pour connaître de la procédure et a prescrit le retour des enfants aux États-Unis, pour y vivre avec leur mère, à l’issue de leur année scolaire en France ; que, par une décision du 13 décembre 2012, cette juridiction étrangère a autorisé la mère à organiser le retour des enfants en faisant établir pour eux des passeports américains ; Attendu que Mme Y… fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande d’exequatur de cette dernière décision ;

128Attendu que le rejet du pourvoi (n° S 13-21.365) dirigé contre l’arrêt ayant débouté Mme Y… de sa demande d’exequatur de la décision américaine du 19 mars 2012, telle que modifiée par celle du 10 avril 2012, entraîne le rejet du présent pourvoi, en ce que la décision américaine en cause, du 13 décembre 2012, n’est que la suite et la conséquence de celle susvisée ; que le moyen est sans portée ;

129Par ces motifs : – Rejette le pourvoi

1303e Arrêt

131Sur le moyen unique : – Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 2 juill. 2013), que M. X…, de nationalité française, et Mme Y…, de nationalité américaine, se sont mariés aux États-Unis le 26 décembre 2003, où ils ont vécu après leur mariage et où sont nés leurs deux enfants, Eva, le 8 février 2007, et Tristan, le 18 avril 2008 ; qu’à la suite de l’engagement par chacun des époux d’une procédure de divorce, aux États-Unis et en France, une juridiction américaine (District Court, County of Dakota, State of Minnesota), par décision du 19 mars 2012, telle que modifiée par celle du 10 avril 2012, s’est déclarée compétente pour connaître de la procédure et a prescrit le retour des enfants aux États-Unis, pour y vivre avec leur mère, à l’issue de leur année scolaire en France ; que cette dernière a demandé l’exequatur de cette décision en France ; qu’après avoir été accueillie en première instance, cette demande a été rejetée en appel, par un arrêt du 5 juillet 2013 ;

132Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt d’admettre l’existence d’une situation de litispendance au profit de cette juridiction américaine et de se dessaisir en conséquence en sa faveur, alors, selon le moyen :

1331°/ qu’il n’existe pas de litispendance au profit d’une décision étrangère insusceptible de reconnaissance en France ; que l’exequatur du jugement du comté du Dakota du 19 mars 2012, complété le 10 avril 2012, ayant été rejetée par la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 5 juillet 2013, il en résulte que cette décision, insusceptible d’exécution en France, ne peut faire échec à la compétence du juge français pour connaître du divorce ; qu’en admettant l’existence d’une litispendance et en se dessaisissant au profit du tribunal de première circonscription du comté du Dakota, la cour d’appel a violé l’article 100 du Code de procédure civile ;

1342°/ que, pour écarter la fraude, la cour d’appel a relevé que Mme Y… n’avait pas caché au juge du Minnesota l’installation de la famille en France à compter du mois de février 2011 ; qu’il résulte du jugement américain du 19 mars 2012, que, « en octobre 2010, le défendeur a déménagé en France ; en janvier 2011, la requérante et les enfants ont rendu visite au défendeur en France ; en février 2011, la requérante et le défendeur ont signé un bail de location pour une résidence en France ; le 29 septembre 2011, la requérante a déposé une demande de procédure de divorce (au Dakota) ; la requérante n’est pas rentrée avec les enfants aux États-Unis comme il était prévu, le 9 novembre 2011 ; la procédure de divorce a été annulée à la demande des parties le 15 novembre 2011. Le 13 décembre 2011, le défendeur et les enfants se sont déplacés vers la maison de la mère du défendeur à Champs-sur-Marne sans la connaissance ou la permission de la requérante ; le 14 décembre 2011, la requérante est retournée au Minnesota. Les enfants sont restés en France » ; que le juge américain en a déduit que « la requérante a maintenu sa résidence au Minnesota pendant cent quatre-vingt jours précédents cette action. Pendant qu’elle voyageait en France et commençait des démarches pour déménager en France, elle n’a pas abandonné sa résidence au Minnesota » et que « le Minnesota était l’État de la résidence des enfants durant les 6 mois précédents la date de commencement de cette procédure » ; qu’en retenant, pour écarter la fraude, que Mme Y… avait admis, devant le juge américain, son installation en France en février 2011, quand il ressort des motifs du jugement qu’elle avait bien au contraire indiqué que M. X… s’était installé seul en France, qu’elle-même et les enfants étaient restés installés aux États-Unis et ne rendaient que des visites ponctuelles à M. X…, la cour d’appel a dénaturé les motifs du jugement du 19 mars 2012 du Comté du Dakota en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les éléments de la cause ;

135Mais attendu, d’une part, que la décision américaine du 19 mars 2012, telle que modifiée par celle du 10 avril 2012, se bornant à statuer sur les mesures concernant les enfants, le rejet de la demande d’exequatur de cette décision ne fait pas obstacle à l’accueil de l’exception de litispendance internationale portant uniquement sur le divorce et la situation des époux ;

136Attendu, d’autre part, qu’en sa seconde branche, le moyen n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

137Par ces motifs : – Rejette le pourvoi.

138Du 17 décembre 2014 - Cour de cassation (Civ. 1re) - Pourvoi n° 13-24.295 - Mme Batut, prés. - Me Rémy-Corlay, SCP Piwnica et Molinié, av.

1391. Le 17 décembre 2014, la Cour de cassation a de nouveau été amenée à se prononcer sur le contentieux des divorces transatlantiques. À la suite des arrêts Roche (Civ. 1re, 30 sept. 2009, n° 08-19.793, Rev. crit. DIP 2010. 133, note H. Gaudemet-Tallon ; D. 2010. 58, note B. Audit ; Ibid. 2009. 2419, obs. I. Gallmeister ; JCP 2009. 439, note A. Devers ; JDI 2010. 475, note C. Chalas) et Schuman (Civ. 1re, 16 déc. 2009, n° 08-20. 305, Rev. crit. DIP 2010. 164, note H. Muir-Watt ; D. 2010. 156, obs. I. Gallmeister ; AJ fam. 2010. 84, obs. N. Nord) relatifs aux privilèges de juridiction, les trois arrêts rendus ici dans la même affaire concernent la caractérisation de la fraude, l’exequatur d’une décision relative à une garde d’enfants et la litispendance entre deux instances en divorce.

1402. Un Français et une Américaine se marient en 2003 aux États-Unis où ils vivent pendant plusieurs années et où naissent et grandissent leurs deux enfants. En février 2011, ils décident de s’installer en France. À la fin de l’année 2011, à la suite de nombreux rebondissements, la femme engage une procédure de divorce aux États-Unis tandis que le mari fait de même en France. Par une décision du 19 mars 2012, la juridiction américaine se déclare compétente sur le divorce et prescrit le retour des enfants aux États-Unis pour y vivre avec leur mère. Par une décision du 13 décembre 2012, elle autorise la mère à organiser le retour des enfants en faisant établir pour eux des passeports américains. Devant la justice française où elle est attraite par le mari, la femme demande l’exequatur des deux décisions américaines et soulève l’exception de litispendance au profit des juridictions américaines en ce qui concerne le divorce. La demande d’exequatur de la décision américaine relative au retour des enfants aux États-Unis est rejetée en appel aux motifs que la femme a commis une fraude. L’exception de litispendance concernant le divorce est quant à elle accueillie par le juge français. Les deux époux se pourvoient chacun en cassation, la femme pour contester les deux refus d’exequatur des décisions américaines, et le mari pour contester l’accueil de la litispendance par le juge français.

1413. Les trois pourvois connaissent le même sort défavorable. Au motif que la femme a frauduleusement saisi le juge américain, la Cour de cassation approuve d’abord les juges d’appel d’avoir refusé l’exequatur au jugement américain ordonnant le retour des enfants sur le sol américain. Par voie de conséquence, elle rejette également le pourvoi formé par la femme contre le refus d’exequatur de la décision américaine qui l’autorisait à organiser le retour des enfants. Enfin, la Cour de cassation approuve l’accueil de l’exception de litispendance au profit du juge américain et rejette le pourvoi du mari partiellement fondé sur l’existence d’une fraude de la femme.

1424. Alors que les conditions de la litispendance et de l’exequatur sont en partie communes (I), la Cour de cassation admet l’exception de litispendance sur le divorce au profit du juge américain tout en rejetant l’exequatur de la décision américaine sur les enfants (II).

I. – La parenté des conditions de la litispendance et de l’exequatur

1435. Résultat de la diversité des règles nationales de conflit de juridictions et du forum shopping subséquent, les procédures parallèles entre État membre de l’Union et État tiers constituent un danger particulier dans le contentieux familial international. L’objectif légitime d’éviter les situations boiteuses et les décisions contradictoires rend indispensables les mécanismes tels que la litispendance qui tendent à prévenir ce type de conflits [60].

144La litispendance est prévue par les principaux règlements européens sur la compétence internationale des tribunaux. Le règlement Bruxelles II bis relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale traite de la litispendance entre procédures pendantes devant deux États membres [61] mais reste muet sur la litispendance entre deux procédures pendantes devant un État membre et un État tiers. À ce titre, il diffère du règlement Bruxelles I qui, depuis sa récente refonte, pose les conditions de la litispendance aussi bien quand les procédures sont pendantes devant deux États membres que quand elles sont pendantes devant un État membre et un État tiers [62].

145En l’espèce, deux instances en divorce étaient pendantes devant le juge d’un État membre, la France, et le juge d’un État tiers, les États-Unis. Le règlement Bruxelles II bis était applicable ratione materiae mais non ratione loci. Le règlement Bruxelles I bis était applicable ratione loci mais non ratione materiae. C’est donc le droit commun de la litispendance internationale qui s’appliquait.

1466. En droit commun, les conditions de la litispendance ont été posées de longue date [63]. Elles rejoignent partiellement les conditions de l’exception de chose jugée. Les deux mécanismes sont voisins : la litispendance a pour but de prévenir l’exception de chose jugée qui a elle-même pour but d’éviter les conflits de décisions.

147Pour admettre l’exception de litispendance internationale, il est d’abord nécessaire que deux juges soient concurremment et compétemment saisis de deux litiges formés entre les mêmes parties, ayant le même objet et la même cause. Ces conditions étaient satisfaites en l’espèce. Le juge américain et le juge français avaient été saisis par chacun des deux époux et s’étaient reconnus compétents. Les deux instances avaient le même objet et opposaient les mêmes parties. Le fondement des demandes n’était pas précisé et ne semblait guère soulever de difficulté, ce qui mérite d’être souligné en raison de l’extrême sévérité dont la jurisprudence a souvent fait montre [64].

148La seconde condition de l’antériorité de la saisine du juge étranger était également satisfaite en l’espèce. Le juge américain avait été saisi par la femme le 29 septembre 2011. Un temps interrompue, la procédure avait été réactivée le 20 décembre 2011 avant la saisine des juridictions françaises par le mari le 27 décembre 2011.

149La troisième condition posait davantage question. Le juge saisi d’une exception de litispendance internationale doit vérifier que la décision à intervenir à l’étranger est susceptible de reconnaissance en France. Cette condition témoigne de l’originalité de la litispendance internationale par rapport à la litispendance interne et rappelle le lien de la litispendance avec l’autorité de la chose jugée. Comme on a pu l’écrire, « la reconnaissance de la chose en cours de jugement à l’étranger est indissociable de la reconnaissance de la chose jugée à l’étranger » [65]. Effectivement, il serait pour le moins paradoxal que le juge français se dessaisisse au profit du juge étranger s’il est d’ores et déjà sûr que la décision rendue par celui-ci sera irrégulière. En conséquence, le juge français se livre à un « pronostic de régularité » du futur jugement étranger et s’interroge sur le potentiel respect par ce jugement des conditions requises pour accorder l’exequatur.

150Aussi en l’espèce le juge français était-il requis d’effectuer un double contrôle. Au titre de l’exception de litispendance, il devait se prononcer sur la régularité d’un jugement américain de divorce qui n’avait pas encore étérendu. Par ailleurs, au titre de l’autorité de la chose jugée, il devait se prononcer sur la régularité du jugement américain qui avait déjà été rendu et qui ordonnait le retour des enfants aux États-Unis.

1517. Depuis l’arrêt Cornelissen du 20 février 2007 [66], trois conditions sont requises pour accorder l’exequatur aux jugements étrangers : l’absence de contrariété à l’ordre public international de fond et de procédure, l’absence de fraude à la loi et la compétence indirecte du juge étranger auteur de la décision. Pour être indirectement compétent, le juge étranger d’origine de la décision doit avoir un lien caractérisé avec le litige. Sa compétence ne peut porter atteinte à une règle de compétence exclusive française et il ne doit pas avoir été saisi frauduleusement [67]. L’autonomie de la condition d’absence de fraude par rapport à celle du lien caractérisé a été discutée [68] mais la jurisprudence continue d’exiger la démonstration distincte des deux éléments pour caractériser la compétence indirecte [69]. La condition autonome de fraude permet notamment de sanctionner des irrégularités n’entrant pas dans les catégories précédentes [70].

152C’est autour de telles irrégularités, et plus particulièrement d’affirmations mensongères, que se cristallisaient les difficultés. Les époux s’étaient mariés aux États-Unis où ils avaient vécu pendant huit ans et où leurs enfants étaient nés. Le lien caractérisé du juge américain avec le litige ne faisait donc pas de doute. En revanche, la question se posait de savoir si la femme avait menti au juge américain sur le lieu de résidence familiale. Alors que les époux avaient signé un bail d’habitation à Paris où les enfants avaient été scolarisés, la femme avait saisi le juge américain lors d’un premier voyage aux États-Unis puis réactivé la procédure entre temps interrompue lors d’un second voyage. Cette saisine était-elle frauduleuse ? La Cour de cassation ne répond pas de la même façon sur le divorce et sur la garde des enfants.

II. – La dissociation des décisions sur la litispendance et l’exequatur

1538. Au premier abord, la question de la saisine frauduleuse du juge américain par la femme semblait mériter une réponse univoque. De deux choses l’une en effet : on pouvait d’abord considérer que le voyage durant lequel la femme avait saisi le juge américain était un séjour temporaire de vacances et qu’elle avait menti au juge américain sur la situation de la résidence familiale, auquel cas la fraude au juge pouvait être caractérisée et devait justifier à la fois le refus d’exequatur de la décision américaine et le rejet de l’exception de litispendance. On pouvait à l’inverse considérer que la saisine du juge américain n’était pas frauduleuse, auquel cas l’absence de fraude aurait dû justifier à la fois l’exequatur de la décision concernant les enfants et l’admission de l’exception de litispendance.

154Or ce n’est ni la première ni la seconde option que choisit la première chambre civile, pour qui la fraude justifie le refus de l’exequatur sans faire obstacle à l’admission de la litispendance. Dans les deux cas, la femme se voyait bien reprocher une fraude à la juridiction, que celle-ci se double par ailleurs d’une fraude à la loi ou d’une fraude au jugement. Dès lors, la divergence des solutions ne s’explique pas par la différence de nature entre les deux fraudes mais par la différence de leur objet.

1559. À bien y regarder, l’objet des fraudes n’était effectivement pas identique. Sous le raccourci terminologique et quelque peu trompeur de « résidence familiale », une dissociation devait en réalité être opérée entre la résidence des époux et celle des enfants. Initialement, le juge américain avait été saisi par la femme d’une demande en divorce. Il s’était déclaré compétent en considérant que la femme n’avait guère abandonné sa résidence aux États-Unis. Pour autant, le jugement américain faisait état de la signature du bail par les époux et des démarches entreprises pour déménager en France. Le caractère clair et précis du jugement américain justifiait le rejet laconique du pourvoi du mari qui invoquait sa dénaturation par les juges du fond [71]. La fraude à la juridiction concernant la résidence de la femme n’était guère caractérisée. Le forum actoris était un for indirectement compétent.

156L’existence d’un mensonge de la femme sur la résidence des enfants semblait plus difficilement discutable. Devant le juge américain compétent pour le divorce, la femme avait fait des demandes supplémentaires concernant la garde des enfants alors qu’elle savait que la résidence des enfants se trouvait en France. En effet, l’arrêt d’appel du 5 juillet 2013 nous apprend que la femme avait prolongé le premier séjour aux États-Unis sans autorisation du mari. À ce titre, le mari aurait d’ailleurs pu invoquer la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants pour demander le retour immédiat des enfants en France. À l’inverse, le jugement américain ordonnait le retour des enfants auprès de leur mère à la fin de l’année scolaire après avoir relevé qu’ils avaient résidé aux États-Unis pendant les six mois précédant le commencement de la procédure. La femme semblait ainsi avoir cherché à obtenir une sorte de compétence connexe du juge américain. C’est le fait de revendiquer cette prorogation de compétence qui est analysé comme une fraude.

157Dès lors, le juge américain était indirectement incompétent pour trancher des questions de garde d’enfants et d’autorité parentale alors qu’il était indirectement compétent pour trancher du divorce [72]. Contrairement à ce que soutenait le mari dans son pourvoi, le rejet de l’exequatur de la décision sur les enfants n’entraînait pas automatiquement le rejet de l’exequatur des décisions sur le divorce et ne pouvait justifier le rejet de l’exception de litispendance. Réciproquement, la compétence indirecte du juge étranger en matière de divorce n’impliquait pas automatiquement sa compétence indirecte en matière de garde des enfants et d’autorité parentale.

15810. Résultat d’une analyse précise et rigoureuse des faits de l’espèce, la dissociation des compétences qui ressort des décisions de la Cour de cassation mérite d’être saluée. Elle tient compte de la différence des enjeux qui irriguent le contentieux du divorce et le contentieux de l’autorité parentale et plus particulièrement de l’intérêt supérieur de l’enfant. La solution répond ainsi au plan de la compétence indirecte à la dissociation des compétences internationales directes retenue par les principaux instruments internationaux et européens. Le règlement Bruxelles II bis donne par exemple compétence aux juridictions de l’État où l’enfant réside habituellement pour trancher des questions de responsabilité parentale [73]. La prorogation de compétence des juridictions saisies de la demande en divorce n’est possible qu’à certaines conditions précises [74]. Un système similaire est retenu par la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants [75].

159Justifiée dans ses fondements, la solution peut poser question dans ses résultats. La fragmentation du contentieux est en effet susceptible de conduire à des difficultés procédurales ou d’engendrer des décisions contradictoires ou difficilement conciliables. Au demeurant, ces doutes peuvent être relativisés. Le refus d’exequatur apparaît comme une sanction liée aux circonstances particulières de la saisine du juge américain. Dès lors, ce n’est pas parce que le juge américain est ici dépourvu de compétence indirecte pour ordonner le retour des enfants aux États-Unis que toute décision relative aux enfants dans le cadre de l’instance en divorce sera systématiquement rejetée. Autrement dit, l’absence de compétence indirecte du juge américain en l’espèce n’implique pas la compétence directe et générale du juge français pour le contentieux parental. Il faut seulement espérer que la Cour de cassation continuera d’adopter une position nuancée, aussi soucieuse du respect des intérêts en présence que de l’impératif de bonne administration de la justice.

160Sarah Laval

Notes

  • (1)
    Les numéros de paragraphe sans autre précision renvoient à la décision Blaga.
  • (2)
    La Roumanie a adhéré à la Convention de La Haye de 1980 en septembre 1992. Entre la Roumanie et les États-Unis, la Convention est entrée en vigueur en juin 1993, après l’acceptation de l’adhésion par les États-Unis [http://www.hcch.net/index_fr.php?act=status.accept&mid=641, dernière consultation le 2 mars 2015].
  • (3)
    D. Bureau, H. Muir Watt, Droit international privé, 3e éd., t. II, Puf, Thémis, 2014, p. 266, n° 787.
  • (4)
    Rapport explicatif sur la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants par Elisa Pérez-Vera, 1982 (ci-après « Rapport Pérez-Vera »), [http://www.hcch.net/index_fr.php?act=publications.details&pid=2779, dernière consultation le 2 mars 2015], n° 16.
  • (5)
    V. aussi Rapport Pérez-Vera, n° 25.
  • (6)
    D. Bureau, H. Muir Watt, op. cit.
  • (7)
    V. aussi Rapport Pérez-Vera, n° 29.
  • (8)
    D. 2013. 2848 ; AJ fam. 2014. 58, obs. A. Boiché ; JDI 2014. 980 note V. Durand.
  • (9)
    D. 2010. 2062, obs. I. Gallmeister ; D. 2011. 1374, obs. F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2010. 482, pratique A. Boiché ; RTD civ. 2010. 735, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 2010. 927, chron. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard ; RTDH 2012. 377 note D. Rietiker.
  • (10)
    Sur le problème de cette immunité dans la mise en œuvre du règlement Bruxelles II bis v. G. Cuniberti, Abolition de l’exequatur et présomption de protection des droits fondamentaux. À propos de l’affaire Povse c/ Autriche, Rev. crit. DIP 2014. 303.
  • (11)
    Cette priorité a été justifiée par une interprétation systématique des instruments internationaux en la matière – V. Raw e.a. cl France, n° 10131/11, 7 mars 2013, § 82 : « S’agissant plus précisément des obligations positives que l’article 8 de la Convention fait peser sur les États contractants en matière de réunion d’un parent à ses enfants, elles doivent s’interpréter à la lumière de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants […] et de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 […], qui mettent notamment l’accent sur le caractère primordial de l’intérêt de l’enfant ».
  • (12)
    « Tant un refus de tenir compte d’objections au retour susceptibles de rentrer dans le champ d’application des articles 12, 13 et 20 de la Convention de La Haye qu’une insuffisance de motivation de la décision rejetant de telles objections seraient contraires aux exigences de l’article 8 de la Convention, mais également au but et à l’objet de la Convention de La Haye ».
  • (13)
    Sur les enjeux procéduraux et substantiels de l’application de la Convention EDH en matière d’enlèvement international d’enfants v. H. Muir Watt, Abolition of Exequatur and Human Rights, 5 oct. 2013 [http://conflictoflaws.net/2013/muir-watt-on-povse/, dernière consultation le 2 mars 2015].
  • (14)
    Rapport Pérez-Vera, n° 30.
  • (15)
    Ibid.
  • (16)
    D. 2013. 708 ; Gaz. Pal. 2013, n° 101, p. 13, note É. Viganotti.
  • (17)
    Civ. 1re, 14 févr. 2006, Gettlife, Rev. crit. 2007. 96, note E. Gallant.
  • (18)
    CJUE, 1re ch., 22 déc. 2010, aff. C-491/10 PPU, Joseba Andon Aguirre Zarraga cl Simone Pelz,, § 64, D. 2011. 248 ; Ibid. 1374, obs. F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2012. 172, note H. Muir Watt ; RTD eur. 2011. 482, obs. M. Douchy-Oudot.
  • (19)
    « les juridictions nationales pourraient être amenées à examiner aussi d’autres aspects de la situation de l’enfant avant d’exercer la faculté de refuser d’ordonner le retour » (notre trad.)
  • (20)
    V. G. Cuniberti, article préc., spéc. n° 22 s.
  • (21)
    L. n° 369/2004 pour l’application de la Convention de La Haye du 25 oct. 1980, republiée après modifications dans Monitorul Oficial n° 468, 25 juin 2014.
  • (22)
    V. § 110 Gajtani c/ Suisse, « Dans la mesure où elle est compétente pour trancher la question, la Cour ne considère pas comme déraisonnable la conclusion du tribunal d’appel selon laquelle l’on ne pouvait prendre en compte les déclarations du fils de la requérante dans la décision sur le retour des enfants. Elle estime que la décision de cette juridiction, intervenue sur la base de l’audition du fils par l’instance inférieure, est dûment appuyée sur une motivation circonstanciée (X c/ Lettonie, préc., § 107). » (c’est nous qui soulignons).
  • (23)
    Guide de bonnes pratiques en vertu de la Convention de La Haye du 25 oct. 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, deuxième partie – mise en œuvre, 2003 [http://www.hcch.net/index_fr.php?act=publications.details&pid=2781 dernière consultation le 2 mars 2015].
  • (24)
    Art. 9 et 15 L. n° 369/2004 republiée en 2014 (e.g. maximum 2 semaines entre les audiences, 24 h d’ajournement pour prononcer la décision, 7 jours d’ajournement pour sa rédaction, 48 h pour la communication de la décision).
  • (25)
    Art. 12 L. n° 369/2004 republiée en 2014.
  • (26)
    V. H. Muir Watt, Abolition of Exequatur and Human Rights, préc.
  • (27)
    Art. 1102 al. 2 Nouv. C. pr. civ., applicable à partir de 15 févr. 2014, art. 173 al. 2 L. n° 105/1992 concernant le droit international privé (actuellement abrogée).
  • (28)
    Art. 9 al. 2 L. n° 369/2004, devenu art. 11 al. 3 après sa republication en 2014.
  • (29)
    Sur le contrôle ex ante-ex post des droits de l’homme dans le système du règlement Bruxelles II bis v. H. Muir Watt, Abolition of Exequatur and Human Rights, préc.
  • (30)
    V. C. civ. français, art. 373-2-6 al. 3 ainsi que la possibilité de s’opposer à la sortie de l’enfant du territoire sans mesure judiciaire préalable – v. P. Mayer, V. Heuzé, Droit international privé, 11e éd., LGDJ, 2014, n° 650, p. 460, note 29.
  • (31)
    V. les circonstances analysées par les juges de fond de première instance dans l’affaire Gajtani.
  • (32)
    CEDH 4 oct. 2012, n° 43631/09, Rev. crit. DIP 2013. 146, note S. Corneloup ; D. 2012. 2947, note P. Hammje ; AJ fam. 2012. 546, obs. A. Boiché ; RTD. civ. 2012. 705, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 2013. 105 obs. J. Hauser ; RTDH 95/2013. 717, note S. Bollée.
  • (33)
    S. Corneloup, note sous Harroudj cl France, Rev. crit. DIP 2013.146, spéc. p. 172.
  • (34)
    Ce que l’ensemble de la doctrine a souligné, v. not. S. Corneloup, op. cit. ; P. Hammje, L’interdiction d’adoption face aux droits fondamentaux, D. 2012. 2947, spéc. n° 2.
  • (35)
    À moins qu’il ne s’agisse que d’une question de sensibilité des juges composant la cinquième section – arrêt Harroudj – et la deuxième – arrêt Chbihi Loudoudi.
  • (36)
    CEDH 26 juin 2014, n° 65192/11 et 65941/11, Mennesson et Labassée c/France, JCP 2014. Doctr. 832. 10, obs. F. Sudre et 877 note A. Gouttenoire, RLDC sept. 2014. 42, note H. Gratadour ; D. 2014. 1797 note F. Chénedé ; Ibid. 1787 obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; Ibid. 1806 note L. d’Avout ; AJ fam. 2014. 396 obs. A. Dionisi-Peyrusse ; CEDH 27 janv. 2015, n° 25358/12, Paradiso et Campanelli c/ Italie.
  • (37)
    « La Cour estime qu’en effaçant ainsi progressivement la prohibition de l’adoption, l’État défendeur, qui entend favoriser l’intégration d’enfants d’origine étrangère sans les couper immédiatement des règles de leur pays d’origine, respecte le pluralisme culturel et ménage un juste équilibre entre l’intérêt public et celui de la requérante » (§ 51 in fine).
  • (38)
    V. la situation personnelle de l’enfant exposé au § 48 de l’arrêt.
  • (39)
    CEDH 5 déc. 2013, n° 32265/10, Henry Kismoun cl France, RTD civ. 2014. 332, obs. J. Hauser ; AJDA 2014. 147, chron. L. Burgorgue-Larsen ; AJ fam. 2014. 194, obs. C. Doublein ; RJPF 2014-2/10, obs. I. Corpart. Comp. CJCE 2 oct. 2003, aff. C-148/02, Carlos Garcia Avello, Rev. crit. DIP 2004. 184, note P. Lagarde ; D. 2004. 1476, note B. Audit ; et surtout, CJCE 14 oct. 2008, aff. C-353/06, Grunkin et Paul, Rev. crit. DIP 2009. 80, note P. Lagarde ; AJDA 2008. 2327, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert ; D. 2009. 845 note F. Boulanger ; AJ fam. 2008. 481, obs. A. Boiché.
  • (40)
    Arrêt Mennesson et Labassée cl France, préc. ; CEDH 28 juin 2007, n° 76240/01, Wagner et J. M. W. L. cl Luxembourg, D. 2007. 2700, note F. Marchadier ; Gaz. Pal. 21-22 mars 2008, obs. M.-L. Niboyet ; RTD civ. 2007. 738, obs. J.-P. Marguénaud ; Rev. crit. DIP 2007. 807, note P. Kinsch.
  • (41)
    B. Ancel, Y. Lequette, Les grands arrêts du droit international privé, 6e éd., Dalloz, 2006, n° 73.3.
  • (42)
    B. Bourdelois, L’adoption internationale, TCFDIP 2000-2002, Pédone, 2004, p. 139, spéc. p. 152
  • (43)
    B. Bourdelois, article préc., spéc. p. 149.
  • (44)
    Ou plutôt la moindre flexibilité, car dans un cas comme dans l’autre, les États ont eu la volonté de traduire dans leur législation les règles de la convention de La Haye destinées à prévenir les trafics et à moraliser les adoptions internationales. Or, d’un certain point de vue, le droit belge est plus libéral. Le poids des lois prohibitives n’est pas aussi fort. L’adoption est envisageable même si l’enfant n’est pas né et ne réside pas dans le for (comp. C. civ., art. 370-3, al. 2). En revanche, si les conditions initiales d’une adoption ne sont pas réunies, la situation est figée jusqu’à la majorité de l’enfant.
  • (45)
    Art. 20, § 3.
  • (46)
    L. n° 15-01 relative à la prise en charge des enfants abandonnés (BO Royaume du Maroc n° 5036, 5 sept. 2002), art. 22.
  • (47)
    V. J.-M. Plazy, La recherche d’équivalent : la tutelle, Dr. fam. 1/2009. Dossier 10.
  • (48)
    Lorsqu’une kafala est envisagée dans un autre État contractant, la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 impose à l’autorité qui la prononce de consulter l’autorité de l’État d’accueil, laquelle peut l’approuver si tel est l’intérêt de l’enfant (art. 33). L’inobservation de cette procédure est un motif de non reconnaissance du jugement ordonnant le placement de l’enfant (art. 23, f). Cependant, en l’espèce, ces dispositions n’avaient pas vocation à s’appliquer, la Belgique ayant ratifié la convention plus tardivement que le Maroc.
  • (49)
    V. not. rapp. Comm. EDH, 1er juill. 1997, n° 21106/92, Kafkasli c/ Turquie ; CEDH 12 janv. 1999, n° 31414/96, Karassev c/ Finlande ; CEDH 13 janv. 2015, n° 44230/06, Petropavlovskis c/ Lituanie ; sur cette question F. Marchadier, L’acquisition de la nationalité de l’État dans lequel réside l’étranger, in P. Mbongo (dir.), Vulnérabilité des étrangers et droits fondamentaux, à paraître.
  • (50)
    Préc.
  • (51)
    Préc.
  • (52)
    Préc.
  • (53)
    Civ. 1re, 4 déc. 2013, n° 12-26.161, D. 2014.1059, pan. H. Gaudemet-Tallon, F. Jault-Seseke ; RTD civ. 2014. 104, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 1/2014. comm. 19 obs. M. Farge.
  • (54)
    Sur lesquelles, E. Massalve, C. Corso, Kafalas transfrontières : la nécessaire adoptabilité, en France, des enfants sans filiation, AJ fam. 2010. 227.
  • (55)
    Qui, comme la succession, constitue un élément non négligeable de la vie familiale (v. mutatis mutandis, CEDH 13 juin 1979, n° 6833/74, Marckx cl Belgique, § 52).
  • (56)
    Sur lequel, B. Ancel et H. Muir Watt, Aliments sans frontières – Le règlement CE n° 4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, Rev. crit. DIP 2010. 457 ; E. Gallant, Le nouveau droit international privé alimentaire de l’Union : du sur-mesure pour les plaideurs, Europe 2/2012. Étude 2.
  • (57)
    Par la résidence en Belgique du kafil ou tout au moins du makfol (art. 3).
  • (58)
    La solution serait la même en vertu du code belge de droit international privé (v. art. 74).
  • (59)
    À moins, dans une perspective française, de considérer que l’engagement des kafils équivaut à une promesse d’exécuter une obligation naturelle (Civ. 1re, 10 oct. 1995, D. 1996. Somm. 120, obs. Libchaber) permettant d’en poursuivre l’exécution forcée.
  • (60)
    Sur la litispendance internationale, v. not. D. Holleaux, La litispendance internationale, Trav. Com. fr. DIP 1971-1973, p. 203 ; H. Gaudemet-Tallon, La litispendance internationale dans la jurisprudence française, in Mélanges Dominique Holleaux, Litec, 1990, p. 121 ; M.-L. Niboyet, Les conflits de procédure, Trav. Com. fr. DIP 1995-1996, p. 71 ; La globalisation du procès civil dans l’espace judiciaire européen et mondial, JDI 2006. 937 ; J. Pellerin, L’exception de litispendance internationale, Bull. ch. avoués CA Paris, 1991, p. 125.
  • (61)
    Art. 19 règl. n° 2201/2003 du 27 nov. 2003.
  • (62)
    Art. 33 règl. n° 1215/2012 du 12 déc. 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
  • (63)
    Civ. 1re, 26 nov. 1974, Soc. Miniera di Fragne, Rev. crit. 1975. 491, note D. Holleaux, JDI 1975. 108, note A. Ponsard ; Grands arrêts, n° 54. Pour la jurisprudence antérieure hostile à la reconnaissance de la litispendance internationale, v. not. Civ. 1re, 1er déc. 1969, Rev. crit. DIP 1972. 84, note H.-J. Lucas ; JDI 1970. 707, note A. Huet.
  • (64)
    V. H. Gaudemet-Tallon, article préc., spéc. p. 132-133 ; J. Pellerin, article préc., spéc. n° 12.
  • (65)
    M.-L. Niboyet, Les conflits de procédure, article préc., p. 73.
  • (66)
    Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 05-14.082, Rev. crit. DIP 2007. 420, note B. Ancel et H. Muir Watt ; JDI 2007. 1195, note F.-X. Train ; D. 2007. 1115, note L. d’Avout et S. Bollée. Plus récemment, v. Civ. 1re, 30 janv. 2013, n° 11-10.588, D. 2013. 1503, obs. F. Jault-Seseke et p. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD com. 2013. 389, obs. P. Delebecque ; JCP 2013. 165, obs. D. Akchoti.
  • (67)
    Civ. 1re, 6 févr. 1985, Simitch, Rev. crit. DIP 1985. 369 et 243, chron. Ph. Francesackis ; JDI 1985. 460, note A. Huet ; D. 1985. 469, note J. Massip ; Grands arrêts, n° 70.
  • (68)
    V. not. Paris, 10 nov. 1971, Mack Trucks, JDI 1973. 229, note A. Huet, qui exigeait que « le litige se rattache de manière suffisante au pays dont le juge a été saisi, c’est-à-dire que le choix de la juridiction ne soit ni arbitraire, ni artificiel, ni frauduleux ».
  • (69)
    V. not. Civ. 1re, 30 sept. 2009, Roche, préc. ; Civ. 1re, 16 déc. 2009, Schuman, préc. Dans ces deux affaires de séparations de couples franco-américains, la Cour de cassation approuvait les juges du fond d’avoir caractérisé le lien caractérisé du litige avec les États-Unis et d’avoir montré l’absence de fraude.
  • (70)
    B. Audit, L. d’Avout, Droit international privé, 6e éd., Économica, 2010, n° 439, p. 416-417.
  • (71)
    Comp. la nouvelle rédaction de l’article 1014 du Code de procédure civile, issu du décret du 6 novembre 2014, selon lequel « Après le dépôt des mémoires, cette formation décide qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée lorsque le pourvoi est irrecevable ou lorsqu’il n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Toute formation peut aussi décider de ne pas répondre de façon spécialement motivée à un ou plusieurs moyens irrecevables ou qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ».
  • (72)
    Comp. Civ. 1re, 4 juill. 2012, n° 11-11.107, Rev. crit. DIP 2012. 900, note H. Gaudemet-Tallon ; AJ fam. 2012. 502, note A. Boiché.
  • (73)
    Art. 8 règl. n° 2201/2003 du Conseil du 27 nov. 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale.
  • (74)
    Art. 12 § 1 : les juridictions compétentes pour statuer sur une demande en divorce sont compétentes pour les questions de responsabilité parentale lorsque (a) au moins l’un des époux exerce la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant et (b) la compétence de ces juridictions a été acceptée expressément ou de manière non équivoque par les époux et par les titulaires de la responsabilité parentale et qu’elle est dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
  • (75)
    Art. 5 et 10. Sur cette convention, v. not. P. Lagarde, La nouvelle convention de La Haye sur la protection des mineurs, Rev. crit. DIP 1997. 217.
Sandrine Clavel
Catalina Avasilencei
Fabien Marchadier
Sarah Laval
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.152.0413
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Dalloz © Dalloz. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...