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La Tyrannie du mérite s’ouvre sur le scandale de l’affaire William Singer : en 2019, le directeur d’une agence de conseils en orientation a monté un système de triche permettant, moyennant finance, aux enfants des familles les plus fortunées d’accéder aux meilleures universités. Pour Michael Sandel, cette fraude n’est pas seulement une atteinte à l’égalité des chances méritocratiques, elle révèle l’emprise délétère de la méritocratie sur la société américaine. Les vainqueurs de la compétition scolaire, a priori ouverte à tous, accèdent au pouvoir, à la fortune et au prestige, pendant que les vaincus ne sont pas seulement condamnés aux emplois les plus pénibles et les moins bien payés, ils sont aussi humiliés. Avec la méritocratie, les vainqueurs méritent leurs succès et les vaincus méritent tout autant leurs échecs. Non seulement cette conception de la justice justifie les plus grandes inégalités, mais elle explique le basculement de la vie politique : méprisés, les vaincus de la méritocratie soutiennent Donald Trump et tous les mouvements populistes hostiles aux élites qui ont le monopole de l’intelligence et de la fortune qui en découle. Michael Sandel ne soutient pas seulement que la méritocratie ne fonctionne pas parce que les plus méritants se transmettent leur mérite au fil des générations, ce qui est généralement la critique française, il démontre qu’elle est un système de production et de légitimation des inégalités. En cela, elle est aussi un mode de domination.
En 1958, un sociologue anglais proche des travaillistes, Michael Young, avait publié une dystopie prophétique annonçant que le règne de la méritocratie ajouterait l’humiliation à l’injustic…
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 16/03/2022
- https://doi.org/10.3917/criti.898.0181
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