CAIRN.INFO : Matières à réflexion

4. Sidérurgie à Clabecq (NLMK) : un feu sans oxygène

1De fin janvier à mars 2019, les ouvriers de l’entreprise NLMK Clabecq ont mené une grève exceptionnellement longue au regard de celles ayant eu cours dans le secteur de la sidérurgie ces dernières années. Cependant, cette mobilisation n’a eu qu’un faible impact. Ce paradoxe apparent s’explique, d’une part, par la faiblesse des organisations syndicales, leur manque de stratégie et leur repli sur la procédure Renault et, d’autre part, par l’exploitation des divisions existant parmi les ouvriers par une direction intransigeante.

4.1. Une restructuration prévisible

2L’usine de Clabecq (située à Ittre et Tubize, dans le Brabant wallon) est une des trois implantations, avec celles de La Louvière et de Manage, de la filiale belge de l’entreprise russe Novolipetski Metallourguitcheski Kombinat (NLMK, Combinat métallurgique de Novolipetsk). Issue des restructurations de la sidérurgie, NLMK Belgium Holding emploie quelque 1 200 personnes en 2019. Depuis 2013, elle compte la Région wallonne comme actionnaire à hauteur de 49 %, via la Société wallonne de gestion et de participations (SOGEPA).

3Dans l’agencement des activités de NLMK en Belgique, le site louviérois est plus rentable que les deux autres : il produit un acier (sous la forme de bobines laminées à chaud et à froid) plus naturellement porté vers le marché automobile que celui issu du site de Clabecq, davantage tourné vers le secteur de la construction  [1].

4Le laminoir de Clabecq emploie 520 salariés (dont un peu plus de 400 ouvriers) et 70 intérimaires. Dans l’organisation du groupe et de sa holding belge, il occupe la place d’un sous-traitant « intégré » : le site achète des brames d’acier aux usines russes du groupe, puis produit des tôles qu’il vend ensuite à NLMK Plate Sales à Manage, qui se charge alors de les revendre avec profits sur le marché international. Dans un communiqué datant du début du conflit social de 2019, la CSC explique : « Cette organisation a eu pour conséquence la concentration de tous les coûts, anéantissant presque toute possibilité de profit »  [2].

5Historiquement dominée par la FGTB, la représentation syndicale au sein de NLMK Clabecq se répartit en 2019 entre la CSC (50 %), la FGTB (40 %) et la CGSLB (10 %). Quelle que soit leur couleur, les délégués syndicaux se sont surtout signalés par leur absence : les ouvriers interrogés soulignent que, au cours des deux années précédant la restructuration, il n’y a pas eu d’assemblée générale ni de retour des délégations vers les travailleurs, et qu’il n’y a eu que très peu de présence dans les halls.

6En novembre 2018, l’usine de Clabecq connaît un épisode conflictuel, point d’orgue de plaintes régulières liées à des blessures graves et même à un décès. Hors de toute initiative syndicale, une centaine d’ouvriers cisailleurs cessent le travail et forcent l’usine à se mettre à l’arrêt pendant une semaine. En réponse, la direction menace les meneurs de la grève  [3] et organise un référendum sur la reprise du travail, condition préalable à des négociations plus poussées et soutenues par la délégation syndicale. Cette grève laisse déjà voir des caractéristiques que l’on observera lors du conflit de janvier 2019 : impulsion combative de la base plutôt que des syndicats et forte réaction patronale. Dans la foulée de ce conflit, un conseil d’entreprise (CE) extraordinaire acte le départ du chief executive officer (CEO), de la directrice des ressources humaines (DRH) et du responsable de la maintenance. Si la direction parle d’un « hasard de calendrier », les ouvriers évoquent, eux, l’incurie des anciens dirigeants. Ils ajoutent craindre le fait « d’avoir de nouveaux responsables qui seront sans doute chargés de faire le nettoyage dans l’entreprise. Nous redoutons des pertes d’emplois »  [4].

7Effectivement, lors d’un conseil d’entreprise extraordinaire, le jeudi 17 janvier 2019, la direction annonce son intention de supprimer 290 emplois sur les 590 que compte l’usine. Les justifications invoquées en premier lieu sont d’ordre économique : la conjoncture internationale est difficile pour l’entreprise, entre surproduction d’acier au niveau mondial et taxes protectionnistes décidées par les États-Unis  [5]. Selon le CEO de NLMK International, Ben De Vos, le site perdait 4 millions d’euros par mois. Les syndicats remettent en question ces déclarations relatives aux pertes de l’entreprise ; ils soupçonnent une manipulation via la catégorie comptable discrète des services et biens divers, qui est passée de 36 à 87 millions en quatre ans  [6]. Le groupe aurait ainsi fixé des prix de transfert entre ses entités de manière à loger les pertes selon son bon vouloir.

8La restructuration est présentée comme un moindre mal ; parmi les options étudiées, aurait figuré celle d’une fermeture  [7]. Selon la direction, qui indique s’appuyer sur l’expérience des restructurations menées antérieurement dans les autres sites belges, la restructuration de l’usine de Clabecq a pour but d’améliorer sa productivité, avec une focalisation sur la production de plaques à forte valeur ajoutée.

9Cette annonce du 17 janvier coïncide avec le déclenchement de la procédure Renault, qui sera close le 2 juillet 2019. Néanmoins, entre le 31 janvier et le 11 mars 2019, les ouvriers s’engagent dans une grève et dans des tentatives d’extension de la mobilisation, qui témoignent d’un refus de se limiter à une simple concertation. Le conflit social est mené selon des tactiques très diverses, entre recours au répertoire d’actions classique, ouvertement conflictuel, du monde du travail (grèves, inventaires des matières premières appartenant à l’entreprise, manifestations de soutien) et respect de la procédure Renault, axée sur la concertation.

4.2. Un conflit potentiellement explosif…

10Le début du conflit, qui démarre suite à l’annonce de la restructuration, est marqué par une forte mobilisation des travailleurs de NLMK Clabecq, dépassant les positions des délégués et permanents syndicaux.

4.2.1. Annonce et position de la direction

11Avant le 17 janvier, la direction de NLMK a pris des mesures afin de se prémunir d’une éventuelle future action des travailleurs suite à son annonce : des ingénieurs ont dressé l’inventaire des installations et ont pris des photographies de celles-ci (afin que l’entreprise puisse attaquer les travailleurs en cas de dégradation ou de réquisition du matériel) ; une partie du stock de matières premières a été évacuée par chemin de fer pour être stockée chez des grossistes. En outre, dès l’annonce du plan de restructuration, les sous-traitants sont transférés à l’usine de La Louvière.

12Pendant les deux semaines qui suivent l’annonce de la restructuration, les informations sont parcellaires. Le flou maintenu au sujet des postes visés par les licenciements permet à la direction d’exercer une pression sur les travailleurs : ceux qui seront repérés comme « meneurs » ou « récalcitrants » seront intégrés à la vague de licenciements (normalement, les noms des licenciés ne sont donnés qu’en phase 2 de la procédure Renault ; dans le cas présent, ils ne seront toujours pas connus en juin, soit près de trois mois après le déclenchement de cette phase)  [8]. Ce n’est qu’au cours du troisième conseil d’entreprise extraordinaire, qui se déroule le 31 janvier 2019, que les détails du plan sont révélés : en plus du licenciement de 50 % des travailleurs, le plan prévoit la disparition de pans entiers de la production, la sous-traitance de plusieurs services, une flexibilité et une polyvalence maximales, et l’automatisation de certaines tâches. À cela, la direction ajoute des économies de 3,5 millions d’euros sur les rémunérations des travailleurs qui ne seront pas licenciés, menant ainsi à la révision des primes, au gel de l’indexation des salaires pendant trois ans, à de nouvelles règles sur les heures supplémentaires, à la remise en cause de certaines conventions collectives de travail (CCT) et à un plan d’action contre l’absentéisme  [9]. L’ensemble est dénoncé par les syndicats comme une véritable « bombe sociale »  [10].

4.2.2. Une base ouvrière ayant recours à un répertoire d’actions conflictuel

13Les restructurations progressives de la sidérurgie à Clabecq ont conduit à la présence d’ouvriers aux traditions et mémoires syndicales variées. Certains d’entre eux ont connu successivement les Forges de Clabecq, Boël et finalement NLMK. L’expérience acquise lors des fermetures d’usine et des luttes menées circule et, lorsque le conflit éclate, certains travailleurs ont à cœur de ne pas répéter les erreurs commises par le passé.

14Les travailleurs sont clairvoyants quant aux intentions de NLMK : selon eux, l’annonce des 290 licenciements n’est pas tenable car l’entreprise ne pourrait pas continuer à fonctionner avec une telle réduction d’effectifs. Deux camps stratégiques se forment alors : ceux qui pensent que NLMK finira par fermer sa filiale de Clabecq après avoir délocalisé son activité et qu’il convient donc de tenter d’obtenir les plus hautes indemnités de licenciement pour tous ; et ceux qui cherchent à préserver un maximum d’emplois. Le front commun syndical penche pour la deuxième option. Dès lors, aucune mobilisation (grève, freinage, etc.) n’est déclenchée dans les deux premières semaines du conflit.

15Ainsi, si un débrayage immédiat s’est produit le 17 janvier, il a eu lieu sans appel de la délégation syndicale. Les travailleurs avaient pressenti l’annonce de la direction depuis plusieurs jours. Les délégués syndicaux ont appelé les travailleurs à cesser la grève quatre jours plus tard (décision votée en assemblée générale le 21 janvier), arguant que la procédure Renault s’apprêtait à « être longue »  [11].

16Le 31 janvier, lors de l’annonce des détails du plan de restructuration, un nouveau mouvement de grève est entamé, d’une longueur remarquable puisqu’il durera jusqu’au 11 mars. Cette fois, la grève est soutenue par le front commun syndical. Grâce au rapport de force constitué par la grève, les syndicats refusent à plusieurs reprises de poursuivre toute négociation. Un délégué FGTB déclare fin janvier : « Si nous n’obtenons pas que la direction retire ces mesures, on ira au finish »  [12]. C’est dans ce cadre que le front commun lance un plan d’actions (le 8 février), qui inclut le blocage des sites de La Louvière et de Manage.

4.2.3 Durcissement du rapport de force

17Dès le début du mouvement de grève, la direction essaie de briser le blocage de l’usine en judiciarisant le conflit. Elle obtient, par un jugement en référé, que le piquet soit levé sous peine d’une astreinte de 1 000 euros par jour et par personne. Le 4 février dans l’après-midi, un huissier accompagné par la police se rend devant le piquet de Clabecq pour notifier la décision. Les syndicats contrent l’argument en expliquant que l’accès à l’usine n’est pas bloqué : les fournisseurs peuvent s’y rendre mais aucun travailleur n’est disponible pour charger et décharger les marchandises. La direction est attendue pour les négociations sur le site, mais elle demande à délocaliser les conseils d’entreprise à Nivelles. Le lendemain, la direction menace de déposer plainte contre les grévistes qui se livreraient à des actes « mettant en danger les personnes et les biens »  [13]. Le 18 février, elle fait de nouveau appel à la justice pour faire lever les blocages à La Louvière et à Manage.

4.3. … mais sans direction ni plan de bataille

18Durant le conflit, les délégations syndicales ne cherchent pas à mettre sur pied une mobilisation en interne ou en externe, impliquant les travailleurs du site, ceux d’autres entreprises ou des sympathisants. Sans pression externe, les pouvoirs publics se rangent majoritairement du côté de la direction de NLMK.

4.3.1. Des délégations syndicales débordées

19La direction n’est confrontée qu’à une faible opposition de la part du front commun syndical, qui est très majoritairement coupé de la base et se concentre principalement sur le cadre de négociation établi par la procédure Renault.

20Après l’annonce du 31 janvier, le front commun syndical choisit de se focaliser sur les mesures du plan industriel ayant un impact sur les travailleurs maintenus en activité. La procédure Renault prévoit normalement que la phase 1 soit consacrée à la présentation du volet industriel et à la consultation des différentes parties. Comme lors de conflits similaires, les syndicats utilisent cette phase – non limitée dans le temps et dont la clôture nécessite leur accord – pour avancer sur les négociations concernant le volet salarial, faute de quoi ils refusent d’examiner le plan industriel présenté par la direction  [14].

21Les négociations entre direction et syndicats sont donc orientées sur le retrait du volet salarial  [15], c’est-à-dire les économies prévues de 3,5 millions d’euros sur les salaires. C’est là un point de divergence majeur avec une partie de la base ouvrière qui, elle, souhaite que soit remis en cause (ou, du moins, que soit amoindri) le plan de licenciement. Ces divisions stratégiques permettent à la direction de continuer à faire planer la menace d’une fermeture totale  [16].

22En outre, la délégation syndicale semble dépassée au quotidien. Les travailleurs témoignent d’une forte politisation (au sens développé par Sophie Duchesne et Florence Haegel  [17]) – sentiment d’injustice (eu égard à l’existence de dividendes élevés pour le groupe international), clivage (avec les patrons) et montée en généralité (sous la forme d’une dénonciation du capitalisme) – et d’une volonté de transmission entre plus jeunes et anciens, et se livrent à de nombreux échanges stratégiques dans la tente érigée sur le piquet de grève. Mais pour sa part, la délégation syndicale ne prend pas l’initiative d’organiser des assemblées générales régulières et à heures fixes pour discuter de la stratégie de lutte. Les travailleurs restés chez eux ne sont pas appelés à être présents sur le piquet. Après une séance de négociation avec le banc patronal, les délégués cherchent à retourner directement dans leur local en évitant les travailleurs. Des assemblées générales s’organisent spontanément après que les délégués ont été interpellés par les travailleurs présents, tandis que les travailleurs restés chez eux sont appelés au pied levé. D’une trentaine sur le piquet, le nombre de travailleurs passe à 70-80 en assemblée générale. Si les délégués et permanents sont présents à ces assemblées générales, ils semblent absents au quotidien sur le piquet et dans l’usine.

23La direction profite également de la faiblesse des délégations officielles pour exercer une pression sur les « durs » du mouvement. Ainsi, suite à une visite du CEO sur le piquet, une lettre est envoyée à cinq ouvriers considérés comme des meneurs : la direction leur interdit l’accès au site de NLMK Clabecq et leur enjoint de rester chez eux, en échange du paiement de leur salaire, de chèques-repas, de primes sur les bénéfices et de primes trimestrielles. Ces ouvriers acceptent.

4.3.2. Une absence d’extension de la lutte en dehors de l’usine

24L’absence de réflexion tactique des représentants syndicaux se reflète également dans l’absence de perspective d’extension du conflit. Ainsi, rien n’est mis en place par le front commun syndical pour étendre durablement le conflit à l’extérieur de l’usine (dans les autres filiales, chez les sous-traitants ou parmi la population), comme cela avait pu être le cas pour les conflits emblématiques des Forges de Clabecq  [18].

25Deux tentatives visent à obtenir le soutien des autres filiales de NLMK à La Louvière et Manage. À La Louvière, un barrage filtrant tient une semaine, mais les ouvriers sur place refusent de se joindre au mouvement en raison du fait que les Clabecquois ne les avaient pas soutenus lors d’un conflit antérieur. À Manage, un piquet est mis en place pendant trois jours. Ces deux actions, menées avec les délégués syndicaux, ne s’inscrivent dans aucune tactique de long terme ni objectif de mobilisation. De la même manière, aucun plan d’extension de la grève aux sous-traitants n’est élaboré. Pour rappel, ces derniers ont été délocalisés rapidement par la direction sur le site de La Louvière (cf. supra).

26Une manifestation de soutien se tient le 7 février, qui regroupe environ 200 personnes. Son organisation est principalement due à des soutiens extérieurs à l’usine et venant de Wallonie et de la Région bruxelloise. En revanche, il n’y a pas eu d’appel de la part de la délégation, pas d’impression de tracts, pas de mobilisation sur Ittre et Tubize.

27Des membres des Gilets jaunes  [19] sont présents sur le piquet durant tout le conflit, mais ils se trouvent physiquement isolés des travailleurs, avec lesquels ils n’ont que peu d’échanges.

Des pouvoirs publics en accord avec la direction de NLMK

28Les interventions des différents acteurs publics entraînent souvent la reprise des négociations dans le cadre de la procédure Renault, lorsque celles-ci sont bloquées par la direction ou par le front commun syndical. Au cours du conflit étudié ici, les pouvoirs publics, à savoir la Région wallonne – via la SOGEPA – et les bourgmestres d’Ittre et de Tubize, jouent le rôle de conciliateurs, s’affichant plus proches de la direction que des travailleurs de l’usine  [20].

29Si l’Autorité fédérale n’a qu’un rôle réduit pendant le conflit, la SOGEPA a été partie prenante des discussions préalables à l’annonce de la restructuration. Le président du comité de direction, Renaud Witmeur (PS), avait fait étudier, entre autres scénarios, une reprise du site sur le modèle de Caterpillar à Gosselies  [21]. La semaine précédant l’annonce du plan Renault, il s’était rendu à Moscou pour finaliser le plan de restructuration – qualifié d’« ambitieux »  [22] – avec l’actionnaire russe de NLMK  [23].

30Dès le premier jour du conflit social, la SOGEPA soutient donc le plan de restructuration, en reprenant à son compte le discours de la direction  [24]. Le 24 janvier, elle annonce une contribution de 100 millions d’euros aux investissements de 248 millions d’euros prévus par NLMK. Au cours de cette annonce, le ministre de l’Économie, de l’Industrie, de la Recherche, de l’Innovation, du Numérique, de l’Emploi et de la Formation au sein du gouvernement wallon Borsus (MR/CDH), Pierre-Yves Jeholet (MR), assure de son soutien au plan industriel : selon lui, la somme débloquée est « un signal fort de la Région qui croit au projet industriel et qui veut pérenniser l’activité »  [25].

31Cette position est également celle du bourgmestre d’Ittre, Christian Fayt (PS). Les taxes liées à la présence de l’usine sur son territoire sont vitales pour sa commune  [26]. Par conséquent, il se montre particulièrement attentif au maintien d’une activité rentable chez NLMK : « On craignait une faillite pure et simple et une délocalisation. On est passé tout près du boulet », déclare-t-il au tout début du conflit  [27]. Cette réalité le pousse à faciliter certaines des initiatives de la direction de NLMK : il accepte ainsi que les locaux de la commune d’Ittre servent à un référendum sur la reprise du travail organisé le 22 février (cf. infra). Au même moment, le bourgmestre annonce que, pendant trois ans, la moitié de la somme perçue au nom de la taxe sur la force motrice sera provisionnée et reversée intégralement à l’entreprise si l’outil et l’emploi sont maintenus sur cette période  [28].

4.4. Épuisement et impasse

32Pour mettre fin à la grève des ouvriers, la direction de NLMK exploite les divisions existant au sein des travailleurs ainsi que l’atomisation de ceux-ci. Pour leur part, les syndicats ne tentent pas de sauver le mouvement de grève, se concentrant sur la procédure Renault.

4.4.1. Des divisions exploitées par la direction

33Le front commun syndical ne cherche pas à modifier en sa faveur le rapport de force obtenu par les tactiques conflictuelles. Au lieu de cela, il se tourne vers les pouvoirs publics (la SOGEPA et le ministre wallon P.-Y. Jeholet) pour appuyer sa revendication d’une suppression du volet salarial du plan de restructuration. Le 20 février 2019, les syndicats indiquent que le volet salarial « a été adouci » : le gel des salaires et de l’index n’est pas maintenu, les marges d’augmentation de salaires ne seront pas remises en cause, et 3 millions d’euros annuels seront économisés sur les salaires (et non plus 3,5 millions comme initialement prévu)  [29]. Ce plan social « adouci » est rejeté lors d’une assemblée générale houleuse, le 21 février : les ouvriers estiment que rien n’a été obtenu concernant le plan de licenciement  [30].

34L’usine étant toujours bloquée, la direction décide de faire pression sur les syndicats en annonçant unilatéralement la tenue d’un référendum sur la reprise du travail, le 22 février, à l’hôtel communal d’Ittre. À cette occasion, les employés se prononcent à 90 % pour la reprise du travail, tandis que 85 % des ouvriers boycottent le vote ; la grève se poursuit.

35Le blocage des négociations menées dans le cadre de la procédure Renault dure jusqu’au 27 février. Ce jour-là, au cours d’une réunion entre la direction de NLMK, les syndicats, les bourgmestres des communes concernées et le ministre P.-Y. Jeholet, une « proposition de sortie de crise » est avancée. Appelée à se prononcer à son sujet, l’assemblée générale des ouvriers tenue le 1er mars dégénère en échauffourées et se conclut sans vote. Certains ouvriers ne veulent pas reprendre le travail et abandonner le rapport de force qu’ils ont construit tant qu’ils n’auront pas obtenu des informations suffisantes sur le plan de départ  [31]. Il faut souligner que les revendications se limitent donc à l’obtention d’informations ; il n’est pas question de remise en cause des licenciements.

36Devant le refus de la base de signer un préaccord, la direction organise un vote à distance pour les ouvriers. La voie postale favorise l’atomisation des travailleurs et leur absence de concertation commune. Les travailleurs sont 54 % à approuver la phrase « Je marque mon accord pour reprendre le travail normalement à partir du vendredi 8 mars 2019 », tandis qu’un quart des travailleurs s’abstient de répondre. Sans réaction du front commun syndical, la grève des ouvriers se termine finalement après le week-end, le lundi 11 mars en fin d’après-midi, avec une présence policière.

37Deux événements viennent compléter ce tableau, qui témoignent des dissensions particulièrement fortes entre certains ouvriers et leurs représentants ainsi que de l’impuissance ressentie par les ouvriers : l’incendie des voitures appartenant à NLMK la nuit suivant l’annonce du premier référendum (geste condamné par une majorité d’ouvriers comme non pensé politiquement et défavorable au mouvement) et le saccage des locaux syndicaux le 5 mars.

4.4.2. Repli sur la procédure Renault

38Suite à la fin de la grève, les négociations reprennent entre syndicats et direction, mais aucune assemblée générale des ouvriers n’est organisée. Un protocole d’accord sur le plan social est conclu avec les représentants des ouvriers le vendredi 15 mars, sans avoir été voté en assemblée générale  [32].

39Entre le 18 mars et le 3 avril (date du vote des employés et des cadres), aucune information ne paraît dans la presse. Le 3 avril, les employés et les cadres rejettent à 70 % le préaccord sur le plan social, afin d’obtenir une égalité de traitement avec les ouvriers, notamment une prise en compte des avantages extra-légaux dans les indemnités de départ. Les employés et les cadres partent en grève du 3 avril au 17 avril inclus, date d’acceptation du nouveau plan social par les grévistes.

40Ayant épuisé toutes les possibilités de grève, le front commun joue sa dernière carte le 18 avril 2019 en refusant d’acter la fin de la phase 1 de la procédure Renault. Il exige que les analyses du bureau indépendant Syndex (selon lequel il n’existe pas de plan stratégique pour la pérennisation de l’usine) soient prises en compte, ainsi que les propositions de réduction collective du temps de travail (RCTT) et de limitation de la sous-traitance. Par ailleurs, les syndicats estiment que la direction n’a pas joué franc-jeu et qu’une partie des documents nécessaires a été difficile à obtenir, ce que conteste la direction.

41Le rejet des plans alternatifs est une constante, que ce soit la reconversion dans une autre activité ou des aménagements de type RCTT. La procédure Renault « revient toujours à négocier une fermeture ou une restructuration décidée en amont par la direction. De fait, la stratégie du fait accompli laisse peu de place à une discussion sur des propositions alternatives que prévoit pourtant la procédure »  [33].

4.4.3. Fin du conflit et résultats

42Le nombre de licenciements est finalement réduit de 286 à 201 (151 ouvriers et 50 employés et cadres  [34]). Alors que les premiers départs étaient prévus pour mai, aucun employé ou cadre ne doit être licencié avant le 30 septembre (ensuite, aura lieu une deuxième vague en janvier 2020)  [35].

43Lahoucine Ourhribel, permanent CSC-Metea, déclare à la presse : « On ne peut jamais dire que l’on est content dans des situations pareilles mais ce que l’on a négocié permettra aux personnes licenciées de partir avec quelque chose pour tenir le coup et disposer d’un certain temps pour retrouver du travail. (…) Les ouvriers pourront partir à 59 ans, ils font leurs calculs pour savoir s’ils optent pour le plan social ou s’ils partent en prépension avec des primes correctes. (…) Ce plan social est correct et, conjugué avec le plan d’accompagnement et d’insertion qui sera mis en place dans le cadre de la cellule de reconversion, nous espérons qu’il permettra aux travailleurs licenciés de traverser cette période très difficile »  [36]. Concernant les inégalités dénoncées entre les ouvriers et les employés et cadres, la Centrale nationale des employés (CNE, affiliée à la CSC) indique qu’une « équivalence a été convenue », sans pour autant offrir les mêmes conditions de départ à l’ensemble des travailleurs. Le protocole prévoit des indemnités de départ « extra-légales » basées sur l’ancienneté. Un régime de chômage avec complément d’entreprise (RCC, anciennement « prépension ») a aussi été obtenu.

44Concernant le plan industriel ayant un impact sur les travailleurs non licenciés, le montant des économies souhaitées sur les conditions de travail serait « fortement réduit », mais aucun chiffre précis n’est disponible. Pascal Strubbe, permanent FGTB, indique : « On a trouvé 2 millions d’euros mais pas véritablement dans les poches du travailleur »  [37]. Selon L. Ourhribel, le protocole d’accord contient aussi un « effort de modération salariale mais (…) le pouvoir d’achat des travailleurs ne devrait pas être touché »  [38].

45Quant à elles, les mesures relatives à l’organisation industrielle restent floues. Il semble que la sous-traitance prévue ait pu être limitée (notamment, elle a été évitée pour le département « Magasin »)  [39].

4.5. Conclusion

46L’annonce de la direction de NLMK du 17 janvier 2019 recoupe des tendances observées dans de nombreux autres secteurs. Elle est faite d’une « triple légitimation » de la restructuration : « par des motifs économiques justifiant le redimensionnement ou le repositionnement de l’entreprise pour tenir compte des variations de l’environnement concurrentiel, par des motifs financiers soutenus par la priorité donnée à la valeur actionnariale, par les orientations des politiques publiques et de la gestion de l’emploi axées sur la flexibilité externe et l’activation »  [40].

47Le principal point de la restructuration – le licenciement de la moitié des travailleurs – n’a pas été l’objet premier des discussions entre syndicats et direction. L’attention s’est fortement portée sur les conditions d’emploi et de travail des travailleurs qui échapperaient à cette vague de licenciements. Cela explique les critiques de la base des travailleurs, qui, au cours des rares assemblées générales organisées, a rejeté les accords obtenus. Il y a eu là un « marchandage »  [41] entre licenciement collectif (avec destruction de l’outil de travail) et révision de l’organisation du travail, qui a ajouté de la confusion aux tactiques syndicales et de la division au sein des travailleurs.

48La restructuration survenue chez NLMK Clabecq détonne par le différentiel de combativité manifestée par les ouvriers et par leurs représentants syndicaux. Ces derniers, corsetés par les logiques de long terme de la procédure Renault, ont délaissé les outils conflictuels classiques (grève, freinage, constitution d’un « trésor de guerre », etc.). Sans lien avec leur base, ils se sont imposé un double rapport de force : l’un avec la direction (rapport de force qu’ils n’ont pas initié et qu’ils ne maîtrisaient pas) et l’autre avec leurs propres troupes, ce qui a affaibli leur position de négociation.

49Dans le cas de NLMK Clabecq, la procédure Renault n’a pas miné les possibilités de construire un rapport de force entre travailleurs et direction, mais elle a donné une raison d’être à l’action syndicale en dehors d’un cadre conflictuel.

5. L’Avenir, un journal sans perspective de lendemain

50Le 23 octobre 2018, la direction des Éditions de l’Avenir (ancien groupe Vers l’Avenir) annonce un plan de restructuration devant conduire à la perte de 60 emplois, quelque 24 % du personnel étant appelés à quitter les équipes rédactionnelles, commerciales et administratives. Débute alors un conflit social dont nous avons retracé les premiers mois dans la précédente étude du GRACOS  [42], et dont le présent article présente les évolutions survenues au cours de l’année 2019.

51Préalablement, le caractère particulier de ce conflit se doit d’être rappelé brièvement. Primo, la tendance générale à la baisse de la vente de l’édition papier du journal L’Avenir n’a pas été compensée par la hausse des livraisons électroniques. Secundo, les Éditions de l’Avenir ont été intégrées en 2013 dans une structure publique – Nethys, filiale de l’intercommunale Enodia (ex-Publifin)  [43] – qui a fait l’objet d’une controverse politique portant sur sa gouvernance (un CEO et un comité de direction éloignés des actionnaires) et ses options stratégiques (jugées trop dispersées et hors champ des intérêts publics). Tertio, le redressement est censé s’opérer sans adossement à d’autres titres, alors que la concurrence est en recherche d’alliances et que plusieurs acteurs politiques ont exprimé leur souhait que les Éditions de l’Avenir sortent du périmètre d’Enodia. Quarto, le personnel (au sein duquel les journalistes sont majoritaires) est représenté, d’une part, par des délégations syndicales – Centrale nationale des employés (CNE, affiliée à la CSC) et Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCA, affilié à la FGTB) – et, d’autre part, par l’Association des journalistes professionnels (AJP) et la Société des rédacteurs (SDR) des Éditions de l’Avenir  [44] ; cette configuration ne permet pas d’établir un « front » unissant les intérêts des « auteurs » et ceux des autres salariés, ce qui affaiblit la capacité d’action de tous les travailleurs. Quinto, le quotidien L’Avenir étant un journal à fort ancrage régional, les journalistes adoptent une stratégie inédite, consistant à tenter d’impliquer le lectorat dans le conflit.

5.1. Regain de tension entre rédacteurs et direction

52Malgré l’accord social conclu le 4 décembre 2018, les relations entre les journalistes et la direction des Éditions de l’Avenir se détériorent une nouvelle fois au début de l’année 2019. La première raison en est le maintien en fonction du directeur des rédactions, Philippe Lawson, en dépit de son désaveu exprimé par la quasi-totalité du personnel à la sortie du conseil d’entreprise du 26 octobre 2018. La deuxième raison tient aux conditions de départ en prépension des journalistes. Le journal Le Soir évoque une troisième raison, qui est la crainte du personnel de voir le groupe Nethys mettre en œuvre à Liège un nouveau site d’information qui pourrait mettre en péril le site Internet L’Avenir.net géré à Namur  [45].

53Début janvier, la direction convoque une réunion devant rassembler le directeur des rédactions, P. Lawson, les chefs de service et un consultant français pour traiter de la réforme de l’organisation des Éditions de l’Avenir et des contenus de ces productions. Les chefs de service refusent d’y participer ; comme alternative, ils proposent de se réunir de leur côté avec les deux rédacteurs en chef adjoints. Face à ce refus, la réaction de la direction ne tarde pas : le mercredi 23 janvier, les responsables des éditions locales, les chefs des services nationaux et les cadres de la rédaction reçoivent un courrier du directeur général, Yves Berlize, leur enjoignant de participer aux réunions en dialogue avec P. Lawson, ajoutant : « Un défaut de présence ou de collaboration respectueuse sera considéré comme un manquement professionnel ». Dès réception, un courrier de l’AJP et de la SDR part en sens inverse pour exprimer « le soutien à des chefs de service constructifs, qui ont, à de nombreuses reprises, motivé leurs réserves par rapport à M. Lawson, sur base d’éléments objectifs, et certainement pas émotionnels. Le fait d’avoir tourné unanimement les talons, lors du premier atelier, suffit à lui seul à démontrer que le problème ne vient pas de l’équipe mais de l’entraîneur ». En conséquence, notent l’AJP et la SDR, « virer l’équipe relèverait pour le moins d’une méthode originale, dont l’effet productif laisse songeur ». Et de conclure : « Résoudre un problème en considérant qu’il n’existe pas ne risque pas d’améliorer une situation déjà tendue ».

54L’affrontement entre les journalistes et la direction porte également sur les conditions de départ en régime de chômage avec complément d’entreprise (RCC, ex-système de prépension). L’accord social du 4 décembre 2018 ne permettra d’éviter les licenciements secs que si 45 équivalents temps plein (ETP), dont 31 à 32 au sein de la rédaction, quittent l’entreprise sur une base volontaire. Mais en janvier, seuls huit journalistes manifestent leur accord de partir en prépension. Les autres estiment que la convention collective conclue entre l’AJP et les journaux francophones n’a pas été prise suffisamment en compte dans les calculs liés à l’accord social.

55L’AJP et la SDR proposent alors de se réunir avec la direction pour régler les conditions de départ, le montant discuté devant être de 180 000 euros (soit 2 % du budget prévu pour le plan social de 9 millions d’euros)  [46]. S’en tenant à l’accord social du 4 décembre 2018 et rappelant que celui-ci a été approuvé par 84 % du personnel, la direction leur adresse une fin de non-recevoir, estimant qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir une négociation complémentaire. Elle annonce la mise en œuvre de l’accord, en combinaison avec les autres volets du plan de redéploiement. Elle indique également qu’elle s’apprête à communiquer au Service public fédéral (SPF) Économie, PME, Classes moyennes et Énergie sa propre liste de licenciements, sur laquelle figurent des personnes ne souhaitant pas partir volontairement.

56Le mardi 12 février, en réaction à cette attitude de la direction, une majorité des journalistes votent en faveur du déclenchement d’une grève et confirment leur défiance à l’égard du directeur des rédactions. Ils évoquent aussi l’existence d’une « liste noire » établie par la direction, ce qui justifie à leurs yeux le durcissement de l’action.

57Dès le lendemain, le conflit fait l’objet d’un débat d’actualité au Parlement wallon. Malgré les démentis de la direction des Éditions de l’Avenir, les députés tant de la majorité que de l’opposition fustigent la potentielle existence d’une liste noire et réitèrent leur souhait qu’il n’y ait pas de licenciements secs. Interpellés, le 14 février, par une délégation de journalistes durant la 13e édition du Salon des mandataires (qui se tient à Marche-en-Famenne les 14 et 15 février), des députés wallons confirment cette position devant les médias.

58Parallèlement, une concertation se tient entre direction et organisations syndicales. Elle aboutit, à la mi-février, à la constitution d’une enveloppe complémentaire de 450 000 euros, destinée à limiter les licenciements secs via des départs en RCC  [47].

5.2. Recours au journal pour expliquer le conflit

59Cet accord intervenu entre la direction et les syndicats n’empêche pas la publication, par les rédacteurs de L’Avenir, d’un dossier de cinq pages intégré dans l’édition du samedi 16 février et intitulé « Comment Nethys a cassé L’Avenir ».

60Le titre de ce dossier reflète bien la thèse défendue par les rédacteurs de L’Avenir quant aux différentes sources des problèmes qu’affronte le quotidien. Primo, les pertes d’emploi sous la forme de prépensions et de licenciements secs sont le résultat d’un manque de vision puis d’une stratégie de pourrissement de la part du CEO de Nethys, Stéphane Moreau (PS), et du directeur financier de Nethys et président du conseil d’administration des Éditions de l’Avenir, Pol Heyse. L’absence de vision stratégique (choix d’un futur imprimeur, valorisation des contenus payants, synergies avec les autres médias du groupe) de la part de Nethys est patente. Malgré les sollicitations adressées à la direction, la dégradation de la situation financière s’est poursuivie, liée notamment aux coûts des investissements informatiques. Secundo, les différends entre la direction de Nethys et le CEO des Éditions de l’Avenir (à savoir Quentin Gemoets jusqu’en mai 2016 puis Éric Schoonbroodt jusqu’en février 2018) se sont succédé depuis que Nethys est devenu le seul actionnaire. Tertio, les relations entre la direction et les journalistes se sont fort tendues, portant sur la façon dont la rédaction a couvert l’« affaire Publifin ». Quarto, la désignation d’un « directeur des rédactions », sur injonction de S. Moreau et P. Heyse, à la place d’un rédacteur en chef a été une « astuce » visant à contourner la convention qui prévoit la consultation de la rédaction lors du processus de nomination d’un rédacteur en chef.

61Dans la même édition du journal, un espace est réservé à une réaction de la direction, qui perçoit un dossier « truffé de mensonges, de procès d’intention, d’éléments sortis de leur contexte dans l’unique but de jeter le discrédit sur Nethys et ses dirigeants ». Selon la direction, il n’y a ni pourrissement ni ingérence dans le travail journalistique, mais au contraire « une stratégie claire, celle d’adosser un quotidien d’informations régionales à un groupe de télécommunications (Voo) et d’affronter de cette façon les géants mondiaux (les GAFA  [48]) sur un terrain qu’ils n’occupent pas».

62À la suite de ces déballages publics faits d’invectives, place est toutefois faite à une négociation débutant dans la soirée du 16 février. Sous la conduite de S. Moreau lui-même, la direction rencontre une délégation de la SDR et la secrétaire générale de l’AJP, Martine Simonis. Le dimanche 17 février, un communiqué commun aux deux parties mentionne alors le respect de toutes les conventions en vigueur dans l’entreprise, un plus grand nombre de départs volontaires ou en RCC, et la limitation à quatre du nombre de licenciements secs dans la rédaction. La direction précise encore que les seuls critères pour désigner les personnes qui seront ainsi licenciées sont « organisationnels et/ou de compétences en lien avec le plan de redéploiement ».

63Dès le lundi suivant, 18 février, une assemblée générale des journalistes approuve cet accord. Dès lors, il ne reste à traiter « que » la question controversée de la direction des rédactions. Comme, le même jour, les Éditions de l’Avenir se voient reconnues comme entreprise en restructuration, on peut croire en un retour progressif à la confiance réciproque.

5.3. Une liste noire ? Un lock-out ?

64Il n’en est rien. Dès le lundi 4 mars, un nouveau soubresaut apparaît. Le personnel, réuni en assemblée générale, décide à une large majorité de mener une grève de deux jours et d’arrêter le site Internet du journal. Il ne peut accepter que, parmi les quatre personnes désignées par la direction pour être licenciées, figurent les trois membres de la rédaction suivants : le chef de service de l’information générale, Yves Raisière, un ancien chef de service responsable des dossiers transversaux, Dominique Vellande, et le community manager, Cédric Rosenbaum. Selon la SDR, « les représentants du personnel avaient proposé la prise en compte de volontaires supplémentaires au départ pour éviter qu’on en arrive à de telles issues et favoriser ainsi le retour à la paix sociale. Cette proposition a été refusée par la direction, ce qui confirme son intention de procéder à des licenciements ciblés et crédite l’existence d’une liste noire ».

65Dans Le Soir, le journaliste Philippe Leruth écrit : « Comme par hasard, [Y. Raisière et D. Vellande] ont, tous les deux, été à la pointe dans la contestation du directeur de la rédaction, P. Lawson, une fois que la motion de défiance vis-à-vis de celui-ci a été votée par le personnel. Et comme par hasard, ils sont tous les deux intervenus dans le dossier Nethys et notamment dans le dossier “Comment Nethys a cassé L’Avenir” publié en une le 16 février dernier »  [49].

66Les 4 et 5 mars, la grève est effective. La direction décide de fermer les accès numériques permettant la publication d’articles sur le site Internet et les réseaux sociaux du journal. Deux explications à cette fermeture s’opposent. Pour la direction, la raison est technique : il s’agit simplement de profiter des jours de grève pour opérer des travaux de maintenance informatique. Pour les journalistes, la raison est politique puisque, en fermant les accès numériques, la direction empêche les journalistes de présenter leur point de vue sans obtenir l’aval préalable du directeur des rédactions et, surtout, évite la publication d’un nouveau dossier à charge de Nethys. Selon eux, il s’agit d’un « lock-out » et d’une censure grave entravant la liberté de la presse.

67À l’issue de la grève, le 6 mars, la direction informe les délégations de l’AJP et de la SDR qu’elle entamera des négociations avec les organisations syndicales. En attendant, un courriel du directeur général des Éditions de l’Avenir précise : « Afin que les discussions puissent se poursuivre sereinement et dans le respect des représentants syndicaux, les publications papier et via le site Internet resteront suspendues ». Le même jour, les organisations syndicales reçoivent l’aval des représentants des journalistes pour tenter, par la négociation, la réintégration des trois journalistes licenciés, y compris dans d’autres fonctions, ou, en cas de refus de leur part, des améliorations de leurs conditions de départ. Les délégués de l’AJP et de la SDR insistent cependant pour que, dans le futur accord, figure la garantie du respect de l’indépendance rédactionnelle et leur participation aux négociations sur la restructuration de la rédaction.

68Devant la presse, les journalistes précisent leurs revendications : réintégration des trois journalistes licenciés  [50], écartement du directeur des rédactions, sortie du journal du groupe Nethys.

5.4. Conflit de légitimité entre les syndicats et la Société des rédacteurs

69Le mercredi 6 mars, tard en soirée, la négociation entre la direction et la délégation syndicale aboutit à un accord prévoyant la réintégration des trois journalistes dans d’autres fonctions. Il est précisé que, si ces derniers n’acceptent pas les propositions de la direction quant à leurs nouvelles fonctions, leurs indemnités de départ seront revues à la hausse. Le lendemain, 7 mars, cet accord est rejeté par une assemblée générale du personnel, mandatant l’AJP et la SDR pour renégocier le texte et y apporter des amendements. Clairement, la pierre d’achoppement se situe dans l’organisation rédactionnelle qui, pour l’AJP et la SDR, ne relève pas de la concertation entre la direction et les organisations syndicales mais de la concertation entre la direction et les journalistes. Le conflit se porte donc sur la légitimité de la représentation.

70Pour débloquer la situation, le directeur général propose alors une double rencontre le 11 mars : d’abord avec les syndicats, ensuite avec l’AJP et la SDR. Le CEO du pôle « Télécom et médias » de Nethys, Jos Donvil, précise cependant : « Je ne nie pas l’existence de l’AJP. Mais ce n’est pas un syndicat. Que l’AJP et les syndicats trouvent un accord pour fonctionner entre eux et que les syndicats représentent tout le monde »  [51]. Cette perception des choses n’est pas partagée par les journalistes, qui veulent empêcher que « se commette à nouveau l’erreur de procéder à la signature d’un accord avant que la direction n’ait pu rencontrer les représentants des journalistes clairement mandatés par l’assemblée du personnel »  [52]. Les tensions commencent à s’afficher ouvertement au sein du personnel. Le président de la SDR, Emmanuel Wilputte, explique à ce propos : « Nous avons la preuve qu’un permanent syndical du SETCA était présent au conseil d’administration d’Enodia (ex-Publifin). Il a annoncé que le personnel voterait le plan social sans aucun problème le lendemain. Nous ne connaissions pas cette personne qui est allée parler en notre nom. La méfiance s’est installée »  [53].

71Cette méfiance ne fait que s’accentuer. À la sortie de la réunion du 11 mars, les représentants syndicaux expliquent avoir mis sur la table les questions relatives à l’organisation de la rédaction, questions que la direction s’engage à prendre en compte en formulant des propositions concrètes lors du conseil d’entreprise du 14 mars. Aucune rencontre n’étant fixée par la direction avec l’AJP et la SDR, celles-ci considèrent qu’il s’agit d’une véritable mise à l’écart à leur encontre et rejettent la responsabilité non seulement sur la direction mais aussi sur les organisations syndicales. La Libre Belgique commente : « Visiblement, la direction et les syndicats ignorent totalement le message que le personnel leur a clairement adressé jeudi dernier en assemblée générale. Tout aussi visiblement, la direction et les syndicats s’entendent pour écarter l’AJP et la SDR des matières qui concernent leurs compétences directes : en particulier, les garanties liées à l’indépendance rédactionnelle, les descriptions de fonction et l’organisation de la rédaction. Ces prérogatives se fondent notamment sur la charte d’indépendance rédactionnelle en vigueur dans l’entreprise. Ce mépris met gravement en danger le respect de l’indépendance rédactionnelle, seul vrai garant d’un travail journalistique de qualité »  [54].

72Malgré ces tensions, une assemblée générale du personnel se tient le 12 mars, qui opte pour la reconstitution d’un front commun du personnel. Entre-temps, la Fédération européenne des journalistes (FEJ) et la Fédération internationale des journalistes (FIJ) lancent une alerte auprès du Conseil de l’Europe à travers la « Plateforme pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes » à la suite des incidents survenus aux Éditions de l’Avenir. Le secrétaire général de la FIJ, Ricardo Gutiérrez, signe un communiqué disant : « Le lock-out opéré à L’Avenir est gravissime ! Il s’apparente à de la censure pure et simple. Un journal n’appartient ni à son éditeur ni à ses journalistes, mais à ses lecteurs. Bloquer le site Internet du quotidien et ses réseaux sociaux, c’est priver ses lecteurs d’accéder à l’information. C’est une violation flagrante de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette alerte sera transmise aux ambassadeurs des États membres du Conseil et l’ambassadeur belge sera invité à demander au gouvernement belge des explications qui ne sont pas arrivées au Conseil de l’Europe à ce jour »  [55].

73L’enlisement du conflit et l’alerte transmise au Conseil de l’Europe poussent la direction des Éditions de l’Avenir à préciser son point de vue et les partis politiques à se repositionner.

5.5. Pouvoir des journalistes, liberté de la presse

74Le 11 mars, le directeur général, Y. Berlize, présente sa conception de la concertation sociale au sein des Éditions de l’Avenir : « C’est exclusivement via ces organes légaux de concertation sociale [CE et CPPT] et via la délégation syndicale que la direction informe, dialogue et répond aux questions qui lui sont posées. (…) Tous les travailleurs de l’entreprise, en ce compris les membres de la rédaction, sont légalement représentés par les représentants des travailleurs qui ont été désignés lors des dernières élections sociales. Cela n’interdit pas des procédures de consultation avec les journalistes ». Il poursuit : « Des ateliers dont l’objectif est de présenter les fondamentaux et la future structure rédactionnelle (fonctionnement de la rédaction, rôles et descriptifs de fonctions, …) seront prochainement mis en place par la rédaction en chef. Ce sera ainsi l’occasion d’entendre les suggestions et recommandations quant à cette nouvelle structure »  [56]. Pour la direction, la primauté doit donc être donnée aux syndicats pour la négociation et la concertation sociale, à charge pour eux de s’assurer qu’ils parlent au nom de tous dans les organes officiels. Pour ce qui est de la rédaction, la direction considère que cela relève de sa compétence, ce qui n’empêche pas des procédures de consultation.

75Entre processus de consultation et négociation, la marge est importante. Selon l’AJP et la SDR, le cadre légal et réglementaire auquel doit se conformer la direction des Éditions de l’Avenir n’est pas respecté. L’AJP et la SDR appellent alors la ministre des Pouvoirs locaux du gouvernement wallon Borsus (MR/CDH), Valérie De Bue (MR), à se prononcer sur cette pierre d’achoppement, au vu du non-respect du décret de la Communauté française du 31 mars 2004 sur les aides à la presse, qui prévoit explicitement une consultation de la société des rédacteurs en matière d’organisation des rédactions et en cas d’interprétation de la charte garantissant l’indépendance des rédactions  [57]. Il s’agit là d’une application du décret wallon du 29 mars 2018 modifiant le Code de la démocratie locale et de la décentralisation (CDLD) en vue de renforcer la gouvernance et la transparence dans l’exécution des mandats publics au sein des structures locales et supra-locales et de leurs filiales  [58], décret qui a étendu la tutelle générale d’annulation aux décisions stratégiques des sociétés à participation publique locale significative (SPPLS), ce que sont bien Nethys et les Éditions de l’Avenir.

76La question rebondit au Parlement de la Communauté française, le 13 mars. En réponse à des interpellations, le ministre des Médias du gouvernement francophone Demotte III (PS/CDH), Jean-Claude Marcourt (PS), déclare que, en n’associant pas la société des rédacteurs aux négociations sociales, les Éditions de l’Avenir n’ont pas respecté toutes les conditions d’octroi des aides publiques à la presse. L’article 7 du décret du 31 mars 2004 stipule en effet que « si une société interne de journalistes existe au sein d’une entreprise de presse, cette dernière reconnaîtra celle-ci en qualité d’interlocutrice et la consultera notamment sur les questions qui sont de nature à modifier fondamentalement la ligne rédactionnelle, sur l’organisation des rédactions et sur la désignation du rédacteur en chef ».

77Le 23 mars 2019, une troisième audition  [59] est organisée au Parlement de la Communauté française, en sa commission en charge des Médias, sur le thème : « Les Éditions de l’Avenir et la liberté de la presse ». Y prennent la parole la direction des Éditions de l’Avenir, des représentants syndicaux et des porte-parole de l’AJB et de la SDR. Les positions y sont précisées et les divergences clarifiées.

78D’emblée, J. Donvil (Nethys) rappelle les ambitions du groupe : résorber un déficit qui se monte à 2 millions d’euros et qui pourrait atteindre 5 millions d’euros en 2022 ; devenir le média numéro 1 de la presse belge francophone en développant l’information locale et régionale auprès de 70 000 lecteurs ; digitaliser le journal ; étendre la couverture géographique, en particulier vers les grandes villes, et élargir le lectorat vers un public plus jeune ; enrichir le contenu pour le rendre plus attractif ; adapter les départements et les équipes. Pour réaliser ce plan, une forte diminution des coûts est nécessaire selon Nethys, ce qui explique la restructuration et la suppression de 45 emplois, la mutualisation des coûts pour les postes où cela est possible (éventuellement, en partenariat avec des concurrents) et l’appui sur le pôle « Télécom et médias » de Nethys. Parallèlement, des investissements importants d’un montant de 6,5 millions d’euros sont à réaliser.

79Le directeur général des Éditions de l’Avenir, Y. Berlize, revient sur la négociation du plan social et sur l’accusation de lock-out dont la direction a été l’objet. Il souligne que la concertation a été intense et ponctuée par un grand nombre de conseils d’entreprise, de réunions avec la délégation syndicale et d’ateliers de consultation. Pour lui, l’association de l’AJP et de la SDR à cette concertation est une réalité, en dépit du refus des journalistes liés à la SDR d’y participer en présence du directeur des rédactions. L’accord du 17 février conclu et signé entre la direction, l’AJP et la SDR, qui porte entre autres sur le nombre de licenciements secs et les indemnités de départ, en serait la preuve. Y. Berlize ajoute néanmoins que la direction a toujours refusé de discuter des situations individuelles, et ce en conformité avec les dispositions décrétales en matière d’organisation des rédactions. Pour lui, la grève décidée sans préavis par l’AJP les 4 et 5 mars, en violation de la clause de paix sociale, est une grève sauvage et non pas un lock-out. Il confirme que la décision d’empêcher de publier en ligne a été guidée par la volonté de la direction d’empêcher toute possibilité pour les journalistes de publier des articles au contenu « pirate », c’est-à-dire sans l’aval du directeur des rédactions.

80C’est un tout autre point de vue qui est défendu par P. Leruth au nom de la SDR. Pour lui, l’impossibilité pour les journalistes d’accéder au site Internet et aux réseaux sociaux ne correspond pas à une opération de maintenance, mais relève bien d’une décision de la direction d’empêcher les journalistes d’informer les lecteurs. Il fait référence au droit de la population à l’information et estime qu’il y a eu là une violation de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Selon lui, il y a eu un lock-out, qui a été aggravé d’une tentative de censure puisque la direction n’acceptait la reprise de l’impression du journal qu’en l’absence de caricature visant S. Moreau. Dans ce cas de censure, c’est l’article 25 de la Constitution belge qui est violé. Ces éléments de droit s’ajoutent à la perte de substance de l’équipe rédactionnelle et au licenciement sec ciblé de trois journalistes. L’enjeu principal de tout cela serait donc la mise au pas d’une rédaction indépendante. Selon P. Leruth, c’est cela que n’ont pas perçu les organisations syndicales, qui ont agi comme s’il s’agissait d’une restructuration classique.

81Permanent de la CNE, Olivier Cattelain, précise le contenu du mandat donné par le personnel : réduire le nombre de départs et éviter les licenciements secs ; négocier un volet social dans le cadre de la restructuration ; décider d’un plan de relance et d’investissements. Selon lui, il s’agissait d’aller vite car la convention conclue au Conseil national du travail (CNT) portant sur le régime de RCC allait perdre ses effets à la fin de l’année 2018. Considérant que la négociation avait porté ses fruits et avait consolidé la place des Éditions de l’Avenir dans le groupe Nethys, que le nombre de départs avait été réduit à 43 personnes, qu’un volet social de 10 millions d’euros avait été dégagé pour accompagner les départs volontaires en RCC et hors RCC, qu’un plan de formation était choisi, que le format retenu satisfaisait les journalistes et que des investissements de 6,5 millions d’euros allaient permettre une relance du journal, O. Cattelain ne voit pas d’autre choix que la négociation avec Nethys, la cession des Éditions de l’Avenir à un autre acteur n’étant pas en vue. Cependant, le permanent de la CNE pointe les erreurs de la direction en matière d’organisation de la rédaction et condamne ce qu’il considère avoir été un lock-out. Il annonce que les syndicats et la direction ont convenu de la mise en place d’un groupe de travail pour clarifier le rôle des associations de journalistes en regard des dispositions décrétales et des accords locaux.

82Permanent du SETCA, Thomas Lesire complète l’intervention de son homologue de la CNE en indiquant les raisons pour lesquelles, selon lui, les relations entre acteurs se sont tendues la semaine du 4 mars. Selon lui, la direction a commis une erreur en licenciant quatre journalistes sans concertation alors que la convention conclue le 4 décembre 2018 stipule que les modalités de licenciement doivent faire l’objet d’une concertation. Les syndicats ont donc interpellé la direction et, après plusieurs réunions, un projet d’accord a été conclu le 5 mars entre la direction et les syndicats, aux termes duquel la direction, d’une part, a accepté de revoir sa décision de licenciement (mais a refusé que les journalistes concernés soient réintégrés dans les postes qu’ils occupaient jusqu’alors puisque ceux-ci étaient touchés par la réorganisation) et, d’autre part, a donné aussi son feu vert à la relance du journal dans le cas où le projet d’accord était accepté par toutes les parties. Le lendemain, l’AJP et la SDR ont exprimé une série de demandes complémentaires, qu’a refusées la direction. Les syndicats sont toutefois restés fidèles au pré-accord conclu, qui se traduisait par l’abandon des licenciements secs et la reprise des activités, mais, le 6 mars, une assemblée générale du personnel n’a pas suivi les organisations syndicales sur ce point. La crise de confiance s’est exprimée au grand jour, fruit, selon T. Lesire, d’un laisser-aller qui s’est manifesté entre autres sur la question de l’imprimerie et du choix du format, et, plus fondamentalement, d’un manque de concertation avec la rédaction (qui constitue les deux tiers du personnel) et d’une absence de management au sein des équipes rédactionnelles. Cela étant, T. Lesire ne remet pas en question la légitimité de Nethys qui, à ses yeux, est le seul acteur financièrement crédible et capable de prendre ses responsabilités en matière d’investissements, de formation et de plan social. Il considère que le pôle « Télécom et Médias » de Nethys pourrait offrir des perspectives positives pour les Éditions de l’Avenir.

83C’est une tout autre lecture du conflit que font la secrétaire générale de l’AJP, M. Simonis, et le délégué des AJP au sein des Éditions de l’Avenir, Albert Jallet. Pour eux, les enjeux dépassent largement les questions d’emploi et de restructuration. Ils portent aussi sur l’indépendance d’un quotidien, sur l’autonomie des journalistes, sur la qualité rédactionnelle, sur le pluralisme de l’information et sur le statut de la rédaction face à l’actionnaire.

84Selon M. Simonis, la direction a tout mis en œuvre pour éviter la négociation avec les instances représentatives des journalistes et, quand elle l’a fait, ça n’a été que contrainte et forcée. Revenant sur les modalités de la négociation, elle reconnaît que celle-ci se déroule au CE, mais avec en son sein un membre de l’AJP à qui il a été clairement signifié qu’il n’avait pas le droit de prendre part à la négociation  [60].

85Elle précise sa lecture des nœuds du problème. Le premier concerne le protocole d’accord conclu entre les syndicats et la direction et avalisé par une assemblée générale à laquelle il avait été annoncé qu’il n’y aurait que des départs volontaires. Or, en janvier, il est apparu que l’accord prévoyait la possibilité de licenciements secs au sein de la rédaction si les départs volontaires n’étaient pas suffisants  [61]. Le deuxième problème touche à la non-application d’une convention qui, depuis 2017, lie spécifiquement la direction des Éditions de l’Avenir et l’AJP. Cette convention précise les modalités de rémunération des journalistes (salaires proprement dits, droits d’auteurs, frais en cas de missions dangereuses, congés de maladie et indemnités de licenciement). Selon elle, la direction a ignoré ses engagements en ce qui concerne les indemnités de licenciement appliquées aux travailleurs (départs volontaires et RCC). Il en a résulté logiquement que, le 12 février, seuls huit journalistes s’étaient inscrits pour un départ volontaire au moment où la direction devait déposer la liste des travailleurs licenciés à la commission habilitée à accorder le statut d’entreprise en difficulté. Ce non-respect de la convention et la crainte de voir apparaître des licenciements secs et une liste noire a poussé les journalistes à interpeller les représentants politiques et à organiser une grève le 14 février. Après celle-ci, seuls les syndicats ont été conviés par la direction à une concertation, qui a certes abouti à ce qu’une enveloppe complémentaire soit dégagée pour l’ensemble du personnel, mais sans pour autant que cela se traduise par le respect de la convention liant la direction et l’AJP. C’est ce qui explique la parution, le 16 février, du dossier intitulé « Comment Nethys a cassé L’Avenir ». M. Simonis signale que, le soir de cette journée, S. Moreau a rencontré à sa demande des représentants de l’AJP et de la SDR, et a enjoint à la direction du journal présente à la réunion d’entamer une concertation dans le respect de la convention. La concertation a duré un jour et a abouti à un accord prévoyant le respect de la convention et à une réduction à quatre du nombre de licenciements secs, la liste pouvant être revue ultérieurement selon cet accord. Cette concertation s’est déroulée en l’absence des syndicats qui, pour cela, ont dénoncé la convention de front commun qui les lie à l’AJP. M. Simonis reconnaît que l’AJP a négocié seule avec S. Moreau et la direction mais elle souligne que, depuis le début du conflit, chacun a négocié seul. L’AJP a proposé à la direction une liste de trois personnes prêtes à quitter volontairement le journal mais celle-ci a refusé de la prendre en compte et, le 4 mars, elle a signifié à trois journalistes de quitter sur-le-champ l’entreprise. Pour M. Simonis, il s’agit de représailles ciblées.

86A. Jallet développe ce point, en contestant l’affirmation selon laquelle les postes occupés par ces journalistes n’ont plus de raison d’être dans la nouvelle organisation de la rédaction. Il souligne que cette nouvelle organisation n’a pas fait l’objet de la concertation avec la SDR prévue par le décret d’aide à la presse.

87M. Simonis revient sur la grève des 4 et 5 mars et sur la décision de la direction de couper les accès des journalistes au site Internet du journal et aux réseaux sociaux. Pour elle, cela constitue un véritable lock-out. Elle précise que, le 5 mars, seules les organisations syndicales ont été conviées par la direction pour trouver une issue à la crise, alors que l’AJP et la SDR avaient manifesté leur ouverture à participer à une négociation en déposant des textes de propositions (jugés modérés et acceptables par M. Simonis). La direction est restée campée sur ses positions et a maintenu la fermeture des accès au site Internet et aux réseaux sociaux. Un pré-accord a été conclu avec les syndicats, mais il a été rejeté par une assemblée générale du personnel. Tout cela s’explique, selon M. Simonis, par le fait que ce pré-accord ne prenait pas suffisamment en compte les demandes de l’AJP et de la SDR portant sur une véritable réintégration des journalistes et sur la garantie d’une indépendance rédactionnelle et du respect des procédures de consultation de la SDR prévues dans le décret d’aide à la presse.

88Le secrétaire général de la FEJ, C. Gutiérrez, expose les motivations qui ont conduit sa fédération à déposer une alerte auprès du Conseil de l’Europe (cf. supra). D’après lui également, le terme de lock-out peut s’appliquer à la décision de blocage venant de la direction, constituant un manquement grave en matière de liberté de la presse. Il dit espérer une réponse des autorités belges à ce propos.

5.6. Nouveau durcissement du conflit

89À la sortie de cette troisième audition, on pourrait penser, comme l’ont déclaré le ministre J.-C. Marcourt ou le député Olivier Maroy (MR), qu’une issue du conflit est envisageable.

90Mais le conflit repart de plus belle en juillet 2019, le point de vue des deux rédacteurs adjoints n’ayant pas été pris en compte pour la nomination de deux nouveaux cadres dans la rédaction (dont un chef de projet à Liège). Seul l’avis du directeur des rédactions a pesé. La SDR y distingue la volonté d’orienter la rédaction dans le seul sens qui convient à la direction. Le 2 juillet, le site d’information L’Avenir.net titre : « Éditions de l’Avenir : après les licenciements, des désignations ciblées ».

91Une assemblée générale de l’ensemble du personnel est convoquée par l’AJP et la SDR le 3 juillet. Après un vote quasi unanime (moins une abstention), cette assemblée générale dépose un préavis de grève pour une durée de 14 jours. L’AJP et la SDR expliquent : « Il s’agit pour le personnel d’exiger le respect de la charte d’indépendance rédactionnelle. Celle-ci est violée dans ses dispositions relatives aux recrutements et nominations au sein de la rédaction. Ces derniers jours, la direction a encore pris des décisions de nominations ou de non-nomination, de manière unilatérale, méprisant au passage les avis des deux rédacteurs en chef adjoints, ceux-ci étant pourtant les seuls représentants de la rédaction en chef, en l’absence d’un rédacteur en chef »  [62].

92Les 15 et 16 juillet, la direction réagit à la menace de grève en envoyant trois courriels précisant son point de vue  [63]. Le premier est adressé à l’AJP et à la SDR ; il conteste la légitimité de leurs actions, considérant que la SDR « s’attribue une fois de plus un rôle syndical dont elle ne dispose pas ». Le préavis de grève est donc considéré comme « irrecevable », « disproportionné » et « injustifié », car « il postule une immixtion dans des domaines de compétence qui relèvent tantôt du management, tantôt du plan de redressement finalisé et validé par les représentations syndicales ». Le deuxième courriel est adressé au président de la SDR, E. Wilputte ; il concerne les assemblées générales convoquées par la SDR. La direction rappelle les règles de conduite à ce propos : interdiction aux représentants des journalistes d’inviter à ces assemblées générales d’autres catégories de personnel, obligation d’avertir la direction au moins 48 heures à l’avance et d’obtenir accord de celle-ci. Autrement, avertit-elle, toute participation à une assemblée du personnel « sera considérée comme une absence injustifiée du poste de travail et ne sera pas rémunérée ». Le troisième courriel est directement adressé à la secrétaire générale de l’AJP. Il s’agit d’une mise en demeure (avec courrier recommandé) enjoignant à M. Simonis, ainsi qu’à ses représentants, de « ne plus accéder aux bâtiments sans s’être annoncé et identifié à la réception, et avoir été autorisé à entrer ». Et d’ajouter : « Aucune réunion interne à l’AJP ne peut se tenir pendant les heures de travail ». Ces trois courriels ne dissuadent pas les rédacteurs de poursuivre leurs actions puisqu’une assemblée générale se tient dès le mercredi 17 juillet, en présence de M. Simonis. Une grève d’un jour est décidée, 90 % des 75 personnes présentes votant en faveur de l’action, qui aura lieu le 18 juillet  [64].

93Ce jour de grève sera le dernier de ce long conflit. Non pas parce qu’une résolution serait intervenue ou qu’un accord entre les parties aurait été conclu, mais parce que les points de vue de plus en plus inconciliables amènent les responsables politiques à se saisir de la question des Éditions de l’Avenir autrement qu’en auditionnant ses différents acteurs. Ainsi, le dossier des relations sociales dégradées et de leurs conséquences fait place au dossier de l’actionnariat présent et futur.

5.7. Vers le démantèlement de Nethys

94La sortie des Éditions de l’Avenir du périmètre de Nethys est posée comme revendication par les représentants des journalistes dès octobre 2018, époque de l’annonce du plan de restructuration du journal. Plusieurs acteurs voient une évolution de l’actionnariat comme la seule formule apte à assurer un avenir à la publication.

95Après six jours de conflit seulement, une proposition de reprise est formulée par l’administrateur délégué du groupe de presse IPM. Dès le 8 novembre 2018, lors de la première audition parlementaire, les représentants de l’AJP, de la SDR et de la CNE se prononcent en faveur de la sortie des Éditions de l’Avenir de Nethys, le SETCA disant rester ouvert à tous les scénarios (dont celui de maintenir l’actionnaire en place). Dans la foulée, le 21 novembre 2018, le Parlement wallon demande au gouvernement Borsus de mettre en œuvre la sortie des Éditions de l’Avenir de Nethys  [65].

96Cette question reste pendante durant de longs mois, au cours desquels la situation du journal ne s’améliore pas. Le gouvernement Borsus ne peut réaliser les changements voulus en ce qui concerne les structures ni le management de Nethys. Les périodes pré- et post-électorales (liées au scrutin du 26 mai 2019) ne sont ensuite pas propices à une prise de décision politique claire, et ce jusqu’à la fin de l’été 2019. Toutefois, il s’avère de plus en plus probable que le groupe Nethys ne tiendra plus « en l’état » dès que les nouveaux gouvernements wallon et francophone seront installés.

97Constatant que sa position va tôt ou tard être bousculée, S. Moreau prend les devants en négociant une revente du groupe Nethys, qui elle-même suscite nombre de critiques. Les pôles « Énergie » et « Informatique » se voient promis à des acteurs liégeois, selon des formules controversées (notamment pour des raisons de conflits d’intérêts). Quant à lui, le pôle « Télécom et médias » est destiné au fonds Providence Equity Partners, un investisseur états-unien de grande taille ; nombre de critiques s’élèvent, portant sur le prix de cession, sur sa licéité et sur des clauses d’intéressement des cadres de Nethys. Dans un tel imbroglio, le dossier des Éditions de l’Avenir se voit relégué à la portion congrue, n’étant pas d’un intérêt financier suffisant pour peser dans les transactions.

98Les organes de gestion de Nethys tergiversent beaucoup autour des dossiers de revente. Le président du conseil d’administration, Pierre Meyers, affirme que toutes les composantes politiques administrant Nethys sont tombées d’accord pour accepter des offres « nettement améliorées ». Mais le dossier est en réalité loin d’être clos.

99Sur le plan politique, les nouveaux gouvernements mis en place en Région wallonne et en Communauté française (gouvernement wallon Di Rupo III et gouvernement francophone Jeholet, tous deux PS/MR/Écolo) à la mi-septembre 2019 optent pour une sortie des Éditions de l’Avenir de l’orbite Nethys après examen des possibilités de reprise. Ainsi, la déclaration politique du gouvernement de la Communauté française mentionne : « En concertation avec le gouvernement de la Wallonie, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles entend contribuer à rétablir au sein du journal L’Avenir un contexte de travail qui lui permette de poursuivre sa mission d’information de façon indépendante, de soutenir la mise en œuvre de la sortie des Éditions de l’Avenir du groupe Nethys et, à cette fin, examiner les possibilités de reprise, que ce soit par un opérateur de presse ou toute autre alternative porteuse d’avenir, à associer à une coopérative en cours de constitution en interne pour réunir membres du personnel, lecteurs et autres contributeurs ».

100En charge d’une tutelle complexe sur le plan juridique, vu le caractère mixte « privé-public » de Nethys, le nouveau ministre wallon des Pouvoirs locaux, Pierre-Yves Dermagne (PS), prend le temps nécessaire pour des consultations et l’établissement d’un consensus. Début octobre 2019, un triumvirat de managers dits expérimentés est placé à la tête de Nethys en remplacement du management contesté. Il est composé de Jean-Pierre Hansen, ex-patron d’Electrabel, de Laurent Levaux, président du conseil d’administration d’Aviapartner (société de services aéroportuaires qu’il a dirigée de 2008 à 2016), et de Bernard Thiry, ancien patron d’Ethias et président de Resa, le gestionnaire de réseau du groupe liégeois Publifin/Enodia. Ce triumvirat est rejoint par le président de la Société wallonne de gestion et de participations (SOGEPA), Renaud Witmeur (PS), qui devient alors le véritable patron du groupe, ad interim. Ces changements permettent de reprendre à zéro tout le processus de réorganisation du groupe et de revente de ses participations. Les récentes décisions prises sous S. Moreau sont donc annulées. Pour ce qui relève de la presse écrite, R. Witmeur opte pour la rédaction d’une procédure plus claire de cession des Éditions de l’Avenir, devant aboutir au printemps 2020.

101D’autres scénarios, préalables à cette procédure, ont existé. Ainsi, l’homme d’affaires Stéphane Jourdain a annoncé en 2018 que, après avoir réalisé des ventes immobilières, il était en mesure, avec des capitaux amis, de faire offre pour un rachat des Éditions de l’Avenir en vue de soutenir un projet manquant, selon lui, en Belgique, à savoir « une presse d’inspiration libérale ». Cette piste a suscité quelques craintes dans la rédaction du journal, qui a déjà eu à couvrir, sur le plan journalistique, des événements fâcheux liés à des investissements de S. Jourdain. Ce scénario a été abandonné en août 2019  [66] et l’intéressé s’est déclaré mobilisé par d’autres dossiers.

102Plus solides apparaissent, au début du mois d’octobre 2019, plusieurs offres globales de rachat des Éditions de l’Avenir. La première émane d’un groupe de quatre personnalités du monde économique wallon – Bernard Delvaux (Sonaca Group), Laurent Levaux (SOGEPA et Aviapartner), Pierre Rion (président du Conseil du numérique - CDN) et Juan de Hemptinne (fondé de pouvoir de la holding Sogescap) –, associées au patron d’IPM, François le Hodey  [67]. Visant à maintenir le pluralisme dans le paysage de la presse écrite belge francophone, ce groupe propose d’injecter 10 millions d’euros dans l’entité pour, in fine, en prendre le contrôle avec 60 % d’actions. Cela porterait la valorisation des Éditions de l’Avenir à environ 16 millions d’euros, montant à comparer avec les 25 millions d’euros que Nethys a déboursés pour les acquérir. Mais l’initiative échoue quand il apparaît que L. Levaux est lui-même en conflit d’intérêts, en tant que membre du triumvirat à l’œuvre pour le redressement de Nethys.

103Par ailleurs, des contacts se sont établis aussi avec la chaîne de télévision d’information en continu LN24, visant à examiner des complémentarités multimédias  [68]. Mais en réalité, seuls les actionnaires financiers et industriels les plus puissants de LN24 sont sollicités. Aucune suite à ces contacts n’est enregistrée. Enfin, le groupe Rossel, qui imprime déjà L’Avenir, s’avance aussi au même moment sur le dossier, sans remettre une offre ferme mais en transmettant à Nethys une note qui pose les bases d’une future négociation  [69].

5.8. Entre découragement et volontarisme

104Les travailleurs des Éditions de l’Avenir expriment à la fois leur grande détresse, un an après l’annonce d’une restructuration dont ils ne voient pas l’issue, et leur volonté de peser encore sur les décisions à prendre dans le contexte de la revente du journal. Le pessimisme est traduit le 23 octobre 2019, lorsque, sous le titre « Un an de perdu, place à l’Avenir », la journaliste Pascale Serret fait état des « mini-chaos » qui règnent dans les équipes de L’Avenir : des départs entraînant l’abandon de chroniques, une perte de qualité, de l’épuisement (confirmé dans un rapport de juin 2019 de la médecine du travail sur la charge psycho-sociale), un climat de tensions interpersonnelles affectant la cohérence des services, une impossibilité de se projeter dans le futur. Ce constat amer se double en outre d’un contexte de pertes financières enregistrées depuis quatre ans et parfois estimées à 500 000 euros par mois  [70].

105Ce climat morose et incertain ne décourage pas l’idée d’une équipe de journalistes de créer une société coopérative à finalité sociale, appelée « Notre Avenir », dont les statuts sont déposés le 25 octobre 2019. L’enjeu de la coopérative est de réunir les travailleurs mais aussi des lecteurs et sympathisants de L’Avenir pour rassembler des fonds suffisants (le montant d’un million d’euros est évoqué) [71], prendre une part dans le capital des Éditions de l’Avenir et justifier ainsi une présence au conseil d’administration aux côtés des actionnaires principaux [72]. Ce projet est empreint d’un optimisme qui tranche avec les différents enlisements connus depuis plusieurs années.

106La progression de la collecte de fonds est permanente au cours du dernier trimestre de 2019. Des conseils communaux (Andenne, Marche-en-Famenne, Sambreville, etc.) acceptent de souscrire, le plus souvent à hauteur de 5 000 euros. Le Bureau économique de la Province, (BEP), intercommunale de développement économique de la Province de Namur, entre également dans le mouvement.

107La coopérative parvient progressivement à se faire reconnaître comme interlocutrice dans le processus de vente des Éditions de l’Avenir. Le management de crise de Nethys donne la garantie que la coopérative sera intégrée dans le processus de vente, sera présente au capital d’une nouvelle structure et participera à ses organes de gestion. Cette disposition devient réaliste dès le moment où la coopérative parvient à réunir environ un dixième de la valeur de rachat des Éditions de l’Avenir.

108Si la clause de participation de la coopérative existe bel et bien dans l’appel à repreneurs, les modalités de cette participation ne sont pas définies. Misant sur la forte implication du personnel, sur la solidarité du lectorat et sur l’environnement institutionnel favorable, les initiateurs de Notre Avenir souhaitent pouvoir disposer d’un siège au conseil d’administration de la société acquéreuse. Allant plus loin, au nom de l’AJP, M. Simonis, associée à la conception du projet, espère garantir formellement l’indépendance rédactionnelle et l’ancrage du journal (les différentes éditions régionales, notamment). Les candidats repreneurs que sont Rossel et IPM ont déjà fait savoir qu’ils entendent, le cas échéant, que la coopérative joue un rôle dans le nouveau projet à mettre en place après la reprise. Les autres candidats à la reprise n’ont pas fait de telles déclarations.

109Interrogée au Parlement de la Communauté française au début de l’année 2020, la ministre des Médias, Bénédicte Linard (Écolo), indiquera ne disposer d’« aucun élément » qui laisserait à penser que l’on se dirige dans un sens contraire à celui d’une participation de la coopérative.

5.9 Conclusion

110À la suite du sociologue et économiste états-unien Albert Hirschman, il est possible d’établir une distinction entre deux types de conflits  [73]. D’une part, le conflit divisible. Il exprime des points de vue et intérêts divergents et, dans le processus de négociation, il assure une fonction tout à la fois de compromis, de répartition des résultats et de régulation. D’autre part, le conflit indivisible. Il s’agit, à l’inverse, d’un conflit destructeur, opposant des parties qui considèrent qu’elles n’ont absolument rien à attendre l’une de l’autre et qui ne conçoivent pas qu’une issue puisse aboutir grâce à un donnant-donnant. Si les conflits divisibles se terminent, provisoirement ou durablement, par un accord ou un compromis, les conflits indivisibles ne peuvent prendre fin que par la victoire de l’une des parties au détriment de l’autre, allant même jusqu’à l’élimination de celle-ci. En 2019, le conflit social aux Éditions de l’Avenir a pris la forme d’un conflit indivisible. Toutefois, les acteurs de ce conflit ne sont pas d’abord les interlocuteurs sociaux « classiques » (direction et organisations syndicales). Ceux-ci se sont positionnés comme s’il s’agissait d’un conflit divisible, la direction déposant en octobre 2018 au conseil d’entreprise un plan de restructuration et les organisations syndicales négociant celui-ci pour aboutir à un accord en décembre 2018 et ensuite un pré-accord spécifique sur les modalités de réintégration de journalistes licenciés en mars 2019.

111Durant toute l’année 2019, la direction des Éditions de l’Avenir a considéré les organisations syndicales comme ses interlocuteurs de référence. Ce n’est que contrainte par des normes légales ou conventionnelles qu’elle a négociées avec l’AJP et la SDR des modalités liées à l’organisation de la rédaction. Si les organisations syndicales n’ont pas manqué de pointer les carences de l’actionnaire et de la direction, qui les ont conduits à décider une lourde restructuration, elles n’ont pas mis fondamentalement en question la légitimité de la direction, avec laquelle elles ont mené les négociations pour obtenir la mise en œuvre d’un plan social important.

112Du côté du SETCA, cette ligne de conduite considérant Nethys comme un interlocuteur crédible n’a pas varié durant toute l’année, même lorsque les tensions entre la direction et la rédaction ont été les plus vives et malgré le fait que, dans le monde politique, de plus en plus de voix se faisaient insistantes pour sortir les Éditions de l’Avenir du groupe Nethys. La position de la CNE a été assez semblable à celle du SETCA, même si elle a évolué avec le temps. Au début du conflit, notamment lors de la première audition conjointe du Parlement wallon et du Parlement de la Communauté française en 2018, le porte-parole de la CNE avait émis le souhait de voir les Éditions de l’Avenir quitter le giron de Nethys ; cependant, en 2019, ce souhait n’a plus été exprimé ouvertement, la crainte étant que, en rachetant les Éditions de l’Avenir, un concurrent direct ne mette encore plus à mal l’emploi et la ligne éditoriale. Pour la déléguée CSC à L’Avenir, Dominique Collin, « sortir de Nethys était nécessaire au vu du type de gestion qui y était pratiqué. Le problème de Nethys, ce sont les gens qui s’y trouvent et qui devraient partir. Si Nethys adopte un mode de gestion transparent et propre, faut-il encore partir ? »  [74] Le positionnement des syndicats et de la direction, assez habituel dans les cas de négociation d’une restructuration, n’a pas été suffisant pour rendre ce conflit divisible. En effet, durant toute l’année, le déchirement entre les acteurs n’a fait que s’accentuer et, si le conflit est étouffé, il n’y a aucun vainqueur ni vaincu. Il s’agit donc d’un conflit indivisible aux conséquences inquiétantes.

113Si la direction a joué le jeu avec les organisations syndicales, elle n’a pas agi de même vis-à-vis des organisations professionnelles, l’AJP et la SDR. À de multiples reprises, les questions propres au journalisme et à l’organisation de la rédaction ont provoqué les tensions les plus fortes, la direction adoptant presque chaque fois une position dure. L’année 2019 a été émaillée de points de tension et de ruptures qui indiquent la volonté de la direction d’assurer sa mainmise sur la rédaction : légitimité et place du directeur des rédactions, respect des conventions avec l’AJP, licenciements jugés ciblés, fermeture de l’accès au site Internet et aux réseaux sociaux considérée comme un lock-out. Cela a suscité une triple colère dans le chef de l’AJP et de la SDR : colère face à l’inertie et à l’absence de gestion de la direction et des actionnaires depuis que les Éditions de l’Avenir ont été achetées au groupe Corelio en 2013 ; colère devant l’ampleur de la restructuration ; colère en raison des décisions liées à l’organisation de la rédaction, au statut des journalistes et à la liberté de la presse. Dès le début du conflit, l’AJP et la SDR ont plaidé pour que les Éditions de l’Avenir sortent du giron de Nethys. Elles ont rappelé cette position en permanence devant les personnalités politiques et l’opinion publique.

114Le déchirement s’est aussi manifesté entre les organisations syndicales, d’une part, et l’AJP et la SDR, d’autre part. Le front commun construit à l’annonce de la restructuration n’a pas tenu longtemps. Les points de vue sur la sortie des Éditions de l’Avenir de Nethys n’étaient pas concordants. Mais ce sont surtout les concurrences dans le champ de la représentation des intérêts du personnel et des journalistes devant les responsables politiques et la direction qui ont mis à mal le partenariat.

115L’année 2019 se termine donc sous le signe du déchirement et de l’affaiblissement des acteurs qui se sont trouvés sur le devant de la scène. Les Éditions de l’Avenir seront vendues en 2020 et la direction en sera modifiée. Les divisions internes entre les syndicats et les associations professionnelles ont affaibli la force de la représentation des travailleurs, et elles expliquent, au moins en partie, le profond désarroi et le malaise au sein de l’entreprise. Seule touche positive, l’initiative prise par le personnel des Éditions de l’Avenir de créer une coopérative associant les travailleurs, les lecteurs du quotidien et des investisseurs locaux régionaux. Cette coopérative ambitionne de prendre une part dans le capital des Éditions de l’Avenir et de s’assurer une présence au conseil d’administration de la nouvelle société pour garantir l’indépendance rédactionnelle et l’ancrage du journal  [75]. L’implication de la coopérative est retenue dans le processus de vente ; toutefois, on ne peut préjuger de son application, qui dépendra du repreneur et de la force financière acquise par la coopérative.

116L’année 2019 a non seulement été une année de déchirement mais aussi année perdue. Le plan de restructuration conçu – et contesté – en 2018 n’a pas eu l’effet de relance escompté et les pertes d’exploitation n’ont pas été jugulées.

117La décision de Nethys d’abandonner ses positions d’actionnaire dans les secteurs concurrentiels a pris beaucoup de temps et d’énergie. Le sort à réserver aux Éditions de l’Avenir reste tributaire de décisions portant sur des cessions, financièrement plus lourdes, d’autres actifs du groupe. Début 2019, les Éditions de l’Avenir n’étaient pas à vendre. Au cours de l’année, elles ont fait partie d’un « ensemble » à vendre – et vendu – à l’improviste avant que le gouvernement wallon Di Rupo III n’interrompe le processus. Il faudra attendre 2020 pour qu’une opération de vente bien définie par le management intérimaire de Nethys aboutisse. En l’occurrence, à la suite d’une procédure de vente de L’Avenir (Éditions de l’Avenir), de Proximag (L’Avenir Advertising SA) et de Moustique et Télépocket (L’Avenir Hebdo SA), le conseil d’administration de Nethys retiendra, le 9 juillet 2020, l’offre formulée par le groupe IPM  [76] pour le rachat de L’Avenir, de Moustique et de Télépocket (hors Proximag, donc).

118Dans un processus aussi confus, la rédaction a déployé de nombreux efforts pour que le journal ne perde pas de sa substance, malgré une baisse de ses moyens et un climat managérial perturbé. La rédaction s’est retrouvée sans directives claires, puisque le directeur des rédactions était contesté dans sa légitimité et de facto ignoré, le directeur général ne disposait pas de tous les éléments nécessaires pour appliquer le plan prévu et restait dans une posture un peu stagnante, et l’administrateur délégué était davantage absorbé par les évolutions globales de Nethys que par le redressement de la valeur des Éditions de l’Avenir.

119Les conditions d’exploitation du journal se sont maintenues sur la tendance de 2018, avec une perte lente des ventes par abonnement et au travers du réseau des librairies, une perte plus nette de recettes publicitaires, et une transition non fructueuse du produit papier vers le format numérique. Le volet « restructuration » du plan s’est appliqué de manière chaotique tandis que le volet « redéploiement » s’est fait attendre.

120L’activité du monde politique n’a pas été déterminante au long de l’année 2019 pour donner de nouvelles perspectives au journal. Favorable à une cession, le gouvernement wallon Borsus n’a pas pesé sur Nethys pour enclencher clairement l’opération. La période électorale peut être considérée comme une longue parenthèse qui a duré d’avril à septembre. Le gouvernement wallon Di Rupo III, et particulièrement son ministre P.-Y. Dermagne, a dû user d’énormément de précautions juridiques pour finalement pouvoir remplacer le management de Nethys, qui avait entre-temps pris des initiatives de vente qui ont été annulées. Du côté parlementaire, les différentes auditions ont produit des informations, positions et résolutions assez précises  [77] visant à clarifier l’avenir du journal, mais elles ont engendré peu d’effets. Toutefois, les rédacteurs de L’Avenir et leurs associations (AJP et SDR) y ont trouvé le moyen d’exposer publiquement leur position, leur volonté d’indépendance rédactionnelle et leur foi en un nouveau projet. Mais, s’agissant d’opérateurs économiques à mobiliser ou réorienter, les parlementaires n’ont pas le pouvoir d’injonction sur les organes de gestion des entités concernées.

121Ce n’est qu’à la fin de 2019 que des procédures précises de réorganisation du groupe ont été prises et que, pour L’Avenir, une mise en vente spécifique a été organisée. Rarement un conflit social a connu une telle durée. Entamé en octobre 2018, il n’a trouvé son issue qu’en juillet 2020 ou, en tout cas, une issue à partir de laquelle pourront se construire d’autres relations collectives entre une nouvelle direction et des organisations représentatives du personnel en général et des journalistes en particulier.

6. Ryanair : le retour des grèves en Europe

122En 2018, la compagnie aérienne irlandaise Ryanair a connu une année remarquable sur le plan de la conflictualité sociale. Sous le slogan « Ryanair must change », le personnel volant a exprimé frontalement son refus de continuer à travailler dans les conditions imposées par la direction. Le mouvement a alors notamment pris la forme de deux grèves transnationales : la première les 25-26 juillet et la seconde le 28 septembre 2018  [78].

123Le présent chapitre poursuit l’étude de la conflictualité sociale au sein de la société Ryanair  [79], en retraçant cette fois les événements survenus au cours de l’année 2019. Tout d’abord, il indique quelles ont été les suites immédiates des tensions sociales qui avaient secoué la compagnie en 2018. Ensuite, il analyse les effets qu’ont eus les retards de livraison des exemplaires commandés du Boeing 737 Max sur la conflictualité sociale au sein de l’entreprise. Enfin, il s’intéresse aux tensions sociales qui sont réapparues au sein de celle-ci au cours du second semestre de l’année 2019. Ryanair n’a connu aucune grève en Belgique, mais il n’en a pas été de même dans d’autres pays. Si 2019 a été pour la compagnie irlandaise une année beaucoup plus calme sur le plan social, elle n’en a pas été pour autant exempte de toute confrontation.

6.1. Premier semestre 2019 : le temps de la concrétisation

124En Belgique, les conflits sociaux de 2018 débouchent tout d’abord sur la reconnaissance de l’acteur syndical par Ryanair.

125Le 11 octobre 2018, une première délégation syndicale est créée. Elle est composée de trois pilotes et de neuf membres du personnel de cabine. Tous les mandats syndicaux reviennent aux deux centrales de la CSC : la Centrale nationale des employés (CNE) du côté francophone et la Landelijke Bedienden Centrale (LBC) du côté néerlandophone. En effet, seules les centrales de la confédération syndicale chrétienne se sont réellement investies dans cette lutte sociale commencée au début de la décennie 2010  [80] : la CNE à l’aéroport de Brussels South Charleroi Airport dans un premier temps, puis la CNE et la LBC à Brussels Airport lorsque Ryanair y a implanté une base en 2014.

126Les délégués du personnel de cabine de Ryanair n’apprendront d’ailleurs qu’à la fin de l’année 2019, lors du premier séminaire de formation organisée conjointement par la CNE et la LBC à leur attention, qu’il existe d’autres syndicats en Belgique  [81]. Il faut dire que cette délégation est, à plusieurs titres, « improbable »  [82]. Parmi les douze délégués syndicaux, seuls deux pilotes sont de nationalité belge. Les neuf représentants du personnel de cabine proviennent d’autres pays (pour la plupart européens : Espagne, Grèce, Lituanie et Portugal, mais aussi Brésil), et aucun ne s’exprime en français ou en néerlandais. Pour la majorité d’entre eux, en dehors de quelques petits « boulots », Ryanair est une première expérience professionnelle. C’est aussi leur premier contact avec une organisation syndicale. Parmi les trois pilotes, on compte deux Belges basés à Charleroi et un Néerlandais basé à Bruxelles. Traditionnellement, les pilotes belges sont représentés par la Belgian Cockpit Association (BECA), qui ne peut se présenter elle-même aux élections sociales ni ne peut signer de convention collective de travail. Elle a donc conclu un accord avec la CNE et la LBC pour que les pilotes soient également représentés dans la délégation syndicale.

127La présence de pilotes au sein de la délégation syndicale permet la communication entre les deux principales composantes du collectif de travail chez Ryanair. En outre, les pilotes ont été des acteurs pivots lors des conflits sociaux de 2018, notamment parce qu’ils sont moins facilement remplaçables que les membres du personnel de cabine. Néanmoins, le partage des mandats est aussi une source de complication, tant les ressources et les intérêts des uns et des autres sont parfois différents.

128Du conflit social mené par les travailleurs de Ryanair en 2018 découle également une victoire syndicale et sociale quant à l’application du droit belge en lieu et place du droit irlandais pour les personnels rattachés aux bases de Charleroi et de Bruxelles.

129Le 15 février 2019, les pilotes affectés aux bases belges approuvent une convention collective de travail (CCT) portant sur les salaires, sur le rythme de travail et sur la possibilité de voir le salaire versé sur un compte en banque en Belgique. À partir du 1er avril, la direction de Ryanair accepte de transformer les contrats irlandais Crewlink ou Workforce  [83] des personnels de cabine en contrats Ryanair respectant le cadre légal en vigueur en Belgique. En mai, un protocole d’accord portant notamment sur le salaire minimum est conclu. De source syndicale, les salaires augmentent en moyenne de 25 % pour le personnel de cabine le moins bien rémunéré (dont le salaire mensuel se situait parfois en dessous de 900 euros bruts) et de 8 % pour les autres. Enfin, le 3 juin 2019, comme les pilotes avant eux, les membres du personnel de cabine approuvent une première CCT (à 78 % des votants)  [84].

130Pour la compagnie, ces avancées sociales ne sont pas sans conséquence. Comme le montre le graphique 6.1, la part salariale (constituée des salaires et des cotisations sociales) dans la valeur ajoutée de la compagnie a fortement augmenté entre 2018 et 2019, pour passer de 24,9 % à 37,3 %. Or le succès du modèle Ryanair repose en grande partie sur une politique de bas salaires. Jusque 2018, la part salariale de l’entreprise irlandaise a même été très inférieure à celle de ses concurrents dans le domaine du low cost. En 2017 par exemple, la part salariale de Vueling s’établissait à 46,6 % et celle d’EasyJet à 54,5 %  [85], soit le double ou plus de Ryanair (23,8 %). La stratégie « ultra low cost »  [86] de la direction de Ryanair est remise en question par les grèves et les avancées sociales qu’elles ont permises en 2018-2019, mais aussi par la diminution de la productivité apparente du travail au sein de la compagnie. En effet, le nombre de pilotes et de membres du personnel de cabine a progressé plus vite que la valeur ajoutée créée par la compagnie  [87].

Graphique 6.1

Parts salariales comparées de trois compagnies aériennes à bas prix : Ryanair, Vueling et EasyJet, en % (2012-2019)

Graphique 6.1. Parts salariales comparées de trois compagnies aériennes à bas prix : Ryanair, Vueling et EasyJet, en % (2012-2019)

Parts salariales comparées de trois compagnies aériennes à bas prix : Ryanair, Vueling et EasyJet, en % (2012-2019)

Source : Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative (GRESEA), « Observatoire critique des multinationales » (Mirador), www.mirador-multinationales.be, sur la base des rapports annuels des compagnies aériennes.

131La première moitié de l’année 2019 marque donc une pause dans les mobilisations sociales chez Ryanair en Belgique et, plus généralement, en Europe. Il s’agit pour les syndicats de concrétiser dans des CCT les avancées sociales obtenues par la grève. Celles-ci concernent principalement la reconnaissance du fait syndical par la direction, et le respect du droit social et du droit du travail nationaux. Mais une autre raison explique également cette relative accalmie. À partir de 2018, le rapport de force progressivement mis en place par les pilotes et les membres du personnel de cabine vis-à-vis de la direction se détériore. En effet, alors qu’ils avaient jusqu’alors été en sous-effectif, les pilotes et, dans une moindre mesure, les membres du personnel de cabine se trouvent désormais en surnombre au sein de la compagnie.

6.2. Boeing 737 Max, les conséquences sociales d’un problème technique

132Dès 2018, la direction de Ryanair a communiqué sur les risques que comporterait pour la compagnie une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit) et, plus particulièrement, la sortie de cet État du ciel unique européen. Mais c’est une autre transformation de l’environnement dans lequel évolue l’entreprise qui vient rebattre les cartes du rapport de force interne.

133L’un des déterminants du modèle low cost dans l’aviation civile est de ne fonctionner qu’avec un seul type d’avion : en l’occurrence, le Boeing 737 ou l’Airbus A320. Ce choix permet aux compagnies « de réduire les coûts d’entretien, de stockage des pièces détachées et de formation des équipages, de standardiser les services au sol, de remplacer à l’identique un appareil défectueux par un autre »  [88]. Ryanair possède une flotte de plus de 430 appareils  [89], en très grande majorité des Boeing 737. Pour soutenir sa croissance future, la compagnie a passé une commande à Boeing de 135 nouveaux 737 Max et a pris une option pour 75 avions supplémentaires pour les prochaines années. Ainsi, 58 appareils doivent être livrés avant l’été 2020  [90].

134Cependant, après les accidents mortels survenus en Indonésie (octobre 2018) et en Éthiopie (mars 2019) dus à des défauts de conception du Boeing 737 Max, la production et la livraison du nouveau modèle de l’avionneur états-unien ont été suspendues.

135Jusqu’en 2017-2018, le développement très rapide de Ryanair n’avait pas été suivi par une embauche suffisante de pilotes. Au contraire, la pyramide d’âge des pilotes travaillant pour la société aérienne prenait la forme d’un sablier. En outre, de nombreux pilotes, qui avaient réalisé leur formation chez Ryanair, avaient décidé de répondre positivement aux offres, accompagnées de salaires beaucoup plus importants, que leur soumettaient les compagnies du Golfe (Emirates) ou des pays émergents (les compagnies chinoises, essentiellement). Entre septembre 2017 et mars 2018, la compagnie irlandaise avait ainsi dû supprimer 20 000 vols par manque de pilotes, principalement des commandants de bord. Cette pénurie de pilotes expérimentés, qui touchait aussi à l’époque d’autres compagnies, a joué un rôle important lors de certaines grèves de 2018, car elle a permis aux pilotes et à leurs organisations représentatives d’être en position de force par rapport à la direction de Ryanair.

136La suspension de la livraison des Boeing 737 Max change complètement la donne. Le 16 juillet 2019, Michael O’Leary, CEO et futur président du groupe Ryanair  [91], annonce un plan de restructuration et la suppression d’environ 900 emplois à travers l’Europe  [92]. S’il souligne encore une fois les incertitudes liées à un éventuel Brexit, le patron de la compagnie low cost explique principalement la restructuration par l’arrêt des livraisons de Boeing. Le manque d’avions contraint la compagnie à réorganiser l’affectation de certains appareils entre ses bases et à supprimer certaines lignes, et empêche l’ouverture de nouvelles bases d’ici à l’été 2020. Ce coup d’arrêt à la croissance de Ryanair entraîne un surplus d’effectifs, estimé d’après lui à 400 membres du personnel de cabine et à 500 pilotes. Toujours selon M. O’Leary, cela grève la rentabilité de la compagnie. Sans préciser les bases qui seront touchées par cette restructuration, il annonce « une série de discussions avec nos aéroports pour déterminer quelles bases de Ryanair parmi les moins rémunératrices vont souffrir de ces réductions et/ou de ces fermetures à partir de novembre 2019 »  [93]. Toutes les décisions sont attendues pour le mois d’août. Certains pilotes se verraient proposer des congés sans solde.

137Fin juillet, dans une vidéo destinée au personnel, M. O’Leary alourdit les perspectives de pertes d’emploi en les portant à 1 500 travailleurs. Ce sont les mauvais résultats trimestriels, avec un bénéfice en chute de 21 % par rapport à la même période en 2018, qui ont provoqué cette décision  [94]. Le CEO impute toujours ce plan de restructuration au probable Brexit et au retard de livraison des Boeing 737 Max. En outre, il y ajoute une cause supplémentaire : la hausse des coûts de personnel que la compagnie a dû concéder dans certains pays après les grèves de 2018  [95]. Durant la première quinzaine d’août, les déclarations de la direction de la compagnie se succèdent. Progressivement, les noms des bases menacées par la restructuration sont publiés dans la presse européenne. Il s’agit de quatre bases espagnoles (Girona-Costa Brava, Las Palmas de Gran Canaria, Tenerife Sur et César Manrique-Lanzarote) et d’une base portugaise (Faro). La Belgique semble épargnée par ce plan de restructuration.

6.3 Deuxième semestre 2019 : le retour des grèves

138La période estivale est toujours stratégique et potentiellement conflictuelle dans les compagnies aériennes. Les annonces de restructuration qui se succèdent en Espagne puis au Portugal participent aussi à relancer la conflictualité sociale chez Ryanair. Mais avant même ces annonces, la tension sociale est réapparue dans plusieurs pays : les syndicats y reprochent à la direction de contourner le dialogue social et de freiner la mise en place des avancées obtenues lors des conflits de 2018, principalement en ce qui concerne l’application du droit national.

139Le 6 août 2019, le Sindicato Nacional do Pessoal de Voo da Aviação Civil (SNPVAC, Syndicat national du personnel de vol de l’aviation civile), qui affilie les hôtesses et les stewards travaillant pour Ryanair au Portugal, dépose un préavis de grève de cinq jours, du 21 au 25 août. Ce conflit n’est pas directement lié aux annonces de restructuration, mais à l’application sur les bases portugaises du droit social portugais en lieu et place du droit irlandais. Le SNPVAC reproche à la compagnie de ne pas avoir tenu les engagements pris lors de négociations triangulaires avec les agences de recrutement Crewlink et Workforce, notamment quant au nombre de jours de congés payés, au respect de la loi parentale portugaise ou à l’élargissement des possibilités d’accéder à un contrat d’emploi Ryanair  [96]. Le 15 août, quelques jours avant la grève, Ryanair annonce à l’organisation syndicale et aux travailleurs que la base de Faro sera fermée au début de l’année 2020. Le syndicat portugais s’étonne de cette annonce, qui est justifiée par la chute des bénéfices, par les problèmes de livraison du Boeing 737 Max et par le futur Brexit  [97]. Il y voit aussi une mesure de représailles contre son appel à la grève.

140Comme souvent chez Ryanair, la direction de la compagnie tente d’amoindrir l’impact des grèves en transférant des membres du personnel de cabine d’autres bases pour remplacer les salariés en grève. C’est pourquoi, en Belgique, la CNE demande à ses affiliés de ne pas casser la grève portugaise : « Nous demandons que le personnel n’aide pas à ruiner les effets de la grève. Une grève dans une entreprise comme Ryanair ne peut fonctionner que si elle a un impact européen, visible. Si la grève n’est soutenue qu’à un seul endroit, Ryanair trouvera toujours quelqu’un dans un autre pays pour en limiter les effets. Nous savons qu’ils veulent organiser des vols pour conduire du personnel de Belgique vers Eindhoven et Francfort puis, de là, organiser les vols prévus au Portugal »  [98]. Par contre, le syndicat des employés de la CSC n’appelle pas à la grève en Belgique. Et cela même si certains délégués syndicaux de Charleroi et de Bruxelles souhaitent prolonger en Belgique les actions de grève portugaises afin, principalement, de faire cesser les réunions disciplinaires à Dublin  [99]. Pour leur part, les délégués des pilotes, soutenus par la BECA, et les permanents de la CNE et de la LBC se concentrent sur la concrétisation de la CCT, sur l’organisation des premières élections sociales (prévues pour mai 2020) et sur l’installation des instances de concertation sociale au sein des bases belges de la compagnie. In fine, la grève portugaise n’engendre que peu de perturbations dans le ciel européen, le gouvernement portugais ayant décrété un service minimum  [100].

141Après le personnel de cabine portugais, ce sont les pilotes britanniques et irlandais qui entrent en conflit avec la direction de la compagnie. Les pilotes revendiquent une revalorisation salariale ainsi que l’accélération du processus de négociation d’une convention collective de travail, car si des CCT ont été signées pour les pilotes en Allemagne et en Belgique, les négociations traînent au Royaume-Uni et en Irlande. Des tensions au sujet des salaires et des congés de maternité persistent également. Début août, des préavis de grève sont lancés dans les deux pays pour les 22 et 23 août ainsi que pour les 1er, 3 et 4 septembre.

142En Irlande, 94 % des pilotes affiliés au syndicat Irish Air Line Pilots’ Association (IALPA, Association irlandaise des pilotes de ligne) se prononcent en faveur de la grève. « Ils estiment avoir été contraints d’envisager des grèves potentiellement perturbatrices par une entreprise qui semble ne pas vouloir ou ne pas pouvoir négocier de manière professionnelle et constructive »  [101]. Une procédure de médiation entre les syndicats et la direction de la compagnie s’ensuit. Selon les syndicats, elle ne donne aucun résultat et est donc close. Cet avis n’est pas partagé par la compagnie, qui attaque les syndicats de pilotes devant les justices irlandaise et britannique. Selon elle, une grève ne peut avoir lieu alors que la procédure de conciliation n’est pas formellement terminée. En outre, en Irlande, la compagnie reproche au syndicat IALPA de manquer de représentativité et de ne pas avoir suffisamment consulté les pilotes avant de décider la grève. Le 21 août, la haute cour de justice irlandaise donne finalement raison à Ryanair et interdit la grève  [102]. À l’inverse, la justice britannique déboute la compagnie et autorise la grève. Cependant, celle-ci sera peu suivie par les pilotes. Ryanair a fait appel à des pilotes d’autres bases, qui ont accepté de remplacer les pilotes grévistes  [103]. En Irlande, l’interdiction de la grève ne met pas un terme à l’action juridique menée par la compagnie contre les syndicats. Ryanair intente un procès à dix représentants des pilotes sur les douze que compte le « company council »  [104] de l’entreprise en Irlande. Ryanair leur reproche l’appel à la grève. Selon la direction, celui-ci a eu un impact négatif sur les réservations de septembre  [105]. À l’heure de publier ces lignes, le procès est toujours en cours.

143Enfin, après que la compagnie a annoncé son intention de fermer quatre bases en Espagne, les syndicats espagnols Sindicato Independiente de Tripulantes de Cabina de Pasajeros de Líneas Aéreas (SITCPLA, Syndicat indépendant du personnel de cabine des passagers des lignes aériennes) et Unión Sindical Obrera (USO, Union syndicale ouvrière), représentant le personnel de cabine dans ce pays, déposent le 20 août un préavis de grève pour dix jours en septembre (1er, 2, 6, 8, 13, 15, 20, 22, 27 et 28) dans les treize bases que compte le pays. Ils veulent empêcher les fermetures et accusent la compagnie de choisir de fermer les bases pour éviter, comme au Portugal, d’appliquer le droit du travail national à ses salariés. Selon l’USO, l’objectif de la compagnie est, « en réalité, de démanteler les bases en Espagne, car l’application de la législation nationale du travail coûte plus cher que l’embauche de nouveaux équipages par le biais d’autres sociétés où les conditions sont plus précaires »  [106].

144Le 29 août, les syndicats du personnel de cabine sont rejoints par le Sindicato Español de Pilotos de Líneas Aéreas (SEPLA, Syndicat espagnol des pilotes de lignes aériennes), un syndicat qui représente une partie des 900 pilotes qui volent pour la compagnie à partir des bases espagnoles. Le SEPLA dépose un préavis de grève de cinq jours en septembre (19, 20, 22, 27 et 29). Il pointe le projet de fermeture des bases, qui pourrait coûter leur emploi à quelque 120 pilotes  [107]. Les différents syndicats dénoncent également auprès des autorités publiques espagnoles une interprétation très extensive du service minimum et une violation du droit de grève. Aux yeux de la compagnie, chaque avion serait un « service minimum »  [108]. Le 27 septembre, les membres du personnel de cabine portugais rejoignent le mouvement. L’impact de la grève est plus important au Portugal qu’en Espagne, avec 16 vols annulés  [109]. Mais ce nouvel épisode conflictuel n’a pas le même impact sur le trafic aérien que celui de juillet-septembre 2018. En Belgique, la CNE organise certes une action de sensibilisation dans les aéroports de Charleroi et de Bruxelles pour dénoncer « le harcèlement dont fait l’objet le personnel en Belgique et en Europe »  [110], mais elle n’appelle pas à la grève.

145Au début du mois de décembre, Ryanair annonce néanmoins revenir sur sa décision de fermer la base de Gérone. Cependant, cette décision semble résulter davantage d’un effort consenti par le personnel que d’un recul de la compagnie. En effet, les pilotes et le personnel de cabine ont accepté un nouveau plan de restructuration présenté par la direction, négocié individuellement. La base de Gérone ne fonctionnera plus que neuf mois par an au lieu de douze. Les contrats à durée indéterminée seront transformés en contrats à durée déterminée. Cela équivaudra à une perte de 25 % de leur rémunération annuelle pour les 160 employés de la compagnie  [111].

146Fin de l’été 2019, les aéroports de Charleroi et de Bruxelles semblent donc avoir été épargnés par le plan de restructuration transnationale. Mais d’autres annonces suivent à la fin de l’année. Elles concernent tout d’abord les bases allemande de Nuremberg et suédoise de Stockholm  [112]. Puis, le 6 janvier 2020 – et alors que les premiers contacts entre la direction de la compagnie et les permanents syndicaux de la CNE pour organiser les élections sociales sont difficiles –, Ryanair annonce son intention de retirer un des quatre avions de sa base bruxelloise pour le 20 avril 2020  [113]. Selon la compagnie, il s’agit de redéployer certains avions afin de parer au retard de livraison des Boeing 737 Max. Un quart des 86 travailleurs basés à Bruxelles, dont 18 membres du personnel de cabine, sont donc concernés. Pour éviter les licenciements, Ryanair propose de transférer le personnel vers d’autres bases en Europe. La majorité des membres du personnel de cabine se verraient transférer dans des bases en Italie. La CNE se dit sceptique quant à la légalité de ces transferts de personnel vers d’autres législations nationales sans indemnisation : pour le syndicat, ce déplacement du personnel impose une rupture de contrat et, par conséquent, le paiement d’une indemnité  [114].

147Le confinement lié à la lutte contre la pandémie de Covid-19 met un terme aux négociations concernant cette restructuration. Finalement, les membres du personnel de cabine seront effectivement transférés vers des bases italiennes. Mais, eu égard à la situation sanitaire et économique, la direction de Ryanair accepte qu’ils conservent leurs contrats belges afin de continuer à percevoir le chômage temporaire en Belgique.

6.4. Conclusion

148Le déroulement de l’année 2019 au sein de Ryanair montre, une fois encore, l’importance que peut avoir l’environnement social, économique ou politique d’une entreprise sur les relations collectives de travail qui s’y déroulent. Alors qu’en 2018, les travailleurs et leurs organisations syndicales semblaient avoir construit un rapport de force assez favorable vis-à-vis de la direction de la compagnie, celui-ci s’est inversé en quelques mois en raison, entre autres, du retard dans les livraisons d’une autre entreprise, Boeing en l’occurrence. Mais, les facteurs externes n’expliquent pas tout. En 2019, les organisations syndicales, en Belgique mais également dans les autres pays européens, se sont attelées à concrétiser les avancées sociales obtenues suite aux grèves de 2018. Le temps de la protestation a fait place à celui de la discussion. Le rythme des négociations et de la signature des accords a différé selon les pays. Ainsi, Ryanair a conclu des CCT dans certains pays, en Allemagne et en Belgique par exemple, mais toujours pas dans d’autres, ce qui constitue un frein à la mobilisation transnationale. Contrairement à 2018, les préavis de grève au Portugal et en Espagne n’ont, par exemple, pas servi de levier à une telle mobilisation en août 2019.

149Au cours des dernières années, Ryanair a fait évoluer certains pans de son modèle low cost. Par exemple, la compagnie aérienne n’hésite plus à s’installer dans de grands aéroports internationaux  [115] ou à acquérir d’autres compagnies pour assurer son développement. Certains traits demeurent cependant. La politique antisyndicale de la compagnie en fait certainement partie. Bien qu’elle ait reconnu le fait syndical dans la plupart des pays où elle est active, elle continue à mener une guérilla judiciaire et psychologique contre les délégués du personnel. Le procès intenté contre les pilotes irlandais pour fait de grève en est une preuve. En Belgique, le management de Ryanair continue aussi d’inspirer la peur. Ainsi, bien qu’ils soient désormais tous sous contrat Ryanair, les membres de la délégation craignent de participer aux élections sociales. D’ailleurs, la protection syndicale a été le principal sujet de discussion lors de la première formation des délégués organisée par la CNE et la LBC. De même, la relocalisation en Belgique des entretiens de fonctionnement a été une des principales revendications  [116]. Mais cet anti-syndicalisme ne s’exprime pas seulement frontalement. Si la compagnie irlandaise Ryanair ne peut plus refuser la concertation sociale  [117], elle continue à tout faire pour l’éviter.

150Enfin, en permettant aux salariés de Ryanair d’améliorer leur revenu et leurs conditions de travail, les grèves de 2018 ont fragilisé l’avantage comparatif de Ryanair dans la concurrence que se mènent les compagnies aériennes : les bas salaires.

151Début 2020, les mesures de confinement décidées, presque partout dans le monde, pour lutter contre la pandémie de Covid-19 font naître une incertitude majeure sur le secteur aérien et sur les compagnies aériennes, qui en sont un acteur clé. Le 12 mars 2020, Ryanair annonce son intention de réduire ses vols au départ des bases belges ainsi que le nombre d’avions basés à Charleroi (17 appareils) et à Bruxelles (3 appareils) jusqu’au mois de mai. Bientôt, la décision de l’aéroport de Charleroi de fermer son terminal le 24 mars précipite l’arrêt complet des activités de la compagnie en Belgique. Pour les membres du personnel de cabine et pour les pilotes, une longue période d’incertitude s’ouvre, qui touche l’emploi, les salaires et les allocations de chômage économique. Pour la compagnie, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur les effets du confinement sur un secteur d’activité comme le transport aérien. Néanmoins, la position concurrentielle de Ryanair se voit certainement renforcée après le confinement dû à la pandémie. En effet, la compagnie irlandaise dispose de réserves financières importantes pour traverser la crise. En outre, elle supporte des coûts fixes moins importants que ses concurrents. Enfin, elle s’apprête sans doute à profiter des difficultés ou des faillites de certaines compagnies pour récupérer des parts de marché et, surtout, pour tenter d’affaiblir les revendications des membres du personnel de cabine et des pilotes. Ceux-ci vont en effet être mis en concurrence avec les salariés d’autres compagnies qui auront perdu leur emploi. En 2019, la crise du Boeing 737 Max a été un premier coup porté au rapport de force patiemment construit par le personnel de Ryanair durant près d’une décennie. En 2020, la crise sanitaire liée au Covid-19 risque de mettre à mal la concrétisation de certaines avancées sociales permises par les grèves de 2018.

7. Les coursiers en Belgique : d’une grève locale au rassemblement international en passant par la première assemblée nationale

152Le récit des luttes dans le secteur des coursiers en Belgique est dense pour l’année 2019 car celles-ci se sont organisées sur trois niveaux d’action. En juin, une grève dans la ville de Gand a poussé des revendications salariales très concrètes et a permis à ses initiateurs d’obtenir gain de cause ponctuellement à l’échelle locale. En novembre, s’est tenue la première assemblée générale du Collectif des coursier.e.s (actif au plan national)  [118], qui a élaboré un cahier de revendications de long terme, interrogeant particulièrement le statut défiscalisé de l’économie collaborative, dit pair-à-pair ou peer-to-peer (P2P)  [119], imposé aux coursiers. En décembre, une rencontre internationale a relativisé le cas belge et a interrogé les priorités de la Fédération transnationale des coursiers (FTC) fondée un an plus tôt : convient-il de porter des revendications concrètes et mobilisatrices et/ou faire du lobbying pour obtenir de bons statuts d’emploi pour les travailleurs ? À quelles échelles ? Et par quels acteurs ?

7.1. La grève gantoise en faveur d’une augmentation des salaires (15 juin 2019)

153Avant d’aborder la grève gantoise de juin 2019 en tant que telle, il importe de rappeler comment s’est constitué le collectif de Gand. Pendant la canicule de l’été 2018, un coursier prend contact avec l’Union belge du transport (UBT, affiliée à la FGTB) pour mener une action de sensibilisation, consistant à diffuser un tract et un autocollant, lors d’une distribution de tranches de pastèque aux coursiers par l’entreprise de livraison de repas à domicile Deliveroo. Quelques semaines plus tard, au mois d’août, deux coursiers décident de lancer le Koerierscollectief van Gent (Collectif des coursiers de Gand). Le 26 octobre, l’un d’entre eux participe comme porte-parole des collectifs belges à la première assemblée générale européenne (AGE) des coursiers à Bruxelles  [120], lors de laquelle est créée la FTC. Un appel à une journée d’action internationale prévue le 1er décembre, découlant de la rencontre de l’AGE, est l’occasion pour le collectif gantois d’inviter un coursier du collectif de Bruxelles à une réunion d’information à Gand avec le soutien de l’UBT et de la nouvelle agence de représentation des indépendants de la CSC, nommée United Freelancers (UF-CSC)  [121]. Suite à cela, une dizaine de coursiers gantois décide d’organiser des rencontres « crêpes » dans les locaux de Jeugdbond voor Natuur en Milieustudie (JNM) pour attirer des collègues. Ces nouvelles réunions aboutissent à un premier cahier de revendications, qui servira de base à la mobilisation pour la future grève. Ces réunions se déroulent dans le restaurant Exki situé au Korenmarkt (qui est la place centrale de la ville), avant ou après les « shifts » des coursiers. Le collectif gantois, qui se dote d’un compte WhatsApp à l’imitation du collectif bruxellois, est essentiellement animé par quatre personnes. Au moment de la grève, 85 coursiers de Gand y sont inscrits.

154La première grève des coursiers de Deliveroo se déroule le samedi 15 juin 2019 dans un contexte de baisse continue des revenus. Kyle Michiels, membre du collectif, explique : « En août 2018, le revenu minimal était [de] 4,6 euros par course. Si l’on prend en compte les frais réels, ainsi que l’élargissement de la zone de livraison et l’augmentation des temps d’attente dans les restaurants comme McDonald’s, on arrive à une réduction des revenus de 25 à 35 % entre août 2018 et juin 2019, soit un passage d’un salaire horaire de 15-17 euros à 10-12 euros. La plupart de ces diminutions n’ont même pas été signalées aux coursiers. Le salaire [appelé “tarification à la commande”] est calculé par un logarithme baptisé “Frank”, gardé précieusement secret, et que Deliveroo peut modifier à sa guise »  [122].

155La grève 15 juin 2019, dont l’initiative est due à quelques coursiers du collectif gantois, vise à agir contre cette baisse des revenus. Son annonce a été rapidement propagée grâce à des tracts et au groupe WhatsApp du collectif. Le syndicat UBT-RidersUnion (groupe de coursiers de l’UBT) et l’UF-CSC soutiennent cette action. L’ACOD-UGent (qui est l’organe de la Centrale générale des services publics - CGSP, affilée à la FGTB, au sein de l’Universiteit Gent) appelle à une visite de solidarité au piquet de grève sur le Korenmarkt. La presse accorde une certaine attention à l’action : l’agence de presse Belga diffuse un communiqué et des articles paraissent dans la plupart des quotidiens. Des députés SP.A et PTB au Parlement flamand sont également présents sur le piquet.

156En guise de réaction, le CEO de Deliveroo Belgium, Rodolphe Van Nuffel, minimise la grève, déclarant que « six coursiers ont refusé toute commande samedi soir ». La porte-parole de l’entreprise ajoute : « Des dizaines d’autres ont travaillé normalement et l’action n’est pas constructive (…). Ce type d’activité n’est nullement représentatif de la majorité des 2 600 coursiers de Deliveroo, qui travaillent pour gagner en moyenne 13,5 euros de l’heure et indiquent être satisfaits »  [123]. Les coursiers du collectif gantois réfutent les dires de la société. Sur leur page Facebook, ils écrivent : « Deliveroo affirme qu’il n’y a eu aucune réduction de revenus. Ce déni a mis de nombreux coursiers en colère. (...) Tout comme la tentative d’opposer les grévistes aux “coursiers qui travaillent dur et veulent gagner de l’argent”. Pourtant ce sont ces mêmes coursiers qui font rouler l’entreprise depuis un an ou plus, par tous les temps ».

157Le collectif y dénonce aussi les chiffres avancés par Deliveroo : « Six grévistes, c’est absurde ! Il y avait quinze à vingt coursiers en grève au piquet sur le Korenmarkt, soutenus par les syndicats [UBT et CSC-Transcom], 30 syndicalistes solidaires, Gilets jaunes et autres ». Le collectif pousse même les calculs plus loin : « À cela, il faut ajouter les coursiers qui ont fait grève, mais qui ne sont pas venus sur le piquet. On compte donc 40 grévistes : une participation importante, pour une première fois. Selon Deliveroo, il y a normalement environ 80 coursiers qui travaillent le samedi soir à Gand. Cela signifie que la moitié du nombre de coursiers a cessé de travailler hier. Bien que Deliveroo ait eu beaucoup plus de coursiers inscrits pour le jour de grève, puisque la plateforme a gardé les sessions ouvertes aux réservations tout au long de la semaine. Ces sessions sont normalement réservées assez rapidement parce que nous pouvons gagner plus d’argent les soirs de fin de semaine ».

158Les grévistes réfutent aussi un prétendu manque de sympathie des restaurants pour l’action : « Deliveroo dit que nous avons été “jetés hors” des restaurants où nous allions demander d’éteindre les applications en solidarité avec notre action. La vérité est que Deliveroo avait engagé deux agents de sécurité pour nous tenir à l’écart de certains restaurants sur le Korenmarkt. Malheureusement pour eux, cela n’a pas fonctionné, et au moins sept restaurants ont fermé l’application. Certaines chaînes comme Ellis Hamburgers ont eu besoin d’un peu plus de persuasion, mais elles ont toutes éteint l’application. De plus, le McDonald’s du Korenmarkt n’a rien livré de la soirée (et en était très insatisfait). La plupart des restaurants étaient tout à fait disposés à éteindre l’application entre 19 heures et 20 heures ; les restaurateurs nous ont raconté comment Deliveroo les plume. Il suffit de calculer le profit réalisé par les patrons de Deliveroo : ils facturent 30 % du montant du repas aux petits restaurants tandis que le client paie 2 euros et que le coursier ne reçoit qu’environ 4,30 euros ».

159La direction de Deliveroo ayant déclaré dans les médias qu’elle n’avait jamais été mise au courant des griefs du collectif, celui-ci donne sa version des faits sur Facebook : « Était-ce vraiment la première fois que nous prenions contact avec Deliveroo pour entamer des négociations autour de nos revendications ? Non : Deliveroo a déjà reçu des centaines de questions et de commentaires de coursiers, séparément, de même que nous avons participé à des comédies, appelées “tables rondes”, organisées par Deliveroo. En tant que collectif des coursiers, la section bruxelloise a déjà envoyé beaucoup de courriels, appelé, etc., tout comme les syndicats qui demandent à l’entreprise de négocier avec les coursiers organisés autour des nombreux problèmes rencontrés. Le collectif gantois a également envoyé un courriel en janvier au sujet des baisses de tarifs ; personne n’y a répondu. Le 10 mai, nous nous sommes rendus en personne dans les locaux de Deliveroo, avec les coursiers bruxellois, pendant les heures de consultation. Les représentants de Deliveroo se sont alors enfermés pendant deux heures afin de ne pas nous parler ».

160Suite à la réussite de la grève, l’UBT annonce une nouvelle action fin août. Elle n’aura finalement pas lieu. La raison principale est l’augmentation des tarifs perçus par les coursiers à partir de début juillet, soit deux semaines après la grève. Les tarifs minimaux reviennent ainsi à leur niveau de l’été 2018, comme le demandait le collectif, soit 4,6 euros par commande et 15 euros de l’heure. Ce retournement dans l’attitude de Deliveroo s’explique tout d’abord par le fait que, contrairement à ses affirmations lors de la grève, la plateforme de livraison a pris conscience de l’existence d’un réel mécontentement parmi les coursiers. Entre-temps, nombre d’entre eux ont d’ailleurs décidé d’arrêter de travailler pour l’entreprise. Craignant de ne pas disposer de suffisamment de coursiers en septembre, période de forte poussée des commandes, Deliveroo a donc augmenté les tarifs. Une seconde raison réside dans le fait que, au mois d’août, la direction négociera le maintien du statut P2P avec le SPF Finances (cf. infra). En prévision de cette période instable, Deliveroo a voulu se montrer « compréhensive » et éviter de nouveaux troubles sociaux. Un maintien du statut P2P lui garantira de toute façon de pouvoir réintroduire à l’avenir des tarifs plus bas.

161La grève des coursiers de Gand et, plus largement, l’action de leur collectif soulignent la capacité d’organisation et d’articulation revendicative d’un groupe de travailleurs pourtant très précarisés  [124]. Certes, l’instabilité inhérente à l’activité des coursiers (boulot étudiant, revenu d’appui, absence d’un lieu de travail commun ou d’un contrat de travail) induit naturellement des difficultés d’organisation et d’action, mais elle ne constitue pas un obstacle infranchissable dans cette voie  [125]. Comme de nombreux autres, l’exemple gantois montre qu’une identité collective et donc une action collective sont possibles chez les forçats du bitume.

7.2. La première assemblée générale nationale du Collectif des coursier.e.s (9 novembre 2019)

162En Belgique, l’organisation des coursiers a débuté à Bruxelles. En effet, c’est à partir de 2016, à l’occasion de la faillite de Take Eat Easy  [126], qu’est apparu le premier collectif de coursiers, qui était à l’origine centré exclusivement sur la capitale  [127]. Soutenu par la CSC (CNE et CSC-Transcom), il s’est formé pour organiser les prestataires des différentes plateformes (Uber Eats, Deliveroo, TakeAway, etc.) et lutter contre la régression des conditions de travail. Trois ans plus tard, les coursiers ont décidé de passer à l’échelon national en étendant le collectif bruxellois à d’autres villes, et dans un premier temps à Gand, où la grève évoquée ci-dessus a lancé la dynamique d’un nouveau collectif.

163La première assemblée générale du Collectif des coursier.e.s se tenant au plan national a lieu le 9 novembre 2019 à Bruxelles. Elle rassemble une vingtaine de personnes : huit coursiers de Bruxelles et de Gand, des représentants syndicaux des centrales des transports (UBT et CSC-Transcom), l’agence UF-CSC et quelques observateurs. Initialement invités, Jean-Daniel Zamor, président du Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP), et un représentant de Coopcycle se sont excusés de leur absence. On note une sous-représentation féminine, avec seulement deux femmes, qui sont de surcroît des « observatrices ».

164Deux points principaux s’imposent à l’ordre du jour. D’une part, un compte rendu détaillé des représentants syndicaux présents à la réunion qui s’est tenue mi-octobre avec le SPF Finances concernant le statut P2P. D’autre part, l’élaboration d’un cahier de revendications assorti de pistes pour sa diffusion et sa négociation.

7.2.1. Le peer-to-peer (P2P) : un tiers statut ?

165Le premier point à l’ordre du jour de l’assemblée générale est important pour l’ensemble des coursiers présents, en demande d’une information précise sur l’évolution de leur statut. Un représentant syndical explique : « Jusqu’à présent, en Belgique, les coursiers ont utilisé trois statuts : salarié (grâce à une convention commerciale avec la SMart qui est devenue l’employeur intermédiaire, jusqu’à janvier 2018), indépendant (en très petit nombre, en réalité) et P2P (sous le couvert de l’économie collaborative) ». Les plateformes Deliveroo et Uber Eats ont recours à ce dernier régime de travail pour recourir au travail des coursiers depuis le début de l’année 2018 (cf. Encadré 7.1).

Encadré 7.1. Évolution des régimes et statuts applicables pour les coursiers en Belgique

Trois éléments sont liés aux régimes et statuts proposés aux « partenaires » des plateformes en Belgique : le taux d’imposition auquel leurs revenus sont soumis ; le régime de sécurité sociale et le taux de cotisations sociales correspondants ; l’applicabilité du droit du travail.
Une convention commerciale est signée en mai 2016 entre la Société mutuelle pour artistes (SMart)  [128], d’une part, et Deliveroo et Take Eat Easy, d’autre part. Elle permet aux coursiers d’obtenir le statut de salarié avec un minimum de trois heures d’occupation (et le paiement de trois heures de travail  [129]), et de bénéficier des droits aux prestations de sécurité sociale et de l’applicabilité du droit du travail (couverture accident du travail, accès à la négociation collective, etc.). Il est aussi convenu du défraiement pour l’utilisation du téléphone personnel, de la prise en charge à 50 % des frais pour les interventions techniques et le contrôle technique effectués sur le vélo du coursier, et une formation à la sécurité routière pour chaque nouveau coursier.
Fin janvier 2018, Deliveroo met fin à cette convention de manière unilatérale. La société annonce alors que, à dater du 1er février, elle adopte le système de la loi-programme du 1er juillet 2016 (dite loi De Croo)  [130], après que son agrément comme entreprise d’économie collaborative est entré en vigueur le 18 janvier 2018. Cette loi instaure un taux d’imposition de 10 % (et non plus de 33 % comme cela était le cas jusqu’alors) et une dispense de cotisations sociales sur les premiers 5 100 euros annuels (sans limite de plafond mensuel). En matière d’applicabilité du droit du travail, cette loi maintient un vide juridique en ne donnant pas de statut social au travailleur. Pour être protégé, le travailleur dispose alors de trois solutions : être salarié, être indépendant par ailleurs, ou avoir des droits dérivés.
La loi-programme du 1er juillet 2016 est ensuite modifiée par la loi du 18 juillet 2018 relative à la relance économique et au renforcement de la cohésion sociale  [131]. Désormais, le taux d’imposition est de 0 % et la dispense de cotisations sociales est accordée jusqu’à 6 130 euros par an (montant 2018). En outre, une dispense est instaurée en matière d’application du droit du travail : il n’existe aucune protection au travail, y compris en matière de bien-être au travail (pas de disposition en matière d’accident du travail, maladies professionnelles, etc. ; pas de système de droits et devoirs dans les relations avec l’utilisateur ; nul besoin d’accords écrits entre les parties)  [132].
Ce régime d’exception sera annulé par la Cour constitutionnelle le 23 avril 2020 (Arrêt n° 53/2020), après avoir fait l’objet d’un recours des syndicats et de plusieurs organisations d’indépendants et fédérations patronales sectorielles. À dater de cette annulation, les coursiers travaillant en P2P retrouveront le régime instauré par la loi dite De Croo.

166La discussion part du constat que les deux plateformes ont été mises en cause par le SPF Finances, qui a contesté l’applicabilité du statut P2P pour l’activité de livraison de repas à domicile  [133]. Apparaît ici la distorsion entre la ligne du gouvernement fédéral, qui octroie aux plateformes un agrément comme entreprise d’économie collaborative  [134], et le malaise de l’administration du SPF Finances, qui conteste cette décision à la marge. Ainsi, le SPF Finances a envoyé plusieurs lettres aux deux multinationales de la « foodtech », les avertissant que les coursiers n’ont pas le droit de rouler sous le régime P2P dans les conditions actuelles  [135]. Pour se mettre en règle, elles doivent procéder à des modifications de présentation faisant en sorte que, lorsqu’il passe sa commande, le client sache quelle somme il verse au coursier. Durant l’été 2019, Deliveroo et Uber Eats ont négocié à ce propos avec le SPF Finances, sans aucune consultation syndicale. Deliveroo a procédé aux modifications demandées. La plateforme en a même profité pour tourner la situation à son avantage, la nouvelle présentation modifiée faisant en sorte que le coursier ne voie plus l’adresse de livraison, et donc ne puisse plus calculer la distance à parcourir pour pouvoir évaluer si la course vaut ou non la peine d’être acceptée. En revanche, Uber Eats n’a nullement modifié sa présentation  [136].

167Les syndicats présents à l’assemblée générale du Collectif des coursier.e.s du 9 novembre 2019 expriment leurs réactions respectives face aux demandes du SPF Finances, et annoncent la stratégie qu’ils souhaitent mettre en œuvre à court et long terme en matière de statut. Selon l’UF-CSC, il ne convient pas de conseiller de prendre le statut d’indépendant à titre principal pour gagner 5 euros par commande. Dès lors, le nouveau syndicat d’indépendants propose une stratégie en deux étapes. À court terme, si les plateformes continuent à faire travailler les coursiers sous le statut P2P sans que cela soit autorisé (ce qui implique que le coursier doit payer des cotisations sociales a posteriori), les syndicats intenteront un procès contre elles en requalification comme salarié. À moyen et long terme, il conviendrait dans tous les cas d’« aller vers le seul statut valable, à savoir le statut de salarié jour/jour ». À l’inverse, la CSC-Transcom est d’avis que les coursiers devraient, dès à présent, ne plus rouler sous le régime P2P, qui « maintient une grande insécurité et fait prendre un risque énorme à l’administration » : en effet, ce statut hors cadre est tel que les agents de l’Office national de l’emploi (ONEM) ne savent pas répondre aux questions des coursiers et renvoient la balle à l’Office national de sécurité sociale (ONSS). Si la CSC-Transcom est en accord avec l’UF-CSC quant au statut de salarié à long terme, elle estime que seul le statut d’indépendant est possible à court terme. Enfin, l’UBT considère que « travailler dans le cadre de l’économie collaborative aujourd’hui n’est pas travailler au sens du droit du travail » ; dès lors, le syndicat socialiste refuse par principe le travail sous le régime P2P. Il souhaiterait que les conventions collectives du secteur des transports s’appliquent aux plateformes.

168Les diverses positions syndicales évoquées ici n’ont pu empêcher les deux multinationales de livraison à domicile de continuer à prétendre être habilitées à utiliser le régime P2P pour faire travailler les coursiers, alors même qu’elles n’ont jamais été en mesure de prouver que le SPF Finances les y avait autorisées. Toutefois, se sentant de plus en plus mises en cause, les plateformes souhaitent stabiliser leur modèle en créant un véritable « troisième statut » qui cumulerait, tout comme celui du P2P, les inconvénients du salariat et ceux du statut d’indépendant : un statut qui ferait peser toutes les contraintes et les risques sur le travailleur, tout en libérant l’employeur de toute obligation  [137]. Dans une carte blanche parue dans le quotidien économique néerlandophone DeTijd le 25 mai 2019, le directeur général de Deliveroo pour l’Europe, Alessandro Celli, a fait part de la conception qu’a la plateforme britannique de ce tiers statut. Il s’y est permis de conseiller au gouvernement belge de s’inspirer du projet de loi déposé en France par La République en Marche, le parti du président Emmanuel Macron, qui prévoit la possibilité pour les plateformes d’adopter une charte déterminant leurs droits et obligations vis à vis des travailleurs. « L’objectif de cette charte est de créer une zone sûre au sein de laquelle les plateformes peuvent offrir plus d’avantages et de protection aux travailleurs indépendants que ne le permet actuellement la législation », a-t-il écrit  [138]. Le dirigeant de Deliveroo a omis de mentionner que la mise en place d’une telle charte permettrait aux plateformes de décider unilatéralement des conditions de travail et de rémunération ainsi que de la protection sociale de ses travailleurs, qui se retrouveraient dans l’obligation d’être indépendants.

7.2.2. Un cahier de revendications national : vers une négociation ?

169Après le débat relatif au statut, la deuxième partie de l’assemblée générale est consacrée au cahier de revendications. Cette partie parle plus directement aux coursiers, qui n’établissent pas toujours de lien entre leurs revendications immédiates (telles que l’augmentation des rémunérations) et celles plus fondamentales portant sur le statut d’emploi.

170La discussion, qui prend pour base le cahier de revendications élaboré à Gand au mois de mai, est longue et animée. Au fil du débat, apparaît la nécessité de hiérarchiser les demandes avancées. Il s’agit de distinguer les revendications de court terme, à adresser aux plateformes, et celles de plus long terme, touchant à la question statutaire.

171Les quatre revendications à court terme sont les suivantes :

172

  • l’adresse de livraison doit être visible par le coursier avant qu’il accepte la commande ;
  • doivent être prévus une augmentation significative des revenus, une compensation pour les longues distances, et des bonus pendant les périodes de pointe et en cas de mauvaises conditions météorologiques ;
  • le paiement du temps d’attente dans les restaurants doit être de 1 euro par cinq minutes ;
  • doivent être conclues une assurance pour les dommages physiques (de même niveau que celui d’une assurance-loi : assurance de travailleur) et une assurance contre le vol et les dommages de l’équipement.

173Quant aux revendications à plus long terme, elles sont au nombre de trois, à savoir :

174

  • un revenu minimum garanti de 14 euros par heure net ;
  • le libre choix du statut (indépendant ou salarié) ;
  • une négociation collective pour réglementer les salaires et les conditions de travail, les conditions de recrutement, les paramètres de l’algorithme et le traitement des données.

175Une comparaison avec la liste de revendications élaborée quelques mois plus tôt par les coursiers gantois relève quelques différences. La liste gantoise ne distinguait pas de priorités de court terme et de long terme. Elle portait des revendications disparues entre-temps : la demande d’espaces communs, le remboursement du matériel (l’équipement étant devenu payant depuis février 2018) et la régularisation de tous les coursiers sans papier  [139]. En revanche, elle ne réclamait pas spécifiquement une négociation collective ni une visibilité de l’adresse de livraison  [140]. Enfin, elle ne chiffrait pas le paiement du temps d’attente dans les restaurants, mais visait pour sa part à un revenu minimum garanti de 15 euros nets.

176Relativement au paiement du temps d’attente dans les restaurants et au revenu minimum garanti, l’assemblée générale a débattu pour déterminer s’il convenait ou non d’en préciser les montants. In fine, décision a été prise de combiner, d’une part, une triple demande non chiffrée visant à « une augmentation significative des revenus, une compensation pour les longues distances, des bonus » et, d’autre part, une revendication pour un paiement du temps d’attente dans les restaurants chiffré à 1 euro par cinq minutes (alors même que cela semble difficilement compatible avec le statut P2P). Quant à la revendication sur le long terme, à savoir un minimum garanti horaire de 14 euros nets, elle correspond au salaire minimum interprofessionnel revendiqué par la FGTB au niveau fédéral. Le débat a été animé sur cette question précise : certains intervenants souhaitaient un alignement sur l’interprofessionnel, alors que d’autres voulaient s’en distinguer en le fixant plutôt à 15 euros nets par heure  [141].

177Sur la question des statuts, un long débat s’est à nouveau tenu. Il a concerné la formulation de la revendication pour aboutir au « libre choix du statut (indépendant ou salarié) ». Certains intervenants souhaitaient ajouter un adjectif au mot « statut » : « légal », « sécurisé », « standard » ou « reconnu ». Autant d’adjectifs qui auraient montré le souhait d’une reconnaissance des droits sociaux liés au fait de travailler. À aucun moment toutefois, ne s’est affirmée une demande inconditionnelle en faveur de la formule du salariat. Par rapport à la liste gantoise du printemps, et du fait de la discussion précédente, le P2P a disparu des possibles choix de statut, sans toutefois que soit exprimé un refus que les plateformes continuent à l’utiliser. Quant au statut d’indépendant, il peut paraître étonnant de le voir toujours figurer, puisqu’il est difficile de gagner correctement sa vie comme coursier en étant indépendant à titre principal (hormis le cas, bien spécifique, du statut étudiant-indépendant). Le même débat se reposera un mois plus tard lors de la rencontre internationale (cf. infra).

178Se pose alors la question de la manière de communiquer ces revendications aux coursiers et aux plateformes concernées. Lors de l’assemblée générale, il est proposé que la liste des demandes soit rapidement imprimée sur un flyer qui serait remis aux coursiers systématiquement pendant leur travail ou lors de tournées ciblées. Afin que puisse être élaborée une stratégie fine quant à la mise en œuvre du cahier de revendications, l’un des représentants du collectif gantois fait part de son expérience personnelle, c’est-à-dire qu’il fait le récit des premières prises de contact qu’il a eues avec le porte-parole de Deliveroo. En l’occurrence, lors d’un premier échange par téléphone, le manager lui avait proposé d’organiser une « séance d’information sur le statut P2P » afin que les coursiers soient informés des discussions qui s’étaient tenues avec le SPF Finances. Il avait par ailleurs indiqué qu’il ne souhaitait pas la présence de représentants syndicaux. Lors du deuxième appel téléphonique et après réflexion, le collectif avait répondu au porte-parole qu’il n’était pas intéressé par cette « séance d’information » et qu’il voulait discuter de son nouveau cahier de revendications. Le manager Deliveroo avait alors réitéré avec insistance son refus que des syndicalistes soient présents dans la délégation, au motif que ceux-ci n’étaient « pas constructifs ». Le collectif avait tout de même décidé de composer sa délégation en y intégrant des représentants syndicaux.

179Le récit de cet épisode amène aussi les participants à s’interroger sur la question de la représentation collective des coursiers et sur celle de la légitimité de la présente assemblée générale à fixer le cahier de revendications. Il est finalement convenu que les décisions prises par cette assemblée générale peuvent être considérées comme représentatives, eu égard au fait que l’invitation à y participer a été largement diffusée (via le compte WhatsApp des coursiers).

7.2.3. Résultats

180Désormais, l’objectif des coursiers et des syndicalistes est de défendre leurs revendications face au manager de Deliveroo Belgique. Dans le cas où aucun entretien ne leur serait accordé, l’UF-CSC suggère de mener « une action démonstrative et d’en faire parler dans la presse ». Les dates symboliques évoquées sont le jour de la manifestation internationale pour le climat (20 septembre) ou bien celui du black friday (29 novembre).

181Finalement, le seul résultat concret de ce processus est une distribution de tracts devant la Porte de Namur le 29 novembre, action qui est insuffisante pour obtenir une rencontre avec la direction de Deliveroo.

182Il n’en reste pas moins que tout le travail effectué durant l’assemblée générale du 9 novembre 2019 constitue une avancée dans la mise en place d’une représentation nationale des coursiers en Belgique, et ce pour au moins trois raisons. Primo, le cahier de revendications, base solide pour la suite du mouvement, a été largement diffusé par les tracts. Secundo, les revendications transitoires avancées, telles que celle relative au paiement du temps d’attente dans les restaurants, représentent d’importants outils « pédagogiques » pour entamer une discussion sur la nécessité de supprimer le régime P2P. Tertio et enfin, un « socle belge » est désormais disponible, qui permettra de discuter avec les représentants des collectifs d’autres pays d’Europe engagés dans le processus de rencontres internationales (ce qui, en l’occurrence, se produira à peine un mois plus tard).

7.3. La deuxième réunion européenne des coursiers (11 décembre 2019)

183La deuxième rencontre des coursiers à l’échelle européenne se tient le 11 décembre 2019 à Bruxelles. Elle prend donc place la veille du « Forum transnational des alternatives à l’ubérisation » mis en place par le groupe parlementaire Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL) et en particulier par ses formations membres du sud de l’Europe : l’espagnole Podemos - Por la Democracia Social (Podemos), la française France insoumise (FI) et la portugaise Bloco de Esquerda (BE). Ce forum vise à « partager les différentes expériences de lutte, rendre visible les différentes réalités de terrain et porter la voix des travailleurs.euses de plateformes (riders) et des travailleurs.euses victimes de plateformes (taxis) »  [142]. L’idée est de réunir ces travailleurs ainsi que des syndicalistes et chercheurs dans le cadre spécifique d’un projet de directive européenne sur les travailleurs de plateformes.

184En effet, la récente directive (UE) 2019/1152 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 « relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne » assure un socle minimal de droits à l’ensemble des travailleurs de l’Union européenne, incluant les travailleurs de plateformes. Depuis lors, la Commission européenne a annoncé la tenue d’un sommet social sur les travailleurs des plateformes, qui se tiendra au cours du troisième semestre 2020  [143]. Ensuite, elle a publié une étude relative aux conditions de travail des travailleurs des plateformes [144]. En parallèle, le Parlement européen a commencé la rédaction d’un rapport d’initiative (non contraignant, qui donne la position de l’assemblée sur une question donnée) sur le sujet. Ce processus a pour objectif de déboucher en 2021 sur un texte potentiellement législatif, présenté par la Commission européenne, offrant un socle social minimal pour les travailleurs de plateforme. Mais la question se pose de savoir ce que signifiera ce « socle minimal », et pourquoi il sera spécifique aux travailleurs de plateforme. Certains craignent qu’il s’agisse là d’une opportunité, pour la Commission européenne, de créer un tiers statut européen permettant non seulement de justifier les tiers statuts hybrides existant déjà dans certains pays de l’Union européenne (Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni) et, surtout, de rendre obligatoire l’existence d’un tel statut dans les États qui n’en ont pas encore instauré, comme la Belgique et la France.

185Constitués en réseau depuis octobre 2018 (cf. supra), les coursiers européens profitent des moyens offerts par ce forum pour se réunir entre eux. Fers de lance des actions collectives dans l’économie de plateforme, le sous-secteur des coursiers (livraison de repas à domicile) représente la très grande majorité desdits travailleurs de plateforme présents au Forum. Ils sont 52 coursiers participants actifs dans des collectifs et syndicats et sont venus de huit pays : l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni, mais aussi l’Argentine et les États-Unis (Californie). Les douze participants espagnols constituent de loin la plus grande délégation nationale, car Podemos, premier initiateur du Forum, les a invités en nombre. Issus de sept villes, les Espagnols se présentent tous sous la bannière des Riders for Derechos (R4D)  [145]. L’absence de représentants de quatre autres pays européens pourtant représentés à la première assemblée générale européenne du 26 octobre 2018 (Allemagne, Norvège, Pays-Bas, Suisse) s’explique par un manque de communication plus que par une absence de volonté de leur part. Hormis le cas de l’Autriche, ce sont les pays dont les collectifs sont formellement liés aux syndicats institutionnels qui ne sont pas présents  [146].

186Pour les porte-parole des collectifs de coursiers et les syndicats nationaux, le programme des deux journées bruxelloises (11 et 12 décembre) est dense : le premier après-midi est consacré à une rencontre hors cadre institutionnel, dite pré-assemblée générale, dont l’objectif est de préparer une prochaine grande assemblée générale européenne entre collectifs pour l’automne 2020 (il s’agit du seul élément que nous relaterons ici en détail). La deuxième journée, officielle, consiste à faire l’expérience des institutions européennes : le matin, une délégation de coursiers est reçue par la Commission européenne (ce qui a été annoncé très tardivement) tandis que, l’après-midi, la conférence sur les alternatives à l’ubérisation se tient au Parlement européen.

7.3.1. Lobby pour un statut et/ou lutte pour un salaire ?

187La réunion dite « pré-assemblée générale » a lieu le 11 décembre 2020 dans les bâtiments de la SMart, grâce à l’aide d’un ancien coursier qui travaille désormais dans cette structure. Informelle, la rencontre se tient en anglais (sans interprétariat, faute de moyens), ce qui rend la communication parfois compliquée pour les jeunes Européens qui ne maîtrisent pas la langue de Shakespeare.

188La préparation de la réunion n’a pas été simple. En effet, les Français ne souhaitent pas un ordre du jour détaillé. Leur principal objectif est d’élire des représentants afin de structurer la Fédération transnationale des coursiers (FTC), qui a vu le jour un an plus tôt (26 octobre 2018), en « une organisation concrète ». Les Belges, organisateurs de fait, souhaitent suivre un ordre du jour ambitieux en commençant par un débat sur les priorités des revendications communes (sur la base de la charte élaborée lors de l’assemblée générale européenne de l’année précédente), avant de passer à la structuration de la FTC par l’élection de membres d’un groupe de coordination (sur la base du principe suivant : un membre par collectif ou syndicat qui organise des luttes) et, enfin, à la mise en place d’un comité d’organisation assorti de groupes de travail et d’outils pour la préparation de la prochaine assemblée générale européenne. Faute de préparation suffisante et d’organisateur suffisamment légitime pour affirmer ou faire adopter un ordre du jour défini, le débat mettra surtout en évidence l’état des préoccupations des coursiers présents.

189La réunion commence par une courte vidéo réalisée par Zin TV, qui reprend les moments clés de la première assemblée générale européenne du 26 octobre 2018. Selon le coursier belge qui anime la séance, il s’agit de « reprendre la discussion là où nous nous sommes arrêtés l’an passé ». L’idée est de mettre dans l’ambiance les coursiers n’ayant pas vécu la première rencontre. Après cette introduction en images, deux questions sont posées. Quel(s) objectif(s) la FTC doit-elle suivre ? Quelles revendications et actions doit-elle porter ?

190Lors du premier tour de table, chaque collectif interroge les priorités de la FTC, entre lobby et lutte : faire du lobbying pour obtenir de bons statuts pour les travailleurs et/ou porter les revendications concrètes qui mobilisent les coursiers ? Le débat est intense : les Espagnols et les Français semblent tout d’abord être en accord quant à donner priorité au fait de « mettre la loi de notre côté et contre l’ubérisation » (Espagne), « contre l’exploitation » (France). « Nous devons commencer par la question : sommes-nous des travailleurs ? Quels droits devons-nous avoir ? Puis, faire du lobbying autour de la future définition du travailleur européen » (France). « Influencer la directive européenne en cours d’écriture, c’est LA solution pour forcer la porte du salariat à l’échelle européenne » (Espagne). La discussion est fortement influencée, d’une part, par les coursiers espagnols (majoritaires et très portés sur l’action juridique  [147]) et, d’autre part, par les difficultés que rencontrent les porte-parole à organiser les coursiers et par leur pessimisme sur la capacité de mobilisation dans le secteur. La délégation espagnole explique : « En Espagne, nous n’avons aucun poids dans la rue, les riders croient à leur pseudo-autonomie de faux indépendants. Par contre, nous gagnons de plus en plus de terrain sur le plan juridique pour obtenir un contrat de travail pour les coursiers, et plus largement pour les travailleurs de plateformes de tous les secteurs ».

191Face à cet argumentaire en faveur d’une priorité donnée à l’action juridique, un porte-parole belge, fort de l’expérience de la récente grève de Gand (cf. supra), insiste sur l’importance de l’action directe. Il focalise sa prise de parole sur la nécessité d’organiser et de mobiliser les coursiers ville par ville : « Les camarades sont plus attirés par des revendications concrètes telles que le salaire minimum ou le paiement des temps d’attente que par la question du statut d’emploi ». Tout comme il l’avait fait lors de l’assemblée générale belge, il souligne la nécessité selon lui d’utiliser les demandes intermédiaires comme outils pédagogiques permettant de conscientiser les coursiers sur l’importance du statut de salarié qui les détermine.

192Lors des discussions, il est aussi question de « penser des formes de grève utilisant les outils et les données qui appartiennent aux plateformes : par exemple, éteindre le GPS toute une nuit » (Espagne). Les Britanniques rebondissent en faisant la synthèse, estimant : « Nous devons garder les deux : la grève à court terme et la loi à long terme. Ne pas donner la priorité à l’une ou l’autre (…). D’autant que les lois sont nationales tandis que les entreprises sont multinationales ».

193La discussion se déplace alors sur la question des conditions de la grève internationale. Les Italiens invitent à la création d’outils transnationaux capables de coordonner une grève entre les différentes villes mobilisées dans le monde sur des revendications simples et avec un hashtag commun. Il est alors rappelé que, même si l’échange d’informations par WhatsApp sur les grèves locales mis en place par la première assemblée générale européenne est très utile, la grève internationale décentralisée n’a pas encore eu lieu en Europe car les plateformes veillent bien à ne pas procéder à une baisse des tarifs – ce qui est le déclencheur de chaque grève locale – au même moment dans les différents pays. « Ce sont les plateformes qui dictent le rythme. Nous restons dans des grèves défensives » (France)  [148]. Un coursier venu des États-Unis mais travaillant en Autriche ajoute qu’il est nécessaire « de construire la communauté de travailleurs avant de préparer une grève, et de donner de l’importance à la médiatisation des actions ».

194Le débat mouvementé sur la tension entre action juridique et action directe est interrompu par une nouvelle impromptue, qui déstabilise le cours de la réunion : les Espagnols reçoivent un message des organisateurs du Forum leur indiquant qu’une délégation de coursiers doit être reçue le lendemain matin pour consultation par la Commission européenne, qui souhaite les entendre sur les conditions de travail et les revendications dans chacun des pays. La question se pose alors de savoir si les participants acceptent l’invitation ou s’ils continuent à travailler à un discours autonome, hors du champ institutionnel. Une majorité des participants souhaite la consultation, estimant : « Nous n’avons rien à perdre étant donné que nous n’avons aucun droit pour le moment ».

195Ce tardif élément imprévu limite ainsi le débat qui devait amener à la définition d’une stratégie autonome et de long terme de la FTC sur les cinq thématiques qui avaient été listées comme principales : revendications sur les conditions de travail (y compris le salaire), action juridique (lobby sur les lois nationales et européenne), actions directes au plan transnational (nouveaux outils pour la grève), protection des données, coopérativisme. Est également escamoté le point sur la structuration de la FTC par l’élection de membres d’un groupe de coordination.

7.3.2. Le libre choix : entre salarié et indépendant ?

196Finalement, l’ensemble des participants estime préférable de prolonger la discussion précédente en se focalisant sur la question du statut à choisir pour le travailleur coursier, afin de dégager un avis commun en vue de l’audition du lendemain.

197La charte de la FTC comporte parmi ses revendications le libre choix entre le statut de salarié et celui d’indépendant. La question se pose de savoir si ce point doit être conservé. Les représentants espagnols prennent de nouveau le leadership : « Nous devons adopter une position radicale à ce sujet et affirmer que nous ne sommes pas des indépendants. Car sinon, les plateformes vont utiliser l’opportunité de créer un nouveau concept, les indépendants dits numériques (digital freelance) ». Et le représentant de Madrid d’ajouter : « La question n’est pas de savoir si chaque coursier souhaite être indépendant ou salarié mais plutôt s’il est possible que les plateformes emploient des faux indépendants. Pour Riders for Derechos, ce n’est pas le cas ». L’ensemble de la délégation espagnole a une vision très affirmée d’une revendication inconditionnelle en faveur du statut de salarié. Elle le voit comme une question politique de défense générale du droit du travail, étant donné la plateformisation de l’économie et l’extension de ce modèle à de très nombreux secteurs. Dans les rangs de la délégation belge, le représentant d’UF-CSC défend pour sa part le libre choix du statut : « Le principe de base doit être celui de la reconnaissance des plateformes en tant qu’employeurs, ce qui signifie qu’elles ont des responsabilités et des obligations envers les coursiers. L’UF souhaite toutefois ouvrir la possibilité aux coursiers de pouvoir travailler comme indépendants, si c’est leur choix, cela leur permettant de travailler pour beaucoup de clients différents ». Les autres représentants de collectifs ont un avis moins déterminé que les Espagnols ou les Belges. Un représentant français propose d’ajouter aux revendications de la charte commune l’interdiction des faux indépendants (« bogus self employed »).

7.4. Conclusion

198Les débats sur l’avenir des droits pour les travailleurs de plateforme qui ont été relatés en détail ici ne peuvent se comprendre que dans le contexte de régression généralisée des salaires et des droits sociaux. Les coursiers, « nouveaux prolétaires » de l’économie de plateforme, sont utilisés par la plupart des gouvernements en place pour « moderniser » le droit du travail en créant des sous-statuts voire des régimes de non-droit (lorsque l’entreprise est agréée comme appartenant à l’économie collaborative).

199Quel est alors le niveau d’action le plus approprié pour lutter contre cette attaque structurelle à l’égard des codes du travail nationaux ? La lutte locale (comme à Gand) pour obtenir des augmentations de salaire ponctuelles à défaut de statut satisfaisant ? L’organisation à l’échelon national afin de porter la revendication d’un salaire minimum identique à celui revendiqué au niveau interprofessionnel (soit 14 euros en Belgique) et les droits qui lui sont associés ? Ou encore l’échelon européen, où le statut semble être la priorité tandis que luttes et revendications transnationales font face à de nombreux obstacles ?

200Le passage des multiples victoires juridiques des procès en requalification à une victoire politique ne pourra être obtenu que si les niveaux d’action s’articulent entre local, national et européen, mais aussi entre action directe et action juridique. Un objectif ambitieux de double revendication intermédiaire pourrait alors être, d’une part, de réuniversaliser les droits du travail par la mise en place d’un véritable socle de droit social pour tous les travailleurs européens et, d’autre part, de mettre en place un salaire minimum européen (actuellement également en cours de discussion et qui, si l’on souhaite qu’il rejoigne la demande belge de 14 euros, devrait correspondre plutôt à 70 % du salaire médian qu’aux 60 % actuellement réclamés). Mais au-delà, et après la mise en évidence du travail et des travailleurs « essentiels » à la vie de la collectivité pendant le confinement décidé dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19, n’est-ce pas aussi et surtout de visions d’émancipation du salariat par le haut et d’une redéfinition du travail en tant que tel dont la société a besoin ?

8. Mobilisation inédite dans le secteur des titres-services

201À la fin de l’année 2019 et au début de l’année 2020, le secteur des titres-services a été ébranlé par un mouvement social de deux mois. Au cœur des revendications, figurait une augmentation salariale pour les travailleuses  [149] du secteur. La mobilisation a revêtu un caractère inédit au regard du nombre de personnes y ayant pris part, alors même que les conditions d’emploi et de travail du secteur des titres-services sont peu favorables à la construction d’une action collective. Les registres d’action privilégiés par les organisations syndicales se sont rejoints autour d’un enjeu de visibilité non seulement des actions mais aussi des caractéristiques du métier.

8.1. Un secteur aux conditions d’emploi et de travail peu favorables à la mobilisation collective

202Analyser les conflits sociaux invite à considérer les capacités d’action au regard des dimensions du travail qui peuvent leur servir d’appui ou, au contraire, leur faire obstacle. En effet, le niveau de stabilité de la relation d’emploi (faible ou fort) et la configuration des interlocuteurs chargés de prescrire et/ou de contrôler le travail (unicité ou multiplicité), ainsi bien entendu que les modalités d’organisation et d’exercice du travail au sens large, exercent une influence sur la potentialité de la construction d’une action à caractère collectif et sur les modalités concrètes de celle-ci.

203Le secteur des titres-services a pour fondement juridique la loi du 20 juillet 2001 visant à favoriser le développement de services et d’emplois de proximité  [150]. Créé puis stimulé par l’Autorité fédérale, le secteur s’est développé avec vigueur à partir de l’année 2004, se hissant peu à peu au rang des secteurs belges les plus importants avec près de 150 000 travailleuses. Ce secteur présente la caractéristique d’une offre partagée entre le secteur marchand et le secteur non marchand. Plus précisément, la moitié des entreprises actives dans les titres-services sont des entreprises privées commerciales (51 % en 2016) ; elles sont suivies, avec des pourcentages nettement inférieurs, par les centres publics d’action sociale (CPAS) et les communes (12 %), les associations sans but lucratif (asbl, 12 %), les agences locales pour l’emploi (ALE, 11 %), les personnes physiques (11 %) et les entreprises d’insertion (4 %)  [151]. Le développement fulgurant de ce secteur s’est accompagné d’une modification de la structure de celui-ci, qui est aujourd’hui porté essentiellement par des entreprises de grande taille et non plus par des entreprises de proximité de petite taille. En effet, le secteur privé connaît une dynamique de concentration croissante des activités au sein de grands groupes, qui développent une stratégie de fusion et d’acquisition  [152]. En 2019, il existe 1 281 entreprises de titres-services (contre 1 947 en 2015, soit une baisse de 34,2 % en quatre ans).

204À l’origine, la création du secteur repose sur une triple ambition. Primo, lutter contre le travail au noir. Secundo, augmenter le taux d’emploi de certaines catégories de demandeurs d’emploi particulièrement fragilisées, à savoir les femmes, les travailleurs moins qualifiés et les demandeurs d’emploi âgés. Tertio et enfin, améliorer l’équilibre entre travail et vie privée pour les familles. Le secteur des titres-services est largement subventionné par les pouvoirs publics. En effet, les entreprises de titres-services perçoivent une somme forfaitaire de 22,48 euros par heure de service prestée. Ce montant est couvert, d’une part, par le prix d’achat du titre-service par les usagers (qui correspond à 9 euros de cette somme  [153]) et, d’autre part, par une subvention de l’État de 13,48 euros. Les titres-services bénéficient d’une réduction d’impôt, qui varie en fonction des Régions  [154].

205Il s’agit donc d’un mécanisme de solvabilisation de la demande, auquel s’ajoutent, le cas échéant, des aides à l’emploi en fonction des types de travailleuses engagées. C’est le cas en particulier pour les entreprises à finalité sociale ou d’insertion (ALE, CPAS, asbl d’insertion). Il est à préciser que l’offre de prestations en titres-services ne se limite pas au nettoyage ménager : elle couvre aussi la lessive, le repassage des vêtements, la confection des repas, les courses et l’accompagnement de personnes à mobilité réduite dans leurs trajets.

206Sur le plan institutionnel, le secteur a connu une mutation majeure puisque la sixième réforme de l’État a transféré les compétences liées aux titres-services de l’Autorité fédérale vers les trois Régions à partir du 1er juillet 2014. Après une période transitoire s’étant achevée le 1er janvier 2016, des dispositions régionales ont été mises en œuvre, ce qui a pour effet de faire coexister différents régimes régionaux, variant notamment du point de vue des conditions d’agrément, du montant remboursé aux entreprises utilisatrices et des réductions d’impôt octroyées aux utilisateurs  [155].

207Le secteur est composé de 98 % de femmes, de 30 % de travailleuses âgées de 50 ans et plus, de 46 % de personnes considérées comme peu qualifiées (leur diplôme ne dépassant pas le certificat d’enseignement secondaire inférieur) et de près de 24 % de travailleuses qui ne sont pas nées en Belgique  [156].

208En ce qui concerne les conditions d’emploi, près de 90 % du personnel des titres-services travaillent à temps partiel. La prévalence du travail à temps partiel dans ce secteur, que ce soit sous une forme choisie ou contrainte, peut s’expliquer par le nombre important de travailleuses relevant de familles monoparentales (caractéristique qui rend l’articulation des temps sociaux plus complexe), par la propension des employeurs à recourir à de la main-d’œuvre flexible, par les nombreux déplacements entre les domiciles des clients auxquels sont soumises les travailleuses, ainsi que par le caractère pénible du métier (bien que celui-ci ne soit pas reconnu comme tel). Par ailleurs, les travailleuses ont généralement des qualifications peu reconnues et leur ancienneté est sous-estimée en raison de prestations antérieures rarement déclarées. De surcroît, le manque de reconnaissance et de perspectives d’évolution ou de reconversion professionnelles à l’intérieur ou à l’extérieur du secteur  [157] limite les possibilités d’aboutissement des revendications en faveur de meilleures conditions d’emploi.

209Le salaire horaire moyen dans le secteur avoisine les 11,5 euros bruts de l’heure, avec un minimum fixé à 11,04 euros. Dès lors, nombre des travailleuses dans le domaine des titres-services ont des revenus qui se situent en dessous du seuil de pauvreté  [158].

210En ce qui concerne les modalités d’organisation du travail et donc d’exercice de celui-ci, la prestation de services au domicile de particuliers a pour conséquence que les travailleuses sont isolées les unes des autres. Cette limitation des relations interpersonnelles professionnelles réduit d’autant les occasions, pour les travailleuses, de confronter les difficultés et les risques professionnels inhérents à leur métier et, par là, de construire des revendications sur une base collective.

211Les conditions salariales et d’exercice du métier se trouvent au cœur des revendications portées par les travailleuses et leurs représentants en 2019 (cf. infra). Mais ce sont également la pénibilité du métier et la question d’une compensation des charges physiques et psycho-sociales qui expliquent la mobilisation.

212À cet égard, à côté des troubles musculo-squelettiques et autres effets consécutifs aux gestes répétitifs du métier, plusieurs recherches rendent compte des pressions liées aux modes spécifiques de prescription du travail qui caractérisent l’exercice du métier d’aide-ménagère  [159]. De jure, l’interlocuteur est la société de titres-services. Mais dans les faits, les exigences et consignes d’exécution du travail émanent également, voire surtout, des clients, et celles-ci fluctuent au gré du lieu d’exercice du travail, par définition distinct et multiple pour chaque travailleuse.

213Selon le prestataire RH Securex, le taux d’absentéisme s’est élevé à 15,5 % dans le secteur des titres-services en 2018, alors qu’il avoisinait les 14 % l’année précédente. Ce taux d’absentéisme est nettement supérieur à celui de beaucoup de branches du secteur privé  [160].

8.2. À l’origine du conflit : la remise en cause des principes de l’accord interprofessionnel

214Le 19 mars 2019, le gouvernement fédéral Michel II (MR/CD&V/Open VLD) scelle par arrêté royal  [161] la marge salariale de 1,1 % établie dans le cadre de la négociation en vue d’un accord interprofessionnel (AIP) 2019-2020  [162]. À la fin du mois de mai suivant, débutent les négociations sectorielles destinées notamment à décider d’éventuelles hausses de salaire dans la limite fixée par cette norme.

215Dans le domaine des titres-services, les négociations sectorielles relatives à l’augmentation salariale sont lentes et les positions des interlocuteurs sociaux sectoriels assez figées. Les syndicats – dont les composantes interprofessionnelles continuent à dénoncer la réforme, intervenue en 2017, de la loi de 1996 servant de cadre à la négociation interprofessionnelle bisannuelle de la norme salariale  [163] – défendent l’idée que les salaires doivent être augmentés du maximum autorisé, à savoir + 1,1 %. Il s’agit de la centrale Alimentation et services de la CSC, de la Centrale générale de la FGTB et de la CGSLB. Pour sa part, Federgon, la « fédération des intermédiaires du marché du travail privés et des prestataires de services RH du secteur privé »  [164], pose deux conditions : d’une part, une hausse des salaires nets et non bruts et, d’autre part, l’engagement des trois Régions à supporter le coût supplémentaire négocié dans l’accord. Pour justifier sa position, la fédération d’employeurs invoque les risques financiers susceptibles de découler de la hausse des salaires et le refus des pouvoirs publics d’augmenter la valeur faciale du titre-service  [165]. Par ailleurs, la responsable du service juridique de Federgon annonce que la marge de manœuvre du secteur est de plus en plus étroite et qu’elle ne permet pas d’accorder une telle augmentation, particulièrement en Flandre. À cet égard, Federgon souligne l’effet de la régionalisation du système des titres-services et le développement de mécanismes de remboursement désormais distincts selon les trois Régions. Ainsi, les entreprises flamandes sont moins bien financées que les entreprises wallonnes et bruxelloises. En Wallonie et en Région bruxelloise, l’indexation (automatique) des salaires est totalement prise en charge par les pouvoirs publics si les entreprises répondent à certaines conditions, notamment au niveau des plans de formation mis en place pour les travailleuses. En Flandre, seuls 73 % de la hausse salariale ainsi engendrée sont couverts par l’autorité régionale, ce qui tend à diminuer un peu plus la marge de l’entreprise à chaque nouvelle indexation salariale. Par conséquent, la fédération sectorielle craint que certaines entreprises ne soient, dans ce contexte, contraintes de cesser leurs activités.

216Les conditions posées par Federgon sont inacceptables pour les syndicats. Non seulement ceux-ci sont attachés à une hausse salariale brute et non nette (en particulier en raison des implications que cela représente pour le financement de la sécurité sociale et pour les droits que se constituent les travailleuses dans ce domaine). En outre, ils voient d’un mauvais œil le déplacement des négociations qui découlerait de la formule réclamée par Federgon, puisque celles-ci ne concerneraient plus uniquement employeurs et syndicats au niveau sectoriel mais impliqueraient les gouvernements régionaux, et ce dans un contexte politique instable, marqué notamment par un scrutin régional le 26 mai 2019  [166]. Dès lors, les syndicats estiment que, dans ce contexte, la position de Federgon a pour conséquence que les travailleuses sont prises en otage par la fédération patronale sectorielle. Les syndicats pointent aussi le fait que, dans le secteur privé, « les entreprises de ce secteur distribuent des dividendes importants, alors que c’est un secteur largement subsidié par les pouvoirs publics »  [167].

217Après s’être interrompues durant les mois d’été, les négociations reprennent en septembre mais ne permettent pas d’avancée significative. Les positions restent similaires. Les responsables syndicaux se disent excédés de ne rien voir progresser et de devoir attendre, de la part de Federgon, le résultat d’une consultation menée auprès de ses membres avant d’aller plus loin dans les tractations.

218Le 14 novembre a lieu une réunion de la sous-commission paritaire n° 322.01 pour les entreprises agréées fournissant des travaux ou services de proximité. Cette sous-commission paritaire est composée, pour le banc patronal, de Federgon, d’Atout EI (fédération wallonne des entreprises d’insertion et des initiatives de développement de l’emploi dans le secteur des services de proximité à finalité sociale) et de la Vlaams Platform Dienstencheque Ondernemingen et, pour le banc syndical, de la CSC, de la FGTB et de la CGSLB. La réunion est considérée comme celle de la « dernière chance » pour les représentants des travailleuses. Les employeurs du secteur privé proposent une prime nette unique sous la forme d’éco-chèques correspondant à 0,6 % net de la marge salariale, à savoir 65 euros sur deux ans. Pour les syndicats, cette proposition est tout à fait insuffisante – dans leurs communications ultérieures, ils compareront ce montant, calculé sur une base mensuelle (2,70 euros par mois), au prix d’un pain – et ils la considèrent comme le signe d’une impossibilité d’avancer dans les négociations de manière constructive. Face à ce blocage en sous-commission paritaire, les syndicats dénoncent le mépris nourri à l’égard des travailleuses du secteur et décident d’interrompre les négociations. Ils annoncent le recours à des actions collectives.

219Atout EI déplore ce blocage et confirme sa volonté de voir s’améliorer les conditions de travail pour l’ensemble des travailleuses du secteur en appliquant l’AIP à hauteur de 1,1 %. Atout EI précise : « Tout en comprenant les difficultés que vivent les entreprises commerciales du nord du pays, en tant que fédération d’économie sociale, nous ne pouvons accepter que certains employeurs refusent l’accès à tous les travailleurs [titres-services] à de meilleures conditions de travail alors que, parallèlement, des dividendes continuent à être versées, et ce alors même que le dispositif est subventionné à 66 % par l’État ». Clairement, le banc patronal siégeant à la sous-commission paritaire est divisé face à un front commun syndical uni  [168].

8.3. Une diversité d’actions collectives

220Dès le 16 novembre, un préavis de grève est déposé en front commun syndical par la centrale Alimentation et Services de la CSC, la Centrale générale de la FGTB et la CGSLB. Les syndicats mettent leur menace à exécution, en organisant une grève et une manifestation à Bruxelles le 28 novembre 2019 pour réclamer une hausse salariale. La manifestation rassemble plus d’un millier de personnes à la gare de Bruxelles-Nord. Des concentrations visent deux lieux symboliques : le siège de Federgon sur le site de Tour & Taxis à Bruxelles et celui du groupe Tempo-Team  [169] à Berchem-Sainte-Agathe. Une délégation de représentants syndicaux est reçue par la direction de Tempo-Team. À l’issue de cette réunion, la présidente de la centrale Alimentation et Services de la CSC, Pia Stalpaert, déclare : « Nous avons le sentiment qu’ils sont à l’écoute de notre situation. Nous avons reçu le signal que Tempo-Team allait défendre notre point de vue dans ses discussions avec Federgon »  [170].

221Deux actions syndicales décentralisées se déroulent durant les semaines suivantes, avant la réunion de la sous-commission paritaire prévue le 13 décembre 2019. La première est organisée le 10 décembre devant le siège du Group Daenens à Bruges, et la seconde le 12 décembre devant le siège du groupe Trixxo à Hoeselt (dans le Limbourg). Chacune des actions réunit près de 120 participants. Les entreprises ciblées par les manifestants sont choisies au regard de leur opposition ferme aux propositions syndicales concernant l’augmentation des salaires. Dans un communiqué diffusé le 5 décembre 2019, la FGTB précise à ce propos : « Le groupe Daenens a réalisé un bénéfice de plus de 3 millions d’euros l’an dernier et dispose de réserves d’une valeur de 15 millions d’euros. Le nombre de rachats par le groupe s’élève aujourd’hui à plus de 60 entreprises, ce qui signifie qu’il compte plus de 12 000 employés. Les entreprises qui font partie du groupe sont par exemple Dienstenaanhuis, Smile 4 you, Makkie, Greenhouse, etc. Daenens est également actionnaire majoritaire de nombreuses autres entreprises du secteur, telles que Plus Home Services, TS Wallonie, ... Trixxo est un mastodonte de plus de 6 500 travailleurs et a repris Clixx ainsi que toute une série de concurrents plus petits ces dernières années. En octobre, le PDG Luc Jeurissen a envoyé une lettre à plusieurs petites entreprises pour leur proposer de les reprendre. Et en même temps, il continue de prétendre qu’il n’y a pas d’argent pour augmenter les salaires ».

222Lors de la réunion de la sous-commission paritaire du 13 décembre 2019, le désaccord persiste. Un conciliateur social est alors nommé à la demande des employeurs. Le président de ladite sous-commission paritaire mène des discussions bilatérales avec l’ensemble des interlocuteurs sociaux, mais sans résultats probants jusqu’à la veille des congés de fin d’année.

223Dès ce moment, les deux syndicats majoritaires décident de modes d’action distincts pour maintenir la pression sur les employeurs. La CSC annonce l’organisation d’une journée de grève le mercredi 8 janvier 2020. La présidente de la centrale Alimentation et Services de la CSC indique : « Il ne s’agira pas d’une action nationale ou d’une manifestation comme la dernière fois. Cette fois-ci, nous demandons aux travailleurs de rester chez eux ». Comme il n’y aura pas de rassemblement, la CSC invite toutes les personnes qui participeront à la grève de le faire savoir en postant une photographie sur les réseaux sociaux. La CSC annonce également que les travailleurs du secteur des aides familiales en Flandre, qui emploie quelques milliers de personnes, rejoindront cette grève  [171]. Pour sa part, la FGTB ne se rallie pas à l’action de la CSC mais organise, cinq jours plus tard, un rassemblement de militants à Bruxelles. De son côté, la CGSLB annonce soutenir les deux actions.

224Portée par la CSC et reprise sous l’intitulé de « grève à la maison », la journée de grève du 8 janvier 2020 est qualifiée d’historique car sa forme constitue une première pour le secteur. En effet, il s’agit de faire grève en restant chez soi, donc sans l’expression collective classique d’une protestation telle une manifestation, l’occupation d’une entreprise, un rassemblement ou une concentration, ou la participation à des « cafés de grévistes » organisés au niveau local. La publicité de l’action n’est pas réalisée sur le terrain mais sur les réseaux sociaux. Ainsi, les revendications sont formulées par les travailleuses par la voie d’un hashtag (ou « mot-dièse ») créé pour l’occasion et de dizaines de photographies postées par les grévistes autour du message suivant : « Aujourd’hui, je nettoie chez moi car nous méritons un salaire propre ». Les représentants syndicaux admettent la difficulté, pour les travailleuses isolées, de devoir signaler individuellement à leur entreprise et à chacun de leurs clients qu’elles sont en grève, comparativement à la situation des collectifs de travailleurs réunis au sein d’une entreprise à la suite d’un vote en assemblée. La spécificité relève également du mode de comptage des travailleuses mobilisées, dont le nombre total ne peut être connu qu’une fois les demandes d’indemnités introduites au niveau national. En l’occurrence, la CSC comptabilisera près de 1 500 aides-ménagères en grève.

225Cette action se distingue de celle du lundi 13 janvier 2020, menée par la FGTB et suivie par la CGSLB. À cette occasion, entre 350 personnes (selon la police) et 500 personnes (selon la FGTB)  [172] se rassemblent à Bruxelles pour manifester de la gare de Bruxelles-Central à la place Louise, où se trouve le siège de la société Daoust. À cet endroit, une délégation rencontre le patron de ladite société, qui constitue historiquement un pilier de Federgon.

226Les deux principales organisations syndicales développent donc des modes d’action différents tout en continuant à partager les mêmes revendications. La FGTB reste fidèle à la stratégie entamée en automne, à savoir organiser des manifestations et rassemblements devant les sièges des plus grandes sociétés de titres-services. La CSC préfère diversifier sa conduite revendicative en utilisant les réseaux sociaux et en tentant, par là, de sensibiliser l’opinion publique à la justesse de la cause défendue. La « concurrence » entre les deux organisations syndicales explique ces modes opératoires différents mais, étant donné leur complémentarité, ceux-ci ne fragilisent pas le rapport de force construit ensemble par les deux syndicats. Ainsi, c’est en front commun que la négociation se déroulera jusqu’à sa conclusion, en mai 2020.

8.4. Vers le dénouement

227Le 3 février 2020, après des négociations tendues, les interlocuteurs sociaux réunis au sein de la sous-commission paritaire 322.01 parviennent à un projet d’accord, qui prévoit une hausse du salaire brut de 0,8 % avec effet rétroactif au 1er janvier. C’est moins que l’augmentation que les syndicats demandaient (qui, pour rappel, était de 1,1 %), mais la différence est compensée par des mesures complémentaires telles qu’une indemnité de 10 % en plus du salaire brut pour les heures de repassage à domicile, un chèque-cadeau de 20 euros, une augmentation de la prime syndicale et l’octroi de primes incitatives étendues au congé parental et au congé pour aidants proches. Le projet d’accord prévoit aussi l’élaboration d’une charte contre les comportements inappropriés.

228Les trois organisations syndicales saluent cet accord : « Pendant des mois, les aides-ménagères des titres-services sont descendues dans les rues, ont mené des actions ponctuelles pour faire entendre leur revendication : une augmentation salariale décente. Avec 11,50 euros bruts de l’heure, les 145 000 travailleuses que compte le secteur sont parmi les salaires les plus faibles du pays. Les aides-ménagères se sont battues bec et ongles contre cette injustice et leur mobilisation a porté ses fruits »  [173]. La fédération sectorielle Federgon exprime également sa satisfaction. Pour son directeur général, Herwig Muyldermans, « les aides-ménagères méritent cette augmentation de salaire. Le travail qu’elles accomplissent chaque jour pour plus d’un million de clients mérite notre plus grand respect. Les employeurs ont mis tout en œuvre pour arriver à un accord, mais nous continuons à insister sur le fait que, sans soutien supplémentaire des pouvoirs publics, la majorité des entreprises titres-services vont avoir du mal à faire face »  [174].

229L’accord doit être signé le 2 mars 2020. Cependant, Federgon se retire au dernier moment, sous la pression de grosses sociétés intérimaires. C’est au grand dam des syndicats que Federgon se rétracte ainsi. Dans un communiqué publié le jour même, ils déplorent : « Cela fait un an maintenant que Federgon fait lanterner les aides-ménagères. Il est plus que temps que Federgon assume sa négociation et signe l’accord qu’elle a négocié ! Nous rappelons que les entreprises sont subsidiées [à la] hauteur de 76 %. Au moment où les gouvernements s’interrogent sur l’avenir du système, nous leur rappelons que les travailleurs n’accepteront pas d’être une valeur d’ajustement et les invitons à s’intéresser aux mécanismes mis en place par les entreprises affiliées à Federgon »  [175]. Par ce dernier élément, les syndicats pointent en particulier les pratiques de réduction de temps de travail ayant cours dans un certain nombre d’entreprises affiliées à Federgon et visant à bénéficier de réductions de cotisations sociales. Selon les syndicats, ces réductions ne sont que théoriques puisque les aides-ménagères ne travaillent généralement pas à temps plein ; cette ingénierie permet donc à ces sociétés d’utiliser abusivement des fonds de l’Office national de la sécurité sociale (ONSS). Ils ajoutent que le comité de gestion de l’ONSS, composé de représentants des employeurs et des syndicats, partage leur analyse. Dans leur communiqué de presse du 2 mars, les syndicats précisent encore que le blocage sur le projet d’accord porte apparemment sur le passage de celui-ci relatif à la réduction du temps de travail, « qui pose un problème notamment aux entreprises Trixxo et het Poetsbureau ».

230La réprobation n’est pas uniquement syndicale. Ainsi, le directeur d’Atout EI, Jacques Rorive, et le président de ConcertES (qui est la « plateforme de concertation des organisations représentatives de l’économie sociale en Belgique francophone »), Denis Morrier, déclarent : « Certaines grosses entreprises ont joué avec les règles. Cette situation a été dénoncée en commission paritaire et une solution avait été trouvée pour y remédier. Cependant, de grosses structures (des entreprises de plus de 10 000 travailleurs), essentiellement basées au nord du pays, ont fait pression sur leur fédération afin que celle-ci se rétracte. Pour nous, cela est inacceptable. Un accord est un accord, et pour satisfaire l’avidité de certains, Federgon ne peut signer. Quelques entreprises prennent 150 000 travailleurs en otage »  [176].

231Finalement, après réexamen du texte du préaccord avec l’aide du Service public fédéral (SPF) Emploi, Travail et Concertation sociale, l’accord est conclu le 18 mai 2020.

8.5. Conclusion

232Les conditions de travail et la situation de nombreuses travailleuses du secteur des titres-services ne facilitent pas la mise en œuvre d’actions collectives. Celles menées à la fin de l’année 2019 et au début de l’année 2020 constituent donc un conflit historique. Cette mobilisation a relevé d’un défi pour les structures syndicales, qui ont d’ailleurs dû adapter leur communication ainsi que leur organisation. En effet, la configuration a été fort éloignée de celle d’une mobilisation organisée sur une seule implantation à l’issue d’un vote en assemblée générale. En outre, la logistique autour d’un rassemblement doit être d’autant plus rôdée lorsqu’il s’agit de mener des travailleurs qui n’ont pas l’habitude de « descendre dans la rue ».

233Plusieurs raisons semblent avoir créé un contexte favorable à la réussite du mouvement.

234Tout d’abord, il a été recouru à une utilisation massive et régulière des réseaux sociaux. La constitution de groupes spécifiques avec une communication imagée soutenue par des slogans percutants ont contribué à créer des liens dans un secteur où les travailleuses sont isolées. Le fait que les réseaux sociaux soient déjà bien intégrés dans la stratégie de communication dans ce secteur n’y est pas étranger.

235Ensuite, le traitement médiatique du mouvement a résonné en faveur de la mobilisation des aides-ménagères. Plusieurs articles et reportages de la presse écrite et audiovisuelle ont abordé les raisons des actions menées, tout en revenant sur le fonctionnement d’un secteur peu connu du grand public alors que largement utilisé par celui-ci. Le succès du documentaire « Au bonheur des dames ? », présenté au Festival international du film francophone (FIFF) de Namur à l’automne 2019 et diffusé dans plusieurs salles de cinéma et par la RTBF en avril 2020, a certainement contribué à attirer le regard et la sympathie d’un large public à l’égard des travailleuses du secteur des titres-services. Il est rare que les médias aient recours à ce type de communication dans le cadre d’une grève ; cette exception peut notamment s’expliquer par le caractère inédit du conflit et par l’envergure d’un secteur qui touche une partie importante de la population. Cela a certainement participé à légitimer la mobilisation, tant du côté des travailleuses que de leurs clients.

236Enfin, les divergences de position au sein du groupe patronal au sein de la sous-commission paritaire et l’existence d’un front commun syndical ont constitué des facteurs facilitant la réussite de la mobilisation des aides-ménagères.

9. La « grève des femmes / grève féministe » du 8 mars 2019

237Animé par l’ampleur prise par la « grève internationale des femmes » du 8 mars 2018 en Espagne et dans plusieurs pays d’Amérique latine, un petit groupe de militantes bruxelloises décide de lancer cette initiative en Belgique. À partir de juin 2018, elles organisent des réunions pour préparer la grève de 2019. Le groupe est baptisé Collecti.e.f 8 maars. Il vise à organiser des assemblées générales le plus larges possible afin d’inclure un maximum de femmes dans le processus d’une grève du travail rémunéré, du travail ménager, de la consommation et des études. Entre octobre 2018 et mars 2019, des assemblées générales réunissent chaque mois entre cinquante et cent cinquante femmes.

238Le 8 mars 2019, des milliers de personnes participent aux assemblées tenues par le Collecti.e.f 8 maars et à la manifestation organisée à Bruxelles par la Marche mondiale des femmes (événement qui rassemble plus de 15 000 femmes selon les organisatrices), ainsi qu’aux actions décentralisées sur des lieux de travail, dans des universités, devant des ambassades ou dans la rue en Wallonie, en Région bruxelloise et en Flandre. Cette action est remarquable d’un point de vue tant quantitatif que qualitatif. Elle s’inscrit dans une initiative internationale et intersectorielle qui vise également à briser les frontières séparant le monde dit productif (ou professionnel) et celui dit reproductif (ou domestique), tout en questionnant la place et le rôle des femmes dans les foyers, les lieux de travail, l’espace public, la culture, la politique, l’enseignement ou la consommation. En ce sens, la grève n’est pas conçue comme une action ponctuelle destinée à faire pression sur un employeur ou sur une autorité publique afin de négocier la satisfaction de revendications précises, mais comme un moment de rupture avec le quotidien pour commencer à forger un processus d’unité et d’organisation collective visant une transformation globale de la société. C’est ainsi que, durant cinq mois, des femmes appartenant à des univers politiques et sociaux divers se sont rencontrées à Bruxelles, à Liège, à Gand et à Anvers. Elles ont discuté, réfléchi et élaboré des revendications et des formes d’action communes. Ces rencontres se poursuivent après le 8 mars 2019.

9.1. Émergence de la grève internationale des femmes

239Le 3 octobre 2016, des féministes polonaises débraient contre le projet de loi défavorable à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). L’idée de faire usage de cet outil de lutte traverse rapidement l’Océan atlantique. Deux semaines plus tard, des collectifs féministes argentins appellent à une grève des femmes pour dénoncer la répression d’une manifestation féministe (à laquelle ont participé 100 000 femmes) et le féminicide d’une jeune femme de 16 ans. L’appel est rejoint par des féministes de plusieurs pays d’Amérique latine ainsi que d’Espagne et des États-Unis. Le 19 octobre 2016, des milliers de femmes se croisent les bras dans la plupart des pays hispanophones pour dire « ¡Ni una menos! » (« Pas une de moins ! »). La grève, organisée en 24 heures, n’est massive qu’en Argentine. Cependant, elle a un impact symbolique majeur : il s’agit d’une première grève visant une coordination internationale de femmes pour dénoncer en force les violences de genre. Comprises comme le résultat de rapports de domination et d’exploitation, ces violences sont donc analysées et dénoncées comme étant le produit d’un système économique et politique. Sous le slogan « Si nos vies ne valent rien, produisez donc sans nous ! »  [177], ces féministes décident de se mettre en grève pour donner une réponse politique aux violences qui confinent les femmes et les « corps féminisés » dans le rôle de victimes.

240L’idée d’une grève internationale des femmes ne tarde pas à s’étendre  [178]. En novembre 2016, des collectifs féministes d’une trentaine de pays décident d’organiser une grève internationale le 8 mars 2017. S’ancrant dans de nombreux pays, le mouvement « Paro Internacional de Mujeres / International Women’s Strike » vise à convertir la célébration du 8 mars (journée internationale des droits des femmes) en grève internationale des femmes  [179]. Dès la fin du mois de novembre 2016, les collectifs adhérant à ce mouvement commencent à organiser des assemblées générales où les groupes féministes, les syndicats, les associations, les partis politiques (dans certains pays) et toute personne identifiée et/ou s’identifiant comme femme sont invités à participer à l’organisation de la grève du 8 mars.

241Le choix de la grève comme mode d’action n’est pas un hasard. Le but n’est pas seulement de protester contre l’exploitation et la domination patriarcale, mais de contribuer à la visibilité du travail salarié et/ou ménager des femmes. Avec le slogan « On est toutes des travailleuses ! », ces féministes se réapproprient l’arme de la grève pour montrer que l’économie s’effondrerait si elle ne pouvait s’appuyer sur des femmes sous-rémunérées ou non rémunérées s’occupant du « travail reproductif »  [180]. L’idée est de démontrer que si les mères ne se levaient plus le matin, si les puéricultrices et institutrices se mettaient en grève, et si les grands-mères, nounous, voisines et sœurs décidaient de leur emboîter le pas, les hommes ne pourraient pas se rendre sur leur lieu de travail puisqu’il leur reviendrait de s’occuper des enfants. Bref, cette grève s’attaque à la division sexuelle du travail et vise à souligner combien le travail invisible des femmes est indispensable au fonctionnement de l’économie, puisque c’est grâce à ce travail gratuit ou sous-rémunéré que le travail rémunéré est possible  [181].

242L’ampleur prise par la grève du 8 mars 2017 en Amérique latine encourage des féministes d’autres pays à rejoindre le mouvement en 2018. En Espagne, des assemblées générales sont organisées dans plusieurs villes et villages tout au long de l’année 2017. Le 8 mars 2018, plus de 5 millions de femmes paralysent l’économie espagnole durant 24 heures.

9.2. Le Collecti.e.f 8 maars

243Le 8 mars 2018, constatant la faiblesse de la mobilisation belge pour la journée internationale de lutte pour les droits des femmes et stimulées par les grèves en Espagne et en Amérique latine, quatre féministes bruxelloises décident de lancer l’idée d’une grève des femmes en Belgique. Elles créent un groupe non mixte (à savoir rassemblant uniquement des femmes) pour réfléchir à l’organisation de cet événement prévu pour mars 2019. Formé par le bouche-à-oreille, le groupe est composé de militantes principalement bruxelloises francophones, actives dans des collectifs autonomes notamment du syndicalisme étudiant, de l’anarchisme féministe et de l’action directe. Il décide de s’appeler « Collecti.e.f 8 maars » afin d’être bilingue français-néerlandais. L’objectif est d’étendre le mouvement à toute la Belgique, Flandre comprise.

244Une première réunion a lieu à la mi-juin 2019 dans un café bruxellois. Les participantes décident rapidement d’un processus d’organisation de la grève des femmes qui soit « autonome » et « démocratique », via des assemblées générales. La principale tâche du groupe est donc d’organiser la première d’entre elles. Il se réunit durant tout l’été afin d’assurer cette organisation : trouver un local, diffuser l’information, préparer l’ordre du jour, etc.

245La première assemblée générale de préparation de la grève a lieu le 7 octobre 2019 à La Tentation (centre culturel de Bruxelles). Se déroulant en non-mixité, elle rassemble environ 150 femmes. Une garderie est organisée pour les enfants des participantes. Ce dispositif sera conservé tout au long du fonctionnement du collectif. La première assemblée générale vise à permettre la rencontre et l’échange entre les participantes afin d’adopter une structure organisationnelle pour le Collecti.e.f 8 maars. Cinq instances sont définies : des groupes locaux, des commissions, une coordination (qui fait le lien entre ces différents organes), un secrétariat et l’assemblée générale.

246Les commissions s’occupent des matières transversales concernant l’organisation de la grève et du collectif. Elles sont mandatées par l’assemblée générale. La commission Communication prend en charge les visuels du collectif, son site Internet, ses réseaux sociaux et les relations avec la presse. La commission Finances gère la trésorerie. La commission internationale assure le lien avec les mouvements pour le 8 mars au niveau international. La commission Revendications est principalement en charge de la formulation des revendications à partir des discussions en assemblée. La commission Inclusivité joue un rôle de référent et de relais concernant les rapports de domination au sein du collectif ; elle rédige notamment une « charte d’inclusivité »  [182] définissant le cadre des interactions au sein du Collecti.e.f 8 maars. La commission Syndicat entre en contact avec les organisations syndicales et s’occupe de l’aspect juridique de la grève. La commission Actions organise et coordonne principalement les événements qui auront lieu le jour de grève  [183]. La commission Mobilisation a pour objectifs de stimuler la création de groupes autonomes et de prendre contact avec des associations ou collectifs existants. Mais faute de forces, cette commission ne sera presque jamais active après son unique réunion en décembre ; le secrétariat s’occupera de répondre aux demandes d’informations.

247Enfin, un groupe d’hommes alliés organise le support logistique aux assemblées et événements du Collecti.e.f 8 maars, en particulier les garderies afin de permettre aux femmes qui ont des enfants à charge de participer. Ces hommes se déclarent « invisibles » (notamment en refusant les demandes d’interviews afin de laisser la place aux premières concernées) et ne participent pas aux différentes instances du collectif. Un document intitulé « Neuf commandements pour les hommes alliés » est rédigé par la commission Inclusivité et présenté en assemblée générale en février.

248Des groupes de mobilisation autonomes vis-à-vis du Collecti.e.f 8 maars sont formés sur une base territoriale, selon les secteurs d’activité ou suite à des demandes spécifiques. Ainsi, des groupes de femmes s’organisent à Liège, Gand et Anvers, afin de mettre en place des actions dans chacune de ces villes pour le 8 mars. Des contacts sont amorcés dans d’autres villes, mais sans réels impacts. Au sein de l’Université libre de Bruxelles (ULB), des groupes de mobilisation d’étudiantes et de chercheuses sont créés pour y organiser la grève. Un groupe réunissant des femmes artistes est également créé, ainsi qu’un groupe de mobilisation « Gouines & Queer », qui organise une séance d’information à la Maison Arc-en-Ciel de Bruxelles avant la grève.

249Une coordination se réunit entre chacune des assemblées générales pour préparer et organiser ces dernières. Elle est composée du secrétariat et d’une représentante de chaque commission et groupe local. Le secrétariat s’occupe de la convocation aux réunions de coordination et aux assemblées générales, répond aux courriels généraux, gère les mailings et les archives du collectif (procès-verbaux, textes, etc.).

250Entre octobre 2018 et mars 2019, des assemblées générales réunissent chaque mois entre cinquante et cent cinquante femmes pour voter les décisions discutées et présentées par les différentes commissions du Collecti.e.f 8 maars. Les sujets abordés ont notamment trait aux revendications, aux formes de grève, à la participation à la manifestation de la Marche mondiale des femmes et au planning de la journée du 8 mars 2019.

9.3. Le manifeste de la grève

251Formée dès la première assemblée générale, la commission Revendications a pour but d’analyser, de discuter et de rédiger des revendications. La première question qui se pose à ce groupe concerne l’appellation de la grève : s’agira-t-il d’une « grève des femmes* »  [184] ou d’une « grève féministe » ? L’option d’une « grève des femmes* » pose problème aux syndicats, qui expliquent ne pas pouvoir appeler à une grève sur la base du genre des personnes car ce serait discriminatoire. Par ailleurs, la solution d’une « grève féministe » peut s’avérer démobilisante pour un grand nombre de femmes qui ne se considèrent pas comme féministes. Or l’objectif est d’encourager l’adhésion et le soutien des syndicats, et de mobiliser le plus grand nombre possible de femmes. S’inspirant des organisatrices de la grève en Suisse, le Collecti.e.f 8 maars décide donc d’appeler à une « grève des femmes / grève féministe ».

252La mission centrale de la commission Revendications consiste à rédiger un manifeste de la grève. Pour englober un maximum des demandes, la commission organise, lors d’une assemblée générale, un atelier au cours duquel les femmes sont invitées à discuter et à rédiger leurs demandes. Elle se charge ensuite d’ordonner ces revendications selon les grandes thématiques : travail, frontières, corps et sexualité, santé, éducation, écologie et violences. Le résultat de ce travail est un manifeste de dix pages. Les 26 et 27 janvier 2019, le Collecti.e.f 8 maars organise un week-end de réflexion, au cours duquel les problématiques présentes dans le manifeste sont abordées dans divers ateliers. Sur la base de ces discussions, la commission réaménage le texte. Enfin, les revendications présentes dans le manifeste sont synthétisées dans un texte d’une page qui, traduit en huit langues (français, néerlandais, allemand, anglais, arabe, espagnol, italien et turc), sera distribué sur des marchés, des rues, des places et des cafés (cf. Encadré 9.1).

Encadré 9.1. Texte synthétique des revendications du Collecti.e.f 8 maars

Assez de la précarité économique organisée, qui nous maintient dans les temps partiels, dans des métiers dévalorisés, faisant de nous des travailleuses pauvres et dépendantes.
Assez de l’inégalité salariale, des retraites tardives et des pensions de misère. Assez des allocations inaccessibles, insuffisantes et inadaptées.
Assez du manque de crèches, de homes et d’infrastructures d’accueil et de soin accessibles, qui fait peser une responsabilité collective exclusivement sur les épaules des femmes *.
Assez d’être seules à prendre en charge le travail domestique quotidien et le soin aux autres. Assez que ce travail gratuit ou peu rémunéré, et la charge mentale qui va avec, ne nous laissent pas de temps pour nous.
Assez des politiques migratoires racistes qui nous mettent particulièrement en danger, nous enferment, nous condamnent à la pauvreté et nous tuent.
Assez d’être discriminées partout sur base de nos couleurs de peau, de nos origines, de nos revenus, de nos genres, de nos orientations sexuelles, de nos croyances…
Assez des stéréotypes sexistes dans l’éducation, la culture, les médias et la publicité, qui nous renvoient l’image de la femme-objet et nous cantonnent dans des rôles spécifiques et secondaires.
Assez qu’on nous impose comment vivre notre sexualité, notre rapport à la maternité, à la contraception et à l’avortement. Assez qu’on se mêle de nos corps et de nos vies.
Assez des violences médicales et gynécologiques, et des difficultés d’accès aux soins.
Assez des violences physiques et psychologiques (domestiques, sexuelles, dans le couple, harcèlement de rue et au travail…). Assez des féminicides, des meurtres de femmes parce qu’elles sont femmes. Assez de la complicité politique et juridique dont les auteurs bénéficient.
Exigeons du respect, du changement et de réécrire ensemble les règles du jeu.
* Toute personne s’identifiant et/ou étant identifiée comme femme.

9.4. La mobilisation pour la grève

253Le Collecti.e.f 8 maars se définit comme « indépendant des partis politiques et des syndicats »  [185]. Toutefois, dès la première assemblée générale, une commission Syndicat est créée pour inciter les organisations syndicales à rejoindre l’appel à la grève. En effet, l’autonomie du collectif ne vise pas à exclure les syndicats, mais à lancer une initiative qui puisse être rejointe par toutes, indépendamment des affiliations partisanes ou syndicales.

254La commission Syndicat prend contact avec la CSC et la FGTB. Des permanentes et des déléguées de la Centrale nationale des employés (CNE, affiliée à la CSC) participent aux assemblées générales et se chargent d’établir le lien avec leur centrale. La Commission wallonne et bruxelloise des femmes CSC , le bureau national des femmes de la FGTB, la coordination genre de la Centrale générale (FGTB), la commission Femmes de la Centrale générale des services publics (CGSP, FGTB) et la commission Femmes du secteur des administrations locales et régionales de la CGSP-ALR (Administrations locales et régionales) invitent des membres du Collecti.e.f 8 maars pour présenter l’appel à la grève.

255La CNE intègre la grève dans sa campagne sur l’inégalité salariale et annonce en décembre qu’elle déposera un préavis de grève. L’aile francophone de la CSC déclare soutenir le mouvement et le Collecti.e.f 8 maars, mais ne lance pas de préavis de grève. L’aile flamande de la CSC (Algemeen Christelijk Vakverbond, ACV) adopte la même position : « Concrètement, cela signifie que les femmes qui participent à la grève des femmes et qui subiraient une perte de salaire pour leur implication ont droit à une indemnité de grève », explique le porte-parole de l’ACV, David Vanbellinghen  [186].

256Le 26 janvier 2019, le Collecti.e.f 8 maars organise une conférence de presse pour annoncer la grève du 8 mars, couverte à cette date par un préavis de grève lancé par la CNE. La nouvelle est relayée dans la plupart des médias grand public  [187].

257Pour sa part, le bureau de la FGTB annonce sa position officielle aux centrales et au collectif deux semaines plus tard. Le 11 février, elle envoie un courriel au Collecti.e.f 8 maars, indiquant qu’elle appelle à rejoindre la manifestation du 8 mars mais qu’elle ne dépose pas de préavis de grève. La position est la suivante : « Ensemble avec les autres syndicats, nous soutenons les actions du 8 mars, dont la Marche mondiale des femmes à Bruxelles. Le bureau invite les centrales à prendre les dispositions en ce y compris, si elles le jugent utile, par le dépôt de préavis de grève pour couvrir les militants et affiliés qui souhaiteraient rejoindre les actions de la journée du 8 mars 2019 ». Au sein de la FGTB, la Centrale générale, la centrale Alimentation - Horeca - Services (HORVAL), les Métallurgistes Wallonie-Bruxelles (MWB) et certains secteurs de la CGSP Bruxelles déposent un préavis de grève.

258Le Collecti.e.f 8 maars ne prend pas contact avec la CGSLB, qui annonce en janvier ne pas soutenir l’organisation d’une grève. Le syndicat libéral explique : « Non pas parce que nous serions contre les revendications de droits et salaires égaux, nous y sommes à 100 % favorables, mais plutôt parce que nous estimons qu’une grève n’est pas la bonne manière, dans ce cas-ci, d’atteindre cet objectif »  [188].

259La commission Syndicat se charge également d’informer les femmes non syndiquées ou non couvertes par un préavis de grève. En février, elle publie sur le site Internet du Collecti.e.f 8 maars une brochure résumant le droit de grève et les modalités pour le faire valoir  [189], qu’elle distribue également aux moments de mobilisation. Cette brochure a été élaborée avec l’aide de juristes. Elle informe sur le droit individuel de grève exercé dans le cadre d’une action collective. Elle donne des conseils concernant les alternatives pour les femmes indépendantes, pour les femmes sans titre de séjour ou pour les travailleuses de plateformes numériques. Le texte explique notamment la notion de grève de solidarité : quand un secteur appelle à la grève, les travailleurs de tous les secteurs (affiliés ou non au syndicat qui a déposé le préavis de grève) peuvent cesser le travail.

260La commission Syndicat a décidé de consulter certains juristes de la CNE et de la FGTB avant de publier ce texte. La CNE a approuvé et soutenu l’initiative. Pour leur part, les deux juristes consultés auprès de la FGTB fédérale ont suggéré que soit supprimée la partie consistant à expliquer le droit à la grève de solidarité. À la place, ils ont proposé de préciser que « si des travailleu-r-ses font grève sans dépôt d’un préavis de grève dans les secteurs où c’est prévu, ça peut être considéré comme en dépit des accords sectoriels et peut avoir des conséquences » (sic). La commission Syndicat a consulté d’autres spécialistes, qui ont validé les propos concernant le droit de grève de solidarité. In fine, elle a donc décidé de publier son texte contre l’avis des juristes de la FGTB, ce qui conduira à la défection de certaines militantes de la FGTB pour la promotion de la grève. Pour sa part, le manque de soutien de la plupart des centrales de la FGTB mènera certaines personnes à se désaffilier du syndicat socialiste.

261Les échanges sont parfois difficiles entre militantes et syndicalistes. Selon Zoé Maus, permanente CIEP communautaire  [190] : « Lorsque les femmes du Collecti.e.f 8 maars ont présenté leur projet de grève féministe aux syndicats, certain.e.s syndicalistes ont eu des réactions pour le moins corporatistes. En effet, comment une “bande de bonnes femmes” que personne ne connaissait, un obscur collectif, osait lancer un appel à la grève ? Celle-ci n’est-elle pas la chasse gardée des syndicats ? »  [191]

262Quant à elles, certaines associations féministes se trouvent dépourvues devant l’appel à une grève qui n’était pas prévue dans leurs agendas. Ainsi, Vie féminine  [192] décide de ne pas mobiliser, expliquant que cette initiative est trop précipitée  [193]. D’autres associations comme Garance, les Femmes prévoyantes socialistes (FPS), Furia (association néerlandophone) et les centres de planning familial se mobilisent pour appeler à la grève.

263Le Collecti.e.f 8 maars participe également à des mobilisations syndicales. Par exemple, le 13 février 2019, jour de grève nationale suite à l’échec des négociations portant sur la conclusion d’un accord interprofessionnel (AIP) pour la période 2019-2020  [194], une cyclo-tournée féministe des piquets de grève est organisée en Région bruxelloise. Elle passe par le Westland Shopping d’Anderlecht, le dépôt de la Société des transports intercommunaux bruxellois (STIB), le Centre hospitalier universitaire (CHU) Saint-Pierre à Bruxelles, le rassemblement de la CGSP-ALR public-privé et la tour Proximus.

264Diverses initiatives visent à mobiliser en faveur de la grève. C’est notamment le cas à l’ULB, où des chercheuses s’organisent via des assemblées, avec le soutien de la section CGSP Enseignement Recherche de l’université. Elles dénoncent notamment le sexisme, la pression de la hiérarchie et le harcèlement auxquels elles peuvent faire face au sein de l’ULB, qui se traduisent par des barrières liées à la maternité, par le plafond de verre et par la place minoritaire des femmes dans les métiers de la recherche alors qu’elles sont majoritaires parmi les étudiants. En parallèle, dès le mois de novembre, un groupe de mobilisation « Étudiantes de l’ULB en grève » se met en place. De nombreuses revendications sont élaborées, qui concernent notamment le phénomène du viol sur le campus universitaire, l’accès à la contraception et à l’IVG, la rémunération des stages et le sexisme au sein du monde académique. Dès la publication des revendications de ce groupe, de nombreuses actions et mobilisations ont lieu sur le campus en préparation de la grève (banderoles, soirées de soutien, réunions, vidéos, performances artistiques, etc.). Un contact est noué avec des chercheuses de la Vrije Universiteit Brussel (VUB) qui s’organisent également sur leur campus.

265À la STIB, des conductrices de tram contactent le Collecti.e.f 8 maars pour organiser une rencontre avec les délégués du dépôt de tram afin de pouvoir s’informer et informer les collègues féminines et la direction sur le pourquoi et, surtout, sur le comment de la grève. Début février, des membres du Collecti.e.f 8 maars se réunissent donc avec une conductrice de tram et deux délégués syndicaux de la CGSP-Tram Bus Métro (TBM) et de la CGSLB. Finalement, aucun de ces syndicats ne déposera de préavis de grève et les délégués ne mobiliseront donc pas pour le 8 mars. Cependant, un groupe de travailleuses se réunira, rédigeant des revendications et se mobilisant pour promouvoir la grève.

266Au cours des quatre semaines qui précèdent le 8 mars 2019, le Collecti.e.f 8 maars organise des permanences ouvertes chaque vendredi soir dans le local du Steki, buvette associative à Saint-Gilles (Bruxelles). C’est l’occasion de fournir du matériel de mobilisation (tracts, affiches), de rencontrer des militantes de la grève et de préparer des actions dans la ville.

9.5. Les grèves des femmes / grèves féministes

267S’inspirant de l’exemple espagnol, le Collecti.e.f 8 maars appelle à quatre formes de grève : la grève du travail rémunéré, la grève des soins aux autres, la grève étudiante et la grève de la consommation. Le but est d’inviter toutes les femmes à se mettre en grève, qu’elles soient salariées, demandeuses d’emploi, étudiantes ou travailleuses de l’économie informelle. Visant la décentralisation des mobilisations promouvant la grève, le Collecti.e.f. 8 maars n’organise pas de groupes de travail pour chaque type de grève. Les participantes aux assemblées générales et les groupes de mobilisation s’occupent de promouvoir les grèves. Étant donné la composition de ces groupes (à savoir que les femmes les plus actives dans l’organisation de la grève ont entre 20 et 40 ans et, pour la majorité, sont des salariées sans enfant et des étudiantes), la promotion de la grève du travail rémunéré et de la grève des études prend le dessus sur celle relative aux autres formes de grève.

268Aucun groupe ne s’empare de la promotion de la grève de la consommation. En dépit de son faible impact sur l’économie  [195], cette action peut être envisagée comme un moment de réflexion englobant la division sexuelle, sociale et internationale du travail. Par exemple, elle permet de questionner et de protester contre la taxe rose  [196], les conditions de travail des femmes au niveau international (par exemple, le travail des femmes et des enfants avec des salaires de misère dans de nombreux pays du Sud produisant des marchandises conçues exclusivement pour l’exportation), la dégradation environnementale et son rapport avec le processus d’accaparement des terres des populations paysannes et indigènes du Sud global  [197], ou la banalisation des stéréotypes sexistes dans les publicités et les médias.

269Un exemple de cette réflexion englobant la division sexuelle, sociale et internationale du travail surgit néanmoins au sein du Collecti.e.f 8 maars, après qu’a été contacté le Comité des femmes sans-papiers pour discuter de la grève et de la manifestation du 8 mars. Durant ces échanges, le Comité des femmes sans-papiers propose de s’occuper de l’élaboration et de la mise en vente de la nourriture et des boissons durant le rassemblement du 8 mars. En effet, eu égard à l’appel à une grève de la consommation, le Collecti.e.f 8 maars doit veiller à offrir des alternatives pour les personnes qui participeront au rassemblement. Certaines militantes du Collecti.e.f 8 maars sont donc prêtes à accepter la proposition du Comité des femmes sans-papiers. D’autres s’opposent à cette alternative, au motif qu’elle réduirait l’appel à la grève aux femmes avec papiers. Dans ce sens, l’arrêt du travail des femmes avec une nationalité ou un permis de séjour belge serait facilité par la mise au travail des femmes sans-papiers. Suite à une discussion interne, il est finalement décidé de déléguer ce travail au groupe des hommes alliés. Ceux-ci devront veiller à élaborer un menu sur la base des invendus alimentaires et de le proposer à un prix libre et solidaire. Les bénéfices récoltés seront destinés au Comité des femmes sans-papiers, dont les membres pourront ainsi être disponibles pendant cette journée de grève pour organiser une assemblée générale et prendre la parole durant le rassemblement.

270La grève des soins aux autres est également peu promue. Si les féministes du continent américain, d’Espagne ou d’Italie appellent à cette grève pour mettre l’accent sur la gratuité du travail ménager au bénéfice de la croissance économique, en Belgique l’appel ne met pas fortement en avant le lien entre travail salarié et travail gratuit. Le texte rédigé par le Collecti.e.f 8 maars invite les femmes à arrêter ce travail afin de profiter de la journée du 8 mars 2019 pour « prendre du temps pour soi-même »  [198]. De ce fait, l’appel à la grève des soins aux autres sera parfois interprété comme relevant du domaine de la vie privée, sans lien avec le système politique et économique.

9.6. La grève du 8 mars 2019

271Pour assurer la visibilité des quatre types de grève, le Collecti.e.f 8 maars organise un rassemblement durant toute la journée du 8 mars 2019 au Carrefour de l’Europe, devant la gare de Bruxelles-Central. Des assemblées thématiques sont mises en place, ainsi que des concerts et des prises de parole. C’est également de cet endroit que, à 17 heures, débute la manifestation organisée par la Marche mondiale des femmes, à laquelle participe le Collecti.e.f 8 maars en formant un bloc marchant derrière la bannière « Toutes en grève ». Cette mobilisation rassemble plus de 15 000 femmes selon les organisatrices. Des départs groupés vers la manifestation bruxelloise ont été organisés depuis Charleroi, Louvain et Namur. La manifestation dévie de son parcours prévu à partir de la Porte de Namur, où elle prend la petite ceinture jusque Trône. Elle se termine place du Luxembourg. À Anvers, un « Women’s Strike Festival » est organisé par le groupe local du Collecti.e.f 8 maars, avec concerts et prises de parole.

9.6.1 Grève du travail domestique

272Concernant la grève du travail domestique, l’enjeu principal du Collecti.e.f 8 maars est de rendre possible cet arrêt (d’autant que la grève a lieu en période de vacances scolaires) en s’assurant que des hommes prennent en charge ce travail indispensable. Ainsi, le groupe des hommes alliés du collectif assure une garderie pour les enfants ainsi que le ravitaillement des femmes présentes au Carrefour de l’Europe. Un autre enjeu est la visibilisation de cette grève : le Collecti.e.f 8 maars propose aux femmes qui souhaitent y participer d’accrocher à leur fenêtre des gants de vaisselles, un tablier et des affiches sur la grève.

9.6.2 Grève du travail rémunéré

273La grève du travail rémunéré est celle qui connaît le plus d’actions. La CNE organise un cortège de travailleuses du commerce qui traverse la rue Neuve derrière la bannière « Nous voulons 0 % d’écart salarial » et distribue des tracts relatifs à la situation des travailleuses du commerce. Quant à elle, la CGSP organise une assemblée ouverte de sa commission Femmes à 10 heures, avant un rassemblement place Saint-Jean à Bruxelles, où se tient un hommage à la résistante Gabrielle Petit, dont la statue est revêtue d’une écharpe mauve (couleur des mouvements féministes). La CNE rejoint le syndicat socialiste à ce rassemblement. Ensuite, CNE et CGSP arrivent ensemble au Carrefour de l’Europe  [199]. Le comité Femmes de la FGTB wallonne organise des états généraux féministes à Liège ; ensuite, elle rejoint la cycloparade, manifestation à vélo organisée par un ensemble large d’organisations. En Flandre, la CSC organise une action au Meir (rue commerçante d’Anvers) : elle distribue 311 fleurs aux travailleuses du commerce en référence à la commission paritaire 311, qui fait partie du secteur de la distribution (secteur dans lequel quatre travailleuses sur dix travaillent à temps partiel)  [200].

274Au Delhaize Mozart à Uccle, les travailleuses se mettent à l’arrêt de 8 à 10 heures. La déléguée syndicale à l’initiative de cet arrêt a participé à plusieurs assemblées du Collecti.e.f 8 maars. L’objectif de l’action est de dénoncer la pression à la flexibilité sur les contrats précaires, majoritairement occupés par des femmes. Concrètement, les femmes quittent leurs postes et seuls les hommes sont au travail (la plupart portant un signe de soutien envers leurs camarades en grève). Les travailleuses rejoignent ensuite la mobilisation à la gare de Bruxelles-Central  [201].

275Des actions ont lieu dans certains hôpitaux. En effet, dans ce milieu très féminisé, les travailleuses font le lien entre les revendications de la grève des femmes et celles du personnel soignant en faveur de plus d’effectifs et de financements. À Bruxelles, l’équipe des unités de soins intensifs du CHU Brugmann observe un arrêt de travail d’environ une heure durant le matin ; une trentaine de travailleurs sont présents à l’action. Au CHU Saint-Pierre, une mobilisation similaire a lieu sur le temps de midi. De manière générale, les syndicats soutiennent symboliquement la mobilisation via des banderoles ou des pin’s, ou en organisant des assemblées du personnel sur le sujet. La CNE organise également des piquets dans les hôpitaux de Gosselies, de Lobbes, de La Louvière (Jolimont), de Leuze-en-Hainaut (Saint-Jean-de-Dieu) et de Morlanwelz (Alises), au Centre hospitalier régional (CHR) de Mons et au Grand Hôpital de Charleroi.

276Un nombre important d’associations organise des piquets ou des actions de sensibilisation : Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11), Oxfam, Maison de quartier Bonnevie, Molenbeek vivre ensemble (Move), Caritas, Mission locale de Saint-Josse-ten-Noode, MOC et CSC à Aéropolis (Schaerbeek). Des travailleuses se déclarent en grève dans plusieurs associations : Garance, le Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles (GAMS), la Ligue des droits humains (LDH), Quinoa et Vie féminine. Il en va de même dans des théâtres : La Balsamine et le Théâtre 140 (tous deux situés à Schaerbeek). Le magazine Axelle se déclare en grève. Dans certains centres de planning familial, des travailleuses membres du Collecti.e.f 8 maars appellent à se mettre en grève.

277Des actions ont lieu dans les communes de Saint-Gilles et de Schaerbeek. Des employées et des stagiaires du Parlement européen se déclarent également en grève. À la STIB, un petit groupe de travailleuses portant une chasuble rose « Stibienne en route » se met en grève et distribue des tracts sur le réseau de transport en commun afin de dénoncer le sexisme dans la société de transports publics et les conditions de travail des femmes dans ce secteur.

9.6.3 Grève étudiante

278La grève étudiante est également bien suivie, même si la mobilisation est surtout centrée autour de l’ULB. Un piquet filtrant se tient de 9 heures à 11 heures et demie à l’entrée du campus et des cours sont levés. Un rassemblement est organisé sur le temps de midi, avec des discours des groupes de mobilisation des étudiantes, des chercheuses et des nettoyeuses ainsi que des prises de parole libres (slams, témoignages). C’est l’occasion d’établir des liens entre la grève du travail rémunéré et la grève étudiante. Après ce rassemblement, devant le Foyer de l’ULB, chercheuses et étudiantes décident d’aller devant le rectorat de l’université pour déposer leurs revendications au recteur et au vice-recteur en charge des politiques de genre, avant de rejoindre la manifestation nationale. À la VUB, un débrayage (« walkout ») est organisé sur le campus pour dénoncer le sexisme et la discrimination. À Louvain-la-Neuve, un groupe local du Collecti.e.f 8 maars relaie l’appel à la grève et organise une manifestation sur le temps de midi.

9.6.4. Autres actions

279À côté de ces actions de grève, de multiples mobilisations ont lieu. Un rassemblement est organisé à 14h30 par un collectif iranien devant les ambassades d’Iran et des États-Unis pour célébrer le quarantième anniversaire du soulèvement des Iraniennes contre la violence étatique, sociale et domestique envers les femmes  [202]. Il faut aussi mentionner l’action du Collectif de lutte anti-carcérale (CLAC), qui organise un rassemblement non mixte devant la prison de Forest en soutien aux détenues et aux femmes de détenus qui « doivent faire face, seules, au regard moralisateur de la société, aux difficultés du quotidien, à la diminution des revenus, à la précarité, à l’éducation des enfants »  [203].

9.7. Conclusion

280La grève du 8 mars 2019 est l’une des plus importantes mobilisations féministes que, à ce jour, la Belgique a connues au cours du XXIe siècle. Le nombre important de manifestantes en Région bruxelloise et la large couverture médiatique en témoignent. Ce succès inscrit la Belgique dans un mouvement mondial, considéré par certaines comme une « quatrième vague du féminisme »  [204]. Ce mouvement a bousculé les organisations syndicales et associatives, et il les a poussées à se positionner face à cet appel qui vise à transcender les frontières séparant la production et la reproduction, le personnel et le politique, les secteurs professionnels, les lieux de travail, les pays et les régions.

281En reprenant l’outil de lutte ouvrière par excellence, le mouvement féministe reconfigure la grève et lui donne un caractère international et global. Les féministes ne sont d’ailleurs pas les seules à réinvestir cet outil de lutte : le 15 mars 2019, quelques jours après la grève du 8 mars, une grève mondiale pour le climat a eu lieu.

282En montrant que « quand les femmes s’arrêtent, tout s’arrête », la grève comme mode d’action rend visibles les enjeux autour du travail des femmes et affirme une approche politique de la lutte féministe. Si cette tendance n’est pas neuve et a une longue tradition, elle est largement absente des discours médiatiques dominants, qui préfèrent souvent mettre en avant des enjeux de représentation ou des parcours individuels de femmes. Cette conception globale de la grève s’éloigne des visions syndicales. Centrés sur la défense des droits du travail salarié et ne concevant donc l’usage de la grève que dans le cadre du rapport salarial, la plupart des syndicats éprouvent d’ailleurs quelques difficultés à embrasser cette lutte. Or, que ce soit en Argentine, en Espagne ou en Pologne, le mouvement féministe de la grève internationale du 8 mars devance autant les syndicats que les associations féministes. Il n’est donc pas anodin que certains secteurs de ces organisations se sentent menacés par ce mouvement. Pour les associations féministes, cet événement fait irruption dans leurs agendas qui sont remplis à l’avance (ce qui est dû, notamment, aux modes de financement des associations, fondations et organisations non gouvernementales). L’impossibilité d’investir pleinement cet événement implique pour certaines une invisibilisation concernant leur travail voire, parfois, une perte du contrôle du mouvement. Pour certains secteurs syndicaux, l’appel à une grève de solidarité émanant d’une organisation non syndicale peut représenter une perte de contrôle sur le mouvement des travailleurs ainsi qu’une remise en question du monopole de cet outil de lutte. Il peut également générer une crainte quant aux risques d’édulcoration de celui-ci. Toutefois, l’appel du Collecti.e.f 8 maars et la dimension internationale du mouvement ont pu renforcer le travail que certaines femmes mènent depuis des années en interne pour une réelle prise en compte des droits des femmes par les syndicats.

Conclusion

283Les premiers mois de l’année 2019 ont été marqués par des processus socio-politiques qui ont influencé de manière significative le climat social, débouchant sur d’importantes mobilisations. Journées d’action, manifestations et grèves en ont été les expressions les plus courantes.

284Au premier trimestre, le nombre de jours de grève a connu, et de très loin, un niveau sans précédent depuis trois décennies : plus de 345 000 jours de grève ont ainsi été enregistrés au cours des trois premiers mois de 2019, loin devant les 275 000 jours recensés en 2012  [205] et des 215 000 dénombrés en 2001, soit les deux seules années jusqu’alors où le seuil de 200 000 jours de grève avait été franchi à la même période. Ce sont quatre fois et demie plus de jours de grève qui ont été observés durant ce trimestre que durant la moyenne des premiers trimestres des années 1991 à 2018 incluses  [206]. Par ailleurs, ce trimestre a concentré à lui seul 78,3 % du nombre total de jours de grèves enregistrés en 2019.

285Le contexte politique y est pour beaucoup. La préparation des élections européennes, fédérales, régionales et communautaires du 26 mai 2019, marquée par une période exceptionnellement longue d’affaires courantes à la suite de la chute du gouvernement fédéral en décembre 2018, a ouvert la voie à une série de mobilisations réclamant des engagements forts pour la législature suivante. Tel a bien entendu été le cas du mouvement, à bien des égards inédit, en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique, en particulier dans son volet organisé par des jeunes  [207]. Tel a aussi été le cas des mouvements qui ont marqué la justice et la santé. En outre, certaines mobilisations ont été lancées en réaction à des projets gouvernementaux, qu’ils soient fédéraux (sur les pensions de retraite) ou émanent d’une entité fédérée (le mouvement de grève du mercredi 20 mars 2019 des enseignants flamands s’opposant à un projet de décret), tout en donnant aux travailleurs et organisations mobilisés l’occasion de faire connaître leurs préoccupations et revendications pour la législature suivante (ainsi le personnel enseignant flamand attirait-il aussi l’attention sur la pression au travail, sur la pénurie d’instituteurs et sur le manque d’investissements dans l’enseignement).

286L’autre élément majeur de conflictualité expliquant le nombre record de jours de grève qu’a connu le premier trimestre 2019 est à chercher du côté des négociations menées par les interlocuteurs sociaux en vue de conclure un accord interprofessionnel (AIP) couvrant tous les travailleurs du secteur privé pour la période 2019-2020. Contestant une nouvelle fois la loi encadrant le volet salarial de cette négociation, les trois confédérations syndicales ont organisé en front commun une journée de grève nationale le 13 février 2019. Celle-ci a certes été diversement suivie, mais des secteurs majeurs de l’économie ont été fortement touchés (à titre d’exemple, le ciel belge a été complètement mis à l’arrêt). Cette action d’ampleur a permis aux syndicats d’affirmer avoir obtenu une révision du calcul de la marge salariale, la faisant passer de + 0,8 % à + 1,1 % en plus de l’indexation automatique des salaires et des hausses barémiques, sans toutefois déroger au cadre légal tel qu’il a été revu en 2017 sous l’impulsion du gouvernement fédéral Michel I (N-VA/MR/CD&V/Open VLD). C’est notamment l’intervention technique, et a priori inattaquable, du secrétariat du Conseil central de l’économie (CCE) sur la base des chiffres publiés par le Bureau fédéral du plan (BFP) qui a permis d’arriver à une réévaluation de la marge salariale sans remettre en cause la loi. Toutefois, le projet d’AIP adopté par le Groupe des dix le 26 février 2019 a été rejeté par les instances de la FGTB, qui l’ont jugé insuffisant. La négociation interprofessionnelle s’est poursuivie jusqu’à la fin de l’année sur certains dossiers précis, parfois d’une grande technicité, sans parvenir à un accord sur des sujets importants, tel le relèvement du salaire minimum. Mais elle n’a plus engendré de mouvement de masse et le front commun syndical s’est montré moins uni, des différences d’appréciation et l’approche des élections sociales prévues pour le mois de mai 2020 tendant à diviser parfois les organisations entre elles.

287Exprimée en nombre de jours de grève, la conflictualité a chuté drastiquement au cours des derniers trimestres de l’année. Globalement, elle s’est avérée plus importante dans le secteur public que dans le secteur privé, davantage même qu’au cours des années précédentes. En 2019, les grèves dans le secteur privé ont augmenté de + 3 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années, tandis que, dans le secteur public, la croissance a atteint + 25 %. Le secteur public représente plus du tiers du nombre total de jours de grève et il dépasse sur ce point le secteur du métal, qui arrive en deuxième position. Quoique significatives, ces données quantitatives ne disent pas tout sur la conflictualité sociale : manifestations, marches, pétitions, cartes blanches collectives, recours judiciaires, etc., le répertoire de l’action collective demeure large. C’est sur cette toile de fond que se sont inscrits quelques conflits remarquables qui ont émaillé l’année 2019 et sur lesquels ces deux livraisons du Courrier hebdomadaire sont revenues.

Des fonctions collectives de l’État sous tension

288La conflictualité dans les secteurs « publics » de la justice et de la santé, examinée dans le premier volume consacré à l’année 2019 (Courrier hebdomadaire n° 2473-2474), a été liée principalement à l’insuffisance de financement public des missions de service public, à la dégradation des conditions de travail qui en a résulté et à la difficulté d’accomplir correctement ces missions de service.

289Sans financement adapté, les réformes menées sous la responsabilité du ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), d’une part, et de la ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, Maggie De Block (Open VLD), d’autre part, ont été interprétées comme des portes ouvertes à la privatisation, confirmant une tendance de fond refusée par les professionnels concernés. Par exemple, les mutualités se sont insurgées face à la croissance des suppléments d’honoraires exigés lors des hospitalisations en chambre individuelle. Des infirmiers et infirmières ont fait publiquement état de leur épuisement et de leur tentation de quitter le métier. La dénonciation publique du manque de moyens dans les services est même venue de magistrats, et non des moindres, montrant les murs lépreux de certains locaux de la justice, des ordinateurs démodés ou inutilisables, des infiltrations d’eau touchant les dossiers. Le premier président de la Cour de cassation a lui-même pris la parole publiquement pour dénoncer cette situation.

290Dans aucun de ces deux secteurs, l’année 2019 n’a été l’année du déclenchement de mouvements sociaux, mais elle a été celle de l’exacerbation et de la mobilisation. En général, les périodes préélectorales ne sont pourtant pas propices à des mobilisations sociales de nature politique, les acteurs sociaux choisissant d’élaborer des mémorandums à l’adresse des futurs exécutifs plutôt que de donner l’impression de placer leur action au service de l’un ou l’autre parti politique en campagne. Tel n’a pas été le cas cette fois-ci dans le secteur de la justice. Avant les élections du 26 mai, une véritable campagne a été orchestrée par plusieurs acteurs du monde judiciaire de l’ensemble du pays à l’adresse du monde politique et de la population. Débutée en janvier, elle a pris de l’ampleur deux mois avant les élections sous le slogan « 66 jours pour sauver la justice ». L’originalité de cette campagne a tenu au fait qu’elle ne s’est pas limitée à rappeler l’importance de doter la justice des moyens nécessaires pour remplir sa mission : infrastructures adéquates, respect des cadres dans chaque juridiction et parquet, et développement du traitement informatique des dossiers. Elle a situé ces revendications dans leur contexte démocratique et de service public. L’enjeu de la mobilisation a été de rendre la gestion de la justice plus indépendante du gouvernement, mais aussi plus accessible, ce qui nécessite une maîtrise des coûts des procédures judiciaires.

291Ce mouvement politico-social a été large, rassemblant des organisations de magistrats, de greffiers et d’avocats, et les ligues francophone et néerlandophone des droits humains. Les syndicats interprofessionnels et sectoriels n’ont pas fait partie de ce large front, bien qu’ils soient très implantés dans certaines parties du département, notamment celui des prisons. Dans ces structures, les insatisfactions et les revendications ne manquent pas, mais elles diffèrent par le fond et par la forme des expressions des autres secteurs de la justice.

292C’est par une communication forte et innovante que le mouvement social s’est caractérisé, voulant mobiliser largement autour du slogan positif « L’État de droit, j’y crois ! ». Pétitions, mises en garde publiques émanant de hauts magistrats, actions en justice à l’encontre du gouvernement fédéral et menace de saisine du commissaire européen en charge de la Justice afin qu’il introduise un recours en manquement auprès de la Cour de justice de l’Union européenne. Clairement, il s’est agi d’un conflit offensif et d’une construction de rapport de force pour que tous les partis politiques, quelle que soit leur spécificité idéologique, fassent de la justice une priorité programmatique.

293Cette mobilisation semble avoir porté ses fruits. Résultant des élections du 26 mai 2019 et mis en place à l’automne 2020, le gouvernement fédéral De Croo (PS/MR/Écolo/ CD&V/Open VLD/SP.A/Groen) entend doter le budget structurel de la justice d’un demi-milliard d’euros supplémentaire, permettant ainsi d’engager de nouveaux juges et collaborateurs au sein du SPF Justice. La Régie des bâtiments devrait disposer de 250 millions supplémentaires pour rénover les palais de justice et les prisons. Les principaux acteurs du secteur de la justice ont marqué leur satisfaction, en particulier l’Ordre des barreaux francophones et germanophone (Avocats.be), qui avait été à la pointe du combat en 2019.

294Les prisons sont des institutions de justice qui connaissent des difficultés similaires en termes d’effectifs et d’infrastructures. Les conditions de travail et de vie pour les agents et les détenus sont dégradées à un point qui, à certains endroits, touche à l’indignité. Cette situation, doublée de la surpopulation carcérale endémique, a d’ailleurs fait l’objet d’une condamnation de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’homme.

295Les actions syndicales dans le monde carcéral n’ont pas été reliées aux mouvements des autres acteurs de la justice. Les agents pénitentiaires se sont trouvés isolés dans leur combat contre l’instauration d’un service minimum (ou service garanti) empiétant sur le droit de grève. Ce combat de principe s’est avéré très difficilement tenable dès le moment où la Belgique s’est vue condamnée, le 28 mai 2019, par la Cour européenne des droits de l’homme pour n’avoir pas organisé un service minimum lors d’une grève à la prison d’Ittre en 2016 et pour n’avoir ainsi pas respecté l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe. La difficulté à construire une conciliation entre les droits fondamentaux des détenus et le droit de grève des agents – difficulté ancienne et qui a conduit à la condamnation de l’État belge à plusieurs reprises, sur la scène judiciaire tant nationale que supranationale – explique l’adoption de la loi du 23 mars 2019 imposant un service minimum dans les prisons. Sur ce point, les professionnels de la justice n’ont pas pu dégager des positions convergentes.

296La mobilisation dans le secteur de la santé présente des similitudes incontestables avec la précédente. Il s’est agi de protester contre l’insuffisance du financement de l’ensemble du secteur. La norme de croissance des soins de santé décidée par le gouvernement Michel I a été nettement réduite, passant de + 3,5 % à + 1,5 % par an, imposant par là des économies estimées à 2,6 milliards d’euros sur l’ensemble de la législature fédérale  [208]. Comme dans le secteur de la justice, cette politique d’austérité a été jugée néfaste par les professionnels, tant pour la qualité des soins que pour les conditions de travail (cadences, flexibilité, sous-effectif).

297Alors que les organisations syndicales étaient absentes des mobilisations dans le secteur de la justice, hormis dans le champ pénitentiaire, elles ont été actives dans le secteur de la santé, où le salariat est davantage présent et la syndicalisation du personnel soignant plus importante. Toutefois, le mouvement de contestation dans le secteur ne s’est pas limité à sa seule opposition au gouvernement fédéral. Il s’est aussi adressé à la direction des hôpitaux, tant publics que privés.

298La conflictualité a pris des formes tantôt classiques, tantôt innovantes. Classique a été le mouvement de grève au sein du CHU Brugmann en février 2019, organisé en front commun syndical pour s’opposer à la diminution des effectifs, protester contre la dégradation des conditions de travail et revendiquer des hausses salariales et une couverture totale des frais de déplacement. Classique aussi est apparue la grève du 2 juin menée également en front commun syndical dans l’ensemble du réseau IRIS rassemblant cinq hôpitaux publics répartis sur onze sites différents en Région bruxelloise. Les revendications y ont aussi porté sur la revalorisation des salaires et sur l’amélioration des conditions de travail. Plus originale a été la volonté d’élargir le mouvement en créant une coordination rassemblant tout le personnel de santé de l’ensemble du pays. En juin, le « mardi des blouses blanches » a débuté à l’initiative de la CNE, la centrale francophone des employés du syndicat chrétien. La protestation s’est étalée sur les quatre mardis de juin 2019, contre la détérioration des conditions de travail et la non-application de l’accord du non-marchand du 25 octobre 2017. En beaucoup d’endroits, des actions symboliques ont été menées avec un grand impact médiatique, ce qui a poussé le front commun à se constituer aussi dans le secteur privé. En septembre, le mouvement des mardis s’est étendu pour déboucher, le 24 octobre, sur une grève dans tout le secteur privé en Wallonie et en Région bruxelloise à la suite du blocage persistant au sein de la commission paritaire des établissements et services de santé.

299Parallèlement à cette mobilisation syndicale, une coordination s’est mise en place pour forger un mouvement de contestation « dépassant la mainmise des structures syndicales traditionnelles »  [209] et visant à étendre le mouvement à l’ensemble des travailleurs et travailleuses du secteur (personnel soignant, techniciens, personnel administratif, brancardiers ou encore autres professions comme les pompiers). Le mouvement La Santé en lutte ne s’est pas positionné comme acteur alternatif aux organisations syndicales mais a voulu agir dans le sens d’une plus grande interprofessionnalisation et d’une radicalisation et en faveur d’une convergence avec d’autres mouvements sociaux de lutte contre le racisme ou le sexisme. À l’instar du secteur de la justice, l’ensemble des actions sociales a porté ses fruits ; en l’occurrence, la mobilisation a contribué à la création d’un « fonds blouses blanches » de 67 millions destiné au recrutement de personnel infirmier supplémentaire  [210].

Des restructurations lourdes, présentes et à venir

300Pour l’examen de la situation sociale en 2019 dans le secteur privé de la production de biens matériels et de services présenté dans le second volume (Courrier hebdomadaire n° 2475-2476), trois entreprises ont particulièrement retenu l’attention. Elles donnent certes un échantillon disparate et non représentatif de l’économie nationale ou régionale, mais elles montrent à quel point les structures de propriété sont historiquement et géographiquement hétérogènes.

301C’est dans un contexte de restructuration lourde – en cours, dans le cas de l’entreprise sidérurgique Novolipetski Metallourguitcheski Kombinat (NLMK) et des Éditions de l’Avenir, ou à venir, en ce qui concerne Ryanair – que ces conflits sociaux se sont déroulés.

302Dans les cas de NLMK et des Éditions de l’Avenir, les syndicats ont pris la main sur les dossiers et sur la tournure des conflits en se référant essentiellement à la procédure Renault qui, en cas de fermeture ou de volonté de l’entreprise de licencier une part conséquente du personnel, ne permet pas l’application immédiate d’une décision de licenciement, mais impose des étapes formelles de concertation pour examiner des alternatives économiques et des modalités sociales de réduction de l’emploi.

303Par son comportement sur le marché européen, la compagnie irlandaise Ryanair a été un acteur majeur de la reconfiguration du secteur du transport aérien de passagers en Europe. Au cours des trente dernières années, elle a connu une croissance fulgurante sur fond de dérégulation du secteur. C’est une entreprise « innovante » qui a réussi à se positionner sur le marché continental avec une fiscalité nationale (irlandaise), à faire payer les régions pour baisser le prix de ses tickets et engendrer d’importants bénéfices, à se soustraire aux instances sectorielles de concertation sociale, à éviter les conventions collectives et à déclasser tout son personnel (en termes de conditions de travail, d’horaires ou de salaires), y compris la profession autrefois prestigieuse de pilote de ligne. En Wallonie, Ryanair occupe une position ultra-dominante vis-à-vis de l’aéroport de Charleroi, dont l’essentiel de l’activité découle de la présence de cette compagnie low cost.

304Devenue une des compagnies les plus importantes du continent européen, Ryanair a été constamment amenée par sa recherche du profit maximal à jouer avec les règles et les pratiques à l’œuvre dans le secteur, voire à les transgresser si nécessaire. Son comportement, que l’on aurait jugé inimaginable au temps de la régulation et des compagnies étatiques, est devenu structurant dans le sens où ses résultats et ses pratiques ont pesé et pèsent encore sur l’évolution de l’ensemble du secteur du transport aérien de passagers. Ryanair est une compagnie observée et même jalousée par de nombreux managers. Sa réussite économique et financière a notamment contribué à la diffusion des pratiques low cost dans l’ensemble du secteur.

305Jusqu’aux actions de grève de 2018, le régime de mobilisation des travailleurs mis en place par la direction de Ryanair se caractérisait entre autres par l’usage de contrats de travail enregistrés en droit irlandais, quel que soit le lieu de prestation sur le continent européen, par le recours à du personnel de bord recruté sur des marchés du travail dévastés par les crises économiques et offrant peu de perspectives à des jeunes peu diplômés, par une forte flexibilité du temps de travail en raison notamment des pics saisonniers, par le recours à la pression et à la « peur » pour faire accepter l’ordre managérial, et par un antisyndicalisme hautement revendiqué. Chaque région concernée devant une part de son activité, de ses emplois et de son développement à la compagnie aérienne, et ayant de surcroît consenti des investissements pour l’accueil de passagers, il s’est créé autour de l’opérateur aérien une sorte de crainte silencieuse. La dépendance de certaines économies régionales vis-à-vis de la compagnie est telle que très rares sont les décideurs politiques qui ont osé ouvertement s’opposer à elle et à son miroir aux alouettes de la démocratisation de l’espace aérien.

306Jusqu’en 2018, le combat a surtout pris la forme d’actions juridiques entamées devant des tribunaux de l’un ou l’autre pays d’Europe au cours des années précédentes. Les juridictions saisies se sont parfois déclarées incompétentes (les employés ayant signé des contrats irlandais), mais ont aussi parfois mis en cause la responsabilité de l’employeur, pointant même à l’occasion l’illégalité de certaines pratiques sociales et de certains systèmes appliqués par la compagnie. Celle-ci en a peu tenu compte. Sa stratégie a surtout consisté à contre-attaquer systématiquement les décisions qui lui étaient défavorables. Cette « guérilla judiciaire » lui a permis de gagner du temps, et donc de continuer à engranger des bénéfices et de poursuivre son développement.

307L’année 2018 a été marquée par un important conflit social porté par les personnels de cabine et de cockpit ; ce conflit a été fondamentalement offensif, dans un contexte favorable aux travailleurs en raison notamment d’une activité aérienne très soutenue et de perspectives de croissance phénoménales. Ce mouvement a permis au personnel et aux organisations syndicales qui se sont impliquées dans la lutte d’engranger certaines avancées dont, en Belgique, la reconnaissance de l’acteur syndical et l’usage de contrats de droit belge. L’année 2019 a été la première à voir se concrétiser ces gains obtenus de haute lutte, ce qui s’est traduit par une augmentation significative de la part salariale dans les coûts de la compagnie. Cependant, la dynamique sociale naissante s’est heurtée à la dégradation voire à l’inversion du rapport de force, suite au retrait inattendu des appareils Boeing 737 Max. Alors que, quelques mois auparavant, la direction de Ryanair était confrontée à une pénurie de pilotes, elle s’est subitement trouvée, tant en interne que vis-à-vis du marché du travail, face à des sureffectifs. Elle a géré cette crise en annonçant son intention de fermer des bases et de licencier du personnel. Certaines avancées sociales obtenues en 2018 s’en sont trouvées partiellement remises en question. En Belgique, Ryanair a aussi été accusée de ne pas jouer correctement et sincèrement le jeu de la négociation sociale.

308Il est d’ailleurs permis de s’interroger sur la possibilité de parvenir à des relations sociales « équilibrées » au sein de la compagnie Ryanair, du moins tant que Michael O’Leary restera à la manœuvre. Une autre possibilité serait que l’acteur politique intervienne plus directement dans le dossier Ryanair. Mais, de ces deux côtés, rien ne semble indiquer de changement à court terme. Autrement dit, Ryanair devrait encore défrayer la chronique sociale dans les années à venir.

309Dans le secteur sidérurgique, le cas des installations de NLMK dans les provinces de Brabant wallon et de Hainaut soulève une question fondamentale : constituent-elles une queue de comète de la sidérurgie wallonne, à laquelle est associé le pouvoir public wallon depuis les années 1970, ou peut-on encore les considérer comme des outils industriels de valeur pour le développement régional ? Les noms Boël Industrie et Forges de Clabecq sont oubliés, l’épisode Duferco est bouclé, c’est maintenant avec le groupe russe NLMK qu’il faut préparer l’avenir d’un secteur qui fabrique encore des tôles et plaques pour la construction, l’industrie et l’automobile. La Région wallonne, au travers de la Société wallonne de gestion et de participations (SOGEPA), est présente au capital à raison de 49 % – participation qui était de 25 % au début de la décennie. Bien qu’elle soit qualifiée à juste titre de secteur lourd, la sidérurgie fait l’objet de décisions rapides, de plus en plus proches des variations des marchés.

310Les travailleurs disposent d’une gamme de moyens assez réduite en cas de conflit portant sur les choix stratégiques de la direction. Sur les enjeux de proximité, comme la politique de sécurité et de prévention des accidents, la délégation syndicale peut intervenir de manière plus concrète, comme elle l’a montré au cours de l’année 2018. Avec l’annonce d’une réduction forte de l’emploi, la direction disait s’adapter au marché, purement et simplement, sous peine de devoir abandonner le site de La Louvière. L’issue du conflit – une atténuation de la restructuration, mais pas son annulation – ne réservant aucune surprise, il y a lieu de s’interroger sur quelques particularités des événements. Comment expliquer la relative « passivité » des syndicats devant ces événements alors que, sur le terrain, une mobilisation réelle a eu lieu, dépassant même les positions des délégués de l’usine ? Des débordements comme l’incendie des voitures et la présence de soutiens extérieurs jugés indésirables constituent sans doute une part d’explication dans le fait que les représentants syndicaux sont restés fidèles à la procédure Renault et ont même toléré tacitement l’organisation d’un référendum d’initiative patronale. Les appareils syndicaux ont aussi rapidement perçu qu’ils ne trouveraient pas l’appui de la Région wallonne. Celle-ci ne semble avoir d’autre choix que de retarder des échéances et de rester aux côtés des opérateurs qui peuvent décider de continuer à produire, en fonction des opportunités restantes.

311Aux Éditions de l’Avenir, l’ancrage est plus que centenaire : l’actionnariat a vu se succéder familles notables, évêché de Namur et intercommunale publique liégeoise, avec un passage par un groupe de presse flamand. La survie du groupe est en jeu depuis plusieurs années, avec pour causes la baisse du lectorat et de la recette publicitaire, l’emprise des médias électroniques et la passivité gestionnaire de l’actionnaire à 100 %, Nethys, filiale d’une intercommunale déployée au départ du secteur rentable de l’électricité en zone liégeoise. À ce jour, on ignore toujours pourquoi le très controversé CEO de Nethys, Stéphane Moreau, a voulu acheter les Éditions de l’Avenir pour ensuite ne pas trop s’en préoccuper. Jusqu’au jour de 2018 où les pertes ont été jugées excessives et où une restructuration a paru inévitable.

312L’épilogue de cette crise n’est pas survenu en 2019, mais cette année a vu se dérouler une bataille confuse pour trouver une issue, sur fond de tempête chez l’actionnaire, le CEO étant finalement écarté au profit d’un triumvirat réputé proche du gouvernement wallon. Le conflit aux Éditions de l’Avenir a été saisissant à plus d’un titre. Il a fait apparaître l’entêtement de Nethys à vouloir garder le contrôle sur la société en dépit de l’analyse et de la vision de tous les analystes du marché et de la volonté des autorités wallonnes à la suite des recommandations émises par le Parlement wallon après l’affaire Publifin. Se sont fait entendre des expressions politiques de tous bords sur le conflit et les choix de l’actionnaire, notamment à travers les auditions et débats organisés dans les Parlements wallon et de la Communauté française et par le biais de l’adoption de résolution par ces assemblées. La procédure Renault s’est poursuivie malgré les événements variés touchant l’actionnaire et les repreneurs potentiels. Les journalistes ont impliqué dans leur combat le lectorat du journal en utilisant les pages mêmes de celui-ci. Dans ce cadre, une coopérative associant les rédacteurs et les lecteurs pour participer au capital d’un nouveau projet a été lancée. Enfin, le conflit a mis en évidence des problèmes quant à la représentation des rédacteurs, ceux-ci se référant surtout à une charte garantissant l’indépendance rédactionnelle et voulant appuyer ce nouveau projet.

313Finalement, sur le marché étroit et en perte de vitesse que constitue le lectorat belge francophone, les Éditions de l’Avenir ne pouvaient échapper à la reprise par un opérateur existant, en tentant d’établir des complémentarités. Une procédure de mise en vente a été définie par l’actionnaire, lui-même restructuré. C’est le groupe IPM, éditeur des journaux La Libre Belgique et La Dernière Heure, qui a repris en 2020 les Éditions de l’Avenir expurgées de leur appendice publicitaire, en perte. L’avenir du quotidien régional demeure toutefois incertain. Pourra-t-il retrouver un lectorat assez large ? Et les rédactions de L’Avenir et des deux autres quotidiens pourront-elles se compléter sans que cela passe par une casse sociale ?

Précariat en lutte

314L’année 2019 a aussi été marquée par des luttes emblématiques de travailleurs et de travailleuses précaires qui vivent des situations où la mobilisation est particulièrement difficile à organiser en raison de différents facteurs : fragmentation du travail, conditions de vie pénibles  [211], statuts souvent hybrides, contrats de travail majoritairement à temps partiel, salaires flirtant avec le seuil de pauvreté, ou encore syndicalisation faible et obstruée par des attitudes hostiles d’une frange du patronat. La protestation des travailleurs et travailleuses précaires s’est manifestée en 2019 dans des secteurs d’activité relativement nouveaux et en pleine croissance : le secteur des titres-services, d’une part, et celui des coursiers, d’autre part. La lutte contre le « précariat » a aussi constitué la première revendication d’un mouvement plus large porté par un collectif de femmes qui ont relié précarité économique, inégalité salariale, travail non rémunéré et domination patriarcale.

315C’est en front commun que les travailleuses  [212] du secteur des titres-services se sont mobilisées pour obtenir une hausse salariale de + 1,1 %, conformément à la norme adoptée à la suite de la conclusion d’un projet d’AIP. Les employeurs du secteur n’entendaient leur concéder que le paiement d’éco-chèques correspondant à une hausse de + 0,6 % de leur salaire net, à savoir 65 euros sur deux ans. Face à la position intransigeante de certaines composantes du patronat, une série d’actions, non seulement classiques mais aussi originales, se sont succédé en novembre et en décembre 2019 ; elles se sont poursuivies en 2020, des tentatives de médiation n’ayant pas abouti. Ce conflit social long et dur, inédit par la mobilisation sans précédent des travailleuses du secteur qu’il a impliquée, a finalement débouché sur un accord sectoriel  [213]. La détermination des travailleuses, le soutien des organisations syndicales en front commun et une certaine couverture médiatique ont été favorables à la cause de l’action.

316Une autre catégorie de travailleurs précaires s’est aussi fortement mobilisée en 2019. Il s’agit des coursiers. Des points communs sont à identifier entre les actions de ces derniers et celles des travailleuses du secteur des titres-services. Les deux ensembles d’actions ont visé des hausses du montant des rémunérations et des améliorations des conditions de travail. Dans les deux cas, les attitudes patronales ont été particulièrement fermées à toute perspective d’amélioration de la situation des travailleurs du secteur. Il y a cependant des différences à souligner, dont la plus importante concerne le statut des travailleurs. Dans le secteur des titres-services, les revendications n’ont pas porté sur le statut qui, même très précaire, est celui de salarié auquel sont adossés des droits à la sécurité sociale. En revanche, pour les coursiers, la question du statut est loin d’être négligeable puisqu’ils sont soit salariés, soit indépendants, soit dans un statut particulier ; ce dernier, dénommé peer-to-peer (P2P), n’ouvre quasi aucun droit à la protection du travail et à la sécurité sociale. Les organisations syndicales ont été très présentes dans ces deux mobilisations. Dans le cas des coursiers, la CSC a défendu aussi la cause des indépendants à travers son agence « United Freelancers », tandis que c’est en front commun qu’une grève a été enclenchée à Gand par les coursiers de Deliveroo, plateforme qui a concédé une augmentation des rémunérations deux semaines après le départ du mouvement. Comme dans le secteur de la santé, une coordination d’actions s’est constituée à travers le Collectif des coursier.e.s, collectif autonome auquel participent des représentants syndicaux de la CSC et de la FGTB. C’est ce collectif qui a élaboré un cahier de revendications arbitrant et articulant des exigences en termes de rémunérations, d’une part, et en termes de statut  [214], d’autre part. La question est complexe étant donné que l’activité de coursier est pour certains une activité principale et pour d’autres un petit travail complémentaire, par exemple durant les études. Certains sont salariés d’entreprises de livraison, d’autres travaillent comme « auto-entrepreneurs » liés à des plateformes de livraison de repas telles que Deliveroo et Uber Eats. Remarquable aussi est l’intégration de ce mouvement dans une dynamique internationale à travers la Fédération transnationale des coursiers (FTC) mise sur pied en octobre 2018 et rassemblant soixante collectifs et trente syndicats dans douze pays.

317Les actions du Collecti.e.f 8 maars mis sur pied à la fin de l’année 2018 s’inscrivent sans conteste dans ce mouvement de lutte contre le précariat. « Assez de la précarité économique organisée, qui nous maintient dans les temps partiels, dans des métiers dévalorisés, faisant de nous des travailleuses pauvres et dépendantes. Assez de l’inégalité salariale, des retraites tardives et des pensions de misère. Assez des allocations inaccessibles, insuffisantes et inadaptées ». Telles sont les deux premières expressions de protestation inscrites dans le manifeste de ce collectif, rendu public en janvier 2019. L’originalité et l’ambition de ce mouvement ont été de s’inscrire dans une perspective féministe d’opposition à la domination patriarcale dont l’une des manifestations est le travail invisible et non rémunéré des femmes alors qu’il remplit une fonction indispensable au développement économique  [215]. En phase avec ce manifeste, le collectif s’est donné comme objectif de lancer une grève des femmes pour ancrer l’action dans la lutte sociale et faire de la journée du 8 mars un moment, non pas de célébration de la femme, mais d’expression et de revendication de ses droits dans le domaine du travail rémunéré ainsi que dans les domaines des soins aux personnes, des études et de la consommation. Le succès de la mobilisation a incontestablement été au rendez-vous à travers des actions diversifiées, surtout dans le domaine du travail rémunéré et des études. Avec les associations féministes, les organisations syndicales ont contribué à ce succès, notamment quand il s’est agi de déposer un préavis de grève et de qualifier l’action de « grève de solidarité » (même si, sur ce dernier point, les avis des organisations syndicales ont été divergents).

Conflictualité professionnelle et politique

318L’analyse des conflits sociaux en 2019 indique des similitudes avec les précédentes analyses, particulièrement celle de 2018. Les actions de protestation et de mobilisation se manifestent de façon extrêmement variée, ce qui rend complexe une lecture qui se voudrait commune. Tentons cependant l’exercice.

319Tout d’abord – mais cela devrait sans doute être confirmé par une prise en compte d’un nombre plus important de conflits que ceux qui ont été décrits dans ces deux livraisons du Courrier hebdomadaire –, la conflictualité se fait de plus en plus longue avant qu’une solution puisse se dégager. Plusieurs facteurs expliquent cela. Les rapports de force se durcissent de part et d’autre, et le temps de la concertation s’allonge. La procédure Renault est là pour organiser les temporalités en cas de restructuration lourde, mais cela ne suffit pas nécessairement. Tant à NLMK qu’aux Éditions de l’Avenir, les organisations syndicales ont été contestées par une partie des travailleurs qui ont trouvé qu’en agissant au sein de la procédure Renault, les syndicats étaient contraints d’adopter une position trop défensive. Ces deux cas sont emblématiques d’une tension entre les représentants syndicaux et leur base quant à la stratégie à adopter lorsqu’une procédure d’information et de concertation vient « formater » le jeu des acteurs.

320Ensuite, on peut relever que la distinction classique entre action professionnelle et action politique présente des limites et on le vérifie bien à la lumière des cas analysés. La plupart des conflits ont eu une dimension politique, variable selon les cas mais bien réelle.

321La grève nationale organisée le 13 février en front commun a certes visé à obtenir des concessions du patronat dans le cadre de la négociation alors en cours d’un AIP. En particulier, l’établissement d’une norme salariale à + 0,8 % sur deux ans (en plus de l’indexation et des hausses barémiques) paraissait inadmissible aux organisations syndicales. Mais en réalité, cette action de grande ampleur s’est adressée tout autant au gouvernement fédéral, dont les partis membres ont fait adopter en 2017 la loi qui a conduit le secrétariat du CCE à fixer ce chiffre comme maximum en raison des critères de calcul établis par le législateur.

322La contestation dans le secteur de la justice a mis en évidence le fait que l’interlocuteur principal voire unique (les agents pénitentiaires ne se sont guère adressés aux directions d’établissement) des acteurs mobilisés est le gouvernement fédéral. Et les revendications ont pris un tour politique puisqu’elles visaient à peser sur les décisions d’investissement du futur gouvernement ou contestaient la décision de celui en place d’instaurer un service minimum en cas de grève des agents pénitentiaires.

323Dans le secteur de la santé, des arrêts de travail ont eu lieu dans plusieurs hôpitaux pour exiger des directions des revalorisations salariales, de meilleures conditions de travail ou un respect des conventions. Mais l’action du mouvement La Santé en lutte a apporté au conflit dans le secteur une dimension politique à travers la revendication première et globale de refinancement de la politique de santé.

324Dans le dossier NLMK, la dimension politique s’est également avérée présente puisque la Région wallonne, à travers la SOGEPA, a soutenu de facto le plan de restructuration de la direction tout en tentant de jouer un rôle de conciliateur.

325Aux Éditions de l’Avenir, le conflit professionnel lié à une restructuration a rapidement pris une connotation politique quand les revendications ont porté sur la sortie des Éditions de l’Avenir du giron de Nethys, holding dépendant lui-même d’une intercommunale, et sur un soutien public de la Région wallonne à un projet alternatif associant la coopérative de journalistes et de lecteurs.

326Elle non plus, la mobilisation des coursiers ne s’est pas limitée à poser des revendications salariales. Elle s’est traduite, sur le plan national, par des interpellations sur les statuts de ces travailleurs (en particulier sur le statut spécifique peer-to-peer) et, au plan international, par le positionnement sur le projet de directive européenne relative aux travailleurs des plateformes.

327Enfin, la grève du 8 mars est l’expression politique d’un mouvement féministe ambitionnant d’aller au-delà de revendications ponctuelles à l’égard du patronat ou des gouvernements pour œuvrer à une transformation profonde de la société.

Hétérogénéité des acteurs et constitution de collectifs

328L’examen des conflits sociaux remarquables qui se sont déroulés en 2019 confirme par ailleurs les deux phénomènes que sont, d’une part, l’hétérogénéité des intervenants et de leurs façons d’agir et, d’autre part, la constitution de « collectifs » censés globaliser une revendication et faire converger autant que possible les démarches des acteurs.

329L’hétérogénéité des acteurs est liée à la spécificité des secteurs ou entreprises au sein desquels le conflit s’enclenche. Dans le secteur de la justice, ce sont les acteurs du monde judiciaire qui ont mené le conflit face au gouvernement fédéral. De leur côté, les organisations syndicales se sont battues, en vain, pour empêcher l’instauration d’un service minimum en cas de grève dans les prisons. Même si l’interlocuteur était le ministre de la Justice dans les deux cas, on ne peut évoquer dans ce secteur une convergence des actions. Au contraire même, le service minimum étant considéré par les syndicats comme une atteinte au droit de grève alors que, pour des acteurs du monde judiciaire tel que l’Ordre des barreaux francophones et germanophone, il incarne une façon d’éviter une dégradation des conditions de vie dans les prisons, déjà inacceptables sans cela. Dans le domaine de la justice, il n’a dès lors pas été possible d’établir la coordination des démarches initiées par les professionnels des tribunaux et la lutte des agents pénitentiaires. Il n’empêche que, au final, le montant global des moyens affectés au secteur (et donc à l’emploi) est la clé de résolution des conflits.

330Aux Éditions de l’Avenir, les organisations syndicales n’ont pas été les seules à s’opposer à la direction puisque l’Association des journalistes professionnels (AJP) et la Société des rédacteurs (SDR) ont participé au conflit avec détermination. Une convergence des actions s’est établie dès l’annonce de la restructuration, mais elle a progressivement fait place à des tensions, portant sur la stratégie à mener, entre les employés syndiqués et les rédacteurs. L’objectif de limitation de la « casse sociale » a prévalu chez les syndicats, alors que l’AJP et la SDR consacraient leur énergie à des fins plus politiques : détacher le journal du groupe Nethys, garantir l’indépendance de la rédaction, œuvrer à un nouveau projet. En mode défensif, les syndicats ont respecté les étapes de la procédure Renault ; en mode plus offensif, les rédacteurs ont opté pour la médiatisation du conflit, l’interpellation politique et la recherche de solidarités externes.

331L’autre phénomène à souligner a été l’active présence de « collectifs » ou de regroupements d’organisations qui ont lancé ou soutenu des actions pour créer un meilleur rapport de force. L’État de droit, j’y crois !, La Santé en lutte, le Collectif des coursier.e.s et le Collecti.e.f 8 maars ont avancé des positionnements nouveaux dans le développement de conflits, avec des dimensions plus interprofessionnelles et politiques et en attachant de l’importance à la médiatisation de leurs motivations. Ils ont engrangé quelques premiers succès, certes réduits au regard des enjeux soulevés.

332On observera que les syndicats n’ont pas été à la base de ces formes d’extension des luttes. S’ils ne les ont pas rejetées, ils n’ont en revanche pas cherché à s’y investir massivement. Dans certains cas, ils s’y sont ralliés mais, dans d’autres cas, ils sont restés à l’écart des collectifs, quand ceux-ci ne les ont pas carrément laissés sur la touche.

333Malgré l’approche des élections sociales initialement prévues en mai 2020 (et finalement reportées à novembre 2020 en raison de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19), l’année 2019 n’a pas été marquée par de grosses divisions du front commun syndical. Dans tous les cas analysés, les composantes de la CSC et de la FGTB ont choisi une cause et une démarche communes. Néanmoins, des tensions ont pu se faire jour en raison de différences d’appréciation entre les confédérations syndicales et leurs représentants et militants, que ce soit sur le terrain ou dans des négociations d’entreprise, sectorielles ou interprofessionnelles.

La dimension internationale des conflits

334Déjà relevée comme un fait marquant en 2017 et 2018, la dimension internationale de certains conflits sociaux s’est confirmée. Elle fait notamment suite à la mondialisation de l’activité économique et à la course concurrentielle qui caractérise celle-ci.

335Entreprise emblématique, Ryanair semble indiquer « jusqu’où on ne peut pas aller trop loin » en matière de politique de gestion du personnel. Le mouvement revendicatif, la bataille juridique et l’embryon de débat politique qui touchent cette entreprise semblent toutefois n’être que le tout début d’une nouvelle approche des rapports sociaux qui pourrait s’instaurer chez les opérateurs mondiaux.

336L’action des coursiers, inscrite dans une démarche européenne, relève de la même problématique. Les coursiers sont le dernier maillon, fragile, d’une chaîne économique mondiale qu’aucun pouvoir politique n’est capable d’encadrer à ce stade. Le recours au droit européen, existant ou à créer, en est à ses débuts.

337Le champ européen devient pertinent pour des thèmes importants auxquels sont reliés des conflits divers. La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a pesé sur le conflit dans les prisons lorsqu’il a fallu arbitrer entre le droit de grève des agents pénitentiaires et le traitement humain des prisonniers. Ladite convention a également été invoquée dans le conflit des Éditions de l’Avenir pour assurer aux journalistes l’accès aux réseaux sociaux. Quant au mouvement féministe, il est lui aussi internationalisé, disposant encore de connexions certes fragiles sur le plan organisationnel, mais s’appuyant sur une expérience forgée dans tous les pays.

338Enfin, on peut souligner que la règle budgétaire européenne portant sur l’endettement public est restée un phare des pouvoirs publics belges, même si, de facto, ceux-ci devaient constater que le cap fixé était intenable. La gestion globale de la société par une approche purement budgétaire a été régulièrement critiquée. En phase longue de réduction des moyens publics dans les domaines régaliens et sociaux, les gouvernements n’ont pas été en mesure de déterminer un horizon, ou plutôt une limite à cette politique dont la population ne voit pas les fruits. Chaque restriction a semblé lourde de la suivante. Sans que l’on puisse en deviner le moment, des mouvements – sociaux et/ou politiques – inattendus voire préoccupants peuvent naître du manque de perspectives. D’autres pays européens en ont été marqués en 2019. Et la crise ouverte par la pandémie de Covid-19 au début de l’année 2020 a aussi montré les faiblesses des processus de mondialisation de l’économie et les failles d’États obnubilés depuis des années par la réduction de l’intervention publique.

Annexe : les jours de grève en 2019

339La présente annexe donne un bref aperçu des données relatives aux grèves en 2019. Sur le plan formel, ces données sont un « dérivé » d’une procédure administrative placée sous la responsabilité de l’Office national de la sécurité sociale (ONSS) depuis 2002. Les données de l’ONSS relatives aux grèves – données qui sont officieusement disponibles depuis 1991  [216] – sont publiées dans la « brochure bleue », publication annuelle qui renseigne sur les périodes assimilées des travailleurs assujettis à la sécurité sociale  [217].

340En 2019, l’on a dénombré 442 311 jours de grève, ce qui revient à 107 jours de grève par 1 000 travailleurs (cf. Tableau A1). Ce nombre se situe à peu près au même niveau que celui de l’année précédente. L’année 2019 s’inscrit dès lors au-dessus de la moyenne en termes de grèves. Depuis 1991, seules les années 1992 (112 jours de grève), 1993 (299), 2001 (135), 2005 (187), 2014 (221) et 2016 (124) ont connu davantage de jours de grève. En 2019, ce dépassement de la moyenne est entièrement imputable au premier trimestre. Plus de trois quarts (78,3 %) du nombre total de jours de grève ont été recensés pendant celui-ci. Avec 346 303 jours de grève, l’on a même alors atteint un record : aucun autre premier trimestre n’avait obtenu un tel score depuis la nouvelle série de données  [218]. Les trois autres trimestres de 2019 se situent sous la moyenne de la période ; le deuxième trimestre est juste au-dessus de la médiane.

Tableau A1. Nombre de jours de grève par trimestre et par année (2015-2019)

Tableau A1. Nombre de jours de grève par trimestre et par année (2015-2019)

Tableau A1. Nombre de jours de grève par trimestre et par année (2015-2019)

Remarques :
- Suite à quelques différences minimes, le total diffère parfois de la somme des trimestres.
- Ruptures temporelles en 2003 et 2013 (qui influencent la médiane et la moyenne).
Sources : ONSS (statistiques en ligne) ; Brochure bleue, ONSS.

341La grève nationale du 13 février 2019 pour l’augmentation du pouvoir d’achat, et donc pour une norme salariale plus élevée, explique en grande partie ce nombre élevé de jours de grève au premier trimestre, ce qui lui donne des allures de grève générale modérée. L’insatisfaction des travailleurs face à l’absence d’amélioration significative du pouvoir d’achat avait déjà commencé à se manifester en 2018. Cette grève du 13 février a également marqué le déplacement partiel du centre de gravité du mouvement de grève sous les gouvernements fédéraux Michel I (N-VA/MR/CD&V/Open VLD) et Michel II (MR/CD&V/Open VLD) du secteur public vers le secteur privé. Néanmoins, certains services publics ont, eux aussi, fait grève pour protester contre les plans de pension du gouvernement. Outre cette grève nationale, une grève massive a également été menée en mars dans les écoles de la Communauté flamande. Le nombre peu élevé de jours de grève dans les mois qui ont suivi s’explique en grande partie par l’absence d’un gouvernement fédéral de plein exercice, et donc de nouvelles initiatives politiques, depuis les élections fédérales du 26 mai 2019 (gouvernement Michel II puis, à partir du 27 octobre 2020, gouvernement Wilmès II, également MR/CD&V/Open VLD). En effet, les chiffres en matière de grèves sont dominés par les grandes grèves : il s’agit principalement de manifestations syndicales nationales contre la politique du gouvernement fédéral, couvertes par un préavis de grève et donnant donc droit à une indemnité de grève, ou de grèves dans le secteur public contre les mesures d’austérité des dernières décennies. Les mouvements de grève sectoriels dans le secteur privé sont plutôt rares.

342Le tableau A2 montre les différences au niveau du nombre de jours de grève selon le lieu d’occupation. Si le mouvement de grève avait évolué de manière parallèle dans les trois régions de Belgique au cours des années précédentes, cela n’a pas été le cas en 2019. Le nombre de jours de grève par 1 000 travailleurs a augmenté de + 29,2 % en Région flamande, mais a diminué (légèrement) dans les deux autres régions : – 14,9 % en Région wallonne et – 9,5 % en Région bruxelloise. Peut-être l’augmentation constatée en Région flamande s’explique-t-elle en partie par la grève dans l’enseignement dont il a été question plus haut. Néanmoins, c’est en Région wallonne que le nombre relatif de jours de grève demeure le plus élevé, suivie par la Région bruxelloise. Les provinces de Hainaut et de Liège représentent 75,4 % du nombre de jours de grève en Région wallonne en 2019. Les jours de grève en Région flamande sont moins concentrés géographiquement : les deux provinces affichant le nombre de jours de grève le plus élevé, soit Anvers et la Flandre orientale, représentent 59,2 % du nombre de jours de grève dans cette région. Si l’on compare avec l’Allemagne et les Pays-Bas, par exemple, la Région flamande n’est toutefois pas particulièrement épargnée par les grèves, même si le nombre de jours de grève y est moins élevé que dans les deux autres régions de Belgique.

Tableau A2. Nombre de jours de grève selon le lieu d’occupation (2017-2019)

Tableau A2. Nombre de jours de grève selon le lieu d’occupation (2017-2019) Tableau A2. Nombre de jours de grève selon le lieu d’occupation (2017-2019)

Tableau A2. Nombre de jours de grève selon le lieu d’occupation (2017-2019)

* Jours de grève ne pouvant être rattachés à une des trois régions.
Sources :- données relatives aux jours de grève : Brochure bleue, ONSS. - données relatives aux travailleurs : SPF Économie, PME, Classes moyennes et Énergie, Direction générale Statistique, Enquête sur les forces de travail (EFT).

343Le tableau A3 dresse un aperçu de la part des grands secteurs économiques dans le nombre de jours de grève recensés au cours de la période 2015-2019. L’évolution de l’emploi au sein de ces secteurs n’est pas prise en compte. La part des jours de grève au sein de l’industrie a considérablement diminué ces dernières années si l’on compare avec la médiane et la moyenne de ce secteur. Cela s’explique en partie par une révision des données relatives aux grèves en 2013, mais aussi par la politique d’austérité menée dans le secteur public à partir de 2010, ayant entraîné de nombreuses grèves parmi les fonctionnaires. En 2019, toutefois, la part des jours de grève dans l’industrie a augmenté, au détriment de la part du secteur tertiaire privé, tandis que le secteur public représente toujours un peu plus du tiers du nombre total de jours de grève.

344Le tableau A4 indique le nombre de jours de grève dans les secteurs économiques, regroupés sur la base des commissions paritaires. Seuls les groupes sectoriels dont la part est en moyenne supérieure à 5 % durant la période 2007-2019 ont été pris en considération. Six groupes sectoriels représentent ensemble environ 85 % du nombre de jours de grève enregistrés sur un an. Tous les autres groupes sont repris dans la catégorie « Autres commissions paritaires ». Le secteur public, pour lequel il n’existe pas de commission paritaire, enregistre le nombre de jours de grève le plus élevé en 2019, devant le secteur du métal et la catégorie « Autres commissions paritaires ». À quelques exceptions près (2007, 2009, 2010 et 2014), les trois premiers secteurs (le secteur public, le secteur du métal et le secteur du transport et de la logistique) occupent la tête de ce classement depuis le début de la série de données en 2007. Le secteur public a pris la première place en 2014 ; depuis lors, il compte systématiquement plus de jours de grève que le secteur du métal. Il est à noter également que le secteur non marchand est un secteur plutôt sensible aux grèves, puisqu’il figure dans le top 5 depuis 2010.

Tableau A3. Nombre de jours de grève selon les secteurs économiques et répartition entre secteurs (2015-2019)

Tableau A3. Nombre de jours de grève selon les secteurs économiques et répartition entre secteurs (2015-2019)

Tableau A3. Nombre de jours de grève selon les secteurs économiques et répartition entre secteurs (2015-2019)

Remarque : Ruptures temporelles en 2003 et 2013 (qui influencent la médiane et la moyenne).
Sources : ONSS (statistiques en ligne) ; Brochure bleue, ONSS. Calculs propres.

Tableau A4. Nombre de jours de grève selon les commissions paritaires (2015-2019)

Tableau A4. Nombre de jours de grève selon les commissions paritaires (2015-2019)

Tableau A4. Nombre de jours de grève selon les commissions paritaires (2015-2019)

Remarque : Rupture temporelle en 2013 (qui influence la médiane et la moyenne).
Sources : ONSS (statistiques en ligne) ; Brochure bleue, ONSS. Calculs propres.

345Enfin, le tableau A5 renseigne le nombre de jours de grève par 1 000 travailleurs, ventilés selon le statut et le sexe du travailleur. Le nombre de jours de grève est toujours plus élevé chez les ouvriers que chez les employés et les fonctionnaires ; cela est une constante. Du côté des employés, l’on dénombre plus de jours de grève chez les femmes que chez les hommes. Par rapport à l’année précédente, le nombre de jours de grève a augmenté chez les ouvriers, tandis qu’il a légèrement diminué chez les employés et les fonctionnaires.

Tableau A5. Répartition du nombre de jours de grève selon le statut et le sexe des travailleurs par 1 000 travailleurs (2015-2019)

Tableau A5. Répartition du nombre de jours de grève selon le statut et le sexe des travailleurs par 1 000 travailleurs (2015-2019)

Tableau A5. Répartition du nombre de jours de grève selon le statut et le sexe des travailleurs par 1 000 travailleurs (2015-2019)

Remarque : Ruptures temporelles en 2003 et 2013 (qui influencent la médiane et la moyenne).
Sources : - données relatives aux jours de grève : ONSS (statistiques en ligne) ; Brochure bleue, ONSS. Calculs propres. - données relatives aux travailleurs : EFT.

Conclusion

346La grève nationale du 13 février a conduit à un nombre de jours de grève élevé et supérieur à la moyenne en 2019, se situant juste au-dessus de celui de l’année précédente. Cependant, les chiffres des deuxième, troisième et quatrième trimestres sont inférieurs à la moyenne de la période. Cette dernière tendance se confirmera probablement dans une large mesure en 2020, en raison de l’absence prolongée d’un gouvernement fédéral de plein exercice et de l’impact de la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19 (même si quelques courtes interruptions de travail pour cause de conflictualité sociale ont tout de même été recensées). Toutefois, la tendance pourrait rapidement s’inverser lorsque le nombre de restructurations d’entreprise augmentera suite aux conséquences économiques de la crise sanitaire et que les travailleurs feront grève en vue d’obtenir un meilleur plan social. Le nombre de jours de grève pourrait également augmenter si les travailleurs des secteurs dits essentiels décidaient de réclamer une compensation, salariale ou autre, pour l’augmentation de la charge de travail après des années de modération salariale. Ces éventuelles « grèves corona » défensives et offensives dépendront bien entendu également de la politique de relance économique et des plans de relance des gouvernements des entités fédérées et du gouvernement fédéral De Croo entré en fonction le 1er octobre 2020.

Notes

  • [1]
    * Chapitre rédigé par Eva Deront et Thomas Hausmann.
    Le Soir, 19 janvier 2019.
  • [2]
    CSC, Communiqué, 17 janvier 2019.
  • [3]
    RTBF Info, 16 janvier 2019, www.rtbf.be.
  • [4]
    RTBF Info, 14 novembre 2018, www.rtbf.be.
  • [5]
    Active sur des segments similaires à ceux d’entreprises états-uniennes, NLMK Belgium voit ses produits être taxés à plus de 51 % (tandis que les produits d’Industeel-Charleroi, par exemple, ne sont imposés qu’à 5,4 %).
  • [6]
    RTBF Info, 29 janvier 2019, www.rtbf.be.
  • [7]
    Le Soir, 18 janvier 2019.
  • [8]
    Belga (cité par RTBF Info, 14 juin 2019, www.rtbf.be ; L’Avenir, 2 juillet 2019).
  • [9]
    Comme le notent Aline Bingen et Esteban Martinez, « il est remarquable que le contexte des restructurations et son cortège d’incertitudes professionnelles fournissent aux employeurs l’opportunité de faire avancer leurs revendications pour une organisation du travail plus flexible » (A. Bingen, E. Martinez, « Réagir à l’annonce d’un licenciement collectif : la conflictualité sociale consécutive aux restructurations d’entreprises en Belgique », in C. Vivès, M. Matus (dir.), Le travail en luttes. Résistances, conflictualités et actions collectives, Toulouse, Octares, à paraître).
  • [10]
    L’Écho, 1er février 2019.
  • [11]
    La Libre Belgique, 21 janvier 2019.
  • [12]
    Belga, 1er février 2019.
  • [13]
    NLMK, Communiqué de la direction (cité par La Libre Belgique, 5 février 2019).
  • [14]
    A. Bingen, « La maîtrise du temps lors des annonces de licenciements collectifs. L’effet de la loi Renault en Belgique », La nouvelle revue du travail en ligne, n° 8, 2016, https://journals.openedition.org.
  • [15]
    Le Soir, 7 février 2019.
  • [16]
    Belga, 26 février 2019.
  • [17]
    S. Duschesne, F. Haegel, « Entretiens dans la cité, ou comment la parole se politise », Espace Temps, n° 76-77, 2001, p. 95-109 ; S. Duschesne, F. Haegel, « La politisation des discussions, au croisement des logiques de spécialisation et de conflictualisation », Revue française de sciences politiques, volume 54, n° 6, 2004, p. 877-909.
  • [18]
    F. Thirionet, Moi, Silvio de Clabecq, militant ouvrier, Marseille, Agone, 2020.
  • [19]
    Sur ce mouvement, cf. A. Dufresne, C. Gobin, M. Zune, « Le mouvement social des Gilets jaunes en Belgique : une contestation largement atypique », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2018. I. Mobilisations transversales », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2422-2423, 2019, p. 45-61.
  • [20]
    Dans un communiqué de presse de NLMK daté du 15 mars 2019, on lit : « La direction tient à remercier les bourgmestres de Tubize et de Ittre pour leur implication, au cours des derniers jours, cela a véritablement permis d’apaiser les tensions ».
  • [21]
    La Libre Belgique, 18 janvier 2019.
  • [22]
    Le Soir, 17 janvier 2019 ; La Libre Belgique, 18 janvier 2019.
  • [23]
    L’Écho, 18 janvier 2019.
  • [24]
    Le Soir, 17 janvier 2019.
  • [25]
    Le Soir, 24 janvier 2019.
  • [26]
    À savoir qu’elles représentent 2,5 millions d’euros sur les 11 que compte le budget communal.
  • [27]
    La Libre Belgique, 18 janvier 2019.
  • [28]
    Cela représente environ 245 000 euros.
  • [29]
    Le Soir, 21 février 2019.
  • [30]
    Le Soir, 21 février 2019.
  • [31]
    Zin TV, 2 mars 2019, https://zintv.org.
  • [32]
    La Libre Belgique, 15 mars 2019.
  • [33]
    A. Bingen, E. Martinez, « Réagir à l’annonce d’un licenciement collectif », op. cit.
  • [34]
    L’Avenir, 9 avril 2019.
  • [35]
    TVCom, 17 avril 2019, www.tvcom.be.
  • [36]
    RTBF Info, 21 juin 2019, www.rtbf.be.
  • [37]
    RTBF Info, 14 juin 2019, www.rtbf.be.
  • [38]
    RTBF Info, 21 juin 2019, www.rtbf.be.
  • [39]
    39 La Libre Belgique, 2 juillet 2019.
  • [40]
    A. Bingen, E. Martinez, « Réagir à l’annonce d’un licenciement collectif », op. cit.
  • [41]
    Ibidem.
  • [42]
    * Chapitre rédigé par Pierre Reman et Gérard Lambert.
    42 P. Reman, G. Lambert, « L’Avenir, un journal au futur suspendu », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2018. II. Conflits d’entreprise », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2424-2425, 2019, p. 55-74.
  • [43]
    La société coopérative intercommunale publique Enodia contrôle la société Finanpart, dont dépend Nethys. Cette dernière exerce des activités industrielles dans trois domaines : l’assurance, la distribution de gaz et d’électricité, et les médias et la communication (domaine auquel appartiennent les Éditions de l’Avenir). Le 3 mars 2020, le conseil d’administration d’Enodia opérera une fusion par absorption de Finanpart au sein d’Enodia.
  • [44]
    Comme dans les autres entreprises de même taille, les organisations syndicales participent à la concertation sociale au sein du conseil d’entreprise (CE) et du comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT). La SDR représente les journalistes lorsqu’il s’agit de traiter de questions qui ne relèvent pas de la concertation sociale au sens strict mais de questions relatives à l’indépendance du métier de journaliste et à l’organisation de la rédaction.
  • [45]
    Le Soir, 23 et 24 décembre 2019. Le journal précise que, selon d’autres sources, le projet de Nethys ne vise pas à concurrencer le site L’Avenir.net, mais, après qu’auront été analysés les projets digitaux de trois entités du groupe (les Éditions de l’Avenir, l’hebdomadaire Moustique et le câblodistributeur Voo), à envisager de les regrouper progressivement à Liège. Ce nouveau site Internet, nommé Ilico, est lancé en mai 2019 mais il ne connaît pas vraiment de développement important, son contenu n’étant pas alimenté de façon régulière et soutenue. Ainsi, neuf mois après sa création, il ne dépassera pas la barre des 5 000 consultations par jour. Nethys supprimera ce média digital le 10 décembre 2019, en précisant : « Au moment où le groupe abandonne son positionnement d’éditeur de presse (suivant en cela les recommandations du Parlement wallon) et prépare la vente des Éditions de l’Avenir, le maintien d’Ilico ne se justifie plus ».
  • [46]
    Données avancées par P. Leruth, délégué CNE (L’Avenir en ligne, 11 février 2019, https://m.lavenir.net).
  • [47]
    L’Avenir en ligne, 15 février 2019, https://m.lavenir.net.
  • [48]
    L’acronyme GAFA désigne quatre des « géants du numérique » (avec notamment Microsoft, Twitter et Netflix) : Google, Apple, Facebook et Amazon.
  • [49]
    Le Soir en ligne, 6 mars 2019, www.lesoir.be.
  • [50]
    In fine, la revendication du non-licenciement de ces trois personnes n’aboutira pas.
  • [51]
    L’Avenir en ligne, 9 mars 2019, https://m.lavenir.net.
  • [52]
    L’Avenir en ligne, 9 mars 2019, https://m.lavenir.net.
  • [53]
    LaDernière Heure en ligne, 6 mars 2019, www.dhnet.be.
  • [54]
    La Libre Belgique, 11 mars 2019.
  • [55]
    Fédération européenne des journalistes, « Lock-out patronal au quotidien belge L’Avenir », 6 mars 2019, www.europeanjournalists.org.
  • [56]
    L’Avenir en ligne, 11 mars 2019, https://m.lavenir.net.
  • [57]
    Cf. le décret de la Communauté française du 31 mars 2004 relatif aux aides attribuées à la presse quotidienne écrite francophone et au développement d’initiatives de la presse quotidienne écrite francophone en milieu scolaire (Moniteur belge, 13 mai 2004).
  • [58]
    Moniteur belge, 14 mai 2018.
  • [59]
    Deux auditions se sont déroulées en 2018 (la première le 8 novembre et la seconde le 6 décembre) devant la Commission de l’Enseignement supérieur, de l’Enseignement de promotion sociale, de la Recherche et des Médias du Parlement de la Communauté française et la Commission de l’Économie, de l’Emploi et de la Formation du Parlement wallon. Cf. P. Reman, G. Lambert, « L’Avenir, un journal au futur suspendu », op. cit.
  • [60]
    La présence d’un membre de l’AJP au CE comme observateur est le résultat d’une convention spécifique qui lie les organisations syndicales et l’AJP.
  • [61]
    M. Simonis précise que cette assemblée générale a été particulièrement houleuse parce qu’il y circulait une rumeur selon laquelle un permanent syndical liégeois avait, la veille, participé au conseil d’administration de Nethys.
  • [62]
    L’Avenir en ligne, 3 juillet 2017, https://m.lavenir.net.
  • [63]
    Belga, 16 juillet 2019.
  • [64]
    L’Écho, 18 juillet 2019.
  • [65]
    P. Reman, G. Lambert, « L’Avenir, un journal au futur suspendu », op. cit.
  • [66]
    L’Écho, 24 novembre 2019.
  • [67]
    Le Soir, 2 octobre 2019.
  • [68]
    L’Écho, 10 octobre 2019.
  • [69]
    L’Avenir, 3 octobre 2019.
  • [70]
    Chiffre évoqué par le journal L’Écho le 2 octobre 2019 et nuancé par le directeur des Éditions de l’Avenir, Y. Berlize, trois semaines plus tard : « Ce sont des journaux qui ont publié ce chiffre. Je ne sais pas d’où il vient. Évidemment, les comptes 2018 ont dû intégrer la totalité des provisions pour payer les départs » (L’Avenir, 23 octobre 2019).
  • [71]
    Les parts individuelles sont de 50 euros minimum et les parts acquises par des institutionnels sont de 200 euros minimum.
  • [72]
    Le Soir, 23-24 novembre 2019.
  • [73]
    A. Hirschman, Un certain penchant à l’autosubversion, Paris, Fayard, 1995.
  • [74]
    L’Avenir en ligne, 23 octobre 2019, https://m.lavenir.net.
  • [75]
    Il est à noter par ailleurs que, en janvier 2020, les journalistes Y. Raisière et D. Vellande, licenciés en 2019 lors du conflit social, ont obtenu le prix du journalisme 2019 du Parlement de la Communauté française pour l’article collectif de la rédaction de L’Avenir « Comment Nethys a cassé L’Avenir » paru le 16 février 2019.
  • [76]
    Le montant de cette offre est inconnu à ce jour.
  • [77]
    En particulier, le Parlement wallon a adopté à l’unanimité une motion demandant au gouvernement régional de prendre ses responsabilités face à la restructuration des Éditions de l’Avenir, de sortir le journal du giron du groupe Nethys et de tout mettre en œuvre pour trouver un repreneur. Cf. Parlement wallon, Motion déposée en conclusion de l’interpellation de Monsieur Hazée à Monsieur Borsus, ministre-président du gouvernement wallon, sur “le plan de restructuration des Éditions de l’Avenir”. Texte adopté en séance plénière, n° 1213-3, 21 novembre 2018.
  • [78]
    * Chapitre rédigé par Bruno Bauraind et Jean Vandewattyne.
    Cf. J. Vandewattyne, B. Bauraind, « “Ryanair must change : une victoire sociale et syndicale dans le monde du low cost », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2018. II. Conflits d’entreprise », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2424-2425, 2019, p. 28-50.
  • [79]
    Pour les rétroactes, cf. J. Vandewattyne, « Le conflit pour l’amélioration des conditions de travail du personnel navigant de Ryanair », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2011 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2135-2136, 2012, p. 93-105 ; J. Vandewattyne, « Brussels Airlines et Ryanair : entre restructuration et régulation sociale du secteur européen », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2012. I. Grève générale et secteur privé », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2172-2173, 2013, p. 73-81 ; J. Vandewattyne, B. Bauraind, « “Ryanair must change : une victoire sociale et syndicale dans le monde du low cost », op. cit.
  • [80]
    J. Vandewattyne, « Le conflit pour l’amélioration des conditions de travail du personnel navigant de Ryanair », op. cit.
  • [81]
    Séminaire de formation de la délégation syndicale Ryanair organisé par la CNE et la LBC à Nivelles du 2 au 4 décembre 2019.
  • [82]
    A. Collovald, L. Mathieu, « Mobilisations improbables et apprentissage d’un répertoire syndical », Politix. Revue des sciences sociales du politique, n° 86, 2009, p. 119-143.
  • [83]
    Il s’agit de deux entreprises irlandaises, sous-traitantes notamment de Ryanair, qui sont spécialisées dans le recrutement du personnel de cabine.
  • [84]
    J. Vandewattyne, B. Bauraind, « “Ryanair must change : une victoire sociale et syndicale dans le monde du low cost », op. cit.
  • [85]
    Calcul établi sur la base des rapports annuels 2017 de Vueling et d’EasyJet.
  • [86]
    S. Creaton, Ryanair: The Full Story of the Controversial Low-Cost Airline, Londres, Aurum, 2007.
  • [87]
    Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative (GRESEA), « Observatoire critique des multinationales » (Mirador), www.mirador-multinationales.be.
  • [88]
    E. Combe, Le low cost, Paris, La Découverte, 2011, p. 20.
  • [89]
    Le Soir en ligne, 7 mars 2018, www.lesoir.be.
  • [90]
    Le Soir, 1er août 2019 ; La Libre Belgique, 20 septembre 2019.
  • [91]
    C’est à la fin du mois d’août 2019 que M. O’Leary quittera son poste de CEO pour devenir le président du groupe, dans lequel on trouve Ryanair DAC, l’entité de base en Irlande, Ryanair UK, Buzz (Ryanair Poland, en quelque sorte), Laudamotion et Air Malta. Il sera alors remplacé à la direction du groupe par Eddie Wilson, l’ancien responsable des ressources humaines, salarié de Ryanair depuis 23 ans.
  • [92]
    Le Soir, 1er août 2019.
  • [93]
    L’Écho en ligne, 16 juillet 2019, www.lecho.be.
  • [94]
    L’Écho en ligne, 31 juillet 2019, www.lecho.be.
  • [95]
    Air Journal, 8 août 2019, www.air-journal.fr.
  • [96]
    Air Journal, 6 août 2019, www.air-journal.fr.
  • [97]
    Air Journal, 8 août 2019, www.air-journal.fr.
  • [98]
    RTBF Info, 20 août 2019, www.rtbf.be.
  • [99]
    Entretiens avec un délégué syndical LBC Ryanair de Bruxelles, le 16 décembre 2019, et avec un délégué syndical CNE Ryanair de Charleroi, le 24 janvier 2020. Chez Ryanair, des entretiens de fonctionnement continuent à se tenir à Dublin, et non dans les bases d’attache du personnel.
  • [100]
    Le Monde, 21 août 2019.
  • [101]
    Air Journal, 11 août 2019, www.air-journal.fr.
  • [102]
    Le Monde, 21 août 2019.
  • [103]
    Entretien avec un pilote de Ryanair, le 2 juillet 2020.
  • [104]
    Il s’agit de l’équivalent de ce qu’est un conseil d’entreprise en Belgique.
  • [105]
    Entretien avec un pilote de Ryanair, le 2 juillet 2020.
  • [106]
    Air Journal, 22 septembre 2019, www.air-journal.fr.
  • [107]
    Air Journal, 29 août 2019, www.air-journal.fr.
  • [108]
    Air Journal, 22 septembre 2019, www.air-journal.fr.
  • [109]
    Le Soir en ligne, 27 septembre 2019, www.lesoir.be.
  • [110]
    Le Soir en ligne, 27 septembre 2019, www.lesoir.be.
  • [111]
    La Vanguardia, 11 décembre 2019.
  • [112]
    Air Journal, 5 décembre 2019, www.air-journal.fr.
  • [113]
    La Libre Belgique, 6 janvier 2020.
  • [114]
    L’Écho en ligne, 9 janvier 2020, www.lecho.be.
  • [115]
    À partir de 2011, Ryanair s’est installé dans de grands aéroports internationaux comme Josep Tarradellas Barcelona El Prat, Leonardo da Vinci di Roma Fiumicino et Brussels Airport.
  • [116]
    Séminaire de formation de la délégation syndicale Ryanair organisé par la CNE et la LBC à Nivelles du 2 au 4 décembre 2019.
  • [117]
    J. Vandewattyne, « Ryanair ou le refus du dialogue social institutionnalisé », La nouvelle revue du travail, n° 8, 2016, en ligne, https://journals.openedition.org.
  • [118]
    * Chapitre rédigé par Anne Dufresne et Erik Demeester.
    Sur cet acteur, cf. A. Dufresne, C. Leterme, J. Vandewattyne, « Les mobilisations du Collectif des coursier.e.s contre Deliveroo », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2017 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2383-2384, 2018, p. 45-58.
  • [119]
    En Belgique, le régime P2P correspond au travail réalisé sous le régime de la loi-programme du 1er juillet 2016 (dite loi De Croo : cf. infra), qui instaure un faible taux d’imposition (de 10 %) et une dispense de cotisations sociales sur les premiers 5 100 euros annuels (sans limite de plafond mensuel).
  • [120]
    120 Pour plus de détails sur cette rencontre, cf. A. Dufresne, « Coursiers de tous les pays, unissez-vous ! », GRESEA Échos, n° 98, 2019.
  • [121]
    121 L’UF-CSC est une « agence » au sein de la CSC, qui entend offrir aux travailleurs autonomes et aux indépendants sans personnel des services similaires à ceux proposés aux salariés sous contrat de travail, adaptés à leur réalité. Cette initiative est née sous l’impulsion du travail syndical lié au secteur de la livraison de repas chauds, et s’étend aujourd’hui à tous les secteurs concernés par les travailleurs sous les statuts susmentionnés. Cf. le site Internet www.unitedfreelancers.be.
  • [122]
    122 K. Michiels, « Solide première grève des coursiers Deliveroo à Gand », Révolution. Revue marxiste, 10 juillet 2019, www.marxiste.be.
  • [123]
    123Trends en ligne, 15 juin 2019, https://trends.knack.be.
  • [124]
    124 L’expérience de la grève se renouvelle d’ailleurs à Liège le 6 mars 2020.
  • [125]
    125 Concernant les nouvelles formes de lutte mises en place à travers l’Europe dans le secteur, cf. A. Dufresne, « Les formes de la lutte : de la vague de grèves nationales aux enjeux du salariat », GRESEA Échos, n° 98, 2019, p. 24-33. Plus généralement, concernant les luttes contre le capitalisme de plateforme, cf. S. Abdelnour, S. Bernard, « Quelles résistances collectives face au capitalisme de plateforme ? », in S. Abdelnour, D. Méda (dir.), Les nouveaux travailleurs des applis, Paris, Presses universitaires de France, 2019, p. 61-74.
  • [126]
    126 Take Eat Easy (TEE) était une entreprise de livraison de plats à domicile similaire à Deliveroo, qui a fait faillite en juillet 2018, laissant les coursiers sans salaire pour leur mois travaillé.
  • [127]
    127 Pour les actualités, cf. la page Facebook « Collectif des coursier-e-s Belgique ». Concernant l’histoire de la constitution de ce collectif, cf. A. Dufresne, C. Leterme, J. Vandewattyne, « Les mobilisations du Collectif des coursier.e.s contre Deliveroo », op. cit.
  • [128]
    128 Créée en 1998 sous la forme d’une asbl, la coopérative SMart avait initialement pour vocation de proposer aux artistes dont le travail est par définition intermittent et précaire de mutualiser une partie de leur cachet au sein d’une structure qui, en retour, ferait office d’employeur à leur égard, leur permettant ainsi d’accéder à un minimum de protection sociale et de stabilité salariales. Devant la multiplication des formes de travail et d’emploi « atypiques », un nombre croissant de travailleurs extérieurs au secteur artistique, parmi lesquels les travailleurs des plateformes et en particulier les coursiers, ont commencé à avoir recours à ses services. Depuis 2016, elle est devenue « SMartCoop », société coopérative à responsabilité limitée à finalité sociale. Elle compte aujourd’hui dix bureaux en Belgique et est présente dans neuf autres pays d’Europe.
  • [129]
    129 En Belgique, les salaires minimums sont fixés par des conventions collectives de travail (CCT) conclues au sein du Conseil national du travail (CNT) ou des commissions paritaires. Le montant dépend de la fonction, de l’âge et de l’ancienneté du travailleur. Le montant mensuel brut du salaire minimum général interprofessionnel est de 1 593,81 euros pour les travailleurs âgés d’au moins 22 ans et qui comptent une ancienneté de 12 mois. Il varie entre 1 051 et 1 411 euros mensuels bruts de 16 à 20 ans.
  • [130]
    130Moniteur belge, 4 juillet 2016. Cf. M. Lambrecht, « L’économie des plateformes collaboratives », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2311-2312, 2016.
  • [131]
    131Moniteur belge, 26 juillet 2018. Cf. P. Ledecq, « Loi sur les plateformes collaboratives : un manuel pour organiser le travail au noir », Éconosphères, 16 décembre 2019, www.econospheres.be.
  • [132]
    132 Lors de la réunion susmentionnée de la mi-octobre 2019, le SPF Finances a précisé certaines spécificités du régime P2P : il est interdit de simultanément avoir une activité en P2P et travailler sous le statut de salarié, d’étudiant ou d’indépendant (ce qui signifie donc qu’il n’est pas possible d’avoir un statut dérivé par cette autre activité donnant accès aux droits sociaux) ; il est interdit de se faire remplacer ; si les revenus perçus par le coursier dans le cadre de l’économie collaborative sont supérieurs à 4 000 euros, ses parents ne peuvent plus le déclarer comme étant à charge pour percevoir les allocations familiales.
  • [133]
    133Le Soir, 24 mai 2019.
  • [134]
    134 La liste des 111 entreprises agréées par le SPF Finances (dans son état de février 2020) ne se limite pas au secteur de la livraison mais dénombre des plateformes de l’économie collaboratives actives en Belgique dans un grand nombre d’autres secteurs de services : transport, éducation, nettoyage, logement, baby-sitting, alimentation, gardiennage, etc. Cf. SPF Finances, « Économie collaborative. Liste des plateformes agréées », https://economie.fgov.be.
  • [135]
    135 Les coursiers courent des risques importants de requalification de leurs revenus en cas de contrôle, à savoir l’obligation de rembourser les cotisations sociales non versées.
  • [136]
    136 Pour l’année 2019, les revenus des coursiers ont donc été déclarés sous le régime de l’économie collaborative automatiquement pour Deliveroo (agréé), mais non pour Uber Eats, qui reste dans l’illégalité (puisque cette entreprise est non agréée et n’a procédé à aucune modification). Relativement au cas d’Uber Eats, la CNE fait savoir que, si un coursier venait à devoir requalifier ses revenus en payant des cotisations sociales a posteriori en raison du fait que le statut P2P utilisé n’est pas valable, elle intentera un procès en requalification comme salarié.
  • [137]
    137 Cf. J.-B. Robillard, « Deliveroo, Uber Eats et le SPF Finances viennent de créer un troisième statut dangereux et illégal pour les coursiers », Carte blanche, La Libre Belgique en ligne, 3 octobre 2019, www.lalibre.be.
  • [138]
    138 A. Celli, « België kan sociaal innoveren voor deeleconomie », Carte blanche, De Tijd, 25 mai 2019.
  • [139]
    139 Lors de l’élaboration du cahier de revendications du 9 novembre 2019, le collectif et les syndicats ont estimé que cette demande, en tant qu’elle mettait en évidence le fait que beaucoup de sans-papiers travaillent dans le secteur, pourrait « accentuer les razzias policières sous prétexte de “contrôle de sécurité du scooter ou du vélo” ».
  • [140]
    140 Cette dernière revendication est directement liée à l’actualité des demandes de modifications par le SPF Finances.
  • [141]
    141 Ces deux montants constituent de toute façon une nette régression relativement aux années précédentes. La moyenne des rémunérations horaires chez Deliveroo était de 21 euros en 2018, de 17 euros sous la convention SMart, et de 11 euros en 2019.
  • [142]
    142 Forum transnational des alternatives à l’ubérisation, Communiqué de presse, 12 décembre 2019.
  • [143]
    143 Il sera repoussé à 2021, suite au confinement survenu entre-temps dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19.
  • [144]
    144 Center for European Policy Studies (CEPS), Eftheia, Onderzoeksinstituut voor Arbeid en Samenleving (HIVA, KU Leuven), « Study to gather evidence on the working conditions of platform workers. Final Report », Commission européenne, VT2018/032, 13 mars 2019.
  • [145]
    145 Les collectifs espagnols sont nés ville par ville, soutenus par des syndicats autonomes (de Catalogne, d’Andalousie, du Pays basque et de Galice, ces derniers étant les seuls absents cette fois) et par l’Unión General de Trabajadores (UGT) à Madrid. Ils ont été unifiés sous une même bannière au plan national par le réseau des syndicats qui les appuient : les R4D. Les coursiers mobilisés, dont les comptes ont le plus souvent été désactivés par les plateformes, ont aussi monté des coopératives, qui ont pris le nom de « mensakas ».
  • [146]
    146 Pour plus de détails sur les pays représentés ou non lors de l’assemblée générale européenne du 26 octobre 2018, cf. A. Dufresne, « Les acteurs de la lutte : collectifs et syndicats. Vers de nouvelles identités collectives ? », GRESEA Échos, n° 98, p. 17-20.
  • [147]
    147 Les coursiers espagnols privilégient depuis longtemps la piste des procès en requalification d’indépendants en travailleurs salariés. Madrid fait toutefois exception car une filière de travailleurs venus du Venezuela occupe le terrain ; or ceux-ci, dont la proportion est estimée à 80 %, ne souhaitent pas devenir salariés.
  • [148]
    148 Il est à noter toutefois que, les 13 avril et 29 mai 2020, pendant la période du confinement due à la pandémie de Covid-19, deux grèves latino-américaines ont été appelées dans cinq pays simultanément : Argentine, Costa Rica, Équateur, Mexique et Pérou.
  • [149]
    * Chapitre rédigé par Laetitia Mélon, Aline Bingen et Pierre Reman.
    Ce secteur étant composé à 98 % d’une main-d’œuvre féminine, nous faisons ici le choix d’employer le féminin.
  • [150]
    Moniteur belge, 11 août 2011.
  • [151]
    IDEA Consult, « Une vision à 360° sur les titres-services. Rapport final », Federgon, juillet 2018, p. 43, https://federgon.be.
  • [152]
    Ibidem, p. 47.
  • [153]
    Le montant passe à 10 euros après les 400 premiers titres achetés.
  • [154]
    En Wallonie, la réduction d’impôts est de 0,90 euro par titre-service pour les 150 premiers titres-services achetés. En Région bruxelloise, elle est de 1,35 euro par titre-service pour les 163 premiers titres-services achetés. En Flandre, elle est de 1,80 euro par titre-service pour les 167 premiers titres-services achetés.
  • [155]
    Pour ce qui concerne la régionalisation du secteur, cf. D. Coutiez, G. Infanti, « La régionalisation des titres-services », Centre d’éducation populaire André Genot (CEPAG), décembre 2013, www.cepag.be.
  • [156]
    IDEA Consult, « Une vision à 360° sur les titres-services. Rapport final », op. cit., p. 42.
  • [157]
    Cf. notamment E. Leduc, I. Tojerow, « Subsidizing Domestic Services as a Tool to Fight Unemployment: Effectiveness and Hidden Costs », IZA Discussion Papers, Institute of Labor Economics (IZA), n° 13 544, 2020 ; O. Brolis, M. Nyssens, « Le quasi-marché des titres-services : qualité d’emploi, motivation au travail et diversité des prestataires », in G. Herman, D. Desmette, É. Léonard, M. Nyssens (dir.), Quelle qualité d’emploi dans les services d’aide-ménagère ? Une approche multidisciplinaire, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2016, p. 17-73.
  • [158]
    En 2017, le salaire mensuel brut des travailleuses de titres-services était en moyenne de 1 215 euros en Région bruxelloise. Cf. A. Romainville, « Titres-services : la précarité organisée au service des classes aisées », Observatoire belge des inégalités (OBI), 25 novembre 2019, https://inegalites.be.
  • [159]
    159 Cf. notamment L. Mélon, A. Bingen, « Des recherches à l’action en santé au travail. Études de cas sur les risques psycho-sociaux et les troubles musculo-squelettiques dans les secteurs des titres-services et du travail social », Rapport de recherche, Fonds Van Mulders-Moonens (Fondation Roi Baudouin), à paraître. En outre, les différentes facettes du métier sont particulièrement bien décrites dans le documentaire « Au bonheur des dames ? » de Gaëlle Hardy et Agnès Lejeune (2018 ).
  • [160]
    L’Avenir en ligne, 23 août 2019, www.lavenir.net.
  • [161]
    Arrêté royal du 19 avril 2019 portant exécution de l’article 7, § 1er, de la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité, Moniteur belge, 24 avril 2019.
  • [162]
    Conclu le 26 février 2019, le projet d’AIP 2019-2020 a été rejeté par la FGTB. Cf. B. Conter, J. Faniel, « La norme salariale au cœur de la conflictualité sociale interprofessionnelle en 2019 » (chapitre 1 du premier volume de la présente publication).
  • [163]
    Loi du 19 mars 2017 modifiant la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité, Moniteur belge, 29 mars 2017. Sur les critiques syndicales à l’égard de cette loi de 2017, cf. B. Conter, J. Faniel, « La norme salariale au cœur de la conflictualité sociale interprofessionnelle en 2019 », op. cit.
  • [164]
    Federgon est une fédération sectorielle affiliée à la Fédération des entreprises de Belgique (FEB). Elle est active dans les domaines des services en ressources humaines (RH), de l’intérim, des sociétés de titres-services, des services d’outplacement, etc. Elle regroupe 600 entreprises, dont les plus grandes sociétés d’intérim. Près de 140 entreprises de titres-services sont affiliées à Federgon.
  • [165]
    La valeur faciale est de 9 euros par heure, payée par le client, alors que la valeur réelle du titre-service pour l’entreprise correspond à la valeur faciale du titre à laquelle s’ajoute le subside à la consommation des pouvoirs publics (soit un coût total de 22,48 euros par heure prestée). Ces montants sont identiques dans les trois Régions.
  • [166]
    Les gouvernements issus du renouvellement des parlements régionaux ne verront respectivement le jour que le 18 juillet 2019 à Bruxelles, le 13 septembre 2019 en Wallonie et le 2 octobre 2019 en Flandre. Cf. B. Biard, P. Blaise, J. Faniel, S. Govaert, C. Istasse, « La formation des gouvernements régionaux et communautaires après les élections du 26 mai 2019 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2444-2445, 2019, p. 13-109.
  • [167]
    Position déjà annoncée auparavant par le secrétaire fédéral pour le secteur des titres-services à la Centrale générale de la FGTB, Sébastien Dupanloup (cf. L’Écho, 8 janvier 2019).
  • [168]
    Atout EI, « Grève dans le secteur des titres-services : les entreprises d’insertion communiquent leur soutien », Communiqué, 27 novembre 2019, https://economiesociale.be.
  • [169]
    Tempo-Team est l’une des principales sociétés de services dans le domaine du travail intérimaire, de services RH et d’aide-ménagère via le système des titres-services. Elle est implantée en Allemagne, en Belgique, au Luxembourg et aux Pays-Bas. Elle a vu le jour en 2008, lorsque le groupe néerlandais Randstadt Global (qui est l’un des plus grands prestataires mondiaux de services en ressources humaines) a absorbé un autre groupe d’entreprises néerlandais : Vedior. Randstad a alors choisi de conserver une marque distincte, sous le nom non plus de Vedior mais de Tempo-Team (en analogie avec Tempo-Team Nederlands). En Belgique, Tempo-Team dispose de 75 agences de titres-services et occupe 5 900 aides-ménagères. Selon la FGTB, Tempo-Team a réalisé un bénéfice d’un million d’euros en 2018 et dispose de 35 millions d’euros de réserve.
  • [170]
    Sudinfo, 28 novembre 2019, www.sudinfo.be.
  • [171]
    L’Avenir en ligne, 20 décembre 2019, www.lavenir.net.
  • [172]
    RTL Info, 13 janvier 2020, www.rtl.be.
  • [173]
    La Libre Belgique, 3 février 2020.
  • [174]
    Federgon, Communiqué de presse, 4 février 2020.
  • [175]
    « Accord social menacé en raison de divisions entre les employeurs », Communiqué du front commun syndical, 2 mars 2020.
  • [176]
    Le Soir en ligne, 3 mars 2020, www.lesoir.be.
  • [177]
    * Chapitre rédigé par Natalia Hirtz, Charlotte Casier et Mathilde Retout.
    Amistad política + inteligencia colectiva. Documentos y manifiestos, 2015/2018, Buenos Aires, Ni Una Menos, 2018.
  • [178]
    178 N. Hirtz, « Une nouvelle vague féministe en quête “d’un destin imprévu du monde” », Bruxelles Laïque Échos, n° 106 : Ordres, désordres et chaos. Dossier thématique du festival des libertés 2019, 2019, p. 14-16.
  • [179]
    179 À l’origine, l’appel est lancé par des collectifs de Corée du Sud, d’Irlande, d’Israël, d’Italie, de Pologne, de Russie et de la plupart des pays d’Amérique latine. D’autres pays européens, ainsi que l’Australie, les États-Unis, le Togo et la Turquie, rejoignent progressivement cette initiative. Cf. le site Internet de Paro Internacional de Mujeres / International Women’s Strike (PIM/IWS) : www.parodemujeres.com.
  • [180]
    Travail consistant à s’occuper de l’hygiène, des soins, de l’éducation, de l’alimentation, de l’affect et de toutes les autres tâches indispensables à la reproduction de la vie.
  • [181]
    Cf. C. Arruzza, T. Bhattacharya, N. Fraser, Féminisme pour les 99 %. Un manifeste, Paris, La Découverte, 2019.
  • [182]
    182 Cf. le site Internet du Collecti.e.f 8 maars : www.8maars.be.
  • [183]
    Initialement, il est prévu que l’action du 8 mars 2019 couvre l’ensemble de la Belgique. Mais finalement, le collectif étant composé majoritairement de femmes bruxelloises, elle se concentrera sur les activités bruxelloises.
  • [184]
    184 Le Collecti.e.f 8 maars choisit d’utiliser un astérisque pour souligner, en note de bas de page, que l’appellation « femmes » fait référence à « toute personne identifiée et ou s’identifiant comme femme ».
  • [185]
    185 Cf. le site Internet du Collecti.e.f 8 maars : www.8maars.be.
  • [186]
    186Sudinfo en ligne, 29 janvier 2019, www.sudinfo.be.
  • [187]
    187 Notamment : L’Écho, 26 janvier 2019 ; RTBF Info, 26 janvier 2019, www.rtbf.be ; Het Laaste Nieuws, 26 janvier 2019 ; De Standaard, 26 janvier 2019 ; Sudinfo en ligne, 29 janvier 2019, www.sudinfo.be ; La Libre Belgique, 5 février 2019.
  • [188]
    188Sudinfo en ligne, 29 janvier 2019, www.sudinfo.be.
  • [189]
    189 Cf. le site Internet du Collecti.e.f 8 maars : www.8maars.be.
  • [190]
    190 Le Centre d’information et d’éducation populaire (CIEP) est un organe du Mouvement ouvrier chrétien (MOC).
  • [191]
    191 Z. Maus, « 2019, l’émergence de peuples de potentialités ? Femmes en luttes pour d’autres possibles ? », Cahiers du CIEP, n° 26 : F. Huart (dir.), Grèves et luttes sociales : enjeux et actualités ici et ailleurs, 2019, p. 30-43.
  • [192]
    Vie féminine est l’une des organisations socio-éducatives du MOC.
  • [193]
    193 Le 20 février 2019, Vie féminine indique sur sa page Facebook : « Vie Féminine a pris l’option de ne pas mobiliser largement en 2019, mais d’opter pour une démarche de longue haleine avec les femmes de notre réseau en vue d’une mobilisation en 2020 ». Cette déclaration est retirée quelques heures après sa publication.
  • [194]
    Cf. B. Conter, J. Faniel, « La norme salariale au cœur de la conflictualité sociale interprofessionnelle en 2019 », op. cit.
  • [195]
    195 Contrairement aux difficultés que présente le fait de rattraper une journée de travail, les achats peuvent être effectués la veille ou le lendemain d’un jour de grève.
  • [196]
    196 Cette expression désigne une différence de prix entre les produits et services étiquetés pour femme et ceux étiquetés pour homme. Cf. P. Belleflamme, « La “taxe rose” : un genre de prix ou des prix de genre ? », Regards économiques, UCLouvain, focus n° 14, 2014, www.regards-economiques.be.
  • [197]
    197 Il s’agit là d’un processus qui affecte notamment les femmes, les personnes âgées et les enfants. Cf. N. Hirtz, « De la colonisation au colonialisme », GRESEA Échos, n° 100 : Migrantes dans le capitalisme racial et patriarcal, 2019, p. 2-13.
  • [198]
    198 Cf. le site Internet du Collecti.e.f 8 maars : www.8maars.be.
  • [199]
    199 M. Créer, « C’était le 8 mars 2019 : la grève des femmes en Belgique », Axelle Magazine, n° 217, 2019, www.axellemag.be.
  • [200]
    200De Morgen, 8 mars 2019.
  • [201]
    201BX1, 8 mars 2019, https://bx1.be.
  • [202]
    202 Le 8 mars correspond au quarantième anniversaire du début des cinq jours de protestation des femmes iraniennes contre le hijab obligatoire en 1979.
  • [203]
    203 Cf. « Bloc de soutien aux détenues et aux femmes de détenu.e.s #8mars », Événement Facebook, 8 mars 2019, www.facebook.com/events.
  • [204]
    204 A. Koechlin, La révolution féministe, Paris, Amsterdam, 2019.
  • [205]
    Année qui avait été marquée par une grève générale organisée en front commun syndical le 30 janvier (cf. V. Demertzis, « La grève générale du 30 janvier », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2012. I. Grève générale et secteur privé », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2172-2173, 2013, p. 17-27).
  • [206]
    Calculs réalisés sur la base de K. Vandaele, « Les statistiques de grève et leur exploitation », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2079, 2010, p. 42 et des annexes statistiques des livraisons du Courrier hebdomadaire réalisées par le GRACOS.
  • [207]
    Cf. J. Faniel, C. Gobin, D. Paternotte, « Introduction. La Belgique des mouvements sociaux », in J. Faniel, C. Gobin, D. Paternotte (dir.), Se mobiliser en Belgique. Raisons, cadres et formes de la contestation sociale contemporaine, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, 2020, p. 34-35.
  • [208]
    Pour des raisons démographiques, technologiques et autres, les dépenses en soins de santé ont tendance à augmenter chaque année et à provoquer une hausse du coût budgétaire du vieillissement moyen de la population. Aussi, depuis le 1er janvier 1995, la loi impose une norme de croissance aux dépenses du secteur de l’assurance maladie. Cette norme consiste à limiter la hausse annuelle des dépenses à un certain pourcentage en dehors de l’inflation. Cette norme a toujours été positive et a été quelquefois dépassée. Par ailleurs, des politiques d’austérité sont menées pour contenir ces dépenses afin qu’elles restent inférieures à la norme. Fixant la norme à + 1,5 %, le gouvernement Michel I a mené une politique sévère en la matière, mettant à mal la qualité des soins et les conditions de travail du personnel soignant.
  • [209]
    Ankermag, 23 juin 2019.
  • [210]
    Disposition budgétaire prise adoptée par la Chambre des représentants dans le cadre du vote des douzièmes provisoires des mois de novembre et décembre 2019, alors que le gouvernement Wilmès I (MR/CD&V/Open VLD) était en affaires courantes.
  • [211]
    Une récente étude du DULBEA (Centre de recherche d’économie appliquée de la Solvay Brussels School of Economics and Management et de l’Université libre de Bruxelles) montre que les aides-ménagères vivent des conditions de travail qui affectent négativement leur santé, notamment parce qu’elles sont exposées au risque d’être atteintes de maladies musculo-squelettiques. La probabilité d’être en incapacité de travail (sur un court terme) augmente de 85 % et celle d’invalidité (sur un long terme) de 260 % pendant les cinq années qui suivent leur entrée dans le système. Cf. E. Leduc, I. Tojerow, « Subsidizing Domestic Services as a Tool to Fight Unemployment: Effectiveness and Hidden Costs », IZA Discussion Papers, Institute of Labor Economics (IZA), n° 13 544, 2020.
  • [212]
    Nous écrivons le mot au féminin car les 150 000 emplois de ce secteur sont dans la toute grande majorité occupés par des femmes : aides-ménagères à domicile et employées d’ateliers de repassage.
  • [213]
    L’accord prévoit notamment + 0,8 % d’augmentation salariale, la délivrance d’un chèque cadeau de 20 euros, le remboursement des frais concernant le repassage à domicile à hauteur de 10 % du salaire brut et une augmentation de la prime syndicale.
  • [214]
    Si, au sein du collectif, la revendication d’une augmentation des revenus a rapidement fait l’objet d’un consensus, le positionnement sur la question du statut à préconiser a été plus difficile à construire. Le collectif entend laisser libre le choix de recourir au statut de salarié ou à celui d’indépendant et ne ferme pas explicitement la porte au statut peer-to-peer même si ce dernier n’est pas évoqué dans le cahier de revendications.
  • [215]
    Le manifeste ajoute d’autres expressions de cette domination patriarcale, comme les discriminations de genre, les stéréotypes sexistes et les violences envers les femmes.
  • [216]
    * Annexe rédigée par Kurt Vandaele.
    Cf. K. Vandaele, « Les statistiques de grèves et leur exploitation », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2079, 2010, p. 19-20 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève durant la période 1991-2011 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2011 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2135-2136, 2012, p. 111-121 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève en 2011-2012 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2012. II. Secteur public et questions européennes », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2174-2175, 2013, p. 82-86 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève en 2012-2013 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2013 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2208-2209, 2014, p. 105-109 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève en 2013-2017 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2017 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2383-2384, 2018, p. 94-103 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève en 2018 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2018. II. Conflits d’entreprise », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2424-2425, 2019, p. 101-106. Pour la période 1991-2012, les statistiques de grève restent inchangées et sont donc sous-estimées.
  • [217]
    Les périodes assimilées sont des périodes d’absence du travail qui ne sont pas rémunérées, mais qui sont assimilées à des périodes de travail en vue de déterminer certains avantages sociaux à accorder aux travailleurs. Chaque trimestre, les employeurs ou leurs mandataires (secrétariats sociaux) déclarent ces périodes à l’ONSS. Les grèves et lock-out relèvent également de la définition des périodes assimilées.
  • [218]
    Ceci vaut également pour le premier semestre de 2019.
  1. 4. Sidérurgie à Clabecq (NLMK) : un feu sans oxygène
    1. 4.1. Une restructuration prévisible
    2. 4.2. Un conflit potentiellement explosif…
      1. 4.2.1. Annonce et position de la direction
      2. 4.2.2. Une base ouvrière ayant recours à un répertoire d’actions conflictuel
      3. 4.2.3 Durcissement du rapport de force
    3. 4.3. … mais sans direction ni plan de bataille
      1. 4.3.1. Des délégations syndicales débordées
      2. 4.3.2. Une absence d’extension de la lutte en dehors de l’usine
      3. Des pouvoirs publics en accord avec la direction de NLMK
    4. 4.4. Épuisement et impasse
      1. 4.4.1. Des divisions exploitées par la direction
      2. 4.4.2. Repli sur la procédure Renault
      3. 4.4.3. Fin du conflit et résultats
    5. 4.5. Conclusion
  2. 5. L’Avenir, un journal sans perspective de lendemain
    1. 5.1. Regain de tension entre rédacteurs et direction
    2. 5.2. Recours au journal pour expliquer le conflit
    3. 5.3. Une liste noire ? Un lock-out ?
    4. 5.4. Conflit de légitimité entre les syndicats et la Société des rédacteurs
    5. 5.5. Pouvoir des journalistes, liberté de la presse
    6. 5.6. Nouveau durcissement du conflit
    7. 5.7. Vers le démantèlement de Nethys
    8. 5.8. Entre découragement et volontarisme
    9. 5.9 Conclusion
  3. 6. Ryanair : le retour des grèves en Europe
    1. 6.1. Premier semestre 2019 : le temps de la concrétisation
    2. 6.2. Boeing 737 Max, les conséquences sociales d’un problème technique
    3. 6.3 Deuxième semestre 2019 : le retour des grèves
    4. 6.4. Conclusion
  4. 7. Les coursiers en Belgique : d’une grève locale au rassemblement international en passant par la première assemblée nationale
    1. 7.1. La grève gantoise en faveur d’une augmentation des salaires (15 juin 2019)
    2. 7.2. La première assemblée générale nationale du Collectif des coursier.e.s (9 novembre 2019)
      1. 7.2.1. Le peer-to-peer (P2P) : un tiers statut ?
      2. 7.2.2. Un cahier de revendications national : vers une négociation ?
      3. 7.2.3. Résultats
    3. 7.3. La deuxième réunion européenne des coursiers (11 décembre 2019)
      1. 7.3.1. Lobby pour un statut et/ou lutte pour un salaire ?
      2. 7.3.2. Le libre choix : entre salarié et indépendant ?
    4. 7.4. Conclusion
  5. 8. Mobilisation inédite dans le secteur des titres-services
    1. 8.1. Un secteur aux conditions d’emploi et de travail peu favorables à la mobilisation collective
    2. 8.2. À l’origine du conflit : la remise en cause des principes de l’accord interprofessionnel
    3. 8.3. Une diversité d’actions collectives
    4. 8.4. Vers le dénouement
    5. 8.5. Conclusion
  6. 9. La « grève des femmes / grève féministe » du 8 mars 2019
    1. 9.1. Émergence de la grève internationale des femmes
    2. 9.2. Le Collecti.e.f 8 maars
      1. 9.3. Le manifeste de la grève
    3. 9.4. La mobilisation pour la grève
    4. 9.5. Les grèves des femmes / grèves féministes
    5. 9.6. La grève du 8 mars 2019
      1. 9.6.1 Grève du travail domestique
      2. 9.6.2 Grève du travail rémunéré
      3. 9.6.3 Grève étudiante
      4. 9.6.4. Autres actions
    6. 9.7. Conclusion
  7. Conclusion
    1. Des fonctions collectives de l’État sous tension
    2. Des restructurations lourdes, présentes et à venir
    3. Précariat en lutte
    4. Conflictualité professionnelle et politique
    5. Hétérogénéité des acteurs et constitution de collectifs
    6. La dimension internationale des conflits
Iannis Gracos

Le Groupe d’analyse des conflits sociaux (GRACOS) est un collectif interdisciplinaire ayant pour objectif l’étude des principaux mouvements de grève et autres éléments de la conflictualité sociale qui jalonnent l’actualité de chaque année civile. Ce Courrier hebdomadaire est consacré aux conflits qui ont marqué l’actualité belge en 2019. Particulièrement significatifs par rapport à l’histoire sociale et aux enjeux futurs, ceux-ci sont regroupés en deux volumes.

Ce second volume traite de trois types de conflits. Tout d’abord, ceux qui sont survenus dans des entreprises spécifiques suite à l’annonce d’importantes restructurations : l’entreprise sidérurgique NLMK située à Clabecq ; les Éditions de l’Avenir, détenues par la structure publique Nethys, filiale de l’intercommunale Enodia (ex-Publifin) ; la compagnie aérienne low cost Ryanair (basée en Irlande et opérant dans l’ensemble de l’Europe). Ensuite, les conflits qui mettent particulièrement en avant la condition précaire des travailleurs de deux secteurs : celui des coursiers et celui des titres-services. Enfin, une action sociale dont la base a été les discriminations liées au genre : la « grève des femmes / grève féministe » du 8 mars 2019. À travers ces différents cas, c’est plus globalement l’évolution des relations collectives de travail et de la concertation sociale qui est questionnée.

L’étude se clôt par une annexe statistique fournissant un aperçu quantitatif du phénomène des grèves en Belgique en 2019.

Le GRACOS se compose actuellement de 19 membres : B. Bauraind, A. Bingen, M. Brodersen, J. Buelens, B. Conter, V. Demertzis, A. Dufresne, J. Faniel, C. Gobin, N. Hirtz, G. Lambert, C. Leterme, E. Martinez, L. Mélon, P. Reman, M.-C. Trionfetti, K. Vandaele, J. Vandewattyne et C. Vanroelen. La présente étude a été rédigée avec la collaboration de C. Casier, E. Demeester, E. Deront, T. Hausmann et M. Retout.

Mis en ligne sur Cairn.info le 22/12/2020
https://doi.org/10.3917/cris.2475.0007
ISBN 9782870752500
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