CAIRN.INFO : Matières à réflexion

11. Le règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles [1] a, par son entrée en vigueur le 17 décembre 2009 [2], remis sur le devant de la scène la notion de loi de police, en en fournissant d’une part une définition textuelle, et en en rénovant partiellement d’autre part le régime.

22. Sur le premier point, une simple lecture comparative de l’article 7 de l’ancienne convention de Rome du 18 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles et de l’article 9 du règlement Rome I lui faisant suite permet de constater qu’un paragraphe a été ajouté dans ce dernier texte, qui est consacré à préciser ce qu’il faut entendre par l’expression « loi de police » employée dans son intitulé. La définition, ainsi formulée : « Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement », est d’abord frappante en ce qu’elle paraît bien constituer la première tentative jamais effectuée en ce sens par une législation de droit international privé [3]. En même temps il faut souligner qu’en adoptant une telle définition, le législateur européen n’a pas fait oeuvre intégralement novatrice, puisqu’il s’est évidemment inspiré de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne [4], qui avait elle-même pris appui sur des avancées doctrinales antérieures, d’ailleurs opérées en dehors du cadre du droit européen, à une époque où le droit international privé de l’Union européenne n’existait tout simplement pas [5].

33. Deux impressions subsistent une fois achevée la lecture de la définition de l’article 9 : tout d’abord, un sentiment de flou, la définition proposée correspondant à des standards extrêmement généraux qui, loin de faire de la définition réglementaire un outil permettant, en face d’une disposition législative quelconque, de déterminer immédiatement et à coup sûr si l’on est en face d’une loi de police ou non, laissent plutôt une latitude importante au juge saisi, de telle sorte que tant qu’il ne s’est pas prononcé l’incertitude subsiste sur la qualification exacte de la disposition en cause. Ensuite une sensation d’hésitation sur l’importance à accorder aux termes « intérêts publics de l’État », qui apparaissent comme une incise nouvelle dans une définition classique, incise dont il reste à mesurer la portée afin de déterminer si la définition du règlement entend faire évoluer les choses par rapport à leur état antérieur, ou au contraire, les y maintenir. Bref, la nouvelle forme prise par la définition des lois de police dans le règlement Rome I ne satisfait pas totalement la curiosité de l’internationaliste.

44. Sur le deuxième point, la modification apportée par le règlement Rome I se présente comme un retrait, au moins en ce qui concerne le régime des lois de police étrangères [6] : alors que l’article 7, § 1, de la convention de Rome envisageait d’une façon générale la possibilité pour le juge du for de déroger, à des conditions plutôt restrictives, aux règles de conflit uniformes posées par ailleurs, au profit de lois de police étrangère, la solution étant assortie d’une faculté de réserve prévue pour les États qui y seraient réticents, l’article 9, § 3, du règlement, insusceptible quant à lui de faire l’objet d’une réserve en raison de sa nature réglementaire et non conventionnelle, se borne à envisager l’hypothèse très limitée d’une efficacité au for des lois de police étrangères en vigueur au lieu d’exécution du contrat, et à condition que ces lois annulent le contrat.

5Si les raisons de la modification semblent assez bien identifiées [7], la question de sa portée reste ouverte. La règle nouvelle laisse-t-elle une place – et si oui, laquelle ? – pour une certaine efficacité des lois de police étrangères provenant d’un État autre que celui du lieu d’exécution du contrat ? On voit ainsi que, comme la définition des lois de police posée par le règlement Rome I, la fixation de leur régime par le règlement Rome I ne règle pas toutes les difficultés, ce qui justifie à nouveau qu’on y revienne pour lever, s’il est possible, les doutes persistants.

65. Ces deux données majeures de l’actualité du droit international privé européen des contrats expliqueraient donc à elles seules qu’on se propose ici de faire le point sur la question des lois de police, non seulement pour exposer les nouveautés, mais aussi et surtout pour résoudre les difficultés et incertitudes subsistantes.

76. Il faut pourtant souligner que les difficultés soulevées par les lois de police en droit international privé ne portent pas seulement sur la mise en oeuvre du règlement Rome I. Bien au-delà du champ du droit européen des conflits de lois en matière de contrats, la locution « loi de police » appartient au vocabulaire de base de la science du droit international privé contemporain [8]. Certes, on a pu insister sur l’importance plus particulière du mécanisme des lois de police en matière contractuelle, où les lois de police « constituent plus qu’un tempérament à la règle de conflit ; elles sont le complément nécessaire sans lequel le recours à la loi d’autonomie ne serait pas justifié » [9]. Cette circonstance explique sans aucun doute que l’annulation de contrats, ou de certaines de leurs clauses, puisse être conçue par application de dispositions émanant d’un ordre juridique autre que celui dont la loi est désignée par la règle de conflit, en présence par exemple d’une loi d’embargo fondée sur des données de santé publique [10], ou bien d’une législation économique tendant à organiser le marché [11], ou encore d’un dispositif législatif visant à protéger un cocontractant réputé faible [12], pour n’évoquer que trois illustrations particulièrement caractéristiques en matière contractuelle. Outre, pourtant, que l’interférence d’une loi d’application nécessaire avec un contrat soumis à une autre loi par la règle de conflit est susceptible de se présenter dans des États non membres de l’Union européenne [13], montrant que le phénomène n’est pas propre au droit international privé européen, il faut noter que ce même type d’interférences peut tout aussi bien se produire en dehors du champ contractuel [14], comme la cour de cassation française semble bien l’avoir admis en 1964 pour la loi française sur l’assistance éducative, déclarée applicable à la protection des mineurs en danger résidant en France, nonobstant la compétence de la loi nationale selon la règle de conflit en matière de protection des incapables [15]. S’il en est ainsi de l’utilité de la notion de loi de police bien au-delà du droit international privé européen des contrats, c’est qu’elle correspond à une réalité juridique qu’il n’est plus possible d’ignorer de nos jours : il arrive que le législateur mette en place, pour régler certaines situations ou activités, un dispositif normatif conçu pour servir une politique législative dirigiste ou protectrice [16] – notions parfois regroupées de nos jours autour de la bannière de l’ordre public régulatoire [17] – exigeant pour la pleine efficacité de la politique menée, la délinéation d’un rayon d’action spécifique, à l’intérieur duquel le dispositif en question réclame d’être appliqué, même s’il devait en résulter une dérogation à la solution retenue par la règle de conflit de lois ordinaire. On peut penser que c’est précisément dans de tels cas que le besoin d’adapter les mécanismes classiques de conflit de lois afin de parvenir à des résultats cohérents dans la réglementation des relations privées internationales s’est fait sentir et a conduit à la mise au jour d’une nouvelle méthode de solution volontiers baptisée, dans la doctrine francophone contemporaine, « méthode des lois de police » [18].

87. Les liens évoqués entre cette méthode et le dirigisme étatique permettent de sentir l’importance que doit revêtir dans la théorie des lois de police la politique législative menée par l’État légiférant. Les exemples déjà évoqués d’interférence de lois de police avec la lex contractus, ou plus généralement avec la lex causae, montrent par ailleurs la mise en oeuvre, dans les rapports juridiques internationaux, de politiques économiques [19], sanitaires [20] ou encore sociales [21] dotées de contrecoups dans le domaine du droit privé. En même temps et de façon paradoxale la place de la politique législative dans la théorie des lois de police est mal cernée aujourd’hui, la notion même de politique législative étant parfois négligée dans les études portant sur les lois de police [22]. Et, lorsqu’elle est évoquée, deux types d’attitudes se constatent, qui appellent une étude plus approfondie.

9Parfois, la perspective de voir la politique législative jouer un rôle significatif en matière de loi de police déclenche une certaine réticence alimentée par la menace d’une contagion par la méthode des lois de police de l’ensemble du droit privé, qui basculerait ainsi, lorsque l’application de ce dernier aux rapports internationaux se présente, dans un vaste fonctionnalisme à l’américaine [23], jugé – non sans raison – impraticable du fait des labyrinthes par lesquels il contraint de passer pour déceler, derrière chaque disposition de droit privé sur l’application de laquelle on s’interroge, les intérêts gouvernementaux à voir la disposition respectée dans le cas en cause, et mesurer leur prévalence, en l’espèce, sur les intérêts concurrents des États auteurs des dispositions en conflit [24]. On peut toutefois se demander si cette crainte n’est pas démesurée et si elle justifie vraiment la sorte de black-out dont fait l’objet, actuellement encore, la politique législative lorsqu’il est question de loi de police. Car la doctrine s’accorde en général sur le caractère exceptionnel en droit privé de la méthode des lois de police comme méthode de rattachement [25], ce qui conjure très largement le risque de la voir se généraliser à tout le droit privé. En revanche, dans le domaine propre à ce régime d’exception, il reste vain – et même pire : néfaste – de passer sous silence le rôle exact que peut ou doit jouer la notion de politique législative si cette notion apparaît finalement bien comme située au coeur du mécanisme des lois de police.

10A cet égard se laisse constater justement dans la doctrine francophone une tendance à suggérer la pertinence de la notion de politique législative comme outil d’analyse et de compréhension de la théorie des lois de police telle qu’elle existe en droit international privé européen, l’accent étant d’ailleurs mis par certains ouvertement sur le caractère fonctionnaliste de cette approche, sans que, sous ce rapport, la question de sa légitimité, dans le domaine des lois de police, ne fasse véritablement problème [26].

118. Face au flottement résultant de la tension entre une telle suggestion et la réticence ci-dessus mentionnée, l’heure paraît bien venue de faire le point sur le rôle de la politique législative en matière de loi de police. L’objet du présent article va précisément être de mesurer ce rôle, en tentant de l’apprécier d’abord au stade de la détermination de la notion de loi de police (I), puis au stade de la fixation du régime de ce type de règles (II), tout en tenant compte des nouveautés qu’emporte le règlement Rome I sur ces deux points et en prenant appui sur les avancées permises par leur étude pour régler les questions encore laissées dans l’ombre.

I. — La place de la politique législative dans la définition des lois de police

129. La définition des lois de police demeure, aujourd’hui encore, plus un idéal à atteindre qu’une étape définitivement franchie, sur laquelle il n’y aurait plus à revenir. Certes, en Europe, l’article 9 du règlement Rome I s’essaye à définir cette notion, mais outre que la définition posée ne vaut, en droit positif, que dans le strict domaine du règlement, c’est-à-dire en droit des obligations contractuelles, il faut noter que, malgré l’hommage appuyé rendu aux définitions doctrinales et jurisprudentielles classiques à travers la référence expressément maintenue à la « sauvegarde » de « l’organisation politique, sociale ou économique » du pays, le nouveau texte s’en démarque en réalité d’une façon qui n’est pas habituellement assez soulignée, en reléguant cette référence au second rang – celui des simples illustrations –, derrière celle de sauvegarde des « intérêts publics » du pays, occupant désormais fermement le devant de la scène [27]. Loin de faire oeuvre harmonisatrice des définitions préexistantes, ou même simplement consolidatrice de l’une d’entre elles, la nouvelle définition ainsi proposée se lance à son tour dans la compétition.

1310. Il est vrai que la tâche du législateur européen n’était pas simple car la doctrine n’était pas parvenue, depuis l’isolement du phénomène moderne des lois d’application immédiate par Francescakis, à fournir une définition vraiment satisfaisante de la notion, qu’il aurait suffi au règlement de consacrer purement et simplement [28]. On comprend qu’avec l’article 9, § 1, du règlement, le législateur européen se soit finalement tourné vers une quatrième approche de la notion de loi de police, délaissant les trois principales qui lui préexistaient. Une présentation récapitulative de cette succession de tentatives montrera que depuis sa mise en évidence le phénomène des lois de police demeure en quête d’une définition opérationnelle (A). La question se posera alors de savoir si l’idée de politique législative, souvent sous-jacente dans la théorie des lois de police, ne mériterait pas de remonter à la surface, comme une donnée clé de la définition de cette notion (B).

A. — La loi de police, une notion en quête de définition

1411. L’histoire de la notion moderne de loi de police montre que quatre approches se sont succédé pour tenter d’éclaircir le sens de cette expression, chaque nouvelle démarche tentant de proposer une solution dissipant les insatisfactions nourries par la précédente. Face à la dernière tentative constituée par l’article 9, § 1, du règlement Rome I, il y aura lieu de se demander si la formule proposée emporte elle-même la conviction.

1512. 1) Le phénomène des lois d’application immédiate, lorsqu’il fut identifié par Francescakis au milieu du XXe siècle [29], voulait dépeindre une situation particulière occasionnellement constatée par l’auteur, et dans laquelle les tribunaux statuaient sur une affaire par application d’une loi autre que la loi désignée par la règle de conflit normalement applicable compte tenu de la nature du rapport de droit [30]. Francescakis constate alors que, pour justifier cette dérogation à la règle de conflit, les tribunaux ont eu recours aux notions de loi de police, telle que visée par l’article 3 alinéa 1er du Code civil, et de lois d’ordre public. L’auteur faisait immédiatement remarquer que l’ordre public jouait alors un rôle particulier, distinct du rôle usuel qui est le sien dans le cadre de l’exception d’ordre public [31]. Pour expliquer ce rôle, Francescakis s’est focalisé sur les lois en cause, en se demandant ce qui leur donnaient ce caractère d’ordre public, imposant leur application contre la loi désignée par la règle de conflit. Tentant finalement une synthèse, l’éminent auteur concluait que méritaient d’être qualifiées indifféremment de « lois de police ou de lois d’application immédiate » les lois « dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique du pays » [32] où elles sont en vigueur. Une telle formulation revenait à dire que, pour être une loi de police, la disposition examinée devait pour commencer interférer avec l’organisation politique, sociale ou économique de l’État, et qu’il fallait ensuite que le respect d’une telle disposition fût nécessaire à la sauvegarde de cette organisation.

1613. Le premier rang ainsi pris dans la définition des lois de police par l’idée d’interférence avec l’organisation politique, sociale ou économique du pays pouvait donner à penser qu’en règle générale, les simples règles de droit privé, dont l’applicabilité aux rapports internationaux forme l’objet du droit international privé, n’entrent pas dans la catégorie des lois de police. L’idée qu’une loi ayant pour objet le règlement d’une banale question de droit privé puisse être une loi de police aurait donc dû, dans cette optique, paraître sinon exclue, du moins d’illustration exceptionnelle. En même temps, la notion de sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique du pays était suffisamment souple pour que des lois de pur droit privé pussent sans trop d’artifice être rattachées à la catégorie des lois de police [33] : la nullité d’une clause inscrite dans un contrat de droit privé en violation d’une législation de police le visant pouvait être fulminée par ladite législation sans que le juge fût contraint de s’en tenir à la loi choisie par les parties. Si ce grand écart permis par la définition explique pour partie son succès, il dénote en contrepartie l’ambiguïté de la notion ainsi définie. Comme cela a justement été souligné [34], derrière toute loi de droit privé, se profile peu ou prou la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique du pays, de telle sorte que le critère fondé sur cette idée se révèle faiblement opérationnel et finalement décevant en raison de son manque de netteté. La qualification d’une loi donnée comme loi de police sur base du critère proposé par Francescakis s’avère finalement aléatoire. On comprend que les rédacteurs de la convention de Rome aient choisi de rester silencieux face à une telle définition lorsqu’il s’est agi pour eux de saisir le régime des lois de police en matière contractuelle.

1714. 2) La convention de Rome du 19 juin 1980 laissa place à une autre approche des lois de police, en s’abstenant de les définir en termes d’interférence avec l’organisation politique, sociale ou économique des États, et en se bornant à prévoir, dans son article 7, la possibilité d’en réserver l’application, le cas échéant contre la loi désignée par règle de conflit conventionnelle ordinaire, à certaines conditions [35]. L’approche était évidemment moins ambiguë, dans la mesure où elle ménageait une place franche à la loi d’un État non désignée par la règle de conflit sans exiger de l’observateur qu’il s’interrogeât sur d’éventuelles interférences de cette loi avec l’organisation du pays. À s’en tenir au texte de l’article 7, de simples règles de droit privé d’un État paraissaient pouvoir revêtir sans restriction de principe la qualification de loi de police, sous deux conditions cependant posées par le texte lui-même : il devait s’agir de dispositions impératives d’une part, et de dispositions imposant leur application alors même qu’elles ne seraient pas désignées par la règle de conflit de lois ordinaire d’autre part.

1815. Dans cette approche, l’accent est donc d’abord mis sur l’impérativité de la loi de police, que les auteurs vont dès lors tenter de distinguer de l’impérativité ordinaire des lois dont l’applicabilité dépend, quant à elles, de la seule règle de conflit. C’est dans ce cadre que, pour désigner autrement les lois de police, seront avancés des concepts comme ceux de « lois internationalement impératives » ou encore parfois de lois « super-impératives » (overriding mandatory rules).

19L’impérativité, même internationale, ne suffit d’ailleurs pas à cerner la notion de loi de police au sens de l’article 7 de la convention de Rome puisque ce texte mentionne aussi, pour une telle loi, l’exigence d’un rattachement dérogeant à la règle de conflit ordinaire de telle sorte que la disposition en question impose son application alors même qu’elle ne serait pas désignée par ladite règle de conflit.

2016. Impérativité de la disposition matérielle examinée et dérogation de son rattachement par rapport au règlement conflictuel ordinaire apparaissent dans cette optique comme les données essentielles caractérisant la loi de police [36], au point d’ailleurs qu’en vue de résoudre le problème de traduction, notamment en anglais, soulevé par l’expression « loi de police » [37], le législateur communautaire a, dans la version française du règlement Rome II [38], remplacé cette dernière dénomination par celle de « dispositions impératives dérogatoires » [39].

2117. Par rapport à la démarche suivie par Francescakis, l’approche adoptée tant par les auteurs de la convention de Rome que par ceux du règlement Rome II est nouvelle : elle laisse entendre que virtuellement toute loi de droit privé, dès lors qu’elle se veut à la fois matériellement impérative et conflictuellement dérogatoire, peut se voir qualifier par un État de « loi de police », sans considération d’objet. Or cette perspective se révèle quelque peu vertigineuse, en ce qu’elle apparaît bien comme de nature à ébranler, le cas échéant fatalement, l’uniformité de la solution du conflit de lois mise en place au sein de l’Union européenne à travers les règles de conflit conventionnelles ou réglementaires. En chaque État membre de l’Union européenne repose en effet le pouvoir de déroger unilatéralement, par édiction d’une règle volontairement posée comme matériellement impérative et conflictuellement dérogatoire, à la solution uniforme retenue par l’instrument européen pertinent. Ici encore, l’approche proposée pour cerner la notion de loi de police se révèle porteuse d’inconvénients justifiant l’exploration de nouvelles voies par la doctrine et la jurisprudence.

2218. 3) Alors qu’était en vigueur la convention de Rome [40], plusieurs pas jurisprudentiels ont été faits dans le sens d’une combinaison des deux approches susmentionnées pour mieux cerner la notion de loi de police. Dans un premier temps, la Cour de justice de l’Union européenne a fourni une définition des lois de police s’inspirant de façon évidente de celle avancée initialement par Francescakis, en décidant, au sujet de l’expression « loi de police et de sureté », qu’« il convient d’entendre cette expression comme visant des dispositions nationales dont l’observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique de l’État membre concerné, au point d’en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire national de cet État membre ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci » [41]. S’il faut souligner que la définition ainsi retenue n’a pas été formulée dans le cadre de l’interprétation de l’article 7 de la convention de Rome, mais dans celui de l’interprétation de l’article 3 du Code civil belge portant (comme le Code civil français) précisément sur l’application des lois de police et de sureté, il n’en reste pas moins que la doctrine a immédiatement perçu dans cette motivation un signal donné par la Cour européenne sur la conception qu’elle entendait se faire de la loi de police au sens de la convention de Rome. Ce concert doctrinal a lui-même obtenu récemment le renfort de la voix de la Cour de cassation française, laquelle, après avoir visé l’article 7 de la convention de Rome, définit la loi de police comme étant « une loi dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation quelle que soit la loi applicable » [42].

23La combinaison des approches, par recours cumulatif aux idées d’interférence de la disposition en cause avec l’organisation politique, sociale ou économique du pays, et de réglementation impérative dérogatoire par rapport à la loi compétente, est patente. Elle démontre à elle seule que les juridictions, nationales comme européenne, sentent bien l’insatisfaction déjà soulignée dans laquelle, prise séparément, chacune des approches combinées laisse l’interprète : point ne serait besoin de recourir cumulativement aux deux approches si l’une ou l’autre était jugée suffisante pour remplir sa tâche d’identifier les dispositions susceptibles d’intervenir dans la cause comme loi de police. La question reste pourtant ouverte de savoir si cette combinaison des approches suffit, à elle seule, à contourner les inconvénients propres à chacune d’elles.

2419. On exprimera de sérieux doutes sur ce point en raison du choix, auquel cette combinaison correspond, de cantonner la liberté qu’ont les États de déroger unilatéralement à la règle de conflit de lois uniforme à un domaine dont les limites exagérément imprécises ont déjà été dénoncées : celui des lois dont le respect est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique du pays. En reprenant ce critère, la jurisprudence répond certainement à la préoccupation de ne pas laisser les États se soustraire trop facilement au jeu des règles de conflit européennes uniformes, mais sa réponse demeure décevante faute d’une suffisante netteté de la frontière destinée à distinguer, parmi les règles de droit privé édictées par les États, entre celles dont la violation affecte l’organisation politique, sociale ou économique du pays et celles dont la violation laisse cette organisation intacte. La tentation est forte, à partir de ce constat, d’imputer aux imperfections de la démarche combinatoire, perçues finalement plus ou moins consciemment par le législateur européen, l’évolution apportée par le règlement Rome I dans l’approche désormais retenue de la notion de loi de police.

2520. 4) Comme on l’a déjà noté [43], le règlement Rome I ne voit plus essentiellement dans la loi de police une disposition dont la violation affecte l’organisation politique, sociale ou économique du pays ; il décide désormais que mérite cette qualification la « disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement ». Il y a dans ce texte à la fois une certaine continuité et un peu de rupture par rapport au droit antérieur. La continuité tient tout d’abord au maintien des caractères devant être présentés par la loi analysée pour pouvoir être dite « de police » : cette loi doit toujours présenter la double qualité d’être, dans l’esprit de son auteur, matériellement impérative et conflictuellement dérogatoire, comme le suggère la double référence faite par l’article 9 à l’« impérativité » de la disposition, d’une part, et à sa volonté d’application « quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement », d’autre part. Un autre élément de continuité tient à la référence maintenue dans le texte à l’idée de « sauvegarde » de « l’organisation politique, sociale ou économique du pays », expressions bien établies comme on le sait [44] dans le vocabulaire de la théorie des lois de police. Pourtant sur ce dernier point, on a déjà souligné [45] que la continuité n’est sans doute qu’un faux-semblant, car c’est dorénavant, aux termes mêmes de l’article 9, l’atteinte que porterait la violation de la disposition en cause aux « intérêts publics » du pays qui l’a édictée qui conditionne l’élévation de celle-ci au rang de loi de police. L’organisation politique, sociale ou économique du pays ne fait plus figure, dans la définition règlementaire nouvelle, que de simple exemple des intérêts publics susceptibles d’être ainsi affectés.

2621. Il faut d’ailleurs préciser que la solution de continuité apportée par l’article 9, § 1, ne tient pas uniquement à la substitution de l’intérêt public à l’organisation politique, sociale ou économique du pays, mais aussi au lien de cause à effet désormais établi entre le respect de l’intérêt public du pays et la dérogation à la règle de conflit. La simple conjoncture que la loi sur la qualification de laquelle on s’interroge soit une loi impérative dont la violation affecterait l’intérêt public, et que le facteur de rattachement retenu par la règle de conflit ne soit pas adapté à la situation visée ne suffit pas à en faire une loi de police : il faut en outre que l’inadaptation du facteur de rattachement résulte de ce qu’à s’en tenir à lui, l’intérêt public de l’État se trouverait altéré [46].

2722. Le débat se déplace en tout cas sur le terrain de la notion d’intérêt public, où il s’est déjà engagé âprement en doctrine. Il oppose désormais les tenants d’une conception étroite de l’intérêt public, favorable à la thèse selon laquelle une disposition de droit privé, protégeant essentiellement des intérêts privés, ne saurait en principe voir sa violation nuire à des intérêts publics de l’État [47], aux partisans d’une conception plus large, pour lesquels la violation de règles impératives protégeant des intérêts privés comme ceux d’une partie faible peut toujours être jugée affecter les intérêts publics de l’État l’ayant édictée [48]. Une fois de plus, le critère proposé manque de la précision suffisante pour que l’interprète puisse prévoir à coup sûr, face à une réglementation étatique impérative donnée, si elle appartient ou non à la catégorie des lois de police. La frustration suscitée par les tentatives de définition antérieures subsiste donc [49]

2823. Si la persistance de cette frustration apparaît finalement comme un trait commun aux différents essais de définition des lois de police, il ne s’agit pas du seul : tous se caractérisent par le silence qu’ils gardent sur la possibilité d’un rôle de la politique législative poursuivie par l’auteur de la disposition sur la nature de laquelle on s’interroge au stade de sa qualification comme loi de police. Or ce silence est intriguant car les liens entre lois de police et politiques législatives semblent bien, comme on va voir, loins d’être négligeables.

B. — La politique législative, une donnée clé dans la définition des lois de police

2924. Nous chercherons d’abord à préciser un peu les liens qu’entretiennent les notions de lois de police et de politique législative. Cette tâche accomplie, nous verrons comment la notion de loi de police qui en résulte s’articule avec la nouvelle donne européenne en matière de conflit de lois.

1. Les liens entre politique législative et loi de police

3025. S’il nous semble juste de soutenir ici que la politique législative constitue une donnée clé dans la définition des lois de police, c’est qu’à l’examen il apparaît que cette donnée a joué un rôle déterminant dans l’identification de la méthode de rattachement devant être mise en oeuvre en présence d’un tel type de lois, et qu’elle est encore aujourd’hui sous-jacente lorsqu’il s’agit d’en déterminer le champ d’application dans l’espace.

3126. Certes, nous venons de voir que d’une façon assez générale, la doctrine s’intéressant au phénomène des lois de police et aux conditions de leur applicabilité n’a guère insisté pour lors sur les liens existant entre cette catégorie de lois et les politiques législatives susceptibles d’être menées par les États dans le cadre de leur activité de réglementation des rapports de droit, notamment privé. Cette discrétion doctrinale n’est toutefois pas absolue et ne saurait être considérée comme le signe d’une absence de pertinence de l’intervention de la notion de politique législative dans le champ des lois de police. Bien au contraire, l’idée que la notion de politique législative interviendrait légitimement dans la description du phénomène des lois de police est clairement perceptible dans la doctrine, qui semble bien y adhérer, ne serait-ce qu’implicitement, et même parfois de façon plus expresse.

3227. Tout d’abord, on doit noter qu’alors même que les termes employés par les auteurs s’intéressant aux lois de police pour les décrire ne comprendraient pas littéralement celui de « politique législative », cette notion transparait incontestablement derrière le vocable effectivement retenu par eux. Pour commencer, le nom même de « loi de police » ne doit peut-être sa pérennité lexicale qu’au lien que la notion de « police » permet d’entretenir avec celle de « politique », lien encore renforcé en langue anglaise où la policy n’apparait précisément comme rien d’autre qu’une politique. Par ailleurs, nombreux sont les auteurs qui, après avoir rendu hommage à la définition des lois de police proposée par Francescakis en la mentionnant à l’occasion de leurs développements relatifs à cette notion, présentent en substance ce type de lois comme se caractérisant par une relation particulière entre la détermination de leur domaine d’application spatial et « leur teneur » [50], « leur but » [51], « leurs objectifs » [52], ces expressions pouvant d’ailleurs, chez certains auteurs, se combiner [53]. Il ne sera pas besoin de longs développements pour se convaincre que les références au « but » ou aux « objectifs » de la loi sur la nature de laquelle on s’interroge correspondent effectivement à un renvoi implicite à la politique juridique poursuivie par le législateur dans la disposition en cause : la loi qui s’inspire d’une certaine politique législative n’est en effet qu’un moyen utilisé par le législateur pour atteindre certains buts ou objectifs conformes à la politique législative en question et permettant sa réalisation [54]. Quant à la mention de la « teneur » de la loi, si l’on veut bien y voir une référence au contenu de la réponse apportée par la loi à la question de droit posée, on y trouvera aussi sans difficulté une affinité avec la politique législative, dans la mesure où cette politique législative est précisément orientée vers la production d’un certain résultat, que la réponse apportée par la loi tend effectivement à réaliser.

3328. En outre, il faut souligner que c’est parfois beaucoup plus expressément que la doctrine mentionne l’existence de relations entre lois de police et politique législative, alors même que l’affirmation ne ferait pas l’objet d’approfondissement. Ainsi, la mention de la « politique législative », ou plus brièvement, de la « politique poursuivie », parmi les données à la réalisation desquelles l’application de la loi de police contribuerait est faite textuellement – quand bien même ce serait « en passant » – dans plusieurs écrits de langue française [55]. De façon plus générale, dans son étude comparative sur l’ordre public et les lois d’application nécessaire [56], G. Goldstein met l’accent sur deux données qui contribuent bien, par leur combinaison, à montrer l’interdépendance des notions de loi de police et de politique législative : la façon, d’un côté, par laquelle la théorie américaine des intérêts gouvernementaux tente de fonder le rattachement déclenchant l’applicabilité de la loi à la situation en cause sur ce qu’exigent rationnellement les « politiques » poursuivies par les lois en présence ; et, de l’autre côté, les « similitudes » existant à cet égard entre la théorie des intérêts gouvernementaux aux États-Unis d’Amérique et celle des lois d’application nécessaire en Europe [57].

3429. La littérature juridique spécialisée n’est donc pas dépourvue de signes d’une interférence vraisemblable entre le phénomène des lois de police et la notion de politique législative. Ces signes constituent pour nous un encouragement à approfondir l’étude de cette corrélation pour en mesurer finalement la pertinence réelle. Un tel approfondissement nous permettra dans un premier temps de percevoir en effet que le principal besoin auquel répond la méthode des lois de police n’est autre que celui de prendre en compte les considérations d’efficacité de certaines politiques législatives au stade du choix de la loi applicable à un rapport de droit (a). Ce besoin, ressenti comme essentiel en présence d’une loi dite de police, apparaît à l’inverse comme relativement secondaire lorsqu’est en cause une loi ordinaire de droit privé (b).

a) Le besoin de prise en compte des considérations d’efficacité de la politique législative au stade du choix de la loi applicable en présence d’une loi de police

3530. Nous nous proposons de mettre en évidence ici de quelle manière la théorie classique des lois de police est porteuse d’un lien effectif entre les notions de loi de police et de politique juridique, à travers le besoin auquel répond le recours à cette théorie face à un rapport international de droit privé. Ce besoin n’est autre que celui qui assaille le juriste, en présence d’une loi de police, de prendre en compte des données tirées de l’efficacité de la politique législative poursuivie par cette loi dès le stade de la détermination du droit applicable à la situation examinée. Un tel besoin n’est pas seulement perceptible en théorie, où historiquement il peut se repérer dès l’identification du phénomène des lois de police (i) ; il se révèle aussi en pratique, et ce, que le rapport international de droit privé en cause soit un rapport contractuel ou non (ii).

3631. i) Comme on le sait [58], le couple « lois de police-ordre public » a été mis en lumière, en France, par Francescakis dans un contexte historique bien particulier dans lequel la jurisprudence se servait des notions de lois de police et de lois d’ordre public comme supports permettant à une loi donnée de « préempter » une question donnée, en reconnaissant que cette loi y est applicable, alors pourtant que la question en cause paraît bien appartenir à la catégorie de rattachement d’une règle de conflit qui désigne, pour les questions de cette catégorie, la loi d’un autre État. Francescakis soulignait justement qu’en ce cas ce n’est pas la contrariété de la loi désignée par la règle de conflit à l’ordre public du for qui conduit à appliquer la loi de police, mais que c’est l’ordre public tel que conçu par la loi de police qui impose l’application de cette dernière sans considération de la loi désignée par la règle de conflit [59]. Il est classique de noter que l’ordre public joue ici de façon tout à fait dérogatoire par rapport aux règles relatives à son intervention dans le cadre de l’exception d’ordre public, puisqu’il déclenche directement la compétence de la loi de police sans le jeu préalable de la règle de conflit [d’où le fait qu’on parle, avec Francescakis, de « loi d’application immédiate », et que certains évoquent à cet égard un « ordre public de rattachement » [60]], et non, comme dans l’exception d’ordre public, l’inapplicabilité de la loi désignée par la règle de conflit à raison d’un contenu conduisant à une solution inacceptable aux yeux du for, du fait de sa contrariété aux valeurs fondamentales et aux principes de justice de ce dernier [61].

3732. Le rôle ainsi identifié de l’ordre public dans l’application des lois de police est donc anormal par rapport aux canons de l’exception d’ordre public. Il n’est pas pour autant absolument illégitime, car il arrive que l’ordre public, au sens le plus littéral du terme, corresponde dans un secteur particulier au respect d’une politique publique [62], poursuivie par le législateur (c’est-à-dire somme toute de ce qui doit précisément être appelé une politique législative), et que ce respect implique, dans un cas présentant des liens pertinents avec la loi poursuivant ladite politique, que l’on déroge, au profit de cette loi, à la compétence de la loi désignée par la règle de conflit [63]. Un exemple souvent mentionné en doctrine à cet égard est celui des législations édictées par certains États dans le cadre d’une politique d’habitat et visant à réguler l’évolution des loyers stipulés dans les contrats de bail d’habitation [64]. La politique législative ainsi promue correspond à une certaine conception de l’ordre public (jugulation du désordre causé par l’exode vers les banlieues des populations aux revenus insuffisants pour supporter l’augmentation des loyers), dont le respect sera satisfait si les immeubles d’habitation auxquels la législation s’applique sont situés sur le sol de l’État légiférant en ce sens, alors même qu’en matière contractuelle, c’est la loi choisie par les parties qui est la loi normalement compétente selon la règle de conflit ordinaire. En adoptant cette politique législative, le législateur met alors en place, ne serait-ce qu’implicitement, un facteur de rattachement dérogatoire valable pour toutes les questions réglées par la loi qu’il édicte, et précisant les limites dans lesquelles il souhaite voir assurée la pleine efficacité de la politique législative en question. Dans l’exemple ici pris, la localisation de l’immeuble sur le sol de l’État auteur de la législation régulant l’habitat correspond au facteur de rattachement pertinent. Il est donc permis de dire, d’une façon générale, que le besoin auquel répondent la loi de police comme la loi d’ordre public, lorsque ces notions sont réunies par Francescakis sous la bannière des lois d’application immédiate, est assez clairement celui de soustraire une série de questions donnée à la règle de conflit (et non à la règle matérielle désignée par elle) de façon à assurer, par le choix judicieux du facteur de rattachement idoine pour cette série de questions, la pleine efficacité de la politique législative poursuivie par l’auteur des dispositions la mettant en oeuvre.

3833. On peut conclure en soulignant que, beaucoup plus que le contenu de la loi désignée par la règle de conflit, ce qui, dans un cas donné, gène l’auteur d’une loi de police lorsque cette dernière n’est pas désignée comme applicable par la règle de conflit ordinaire est donc le facteur de rattachement retenu par ladite règle de conflit, et ce dans la mesure où cette dernière prétend couvrir a priori la ou les questions réglées par la loi de police. Ce facteur de rattachement apparaît comme gênant car, à s’en tenir à lui, l’efficacité de la politique législative poursuivie par la loi de police serait plus ou moins sérieusement affectée. C’est cette considération d’efficacité de la politique législative poursuivie qui conduit finalement le législateur, ou dans son silence la jurisprudence, à retenir un facteur de rattachement dérogatoire et pertinent, de façon à imposer, dans les cas rattachés à la loi par ce facteur, une solution ressentie pour ces cas comme nécessaire par l’auteur de la loi ou par son interprète [65]. Cette vue des choses conduit non seulement à admettre l’existence d’un lien entre loi de police et politique législative, mais encore à placer ce lien au coeur de la notion de loi de police, cette catégorie de lois apparaissant en définitive comme recouvrant les règles dont le domaine spatial se détermine à partir de considérations tirées directement de l’efficacité de la politique législative qui les inspire [66]. On ne saurait mieux mettre l’accent sur le caractère essentiel, au sens propre du terme, de la relation ainsi établie entre loi de police et politique législative.

3934. ii) Pratiquement aussi, le mécanisme des lois de police se présente bien comme répondant à ce même besoin de faire jouer un rôle significatif aux considérations tirées de l’efficacité de la politique législative dans la réponse qui sera apportée finalement à la question de l’applicabilité d’une loi de police à une situation internationale donnée [67].

4035. Cela est tout d’abord aisément vérifiable dans le domaine des rapports contractuels. Nous avons déjà vu [68] que ce domaine est en effet particulièrement sensible au jeu des lois de police en raison de la particularité de la règle de conflit applicable en la matière : la loi d’autonomie, en permettant aux parties de choisir la loi applicable à leur contrat, porte en elle un potentiel d’évitement d’une politique législative poursuivie par la loi d’un autre pays réclamant légitimement se s’appliquer [69]. Sans le contrepoids des lois de police, ce potentiel se réaliserait chaque fois que la loi dudit pays, revendiquant son application pour le cas en cause, est évincée par les parties au moyen d’une clause de choix de la loi d’un autre État n’adoptant pas strictement la même politique. La méthode des lois de police permet à l’inverse de faire prévaloir les considérations d’efficacité de la politique législative poursuivie par les lois qui ressortissent à cette méthode de rattachement sur les considérations de sécurité juridique et de prévisibilité qui animent le principe d’autonomie pris comme règle de conflit.

4136. Avec l’arrêt Agintis[70], la jurisprudence française a donné récemment une illustration intéressante de la façon dont le mécanisme des lois de police permet à la Cour de cassation de protéger l’efficacité de la politique juridique poursuivie par le législateur français en face d’un contrat soumis par les parties à une loi étrangère [71]. Dans cette affaire un contrat de construction d’immeuble à usage industriel en France avait été conclu entre un maître de l’ouvrage français et un maître d’oeuvre allemand. Ce dernier avait sous-traité un lot auprès de la société de droit français Agintis. Une clause de choix de la loi allemande figurait au contrat de sous-traitance. La Cour de cassation a néanmoins admis l’applicabilité de la loi française, à titre de loi de police, à l’action du sous-traitant contre le maitre de l’ouvrage, « s’agissant de la construction d’un immeuble en France ». La pertinence, aux yeux de la cour régulatrice [72], de cette donnée comme élément localisateur se comprend à la lecture du rapport du conseiller rapporteur et de l’avis de l’avocat général sur la base desquels l’arrêt a été rendu [73]. Le rapporteur mentionne notamment « l’importance économique de la loi qui avait pour objectif d’éviter les faillites en cascade des sous-traitants ». Quant à l’avocat général, il justifie clairement l’application de la loi française « lorsque l’ouvrage est exécuté sur le territoire national » par le fait qu’« il s’agit de protéger le sous-traitant, mais pas seulement s’il est Français car il convient aussi d’établir les conditions d’une concurrence égale pour tous ». Il y a donc tout lieu de penser que le choix par la Cour de cassation du lieu de construction de l’immeuble en France comme facteur déclenchant l’applicabilité de la loi française est la résultante d’une analyse – si sommaire soit-elle – de la législation française en termes d’efficacité des politiques économiques d’assainissement de la concurrence et de protection des sous-traitants sur le marché français. Il est clair d’ailleurs que ces politiques auraient trop facilement pu être tenues en échec si les parties au contrat avaient été autorisées, par application de la règle de conflit ordinaire, à choisir une loi étrangère. L’affaire finalement montre bien que dans l’esprit de la Cour de cassation, le mécanisme des lois de police satisfait à un besoin de prise en compte des considérations tirées de l’efficacité des politiques législatives au stade de la détermination du droit applicable.

4237. On notera au passage que c’est sans doute parce que, dans le domaine des contrats, la loi de police tient en échec la volonté commune des parties (telle qu’elle s’est manifestée dans la clause de choix d’une autre loi) de l’évincer, que la doctrine anglophone, à la recherche d’une traduction de l’expression « loi de police », a opté pour la dénomination finalement retenue dans la version anglaise du règlement Rome I d’overriding mandatory rule. L’idée que tente de faire sentir ce choix terminologique est que les merely mandatory rules posées par la loi d’un pays donné peuvent être écartées par les parties dès lors que ces dernières décident de conclure une clause de choix de la loi désignant un autre droit comme lex contractus, alors que les overriding mandatory rules prévalent, au moins dans le pays qui les édicte, sur le choix par les parties d’une autre loi et s’imposent malgré l’existence d’une clause de choix de la loi ne les désignant pas comme applicables [74]. L’appellation ainsi retenue en anglais n’est pas de ce point de vue sans pertinence, les lois bénéficiant de cette étiquette se présentant dans le for qui les édicte, comme dotées d’une impérativité renforcée en raison de leur soustraction au principe d’autonomie normalement applicable aux contrats internationaux [75].

4338. Mais même lorsque la règle de conflit ne laisse pas de place à la volonté des parties pour le choix de la loi applicable, le facteur de rattachement qu’elle emploie peut apparaître comme inapte à assurer pratiquement l’efficacité de la politique législative poursuivie par l’auteur de la loi de police. La célèbre affaire Boll qui mettait en cause des questions de protection des mineurs en donne un excellent exemple [76]. On sait que la Cour internationale de justice a statué en ce sens que la loi suédoise sur l’éducation protectrice a pu être appliquée par la Suède à un mineur néerlandais résidant en Suède sans violation des engagements pris par la Suède à l’égard des Pays-Bas dans la convention de La Haye de 1902 sur la tutelle des mineurs, qui consacrait la nationalité du mineur comme facteur de rattachement en matière de tutelle. Les premiers commentateurs de cette décision ont souligné la parenté entre l’intervention de la loi suédoise et le mécanisme des lois de police [77]. En partant de cette affinité, il est intéressant d’analyser les motifs retenus par la Cour comme fournissant une justification à l’applicabilité de la loi suédoise, car ils mettent précisément l’accent sur ce qui peut être perçu comme l’identification d’une politique législative dont l’efficacité justifierait que la loi qui la poursuit ne voit pas son application subordonnée à sa désignation, comme loi nationale du mineur, par la règle de conflit posée par la convention de 1902. Cela ressort assez bien d’un des motifs retenus par la Cour, et selon lequel : « L’éducation protectrice contribue à la protection de l’enfant mais en même temps et surtout elle est destinée à protéger la société contre les dangers résultant de la mauvaise éducation, de l’hygiène défectueuse ou de la perversion morale de la jeunesse. La convention de 1902 a admis que la tutelle, pour atteindre son but de protection individuelle, a besoin d’être régie par la loi nationale du mineur ; pour atteindre le but de garantie sociale qui est le sien, la loi suédoise sur la protection de l’enfance et de la jeunesse a besoin de s’appliquer à toute la jeunesse vivant en Suède ». La motivation ainsi suivie par la Cour, avec sa référence au « but de garantie sociale » de la loi suédoise et les explications précisant pourquoi ce but était en cause, nous confirme bien qu’alors même que le conflit de lois ne mettrait en cause ni la matière contractuelle ni la loi d’autonomie, la dérogation à la règle de conflit au profit d’une loi de police peut être requise dans un souci de pleine efficacité de la politique législative poursuivie.

b) Le rôle secondaire de la politique législative en présence d’un problème d’applicabilité d’une loi ordinaire de droit privé

4439. Le rôle de la politique législative au stade de la détermination de la loi applicable à un rapport international de droit privé ne pourra être considéré comme caractéristique de la méthode des lois de police que si ce même rôle apparaît comme au mieux résolument secondaire lorsque les lois en conflit sont des lois ordinaires. Ainsi la confrontation entre les lois de police et les lois ordinaires, envisagées sous le rapport du rôle des considérations d’efficacité de la politique législative au stade de leur applicabilité respective dans un cas donné, s’impose. Après avoir vu la répartition des lois de droit privé entre lois de police et lois ordinaires permise par cette confrontation (i), nous répondrons à différentes objections qu’on pourrait encore vouloir lui opposer (ii), ce qui devrait confirmer les analyses proposées ci-dessus.

4540. (i) La caractérisation des lois de police par la prise en compte, au stade de la détermination de leur applicabilité, des considérations tirées de l’efficacité de la politique qu’elles mettent en oeuvre n’est acceptable que si l’on peut constater que ces mêmes considérations ne tiennent pas la même place dans la détermination de l’applicabilité des lois ordinaires. Il ne serait d’aucune utilité en effet de mettre en avant le rôle que joue la politique législative poursuivie par la loi de police dans la détermination de son champ d’application spatial si un même rôle était joué par la politique législative pour la détermination du champ d’application spatial des lois ordinaires de droit privé [78]. Il s’agira donc, par la confrontation de ces deux types de lois, de comprendre pourquoi la considération de l’efficacité de la politique poursuivie par le législateur, déterminante comme on l’a vu plus haut pour fixer la compétence d’une loi de police, apparaît comme plutôt dénuée de pertinence lorsqu’il s’agit de fixer la compétence des lois ordinaires de droit privé.

4641. Pour être bien compris, l’effacement de la politique législative au stade de l’applicabilité d’une loi ordinaire de droit privé nécessite un retour aux sources du droit international privé contemporain de l’Europe occidentale [79], c’est-à-dire au bilatéralisme savignien. D’après la doctrine de Savigny en effet, pour déterminer la loi applicable à un rapport de droit donné, il y a lieu de rechercher « le domaine du droit auquel ce rapport de droit appartient selon sa nature (où ce rapport de droit à son siège) » [80]. On peut préciser, sans trahir la pensée de Savigny puisque lui-même procède de la sorte [81], que la mission de la règle de conflit bilatérale est de localiser le rapport de droit dans le domaine d’une loi selon la nature de ce rapport et selon ses liens avec l’État auteur de ladite loi. Tel est le coeur de la doctrine de Savigny, ce que les internationalistes du XXe siècle européen dénommeront finalement la méthode savignienne, quitte à exploiter cette méthode en y apportant leurs propres ingrédients. En suivant la méthode savignienne, on part donc du principe que les données déterminantes pour l’identification de la loi applicable à un rapport de droit privé donné, ce sont la nature de ce rapport (la façon dont on le qualifie) et les liens qu’il entretient avec l’État auteur de la loi, mais non la politique législative poursuivie par ce dernier [82]. La contre-épreuve de l’affirmation se trouve dans cette donnée irréductible du bilatéralisme savignien qui veut que, désignée comme compétente par la règle de conflit bilatérale du for en raison des liens entre l’État qui l’édicte et la situation en cause, la loi étrangère ne voit pas son efficacité au for subordonnée à des considérations d’efficacité de la politique législative poursuivie par son auteur : sinon, il y aurait lieu de consulter cette politique et de rechercher le domaine que son efficacité réclame pour cette loi avant de se prononcer sur son applicabilité, ce qu’en principe [83] le bilatéralisme savignien évite précisément de faire. Dans un système de rattachement de type savignien par conséquent, la compétence d’une loi de droit privé résulte d’une recherche de l’auteur légitime de la loi en raison des liens entretenus par ce dernier avec la situation en cause, quelle que soit par ailleurs la politique législative qui l’inspire [84]. Tel est le sort réservé à la loi de droit privé ordinaire par la règle de conflit bilatérale savignienne. La démarche suivie dans la méthode des lois de police pour résoudre le conflit de lois est, comme cela a été vu plus haut [85], bien différente : elle consiste à partir de la loi sur l’application de laquelle on s’interroge et à se demander si l’application de cette loi au cas en cause est requise pour assurer sa pleine efficacité à la politique législative qu’elle met en oeuvre. On voit donc que, dans les systèmes de conflit de lois qui s’enracinent dans un terreau savignien tout en acceptant l’appoint offert par la méthode des lois de police, les considérations de politique législative sont en principe (c’est-à-dire d’une façon générale pour les lois de droit privé ordinaires) ignorées au stade de l’identification de la loi compétente, alors que ces mêmes considérations sont déterminantes pour les lois de police. Plus encore qu’essentiels [86], les liens entre politique législative et loi de police se révèlent consubstantiels.

4742. (ii) Il faudra alors s’en tenir à cette vue des choses, à moins que certaines objections ne puisse lui être opposées. On en écartera ici deux qui, pour être impressionnantes, ne restent pas pour autant sans réponse.

4843. – Une première objection tendrait à observer que l’opposition entre lois ordinaires de droit privé et lois de police ne peut résulter du caractère négligeable de la politique législative pour les premières et de son importance pour les secondes car cela reviendrait à prétendre que le droit privé est en principe insensible à la notion de politique législative, ce qui serait une simplification outrancière dans la mesure où toute loi de droit privé illustrerait, en fait, une certaine politique législative. Cette objection peut tout de suite être repoussée, au prix d’une clarification : il ne s’agit pas ici de dire que, contrairement aux lois de police, les lois ordinaires de droit privé ne poursuivent pas de politiques législatives. Sauf à taxer le législateur du plus pur arbitraire, il y a certainement dans les lois de droit privé les plus ordinaires la mise en oeuvre d’une certaine politique législative, toujours au moins inconsciemment voulue par l’auteur de la loi [87]. Simplement, bien des lois impératives poursuivent au plan interne des politiques législatives dont l’efficacité n’appelle pas nécessairement leur application à d’autres cas que ceux visés par la règle de conflit ordinaire [88] ; il n’y pas lieu en ce cas de les qualifier de loi de police, malgré l’existence incontestable de cette politique législative au service de laquelle elles ont été instituées. Ces lois apparaissent finalement moins regardées par le bilatéraliste savignien comme des instruments d’une politique législative dont il y aurait lieu de garantir la pleine efficacité dès le stade de la fixation de leur champ d’application dans l’espace, que comme des réponses possibles à des questions de droit, réponses dont l’efficacité dans un cas donné dépend essentiellement de la pertinence des liens que ce cas entretient avec leur auteur, sans considération de contenu [89]. Ce sont ces liens qui, compte tenu de la nature de la question de droit, justifient en principe le pouvoir reconnu par la règle de conflit à l’auteur de la loi d’apporter au cas en cause une réponse, quelle que soit d’ailleurs la teneur de cette dernière, et peu important la politique législative suivie pour la forger. Pour la loi ordinaire de droit privé, les considérations tirées de l’efficacité de la politique législative qu’elle poursuit s’estompent au stade de la prise de position quant à son applicabilité au cas devant lequel on se trouve.

4944. Les développements qui précèdent font sentir que toute la difficulté de la qualification d’une loi donnée comme étant « de police » ou « ordinaire » tient en définitive aux incertitudes qui peuvent se faire jour lorsqu’il s’agit de déterminer, pour la loi examinée, si l’efficacité de la politique poursuivie exerce bien une influence sur la fixation de son domaine spatial. On a parfois fait valoir qu’au cas où l’incertitude résisterait à l’examen, il faudrait conclure que la loi n’est pas une loi de police, le principe que les lois de droit privé ne sont pas normalement des lois de police n’étant alors pas renversé [90]. La démarche est bonne mais il demeure souhaitable de pouvoir s’appuyer sur des directives assez précises afin d’éviter autant que possible de maintenir, en la suivant, une vraie loi de police dans la catégorie des lois ordinaires. À cet égard on doit remarquer que toutes les politiques législatives concevables relatives à une situation donnée ne sont pas nécessairement interchangeables aux yeux de l’État législateur. Il est certes des cas où ce dernier ne se considère pas comme la seule source concevable pour la composition du régime juridique applicable au rapport de droit en cause, et, partant, de la politique législative qui inspirera ce régime. Dans ces cas, ce qui importe pour l’État qui examine le rapport, c’est que les parties soient soumises à une loi ayant des liens pertinents avec le litige, peu important [91] la politique juridique poursuivie par elle. Toutes les lois et les politiques qu’elles illustrent sont alors interchangeables et la règle de conflit peut être à la fois bilatérale et insensible au contenu des politiques législatives en conflit [92]. Dans d’autres cas au contraire, la politique juridique poursuivie par le législateur n’est pas du tout, à ses yeux, interchangeable avec les autres [93]. L’État législateur exige alors non simplement qu’en un cas donné une loi présentant des liens pertinents selon la règle de conflit soit applicable, mais, bien plus, que la loi qu’il édicte prévale sur les autres pour la situation en cause. Quand la France décide d’appliquer sa loi sur l’assistance éducative à un mineur en danger résidant en France [94], elle prend en charge par cette loi une question qu’elle ne veut voir traitée pour ce mineur par aucune loi étrangère car elle ne veut pas courir le risque, ni pour la société française, ni pour le mineur en cause, que les moyens mis par le législateur étranger au service de la finalité visée par la France (protection de l’hygiène, lutte contre la perversion morale, promotion d’une bonne éducation du mineur isolé) soient inadaptés, voire tout simplement moins efficaces que ceux qu’elle a retenus. De même quand le Ghana décide d’annuler les contrats visant à importer sur son sol des viandes en provenance de France pour des raisons de santé publique [95], il choisi de ne pas prendre le risque pour la société ghanéenne autant que pour l’acquéreur de la viande que les moyens employés par la lex contractus pour éviter une contamination ne se révèlent pas localement aussi efficaces que ceux qu’il a choisis. À l’inverse lorsque la France met en place un système impératif d’action directe au profit du transporteur tout en admettant que les parties ont la possibilité de le cantonner légalement [96], elle montre que la politique de protection du transporteur n’est à ses yeux qu’une politique possible parmi d’autres et qu’elle ne voit pas d’inconvénient à ce que les rapports de droits en la matière soient régis par la loi, le cas échéant étrangère, désignée par la règle de conflit bilatérale. Dans ce contexte on comprend que la qualification des lois visant à protéger la partie faible dans les contrats fasse difficulté [97]. Face à la loi française de protection des consommateurs s’engageant dans un rapport contractuel, on peut être enclin à mettre en avant les intérêts privés du consommateur et à se laisser convaincre que, pour cette protection, les lois des différents États sont interchangeables, dans la limite de l’ordre public international. Si nous sommes de notre côté réticent à raisonner ainsi, c’est qu’au-delà de la protection du consommateur, le droit de la consommation organise le marché du commerce de détail et qu’il paraitrait bien inconscient de la part de l’État d’abandonner, pour les contrats internationaux conclus par un consommateur résidant en France, cette organisation à un législateur étranger désigné le cas échéant par la règle de conflit. Voilà pourquoi on approuvera finalement la Cour de cassation d’avancer dans cette direction [98].

5045. – On pourrait encore être tenté – seconde objection – de repousser la distinction ainsi faite entre loi de police et loi ordinaire en faisant valoir que si elle était valable, elle s’imposerait comme un préalable méthodologique à toute solution de conflit de lois : la méthode de détermination de la compétence législative variant du tout au tout selon qu’on est en présence d’une loi ordinaire ou d’une loi de police, la classification d’une loi dans l’une des deux catégories s’imposerait systématiquement avant de mettre en oeuvre la règle de conflit de lois, de façon à s’assurer que la difficulté soulevée par le cas ressortit bien à la méthode bilatérale savignienne et non à celle des lois de police. Or il est clair que la pratique n’est pas en ce sens, le besoin n’étant habituellement pas ressenti par la personne en quête de la solution d’un conflit de lois (et notamment par le juge) de commencer par s’interroger avant toute chose sur le point de savoir si la réponse à la question de conflit de lois doit se faire selon la méthode des lois de police ou selon la méthode savignienne. Faut-il pour autant en conclure que le droit positif montrerait que la distinction entre les deux types de règles serait inexacte ?

5146. Malgré les apparences, une réponse négative nous paraît devoir être apportée à cette question. En effet, le credo du bilatéralisme est qu’en principe, les lois de droit privé sont des lois ordinaires, et donc qu’en principe une prise de position sur l’applicabilité de l’une d’elles dans un cas ne nécessite pas une analyse en termes de politique juridique poursuivie par les lois en présence [99]. Celle d’entre ces lois qui sera finalement estimée compétente pour le cas en cause ne sera appelée à jouer ce rôle que pour les rapports de droit présentant, en raison de leur nature, un lien pertinent avec son auteur. On comprend alors que ce ne serait que si, pour la situation ainsi localisée dans le domaine d’une loi, intervenait une autre loi prétendant quand même la régir, et ce afin de parfaire l’efficacité de la politique législative qu’elle met en oeuvre, qu’il y aurait lieu de faire intervenir en pratique la méthode des lois de police [100]. Point n’est donc besoin [101], dans une optique bilatérale savignienne classique, de poser d’entrée de jeu la question de la nature de la loi (ordinaire ou de police) sur l’application de laquelle on s’interroge ; cette question peut tout aussi bien ne surgir pratiquement qu’une fois la règle de conflit bilatérale savignienne appliquée, et à supposer que la loi désignée par cette règle voit sa compétence effectivement défiée par une loi de police. C’est alors seulement que le besoin peut se faire sentir de s’interroger sur le point de savoir si la disposition non désignée par la règle de conflit est ou non une loi de police, et le cas échéant si les conditions d’applicabilité de cette loi de police au for sont réunies. C’est donc bien en définitive sans difficulté que l’examen de la question de l’éventuelle interférence d’une loi de police peut être en pratique retardé à un stade postérieur à la mise en oeuvre de la règle de conflit bilatérale classique.

5247. C’est pourquoi nous conclurons que les relations entre loi de police et politique législative sont consubstantielles, et que la loi de police se définit, dans un système bilatéral savignien, comme une loi dont le champ d’application dans l’espace se détermine sur la base de considérations tirées de l’efficacité de la politique législative qu’elle met en oeuvre. Reste à fixer la façon dont cette définition s’articule avec les règles du droit international privé de l’Union européenne.

2. L’articulation avec le droit international privé européen

5348. La définition proposée des lois de police paraît devoir s’articuler sans trop de difficultés avec les règlements de droit international privé européen qui prévoient l’interférence possible de lois de police avec la règle de conflit de lois uniforme qu’ils mettent en place, c’est-à-dire pratiquement [102] avec le règlement Rome I de 2008 et avec le règlement Rome II de 2007.

a) Obligations contractuelles (règlement Rome I, art. 9)

5449. Il peut paraître vain de soutenir aujourd’hui que la politique législative est au coeur de la notion de loi de police alors que cette même politique législative est de façon flagrante absente de la première définition législative des lois de police dont nous disposons depuis peu grâce à l’article 9 du règlement Rome I. En faveur malgré tout du maintien de la démarche ici proposée, on notera d’abord qu’elle reste en harmonie avec celle suivie par le règlement Rome I lui-même. Comme celle de l’article 9, la définition proposée insiste sur le lien de cause à effet entre le respect de l’objectif poursuivi par la loi et la fixation du domaine de celle-ci par dérogation à la règle de conflit [103]. On ajoutera qu’en revanche, contrairement à l’option retenue par l’article 9, la formulation de la définition des lois de police en termes d’efficacité des politiques législatives a le mérite d’éviter le recours à la notion d’intérêt public, trop ambiguë à elle seule [104], tout en en respectant le programme. Nous avons en effet vu plus haut [105] qu’en mettant en avant la notion d’intérêt public dans leur définition des lois de police, les rédacteurs du règlement Rome I ont semé un certain trouble puisqu’un premier courant d’auteurs en a déduit une conception très restrictive de la notion de lois de police en droit européen des contrats internationaux, excluant que cette notion soit en cause lorsque la loi examinée vise à « préserver ou à rétablir l’équilibre entre parties au contrat » [106], tandis qu’un second courant estime que la référence aux intérêts publics du pays n’exclut pas que des règles visant à protéger la partie faible puissent être qualifiées de loi de police sur la base de l’article 9.

5550. Le débat peut aisément être clos – au profit du second courant – en faisant remarquer que l’intérêt public d’un pays est toujours en cause quand la question de l’applicabilité de la loi de ce pays dans le cas examiné influe sur l’efficacité d’une politique législative poursuivie par ce pays [107]. On a d’ailleurs justement souligné [108] que la jurisprudence de la Cour européenne de justice [109] a déjà eu l’occasion de reconnaître, dès avant l’entrée en vigueur du règlement Rome I, que l’intérêt public était en cause en face de normes protectrices d’une partie faible, démontrant par-là qu’alors même que le bénéficiaire de la protection instaurée par la norme serait une personne privée, l’auteur de la norme peut bien avoir un intérêt public à la voir respectée. Il est par conséquent cohérent de soutenir que, dans le cadre du règlement Rome I, en présence d’une loi de police au sens ici proposé – c’est-à-dire d’une loi dont le domaine d’application dans l’espace se délimite sur la base de considérations tirées de l’efficacité de la politique législative qu’elle poursuit – l’intérêt public du pays auteur d’une telle loi est nécessairement en cause lorsqu’il s’agit de prendre position sur l’applicabilité de ladite loi, pour la simple raison que refuser de l’appliquer à un cas qu’elle vise reviendrait à affecter directement l’efficacité de la politique publique de l’État, c’est-à-dire, en dernière analyse, l’intérêt public de ce dernier tel qu’il le conçoit.

56Il n’y a donc qu’avantage à mettre la politique législative au centre de la notion de loi de police en toute conformité avec la définition européenne de cette notion telle qu’arrêtée, dans le cadre de la réglementation des conflits de lois en matière de contrats, par l’article 9 du règlement Rome I. Qu’en est-il du règlement Rome II ?

b) Obligations extracontractuelles (règlement Rome II, art. 16)

5751. Nous avons vu [110] que le règlement Rome II, sans abandonner la notion de loi de police, a choisi de la débaptiser, dans sa version française, en lui préférant la dénomination de « disposition impérative dérogatoire ». Il invite ainsi l’interprète placé devant une disposition légale non désignée par la règle de conflit, et dont il est prétendu qu’elle serait néanmoins applicable, à se demander si la disposition en question est impérative pour son auteur d’une part, et si ce dernier, en l’édictant, a souhaité déroger à l’applicabilité de la loi désignée par la règle de conflit d’autre part. Il est notable qu’aucune indication n’est donnée par le règlement quant aux motifs qui peuvent être avancés par le législateur national pour revendiquer une telle dérogation. Ce silence ne signifie évidemment pas que le législateur national reste libre de qualifier toutes ses lois de droit privé en matière d’obligations non contractuelles de « lois impératives dérogatoires », car alors l’uniformisation recherchée par le règlement volerait en éclat [111]. On doit noter d’ailleurs que, dans le cadre de l’application de la convention de Rome qui s’inspire de la même philosophie que celle du règlement Rome II dans son approche de la notion de loi de police [112], le besoin de fixer des limites aux cas dans lesquels le législateur national a la faculté de faire de la disposition qu’il édicte une loi de police a été ressenti par la jurisprudence française, qui ne se contente pas de vérifier si la loi invoquée est matériellement impérative et conflictuellement dérogatoire dans l’esprit de son auteur lorsqu’il s’agit de s’assurer que cette loi mérite bien la qualification de loi de police [113].

5852. Reste alors à savoir où placer exactement les limites de la qualification dans le cadre de l’interprétation de l’article 16 du règlement Rome II [114]. Maintenant que le règlement Rome I est en vigueur, l’harmonisation souhaitable de la notion de loi de police employée par chacun de ces textes pousse à retenir sur ce point pour le règlement Rome II une solution cohérente par rapport à celle proposée pour le règlement Rome I. Il faut donc espérer que, dans le cadre de l’application de l’article 16 du règlement Rome II, les jurisprudences communautaires et nationales s’accorderont à n’admettre, en matière extracontractuelle, la désignation de la loi par le jeu de la méthode des lois de police que dans les hypothèses délimitées par l’article 9 du règlement Rome I, c’est-à-dire, au sens de ce texte, chaque fois que l’on se trouve devant une « disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics […] au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat » [115]. Cela permettrait ainsi de maintenir l’intégrité de la notion de loi de police et de respecter sa cohérence interne en laissant, dans le cadre de l’article 16 du règlement Rome II, le législateur national fixer lui-même, en prenant appui sur des données relatives à l’efficacité de la politique législative qu’il poursuit, le domaine d’application dans l’espace de ses « dispositions impératives dérogatoires » (lois de police). En effet, comme en matière de contrat, il faut admettre qu’il y a toujours un intérêt public pour l’État à voir respecter la politique législative qu’il mène dans le domaine des obligations extracontractuelles dans les cas requis par la pleine efficacité de cette politique, et alors même que ces cas ne seraient pas ceux retenus par la règle de conflit comme déclenchant l’applicabilité de sa loi.

59Centrale, finalement, dans la définition des lois de police, la politique législative est par ailleurs appelée, comme on va voir maintenant, à jouer un rôle nuancé dans la composition de leur régime.

II. — La place de la politique législative dans le régime des lois de police

6053. Il est confirmé maintenant que la politique juridique poursuivie par le législateur à travers une loi de police joue un rôle essentiel dans la définition de la catégorie juridique constituée par lesdites lois. La question qui se pose désormais est celle de la place assignée aux considérations d’efficacité de la politique législative dans le régime juridique réservé à ces lois en droit international privé. Ce régime ne concerne pas seulement le domaine du conflit de lois, même si c’est la question de l’applicabilité, au for, d’une loi de police, du for ou étrangère, à une situation soulevant un conflit de lois qui a surtout retenu l’attention de la doctrine lorsqu’elle s’est interrogée sur le sort à réserver, dans un for donné, à ce type de dispositions (A). En réalité, le régime juridique des lois de police soulève aussi de sérieuses difficultés en droit des conflits de juridictions, car l’efficacité de ces lois, et celle des politiques législatives qui les sous-tendent, peuvent être indirectement affectées tant par des règles de compétence internationale des tribunaux que par les règles sur les effets internationaux des jugements. Pour un for donné, admettre une compétence juridictionnelle étrangère ou une compétence arbitrale dans un cas où sa propre loi de police revendique d’être appliquée peut conduire à une altération des résultats de la politique législative poursuivie en raison du refus d’application de ladite loi par le for étranger ou arbitral, ou encore de la fausse application ou fausse interprétation toujours possible de la loi par le for en question. La question se pose alors de savoir si les considérations d’efficacité de la politique législative doivent interférer avec d’autres, voire prévaloir, au moment de forger la réponse aux questions de conflit de juridictions (B).

A. — L’efficacité de la politique législative poursuivie par une loi de police et le droit des conflits de lois

6154. En droit des conflits de lois, les considérations tirées de l’efficacité de la politique législative mise en oeuvre par une loi de police jouent un plus grand rôle dans l’applicabilité de cette dernière lorsqu’il s’agit d’une loi de police du for, que lorsque c’est une loi de police étrangère.

1. Loi de police du for

6255. Il n’est guère contesté que le juge d’un for donné doit appliquer les lois de police de ce for lorsque celles-ci entendent couvrir effectivement la situation litigieuse dont il est saisi [116]. Cette solution est cependant de nos jours plus souvent affirmée que justifiée. Si selon nous elle mérite d’être retenue – pour des raisons autres qu’intuitives – c’est précisément par ce qu’il y va de l’efficacité de la politique législative poursuivie par la loi du for. Cette loi, en faisant de l’efficacité de la politique qu’elle met en oeuvre une donnée qui détermine son applicabilité à un cas, impose au juge du for la mise à l’écart de la règle de conflit ordinaire dans la mesure où cette dernière, en désignant une autre loi, saperait plus ou moins cette politique législative [117]. Elle impose aussi la substitution de la loi de police à la loi désignée par la règle de conflit ainsi mise à l’écart. Certes, ce faisant, le juge du for sacrifie la règle de conflit ordinaire en vigueur au for, en refusant d’appliquer la loi étrangère dans tous les cas où elle est désignée. Mais ce sacrifice est justement imposé par le législateur du for auteur de la loi de police, qu’il édicte en l’affectant, au moins implicitement, d’une règle dérogatoire d’applicabilité [118] liant le juge du for de telle sorte que ce dernier, au lieu de violer la règle de conflit ordinaire en l’écartant, doit être considéré comme refusant à juste titre, conformément à la maxime specialia generalibus derogant, d’appliquer la règle générale (règle de conflit ordinaire) au profit de la règle spéciale qui y déroge (loi de police affectée d’un champ d’application spécifique) [119]. Insistant sur la légitimité d’une telle démarche du juge, certains législateurs nationaux ont expressément invité ce dernier à faire prévaloir une loi de police du for sur le droit désigné par la règle de conflit ordinaire [120].

6356. Il est vrai que cette présentation, valable lorsque la règle de conflit ordinaire trouve sa source dans l’ordre interne, fait plus difficulté lorsqu’elle a une origine supra-étatique. Un législateur national qui, par exemple, imposerait à son juge l’application de sa loi de police en présence d’une règle de conflit issue d’une convention internationale ne porterait-il pas atteinte aux engagements internationaux que son État a pris en ratifiant la convention en cause ? La question n’est autre que celle qui a été tranchée par la Cour internationale de justice dans l’affaire Boll[121]. En décidant que la Suède n’a pas violé la convention de La Haye en matière de tutelle des mineurs posant la règle de conflit ordinaire en matière de protection des incapables, la Cour laisse entendre que l’uniformisation conventionnelle de la règle de conflit ordinaire ne porte pas atteinte aux pouvoirs des États parties à la convention de mettre en oeuvre des politiques législatives spécifiques couvrant des questions particulières et d’exiger de leurs juges que les lois édictées dans le cadre d’une de ces politiques législative soient respectées par eux. L’unification conventionnelle des règles de conflit de lois ordinaires ne couvre donc que les conflits entre lois ordinaires de droit privé, non les questions d’applicabilité des lois de police qui demeurent soumises au particularisme [122]. La solution dégagée par l’arrêt Boll est aujourd’hui expressément consacrée par plusieurs instruments uniformisant à un plan supranational les règles de conflit de lois. Il en va ainsi en Europe de la convention de Rome, dont l’article 7, § 2, admet que le pouvoir d’un État partie d’édicter une loi de police, dont l’applicabilité dans un cas donné se présentant devant le juge du for dérogerait à la règle de conflit européenne uniforme, demeure intact, et des règlements Rome I et Rome II, dont les articles 9 et 16 aboutissent respectivement à la même solution. Au plan international, on mentionnera plusieurs conventions de La Haye conclues à partir de 1978 [123], ainsi que les travaux actuels menés, dans le cadre de la Conférence de La Haye, en vue de l’élaboration d’un instrument non contraignant relatif au choix de la loi applicable en matière de contrats internationaux [124].

6457. Il faut souligner qu’une fois qu’il a déterminé le rayon d’action requis pour la pleine efficacité de la politique juridique poursuivie [125] et qu’il a constaté l’insertion de la situation à l’intérieur du champ ainsi couvert, le juge du for n’a plus rien d’autre à faire qu’à appliquer la loi de police du for à la situation en cause [126]. Contrairement à ce qui se passe en présence d’une loi de police étrangère [127], il ne doit s’interroger ni sur la légitimité de la revendication de compétence législative pour le cas en cause par l’auteur de la loi de police [128], ni sur la légitimité de la politique législative elle-même, ou du résultat auquel conduit son respect au cas d’espèce [129]. C’est pourquoi l’on peut dire qu’en présence d’une loi de police du for, les données tirées de l’efficacité de la politique législative mise en oeuvre par la loi de police bénéficient d’un monopole au stade de la détermination de son applicabilité par le juge.

2. Loi de police étrangère

6558. S’il n’est plus de mise aujourd’hui d’exprimer un ostracisme de principe à l’égard de l’application des lois de police étrangères [130], au point que l’hypothèse de leur application n’est plus seulement envisagée comme possible par la loi [131] ou évoquée abstraitement par les juges [132] mais qu’elle se réalise bel et bien en pratique [133], il semble acquis que le régime de l’applicabilité des lois de police étrangères ne s’aligne purement et simplement sur celui des lois de police du for. De fait, les raisons pour lesquelles, en face d’une loi de police du for, le juge du for est lié par la volonté d’application de la disposition en cause au point d’écarter la règle de conflit de lois (et subséquemment la règle substantielle étrangère qu’elle désigne) ne se retrouvent pas lorsque la loi de police est étrangère. C’est que le juge du for n’est pas a priori soumis au législateur étranger [134] et n’a pas de raison d’accepter mécaniquement, sur la base du seul critère du respect de l’efficacité de la politique législative mise en oeuvre par ce législateur, tant la revendication de compétence législative à laquelle correspond l’édiction d’une telle loi visant le cas dont le juge est saisi, que les solutions auxquelles aboutissent au cas d’espèce l’application de ladite loi. À bien y regarder, contrairement à ce qui se passe pour la loi de police du for, l’efficacité de la loi de police étrangère au for ne va pas de soi pour plusieurs raisons.

6659. – D’abord parce que le juge qui la concèderait, concèderait en même temps une exception à la règle de conflit de lois ordinaire, règle émanant de l’ordre juridique au nom duquel il statue, et qui ne saurait être écartée sur la seule base d’une exigence posée par un ordre juridique étranger. À supposer qu’il vienne d’un État étranger, l’ordre d’écarter la règle de conflit ordinaire en vigueur au for ne s’imposerait évidemment pas au juge du for, sauf si un mécanisme juridique en vigueur au for le prévoit – toute la question étant alors de savoir à quelles conditions admettre, dans le cadre d’un tel mécanisme, l’efficacité au for de la politique promue par le législateur étranger à travers sa législation de police.

6760. – Ensuite parce qu’il y aurait beaucoup d’inconscience pour un État à juger légitime la revendication de compétence législative opérée par l’État étranger sur le cas dont le juge du for est saisi par cela seul qu’elle serait formulée unilatéralement par ledit État étranger et qu’elle permettrait à ce dernier d’atteindre les objectifs fixés par la politique législative qu’il a choisi de promouvoir. Il arrive en effet que, pour accroître l’efficacité de cette politique juridique, l’État étranger décide de lui assigner un rayon d’action démesuré, visant des situations ne présentant avec lui, somme toute, que des relations relativement lâches, voire sans consistance réelle [135]. Le juge du for doit alors pouvoir garder la maîtrise de la loi de police étrangère, et refuser d’en tenir compte lorsque le lien de l’État qui l’a édictée et de la situation visée est décidément trop distendu eu égard à la mesure prise.

6861. – Enfin parce que, de même que la loi étrangère ordinaire de droit privé désignée par la règle de conflit savignienne est susceptible de consacrer des solutions de fond inadmissibles aux yeux du for et peut en ce cas être privée d’effet à travers l’exception d’ordre public, de même, la loi de police étrangère revendiquant sa compétence dans un cas jugé au for, risque – à supposer même que cette revendication de compétence soit estimée raisonnable par le for compte tenu de la pertinence des contacts existant entre la loi de police et la situation – de consacrer une solution sur le fond inadmissible au for. Des législations étrangères édictées par exemple dans le cadre de politiques législatives discriminatoires doivent pouvoir être en ce cas bloquées à la frontière [136]. En ce cas, on doit donc même noter que la loi de police étrangère est privée d’effet au for sur la base de considérations tirées de l’inefficacité, requise par l’ordre public du for, de la politique législative étrangère jugée inacceptable par ce dernier.

6962. Ces données justifient finalement que d’une façon générale le juge saisi ne soit admis par son for, en présence d’une loi de police étrangère, à déroger à la règle de conflit savignienne (et, par suite, à la compétence de la loi qu’elle désigne) qu’à titre exceptionnel et à tout le moins à la double condition que le lien retenu par le législateur étranger comme devant exister entre une situation et l’État au nom duquel il légifère pour déclencher l’applicabilité de la loi édictée à la situation en cause se révèle pertinent aux yeux du for, et que le contenu de la politique législative suivie par la loi demeure compatible avec les valeurs et exigences du for telles qu’elles se formulent dans son ordre public international [137]. Telle est d’ailleurs l’orientation générale adoptée par le droit européen des conflits de lois [138].

7063. Il est intéressant de noter tout d’abord que la position de la convention de Rome sur la question de l’efficacité des lois de police étrangères correspond assez bien à cette approche, puisque l’article 7, § 1, exige, pour que le juge du for puisse, en appliquant une loi de police étrangère n’appartenant pas à la lex contractus, porter atteinte à la solution du conflit de lois telle qu’elle résulte des règles de conflit uniformes conventionnelles, d’une part qu’un lien étroit existe entre les dispositions de police étrangères et la situation qu’elles visent, et d’autre part que rien dans « leur nature », dans « leur objet » ou dans les « conséquences qui découleraient de leur application ou de leur non-application » ne s’oppose aux yeux du for à leur prise en compte en son sein. La première exigence apparaît bien comme relative à la pertinence aux yeux du for, des liens existant entre la loi de police et la situation qu’elle vise, tandis que la seconde permet au for de s’assurer que son ordre public ne sera pas affecté par l’application au cas d’espèce de la loi de police étrangère.

7164. Quid du règlement Rome I ? Son article 9, § 3, introduit une innovation qui semble en retrait par rapport au régime d’efficacité des lois de police étrangères précédemment posé par la convention de Rome à son article 7, § 1. Alors que ce dernier autorisait le juge du for à appliquer une loi de police étrangère revendiquant son application au cas en cause, sous condition de pertinence du lien et d’acceptabilité du résultat, l’article 9 paraît être plus restrictif en ne visant que l’hypothèse de la loi de police en vigueur au lieu d’exécution du contrat, et en n’envisageant son applicabilité que dans le cas où la loi en question rendrait l’exécution du contrat illégale, le tout sous réserve au surplus du franchissement par cette loi d’un test opéré par le juge et relatif à sa nature, à son objet et aux conséquences de son application ou de sa non-application au cas en cause [139].

7265. Faut-il voir dans cette nouvelle règle la formulation d’un principe d’inapplicabilité des lois de police étrangères, ces dernières n’étant admises à produire effet au for au détriment de la lex contractus que dans des situations limitativement et restrictivement énumérées par l’article 9, § 3, du règlement Rome I ? Une réponse positive sera sans doute avancée par ceux qui relèveront que la solution ici retenue s’inspire fortement de l’état du droit positif anglais [140] antérieurement en vigueur en matière de contrats internationaux, tel qu’il avait pu être fixé notamment par le précédent Ralli Bros v. Compania Naviera Sota Y Aznar[141]. Dans cette affaire, une loi espagnole de police est admise à s’appliquer comme loi du lieu d’exécution du contrat annulant partiellement ce dernier, alors que la lex contractus était la loi anglaise. La « réception » de la solution anglaise consentie par le règlement Rome I à son article 9, § 3, s’expliquerait par la crainte de voir le domaine territorial de la nouvelle réglementation européenne amputé du Royaume-Uni, ce dernier menaçant de ne pas opter pour l’adhésion au règlement conformément aux prérogatives lui appartenant en vertu des traités européens [142], dans l’hypothèse où le règlement se montrerait sensiblement plus accueillant des lois de police étrangères que ne le faisait jusqu’alors le droit anglais [143].

7366. Il faut pourtant reconnaître qu’à la supposer retenue par le règlement Rome I, la solution ne serait pas des meilleures puisqu’elle empêcherait le for contractuel de tenir compte de lois de police étrangères ne remplissant pas les critères de l’article 9, § 3, alors pourtant que leur titre à intervenir sur le contrat en cause en raison des liens qu’elles entretiennent avec lui serait parfaitement légitime et que la solution qu’elles y apporteraient ne paraîtrait pas, par son contenu, inadmissible au cas d’espèce. L’affaire Regazzoni v. KC Sethia (1944) Ltd[144] montre d’ailleurs les artifices auxquels les juges anglais ont dû avoir recours pour contourner les inconvénients qu’il y avait à ne pas pouvoir tenir compte de la loi de police d’un pays autre que celui d’exécution du contrat : il leur a fallu avoir recours à l’ordre public anglais pour justifier l’impossibilité dans laquelle ils étaient de valider un contrat heurtant la loi de police d’un friendly foreign state[145]. On n’insistera pas longtemps ici sur les complications imposées par ce recours. S’il s’agit de dire que la loi anglaise privant d’efficacité en Angleterre un contrat violant la loi prohibitive d’un friendly foreign state est une loi de police [146], cela revient à créer une loi de police du for pour rendre efficace la loi de police étrangère ne remplissant pas les conditions posées par la jurisprudence à cette fin ; on peut trouver la solution byzantine… S’il s’agit d’affirmer que l’ordre public anglais (tel que protégé aujourd’hui par l’article 21 du règlement Rome I) s’oppose à ce qu’un contrat mette en danger les relations entre l’Angleterre et un friendly foreign state[147], cela revient à faire jouer l’exception d’ordre public contre la loi du for applicable au contrat, alors que cet outil est au départ réservé à l’éviction de la loi étrangère [148] ; on sombre alors dans le contre-nature… Faudra-t-il, sous l’empire du règlement Rome I, procéder à de semblables contorsions en présence d’une loi de police étrangère autre que celle du lieu d’exécution du contrat ? Au recours à pareils artifices [149], nous préférerions une solution plus saine par sa cohérence [150].

7467. Une telle solution n’est sans doute pas hors de portée, si l’on veut bien remarquer que l’article 9 du règlement Rome I, à son paragraphe 3, ne précise nullement qu’en ce qui concerne les lois de police étrangères, le juge du for ne peut déroger à l’application de la loi désignée par la règle de conflit posée par le règlement que si la loi de police remplit les conditions énumérées par ce texte [151]. La formulation retenue par le texte concernant les cas d’application des lois de police de l’État du lieu d’exécution du contrat est purement énonciative, et peut donc être lue comme n’étant pas exclusive d’autres cas possibles d’application des lois de police étrangères en vigueur dans d’autres États [152]. Il est, si l’on accepte de lire la disposition en ce sens, permis d’estimer qu’en ne disposant expressément qu’à l’égard des lois de police en vigueur au lieu d’exécution du contrat, l’article 9, § 3, du règlement Rome I crée un vacuum legis sur la question, qui reste alors ouverte, du sort des lois de police étrangères en provenance d’autres États [153]. Ce vacuum legis doit se combler naturellement par recours au droit commun des lois de police tel qu’il résulte de la jurisprudence Boll[154] : en unifiant la règle de conflit de lois ordinaire tout en ne restreignant l’application des lois de police que pour les lois de police étrangère du lieu d’exécution, L’Union européenne n’a pas entendu porter atteinte aux prérogatives des États de poursuivre, dans les matières couvertes, des politiques législatives qui leur conviennent au travers de lois de police, et de fixer eux-mêmes le champ d’application de ces dernières [155]. Ne porterait donc pas atteinte au règlement un État qui, pour des raisons qui lui sont propres (et qui pourraient notamment tenir à un souci de préserver l’efficacité de la politique législative poursuivie par la règle de police étrangère), donnerait dans un cas donné la préférence à une loi de police étrangère autre que celle de l’État du lieu d’exécution, au détriment de la lex contractus. À tout prendre, une solution ainsi constructive nous paraît préférable aux artifices auxquels le juge anglais a été contraint de recourir dans la jurisprudence Regazzoni pour se soustraire aux inconvénients de la jurisprudence Ralli Bros.

7568. Dans le domaine des obligations extracontractuelles, l’application des lois de police étrangères n’est quant à elle pas du tout prévue par le règlement Rome II. On peut se demander si l’article 16 de ce texte, en n’envisageant que l’application des lois de police du for, retient que le juge d’un État membre de l’Union européenne est lié par la règle de conflit ordinaire posée par les articles 4 et suivants, et qu’il ne saurait par conséquent tenir compte d’une loi de police étrangère lorsqu’elle n’est pas désignée par la règle de conflit en question comme applicable au cas dont il est saisi [156], ou bien s’il y a lieu de transposer en ce domaine le raisonnement suivi ci-dessus pour l’interprétation de l’article 9, § 3, du règlement Rome I [157]. Quoi qu’il puisse paraître curieux de refuser par principe de tenir compte des raisons, aussi bonnes soient-elles, pour lesquelles le législateur étranger auteur de la loi de police peut souhaiter qu’on déroge à la règle de conflit là où ces mêmes raisons, avancées par le législateur du for pour l’application de sa loi, sont tenues pour déterminantes [158], nous pensons que, à la différence de l’article 9 du règlement Rome I, l’article 16 du règlement Rome II manifeste assez clairement la volonté de ses auteurs de n’excuser le juge saisi de s’être soustrait à l’application de la règle de conflit de lois européenne que lorsqu’il s’agissait pour ce juge de donner suite à l’ordre que lui adresse son for de traiter le cas en cause par application de sa loi de police [159]. Aussi regrettable ce véritable ostracisme [160] soit-il sur le terrain des principes, en l’état actuel de la rédaction de l’article 16 du règlement Rome II, la revendication, par un État étranger, d’une compétence législative sur le cas en cause par édiction d’une loi de police en matière extracontractuelle dérogeant à la règle de conflit ordinaire doit apparaître, devant le for saisi du litige, comme illégitime et être par conséquent tenue en échec. La solution montre que le règlement Rome II invite le juge du for, en matière extracontractuelle, à fermer les yeux par principe sur les considérations d’efficacité de la politique législative poursuivie par le législateur étranger dans sa loi de police [161].

7669. On peut finalement récapituler : pour les lois de police étrangères, l’efficacité de la politique législative poursuivie par leur auteur ne doit pas être – et n’est habituellement pas – la seule considération à prendre en compte lorsque se pose la question de leur applicabilité au for, et que, dans le cadre des règles de conflit européennes, cette considération n’est susceptible, au mieux, de jouer un rôle qu’à côté d’autres considérations classiques de lien et de contenu. En revanche, il paraît hautement souhaitable que la seule extranéité de la politique législative poursuivie ne soit pas en principe un motif suffisant pour que le juge du for s’oppose à l’efficacité devant lui de cette politique.

B. — L’efficacité de la politique législative poursuivie par une loi de police et le droit des conflits de juridictions

7770. L’étude du régime d’applicabilité des lois de police en droit des conflits de lois nous a montré que les considérations tirées de l’efficacité de la politique législative poursuivie par l’auteur d’un tel type de dispositions ne sont pas toujours les seules à entrer en ligne de compte lorsque la question de leur application au for se pose, puisqu’il est apparu que les lois de police étrangères sont volontiers, et pour des raisons compréhensibles, soumises à des tests portant sur d’autres données que ces considérations avant d’être accueillies dans un for donné.

7871. La question qui se pose maintenant est de savoir quelle est la place exacte que doit recevoir l’idée d’efficacité de la politique législative dans l’élaboration du régime des lois de police dans le domaine du conflit de juridictions. Ce régime est, on le sait, encore mal fixé de nos jours, en raison probablement du fait que son étude a jusque récemment été plutôt négligé en doctrine [162]. On comprend dans ces conditions que soit encore ouverte aujourd’hui la question de la place à accorder dans ce régime aux considérations tirées de l’efficacité de la politique juridique inspirant la loi de police dont l’application est en cause. Faut-il leur accorder un monopole similaire à celui dont bénéficie, en droit des conflits de lois, l’efficacité de la politique suivie par la loi de police du for ? Faut-il au contraire admettre que ces considérations puissent être tenues en échec par des données concurrentes (et si oui, lesquelles ?), comme cela a été observé, toujours en droit des conflits de lois, pour les lois de police étrangères ? C’est à ces questions que les développements qui suivent tenteront d’apporter une réponse. Pour ce faire, ils suivront classiquement la distinction entre le statut des lois de police en droit de la compétence directe et ce même statut en droit des effets internationaux des décisions.

1. Compétence directe

7972. En droit de la compétence internationale directe des tribunaux, la question à résoudre est celle de savoir si les données relatives à l’efficacité de la politique législative poursuivies par une disposition de police doivent exercer une influence sur la compétence des tribunaux du for. Si cette question mérite d’être posée, c’est qu’il y a lieu de craindre, comme toujours en cas de disjonction des compétences législative et juridictionnelle, que la loi étrangère ne bénéficie pas devant le juge compétent de conditions d’application identiques à celles qui seraient les siennes devant le juge de l’État dont elle provient. Partant, admettre, dans un cas visé par la loi de police, la compétence d’un autre juge que celui de ce dernier État revient à admettre que cette loi de police ne fasse pas nécessairement l’objet d’une application aussi soignée ou aussi informée par le juge saisi, et qu’en définitive le résultat correspondant à ce qu’exige la politique législative inspirant cette loi ne soit pas forcément atteint par le jugement attendu [163]. À l’inverse, exclure la compétence d’un juge autre que celui de l’État dont la loi de police veut, au cas d’espèce, s’appliquer permet d’assurer une meilleure efficacité à la politique juridique poursuivie. L’examen des solutions souhaitables en la matière nécessite que l’on fasse le départ entre l’hypothèse de la compétence du for en présence d’une loi de police du for, d’une part, et celle de l’incompétence du for, en présence d’une loi de police étrangère, d’autre part.

a) La compétence du for en présence d’une loi de police du for

8073. Il a été maintes fois suggéré qu’un chef de compétence internationale directe soit consacré au profit des juridictions du for en présence d’une loi de police du for visant le cas litigieux [164]. La solution présenterait l’avantage, lorsqu’elle est retenue par le droit d’un État, de permettre au demandeur, en cas de litige, de porter le contentieux devant le juge de cet État quand la loi de police édictée par lui se veut applicable. Or cette issue peut être considérée comme assurant à la politique juridique menée par cette loi de police une efficacité meilleure que si la compétence dudit État n’était pas acquise, dans la mesure où d’une façon générale les risques que la loi de police du for soit malmenée sont plus faibles au for qu’à l’étranger : le juge étranger peut en effet d’abord refuser de l’appliquer, ou même, lorsqu’il a décidé en principe d’en tenir compte, il peut mal l’interpréter ou mal l’appliquer sans qu’un contrôle sur cette interprétation ou cette application défectueuse ne puisse être opéré dans son ordre juridique à travers les voies de recours usuelles [165]. Il faut d’ailleurs remarquer que pour accroître encore l’efficacité de la politique juridique inspirant la loi de police en diminuant corrélativement les probabilités qu’un autre tribunal que celui du for soit saisi d’une affaire qu’elle vise, il peut seoir de ne pas se borner à prévoir la simple compétence des tribunaux du for dans les cas où la loi de police du for couvre l’affaire, mais d’y ajouter aussi la spécification que cette compétence est exclusive [166], quitte à accompagner cette exclusivité d’une inarbitrabilité. Les parties seraient ainsi invitées à ne pas porter l’affaire devant une juridiction étrangère (compétence exclusive) ou devant un tribunal arbitral (inarbitrabilité), sous la double sanction d’une inefficacité de la clause de juridiction ou d’arbitrage si elle est invoquée contre la compétence du juge du for, et d’un refus de reconnaissance au for du jugement étranger, ou, respectivement, de la sentence arbitrale, dans l’hypothèse où l’une de ces décisions aurait été malgré tout obtenue. Des règles de compétence internationale directe ainsi forgées illustreraient donc assez bien la façon dont le droit des conflits de juridictions peut contribuer à une meilleure efficacité des politiques législatives engagées par le for.

8174. Malgré son attrait sous ce dernier rapport, la solution n’est, semble-t-il, que rarement consacrée en droit positif [167]. En droit international privé européen, l’applicabilité d’une loi de police du for n’est pas retenue comme un chef de compétence directe, ni concurrent, ni a fortiori exclusif, sous l’empire du règlement Bruxelles 1 [168], pas plus qu’elle ne l’était sous l’empire de la convention de Bruxelles qui le précédait, ni sous l’empire de celle, parallèle, de Lugano. Tout au plus mentionnera-t-on ici le dispositif mis en place par la directive 96/71 du 16 décembre 1996 [169] qui retient, pour la protection d’un salarié en cas de détachement transfrontière, un système de solutions s’apparentant à celui évoqué ci-dessus : sur le plan du conflit de lois, la politique substantielle de protection du salarié mise en place par la directive bénéficie à tout salarié détaché dans un État membre de l’Union, la directive forçant à cette fin l’applicabilité, telle une loi de police, de la loi de l’État membre de détachement, quelle que soit la loi applicable au contrat de travail selon la règle de conflit ordinaire [170] ; l’efficacité de cette politique de protection du salarié détaché est par ailleurs renforcée par une règle ressortissant au droit des conflits de juridictions prévoyant expressément la compétence du juge de l’État membre de détachement pour toute action du salarié détaché visant à obtenir protection des droits à lui reconnus par la directive [171]. Il y a bien ici combinaison d’une règle de compétence directe et d’une disposition fixant l’applicabilité dérogatoire des mesures de protection du travailleur en vue d’améliorer l’efficacité de la politique protectrice poursuivie par ses mesures [172].

8275. Et si l’on se place maintenant en dehors du domaine de ces textes, on constate qu’un principe général de compétence judiciaire française découlant de l’existence d’une loi de police française revendiquant sa compétence n’a pas été non plus consacré en tant que tel par le droit français [173]. Bien au contraire, ce dernier vient, à deux reprises, par la bouche de la Cour de cassation, d’admettre à titre de principe que, loin d’être exclusive, la compétence française qui pourrait le cas échéant exister dans une affaire où une loi française de police réclame son application n’est pas non plus impérative, de telle sorte que les parties peuvent s’y soustraire d’un commun accord. La solution a d’abord été retenue pour les clauses attributives de juridiction, jugées aptes, même en cas de compétence d’une loi de police française, à déclencher l’incompétence française par l’élection d’un juge étranger [174]. Elle a été rappelée aussi récemment pour les clauses d’arbitrage, dont ni la conclusion, ni l’efficacité n’est écartée du seul fait que les contrats qui les contiendraient tombent dans le domaine d’une loi de police française [175]. Dans les deux cas était en cause l’article L. 442-6 du Code de commerce français luttant contre certaines pratiques restrictives de concurrence et plus particulièrement contre l’abus de dépendance économique. La politique législative poursuivie par le texte apparaît ainsi comme visant à assainir le marché français et il est évidemment souhaitable que cette politique ne puisse être tenue en échec, au plan du conflit de lois, par l’insertion d’une clause de choix d’une autre loi que la loi française dans les contrats desquels la partie qui est établie en France est victime de l’acte abusif de son cocontractant [176]. Cette donnée n’empêche pourtant pas la Cour de cassation d’admettre, dans les deux cas, que l’efficacité de la politique législative en cause soit le cas échéant affectée par un refus ou une maladresse d’application de la loi française du fait du juge étranger ou de l’arbitre selon le cas [177].

8376. En droit comparé, il faut pourtant mentionner l’emploi occasionnel du droit de la compétence directe, et plus particulièrement des règles de compétence exclusives aux fins de renforcer l’efficacité d’une politique législative jugée particulièrement sensible. Particulièrement illustrative de cette situation est l’attitude du législateur québécois au sujet des actions en responsabilité pour dommage causé par l’exposition à ou l’utilisation d’« une matière première provenant du Québec » [il semble que derrière ces termes généraux, le législateur ait essentiellement eu en vue l’amiante, dont le Québec est un gros producteur [178]]. Une politique juridique de maîtrise des coûts de dédommagement éventuellement supportés par les producteurs d’amiante québécois ou d’autres matières premières de même provenance inspire la loi québécoise, loi qui, pour une parfaite efficacité de cette politique, prévoit expressément son application dès lors que le préjudice résulte « soit de l’exposition à une matière première provenant du Québec, soit de son utilisation », quel que soit le lieu où le préjudice est subi, et que la matière première ait fait l’objet d’un traitement ou non [C. civ. Québec, art. 3129 [179]]. Or pour assurer une meilleure efficacité à cette politique législative, le législateur québécois ne s’est pas contenté de revendiquer, sur le terrain du conflit de lois, la compétence de sa loi dans les cas où il jugeait nécessaire qu’elle fût appliquée, il a aussi joué sur le terrain du conflit de juridictions en fixant une règle de compétence internationale directe [180] spécifique des juges québécois pour ce type de contentieux, avec l’article 3151 du Code civil du Québec qui affirme la compétence exclusive des juridictions québécoises pour connaître des actions en responsabilité résultant de dommages causés par l’amiante produite au Québec [181].

8477. D’autres exemples montrent que, pour accroître l’efficacité de la politique législative poursuivie par une loi de police du for en présence d’une clause attributive de juridiction, on peut songer à recourir à des techniques plus nuancées que la méthode québécoise brutalement prohibitive ci-dessus décrite. Ainsi, la formule de l’efficacité de la clause attributive de juridiction conditionnée au fond est parfois retenue [182], comme cela fut le cas dans le contentieux Lloyd’s devant les juridictions américaines [183]. Dans ces affaires, le juge américain avait été saisi par des investisseurs locaux s’estimant victimes de rétention fautive d’informations de la part de l’institution d’assurances anglaise des Lloyd’s, les ayant conduits à souscrire à des offres faites par cette dernière et se révélant rétrospectivement très problématiques en terme de rentabilité et d’engagements. Malgré l’existence d’une réglementation américaine stricte concernant l’information des investisseurs intervenant sur les marchés financiers, présentant tous les aspects d’une loi de police [184], les juges américains firent prévaloir la clause attributive de juridiction souscrite par les investisseurs au profit des juridictions britanniques. Il est notable que l’efficacité ainsi laissée à la clause attributive de juridiction face à une loi de police du for, tout en étant marquée d’une attitude assez libérale de la part des juridictions américaines, n’est pas allée jusqu’au blanc-seing sur le fond au profit des juges anglais : dans l’une des affaires, la cour d’appel américaine a ainsi subordonné l’efficacité de la clause à la démonstration que le droit applicable devant le juge désigné « prévoit des remèdes suffisant pour protéger les investisseurs » [185] et offre ainsi « une protection substantiellement équivalente à celle des lois de police américaines » [186]. C’est donc sous condition d’un certain respect[187] de l’efficacité de la politique législative endossée par les lois de police du for américain que les clauses attributives au profit de l’Angleterre ont été admise à produire leur effet [188]. Le contrôle du respect de cette condition est évidemment mal commode, comme toujours quant il s’agit d’anticiper le contenu de la décision étrangère attendue [189]. Il montre au demeurant qu’entre l’admission pure et simple « à la française » telle qu’elle ressort de la jurisprudence Monster Cable, et la prohibition pure et simple « à la québécoise » telle qu’elle résulte, dans la responsabilité liée à l’amiante, de l’article 3151 du Code civil du Québec, il y a place, en ce qui concerne l’efficacité des clauses attributives de juridiction interférant avec une loi de police du for, pour le développement de voies moyennes « à l’américaine », exploitables lorsque, face à telle ou telle disposition de police du for, une certaine vigilance paraît de mise afin d’éviter des atteintes trop nuisibles à l’efficacité de la politique législative qu’elles mettent en oeuvre, sans pour autant dresser une muraille, d’ailleurs passablement dérisoire, contre les prorogations de for.

b) L’incompétence du for en présence d’une loi de police étrangère

8578. Dans la même ordre d’idée que celui qui vient d’être évoqué, on pourrait imaginer qu’un for pusillanime, par souci d’éviter une mauvaise application d’une loi de police étrangère et l’atteinte corrélativement portée aux objectifs visés par la politique juridique qu’elle poursuit, décide d’exclure sa propre compétence judiciaire en présence d’une loi de police étrangère visant légitimement le cas [190]. Nous n’avons toutefois pas connaissance de législation offrant une réponse de portée générale en ce sens [191], ce qui peut s’expliquer par le fait que la solution pêcherait par excès d’ambition, car pour un for, décliner sa compétence judiciaire en présence d’une disposition de police étrangère applicable en vue de favoriser son respect, ce serait d’abord refuser de seconder la politique juridique poursuivie par la loi, avant même que de refuser de courir le risque de mal l’appliquer.

8679. Ces différentes solutions montrent assez bien qu’il y des degrés variables dans l’efficacité qu’un État peut entendre assurer à la politique législative menée par sa loi de police. S’il n’assortit pas, ne serait-ce qu’implicitement, une loi qu’il a posée par ailleurs comme étant « de police » sur le terrain du conflit de lois, de dispositions en matière de conflit de juridictions, et plus particulièrement de règles attribuant compétence exclusive à ses juridictions pour l’application de ladite loi, l’État auteur de la loi de police envoie aux sujets de droit le signal qu’il n’entend pas assurer une efficacité maximale à la politique juridique qu’il poursuit à travers cette loi [192], alors pourtant que cette efficacité ne resterait pas une donnée absolument négligeable à ses yeux dans les relations privées internationales puisqu’elle justifie la dérogation au règlement ordinaire du conflit de lois selon la méthode savignienne. Si au contraire, comme le législateur québécois, l’État auteur de la loi de police accompagne celle-ci de règles de compétence directe exclusive et impérative pour son application par ses tribunaux – ou si, comme la jurisprudence américaine, il subordonne l’efficacité de la clause attributive de juridiction pour la loi de police en cause, à des conditions de fond concernant les chances qu’une politique législative similaire à celle du for soit poursuivie à l’étranger – le signal envoyé est tout différent : les justiciables sont informés qu’une clause qui éluderait la compétence du for y serait privée d’effet, soit par principe, soit au cas où elle remettrait en cause trop frontalement l’efficacité de la politique juridique menée par la loi de police.

8780. Il reste que la partie souhaitant saisir, malgré la clause, le juge du for exclu conserve de facto la faculté de le faire. C’est pourquoi, pour verrouiller le domaine de la loi de police en assurant une efficacité supérieure encore à la politique juridique que cette loi met en oeuvre, l’État auteur de la loi de police juge parfois opportun de ne pas se contenter d’une législation ou d’une jurisprudence d’accompagnement sur le terrain de la compétence directe, et tend à exploiter l’autre pan du droit des conflits de juridictions : celui de l’effet international des décisions. Il adopte alors des dispositions restreignant la reconnaissance des décisions étrangères ayant statué sur l’affaire mettant en cause la loi de police malgré les directives d’incompétence qu’il a pu émettre concernant les juridictions étrangères, voire les arbitres, qui les ont rendues. C’est sur ce point qu’il nous faut nous arrêter maintenant.

2. Efficacité internationale des décisions

a) Reconnaissance et exécution des sentences arbitrales / recours en nullité contre les sentences rendues au for

8881. La question de l’influence des considérations touchant à l’efficacité des politiques législatives menées par les lois de police au stade de la reconnaissance ou de l’exécution d’une sentence arbitrale, ou dans le cadre d’un recours en nullité contre une telle sentence, se pose dans des termes sensiblement différents de ceux qui encadrent la même question, posée au stade de la détermination du droit applicable [193]. Il ne s’agit plus ici de résoudre un conflit de lois en choisissant de donner effet ou non à une loi de police visant la situation, mais bien désormais de se prononcer sur l’efficacité, au for, d’une sentence arbitrale étrangère ou internationale (ou dans le cadre d’un recours en annulation, sur la régularité d’une sentence internationale rendue au for) ayant statué dans une affaire où une loi de police revendiquait son application. La loi de police en question a pu être ignorée par l’arbitre, ou bien celui-ci a pu se méprendre sur son contenu exact ou encore l’appliquer maladroitement aux circonstances de fait, de telle sorte qu’en définitive la sentence rendue apporte au litige une solution contrariant plus ou moins ouvertement la politique législative adoptée par la loi de police. Par exemple, la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles menée par le droit de la concurrence organisant un marché donné se trouve affectée par la décision, prise par l’arbitre dans sa sentence, de valider un contrat alors qu’il porte atteinte au jeu normal du marché du fait de son objet anticoncurrentiel, et qu’il aurait dû, selon le droit de la concurrence pertinent, être annulé pour ce motif. Dans ce type de situations, la question se pose de savoir si le juge du for sollicité d’accueillir la sentence peut ou doit tenir compte de l’atteinte ainsi portée par elle à la pleine efficacité de la politique législative d’assainissement du marché poursuivie par le droit de la concurrence pertinent, et tenir en échec la sentence examinée en refusant de la reconnaitre ou d’en ordonner l’exécution (ou bien, en cas de recours en annulation, en prononçant sa nullité).

8982. On soulignera ici que la question se pose d’abord, et avec une acuité particulière, lorsque la loi de police ainsi affectée est celle du for de contrôle de la sentence. En ce cas en effet la tentation est forte pour le juge de ce for de saisir l’opportunité offerte par la procédure de contrôle de la sentence se déroulant devant lui pour sanctionner par une décision d’inefficacité l’atteinte portée par l’arbitre à la politique législative en vigueur localement. Une tentation similaire peut se manifester aussi dans la situation un peu différente où la loi de police malmenée est celle, étrangère, que le for de contrôle aurait appliquée s’il avait été saisi directement de l’action sur le fond [194]. Sans doute la tentation sera-t-elle alors moins puissante, le juge devant lequel la sentence est contrôlée n’étant désormais plus mu par la volonté de protéger une politique publique engagée par l’État au nom duquel il statue ; il n’en reste pas moins que, soit par souci pragmatique de réciprocité, soit avec une intention plus idéaliste de promouvoir le respect du droit, ce juge peut en fait envisager ici encore de sanctionner, par l’inefficacité de la sentence, la violation de la loi de police étrangère compétente. Les considérations d’ordre public dans lesquelles baigne naturellement la loi de police ajoutent encore du poids à l’attirance que le juge peut éprouver finalement pour une telle solution, plus spécialement il est vrai si elle concerne la loi de police du for [195].

9083. Aussi compréhensible soit cette tentation, il nous semble que le juge qui s’en trouverait la proie serait bien inspiré de n’y point succomber. L’existence d’une sentence arbitrale ayant tranché le litige entre les parties empêche en effet de transposer purement et simplement ici les directives applicables à la question de l’efficacité des lois de police au for telles qu’elles ont été dégagées dans le domaine du conflit de lois. Les données tirées de l’objectif tendant à favoriser l’efficacité de la politique législative, dont on a vu le rôle central qu’elles jouent lorsque la question de l’efficacité de la loi de police se pose sur le terrain du conflit de lois – spécialement en présence d’une loi de police du for, cas dans lequel toute autre considération s’éclipse [196] –, sont en effet désormais concurrencées, en raison précisément de l’existence de la sentence, par d’autres données, tirées du respect des droits acquis et surtout de l’autorité de chose jugée de la sentence, ainsi que de la prohibition de la révision, qui ne peuvent être tenues pour négligeables [197].

9184. Pour bien comprendre la place que doivent occuper ces différentes données dans l’issue qui sera accordée à la question de l’efficacité de la sentence arbitrale au for, il faut commencer par se souvenir de la marge de manoeuvre et des outils dont dispose l’auteur d’une loi de police pour en assurer le respect dans un contexte international. Nous avons vu plus haut [198] que le législateur qui désirerait améliorer l’efficacité de la politique juridique mise en oeuvre par sa loi de police a toujours la possibilité d’assortir cette dernière de dispositions restreignant l’arbitrabilité du litige auquel elle serait applicable. S’abstenir d’exclure ainsi l’arbitrabilité ne signifierait certes pas de la part de l’État une abdication pure et simple de tout pouvoir de contrôle sur la correcte application de la loi de police par l’arbitre, puisque l’État peut se réserver ce contrôle au stade de l’examen de la sentence, dans le cadre du recours en annulation si elle a été rendue au for, ou, en tout cas, dans le cadre de la procédure relative à la reconnaissance ou à l’exequatur de la sentence [199]. En revanche, il faut souligner que ne pas accompagner sa loi de police d’une règle de compétence exclusive au profit de ses tribunaux, assortie d’une règle d’inarbitrabilité, c’est, pour un État, admettre que, à l’étranger, une décision qui serait issue de l’arbitrage mis en place par les parties puisse en toute légitimité être dotée de l’autorité de la chose jugée dans la mesure prévue par le droit étranger [200]. À cet égard, la jurisprudence Doga évoquée plus haut [201], qui déclare arbitrable un litige mettant en cause l’application d’une loi de police française, a nécessairement pour conséquence de signaler aux plaideurs que la sentence rendue à l’étranger ne sera, en cas de violation de la loi de police française par l’arbitre, susceptible d’être remise en cause à l’étranger que dans la mesure prévue par le droit étranger, mesure qui peut se révéler très réduite en présence d’une violation d’une loi de police française, par hypothèse étrangère aux yeux du for de contrôle, et au surplus non nécessairement désignée comme applicable par la règle de conflit de ce for. Autant dire que, par son arrêt Doga, la Cour de cassation française s’est exprimée en faveur de l’absence d’un monopole à accorder, au stade du conflit de juridictions, aux considérations tirées de l’efficacité de la politique législative poursuivie par la loi de police française.

92On comprend alors qu’une place puisse subsister, lorsqu’on se positionne sur le terrain de la validité des sentences arbitrales ou sur celui de leur reconnaissance ou exequatur, pour la prise en compte de considérations tirées plus particulièrement de l’autorité de la chose jugée ou de la prohibition de la révision.

9385. Les règles relatives à l’autorité de la chose jugée ont notamment pour raison d’être de mettre un terme au procès une fois que celui-ci a été conclu par un jugement. Il s’agit, dit-on habituellement, d’éviter la perpétuation des disputes à laquelle aboutirait la possibilité d’une réitération du contentieux sur des points déjà tranchés par le juge, ou le cas échéant, par l’arbitre [202]. Valable en procédure civile interne, cette considération ne semble pas perdre toute pertinence dans l’ordre international, alors même que la loi applicable serait une loi de police. Permettre sans limite la remise en cause de la chose jugée dans une sentence arbitrale au motif que la loi applicable serait une loi de police reviendrait à ignorer la police du procès poursuivie par la règle res judicata pro veritate habetur et par le principe corrélatif de prohibition de la révision [203]. Cela aurait pour conséquence désastreuse de supprimer une bonne partie de l’intérêt du recours à l’arbitrage, puisque la sentence ne serait rien d’autre, face à un plaideur qui la refuse, que le point de départ d’un nouveau procès au fond. Face à ces deux politiques, l’une substantielle et l’autre procédurale, qui s’entrechoquent, la question est finalement de savoir comment les départir, c’est-à-dire comment déterminer les cas dans lesquels l’efficacité de la politique législative de fond poursuivie par la loi de police doit prévaloir, et les cas dans lesquelles l’efficacité de la politique législative procédurale inspirant la règle res judicata… doit l’emporter. La réponse à cette question est largement affaire de sensibilité et peut de ce fait varier d’un État à l’autre.

9486. En ce qui concerne la France, les affaires Thalès pour la Cour d’appel de Paris [204], et SNF c/ Cytec pour la Cour de cassation [205] ont conduit à la mise en place d’un compromis qu’on peut trouver à cet égard équilibré. L’harmonie essentielle existant entre ces décisions rendues par les juridictions françaises dans les deux affaires nous permettra de raisonner exclusivement sur celle tranchée le plus récemment par la plus haute juridiction. Dans l’affaire Cytec donc, l’arbitre avait admis indirectement l’efficacité d’un contrat pourtant jugé par lui contraire au droit européen de la concurrence en raison d’un abus de position dominante. La sentence heurtait par conséquent à sa manière la pleine efficacité de la politique législative de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles poursuivies par le droit de l’Union européenne. À l’occasion de l’exécution de la sentence en France, les juridictions françaises ont été mises en situation d’exercer leur contrôle sur la sentence arbitrale, rendue en Belgique. Dans ce cadre, la Cour de cassation a pu énoncer, de façon d’ailleurs un peu maladroite [206], que la violation de la législation de police constituée par le droit européen de la concurrence ne vaut atteinte rédhibitoire à l’ordre public que si cette violation est « flagrante, effective et concrète ». Si au contraire l’un de ces trois caractères vient à manquer à la violation de la loi de police par la sentence, l’atteinte à l’ordre public n’est pas consommée et la sentence se trouve consolidée en France, du moins sous ce rapport.

9587. La nouvelle jurisprudence n’a pas suffi à faire tomber le mur qui séparait les tenants d’un contrôle maximaliste (c’est-à-dire d’un contrôle plus ou moins approfondi de la correcte application par l’arbitre de la loi de police au titre de l’ordre public) et les partisans d’un contrôle minimaliste (c’est-à-dire d’une prévalence du principe de prohibition de la révision, qui resterait lettre morte si le juge français s’arrogeait le pouvoir de réapprécier en fait et en droit, lors de son contrôle, le raisonnement suivi par l’arbitre à l’occasion de l’application de la loi de police) [207]. Au cas d’espèce, Il faut pourtant saluer l’esprit de compromis qui a inspiré la Cour de cassation dans sa tentative de départager le domaine où l’efficacité de la politique législative menée par la loi de police s’impose, et celui où la non-réitération du contentieux déjà jugé l’emporte. Sa jurisprudence revient en effet à faire prévaloir les considérations d’efficacité de la politique juridique de fond poursuivie par la loi de police au cas où cette dernière aurait fait l’objet d’une violation « flagrante, effective et concrète », la sentence étant alors tenue en échec en France en raison de l’atteinte à l’ordre public que sa reconnaissance ou son exécution consacrerait. Lorsqu’au contraire la violation de la loi de police ne présente pas les caractères requis d’évidence, d’effectivité et de concret, les considérations tirées de la politique procédurale, telles que poursuivies par la règle res judicata… et visant à empêcher la réitération du contentieux et la révision au fond reprennent le dessus [208].

9688. Il ne suffit d’ailleurs pas de constater le compromis ainsi réalisé par la Cour pour approuver sa jurisprudence. Encore faut-il pouvoir justifier le compromis par son équilibre en constatant que le curseur départageant les deux solutions est positionné au bon endroit. La question est alors de savoir ce qui justifie que l’ordre public soit considéré comme affecté en présence d’une violation flagrante, effective et concrète de la loi de police, alors qu’en cas de violation non qualifiée, il ne le serait pas. On peut penser que la Cour a été guidée dans sa jurisprudence par l’idée que lorsque la violation de la loi de police est flagrante, effective et concrète, la solution retenue par la sentence ne peut plus se rattacher à la loi de police applicable autrement que de façon purement formelle [209]. En ce cas, au-delà de la question de la conformité du contenu de la sentence à la loi de police, c’est véritablement celle du respect de la compétence de la loi de police qui est en cause ; il s’agirait donc d’applicabilité de cette loi, non plus d’application [210]. Un peu comme dans le contrôle de la dénaturation de la loi étrangère, où la Cour sanctionne la violation de la règle de conflit par les juges du fond au-delà de celle de la loi désignée [211], dans le contrôle de la violation flagrante, effective et concrète de la loi de police, la Cour s’assurerait que l’applicabilité de la loi de police a été respectée. La solution, si elle devait se confirmer, ne serait à la réflexion guère surprenante : si l’on se souvient que la loi de police se définit précisément par la particularité dont est empreinte la délimitation de son champ d’application, qui se fait à partir de considérations tirées de l’efficacité de la politique législative [212], on peut comprendre qu’à tout le moins ce champ d’application soit doté, dans l’ordre international, d’un caractère marqué d’ordre public et que sa violation par la sentence aboutisse corrélativement à une violation de l’ordre public international.

b) Reconnaissance et exécution des jugements étrangers

9789. La question du sort à accorder aux considérations tenant à l’efficacité des politiques législatives poursuivies par les lois de police au stade de la reconnaissance et de l’exécution des jugements étrangers demeure irrésolue à l’heure qu’il est. En droit commun, la jurisprudence française n’a pas eu l’occasion d’y répondre expressément. Elle se posera immanquablement maintenant qu’il est admis par l’arrêt Monster Cable[213] qu’une clause attributive de juridiction désigne un tribunal étranger alors même que le contrat est soumis à une loi de police française, car l’efficacité en France d’un jugement étranger rendu par le juge ainsi désigné finira selon toute vraisemblance par être contestée par une partie alléguant la violation de la loi de police française par le juge étranger. Il est vrai d’ailleurs que la jurisprudence Cornelissen[214], qui a mis fin au principe d’inefficacité d’un jugement étranger statuant par application d’une loi autre que celle « désignée par la règle de conflit française », ne fait à elle seule pas absolument obstacle à un contrôle du jugement étranger sous le rapport de l’applicabilité de la loi de police, si l’on admet que cette dernière n’intervient pas dans le litige comme « désignée par la règle de conflit de lois française », celle-ci étant précisément évincée [215] par loi de police [216]. Et au plan européen, la jurisprudence de la Cour de justice ne traite pas expressément de la question des rapports entre la violation, par un jugement provenant d’un autre État membre de l’Union, de la loi de police d’un for et la violation de l’ordre public de ce for dans le cadre de l’interprétation des articles 27 de la convention de Bruxelles et 34 du règlement Bruxelles I [217]. Comme en matière d’arbitrage, il s’agit de savoir si la violation d’une loi de police applicable au cas tranché par la décision peut aboutir à la non-reconnaissance ou au refus d’exequatur de cette dernière. À la réflexion, la réponse à cette question doit varier selon au moins trois cas.

9890. i) Un premier cas trouve son illustration dans l’exemple déjà évoqué [218] de la loi de police québécoise sur la responsabilité pour dommage causé par une matière première provenant du Québec. Le législateur de cette Province a pris des dispositions permettant de mesurer le degré d’efficacité qu’il entend réserver à sa loi de police en présence d’un jugement étranger statuant sur un cas où elle se vaut applicable : en instaurant pour ce type d’action en responsabilité une compétence exclusive et impérative des juridictions québécoises, il a manifesté clairement sa volonté de réserver à ses juridictions le contentieux en cette matière, de telle sorte qu’aucune juridiction étrangère n’est admise, aux yeux du Québec, ni à connaître de ce contentieux, ni a fortiori, à y appliquer (et partant, à risquer de mal appliquer, voire carrément d’exclure) la loi de police québécoise. Cette mesure préventive est au surplus accompagnée d’une mesure curative au cas où les parties n’auraient pas obtempéré et que l’action aurait été portée et tranchée devant le juge étranger : le jugement ainsi obtenu à l’étranger en violation de la compétence exclusive québécoise ne sera tout simplement pas reconnu ni exécuté au Québec [219]. Dans ce cas, on peut dire que le législateur québécois a procédé au « verrouillage » du domaine de sa loi de police en empêchant que les parties ne s’en échappent : elle est d’abord bien sûr, comme loi de police, obligatoire devant le juge québécois, par dérogation à la règle de conflit ordinaire, ce qui est une bonne première étape visant à éviter que l’efficacité de la politique législative poursuivie par elle ne soit affectée par le jeu de la règle de conflit de lois en cause [220] ; mais cette efficacité est en outre renforcée par des dispositions en matière de conflit de juridictions, non seulement sur le terrain de la compétence directe du juge québécois, qui est à la fois prévue et posée comme exclusive et impérative [221], mais aussi sur le terrain des effets internationaux des jugements puisqu’au Québec aucune autorité de chose jugée ne sera accordée au jugement étranger qui aurait statué sur un contentieux de ce type. En privant de compétence indirecte le juge étranger pour appliquer la loi de police québécoise, le législateur québécois envoie le signal que l’homogénéité dans l’application de sa loi, et, en dernière analyse, l’efficacité de la politique législative qu’elle poursuit, mieux garantie par une compétence juridictionnelle québécoise, sont des données essentielles à ses yeux. On comprend en ce cas qu’au-delà de la protection de la compétence exclusive québécoise, le régime restrictif de compétence indirecte mis en place au Québec ait pour but ultime d’assurer une efficacité supérieure [222] à la politique juridique menée par la loi québécoise. Cette considération d’efficacité de la politique législative est d’ailleurs tellement puissante aux yeux du législateur québécois qu’elle va jusqu’à occulter toute autre considération, notamment celles, habituellement non négligeables, que l’on pourrait songer de tirer de l’autorité de la chose jugée en présence d’une décision étrangère ayant déjà statué sur les questions de fond traitées par la loi de police. En ce type de cas, compte tenu des mesures prises par l’auteur de la loi de police pour renforcer l’efficacité internationale de la politique juridique adoptée par cette loi, on peut comprendre que les données tirées de l’efficacité de cette politique soient déterminantes au point de bénéficier d’un monopole, non seulement au stade de l’application de la loi de police du for par les juridictions du for, mais aussi au stade de la réception, par ce même for, d’un jugement étranger ayant statué sur un cas couvert par la loi de police du for en question.

9991. ii) Faut-il aller plus loin et admettre d’une façon générale que l’édiction d’une loi, posée par son auteur comme loi de police au stade du conflit de lois – et donc jouissant à ce stade dans son for d’origine d’une applicabilité uniquement déterminée par des considérations tirées de l’efficacité de la politique juridique poursuivie [223] – entraîne dans le domaine des effets internationaux des jugements la consécration d’un même monopole au profit de ces mêmes considérations, de telle sorte qu’un jugement étranger qui apporterait au litige une solution différente de celle qu’exigerait le strict respect de la loi de police devrait être privé d’efficacité au for de contrôle du jugement étranger, tandis qu’au contraire, un jugement étranger rendu par application correcte de ladite loi de police devrait voir son autorité reconnue, à le supposer conforme par ailleurs aux autres conditions d’efficacité en vigueur au for d’accueil ?

10092. – La réponse est certainement négative lorsque la loi de police en cause est celle d’un État étranger par rapport à celui du for de contrôle[224]. Admettre en ce cas que l’efficacité de la politique législative menée par la loi de police étrangère puisse être l’unique préoccupation que devrait avoir le for de contrôle dans la décision à prendre par lui quant à l’effet à reconnaître en son sein au jugement étranger reviendrait à se dire prêt à recevoir au for de contrôle un jugement étranger consacrant une solution conforme à la loi de police étrangère, mais contraire à l’ordre public de ce for, ce qui n’est guère réaliste. Lorsqu’une loi de police étrangère est en cause dans le contentieux tranché par un jugement étranger, le for de contrôle de ce jugement, dans le cadre d’une procédure d’exequatur ou de reconnaissance, doit par conséquent pouvoir faire interférer avec les données touchant à l’efficacité de la politique législative poursuivie par la loi de police étrangère d’autres types de données, notamment celles tirées de la protection de l’ordre public du for. Il doit en résulter une certaine marge de manoeuvre pour le juge confronté à la reconnaissance ou à l’exécution d’un jugement étranger tranchant un cas couvert par une loi de police étrangère, marge de manoeuvre qui montre que l’efficacité de la politique législative poursuivie par la loi de policé étrangère n’est pas la seule donnée à laquelle serait subordonnée la reconnaissance ou l’exécution en question. Quant à la légitimité de cette marge de manoeuvre, deux précisions peuvent être apportées ici.

10193. La première tient à la justification du pouvoir d’appréciation laissé dans ce type de situations au juge du for par le droit des conflits de juridictions. À cet égard, il faut souligner que le juge français dispose d’une telle marge à travers les conditions classiques de reconnaissance et d’exécution des jugements étrangers, soit en droit commun, soit en droit de l’Union européenne, soit même en droit international privé conventionnel dans les cas où une convention internationale viendrait à s’appliquer à l’effet en France du jugement étranger en cause. Ainsi, en matière civile et commerciale, la condition de respect de l’ordre public international figurant aussi bien en droit commun [225] et en droit européen [226] qu’en droit conventionnel, un jugement étranger qui statuerait dans le respect de la politique législative poursuivie par une loi de police autre que celle du for où le jugement est présenté en vue d’y produire des effets devrait par exemple être tenu en échec dans ce for pour des motifs tirés de l’ordre public si cet ordre public est effectivement contrarié par la politique législative poursuivie par la loi de police étrangère en cause dans le jugement [227]. À l’inverse, le jugement étranger qui, par la solution donnée, porterait atteinte à l’efficacité de la politique juridique menée par une loi de police étrangère ne sera pas ipso facto norma non grata en France. Il en serait ainsi notamment chaque fois que la loi de police étrangère se révèlerait contraire à l’ordre public français, car on ne saurait reprocher a priori au juge étranger de ne pas avoir consacré pour le cas dont il était saisi, une solution imposée par une loi de police étrangère s’avérant incompatible avec notre ordre public [228]. Ces solutions montrent que des conditions de régularité internationale des jugements étrangers comme celle tenant au respect de l’ordre public encadrent la marge de manoeuvre dont le juge du for doit pouvoir disposer avant d’accepter de seconder la politique législative poursuivie par la loi de police étrangère par la reconnaissance ou l’exécution du jugement étranger l’appliquant – ou à l’inverse avant de refuser de la seconder par la reconnaissance ou l’exécution du jugement étranger la violant [229].

10294. La seconde remarque tient aux relations entre le pouvoir d’appréciation du juge en droit des conflits de juridictions et celui qu’il détient en droit des conflits de lois face à l’efficacité au for d’une loi de police étrangère. Il est en effet intéressant de noter à cet égard que le refus de concession d’un monopole aux considérations d’efficacité de la politique législative au stade de l’effet international du jugement lorsqu’est en cause dans ce jugement une loi de police étrangère est en parfaite harmonie avec le refus de concession d’un tel monopole au stade du conflit de lois lorsqu’est en cause au for une loi de police étrangère [230]. Finalement, il est cohérent que cette dernière, qui ne voit pas son applicabilité au for commandée exclusivement par des données en rapport avec le plein effet de la politique législative qu’elle mène, ne voit pas non plus son efficacité reconnue, en quelque sorte indirectement, à travers une reconnaissance ou un exequatur du jugement étranger qui l’applique, sur la base exclusive de données issues de la même veine.

10395. – Qu’en est-il maintenant du cas où la loi de police en cause dans le jugement étranger est une loi de police en vigueur au for de contrôle du jugement ? La question est alors de savoir si – et le cas échéant dans quelle mesure – le jugement étranger peut, ou même doit être tenu en échec au for en cas de violation, par la solution qu’il apporte, de la loi de police dudit for. L’affirmative est parfois soutenue [231] au motif que « le juge ne peut consacrer, en reconnaissant la décision étrangère, une solution contraire à celle qu’elle [la loi de police du for] édicte » [232]. Dans cette hypothèse pourtant [où il est bien entendu que le législateur ayant édicté la loi de police n’a pas renforcé l’importance qu’il donne à l’efficacité de la politique législative qu’il poursuit par des mesures dans le domaine de l’effet des jugements [233]], nous pensons qu’il doit y avoir place pour d’autres considérations que celles tirées de l’efficacité de la politique législative du for.

10496. Quoi que de façon discrète, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne semble bien l’avoir admis dans l’arrêt Maxicar[234], si l’on veut bien voir dans les dispositions du Traité CE en vigueur à l’époque et relatives à la libre circulation des marchandises (art. 30 à 36 anciens) et à la libre concurrence (art. 86 ancien) des lois de police européennes. Dans cette affaire en effet, la question se posait du pouvoir du juge d’un État partie à la convention de Bruxelles d’écarter comme contraire à l’ordre public un jugement provenant d’un autre État partie dont il était allégué qu’il portait atteinte aux articles 30 à 36 du Traité CE relatifs à la libre circulation des marchandises ainsi qu’à l’article 86 du même Traité, luttant contre les abus de position dominante. Or, après avoir énoncé (§ 30) qu’« un recours à la clause de l’ordre public, figurant à l’article 27, point 1, de la convention, n’est concevable que dans l’hypothèse où la reconnaissance ou l’exécution de la décision rendue dans un autre État contractant heurterait de manière inacceptable l’ordre juridique de l’État requis, en tant qu’elle porterait atteinte à un principe fondamental », et qu’« afin de respecter la prohibition de la révision au fond de la décision étrangère, l’atteinte devrait constituer une violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’État requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique », la Cour précise finalement (§ 33) que « Le juge de l’État requis ne saurait, sous peine de remettre en cause la finalité de la convention, refuser la reconnaissance d’une décision émanant d’un autre État contractant au seul motif qu’il estime que, dans cette décision, le droit national ou le droit communautaire a été mal appliqué ». Le principe de prohibition de la révision, et certainement celui du respect de l’autorité de la chose jugée qui se profile derrière lui [235], apparaissent ici bel et bien comme l’emportant, dans l’esprit de la Cour, sur les considérations d’efficacité de la politique législative de l’Union, qui auraient conduit à permettre, voire à imposer le contrôle de la bonne application des règles matérielles européennes [236].

10597. La reconnaissance doit par conséquent quand même être admise, si elle s’avère dictée par des raisons décisives. Ces raisons ne sont pas profondément différentes [237] en matière de jugement étranger de celles qui ont été justement dégagées en matière de sentence arbitrale [238]. L’existence d’une décision ayant tranché le litige est une donnée considérable, et parfois curieusement négligée [239], qui vient singulariser l’hypothèse de l’efficacité internationale de la loi de police lorsque la question qui se pose au for est celle de l’effet d’un jugement étranger l’ayant appliquée (ou, selon le cas, ayant refusé à tort de le faire) par rapport à l’hypothèse de l’efficacité internationale de la loi de police lorsque la question qui se pose au for est celle de son application directe par ce for.

106Dans la première hypothèse en effet la question de l’autorité de la chose jugée qui doit éventuellement être accordée à la décision mérite d’être posée, à côté de celle de l’efficacité de la politique législative poursuivie par la loi de police du for. Mieux encore même, il est permis de dire que les données tirées de l’autorité de la chose jugée prennent, en l’état d’un décision de justice ayant déjà tranché le cas, une importance qu’elles ne peuvent par hypothèse pas avoir lorsqu’aucune décision n’existe encore et que le for s’apprête à en rendre une [240]. Comme en présence d’une sentence arbitrale [241], il faut conclure que l’efficacité de la politique législative devrait alors s’incliner devant la l’autorité de la chose jugée en l’absence d’une violation flagrante, effective et concrète de la loi de police par le juge étranger. En présence d’une telle violation, l’ordre public du for devrait en revanche être considéré comme affecté, l’efficacité de la politique législative reprenant alors le dessus sur le besoin de non renouvellement du contentieux.

10798. Une ultime précision servira de conclusion à ces développements sur l’efficacité, en droit des conflits de juridictions, des politiques législatives poursuivies par les lois de police. Les principes qui viennent d’y être convoqués ne doivent pas être pris pour plus que ce qu’ils sont : des principes, qui, à l’occasion de leur mise en oeuvre dans un cas concret, nécessitent d’être maniés avec précaution afin que leur généralité ne conduise pas à balayer une nuance qui aurait été bienvenue dans le cas en cause. Il est certainement bon de pouvoir prendre appui sur des directives lorsque l’on est hésitant sur la réponse à apporter au cas d’espèce, conformément aux préceptes de la « dialectique du principe et de l’exception » [242]. Pourtant, face à des lois de police qui, pour toutes réclamer un domaine d’application conforme à ce que l’efficacité de la politique législative qu’elles poursuivent exige, n’en voient pas moins leur impérativité respective affectée de possibles variations selon la volonté du législateur de la verrouiller ou non au plan du conflit de juridictions, il est probable que les réponses du juge doivent se faire loi de police par loi de police [243], en vérifiant, dès qu’une telle disposition est en cause, si et le cas échéant dans quelle mesure son auteur a effectivement entendu verrouiller, au plan du conflit de juridictions, l’impérativité dont la loi de police bénéficie, au plan du conflit de lois, dans son for d’origine pour les situations qu’elle vise.

10899. Nous avons noté que, autant lorsqu’est en cause la compétence directe qu’en matière d’effet des décisions, le législateur peut prendre des mesures manifestant sa volonté de voir renforcée l’efficacité de le politique qu’il met en oeuvre à travers sa loi, en conférant un monopole de juridiction à ses juges pour l’appliquer (compétence exclusive, inarbitrabilité), voire en prévoyant un contrôle strict du jugement étranger ou de la sentence arbitrale rendu dans une affaire où elle se voulait applicable. Il est clair qu’en ce cas, le juge du for où est en vigueur la loi de police est tenu par les ordres ainsi reçus de son législateur, qui peuvent donc déroger aux directives générales dégagées ci-dessus. Ces dernières demeurent utiles pour les cas non pourvus d’une solution expresse par le législateur. Pourtant, même en face de ces cas, le juge ne peut se contenter de les appliquer mécaniquement, car il y aura toujours lieu de se demander si, compte tenu de la politique juridique en cause, une efficacité renforcée n’a pas été réclamée implicitement par le législateur pour la loi de police examinée. S’il apporte une réponse positive à cette question, le juge doit pouvoir alors moduler cette efficacité renforcée en fonction de la volonté supposée du législateur, en admettant ou excluant selon le cas, l’effet recherché par la clause de juridiction ou d’arbitrage, éventuellement sous condition [244], ou en contrôlant de façon plus ou moins approfondie l’applicabilité et l’application de la loi de police par le jugement étranger ou la sentence.

109100. En conclusion générale, nous sommes tenté de parodier l’Abbé Sieyès dans son pamphlet : « Qu’est-ce que le tiers-état ? » de 1789, en transposant sa fameuse apostrophe à la situation de la politique législative dans la théorie des lois de police. À la question « qu’est-ce que la politique législative ? », la réponse se fait alors en trois temps :

110

  1. Qu’est-ce que la politique législative ? Tout.
  2. Qu’a-t-elle été jusqu’à présent dans l’ordre des lois de police ? Rien.
  3. Que demande-t-elle ? À y devenir quelque chose.

111À y devenir « quelque chose » au stade de la définition des lois de police, qui devrait généralement présenter ces dernières comme se caractérisant par l’influence exercée par les considérations tirées de l’efficacité de la politique législative poursuivie sur la détermination de leur rayon d’action.

112À y devenir « quelque chose » (donc pas nécessairement « tout ») au stade du régime des lois de police, qui devrait être modulé en fonction de considérations tirées notamment de l’efficacité de la politique législative, ces considérations méritant d’être mises en balance avec d’autres, de fond ou de procédure, en présence d’une loi de police étrangère, aussi bien qu’en présence d’une procédure (judiciaire ou arbitrale) étrangère ou d’une décision (jugement ou sentence) étrangère lorsque ces dernières mettent en cause une loi de police.

Notes

  • (1)
    Règl. (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), JOUE L 177, 4 juillet 2008, p. 6 s. (ci-après « règlement Rome I »).
  • (2)
    V. règl. Rome I, art. 28 et 29, tels qu’ils résultent du rectificatif publié au JOUE du 24 nov. 2009.
  • (3)
    V. Sur ce point, A. Bonomi, « Le norme di applicazione necessaria nel regolamento “Roma I”, in N. Boschiero (a cura di), La nuova disciplina comunitaria della lege applicabile al contratti, Turin, Giappichelli ed., 2009, p. 173 s., spéc. p. 175 ; depuis lors, cette définition est reprise, en droit de l’Union européenne, par les propositions de règlement du Conseil du 16 mars 2011 en matière de partenariats enregistrés (art. 17) et de régimes matrimoniaux (art. 22) : v. COM(2011) 127/2 et COM(2011) 126/2.
  • (4)
    CJCE 23 novembre 1999, Arblade, aff. C-369/96 et C-376/96, cette Revue, 2000. 710, note M. Fallon, JDI 2000. 493, note M. Luby : dans cet arrêt, la Cour définit les lois de police comme « des dispositions nationales dont l’observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique de l’État membre concerné, au point d’en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire national de cet État membre ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci ».
  • (5)
    P. Francescakis, Rép. internat., t. I, 1968, v° Conflits de lois (principes généraux), spéc. p. 480, où l’auteur fixe la catégorie des lois de police en y regroupant les lois « dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique du pays ».
  • (6)
    Sous l’empire de l’article 9, § 2, du règlement Rome I, comme sous celui de l’article 7, § 2, de la convention de Rome, les lois de police du for voient leur applicabilité laissée intacte par la règle de conflit européenne uniforme (v. infra, n° 55 s.).
  • (7)
    V. infra, n° 64.
  • (8)
    Comme en atteste l’entrée « loi de police » figurant à l’Encyclopédie Dalloz de droit international (2e éd. 1998) ; adde, Vocabulaire juridique (dir. G. Cornu), v° Loi, II, qui comprend l’expression « lois de police et de sureté » au sens du droit international privé. L’expression fait partie du vocabulaire employé dans ses conventions par la Conférence de La Haye depuis la convention de 2006 sur la loi applicable à certains droit sur des titres détenus auprès d’un intermédiaire, qui retient comme titre de son article 11 « ordre public et lois de police ». Il est classique, en français juridique, de noter que le phénomène des lois de police en théorie générale est parfois dénommé différemment, à travers des expressions comme celles de « loi d’application immédiate », « loi d’application nécessaire », ou plus rarement « loi d’ordre public », recouvrant, avec des nuances, la même réalité. Naturellement, la doctrine non francophone a dû aborder à son tour le phénomène des lois de police dans sa langue d’expression, v. A. Bonomi, « Mandatory Rules in Private International Law », Yearbook of PIL, vol. I, 1999, p. 215 s., spéc., p. 225. Le choix d’une dénomination se révèle difficile dans certaines langues, notamment en anglais, où la formule overriding mandatory rule semble finalement l’avoir emporté (v. la version anglaise du règlement Rome I, art. 9, intitulé « overriding mandatory rules ») ; sur les limites de cette appellation, v. infra, n° 37, ad notam).
  • (9)
    P. Mayer, « Les lois de police », Trav. Com. fr. DIP, Journée du cinquantenaire, éd. CNRS, 1989, p. 105 s., spéc. p. 108.
  • (10)
    Nullité du contrat pour illicéité de la cause régie par une loi d’embargo étrangère et non par la lex contractus : Cass. com., 16 mars 2010, n° 08-21.511, Ap MollerMaersk c/ Viol frères JDI 2011. 98, note A. Marchand, D. 2010. pan. 2329, obs. S. B., JCP G 2010, n° 530, p. 996 à 999, note D. Bureau et L. d’Avout.
  • (11)
    Affirmation de l’applicabilité du droit européen de la concurrence, dans ses dispositions luttant contre les ententes et les abus de position dominante, qualifiées de « lois de police économique » et de « réglementation d’ordre public », en l’état d’un contrat de joint-venture soumis au droit suisse : Paris, 19 mai 1993, Labinal, JDI 1993. 957, note L. Idot, Rev. arb. 1993. 645, note C. Jarrosson.
  • (12)
    Cassation d’un arrêt pour avoir jugé, en l’état d’un emprunt bancaire contracté par un emprunteur non professionnel résidant en France auprès d’une banque allemande et soumis par une clause de choix de la loi à la loi allemande, que « la loi française sur le crédit à la consommation ne contient aucune disposition relevant de l’application de l’article de la Convention [de Rome] sur les lois de police » : Cass. civ. 1re, 23 mai 2006, n° 03-15.637, Dame Meyer c/ Commerzbank, cette Revue, 2007. 85, note D. Cocteau-Senn, JDI 2007. 537, A. Sinay-Cytermann, D. 2006. 2798, note M. Audit, Rev. Contrats, 2006. 1253, obs. P. Deumier, RTD com. 2006. 644, obs. D. Legeais, et notre chronique sur « Le sort de la théorie des clauses spéciales d’application des lois de police en droit des contrats internationaux de consommation », D. 2006. 2464.
  • (13)
    V. par ex., en Amérique du nord, Cour suprême du Canada, R. c/ Thomas Equipment, [1979] 2 R.C.S. 529, et commentaire H. P. Glenn (1981) 59, R. du B. can. 840-846 : Contrat régi par la loi du Nouveau-Brunswick selon la règle de conflit ordinaire, application de la loi d’Alberta imposant l’obligation au vendeur de racheter le matériel agricole vendu, sans égard pour la loi applicable au contrat ; v. sur cette affaire, G. Goldstein et E. Groffier, Droit international privé, t. I, Théorie générale, éd. Yvon Blais Inc. Québec, 1998, p. 98. Et plus généralement sur les lois de police en droit international privé canadien, v. G. Goldstein, « Le recours aux objectifs de la loi dans son application en droit international privé canadien », in Assoc. Int. de Méthodo. Jurid., Le recours aux objectifs de la loi dans son application, Bruxelles, Story Scientia, 1990, p. 95 s., spéc. p. 100-122.
  • (14)
    V. sur ce thème, sous l’angle du droit international privé européen, autant que droit commun, B. Ancel et H. Muir Watt, « Du statut prohibitif (droit savant et tendances régressives) », in Études à la mémoire du professeur Bruno Oppetit, Litec, 2009, p. 75 s., spéc. p. 21-31.
  • (15)
    Cass. civ., 27 oct. 1964, Maro, cette Revue, 1965. 119, 1re esp., et Chronique Jacques Foyer, « Les mesures d’assistance éducative en droit international privé », eod. loc. p. 39, spéc. n° 34, p. 60.
  • (16)
    Sur les liens entre l’ordre public de direction, caractéristique du dirigisme économique, et les lois de police ou d’application nécessaire, v. A. Chapelle, Les fonctions de l’ordre public en droit international privé, th. [dactyl.] Paris II, 1979, t. II, p. 317 s. Certains auteurs évoquent plus synthétiquement « le rôle interventionniste de l’État » : v. D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, t. I, Puf, 2e éd. 2010, p. 593.
  • (17)
    J.-B. Racine, « Droit économique et lois de police », RID éco. 2010. 61 s., spéc. p. 64 ; et plus généralement, M.M. Salah, « Les transformations de l’ordre public économique. Vers un ordre public régulatoire ? », in Philosophie du droit et droit économique. Quel dialogue ?, Mélanges en l’honneur de G. Farjat, éd. Frison-Roche, 1999, p. 261 s.
  • (18)
    Suite aux analyses de Batiffol, « Le pluralisme des méthodes en droit international privé », RCADI 1973. II. 75 s., spéc. p. 145.
  • (19)
    Régulation des marchés par le droit de la concurrence, aff. Labinal, préc. supra, n° 6, ad notam.
  • (20)
    Embargo pour raison de santé publique concernant la viande bovine d’origine française à l’époque de l’épidémie d’encéphalopathie spongiforme bovine, aff. MollerMaersk c/ Viol frères, préc. supra, n° 6, ad notam.
  • (21)
    Protection du consommateur : aff. Dame Meyer c/ Commerzbank, préc. supra, n° 6, ad notam ; protection de l’enfance en danger : aff. Maro, préc., supra, n° 6, ad notam.
  • (22)
    V. infra, n° 23.
  • (23)
    V. dépeignant ce mouvement, B. Ancel et H. Muir Watt, « Du statut prohibitif […] », op. cit., p. 22-26.
  • (24)
    V. par exemple, P. Mayer dans les débats faisant suite à la communication de Mme M.-E. Ancel devant le Comité français de droit international privé sur « La protection internationale des sous-traitants », séance du 26 mars 2010, à paraître in Trav. Com. fr. DIP 2008-2010, Pedone, 2011 : « je craindrais que le simple fait qu’une nouvelle règle poursuive une politique ne soit vraiment un critère beaucoup trop large, parce qu’après tout comment distinguer les règles qui poursuivent une politique et celles qui n’en poursuivent pas ; est-ce qu’elles n’en poursuivent pas toutes une ; à ce momentlà, par exemple la position italienne qui refuse l’action directe au sous-traitant, on peut dire que c’est aussi une certaine politique. On en reviendrait en fait à la notion américaine de policy et à ce moment-là toutes les règles sont susceptibles d’entrer en conflit positif les unes avec les autres car elles sont toutes inspirées par une policy ».
  • (25)
    Sur le caractère exceptionnel de la méthode des lois de police par rapport à la méthode dite du conflit de lois, v. parmi d’autres, H. Batiffol, « Le pluralisme des méthodes […] », préc., spéc. p. 139.
  • (26)
    V. en particulier, B. Ancel et H. Muir Watt, « Du statut prohibitif […] », op. cit., p. 22 s. ; H. Muir Watt, « Les limites du choix : dispositions impératives et internationalité du contrat », in S. Corneloup et N. Joubert (dir.), Le règlement « Rome I », et le choix de la loi dans les contrats internationaux, Litec, 2011, p. 342.
  • (27)
    Sur cette évolution, v. infra, n° 20.
  • (28)
    V. A. Bonomi, « Mandatory Rules… », op. cit., p. 232-233 ; H. Gaudemet-Tallon, « La clause attributive de juridiction, un moyen d’échapper aux lois de police ? », in K. Boele-Woelki, T. Einhorn, D. Girsberger et S. Symeonides (eds), Convergence and Divergence in PIL – Liber Amicorum Kurt Siehr, Pays-Bas, 2010, Eleven International Publ., p. 720 s., spéc. p. 713-715.
  • (29)
    P. Francescakis, « Quelques précisions sur les lois d’application immédiate et leurs rapports avec les règles sur les conflits de lois », cette Revue, 1966. 1 s., et précédemment même, La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en droit international privé, Dalloz 1958, p. 11 s. où l’expression « loi d’application immédiate » est employée pour la première fois.
  • (30)
    Op. cit., p. 3.
  • (31)
    Op. cit., p. 8-9.
  • (32)
    P. Francescakis, Rép. internat., t. I, 1968, v° Conflits de lois (principes généraux), op. cit., spéc. n° 137, p. 480.
  • (33)
    Sur l’indifférence de la nature de règle de droit privé ou de droit public lors de l’opération de qualification d’une disposition comme loi de police, v. P. Francescakis, Rép. internat., t. I, 1968, v° Conflits de lois (principes généraux), op. cit., spéc. n° 124.
  • (34)
    V. not., H. Batiffol, « Le pluralisme des méthodes… », op. cit., p. 138 ; V. Heuzé, La réglementation française des contrats internationaux, GLN Joly, 1990, n° 361, p. 173.
  • (35)
    Art. 7, Lois de police : « 1. Lors de l’application, en vertu de la présente convention, de la loi d’un pays déterminé, il pourra être donné effet aux dispositions impératives de la loi d’un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat. Pour décider si effet doit être donné à ces dispositions impératives, il sera tenu compte de leur nature et de leur objet ainsi que des conséquences qui découleraient de leur application ou de leur non-application. « 2. Les dispositions de la présente convention ne pourront porter atteinte à l’application des règles de la loi du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat ».
  • (36)
    V. sur ce point, P. de Vareilles-Sommières, « L’ordre public dans les contrats internationaux en Europe », in Mél. P. Malaurie, Defrénois 2005, p. 393 s., spéc. p. 401.
  • (37)
    V. les explications données sur ce point par C. Hahn (débats faisant suite à sa communication « La liberté de choix dans les instruments communautaires récents Rome I et Rome II ; l’autonomie de la volonté entre intérêt privé et intérêt général », Trav. Com. fr. DIP, 2006-2008, p. 187 s., spéc. p. 203).
  • (38)
    Règl. (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II »), JOUE L 199, 31 juillet 2007, p. 40 s.
  • (39)
    V. sur ce point l’intitulé finalement retenu pour l’art. 16 règl. Rome II.
  • (40)
    Sur la définition des lois de police sous l’empire du règlement Rome I, v. infra, n° 20 s.
  • (41)
    CJCE 23 novembre 1999, Arblade, aff. C-369/96 C-376/96, préc. ; et, depuis lors, CJCE 19 juin 2008, Commission c/ Luxembourg, aff. C-319/06, JDI 2009. 665, obs. S. Francq, D. 2008. pan. 3042, obs. M. S.
  • (42)
    Cass. com., 13 juillet 2010, 09-13.354, Soc. Tranzimaz, cette Revue, 2010. 720, rapp. A. Potocki ; 10-12.154, système U, JDI 2011. 91, note F. Jault-Seseke, D. 2010. 2339, note V. Da Silva, et pan. 2329, obs. S. B. ; JCP G 2010, n° 972, note D. Bureau et L. D’Avout.
  • (43)
    Supra, n° 9.
  • (44)
    V. supra, n° 12.
  • (45)
    V. supra, n° 9.
  • (46)
    En ce sens, v. les intéressantes analyses de R. Plender et M. Wilderspin (The European Private International Law of Obligations, Londres, Sweet & Maxwell, 3e éd. 2009, p. 334 s., n° 12-004 à 12-012).
  • (47)
    V. Par ex. L. d’Avout, « Le sort des règles impératives dans le règlement Rome I », D. 2008. 2165 ; S. Francq et F. Jault-Seseke, « Les lois de police, une approche de droit comparé », in S. Corneloup et N. Joubert (dir.), Le règlement communautaire Rome I et le choix de la loi dans les contrats internationaux, Litec, 2011, p. 357 s., spéc. p. 361-366. La position de ces auteurs est cependant tempérée par l’emploi du conditionnel, et par l’admission (note 122, p. 392), pour les lois de police étrangères, qu’elles « protègent des intérêts privés et non publics ». Comp., au sujet plus particulièrement de la qualification de la loi française de 1975 sur la sous-traitance, M.-E. Ancel, « La protection internationale… », op. cit. ; en langue anglaise, v. F.-J. Garcimartin-Alférez, The European Legal Forum, 2008-2, I-76, I-77, faisant référence au concept allemand d’Eingriffsrechte, qui vise les dispositions poursuivant des objectifs d’intérêt public, par opposition à celles qui poursuivent des objectifs de protection des intérêts privés des parties (parfois appelées Parteischutzvorschriften) ; selon cet auteur, seules les premières dispositions seraient qualifiables de lois de police sous l’empire du règlement Rome I.
  • (48)
    V. par ex., A. Bonomi, « Quelques observations sur le règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles », in Regards comparatistes sur le phénomène contractuel, PUAM, 2009, p. 225 s. spéc. p. 235-238 ; et « Le norme di applicazione necessaria nel regolamento “Roma I” », in N. Boschiero (a cura di), La nuova disciplina communitaria…, op. cit., p. 172 s., spéc. p. 184 ; J.-B. Racine, « Droit économique… », op. cit., p. 69.
  • (49)
    Dans le même sens, v. S. Francq et F. Jault-Seseke, « Les lois de police, une approche de droit comparé », op. cit., p. 366-371.
  • (50)
    I Fadlallah, La famille légitime en droit international privé, Dalloz, 1977, n° 127, p. 124 ; pour l’auteur, le propre d’une loi de police se situe dans « le lien qui unit sa teneur à son domaine dans l’espace ».
  • (51)
    G. Goldstein, De l’exception d’ordre public aux règles d’application nécessaire, étude du rattachement substantiel impératif en droit international privé canadien, Ed. Thémis, Montréal, Canada, 1996, p. 97, n° 219 : « Les lois d’application immédiate, ou normes d’application nécessaire [c’est-à-dire, pour l’auteur, les lois de police, v. op. cit., n° 216] sont donc 1° des dispositions matérielles impératives de droit interne, 2° dont l’application exclut l’utilisation de la règle de conflit, 3° parce que ceci est nécessaire à la réalisation des buts d’intérêt général qu’elles mettent en oeuvre ».
  • (52)
    B. Rémy, Exception d’ordre public et mécanisme des lois de police en droit international privé, Dalloz 2008, p. 263, n° 473 : « Ainsi, dans le cadre du mécanisme des lois de police, l’élément de référence que devra déterminer le juge est l’objectif en fonction duquel une norme donnée a été élaborée ».
  • (53)
    V., combinant la teneur et le but : P. Mayer, « Les lois de police étrangères », JDI 1981. 277 s. ; l’auteur y définit (p. 292) les lois de police comme « des règles dont la teneur ou le but appellent leur application à des situations qui ne leur sont pas soumises par la règle de conflit » ; adde, du même auteur, « Les lois de police », op. cit,. p. 107. Et, combinant le but et l’objectif, A. Bucher, « L’ordre public et le but social des lois en droit international privé », RCADI 1993-II, t. 239, p. 56, n° 28 : après avoir souligné que « Les situations à caractère international, susceptibles d’être régies par une règle d’ordre public, sont déterminées en fonction du but de la règle considérée », l’auteur ajoute, au sujet de ces règles d’ordre public, que « La portée internationale de ces règles ne peut pas être définie autrement que dans la perspective de leur assurer un domaine d’efficacité nécessaire à la mise en oeuvre des objectifs sur lesquels elles sont fondées » (italiques ajoutés par nous).
  • (54)
    B. Rémy, Exception d’ordre public…, op. cit. p. 196, n° 355.
  • (55)
    Par exemple, A. Bucher (« L’ordre public et le but social des lois… », op. cit., p. 65) souligne la différence d’approche de l’ordre public dans la doctrine contemporaine selon que la détermination de la loi applicable ressortit à la méthode des conflits de lois ou à celle des lois d’application immédiate en notant que dans le premier cas, contrairement au second, « la doctrine contemporaine tend à isoler l’influence de la politique législative propre au droit matériel et à l’écarter des objectifs propres aux règles de conflit » (italiques ajoutés par nous) ; adde, B. Rémy (Exception d’ordre public…, op. cit., n° 10), identifiant en doctrine une tendance à considérer le mécanisme des lois de police comme traduisant « parfois, avec l’exception d’ordre public, le même souci de rendre compte d’une politique législative, d’un objectif, d’un but » (italiques ajoutés par nous) ; M. Fallon, « Les règles d’applicabilité en droit international privé », in Mél. Vander Elst, Bruxelles, Nemesis, 1986, p. 285 s., spéc. p. 302, pour qui la loi de police traduit « une politique du législateur tendant à réglementer de manière impérative certains rapports juridiques pour la protection d’intérêts jugés, à tort ou à raison, essentiels » ; A. Nuyts, « L’application des lois de police dans l’espace », cette Revue, 1999. 31 s., spéc. p. 40 : « Le domaine d’application spatial des lois de police doit être déterminé par référence à la politique générale poursuivie par son auteur ». B. Ancel et H. Muir Watt, « Du statut prohibitif […] », op. cit., p. 22-23, où les auteurs évoquent, au sujet des lois d’application immédiate, la nécessité de « reconnaître l’action de politiques étatiques impératives, dont la caractéristique est […] de nécessiter la mise en oeuvre d’un raisonnement fonctionnaliste qui rend leur champ dans l’espace directement tributaire de leur finalité ». Dans son article sur « Les lois de police étrangères » (op. cit., n° 17, p. 291), P. Mayer évoque une catégorie de lois d’application nécessaire (qu’il qualifiera quelques lignes plus bas précisément de lois de police) dont la compétence dépend d’un critère « choisi comme convenant à la politique poursuivie par l’auteur de la règle » (italiques ajoutés par nous) ; comp. D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, t. 1, préc., p. 594 : les auteurs notent que le champ d’application revendiqué par les lois de police est « déterminé, selon une démarche fonctionnaliste, au regard des finalités ou politiques poursuivies […] » (italiques ajoutés par nous) ; et, au sujet de l’application des lois de police étrangères, H. Batiffol et P. Lagarde (Traité de droit international privé, t. I, LGDJ, 8e éd., 1993, n° 254, p. 429) énoncent qu’« un pouvoir d’appréciation doit être laissé au juge, qui n’a pas nécessairement à tenir compte de toutes les politiques législatives étrangères prétendant imposer leurs propres dispositions quelle que soit la loi applicable » (italiques ajoutés par nous).
  • (56)
    De l’exception d’ordre public…, op. cit., p. 222-228.
  • (57)
    Op. et loc. cit., et le récapitulatif, p. 294 : « La théorie des intérêts gouvernementaux représente aux États-Unis, une tentative généralisée de rechercher le rattachement substantiel exigé rationnellement par les politiques (impératives ou non) des États dont les lois sont potentiellement intéressées par la situation. On peut donc la rapprocher par certains aspects de la méthode des règles d’application nécessaire ».
  • (58)
    V. supra, n° 12.
  • (59)
    P. Francescakis, « Quelques précisions… », op. cit., p. 8-9.
  • (60)
    V. A. Chapelle, Les fonctions de l’ordre public en droit international privé, op. cit., t. I, p. 273.
  • (61)
    V. P. Francescakis, « Y a-t-il du nouveau en matière d’ordre public ? », Trav. Com. fr. DIP 1966-1969. 149 s., spéc. p. 163 s. Le fait que, malgré la différence des raisonnements propres au déroulement de chaque mécanisme (loi de police et exception d’ordre public), la même cause (l’ordre public) produise le même effet (l’application de la loi du for) a évidemment contribué au brouillage des frontières entre les deux mécanismes, thème récurrent en doctrine contemporaine (v. par ex., B. Rémy, Exception d’ordre public…, op. cit., passim ; G. Goldstein, De l’exception d’ordre public…, op. cit., passim ; A. Bonomi, « Mandatory rules… », op. cit., p. 229 ; V. Heuzé, La réglementation française…, op. cit., n° 375, p. 179 s. ; P. Courbe, « Ordre public et loi de police en droit des contrats internationaux », Etudes offertes à B. Mercadal, éd. Francis Lefebvre, 2002, p. 99 s.). Le brouillage ne doit pourtant pas conduire à la confusion, car l’exception d’ordre public, qui ne permet que la protection des valeurs en vigueur au for, ne parvient pas à rendre compte de l’affirmation moderne de l’applicabilité possible d’une loi de police étrangère (sur laquelle v. en doctrine, P. Mayer, « Les lois de police étrangères », op. cit. ; en législation, Conv. Rome, art. 7, § 1, règl. Rome I, art. 9, § 3 ; en jurisprudence, Cass. com., 16 mars 2010, aff. Viol frères, préc. supra, n° 6, ad notam).
  • (62)
    On notera que la traduction anglaise de ce terme, qui donne public policy, correspond précisément au terme employé en droit international privé anglais pour dénommer l’ordre public.
  • (63)
    On retrouve ici le lien déjà mentionné (v. supra, n° 7) entre la méthode des lois de police et la démarche fonctionnaliste, sur lesquels H. Muir Watt a justement insisté dans plusieurs écrits, parmi lesquels v. notamment B. Ancel et H. Muir Watt, « Du statut prohibitif […] », op. cit., p. 22 s. ; H. Muir Watt, « Les limites du choix […] », op. cit., p. 341 s.
  • (64)
    V. déjà, H. Battifol, note sous Cass. soc., 16 janv. 1953, cette Revue, 1953. 581. Selon l’auteur, « Par un accord tacite universel, personne n’a jamais douté qu’il était impossible d’échapper aux lois sur les loyers en prétextant que le contrat de bail était soumis, par la volonté des parties, à une loi étrangère. Il est clair que ce domaine échappe à la loi d’autonomie ».
  • (65)
    Comp., I. Fadlallah, La famille légitime…, op. cit., n° 135, p. 131, où l’auteur voit « une directive de sagesse » dans l’assertion qu’« il n’y a de loi de police que lorsque l’efficacité de l’ordre légal est conditionnée par le champ d’application qui lui est reconnu dans l’espace ». C’est bien admettre qu’il faut tenir compte de cette efficacité dans la fixation du domaine spatial assigné à la loi de police.
  • (66)
    Dans cette optique, on peut avancer que la loi de police se présente comme une disposition prise en exécution d’une politique législative dont l’efficacité importe à son auteur au point qu’elle détermine, à ses yeux, l’étendue de son rayon d’action.
  • (67)
    La Cour de cassation française vient, à sa manière, de le formuler sous la plume de sa chambre commerciale dans un arrêt du 27 avril 2011 (n° 09-13.524, Urmet c/ Crédit Lyonnais et. al., D. 2011. 1654, noet Y.-E. Le Bos). En cassant un arrêt qui avait qualifié la loi française du 31 décembre 1975, dans son article 13-1, de loi de police, la Cour de cassation fait savoir qu’une telle qualification nécessite que soit caractérisée « l’existence d’un lien de rattachement de l’opération avec la France au regard de l’objectif de protection des sous-traitants poursuivi par le texte précité ». Elle laisse ainsi entendre que l’interdépendance entre l’objectif du texte en cause (c’est-à-dire, comme on sait – v. supra, n° 27 – l’efficacité de la politique législative) et le choix du facteur de rattachement est une donnée essentielle pour la qualification d’une législation sous le rapport de la notion de loi de police.
  • (68)
    Supra, n° 6.
  • (69)
    On notera que ce potentiel d’évitement se retrouve, en dehors du domaine contractuel et du principe d’autonomie, chaque fois que le facteur de rattachement retenu par la règle de conflit laisse aux parties une influence sur la loi applicable par l’action qu’elles demeurent susceptibles d’exercer sur l’élément localisateur (voire sur la qualification). Ainsi, en matière de sociétés commerciale, le choix du lieu d’implantation du siège social permet de déclencher l’applicabilité d’une loi dans les pays dont la règle de conflit de lois retient le siège social comme facteur de rattachement. Le célèbre arrêt Compagnie Internationale des Wagons-Lits (CE 29 juin 1973, cette Revue, 1974. 344, concl. Questiaux, et la chron. P. Francescakis, p. 273 ; JDI 1975. 538, note M. Simon-Depitre ; B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, Dalloz, 5e éd. 2006, n° 53, p. 487) rend compte de ce cas de figure, où le siège social est neutralisé, comme facteur de rattachement, par le facteur de rattachement spécial de l’exercice en France des responsabilités d’employeur, retenu par le Conseil d’État pour toute question couverte par la loi française sur les comités d’entreprise, et ce afin de garantir l’efficacité de la politique que cette loi poursuivait.
  • (70)
    Cass., ch. mixte, 30 novembre 2007, n° 06-14.006, Agintis c/ Basell production France, cette Revue, 2009. 728, 1re esp. note M.-E. Ancel, JDI 2008. 1073, 1re esp. note L. Perreau-Saussine, D. 2008. 753, note W. Boyault et S. Lemaire et Pan. 1510, obs. P. C., Pan. 2564, obs. L. d’Avout et S. Bollée JCP G 2008. II. 10000, note L. d’Avout, Gaz. Pal. 22 mars 2008, n° 82, p. 34, note M.-L. Niboyet, RTD com. 2008. 456, obs. P. Delebecque, Bull. inf. C. cass. 2008. 679, p. 29, rapp. Monéger, avis av. gén. Guérin.
  • (71)
    V. aussi, Cass. civ. 3e, 8 avril 2008, n° 07-10.763, S Campenon Bernard Méditerranée c/ S Basell Production France, JDI 2008. 1073, 3e esp., note L. Perreau-Saussine. Dans d’autres espèces la même loi de police était en cause, mais elle tenait en échec, non la loi choisie par les parties, mais la loi désignée objectivement par la règle de conflit applicable à défaut de choix.
  • (72)
    La doctrine a parfois exprimé des doutes sur la justesse de l’analyse ainsi suivie par la jurisprudence ; v. pour une synthèse, M.-E. Ancel, « La protection internationale des sous-traitants », op. cit.
  • (73)
    Les deux documents figurent au Bull. inf. C. cass. 2008, n° 679, p. 31 et 44.
  • (74)
    V. Dicey, Morris et Collins on The Conflict of Laws, 14e éd. Londres, Sweet and Maxwell, t. I, p. 24, n° 1-053 : « One of the main reasons for the overriding character of such legislation is that otherwise the intention of the legislature to regulate certain contractual matters could be frustrated if it were open to the parties to choose some foreign law to govern their contract ». Overriding signifie en ce sens pour une loi impérative : « supplantant la volonté des parties nonobstant son efficacité selon le principe d’autonomie » ; la prévalence de la loi impérative est alors une question de hiérarchie des normes, la loi l’emportant sur la volonté des parties.
  • (75)
    Il ne faut en même temps pas se cacher que cette dénomination présente l’inconvénient de laisser entendre que les lois de police ne sont supposées se développer que lorsque la règle de conflit est la loi d’autonomie et que les parties ont effectivement exercé leur autonomie en choisissant un certain droit comme étant applicable. Cette autonomie est alors tenue en échec par les overriding mandatory rules, qui contrairement aux autres ne peuvent être évincées par la volonté contraire des parties. Pourtant il faut bien garder présent à l’esprit que les lois de police d’un État sont tout autant susceptibles de s’imposer aux yeux de cet État dans les matières où la règle de conflit retient un facteur de rattachement objectif ne laissant pas de rôle direct à la volonté des parties dans la fixation de la loi applicable. En ce cas, la distinction entre les merely et les overriding mandatory rules perd sa pertinence. À la vérité, aucune des règles matérielles en présence ne peut alors être écartée par la volonté contraire des parties : ni les mandatory rules de la loi désignée par la règle de conflit, qui s’appliquent objectivement dans le domaine qui est le leur selon cette dernière, ni les mandatory rules posées par la loi de police, qui s’appliquent devant le juge de l’État où elles sont en vigueur, dans le domaine qu’elles s’assignent, sans avoir besoin de primer pour cela sur la volonté des parties qui en toute hypothèse ne se voit accorder aucun rôle par la règle de conflit ordinaire. Le terme overriding adjoint à l’expression mandatory rule n’a plus alors le sens de « supplantant la volonté des parties nonobstant son efficacité selon le principe d’autonomie » (v. supra, note précédente), mais doit recevoir, pour rester pertinent, celui de « supplantant toute autre loi nonobstant son efficacité selon la règle de conflit » ; la prévalence de la loi impérative est alors une question de domaine d’application des règles en présence : ce n’est plus la loi impérative qui supplante les autres lois, ce sont les considérations d’efficacité de la politique législative poursuivie qui supplantent les autres considérations dans la fixation du domaine spatial de la loi en question.
  • (76)
    CIJ 28 novembre 1958, Application de la convention de 1902 pour régler la tutelle des mineurs (Pays-Bas c/ Suède), CIJ Rec. 1958, p. 55.
  • (77)
    H. Batiffol et P. Francescakis, « L’arrêt Boll de la Cour internationale de justice et sa contribution à la théorie du droit international privé », cette Revue, 1959. 259 s., spéc. n° 12, p. 271.
  • (78)
    Tout au plus faudrait-il en conclure à la nécessité de faire intervenir les considérations tirées de l’efficacité de la politique législative poursuivie au stade de la détermination du droit applicable pour l’ensemble des rapports internationaux de droit privé. On sait que cette voie a été explorée par la doctrine américaine après la seconde guerre mondiale, sans que les résultats auxquels elle a pu aboutir aient été jugés en principe convaincants en Europe ; v. sur ce point, en langue française, G. Goldstein, De l’exception d’ordre public…, op. cit., spéc. p. 222-297.
  • (79)
    En ce qui concerne l’Amérique du nord, les choses sont différentes en raison de l’évolution qu’a connue le droit des conflits de lois à la suite que ce qui a été appelé la « révolution américaine », après la seconde guerre mondiale. Cette révolution a précisément conduit les États-Unis et dans une certaine mesure le Canada, à écarter les hard and fast rules de type savignien pour les remplacer par des règles dans lesquelles les politiques juridiques poursuivies par les législateurs auteurs des lois en conflit devaient jouer un rôle prononcé, à défaut d’être exclusif, pour la fixation du domaine spatial des lois de droit privé dans leur ensemble (v. sur cette évolution, entre autres, G. Goldstein, De l’exception d’ordre public…, op. cit., p. 221 s.).
  • (80)
    Savigny, Traité de droit romain, trad. C. Guenoux, Firmin Didot Frères, 2e éd. 1860, t. VIII (réimpr. Panthéon-Assas éd., 2002), § CCCLX, p. 109.
  • (81)
    V. Traité de droit romain, op. cit., p. 130, où l’auteur, après avoir répertorié les différentes natures de rapport de droit concevables en droit privé, procède de même avec les différents « rapports de fait [il s’agit toujours d’un lien entre la rapport et l’État légiférant : domicile de la personne, lieu de situation de la chose, lieu de l’acte, lieu du tribunal appelé à juger…] qui peuvent servir à déterminer le siège du rapport de droit ».
  • (82)
    Sur le fait que le siège du rapport de droit, dans le bilatéralisme savignien « ne doit pas être déterminé ou influencé par des considérations dégagées du droit matériel », v. A. Bucher, « L’ordre public et le but social des lois… », op. cit., n° 32-33, spéc. p. 62 ; à noter que Savigny était trop conscient de la variété des situations dont a à connaître le droit international privé pour négliger les hypothèses dans lesquelles l’auteur de la loi y a édicté des mesures qu’il entend rigoureusement voir appliquer dans certains cas : il évoque pour ces lois, qu’il appelle « lois d’une nature positive rigoureusement obligatoire » une dérogation nécessaire à la méthode de principe (Traité de droit romain, t. VIII, op. cit., § CCCXLIX, p. 35 ; v. sur ce point, B. Ancel, Histoire du droit international privé, Cours [dactyl.] 2008, Univ. Panthéon-Assas [Paris II], p. 192-194). Le régime méthodologique particulier, sous le rapport du conflit de lois, de ces dispositions, fait ressortir par contraste le rôle négligeable dans lequel est tenue, dans la pensée de l’auteur, la politique législative en droit international privé commun.
  • (83)
    Sous réserve du tempérament apporté par le jeu éventuel du mécanisme du renvoi, qui redonne pertinence à la volonté de la loi étrangère compétente selon la règle de conflit du for de ne pas s’appliquer, permettant le cas échéant la prise en compte, au for, de la politique législative étrangère (à supposer que ce soit bien elle qui ait dicté, à l’étranger, le choix du facteur de rattachement).
  • (84)
    On sait d’ailleurs qu’une fois la compétence législative déterminée par le jeu de la règle de conflit bilatérale, l’applicabilité de la loi peut, si cette dernière est étrangère, être refusée au nom de l’ordre public international du for, par le biais de l’exception d’ordre public (v. supra, n° 31) : la méthode savignienne laisse donc place à la prise en compte des politiques législatives pour faire obstacle à une compétence législative acquise, à défaut de lui faire jouer un rôle au stade initial du choix de la loi compétente.
  • (85)
    Supra, n° 32.
  • (86)
    V. supra, n° 33.
  • (87)
    Par exemple, on peut dire que les règles du Code civil français faisant de la cause une condition de validité du contrat traduisent notamment l’option du codificateur en faveur d’une politique tendant à promouvoir un certain équilibre des prestations contractuelles.
  • (88)
    Ainsi, en France, la loi Doubin (L. n° 89-1008 du 31 décembre 1989), qui mettait en oeuvre une politique législative protectrice du distributeur dans les contrats de distribution, a pu être jugée (Paris, 30 novembre 2001, JCP G 2002. I. 153, obs. C. Delpy) comme ne constituant pas une loi de police de telle sorte que son applicabilité dépendait seulement de la règle de conflit ordinaire (conduisant en l’occurrence à la compétence de la loi espagnole choisie par les parties, alors même que le distributeur était établi en France).
  • (89)
    Comme le reconnaît A. Bucher (« Vers l’adoption de la méthode des intérêts, réflexions à la lumière des codifications récentes », Trav. Com. fr. DIP, 1993-1995, Pedone, 1996, p. 209 s., spéc. p. 218) : « […] il est souvent artificiel de déduire l’intérêt de l’État à l’application de ses lois de la teneur ou de l’objectif spécifique du droit matériel concerné. […] Cela ne signifie pas, cependant, que le droit matériel ne soit alors d’aucun impact sur la formation des règles de conflit de lois. Une certaine influence est indéniable, mais elle se situe à un niveau de généralité plus élevé, étant donné qu’elle a pour origine la nature et la fonction d’une matière déterminée du droit, et non sa teneur ou son contenu particulier ». La prise en charge, par la règle de conflit elle-même, à ce niveau de généralité, des aspects substantiels de la matière sur laquelle porte la question, se suffit donc en principe, de telle sorte qu’il n’y a plus besoin, lors de l’application de la règle de conflit, de s’interroger sur la satisfaction éventuelle de la politique législative en cause, ni par la désignation de la loi du for, ni par celle de la loi étrangère.
  • (90)
    D. Bureau et L. d’Avout, « La chambre commerciale, l’article L. 132-8 du Code de commerce et la qualification des lois de police », JCP G 2010, n° 972, p. 1839 s., spéc. p. 1841-1842 ; v. déjà, B. Ancel et Y. Lequette (Les grands arrêts…, op. cit., p. 499) qui invitent « à ne reconnaitre le caractère de loi de police que lorsqu’il ressort de manière évidente de la disposition ».
  • (91)
    Dans la limite du respect, par les lois étrangères, de l’ordre public international du for.
  • (92)
    B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts…, op. cit., p. 494 : « Traditionnellement, dans le cadre de la démarche conflictuelle la plus classique, les dispositions de droit privé interne émanées des divers ordres juridiques son réputées interchangeables ; les solutions matérielles de la lex fori et des lois étrangères sont équivalentes ».
  • (93)
    B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts…, op. cit., p. 495, évoquant des législations qui, quoique comparables, « sont néanmoins réfractaires au libre échange des lois que suppose la règle de conflit classique ».
  • (94)
    Cass. civ. 27 octobre 1964, Maro, préc., supra, n° 6, ad notam.
  • (95)
    Cass. com., 16 mars 2010, Viol frères, préc., supra, n° 6, ad notam.
  • (96)
    Cass. com., 13 juillet 2010, Soc. Tranzimaz et système U, préc. supra, n° 18, ad notam, pour lesquels « l’article L. 132-8 du Code de commerce conférant au transporteur routier une action en paiement de ses prestations à l’encontre de l’expéditeur et du destinataire institués garants du paiement du prix du transport n’est pas une loi dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation quelle que soit la loi applicable et de constituer une loi de police » ; il est vrai que, même en droit interne, la protection d’ordre public mise en place par ce texte au profit du transporteur pouvait dans certaines circonstances être mise en échec par la volonté des parties, v. sur ce point, V. da Silva, note préc., p. 2341).
  • (97)
    V. par ex., P. Mayer, « La protection de la partie faible en droit international privé », in J. Ghestin et M. Fontaine (dir.), La protection de la partie faible dans les rapports contractuels, comparaisons franco-belges, LGDJ, 1996, p. 513 s., spéc. p. 535-540 ; B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts…, op. cit., p. 500.
  • (98)
    Cass. civ. 1re, 19 octobre 1999, n° 97-17.650, Moquin, cette Revue, 2000. 29, note P. Lagarde ; JDI 2000. 328, note J.-B. Racine ; D. 2000. 765, note M. Audit ; Cass. civ. 1re, 23 mai 2006, Dame Meyer, préc. supra, n° 6, ad notam.
  • (99)
    La doctrine insiste généralement sur le caractère exceptionnel de la méthode des lois de police en droit privé : v. par ex. H. Batiffol, « Le pluralisme… », op. cit., p. 139 ; P. Mayer, « Les lois de police étrangères », op. cit., p. 345 ; et déjà, Savigny, Traité de droit romain, t. VIII, op. cit., § CCCXLIX, p. 35, faisant une exception aux principes de rattachement en présence des « lois d’une nature positive rigoureusement obligatoire » ; sur le caractère exceptionnel de la désignation de la loi applicable selon la méthode des lois de police en droit européen des conflits de lois en matière d’obligation extracontractuelles, v. règl. Rome II, préambule, considérant 32 ; et en matière d’obligations contractuelles, v. règl. Rome I, préambule, considérant 37.
  • (100)
    V., particulièrement illustratif de la démarche, Cass. civ. 1re, 18 juillet 2000, n° 98-19.602, Bismuth c/ L’avenir sportif de La Marsa et Soc. Olympique de Marseille, JDI 2001. 98 s., note E. Loquin et G. Simon, D. 2002. Somm. 1391, obs. B. Audit : la loi de police française est appliquée sur la base de la règle de conflit ordinaire posée par l’article 4 de la Convention de Rome, point n’étant besoin de déroger à ce texte pour déclencher l’applicabilité de la disposition pertinente sur la base de l’article 7.
  • (101)
    Mais, bien sûr, point n’est interdit de le faire non plus, ce qui est parfois commode dans la mesure où cela peut éviter d’avoir à mettre en oeuvre la règle de conflit bilatérale, opération occasionnellement complexe.
  • (102)
    En l’état actuel des dispositions sur les lois de police prévues dans les propositions de règlement (préc. supra, n° 2, ad notam) en matière de régimes matrimoniaux et de partenariats enregistrés, les analyses proposées ci-dessous pour les règlements Rome I et Rome II se transposent sans difficulté à ces domaines du droit de la famille.
  • (103)
    V. supra, n° 21.
  • (104)
    V. supra, n° 22.
  • (105)
    V. supra, n° 22.
  • (106)
    Selon les termes employés par A. Bonomi, « Quelques observations… », op. cit., p. 236.
  • (107)
    Comp. J. Harris, « Mandatory Rules and Public Policy under the Rome I Regulation », in F. Ferrari et S. Leibel, Rome I Regulation, Munich, Sellier, 2009, p. 269 s., spéc. p. 297, où l’auteur augure que « most courts will disregard [the first part of art. 9 § 1] and focus on whether the foreign state’s law is intended to have overriding effect regardless of the governing law » ; La liaison « efficacité de la politique juridique/intérêt public » proposée ici montre que ce disregard ne correspond pas à une violation de l’article 9, mais à un déplacement du point d’intérêt en vue de s’assurer que les conditions que ce texte pose, notamment quant la mise en cause de l’intérêt public, sont remplies.
  • (108)
    A. Bonomi, op. cit., p. 238.
  • (109)
    CJCE 26 octobre 2006, E.-M. Mostaza Claro c/ Centro Movil Milenium, aff. C-168/05, Rev. arb. 2007. 199, note L. Idot : la Cour mentionne dans cet arrêt « La nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la directive assure aux consommateurs » (§ 38).
  • (110)
    V. supra, n° 16.
  • (111)
    V., en matière d’obligations contractuelles, supra, n° 17
  • (112)
    V. Supra, n° 16.
  • (113)
    Cass. com., 13 juillet 2010, Soc. Tranzimaz et Système U, préc. supra, n° 18 ad notam. Dans ces deux affaires, l’article L. 132-8 du Code de commerce français, qui confère au transporteur routier une action en paiement de ses prestations à l’encontre de l’expéditeur et du destinataire, tous deux institués garants du paiement du prix du transport, n’a pas été qualifié de loi de police au sens de l’article 7 de la Convention de Rome, parce qu’il ne s’agit pas, pour la France, d’« une loi dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation quelle que soit la loi applicable ».
  • (114)
    Art. 16 : Dispositions impératives dérogatoires. « Les dispositions du présent règlement ne portent pas atteinte à l’application des dispositions de la loi du for qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable à l’obligation non contractuelle ».
  • (115)
    Il en résulterait que la jurisprudence française Système U (préc. supra, n° 18, ad notam), en tant qu’elle limite l’emploi de la méthode des lois de police aux seuls cas où l’on se trouve face à « une loi dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation quelle que soit la loi applicable et de constituer une loi de police », serait cantonnée au domaine temporel de la convention de Rome.
  • (116)
    V. par ex., P. Mayer, « Les lois de police étrangères » (op. cit., n° 3, p. 279) : « Au fond, pour ce qui est des lois de police du for, l’essentiel est admis par tous, y compris par les tribunaux. […] Il suffit pour le juge de constater que l’application de certaines règles du for est nécessaire ; il doit alors les appliquer, peu important la justification de cette entorse à la règle de conflit de lois ».
  • (117)
    V., très significative de la démarche ici présentée, la motivation retenue par la Cour de cassation française dans l’arrêt DFC Group c/ Korea Foreign Insurance Company (Cass com. 14 janvier 2004, n° 00-17.978, cette Revue, 2005. 55, note P. Lagarde, D. 2005. Pan. 1198, obs. P. C.) : l’article 10 de la loi française du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer est jugé applicable au contrat de vente d’un chalutier entre une société danoise et une société coréenne, sans qu’il y ait lieu de vérifier que le lien existant entre la situation et la loi française soit suffisamment étroit pour justifier l’intervention de la loi française, dès lors qu’il y allait du « respect d’une réglementation devant assurer, pour des motifs impérieux d’intérêt général, un contrôle de sécurité de navires armés au commerce ou à la plaisance leur conférant le droit de porter le pavillon français avec les avantages qui s’y rattachent et devant donner au cocontractant toutes les informations sur l’individualisation et les caractéristiques du navire ».
  • (118)
    Sur les liens entre règles d’applicabilité et dérogation à la règle de conflit, v. M. Fallon, « Les règles d’applicabilité… », op. cit., spéc. n° 18, p. 298-300.
  • (119)
    B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts…, op. cit., p. 493.
  • (120)
    Par ex., loi suisse de DIP, art.18 ; C. belge de DIP, art. 20, al. 1.
  • (121)
    Préc., supra, n° 38, ad notam.
  • (122)
    À cet égard, la préséance que s’arroge la loi de police apparaît moins justifiée, comme on le dit parfois, par une différence d’objet ou de matière par rapport à ce sur quoi porte la règle de conflit uniforme (v. par ex., L. Gannagé, « Le droit international privé à l’épreuve de la hiérarchie des normes », cette Revue, 2001. 1 s., spéc. p. 41 ; pour une critique de cette opinion, v. K. Parrot, L’interprétation des conventions de droit international privé, Dalloz, 2006, p. 465-471), que par l’idée qu’en souscrivant à la règle de conflit conventionnelle uniforme, l’État n’a pas complètement renoncé à son pouvoir d’intervenir sur les questions traitées (c’est-à-dire sur ce qui forme bien l’objet ou la matière auxquels s’appliquent les règles de conflit uniforme), cette intervention étant réservée pour les cas où l’une au moins de ces questions appellerait selon lui un traitement dans le cadre d’une politique juridique dont l’efficacité lui importerait au point qu’elle doive déterminer, à ses yeux, l’étendue de son rayon d’action. Les États parties à un instrument supranational édictant des règles de conflit bilatérales de type savignien ne sont pas dépouillés, sauf clause contraire, de leur pouvoir de fixer eux-mêmes leurs politiques législatives et de préciser, sur la base de données tirées de l’efficacité de ces politiques, le champ d’application dans l’espace des lois qui les mettent à exécution. On ne rejoindra donc pas K. Parrot dans sa charge, d’ailleurs très charpentée, contre l’application de la théorie des réserves implicites à la question ici traitée (K. Parrot, op. cit., p. 462-465, spéc. n° 615 in fine).
  • (123)
    Conv. du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaire et à la représentation (art. 16), conv. du 1er juillet 1985 sur la loi applicable au trust et à sa reconnaissance (art. 16), conv. du 22 décembre 1986 sur la loi applicable aux contrats de vente internationale de marchandises (art. 17), conv. du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes (art. 20), conv. du 5 juillet 2006 sur la loi applicable à certains droits sur des titres détenus auprès d’un intermédiaire (art. 11).
  • (124)
    V. « Rapport de la deuxième réunion du groupe de travail sur le choix de la loi applicable aux contrats internationaux », in Choix de la loi applicable en matière de contrats internationaux, Note du Bureau permanent, Doc. prél. n° 6, février 2011 annexe IV : http://www.hcch.net/upload/wop/genaff2011pd06f.pdf ; le rapport prévoit une disposition selon laquelle « Rien dans ces principes ne pourrait restreindre l’application des lois de police de la loi du for ».
  • (125)
    Cette détermination se fait soit par consultation des dispositions dont le législateur assortit expressément la loi de police et qui fixent son champ d’application dans l’espace, soit, en cas de silence du législateur sur ce point, par recherche directe par le juge de la politique législative poursuivie par la loi de police et du domaine spatial nécessaire et suffisant pour la pleine efficacité de cette politique.
  • (126)
    Il est parfois soutenu que le juge du for devrait écarter au profit de la lex contractus la loi de police du for couvrant une situation contractuelle donnée, lorsque la lex contractus est plus protectrice que la loi de police de telle sorte que la politique juridique du for ne serait pas affectée par l’application de la lex contractus (A. Nuyts, « L’application des lois de police dans l’espace », op. cit., p. 64-65). Cette démarche ne nous paraît pas orthodoxe : en fixant la protection d’un cocontractant à un niveau inférieur à celui retenu par la lex contractus, l’auteur de la loi de police a opté pour un certain équilibre entre la protection de ce cocontractant et celle de l’autre partie. Suivre la lex contractus au lieu de la loi de police revient à modifier cet équilibre, ce qui est une manière d’affecter l’efficacité de la politique juridique promue par l’auteur de la loi de police. Ce dernier lie son juge, qui ne peut légitimement se soustraire à ses instructions.
  • (127)
    V. infra, n° 58 s.
  • (128)
    Dans l’affaire DFC Group tranchée par la Cour de cassation en 2004 (préc. supra, n° 55, ad notam), face à un pourvoi qui soutenait que « le juge ne peut faire produire effet à la loi de police qu’après s’être assuré que le rapport en cause présentait un lien étroit avec l’État dont cette loi émane », la Cour décide justement que la cour d’appel « n’était pas tenue d’effectuer les recherches inopérantes » concernant l’étroitesse des liens entre l’État et la situation réglée par lui, « dès lors qu’elles concernent les conditions d’application des lois de polices étrangères » (italiques ajoutés par nous). En présence d’une loi de police du for, le juge est donc tenu, dans les limites évoquées dans la note suivante, par la revendication de compétence attachée à l’édiction de cette loi.
  • (129)
    Le tout sous réserve évidemment de l’application des mécanismes existant (et applicables aussi aux situations de pur droit interne) qui permettent au juge de contrôler le respect, par le législateur, de la hiérarchie des normes : ainsi en va-t-il, en ce qui concerne le respect en France du droit européen, de l’exception de non-conventionalité en cas de violation de la Convention EDH, ou des exceptions et recours prévus par le droit de l’Union en cas de violation des traités fondateurs (v. sur ce dernier point : E. Pataut, « Loi de police et ordre juridique communautaire », in A. Fuchs, H. Muir Watt et E. Pataut, Les conflits de lois et le système juridique communautaire, Dalloz, 2004, p. 117 s. ; M. Fallon et J. Meeusen, « Private international law in the European Union and the exception of mutual recognition », Yearbook of PIL, 2002. 37 s.
  • (130)
    V. notamment, P. Mayer, « Les lois de police étrangères », op. cit., spéc. n° 72, p. 344 : « Aucune raison sérieuse ne conduit à déclarer inapplicables en soi les lois de police étrangères ; adde, J.-C. Schultsz, « Les lois de police étrangères », Trav. Com. fr. DIP, 1982-1984, éd. CNRS, 1986, p. 39 s.
  • (131)
    V. par ex., loi suisse de DIP, art. 19 ; C. belge de DIP, art. 20, al. 2.
  • (132)
    Hoge Raad, 13 mai 1966, Alnati, cette Revue, 1967. 522, note A.V.M. Struycken ; Trib. arrdt La Haye (référé), 17 septembre 1982, Cie Européenne des Pétroles c/ Sensor, cette Revue, 1983. 474.
  • (133)
    Comme en atteste, dans la jurisprudence française, l’arrêt Viol (préc., supra, n° 6, ad notam).
  • (134)
    Il ne s’agit ici que de tirer les conséquences, dans le domaine des lois de police, de l’un des « trois illustres axiomes » (Gutzwiller, « Le développement historique du droit international privé », RCADI 1929. IV. 291 s., spéc. p. 327) formulés au tout début du XVIIIe siècle par Huber (Praelectiones juris civilis, 1707), et selon lequel : « Les lois de chaque État règnent dans les limites de son territoire, et régissent tous ses sujets, mais au-delà n’ont pas de force » (traduction de Lainé à partir du latin, Introduction au droit international privé, F. Pichon 1888-1892, t. II, p. 107-108 ; comp. pour une version moderne, B. Ancel et H. Muir Watt, « Du conflit des lois différentes dans des États différents », in Mélanges dédiés à la mémoire du Doyen Jacques Heron, LGDJ, 2008, p. 1 s., spéc. p. 10) ; la seule revendication d’application à un cas porté à la connaissance des juges du for, émise par une loi de police étrangère en vue d’assurer la pleine efficacité de la politique juridique qui l’inspire, ne suffit pas à imposer audit juge du for cette application.
  • (135)
    Par ex., Trib. arrdt La Haye (référé), 17 septembre 1982, Cie Européenne des Pétroles, préc., supra, n° 58, ad notam ; la compétence législative américaine pour une mesure de boycott, était revendiquée en l’espèce sur les filiales dotées d’un siège social situé à l’étranger (en l’occurrence aux Pays-Bas) de sociétés mères américaines.
  • (136)
    V. par ex., Tribunal Fédéral suisse, 1re sect. civ., 20 juillet 1992, Banco Nacional de Cuba c/ Banco Central de Chile, ATF 118. II. 348 (353) qui refuse de faire produire effet à une loi de police discriminatoire cubaine.
  • (137)
    On ne manquera pas de noter l’affinité existant ainsi entre les conditions d’efficacité au for de la loi étrangère dans la théorie des lois de police et les conditions d’efficacité au for de la loi étrangère ordinaire de droit privé dans l’approche bilatérale savignienne : l’efficacité de la norme étrangère au for apparaît finalement comme la résultante de l’existence de liens pertinents entre la situation et l’auteur de la loi (localisation), d’une part, et d’un contenu acceptable de la loi émise (ordre public), d’autre part. Simplement dans la théorie des lois de police, les liens requis de l’État étranger avec la situation ne sont pas posés abstraitement par la règle de conflit du for à raison de la nature de la question de droit, mais plus concrètement, à travers une étude menée, loi de police par loi de police, par le juge du for à l’occasion de l’examen de l’affaire dont il est saisi au fond.
  • (138)
    Les travaux du groupe de travail mis en place par la Conférence de La Haye sur le choix applicable aux contrats internationaux (préc. n° 56, ad notam) ne permettra pas, actuellement, de déterminer la position qui sera prise sur le sort des lois de polices étrangères.
  • (139)
    Règl. Rome I, art. 9, § 3 : « Il pourra également être donné effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, dans la mesure où lesdites lois de police rendent l’exécution du contrat illégale. Pour décider si effet doit être donné à ces lois de police, il est tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non-application ».
  • (140)
    V. pour une analyse extensive en ce sens, J. Harris, « Mandatory rules… », op. cit., spéc. p. 297-330 ; comp. R. Plender and M. Wilderspin, The European Private International Law of Obligations, Londres, Sweet & Maxwell, 3e éd. 2009, p. 345 s., n° 12-023 ; adde, S. Francq et F. Jault-Seseke, « Les lois de police, une approche de droit comparé », op. cit., p. 371 s.
  • (141)
    [1920] 2 KB 287.
  • (142)
    V. sur ce point, C. Hahn, « La liberté de choix… », op. cit., débats, p. 200-201.
  • (143)
    Droit anglais lui-même préservé sous l’empire de la convention de Rome en raison de la réserve, admise par la convention et effectivement souscrite par le Royaume-Uni, concernant le régime d’efficacité des lois de police étrangères posé précisément par l’article 7, § 1 ; v. conv. Rome, art. 22, § 1 (a).
  • (144)
    [1958] AC 301 ; v. aussi, antérieurement, Foster v. Driscoll [1929] 1 KB 470.
  • (145)
    V. J. Harris, « Mandatory rules… », op. cit., p. 298-303.
  • (146)
    T. Hartley, « The Modern Approach to Private International Law : International Litigation and Transactions From a Common-Law Perspective. General Course on Private International Law », RCADI 2006, vol. 319, p. 9 s., spéc. p. 241-242 ; comp., du même, « Mandatory Rules in International Contracts : The Common Law Approach », RCADI 1997, vol. 266, p. 353, 390 et 395.
  • (147)
    Dicey, Morris and Collins on The Conflict of Laws, op. cit., t. II, n° 32-238 et 32-239 ; R. Plender and M. Wilderspin, The European PIL…, op. cit., p. 346, n° 12-024.
  • (148)
    À moins – troisième possibilité – que l’ordre public en cause ici ne soit pas l’ordre public international anglais, mais l’ordre public du droit anglais pris comme lex contractus. En ce cas, la difficulté viendrait de ce que l’efficacité de la loi du friendly foreign state ne serait plus automatiquement accessible, chaque fois que la lex contractus n’est pas anglaise…
  • (149)
    Ou à d’autres encore, répertoriés par S. Francq et F. Jault-Seseke (« Les lois de police, une approche de droit comparé », op. cit., p. 382 s.
  • (150)
    Solution défendue, sous l’empire du droit anglais antérieur au règlement Rome I par un auteur, estimant que la jurisprudence Regazzoni correspondrait, sous l’empire de la convention de Rome, à une application détournée de l’article 7, § 1, malgré la réserve anglaise relative à ce texte (A. Chong, « The public Policy and Mandatory Rules of Third Countries in International Contracts », Journal of PIL 2006. 27 s., spéc. p. 34-35 ; contra, A. Dickinson, « Third Country Mandatory Rules in the Law Applicable to Contractual Obligations : So Long, Farewell, Auf Wiedersehen, Adieu ? », Journal of PIL 2007. 53 s., spéc. p. 79-82).
  • (151)
    Dans sa version française comme dans sa version anglaise, le texte de l’article 9, § 3, est purement énonciatif ; le § 37 du préambule du règlement, seul à porter sur les lois de police, n’est pas plus limitatif (« Des considérations d’intérêt public justifient, dans des circonstances exceptionnelles, le recours par les tribunaux des États membres aux mécanismes que sont l’exception d’ordre public et les lois de police. La notion de “lois de police” devrait être distinguée de celle de “dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord” et devrait être interprétée de façon plus restrictive »).
  • (152)
    Comp. plutôt favorables à une telle solution, S. Francq et F. Jault-Seseke, « Les lois de police, une approche de droit comparé », op. cit., p. 391.
  • (153)
    Dans la proposition de la Commission en date du 15 décembre 2005 (COM[2005] 650 Final), l’article 8, § 3, sur les lois de police étrangères proposait quant à leur applicabilité une solution plus compréhensive, s’inspirant de celle de l’article 7, § 1, de la convention de Rome du 19 juin 1980. Or, Il est notable qu’en renonçant à cette rédaction, les auteurs du règlement Rome I n’ont pas opté pour une formulation restrictive, interdisant expressément et par principe au juge saisi de déroger à la règle de conflit européenne sauf au profit de la loi de police du lieu d’exécution du contrat. La formule retenue peut donc être perçue comme laissant le règlement silencieux sur le sort des lois de police étrangères autres que celle du lieu d’exécution à la jurisprudence, la question n’étant pas jugée mure pour faire l’objet d’une disposition expresse dans le texte lors de sa version finale.
  • (154)
    Préc., supra, n° 38, ad notam.
  • (155)
    V. supra, n° 56.
  • (156)
    A. Dickinson, The Rome II Regulation : the Law Applicable to Non-Contractual Obligations, 2009, Oxford Univ. Press, § 15-25, p. 608 ; R. Plender and M. Wilderspin, The European PIL…, op. cit., p. 743, 27-007. Et en France, de façon assez explicite, v. H. Muir Watt, « Rome II et les “intérêts gouvernementaux” : pour une lecture fonctionnaliste du nouveau règlement du conflit de lois en matière délictuelle », in S. Corneloup et N. Joubert (dir.), Le règlement communautaire « Rome II » sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, Litec 2008, p. 129 s., spéc., p. 138-139.
  • (157)
    Hypothèse envisagée, pour être finalement rejetée par S. Francq et F. Jault-Seseke, « Les lois de police, une approche de droit comparé », op. cit., p. 390 ; v. en outre les auteurs cités dans l’article, note 117.
  • (158)
    P. Mayer, « Les lois de police étrangères », op. cit., p. 312-313.
  • (159)
    Dans le même sens, invoquant les travaux préparatoires, S. Francq et F. Jault-Seseke, « Les lois de police, une approche de droit comparé », op. cit., p. 390.
  • (160)
    L’emploi de ce terme paraît, malgré sa force, justifié puisque le seul motif justifiant le refus d’efficacité opposé à la loi de police étrangère et à la politique juridique qu’elle poursuit est précisément l’extranéité de cette dernière.
  • (161)
    À l’inverse, les dispositions relatives à l’effiacité des lois de police figurant dans les propositions de règlement (préc. n° 2, ad notam) en matière de régimes matrimoniaux (art. 22) et d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés (art. 17) laissent libre le for saisi de tenir compte des lois de police étrangères provenant d’un État membre de l’Union.
  • (162)
    Comme cela a pu être constaté dans un des écrits pionniers en la matière (« Mondialisation, juridiction, arbitrage : vers des règles d’application semi-nécessaire », cette Revue, 2003. 1 s.), dont l’auteur note (n° 2, p. 4) que « l’impact de ces règles [les lois de police] dans les conflits de juridictions a moins retenu l’attention de la doctrine, peut-être parce qu’on a tendance à penser que le problème se pose de la même manière ». Depuis lors, v. aussi, H. Muir Watt et L. Radicati di Brozolo, « Party autonomy and mandatory rules in a global world », International Law FORUM du droit international, 2004. 90 s.
  • (163)
    Comp. L. Radicati di Brozolo, « Mondialisation, juridiction, arbitrage… », op. cit., n° 6, p. 8 qui mentionne que l’efficacité d’une clause d’élection d’un for étranger en présence d’une loi de police du for applicable n’est pas normalement « subordonnée à la possibilité, et encore moins à la certitude » que le juge étranger appliquera la loi de police du for ; adde, H. Muir Watt et L. Radicati di Brozolo, « Party autonomy and mandatory rules…, op. cit., p. 92.
  • (164)
    V. principalement, D. Holleaux, Compétence du juge étranger et reconnaissance des jugements, Dalloz, 1970, n° 382, p. 352 ; E. Pataut, Principe de souveraineté et conflits de juridictions, LGDJ, 1999, p. 179 s., n° 264-271 ; L. Usunier, La régulation de la compétence juridictionnelle en droit international privé, Economica, 2008, spéc. n° 327-329 ; C. A. Arrue Montenegro, Autonomie de la volonté dans le conflit de juridictions, thèse |dactyl.] Paris II, 2010, n° 235 s. ; comp. D. Bureau et H. Muir Watt, « L’impérativité désactivée ? », cette Revue, 2009. 1 s., spéc. p. 10-18.
  • (165)
    On sait notamment qu’en France, la violation de la loi étrangère par fausse application ou fausse interprétation des juges du fond ne donne lieu à sanction dans le cadre du pourvoi en cassation que si cette violation s’élève au niveau de la dénaturation ; v. par ex., Cass. civ. 1re, 20 décembre 2000, n° 98-23.099, Diamant, Bull. civ. I, n° 336 ; et, sur la question, v. Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, Droit international privé, Dalloz, 9e éd., 2007, p. 323, n° 243-6.
  • (166)
    V. E. Pataut, Principe de souveraineté…, op. cit., p. 181 s. ; C. A. Arrue Montengro, op. cit.
  • (167)
    V. en ce sens, L. Radicati di Brozolo, « Mondialisation, juridiction, arbitrage… », op. cit., p. 6-17 ; H. Muir Watt et L. Radicati di Brozolo, « Party autonomy and mandatory rules… », op. cit., p. 92.
  • (168)
    Sauf à considérer que les compétences exclusives de l’article 22 du règlement Bruxelles I correspondent, pour les types de questions traitées, à l’idée que les lois traitant ces questions sont habituellement des lois de police dont le domaine spatial serait délimité selon le critère que sert de base à la compétence judiciaire exclusive retenue. À noter cependant qu’il suffirait que l’État membre auteur de la loi de police concernant l’une des questions retienne pour sa loi un rayon d’action différent de celui reconnu au juge par l’article 22 pour que la disjonction des compétences judiciaire et législative puisse réapparaître.
  • (169)
    JOCE L 18, 21 janvier 1997, p. 1.
  • (170)
    Dir. 96/71, art. 3.
  • (171)
    Dir. 96/71, art. 6.
  • (172)
    V. E. Pataut, Principe de souveraineté…, op. cit., p. 190, n° 281-282 ; L. Usunier, « La régulation de la compétence… », op. cit., p. 272, n° 328.
  • (173)
    Même si la Cour de cassation a pu être occasionnellement tentée de consacrer ponctuellement une telle solution ; au sujet de la compétence française sur une demande concernant la rupture abusive d’un contrat de travail exécuté en France, « la demande intéressant l’ordre public », v. Cass. soc., 22 novembre 1972, n° 71-40.484, Bloch, cette Revue, 1973. 565, note H. Batiffol, JDI 1973. 722, note G. Lyon-Caen, et l’analyse de l’arrêt par H. Sinay-Cytermann (L’ordre public en matière de compétence judiciaire internationale, th. [dactyl.] Strasbourg, 1980, t. I, p. 365 s.). À noter pourtant que l’assemblée plénière (Cass., ass. plén., 14 octobre 1977, n° 75-40.119, Bloch, cette Revue, 1978. 166 ; JDI 1978. 305, note G. Lyon-Caen ; D. 1978. 77, note P. Lagarde) a contrecarré le mouvement ainsi amorcé en décidant que « le caractère d’ordre public de la loi de fond ne commande pas d’écarter une règle de compétence contenue dans un traité international dont l’autorité est supérieure à celle de la loi interne ».
  • (174)
    Cass. civ. 1re, 22 octobre 2008, n° 07-15.823, Monster Cable Products Inc. c/ Audio Marketing Services, cette Revue, 2009. 69, et chron. D. Bureau et H. Muir Watt, p. 1 s. ; JDI 2009. 599, note M.-N. Jobard-Bachellier et F.-X. Train, D. 2009. 200, note F. Jault-Seseke et Pan. 2384, obs. S. B. ; JCP G 2008. 10187, note L. d’Avout ; Gaz. Pal. 2009, 20-21 février 2009, n° 51-52, p. 27, note P. Guez ; adde, sur cet arrêt, H. Gaudemet-Tallon, « La clause attributive de juridiction, un moyen d’échapper aux lois de polices ? », op. cit. ; selon cet arrêt, la clause attributive de juridiction désignant une juridiction étrangère, dès lors qu’elle vise tout litige né du contrat, doit être mise en oeuvre, « des dispositions impératives constitutives de lois de police fussent-elles applicables au fond du litige ».
  • (175)
    Cass. civ. 1re, 8 juillet 2010, n° 09-67.013, HTC Sweden AB c/ Doga, cette Revue, 2010. 743, note D. Bureau et H. Muir Watt ; Rev. arb. 2010. 513, note R. Dupeyré : D. 2010. 2884, note M. Audit et O. Cuperlier, Pan. 2544, obs. N. D., et p. 2937, obs. T. Clay : « le recours à l’arbitrage n’est pas exclu du seul fait que des dispositions impératives, fussent-elles constitutives d’une loi de police, sont applicables » ; et antérieurement, Cass. civ. 1re, 5 janvier 1999, n° 96-16.746, Gallay c/ Fabricated Metals Inc., Rev. arb. 2001. 805, obs. Y. Derains ; Paris, 19 mai 1993, Labinal, préc. supra, n° 6, ad notam ; sur cette jurisprudence v. C. Seraglini, Lois de police et justice arbitrale internationale, Dalloz 2001, n° 942-944, p. 444 s.
  • (176)
    Comme le note J.-B. Racine (« Droit économique… », op. cit., spéc. p. 74-75) : « Cette disposition [l’art. L. 442-6 C. com.] sanctionnait notamment, avant sa réécriture en 2008, l’abus de dépendance économique. En cela, elle était, et est toujours sous une autre formulation, protectrice des professionnels ». L’auteur juge par ailleurs au sujet de ce même texte que « sa qualification de loi de police semble être établie » (p. 75).
  • (177)
    La Cour de cassation française illustre ainsi à merveille la situation évoquée par H. Muir Watt et G. Radicati di Brozolo (« Party Autonomy and Mandatory Rules … », op. cit., p. 92) d’une « somewhat schizophrenic approach by national legal systems which, on the one hand, proclaim the mandatory caracter of certain rules and profess not to permit their avoidance through conflict of laws, and, on the other hand, adopt a more lenient approach when it comes to conflicts of jurisdiction (including arbitration) ».
  • (178)
    V. H. P. Glenn, « La guerre de l’amiante », cette Revue, 1991. 41 s., au sujet de l’article 8.1 du Code civil du Québec, devenu aujourd’hui art. 3129 du même code.
  • (179)
    Selon ce texte : « Les règles du présent code s’appliquent de façon impérative à la responsabilité civile pour tout préjudice subi au Québec ou hors du Québec et résultant soit de l’exposition à une matière première provenant du Québec, soit de son utilisation, que cette matière première ait été traitée ou non ».
  • (180)
    Sur les mesures québécoises prises dans le même esprit en matière d’effet internationaux des jugements, v. infra, n° 90.
  • (181)
    Selon ce texte : « Les autorités québécoises ont compétence exclusive pour connaître en première instance de toute action fondée sur la responsabilité prévue à l’article 3129 ». La solution développe, à travers l’article 3165 du Code civil du Québec, ses effets jusque sur le terrain de la compétence indirecte (sur lequel, v. infra, n° 90), en privant d’effet au Québec le jugement étranger qui aurait statué sans tenir compte de l’exclusivité.
  • (182)
    V., outre l’exemple mentionné au texte ci-après, les cas belges et allemands cités par N. Coipel-Cordonnier (Les conventions d’arbitrage et d’élection de for en droit international privé, LGDJ, 1999, p. 61-65). Ces droits subordonnent, dans certains contentieux, l’efficacité de la dérogation à la compétence du for exclu par une clause attributive de juridiction à l’applicabilité, devant le juge élu, de la loi impérative en vigueur au for exclu : v., par ex., C. cass. belge, 2 février 1979, Soc. Bibby Line c/ Soc. Bibby Bros e.a., Pas. 1979. 164, excluant l’efficacité d’une clause éludant la juridiction belge en matière maritime si la loi applicable devant le juge élu n’est pas le droit maritime belge.
  • (183)
    Sur lequel, v. en langue française, H. Muir Watt, « L’affaire Lloyd’s : globalisation des marchés et contentieux contractuel », cette Revue, 2002. 509 s.
  • (184)
    V., en ce sens, H. Muir Watt, « L’affaire Lloyd’s… », op. cit., p. 516 s. ; à noter que la loi de police américaine visait sans doute plus particulièrement à réguler le marché américain, et que le libéralisme du juge américain vis-à-vis des jugements anglais dans cette affaire est peut-être le signe que c’était finalement essentiellement le marché anglais qui était ici concerné.
  • (185)
    Cour fédérale d’appel des États-Unis, 7e circuit (3F.3d 156) 1993, Bonny v. Society of Lloyd’s, Résumé en français in cette Revue, 2002. 531, 1re esp.
  • (186)
    Selon l’expression de H. Muir Watt, « L’affaire Lloyd’s… », op. cit., p. 520, n° 12.
  • (187)
    Le respect de cette politique juridique par la loi anglaise est en effet loin d’être absolu, le juge américain notant que « Certes, cette protection [des investisseurs] est restreinte par le Lloyd’s Act de 1982. Mais le fait que la loi étrangère choisie soit moins favorable que la loi américaine, notamment du point de vue de la preuve de l’intention requise, ne justifie pas d’empêcher le jeu de la clause de règlement des différends » ; v. sur ce point les remarques de H. Muir Watt, op. cit., n° 12, p. 520.
  • (188)
    Pour une autre illustration, v., en droit allemand, OLG Munich, Urt. V. 17 mai 2006, cité par D. Bureau et H. Muir Watt in « L’impérativité désactivée ? », op. cit., p. 13, ad notam, excluant une clause attributive de juridiction en faveur des tribunaux d’un État tiers en présence d’une loi de police allemande « s’il existe un risque concret que le tribunal de l’État tiers n’applique pas le droit impératif allemand ».
  • (189)
    On connait en droit français les incertitudes subsistant en matière de litispendance, lorsqu’il s’agit de faire un pronostic sur la régularité du jugement étranger à venir : v. par ex. B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts…, op. cit., p. 521, n° 12.
  • (190)
    L. Usunier, La régulation de la compétence juridictionnelle…, op. cit., n° 375 s., p. 321 s. Comp. B. Audit (note sous Cass. soc. 6 février 1986, D. 1986. IR. 266) envisageant le recours à la théorie du forum non conveniens pour justifier la décision du juge français de décliner sa compétence en présence d’une loi de police étrangère applicable chaque fois qu’il craint de mal appliquer la loi en question ; adde, approbatif, E. Pataut, Principe de souveraineté…, op. cit., p. 182, n° 268, ad notam.
  • (191)
    L. Usunier (La régulation de la compétence juridictionnelle…, op. cit., n° 376-377) n’en mentionne pas non plus.
  • (192)
    C’est pourquoi certains auteurs (à la suite de L. Radicati di Brozolo, « Mondialisation, juridiction, arbitrage… », op. cit., p. 6-17 ; v. depuis, H. Muir Watt et L. Radicati di Brozolo, « Party autonomy and mandatory rules… », op. cit., p. 92) avancent en ce cas la notion de loi d’application « semi-nécessaire » : l’efficacité de la politique législative poursuivie par leur auteur est renforcée par le jeu de la méthode des lois de police, sur le terrain du conflit de lois, mais le renforcement ne s’étend pas au terrain du conflit de juridictions, où les plaideurs disposent d’une marge de manoeuvre leur permettant de se soustraire à l’application stricte de la loi de police en cause.
  • (193)
    Comp. L. Radicati di Brozolo, « Mondialisation, juridiction, arbitrage… », op. cit., n° 2, p. 4.
  • (194)
    V. sur cette éventualité, C. Seraglini, Lois de police…, op. cit., n° 347 s., p. 169, qui se montre sensible à ses attraits.
  • (195)
    Car elle seule entretient un contact avec l’ordre public du for. La loi de police étrangère n’a de lien qu’avec l’ordre public étranger, qui n’est pas protégé au for de contrôle de la sentence (v. cependant, C. Seraglini, Lois de police…, op. cit., n° 368, p. 178).
  • (196)
    V. supra, n° 55 s.
  • (197)
    Si l’on admet l’existence d’affinités entre la sentence arbitrale et le jugement étranger, on peut comprendre que de telles données, considérées comme pertinentes dans la réception du jugement étranger (v. P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, Lextenso, 10e éd. 2010, n° 359 ; et déjà, P. Mayer, La distinction entre règles et décisions et le droit international privé, Dalloz, 1973, p. 155-172) ne soient pas totalement ignorées lorsqu’il s’agit de la réception de la sentence arbitrale.
  • (198)
    V. supra, n° 73.
  • (199)
    On reconnait là la théorie américaine du second look telle que formulée par la cour suprême des États-Unis dans l’arrêt Mitsubishi (Mitsubishi v. Soler Chrysler Plymouth 473, US 614 [1985] ; Yearbook of Com. Arb’n, 1986. 555 s., Rev. arb. 1986. 273 s., note J. Robert ; on trouve en droit français une illustration avant la lettre de cette approche dans l’un des arrêts Impex (Cass. civ. 1re, 18 mai 1971, n° 69-10.489, Bull. civ. I, n° 161, p. 134 ; JDI 1972. 62, note B. Oppetit), selon lequel, alors même que la violation par une des parties au contrat d’une règle d’ordre public française serait invoquée par son adversaire, « Les chambres arbitrales ont exclusivement qualité pour statuer sur les litiges entrant dans le cadre de la mission qui leur a été conférée sous le contrôle du juge de l’exequatur […] si […] une atteinte à l’ordre public est invoquée ».
  • (200)
    V. au sujet des jugements étrangers (mais l’explication est aisément transposable aux sentences), D. Bureau et H. Muir Watt, « L’impérativité désactivée ? », op. cit., p. 18.
  • (201)
    V. supra, n° 75, ad notam.
  • (202)
    En droit français de l’arbitrage, « la sentence arbitrale a, dès qu’elle est rendue, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’elle tranche » (C. pr. civ., art. 1484, dans sa rédaction issue du décret 2011-48 du 13 janvier 2011, JORF 14 janvier, reprenant la solution retenue antérieurement par l’art. 1476 C. pr. civ. ; la solution valable pour l’arbitrage interne, est étendue par l’art. 1506 (nouv.) C. pr. civ. à l’arbitrage international.
  • (203)
    Si l’on admet, avec Bartin, que réviser au fond n’est autre qu’« examiner la valeur du dispositif sous le double rapport de l’appréciation des faits et de l’application de la règle de droit » (Droit civil français, t. XII, 5e éd., § 769 ter, p. 487), le lien entre la prohibition de la révision et l’autorité de la chose jugée apparaît clairement : réviser au fond, c’est précisément ne pas tenir pour vrai ce qui a été jugé, en fait comme en droit : res judicata pro veritate non habetur ; en droit commun français, l’arrêt Parker qui, au début du XIXe siècle, institua le pouvoir de révision du jugement étranger comme condition de l’efficacité de ce dernier en France approuva corrélativement les juges du fond d’avoir rejeté « l’exception de chose jugée qu’on prétendait faire résulter d’un jugement rendu en pays étranger » (Cass. civ., 18 avr. 1819, S. 1819. I. 129 ; Grands arrêts, n° 2, p. 11, note B. Ancel et Y. Lequette).
  • (204)
    Paris, 18 novembre 2004, Thalès Air Défense c/ GIE Euromissile, cette Revue, 2006. 104, note S. Bollée ; JDI 2005. 357, note A. Mourre ; D. 2005. Pan. 3050, obs. T. Clay ; JCP G 2005. II. 10038, note G. Chabot, et I. 134, obs. C. Seraglini.
  • (205)
    Cass. civ. 1re, 4 juin 2008, n° 06-15.320, SNF c/ Cytec, JDI 2008. 1107, note A. Mourre, Rev. arb. 2008. 473, note I. Fadlallah, D. 2008. Pan. 2566, obs. L. d’Avout et S. Bollée, JCP G 2008. I. 164, obs. C. Seraglini, Gaz. Pal. 2009, 20-21 février 2009, n° 51-52, p. 32, note F.-X. Train, RTD com. 2008. 518, obs. E. Loquin ; v. déjà, Cass. civ. 1re, 20 mars 2000, n° 98-11.799, Verhoeft c/ Moreau, Rev. arb. 2001. 805, 2e esp., obs. Y. Derains, et depuis, Cass. civ. 1re, 11 mars 2009, n° 08-12.149, A. de Premont, D. 2009. Pan. 2968, obs. T. Clay, Rev. arb. 2009. 240 ; Cass. civ. 1re, 6 octobre 2010, n° 09-10.530, Abela, Rev. arb 2010. 813, note F.-X. Train, D. 2011. Pan. obs. N. Fricero ; l’affaire SNF c/ Cytec a connu aussi des développements en Belgique, sur lesquels v. C. App. Bruxelles, 22 juin 2009, Rev. arb. 2009. 574, note A. Mourre, D. 2009, Pan. 2968, obs. T. Clay.
  • (206)
    En décidant dans l’affaire SNF c/ Cytec que « s’agissant de la violation de l’ordre public international, seule la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est examinée par le juge de l’annulation au regard de la compatibilité de sa solution avec cet ordre public, dont le contrôle se limite au caractère flagrant, effectif et concret de la violation alléguée » la Cour de cassation donne à penser que, selon elle, une simple violation de l’ordre public international par la sentence ne suffit pas à la rendre irrégulière. La restriction ainsi infligée au contrôle de l’ordre public international est évidemment en retrait par rapport aux textes applicables (art. 1502 [ancien] C. pr. civ. – aujourd’hui, art. 1520) qui écartent la sentence si « La reconnaissance ou l’exécution de la sentence est contraire à l’ordre public international », sans restriction particulière. Plutôt que de s’en tenir au sens littéral de ce motif, qui reviendrait à admettre que les juges ont entendu sérieusement abaisser la barrière de l’ordre public opposée par la loi à la sentence arbitrale, on peut préférer dénoncer une omission maladroite de ce que l’atteinte alléguée à l’ordre public résultait en l’espèce de la violation prétendue de la loi de police par l’arbitre. L’omission peut alors être aisément corrigée en reformulant le motif dans les termes suivants : s’agissant de la violation de l’ordre public international, seule la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est examinée par le juge de l’annulation au regard de la compatibilité de sa solution avec cet ordre public, dont le contrôle se limite, en cas de violation prétendue d’une loi de police, au caractère flagrant, effectif et concret de la violation alléguée (sur les raisons pour lesquelles la violation d’une loi de police ne mérite d’être réprimée dans le cadre du contrôle de l’ordre public qui si elle remplit ces conditions, v. infra, n° 88). La reformulation proposée à l’avantage qu’elle évite un rétrécissement par le juge des exigences légales concernant l’ordre public comme condition de régularité internationale des sentences arbitrales.
  • (207)
    Sur l’opposition entre le courant « maximaliste » et le courant « minimaliste », v. C. Seraglini, Lois de police…, op. cit., n° 413 s., p. 195 s. ; et, depuis l’arrêt SNF c/ Cytec, « Le contrôle de la sentence au regard de l’ordre public international par le juge étatique : mythes et réalités », Gaz. Pal. 2009, n° 80, p. 5 s.
  • (208)
    Il ne s’agit pas ici d’affirmer que la sentence est irrévocablement consolidée en raison de son autorité de chose jugée. On sait que cette dernière disparaît si la sentence apparaît comme irrégulière dans le cadre du contrôle de la reconnaissance, de l’exequatur ou de la nullité. Il s’agit bien plutôt de souligner que les contentieux de la reconnaissance, de l’exequatur et de la validité ont un autre objet que le contentieux au fond déjà tranché, parce qu’ils sont conçus non comme une voie de recours ordinaire contre la décision en cause, mais comme une procédure se limitant au contrôle des conditions de régularité. Évidemment, faire de la correcte application de la règle de fond aux faits de l’espèce une condition de régularité, fusse lorsque la loi de fond est une loi de police, revient à reprendre d’une main (en déniant à la décision l’autorité de chose jugée au fond) ce que l’on a donné de l’autre (en prohibant la révision au fond). On quitte alors le contentieux objectif portant sur la régularité de l’acte pour revenir à un contentieux subjectif, portant sur les droits et obligations des litigants. C’est pourquoi on ne rejoindra pas P. Mayer lorsqu’il dit que la prohibition générale de la révision au fond n’est qu’un « moyen commode pour le juge d’alléger sa tâche » (« L’étendue du contrôle, par le juge étatique, de la conformité des sentences arbitrales aux lois de police », in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges en l’honneur d’H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 459 s., spéc. p. 470). C’est selon nous plutôt une conception fondamentale du rôle que l’on veut faire jouer au juge dans le cadre du contrôle : dans un système où la révision au fond est exclue, on admet que la décision qui existe (sentence ou jugement étranger, sur ces derniers v. infra, n° 97) n’est pas tenue pour rien et que le contentieux du contrôle ne sera pas une simple réitération du contentieux de fond ; v. sur ce point, I. Fadlallah, note précitée sous l’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire SNF c/ Cytec : « Le fondement de l’absence de révision au fond est bien la reconnaissance de l’autorité de la décision soumise, qui est réduite à néant si les conditions de la reconnaissance comportent une révision au fond. On ne peut, à la fois, affirmer que la sentence arbitrale a autorité de chose jugée dès son prononcé, et la soumettre, pour une confirmation judiciaire de cette autorité, à la révision du fond ».
  • (209)
    Le contrôle de la violation flagrante effective et concrète de la loi de police, parfois baptisée « illicéité qui crève les yeux » (L. G. Radicati di Brozolo, « L’illicéité “qui crève les yeux” : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international (À propos de l’arrêt Thalès de la Cour d’appel de Paris) », Rev. arb. 2005. 529 s.), se rapproche à cet égard du contrôle de la dénaturation : cette dernière se définissant essentiellement comme l’« altération par le juge du fond du sens clair et précis d’un écrit […] » (Vocabulaire juridique (dir. G. Cornu), v° Dénaturation), implique de fait une violation flagrante dudit écrit, la flagrance ressortant de la différence entre le sens accordé au texte par l’interprète et les sens clair et précis dudit texte.
  • (210)
    V., mentionnant l’influence de cette distinction en jurisprudence, mais n’en tirant pas lui-même de conséquence quant au contrôle de la sentence, C. Seraglini, Lois de police…, op. cit., n° 415, p. 196, et n° 433-434, p. 203.
  • (211)
    V. Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, op. cit., p. 328.
  • (212)
    V. supra, n° 47.
  • (213)
    Cass. civ. 1re, 22 octobre 2008, préc., v. supra, n° 75 ad notam.
  • (214)
    Cass. civ. 1re, 20 février 2007, n° 05-14.082, Cornelissen c/ Avianca Inc., cette Revue, 2007. 420, note B. Ancel et H. Muir Watt ; JDI 2007. 1195, note F.-X. Train ; D. 2007. 1115, note L. d’ Avout et S. Bollée, et Chron. C. cass. 892 ; Gaz. Pal. 2007, 29 avril-3 mai, n° 119-123, cont. jud. int. europ., p. 2, note M.-L. Niboyet ; adde, chron. E. Agostini, D. 2008. 1110.
  • (215)
    Sur cette éviction, v. supra, n° 33 et 55.
  • (216)
    Comp. A. Huet, « Clause attributive de juridiction à un tribunal étranger et loi française de police et de sureté (étude de droit commun) », D. 2009. 684 s., spéc. p. 685 ; contra, H. Gaudemet-Tallon, « La clause attributive de juridiction, un moyen d’échapper aux lois de polices ? », op. cit., spéc. p. 720.
  • (217)
    Sous réserve de ce qui sera dit (infra, n° 96) de l’interférence importante de la jurisprudence Maxicar avec cette question.
  • (218)
    V. supra, n° 76.
  • (219)
    v. C. civ. Québec, art. 3165 : « La compétence des autorités étrangères n’est pas reconnue par les autorités québécoises dans les cas suivants : 1° Lorsque, en raison de la matière ou d’une convention entre les parties, le droit du Québec attribue à ses autorités une compétence exclusive pour connaître de l’action qui a donné lieu à la décision étrangère ; […] ». V. Cour d’appel de Québec, 4 février 2003, Worthington Corp. c/ Atlas Turner Inc., QCCS 235-05-000074-06, JDI 2010. 1326, obs. G. Goldstein, refusant de reconnaître au Québec un jugement new-yorkais faute de compétence des juges américains aux yeux du Québec, en raison du caractère exclusif de la compétence québécoise dans une affaire portant sur le dédommagement du préjudice causé par la mort d’un salarié décédé des suites d’un cancer lié à l’amiante.
  • (220)
    V. supra, n° 76.
  • (221)
    V. supra, n° 76.
  • (222)
    Supérieure, mais pas absolue, car le jugement de condamnation éventuellement obtenu à l’étranger demeurera exécutoire dans son pays d’origine, et dans les autres pays qui voudront bien le revêtir de l’exequatur.
  • (223)
    V. supra, n° 47.
  • (224)
    Comp., très réservés aussi, P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., n° 389, spéc. p. 295.
  • (225)
    Cass. civ. 1re, 20 février 2007, Cornelissen, préc., supra, n° 89, ad notam.
  • (226)
    Conv. Bruxelles, art. 27 ; Règl. Bruxelles I, art. 34.
  • (227)
    Dans l’affaire Compagnie européenne des pétroles (Trib. arrdt La Haye [référé], 17 septembre 1982, préc., supra, n° 58, ad notam), si le juge néerlandais avait appliqué la loi de police américaine d’embargo et excusé sur son fondement l’inexécution du contrat par l’entreprise néerlandaise, le jugement néerlandais aurait ainsi pu être repoussé par la France pour contrariété à l’ordre public français : la loi de police américaine en menant une politique juridique contraire aux intérêt de la France et de l’Europe tels que ces derniers les conçoivent, est contraire à l’ordre public français, et le jugement étranger qui donne effet à cette loi et à cette politique est entaché du même vice et tombe en France sous le coup de l’article 27 de la convention de Bruxelles (aujourd’hui art. 34 1 règl. Bruxelles I).
  • (228)
    Ainsi dans l’affaire Compagnie européenne des pétroles (préc.), si le jugement hollandais avait été présenté en France en vue de l’exequatur, il y aurait été reconnu malgré la violation, par la solution qu’il apportait au litige, de la loi de police américaine, et l’atteinte corrélative à l’efficacité de la politique législative poursuivie par cette dernière.
  • (229)
    On se place ici dans le cas où la loi de police étrangère violée par le jugement étranger est contraire à l’ordre public du for. Quid du cas où un jugement étranger a été rendu en violation d’une loi de police étrangère qui ne serait pas quant à elle contraire à l’ordre public du for d’accueil du jugement ? Ce jugement étranger pourrait difficilement être tenu en échec dans ce for sur la base de l’ordre public : la politique législative poursuivie par la loi de police étrangère peut difficilement être rattachée à l’ordre public du for, ce motif de refus paraissant donc indisponible pour écarter le jugement qui la viole. En ce cas, il faut penser que le sacrifice imposé à la politique juridique menée par la loi de police étrangère du fait de la reconnaissance du jugement étranger la violant se justifie par des données procédurales tirées de l’autorité de la chose jugée et du non renouvellement du contentieux qui la sous-tend. Ici encore, on perçoit l’absence de monopole des considérations tirées de l’efficacité de la politique législative poursuivie par une loi de police étrangère au stade de la reconnaissance ou de l’exécution du jugement étranger.
  • (230)
    V. supra, n° 58 s.
  • (231)
    V. à cet égard, la position du Groupe européen de droit international privé : 20e réunion, Copenhague, 17-19 septembre 2010 : Le règlement « Bruxelles I » et les décisions judiciaires rendues dans des États non membres de l’Union européenne, http://www.gedip-egpil.eu/documents/gedip-documents-32FR.htm ; Art. 56-5 : « Une décision n’est pas reconnue dans la mesure où : 1) elle a été rendue en méconnaissance : – d’une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par l’État requis au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au rapport juridique ; ou – d’une disposition impérative du droit de l’Union européenne dont le respect est jugé crucial par l’Union au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au rapport juridique […] ». La position n’a pas été à ce jour retenue par la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil en date du 14 décembre 2010, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (COM(2010) 748 final).
  • (232)
    P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., n° 389, p. 294 ; comp. M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de La Pradelle, Droit international privé, LGDJ, 2e éd., 2009, n° 665-1, p. 554. Adde, plus nuancés, D. Bureau et H. Muir Watt, « L’impérativité désactivée ? », op. cit., p. 18 s.
  • (233)
    Sur ce cas, v. supra, n° 90.
  • (234)
    CJCE 11 mai 2000, Régie nationale des usines Renault SA c/ Maxicar SpA, aff. C-38/98, cette Revue, 2000. 497, note H. Gaudemet-Tallon, JDI 2001. 696, obs. A. H., JCP G 2001. II. 10607, obs. C. Nourissat.
  • (235)
    V. supra, n° 85, ad notam.
  • (236)
    Comp. en droit américain, la façon dont le problème s’est posé devant les juridictions américaines dans l’affaire Lloyd’s (v. supra, n° 77), lorsqu’il s’est agi de prendre position sur l’efficacité, aux États-Unis, des jugements anglais ayant condamné les investisseurs américains à respecter leur engagement à l’égard de la société Lloyd’s : le refus, opposé par les juges anglais, d’accorder à l’investisseur américain une protection équivalente à celle offerte par la loi de police américaine (autrement dit, la violation de la loi de police américaine par le juge anglais) n’a même pas fondé un grief devant le juge américain saisi de l’action en exequatur : comme le note H. Muir Watt « […] cet argument se trouvait disqualifié d’avance en l’occurrence » (« L’affaire Lloyd’s… », op. cit., p. 525 ; l’auteur évoque, parmi les causes possibles de la disqualification, le cantonnement de la jurisprudence Mitsubishi et de la théorie du second look au seul droit de l’arbitrage. Plutôt que d’un tel cantonnement, ne s’agit-il pas (surtout ?) de la reconnaissance que le second look sur le jugement étranger ne doit pas pour autant conduire le juge qui y procède à une révision au fond, la préoccupation des tribunaux américains rejoignant alors celle de la Cour européenne de justice ?
  • (237)
    En ce sens, quoique favorable à un régime commun différent de celui ici défendu, v. B. Rémy, Exception d’ordre public…, op. cit., p. 369-376.
  • (238)
    V. supra, n° 87-88.
  • (239)
    M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de La Pradelle, op. cit., n° 665-1, p. 554 ; P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., n° 389, p. 294 ; B. Rémy, Exception d’ordre public…, op. cit., n° 716, p. 371 s.
  • (240)
    Si cette importance venait à être niée, l’on s’acheminerait vers la fin de la prohibition de la révision au fond du jugement étranger chaque fois que la loi de police du for de reconnaissance se veut applicable, le juge de contrôle étant alors appelé à s’assurer que la décision étrangère a correctement appliqué la loi de police aux faits de l’espèce. Autant dire que le procès à l’étranger a alors eu lieu en pure perte (v., au sujet des sentences arbitrales, supra, n° 88).
  • (241)
    V. supra, n° 86 s.
  • (242)
    Selon l’expression employée par B. Ancel et Y. Lequette (Les grands arrêts…, op. cit., p. 417) pour évoquer la démarche promue par Batiffol s’agissant d’interpréter le silence de la loi et illustrée, notamment, dans ses développements en matière de nationalité des sociétés (H. Batiffol et P. Lagarde, op. cit., t. I, n° 197, p. 345) : « […] le silence du législateur dans la plupart des cas justifie les tribunaux judiciaires dans leur attachement à un principe […], pouvant éventuellement céder devant une exception écrite ; autrement on provoquera un procès sur chaque texte muet, et dont la solution sera divinatoire du fait même de ce mutisme en l’absence de toute directive de principe » ; adde, H. Batiffol, Problèmes de base de la philosophie du droit, LGDJ, 1979, p. 258.
  • (243)
    Comp. J.-B. Racine, « Droit économique… », op. cit., spéc. p. 74, qui suggère d’« opérer un tri » entre lois de police en vue de leur intégration à l’ordre public international.
  • (244)
    V., explorant les voies d’un contrôle ex ante et ex post des clauses attributives de juridiction, D. Bureau et H. Muir Watt, « L’impérativité renforcée ? », op. cit., p. 18 s.
Français

Aujourd’hui encore mal cerné le rôle de la politique législative, insensible dans la détermination de l’applicabilité des lois ordinaires de droit privé selon la démarche savignienne, est au contraire un élément décisif de la caractérisation de la loi de police comme de la détermination de ses critères d’efficacité dans l’espace. Dans le conflit de lois, les considérations tirées de l’efficacité de la politique législative qu’elle met en oeuvre jouent un plus grand rôle lorsque la loi de police émane du for que lorsqu’elle est édictée par un ordre étranger. Sur le plan des conflits de juridictions, les exigences de politique législative plus ou moins rigoureuses composent avec d’autres considérations propres au traitement du contentieux de telle sorte que chaque loi de police manifeste une autorité propre, tant au regard de la compétence internationale que la reconnaissance des décisions.

English

Still somewhat ill-defined the role of legal policy, which is irrelevant in the determination of ordinary private law rules in Savigny’s methodology, is of course a decisive element in the characterization of mandatory rules, as in the definition of their scope. In conflicts of laws, policy considerations occupy a more significant place when the mandatory rule emanates from the legal system of the forum then when it is a foreign rule. In conflicts of jurisdiction, policy requirements of varying intensity have to compose with other considerations of judicial administration, so that each manadatory rule exerts its own specific impact, whether on the jurisdiction of the court or on the status of foreign judgments.

  1. I. — La place de la politique législative dans la définition des lois de police
    1. A. — La loi de police, une notion en quête de définition
    2. B. — La politique législative, une donnée clé dans la définition des lois de police
      1. 1. Les liens entre politique législative et loi de police
        1. a) Le besoin de prise en compte des considérations d’efficacité de la politique législative au stade du choix de la loi applicable en présence d’une loi de police
        2. b) Le rôle secondaire de la politique législative en présence d’un problème d’applicabilité d’une loi ordinaire de droit privé
      2. 2. L’articulation avec le droit international privé européen
        1. a) Obligations contractuelles (règlement Rome I, art. 9)
        2. b) Obligations extracontractuelles (règlement Rome II, art. 16)
  2. II. — La place de la politique législative dans le régime des lois de police
    1. A. — L’efficacité de la politique législative poursuivie par une loi de police et le droit des conflits de lois
      1. 1. Loi de police du for
      2. 2. Loi de police étrangère
    2. B. — L’efficacité de la politique législative poursuivie par une loi de police et le droit des conflits de juridictions
      1. 1. Compétence directe
        1. a) La compétence du for en présence d’une loi de police du for
        2. b) L’incompétence du for en présence d’une loi de police étrangère
      2. 2. Efficacité internationale des décisions
        1. a) Reconnaissance et exécution des sentences arbitrales / recours en nullité contre les sentences rendues au for
        2. b) Reconnaissance et exécution des jugements étrangers
Pascal de Vareilles-Sommières
Professeur à l’École de Droit de la Sorbonne Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.112.0207
Pour citer cet article
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