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Mérite-t-on son mérite ? Ainsi formulée, la question semble inutilement entortillée. Et pourtant c’est en ces termes que, de Luther à Bourdieu, théologiens et sociologues abordent le problème : un certain maniérisme de la pensée, équivalent conceptuel de la contorsion des corps en peinture, est requis pour échapper à la vulgate dominante, qu’elle soit catholique au xvie siècle ou capitaliste aujourd’hui. Toute réflexion sur le mérite implique d’élever celui-ci au carré : s’en tenir à sa représentation simple aboutit à entériner les lieux communs de l’opinion.
Le mérite est étymologiquement ce qui nous est échu en partage et c’est bien pourquoi nul ne saurait le mériter. Méros, en grec, c’est la partie d’un tout et, par suite, le lot qui nous est réservé par le destin. Les trois déesses préposées à l’opération s’appellent donc les Moirai et elles incarnent ce qui fait, pour chacune de nos vies, une combinaison de fortunes et d’infortunes, de réussites et d’échecs : Lachésis, la Distributrice, effectue le partage initial ; Clotho, la Fileuse, dévide le cours de nos existences ; Atropos, la Sans-Retour, y met un terme en sectionnant le fil d’un bon coup de ciseaux. Adoptées par les Romains, ces trois divinités devinrent les Parques : c’est du mot pars que vient, cette fois, leur nom. Mais dans ce passage du grec au latin, des Moires aux Parques et de méros à pars, la notion se diversifie beaucoup : avec pars s’introduisent partie, parti, partisan, parti-pris, préparation, séparatio…
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 16/03/2022
- https://doi.org/10.3917/criti.898.0164
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