CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1 Si l’on parle aujourd’hui encore de concertation sociale, au moins comme mode de décision politique où les interlocuteurs sociaux sont impliqués d’une façon ou d’une autre, l’on ne parle en revanche plus de concertation économique. Or, au moment de la mise en place des institutions de la concertation sociale, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la concertation économique était au moins aussi importante aux yeux des acteurs socio-économiques. C’était un vaste projet de démocratie économique et sociale complétant la démocratie politique qui semblait alors se dessiner.

2 La démocratie économique vise à instaurer la décision démocratique en matière économique. Un premier champ d’action est celui de la politique économique, où il s’agit de créer des mécanismes transparents permettant aux acteurs de l’économie de participer à la décision. Un deuxième champ d’action est celui de l’entreprise, où il s’agit de permettre aux travailleurs eux-mêmes d’avoir part à la décision. Un troisième champ d’action vise le contenu des décisions économiques, qu’il faut réorienter des intérêts particuliers vers l’intérêt général. Le but du présent Courrier hebdomadaire est de rappeler le profil oublié de cette démocratie économique et les réalisations institutionnelles auxquelles elle a donné lieu. Son édification s’est achevée dans le milieu des années 1970. Le changement de paradigme économique du début des années 1980 a ensuite tourné le dos à la conception du rôle de l’État qui avait présidé à son avènement et à son développement. Ce changement s’est avéré beaucoup plus corrosif pour la démocratie économique que pour la concertation sociale, malgré toutes les difficultés rencontrées par celle-ci. Les débats actuels sur la « gouvernance économique » sont aux antipodes des conceptions qui ont été à la base de la démocratie économique.

3 Le premier chapitre est consacré à un rappel historique des origines et des principales concrétisations institutionnelles de la démocratie économique. Les lois et arrêtés royaux ainsi que les grands accords sociaux qui font le régime de l’économie concertée sont rappelés dans leur chronologie. Les quatre chapitres suivants sont consacrés à des analyses thématiques qui explorent des aspects particuliers de la démocratie économique : le lien entre démocratie économique et démocratie politique, l’organisation démocratique de l’économie, la démocratisation de l’entreprise et l’encadrement démocratique de la politique économique. Pour tenter de caractériser le degré de consensus politique atteint sur ces différents aspects, on rappelle les intentions du législateur, les conceptions des partis qui participent au pouvoir et les positions des interlocuteurs sociaux qui influencent la décision politique.

4 Une remarque s’impose concernant la terminologie utilisée dans les textes cités. Il n’y est pas toujours fait usage du seul concept de démocratie économique. Le terme plus large de démocratie économique et sociale est souvent utilisé car, pour les promoteurs de l’économie concertée, les aspects économiques et sociaux faisaient partie d’un même projet. Nous les considérerons ici comme synonymes, le contexte devant éclairer à quel niveau de généralité le discours se situe.

1. Historique

5 La démocratie économique est plus récente que la concertation sociale. Si leurs racines sont les mêmes, le développement de la démocratie économique date d’après la Seconde Guerre mondiale. L’immédiat après-guerre en construit les bases institutionnelles. Les documents législatifs ainsi que les programmes des partis et des syndicats abondent en références à la valeur démocratique appliquée à la sphère économique. Les années 1950 sont celles d’une première mise en pratique, avec pour toile de fond une politique gouvernementale axée sur l’expansion économique et des accords paritaires consacrés à la productivité. Les deux décennies suivantes voient l’approfondissement de la démocratie économique avec l’instauration d’un tripartisme appliqué à une programmation, puis la planification économique. Ce tripartisme démocratique s’étend même à plusieurs grands secteurs économiques.

6 Ce bref historique donne un aperçu des principales lois et des accords sociaux qui ont édifié la démocratie économique, sans entrer dans le détail des raisons exposées par le législateur, ni des positions des acteurs, ni de la description des mécanismes. Ceci sera l’objet des analyses thématiques plus approfondies des parties suivantes.

1.1. Les origines de la démocratie économique

7 La Belgique s’inscrit dans un courant qui touche tous les pays industrialisés où, dès le XIXe siècle, se répand l’idée que la démocratie politique ne représente pas l’achèvement de l’œuvre des révolutionnaires et des réformateurs qui ont mis à bas l’Ancien Régime  [1]. La souveraineté du peuple doit également trouver des prolongements dans l’ordre économique. L’expression de « démocratie industrielle » apparaît en France en 1848, notamment dans l’œuvre de l’économiste et sociologue Pierre-Joseph Proudhon  [2].

8 Après la Première Guerre mondiale, apparaît, dans tous les pays industrialisés, l’idée que la démocratie doit s’installer dans les entreprises : « Le projet d’étendre les principes de la démocratie à la sphère de l’économie va rencontrer à ce moment un formidable écho. Il mobilise des acteurs sociaux de premier plan et donne naissance à de véritables réformes. Il ne s’agit donc plus d’une simple formulation à consonance utopique, comme chez Proudhon cinquante ans plus tôt. »  [3]

9 L’idée fait lentement son chemin, tout d’abord à travers la régulation des conflits sociaux. En Belgique, si les délégations syndicales, par exemple, sont progressivement reconnues dans les grandes entreprises, il s’agit pragmatiquement plus de trouver des compromis visant à mettre fin à des conflits sociaux que de bâtir un édifice dont les plans seraient déjà arrêtés. Les conventions collectives qui donnent un statut à ces délégations, comme celles qui traitent des augmentations de salaire ou de la durée du travail, sont perçues comme des « traités de paix » temporaires issus d’un rapport de force. Ces accords sont conclus avec la médiation des pouvoirs publics, qui instaurent un cadre réglementaire pour réguler la négociation. C’est ainsi que sont créées, à partir de 1919, les premières commissions paritaires dans les grands secteurs industriels. Celles-ci sont le fruit d’un compromis de nature politique. Elles sont mises en place par des gouvernements de coalition comprenant des ministres représentant une force politique nouvelle, la social-démocratie, qui a accédé au pouvoir à la faveur de la guerre puis grâce au suffrage universel (masculin) : le Parti ouvrier belge (POB). Celui-ci a en effet inscrit à son programme l’association des syndicats aux décisions politiques en matière économique et sociale. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, on compte 39 commissions paritaires.

10 En 1936, à la suite de graves tensions sociales, est convoquée pour la première fois une Conférence nationale du travail, qui réunit des représentants patronaux et syndicaux, ainsi que des membres du gouvernement. Les conclusions auxquelles elle aboutit, dont l’octroi d’une semaine de congés payés aux travailleurs, sont adoptées par le gouvernement, qui s’engage à en faire voter l’application par le Parlement. « Un mécanisme nouveau, de caractère purement informel, était né. Mécanisme théoriquement consultatif mais auquel on demandait en fait de dégager les termes d’un accord qui, malgré son caractère légalement non obligatoire, allait constituer tel quel une “décision” que l’on exécuterait. »  [4] De semblables conférences tripartites sont encore réunies à la fin de 1939 et au début de 1940, avant le déclenchement des hostilités.

11 Dans la Belgique occupée par le IIIe Reich, alors que le gouvernement belge est à Londres, des hauts fonctionnaires, des dirigeants d’associations patronales et des responsables syndicaux prennent l’initiative de maintenir des contacts dans la clandestinité au sein d’un « Comité patronal-ouvrier »  [5] pour réfléchir à ce à quoi pourrait ressembler le visage social du pays après la guerre. Ils aboutissent en 1944 à la rédaction d’un texte, connu sous le titre de Projet d’accord de solidarité sociale, qui semble ne jamais avoir été ratifié en tant que tel, mais qui influencera la politique sociale du pays durant plusieurs années après la guerre. Il repose sur le compromis suivant : d’un côté, les organisations d’employeurs reconnaissent que les travailleurs sont représentés légitimement par les organisations syndicales ; de l’autre côté, les organisations de travailleurs reconnaissent le bien-fondé de l’économie de marché et la légitimité du pouvoir de gestion économique du chef d’entreprise. Organisations patronales et Syndicats se reconnaissent donc mutuellement comme interlocuteurs légitimes et exclusifs  [6].

12 En ce qui concerne la participation des représentants des employeurs et des travailleurs à la décision politique, le Projet d’accord de solidarité sociale contient des « principes et méthodes de collaboration paritaire », qui prévoient ce qui suit au niveau national :

13

« Les organisations représentatives des chefs d’entreprises et les organisations représentatives de travailleurs demanderont à être représentées paritairement dans tous les conseils consultatifs ou exécutifs institués auprès des autorités publiques pour le traitement des questions de travail ou de prévoyance sociale, pour les questions d’enseignement ou de santé publique, pour les questions économiques ou toutes autres intéressant à la fois la vie des travailleurs et l’activité des entreprises. Leurs représentants dans ces divers conseils, tels qu’un conseil national du travail, un conseil national de la prévoyance sociale, un conseil national de l’économie, un conseil national de la santé publique, un conseil national de l’enseignement et de la culture, seront désignés sur proposition des organisations interprofessionnelles reconnues comme représentatives pour l’ensemble du pays. »  [7]

14 Mais le « projet » d’accord de solidarité sociale est également une mise en pratique. Il représente à cet égard un moment démocratique qui ne s’est jamais reproduit par la suite avec cette intensité. Le texte comprend en effet un accord sur un important relèvement général des salaires et sur la généralisation d’une sécurité sociale complète et obligatoire pour tous les salariés, deux points que le gouvernement appliquera dès sa rentrée en fonction en 1944.

1.2. L’institutionnalisation de la démocratie économique dans l’immédiat après-guerre

15 C’est à partir de 1945 que la démocratie dans l’ordre économique et social prend véritablement corps en Belgique, à la fois comme programme politique et comme architecture institutionnelle. Elle se développe à travers, d’une part, de nouvelles formes d’interventionnisme de l’État dans l’économie et, d’autre part, la création d’institutions nouvelles qui associent les acteurs économiques et sociaux à la décision politique dans les matières qui les concernent.

16 Le Projet d’accord de solidarité sociale prévoit la création d’organes de représentation des travailleurs dans les entreprises. Le processus parlementaire qui aboutit à cette création, par la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie, dure plusieurs années, durant lesquelles le danger révolutionnaire communiste s’estompe. Ceci explique pourquoi cette loi est très en retrait par rapport aux intentions affichées en 1944 (cf. infra). La même loi crée les conseils professionnels et le Conseil central de l’économie (CCE) pour associer les acteurs économiques à la décision politique. Un arrêté-loi du 9 juin 1945 donne un statut légal aux commissions paritaires. Avec la création du Conseil national du travail (CNT) par une loi du 29 mai 1952, se trouve parachevé l’essentiel des institutions de la concertation sociale, qui fait partie intégrante de ce que l’on nomme à l’époque la démocratie économique et sociale. La loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires précisera et complétera la législation existante. Elle comblera certains vides juridiques sans apporter d’innovation, excepté la possibilité pour le CNT de conclure des conventions collectives, compétence qu’il ne reçoit pas en 1952.

1.3. La mise en pratique de la démocratie économique dans les années 1950

17 Un premier cadre institutionnel étant mis en place, les années 1950 sont celles d’une mise en pratique de la démocratie économique et sociale. Les interlocuteurs sociaux commencent à entretenir des contacts de leur propre chef au niveau interprofessionnel. Même si l’on observe une pause dans la construction institutionnelle, cela ne signifie pas que certains esprits ne songent pas à l’avenir. C’est le cas de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), qui, au cours de cette décennie, réunit un congrès extraordinaire relatif à de nouvelles réformes de structures démocratiques à entreprendre. Ce congrès, qui aura des répercussions sur la décennie suivante, a lieu les 30 et 31 octobre 1954. La commission chargée de sa préparation produit le rapport Situation économique et perspectives d’avenir, puis est chargée de poursuivre la réflexion dans le célèbre rapport Holdings et démocratie économique, que la FGTB publie en 1956. Ces deux productions doctrinales inspireront les revendications syndicales et les programmes du Parti socialiste belge (PSB) pendant deux décennies. Quant à lui, le Parti social-chrétien (PSC) fera sienne une grande partie de ce programme, tout en l’adaptant à une idéologie qui sauvegarde une plus large place à l’initiative privée.

1.3.1. Les déclarations communes sur la productivité

18 Dans l’après-guerre, l’appareil productif belge se relève relativement intact et peut redémarrer assez rapidement, alors que d’autres pays le feront plus lentement, mais sur des bases entièrement nouvelles. Le patronat belge est confronté à la nécessité de faire évoluer les modes de production obsolètes vers davantage de productivité, dans le but de rattraper le retard pris sur l’industrie américaine dans l’organisation scientifique du travail. En 1950, dans un contexte de croissance relativement lente, la Fédération des industries de Belgique (FIB, ancêtre de l’actuelle Fédération des entreprises de Belgique) institue un Centre belge de productivité. Elle parvient à mettre en place une synergie entre sa préoccupation et l’aide états-unienne accordée aux économies européennes dans le cadre du Plan Marshall. En 1952, la croisade de la FIB aboutit à la création, avec l’aide américaine, de l’Office belge pour l’accroissement de la productivité (OBAP). La FIB parvient à persuader les syndicats de produire avec elle, le 5 mai 1954, une « déclaration commune sur la productivité ». Les interlocuteurs sociaux y marquent leur confiance dans le fait que « l’accroissement de la productivité doit amener en fin de compte une diminution du nombre de chômeurs ». Ils s’engagent à collaborer loyalement pour étudier les moyens et méthodes pour accroître la productivité. Ils s’engagent encore à rechercher l’accroissement de la productivité de telle façon que ses fruits reviennent de façon équitable « à l’entreprise, aux travailleurs et aux consommateurs ».

19 Le thème est approfondi en 1959 dans une deuxième déclaration commune. Il y est dit notamment que « l’effort d’accroissement de la productivité nécessaire au maintien du pouvoir concurrentiel de l’économie belge doit s’inscrire dans le cadre d’une politique efficace d’expansion économique pour qu’il apporte, en fin de compte, de plus larges possibilités d’emploi et, par là, plus de bien-être général ».

20 Ces déclarations communes sont quelquefois présentées comme un approfondissement du « pacte social » contenu dans le Projet d’accord de solidarité sociale par l’injection d’« une cohérence macroéconomique globale aux décisions prises à chaque niveau de la concertation sociale »  [8]. Toujours est-il que, en l’absence d’indication sur les formes que pourrait prendre la redistribution des fruits de l’accroissement de la productivité, les interlocuteurs sociaux en font des interprétations divergentes  [9].

1.3.2. L’accord interprofessionnel sur la réduction du temps de travail

21 C’est dans ce contexte que renaît une revendication syndicale qui n’avait pas été mise en avant depuis l’avant-guerre, du moins au niveau interprofessionnel, à savoir la revendication d’une réduction du temps de travail hebdomadaire. À l’issue de discussions bipartites, les interlocuteurs sociaux aboutissent, le 28 octobre 1955, à un accord sur la réalisation par les commissions paritaires d’une réduction progressive de la durée du travail hebdomadaire à 45 heures. Bien que le gouvernement soit intervenu pour faciliter l’accord, il s’agit bien d’un accord bipartite. La place du niveau interprofessionnel par rapport aux branches d’activités est donc déjà en train de se profiler. Elle s’affirmera à partir de 1960 avec le premier accord interprofessionnel dit « de programmation sociale ».

1.3.3. Une politique d’expansion économique

22 La politique économique menée par le gouvernement est d’inspiration keynesienne : modernisation des infrastructures, croissance des revenus et des recettes fiscales induites permettant de faire face aux charges des emprunts, développement de services publics dans les domaines de l’éducation, de la formation des salariés, des soins de santé, des communications et télécommunications, etc.  [10] Elle s’applique notamment à travers les lois d’aide à l’expansion économique, intervenues très tôt dans la période : outre la loi Duvieusart du 7 août 1953 et la loi Rey du 31 mai 1955 (modifiée ensuite le 10 juillet 1957), il faut pointer deux législations du même ordre, l’une générale, du 17 juillet 1959, l’autre régionale, du 18 juillet 1959. Il y a beaucoup d’autres lois d’aide à l’expansion économique. Nous n’avons mentionné ici que les premières, en nous basant sur une synthèse que le CRISP a publiée en 1959  [11].

23 Au cours de cette période, le CCE est maintenu à l’écart de la définition de ces politiques, alors que, selon le projet de loi qui est à son origine, il devait jouer un rôle éminent de ce point de vue. Dans les rapports d’activité, le président de cette institution note qu’elle est « peu intégrée dans notre structure constitutionnelle » et qu’il y a de la marge entre ce qu’a prescrit le législateur et la consultation effective du CCE par le gouvernement et le Parlement  [12]. Le rapport d’activité du CCE de 1961 fait encore état d’un « défaut de contact » avec le gouvernement et avec le Parlement  [13].

1.4. La programmation économique et la concertation tripartite dans les années 1960 et 1970

24 Dans les années 1960, on assiste à la poursuite de l’institutionnalisation de la démocratie économique et sociale, avec l’instauration de la programmation économique et l’extension de la concertation tripartite.

1.4.1. Une politique économique programmée et concertée

25 La politique d’aide à l’expansion économique se développe dans un contexte où la concentration économique favorise la constitution de grands ensembles dont la politique d’investissement demande une coordination avec celle menée par les pouvoirs publics. Par ailleurs, le consensus sur la productivité battant de l’aile, le patronat est confronté à la nécessité de trouver une nouvelle réponse aux revendications syndicales qui cherchent à participer à la définition de la politique économique globale. Ces deux facteurs mènent à la création du Bureau de programmation économique (BPE) par un arrêté royal du 14 octobre 1959  [14]. Le CCE avait consacré un avis unanime à la création de cet organe et il semble que ce soit la première fois que le gouvernement a été attentif à un tel avis  [15].

26 La programmation de l’expansion économique qui est confiée à cet organe d’étude est supervisée par une instance nouvelle, dont la création, par un arrêté royal du 25 novembre 1960, est inspirée par la démocratie économique : le Comité national de l’expansion économique (CNEE). Sont appelés à y siéger les plus hauts représentants patronaux et syndicaux, ainsi que les ministres concernés (notamment le ministre des Affaires économiques et le ministre des Travaux publics). À la différence du CCE, qui est un organe paritaire, le CNEE est un organe tripartite, c’est-à-dire au sein duquel des membres du gouvernement siègent aux côtés des interlocuteurs sociaux. On reviendra à plusieurs reprises ci-après sur le rôle joué par cet organe aujourd’hui disparu.

27 Pour rendre plus effective la programmation économique, les pouvoirs publics se dotent d’un instrument de financement de l’activité économique qu’ils veulent soutenir, avec la création en 1962 de la Société nationale d’investissement (SNI).

1.4.2. L’extension de la concertation tripartite aux grands secteurs économiques

28 À partir des années 1960, on observe une tendance à doubler les organes consultatifs et paritaires par d’autres organes, concertatifs et tripartites cette fois. On vient de le voir avec la création du CNEE, qui double en quelque sorte le CCE. Il en est de même au niveau sectoriel.

29 En 1964, le Comité de contrôle du gaz et de l’électricité voit le jour et prend une orientation nettement tripartite. Un représentant du gouvernement y siège et est doté du droit de suspension des recommandations de ce comité  [16].

30 En 1967, le terme de concertation est ouvertement utilisé dans le sens de « tripartite » avec la création du Comité de concertation de politique sidérurgique, qui tente de résoudre par une programmation sectorielle volontaire les problèmes conjoncturels et structurels rencontrés dans ce secteur. En 1970, sont créés le Comité de concertation et de contrôle du pétrole, le Comité national de l’énergie et le Secrétariat à la concertation sectorielle. Ce dernier a pour objet d’organiser « une concertation tripartite visant non seulement à assurer le sauvetage éventuel d’entreprises en difficulté par suite de la crise mais aussi à élaborer une politique permettant aux secteurs concernés d’affronter l’avenir dans les meilleures conditions »  [17]. On peut encore citer, à un niveau transversal, la création, en 1969, de la Commission pour la régulation des prix. Bien qu’elle soit en principe consultative, celle-ci est « jugée par certains comme concertative à divers égards : des groupes socio-économiques s’y trouvent en fait dotés de tâches administratives et [elle a] entre autres pour mission d’étudier et de négocier l’application de contrats de programme entre le secteur privé et le gouvernement »  [18].

1.4.3. Une négociation sociale structurée en trois niveaux

31 La signature plus ou moins régulière d’accords interprofessionnels achève la construction d’une architecture à trois niveaux de la négociation sociale paritaire. Pour les syndicats, il s’agit d’aborder au niveau le plus élevé, c’est-à-dire le niveau interprofessionnel, les thèmes de négociation que les interlocuteurs sociaux jugent pouvoir être traités à ce niveau dans le but de ménager un socle commun à tous les secteurs, les plus faibles n’étant pas laissés en rade tandis que les plus forts négocient des avantages supplémentaires ou des sujets qui leur sont spécifiques dans les commissions paritaires – deuxième niveau – et dans les entreprises – troisième niveau. Pour le patronat, l’accord interprofessionnel est un instrument de coordination qui doit encadrer la négociation collective pour l’articuler à la concertation économique et notamment à la programmation économique.

32 Ces accords, le plus souvent d’une durée de deux ans, sont articulés entre eux dans le temps : ce n’est qu’après la signature d’un accord interprofessionnel que commencent les négociations pour la signature d’accords sectoriels dans les commissions paritaires ; ceux-ci étant conclus, commencent éventuellement des négociations d’entreprises pour la conclusion de conventions collectives à ce niveau.

33 Des sujets comme la durée du travail, les vacances annuelles et le salaire minimum interprofessionnel sont progressivement traités au niveau le plus élevé, après qu’un nombre suffisamment élevé de commissions paritaires ont avancé dans ces domaines. En revanche, les augmentations salariales et les autres aspects du salaire restent l’apanage des commissions paritaires ou des entreprises. Ceci est vrai pour une première série d’accords interprofessionnels signés entre 1960 et 1975. Par la suite, après une période où les interlocuteurs sociaux ne peuvent signer de tels accords en raison de la crise économique et d’une divergence de fonds sur le rôle de tels accords, la reprise de cette pratique en 1986 se retrouve nettement plus encadrée, par le gouvernement ou par le CCE, ce qui correspond à un rééquilibrage souhaité par le patronat.

34 Ajoutons enfin que les accords interprofessionnels sont négociés en dehors des cadres formels des relations collectives de travail mis en place après la Seconde Guerre mondiale. Ils reposent sur l’engagement moral des interlocuteurs sociaux à en exécuter les dispositions, notamment, à partir de 1968, en concluant des conventions collectives sur des sujets précis au sein du CNT  [19].

1.4.4. De la programmation à la planification

35 Après une évaluation de la programmation des années 1960, une réforme est mise en œuvre en vue de répondre aux critiques dont cette programmation fait l’objet et pour l’adapter à la dimension régionale de la politique économique. Cette réforme est accomplie par la loi du 15 juillet 1970 portant organisation de la planification et de la décentralisation économique. Parmi les multiples aspects de cette loi, on verra ci-après qu’elle renforce le rôle du CNEE.

36 Il faut mentionner, dans le cadre de la programmation, une mesure hautement symbolique du point de vue de la démocratie économique, à savoir l’association des holdings à la programmation économique  [20].

1.4.5. Une ultime relance de la démocratie économique et sociale ?

37 C’est un conflit dans les mines du Limbourg qui amène, en 1970, la convocation d’une vaste Conférence économique et sociale, type de réunion au sommet auquel on n’a plus eu recours depuis l’immédiat après-guerre  [21]. On vient de voir que la programmation sociale interprofessionnelle a pour cadre les négociations de l’accord interprofessionnel. Or, l’accord interprofessionnel du 7 février 1969 est censé régler le progrès social pour deux années et donc fermer la porte à toute nouvelle revendication syndicale durant cette période. La gravité de la situation sociale est cependant prise en compte et l’ordre du jour de la conférence demandée par les centrales chrétiennes et socialistes des mineurs est élargi, à la demande de la FGTB, à des thèmes qui dépassent de loin les problèmes sectoriels des charbonnages.

38 Le premier point de l’accord conclu le 16 mars 1970 concerne la démocratie économique. Au niveau national, la conférence préconise d’activer le processus parlementaire devant aboutir à la transformation de la programmation économique en planification par la loi du 15 juillet 1970. Elle relance également la concertation tripartite au sein du CNEE. Au niveau sectoriel, elle demande l’amélioration du fonctionnement des conseils professionnels et la création d’organes semblables dans de nouveaux secteurs. Au niveau de l’entreprise, elle préconise d’améliorer par divers moyens l’information et la consultation des travailleurs au conseil d’entreprise. C’est à ce niveau que sont engrangés les résultats les plus durables, puisque sont encore en vigueur deux textes majeurs qui découlent directement de cette conférence : la convention collective n° 4 du CNT du 4 décembre 1970 concernant l’information et la consultation des conseils d’entreprise sur les perspectives générales de l’entreprise et les questions d’emploi dans celle-ci  [22], et l’arrêté royal du 27 novembre 1973 sur les informations économiques et financières à fournir au conseil d’entreprise.

39 L’édifice de la démocratie économique s’achève par la mise en œuvre de ce qui est probablement la dernière revendication syndicale ayant donné lieu à ce que l’on appelait une « réforme de structure », avec la création d’un holding public appelé à jouer un rôle semblable à celui des holdings privés et orienté par l’intérêt général. Cette réforme intervient par la transformation, en 1976, de la SNI en un holding public habilité à financer de véritables initiatives industrielles publiques. Quant aux holdings privés, une loi du 20 janvier 1978 les associe plus étroitement à la planification qu’ils ne l’étaient auparavant à la programmation  [23].

2. Démocratie économique et démocratie politique

40 Les partisans de la démocratie économique sont bien conscients que la démocratie est d’abord un régime politique. L’un des enjeux est donc pour eux de justifier son importation dans la sphère économique. Dès lors, l’autonomie des institutions politiques démocratiques est l’objet de débats, d’ajustements et de redéfinitions.

2.1. La démocratie économique comme complément de la démocratie politique

41 Le projet d’élaborer une démocratie économique comme complément de la démocratie politique trouve son écho en Belgique, on l’a dit, particulièrement après la Seconde Guerre mondiale. Daté du 8 mai 1947, un rapport parlementaire relatif à la création des conseils d’entreprise écrit : « Dans le mouvement d’idées qui a accompagné le formidable cataclysme qui s’est abattu sur le monde, la recherche d’une meilleure entente entre les forces du travail et le monde des chefs d’entreprises, l’accès incompressible des masses laborieuses à un standing meilleur, la reconnaissance de la dignité humaine et le concept de démocratie sociale comme complément indispensable de la démocratie politique, la formulation plus explicite des droits du travail, ont, dans ce pays comme dans tant d’autres, été le levain d’un renouveau qui devait se traduire à la libération du territoire par des revendications formelles. »  [24] Ce texte adopte le ton du Projet d’accord de solidarité sociale de 1944. Il fait d’ailleurs référence aux travaux qui ont préparé ce document : « Les cénacles clandestins qui assurèrent la permanence de la liberté intellectuelle et qui avaient sondé l’ampleur des problèmes d’après-guerre, mettaient l’accent sur la nécessité de réformes substantielles dont devait bénéficier le monde du travail. Le Comité patronal-ouvrier, notamment, dont l’influence sur l’évolution de notre législation sociale actuelle est incontestable, mais dont l’œuvre est loin d’être intangible, rédigeait le Projet d’accord de solidarité sociale. »  [25]

42 Le législateur semble alors avoir conscience d’être à un tournant de l’histoire. Le 3 décembre 1947, un projet de loi relatif à l’organisation de l’économie constate que « les grandes lois organiques de nos institutions ont été conçues par des esprits pénétrés de la philosophie politique qui a précédé ou suivi la Révolution française. (…) Quant aux rapports sociaux qu’engendre l’activité économique, ils sont en principe régis, exclusivement, par la libre volonté des individus, à l’exclusion de toute immixtion de l’État ; en somme, tout ce qui est économique relève du droit privé et le droit public doit y rester étranger »  [26]. Dans ce contexte traditionnel qui appartient au passé, l’État doit se limiter aux fonctions régaliennes (monnaie, impôts, défense, justice) et à la protection des libertés individuelles. C’est ce type de démocratie qu’il convient désormais de compléter par une démocratie économique, en donnant aux travailleurs « la reconnaissance du rôle éminent qu’ils jouent dans la vie de la nation »  [27]. Il est question de « l’abolition de la conception périmée du patronat de droit divin »  [28].

43 Cette complémentarité entre démocratie politique et démocratie économique est explicitée par la FGTB à l’occasion de son célèbre congrès des 30 et 31 octobre 1954 sur les réformes de structure : « La démocratie économique (…) se fonde sur le principe suivant : le travailleur qui peut participer comme membre d’un parti et participe en tout cas comme électeur (et éventuellement comme mandataire ou gouvernant) à la gestion de la chose publique, a aussi le droit de participer à la gestion de l’entreprise où il est employé, à l’orientation de la branche économique à laquelle appartient son entreprise, à la conception de la politique générale au niveau des conseils généraux de l’économie. »  [29]

2.2. Le maintien de la souveraineté étatique

44 Les contours de la démocratie économique ne sont pas très précisément dessinés. On perçoit, à travers ce que laissent transparaître des textes parlementaires pourtant expurgés de tout style militant, qu’il s’agit plus d’une aspiration venant du mouvement ouvrier que d’une doctrine élaborée de droit public. Mais nombreuses sont les allusions au fait que les attributions souveraines de l’État ne doivent pas être entamées par les nouveaux organes à créer. Les organes constitutionnels de l’État doivent pouvoir continuer à jouer pleinement leur rôle de décision. La fonction première, qui semble faire l’unanimité, des futurs nouveaux organes est d’informer les décideurs politiques et les chefs d’entreprise. Deux écueils sont en effet à éviter : d’une part, l’étatisme (pas de confusion entre les intérêts privés et l’intérêt général) et, d’autre part, le corporatisme (pas de pouvoir réglementaire aux institutions de la démocratie économique). Si les organes de la démocratie économique ne doivent pas être de simples organes d’exécution des décisions politiques, « il serait dangereux, par contre, [de leur] accorder un pouvoir réglementaire. Il faudrait craindre que l’égoïsme professionnel ne nuise à l’intérêt général »  [30].

45 Le mouvement syndical est amené à se situer par rapport à la démocratie parlementaire. Il a pris la mesure de sa force et prend conscience de son caractère incontournable. Sa situation par rapport à l’État fait l’objet de ses réflexions. Dans un rapport de son XVe congrès (tenu les 10, 11 et 12 octobre 1947), la CSC considère que le mouvement syndical est devenu une « organisation dirigeante de la société »  [31]. Dès lors, estime-t-elle, « il est bien évident pour tout le monde que la démocratie et l’État démocratique ne peuvent se concevoir dans la seconde moitié du XXe siècle sans y associer consciemment et organiquement la classe ouvrière. La démocratie ne peut plus exister ni être prospère, sans l’accord massif et actif et la collaboration de la classe ouvrière organisée »  [32]. Aux yeux de la CSC, cette situation donne des devoirs et des responsabilités aux travailleurs syndiqués : ceux-ci « doivent abandonner leur mentalité exclusivement revendicative, leur esprit d’opposition comme groupe de pression, pour s’adapter à leur rôle de groupe national, dirigeant et responsable »  [33].

46 La FGTB est loin de se définir comme la CSC en tant qu’organiquement intégrée dans la démocratie. Elle se perçoit davantage comme un agent de transformation sociale capable d’agir, par la conquête du pouvoir politique, sur les institutions politiques. La réflexion menée en 1956 par la FGTB sur la démocratie économique a pour toile de fond le même respect des institutions politiques de la démocratie parlementaire qu’à la CSC. Cependant, elle insiste davantage sur un rapport de force à établir : si ces institutions sont respectées, « même au prix des luttes politiques les plus âpres, si la majorité le veut, l’économie peut cesser d’être fondée sur la régulation par le marché et sur les mobiles de l’intérêt particulier, pour être régie par un plan dans l’intérêt commun et selon les principes du service public (…). Sur cette extension de l’application des pouvoirs démocratiques au domaine économique, on peut édifier une première forme de démocratie économique, que nous appellerons “démocratie économique par les pouvoirs politiques centraux” »  [34].

47 Mais, insiste encore le rapport du syndicat socialiste, outre les institutions politiques démocratiques, la démocratie économique doit avoir ses mécanismes propres, ses propres organes de délibération, qui, pour ne pas avoir de prééminence sur les premières, doivent avoir une portée strictement consultative.

2.3. L’exercice démocratique du pouvoir économique

48 En régime capitaliste, l’initiative économique est prise par les propriétaires des entreprises. Ce principe n’est pas véritablement mis en cause par le courant qui met en place les réformes de la démocratie économique. Cependant, on ne peut passer sous silence la réflexion en profondeur menée par la FGTB dans les années 1950 à ce sujet. Son rapport Holdings et démocratie économique de 1956 identifie les groupes financiers (les holdings) propriétaires de l’essentiel de l’appareil productif du pays. Dans la conclusion du rapport, le secrétaire général adjoint de la FGTB, André Renard, écrivait : « Nous sommes en économie dirigée ; mais ceux qui la dirigent, c’est-à-dire les deux cents “hommes” des holdings, la dirigent mal (…) parce qu’ils ont en vue des intérêts particuliers et non l’intérêt général. »  [35]

49 Tenant compte des analyses contenues dans le rapport de 1956, le congrès extraordinaire de la FGTB des 27 et 28 octobre 1956 adopte la résolution suivante : « Constatant qu’il ne peut y avoir de démocratie économique aussi longtemps qu’il n’aura pas été mis un terme à la toute puissance des holdings, le congrès réclame, en vue du transfert de leurs prérogatives à la nation, la mise des holdings sous le contrôle d’un organisme semblable à la Commission bancaire. »  [36] Pour la FGTB, l’exercice démocratique du pouvoir économique passe par un contrôle public des stratégies d’investissement des propriétaires, qui ont confié aux holdings le soin de définir ces stratégies pour leur compte.

50 À cette époque, la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) apparaît très en retrait par rapport à cette vision politique de la démocratie économique. Dans le rapport de son XVe congrès déjà cité, la démocratie économique apparaît comme une conséquence, d’une part, du fait que l’État ne saurait résoudre seul le problème économique et qu’il faut donc que « les intéressés du monde professionnels » l’éclairent sur la politique à mener et, d’autre part, du fait que les travailleurs organisés ont acquis une puissance dont il faut tenir compte. La démocratie économique apparaît donc davantage comme une conséquence d’une évolution que comme un projet explicite volontairement assumé. La situation de l’immédiat après-guerre, dit le rapport de la CSC, a changé sur le plan économique et social mais davantage encore sur le plan politique : « Il y a deux faits à signaler ici. Premièrement l’économie prime absolument dans la vie publique. Le problème économique, plus que tout autre, exige la préoccupation constante de l’État. Il y a plus. L’État n’est pas équipé pour orienter et diriger l’économie. Le pouvoir exécutif et l’administration d’une part, le pouvoir législatif d’autre part, ont à faire face à une tâche énorme et compliquée, pour la réalisation de laquelle le personnel compétent et une documentation sérieuse et actuelle font défaut. Dès lors, il est évident que les intéressés du monde professionnel doivent aider l’État, ce qui suppose l’intervention d’organismes adéquats, où les fonctionnaires et les professionnels peuvent se rencontrer. Quelle instance autre que le mouvement syndical pourrait intervenir au nom des travailleurs ? En second lieu, il y a la percée irrésistible de l’idée démocratique dans le domaine social et économique. Les travailleurs ont acquis dans les pays industrialisés une position et une puissance inébranlables. Ils veulent utiliser leur position pour en finir avec le régime capitaliste, c’est-à-dire avec un régime dans lequel l’autorité et la gestion de l’économie sont l’apanage exclusif des propriétaires de capitaux. Ils veulent avoir leur mot à dire dans la direction de la vie économique. Les réformes de structure nécessaires avaient toujours été propagées par le syndicalisme. Maintenant que leur application est imminente, on ne peut douter qu’il se trouve à la veille d’un événement historique. »  [37] Mais la CSC ne revendique pas davantage que la possibilité d’une influence sur la décision politique à travers les élus du Mouvement ouvrier chrétien (MOC), dont elle est membre  [38].

51 Si le « transfert des prérogatives des holdings à la nation » ne sera jamais à l’ordre du jour, le contrôle démocratique des holdings connaîtra cependant une certaine application à travers la législation sur l’association des holdings à la programmation économique et ensuite à la planification (cf. infra). Par ailleurs, une autre manière d’exercer démocratiquement le pouvoir économique réside dans le fait que les pouvoirs publics prennent des initiatives économiques en investissant directement dans la création d’entreprises ou en prenant des participations dans le capital de certaines d’entre elles. L’« initiative économique (ou industrielle) publique », une revendication longuement portée par la FGTB comme par la CSC, connaîtra une réalisation dans les faits (cf. infra).

2.4. La création de la fonction consultative

52 Pour exercer la démocratie économique, un consensus, aussi bien politique que social (c’est-à-dire entre les interlocuteurs sociaux), apparaît quant à la nécessité de créer des organes exclusivement consultatifs. Le futur Conseil central de l’économie (CCE), par exemple, aura une « compétence (…) d’ordre strictement consultatif et, pour que les pouvoirs publics soient exactement informés sur les opinions du monde économique, ses avis ne se borneront pas à traduire le sentiment de la majorité, mais exprimeront les différents points de vue exposés en son sein (…). Ses avis (…) s’imposeront aux autorités publiques avec tout le crédit qui s’attache à l’affirmation du monde économique tout entier »  [39]. Il en va de même pour les conseils professionnels à créer au niveau des branches d’activité, ainsi que pour le futur Conseil national du travail (CNT), qui « doit être un organe de conciliation, il doit s’appliquer à trouver des solutions de synthèse, dont les autorités constitutionnelles devront s’inspirer »  [40].

53 Le rôle strictement consultatif des nouveaux organes de la démocratie économique est affirmé particulièrement dans le rapport de la Commission des affaires économiques du Sénat concernant le projet de loi portant organisation de l’économie, publié le 28 juillet 1948. Ce rapport, qui est l’œuvre de Paul Van Zeeland (PSC), tranche considérablement par rapport au rapport de la Commission spéciale de la Chambre des représentants, dont le rapporteur est Edmond Leburton (PSB). Le rapport Van Zeeland situe l’objectif du projet de loi, non dans l’ordre politique d’une démocratie économique à installer, mais dans l’ordre économique à améliorer : « Le but que recherchent toutes ces dispositions, c’est de favoriser l’esprit de collaboration qui doit régner entre tous les facteurs de production. À la faveur de cet esprit, grâce à une meilleure entente, grâce à une psychologie plus confiante de part et d’autre, grâce éventuellement aux suggestions positives issues des contacts, l’espoir peut naître que la production elle-même s’en trouve favorablement influencée. »  [41] Le rapport insiste : « En ce qui concerne les conseils de portée générale (Conseil central de l’économie et conseils professionnels), il ne peut y avoir de confusion. Leur rôle est bien défini. Ce sont des organes consultatifs. Ils sont appelés à éclairer d’une part les pouvoirs publics, d’autre part les forces libres de l’économie. Ils n’empiètent en rien sur l’autorité finale des organes politiques. Ceux-ci gardent la décision entièrement dans leurs mains. »  [42]

54 Pour affirmer néanmoins le rôle central des organes consultatifs, la FGTB songe en 1956 à remplacer le Sénat par « un conseil économique et social, représentatif des forces économiques et sociales organisées. Si une telle réforme constitutionnelle était admise, il va sans dire que la Chambre des députés élus au suffrage universel direct devrait disposer du pouvoir final de décision sur le plan législatif »  [43].

55 Une fonction consultative est donc mise en place, à côté de la fonction législative et de la fonction exécutive, comme « un rouage dûment reconnu visant à faire leur place à des forces socio-économiques sans contredire les principes traditionnels du régime politique »  [44], un rouage appelé à se substituer à la pression unilatérale des acteurs organisés sur le gouvernement. Il est cependant intéressant de noter que, dans les préfaces du président aux rapports annuels du CCE, s’il est souvent question de « fonction consultative », l’expression de démocratie économique n’est jamais utilisée. Ceci témoigne probablement de la réserve dont doit faire preuve le président d’un organe officiel paritaire par rapport à une expression qui possède un sens positif davantage pour un côté de la table que pour l’autre côté.

56 Au cours des premières années de fonctionnement du CCE, l’exercice de la fonction consultative déçoit en effet les organisations syndicales, notamment celle qui en attendait le plus : la FGTB. Des affrontements sur le rôle de l’institution ont lieu entre son secrétaire général adjoint, A. Renard, et le représentant de la FIB. En décembre 1951, A. Renard se livre à une virulente critique du fonctionnement du CCE, assortie d’un exposé du but initialement assigné, selon lui, à l’institution : « Nous pensons ne pas trop nous avancer si nous affirmons que l’opinion publique et l’histoire vraisemblablement jugeront le Conseil central de l’économie sur la capacité à réaliser cet objectif fondamental qui consistait à faire participer, d’une manière directe, les travailleurs à la direction de l’économie. »  [45] Le président de la CSC, Auguste Cool, ne soutient pas A. Renard dans son constat de bilan absolument négatif, mais le rejoint cependant dans son regret d’être peu consulté par le gouvernement.

57 Au début des années 1960, un bilan de l’activité des conseils consultatifs est établi à l’occasion du dépôt d’un projet de loi visant à fusionner le CCE et le CNT en un seul organe, appelé Conseil économique et social  [46]. Ce bilan n’émane pas des interlocuteurs sociaux mais du pouvoir exécutif, censé demander des avis aux conseils et les utiliser dans ses décisions. Le projet de création d’un Conseil économique et social n’aboutit cependant pas. Il est intéressant de noter les aspects positifs attribués à la fonction consultative par l’exposé des motifs du projet de loi : création d’un esprit de compréhension entre les interlocuteurs sociaux, nuances dans les avis exprimés par les groupes d’intérêts représentés permettant de guider le pouvoir exécutif dans la préparation de certaines décisions, initiatives des conseils à l’origine de textes législatifs d’une importance déterminante  [47].

58 Au fil du temps cependant, cette conception strictement consultative est débordée par une conception qui accorde un rôle plus actif aux interlocuteurs sociaux dans la décision politique. Cela est vrai pour les commissions paritaires. Leur statut, fixé dans l’immédiat après-guerre par l’arrêté-loi du 9 juin 1945, leur avait donné pour mission non seulement d’élaborer des avis, mais également de conclure des conventions collectives de travail. Il faudra cependant attendre la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires pour que le statut juridique de ces conventions collectives soit clarifié et qu’elles trouvent une place dans la hiérarchie des sources de droit. À cette occasion, le CNT se verra doté d’une compétence nouvelle, exclue lors de sa création, celle de conclure des conventions collectives de travail, dont la force obligatoire peut être étendue par un arrêté royal à l’ensemble des employeurs et des travailleurs du secteur privé.

59 L’extension du rôle des interlocuteurs sociaux vers une implication plus directe dans la décision politique se vérifie aussi dans le développement de la programmation, puis de la planification économique.

3. L’organisation démocratique de l’économie

60 L’idéal démocratique d’égalité est un bon guide d’analyse lorsqu’il est appliqué à l’économie et que l’on se demande en quoi peut consister l’organisation d’une économie démocratisée. Cette organisation de l’économie est désirée du côté patronal surtout pour ses vertus pacificatrices attendues, tandis que, du côté syndical, on en attend plutôt une rationalisation qui met fin aux errements constatés dans une économie laissée aux mains des agents privés qui n’ont pas le bien commun pour critères dans le choix de leurs investissements. Mais concrètement, la réalisation la plus tangible de l’organisation démocratique de l’économie se repère dans l’instauration du paritarisme dans les modalités de rapports entre les interlocuteurs sociaux.

3.1. Égalité politique et égalité économique

61 Faire entrer la démocratie dans l’ordre économique consiste, pour les acteurs politiques de l’époque, à résoudre le conflit entre, d’une part, un pouvoir politique basé sur l’égalité entre les citoyens et, d’autre part, l’inégalité entre travailleurs et détenteurs de capitaux : « Le développement parallèle de la démocratie et du capitalisme port[e] (…) en lui les germes d’une évidente contradiction. »  [48] En 1947, le rapport Leburton sur le projet de loi portant organisation de l’économie insiste sur le consensus qui s’est dégagé à ce sujet au Parlement :

62

« Les affirmations, par les différents groupes représentés à la commission [de la Chambre], de leurs positions respectives, ont différé sur plus que des nuances. Pourtant, l’exposé des motifs du projet gouvernemental qui constitue une exégèse commune à ceux qui veulent promouvoir le progrès économique et social n’a pas suscité de grandes discussions. La déclaration que l’égalité politique est aujourd’hui compromise par l’inégalité économique, que le pouvoir économique dominant appartient aux détenteurs de capitaux, que la masse des citoyens doit être libérée de la tutelle de ce pouvoir économique, ne rencontre pas de contradiction sérieuse. Il se trouve ainsi une très large majorité pour réaliser ce premier pas vers la démocratisation de l’économie qui devra résoudre l’antinomie entre l’égalité des droits politiques constitutionnels et l’inégalité résultant de l’appropriation de ce pouvoir économique par une minorité. Le caractère politique aussi bien que la portée sociale de cette évolution doivent être soulignés, car elle constitue le lieu géométrique par où passent certaines grandes idées de ce temps. »  [49]

63 L’inégalité économique a été renforcée par l’évolution d’un capitalisme de libre concurrence vers un capitalisme dominé par les holdings, les monopoles et les cartels  [50]. De son côté, poursuit le rapport Leburton, l’État a déjà pris les devants en établissant les bases d’une protection sociale, en menant une politique d’aide et de protectionnisme et en nationalisant, à l’occasion, certaines grandes entreprises non rentables. Mais cela ne suffit pas, l’économie doit désormais être « organisée », être l’objet de « réformes de structure ». Les « conditions et principes de l’organisation de l’économie » sont énumérés dans le rapport Leburton. Citons-les tels quels, en demandant l’indulgence du lecteur pour les redites et en nous réservant la possibilité de revenir par après sur certains d’entre eux : « 1. Les conseils doivent être représentatifs ; 2. Les conseils doivent être purement consultatifs ; 3. Les conseils doivent s’appuyer sur les grandes organisations libres ; 4. Les conseils doivent être paritaires ; 5. Les conseils doivent disposer de secrétariats techniques ; 6. Les conseils sont institués pour le secteur privé de l’économie. »  [51]

3.2. Instaurer un climat de collaboration

64 L’objectif de cette organisation est d’instaurer un climat de collaboration entre tous les facteurs de production. Ceci est particulièrement mis en avant par le PSC, comme on le voit à travers le rapport Van Zeeland relatif au projet de loi portant organisation de l’économie : « Le but que recherchent toutes ces dispositions, c’est de favoriser l’esprit de collaboration qui doit régner entre tous les facteurs de production. À la faveur de cet esprit, grâce à une meilleure entente, grâce à une psychologie plus confiante de part et d’autre, grâce éventuellement aux suggestions positives issues des contacts, l’espoir peut naître que la production elle-même s’en trouve favorablement influencée. »  [52]

65 Il ne faut pas se résigner « devant le jeu naturel des “lois de l’économie” [mais faire] place à une volonté de libérer l’homme des incertitudes économiques, de variations monétaires, de la technique asservie au profit »  [53], indique de son côté le rapport Leburton. L’économie nationale ne peut plus être sous l’influence des seuls intérêts particuliers. L’État doit être l’interprète de l’intérêt général. L’économie doit être mise « au service de l’homme et des valeurs humaines »  [54]. Cette méfiance envers les lois du marché est aussi à la base de la décision de permettre à l’État, puis plus tard aux Régions, de prendre des initiatives économiques publiques, pas seulement en soutenant l’investissement privé, mais en se substituant à lui « lorsqu’il apparaît à l’évidence que le secteur privé reste en défaut de les réaliser »  [55] (ainsi que le proclame l’exposé des motifs du projet de loi).

66 Le défi de ces réformes est cependant de les réaliser sans remettre en cause la propriété privée des moyens de production et d’échange, donc sans nationalisation, et sans remettre en cause la notion de profit  [56]. Il semble bien que certains accords ou la création de certaines institutions aient pour objectifs latents la pacification d’antagonismes toujours prêts à resurgir. Par exemple, en 1954, la déclaration commune sur la productivité a pour origine une demande patronale. La FIB avait dès l’année précédente lancé une croisade en faveur de l’accroissement généralisé de la productivité. Mais elle entendait faire appel au « leadership » des syndicats vis-à-vis de leurs membres. Il fallait impliquer les syndicats, qui craignaient les conséquences pour les travailleurs de l’application brutale de nouveaux procédés techniques ou de nouvelles normes de travail : « C’est le rôle de l’organisation syndicale de lui montrer [au travailleur] que la crainte excessive du chômage technologique entraîne un chômage plus général et définitif ; de l[e] rassurer – mais oui – sur les intentions patronales, et enfin de lui montrer le caractère inéluctable d’une politique de la productivité. »  [57]

67 La collaboration active et pacifiée des agents de l’économie passe donc par l’activation d’une capacité d’encadrement des travailleurs par les syndicats. Si cette capacité d’encadrement n’est pas suffisante pour que le consensus atteigne « la base », c’est-à-dire les travailleurs, comme ce fut le cas quelques années après la déclaration commune sur la productivité, le passage à un autre thème de consensus s’avère nécessaire. Tel est notoirement le cas de la productivité : la généralisation du consensus sur la productivité doit se mesurer à la « paix sociale ». Cet objectif n’étant pas atteint par cette voie, les organisations syndicales en viennent à retirer progressivement leur épingle du jeu, et à accepter de déplacer le consensus social vers d’autres enjeux. D’autres thèmes de consensus succèdent en effet bientôt à celui de la productivité : l’expansion économique, la programmation concertée, la régionalisation de l’économie. « On peut même encore se demander si le consensus sur la productivité dont l’initiative est venue du côté patronal n’a pas eu pour objectif de désamorcer, ou au moins de rendre inefficaces dans les faits, des revendications à caractère plus radical qu’eut pu présenter la FGTB alors même qu’elle préparait un programme de réformes de structures économiques et s’interrogeait sur le pouvoir économique. »  [58]

68 Autre raison d’agir : le pouvoir économique outrepasse son domaine jusqu’à envahir celui du pouvoir politique. Plusieurs textes de l’époque reconnaissent l’existence d’un tel empiétement, qu’il convient de corriger. Par exemple, le projet de loi portant organisation de l’économie du 3 décembre 1947 indique que « le progrès des techniques industrielles et la concentration financière assurent à quelques-uns une puissance économique qui participe, en fait, du pouvoir politique, dès lors autrement partagé et exercé que la démocratie ne l’exige »  [59].

3.3. L’organisation rationnelle de l’économie

69 Une représentation organisée des intérêts généraux du monde économique auprès du pouvoir politique doit aider l’État à donner une forme rationnellement organisée à l’économie, c’est-à-dire à « subordonner l’activité économique aux intérêts généraux »  [60]. Il s’agit d’organiser rationnellement l’économie en vue du bien commun : « En vue de réaliser une politique économique rationnelle, il importe que toutes les activités productrices et distributrices de la nation soient tenues dans un état d’harmonie réciproque. Et l’on peut avancer que, du point de vue économique, l’intérêt général de la collectivité procède essentiellement du maintien de pareille harmonie. »  [61] La foi en la possibilité d’organiser rationnellement l’économie en vue du bien commun, mais sans tomber dans un dirigisme suspect, est explicite. Ainsi lit-on dans le rapport Leburton : « Cette profession de foi dans l’économie “dirigée”, “conseillée”, “organisée” ou “orientée” suppose le recours à des moyens rationnels et conformes aux exigences de ce temps. Elle ne s’identifie en rien avec la caricature de “dirigisme” qu’une économie en état de pénurie avait provoqué, comme un mal auquel on ne pouvait échapper. »  [62]

70 Le besoin de rationalisation de la représentation des intérêts touche aussi le domaine social. Ainsi, la création du Conseil national du travail (CNT) en 1952 est présentée comme la poursuite des réformes de structure instaurées par la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie  [63]. Une architecture comprenant une double pyramide d’institutions, économiques d’une part, sociales d’autre part, répond à cette rationalité : « À l’organisation économique formée par les conseils professionnels et le Conseil central de l’économie, correspond, dès lors, une organisation sociale formée par les commissions paritaires et le Conseil national du travail. »  [64]

71 Plus tard, l’instauration de la programmation économique répond également à un besoin de rationalisation, mais cette fois dans l’octroi des aides à l’expansion instaurées tout au long des années 1950. De même, le passage à la planification en 1970 répondra aussi à ce souci de rationalité. Face au déclin économique de certains secteurs ou de certaines régions, il faut mener une politique économique active et préoccupée de résultats en termes de sécurité d’emploi et d’équipements et services dans l’ensemble du pays. Le plan sera l’instrument rationnel de la politique économique qui embrassera « toutes les activités et décisions susceptibles de répercussions économiques et sociales, quel que soit le secteur, public ou privé, industriel ou financier, qu’elles concernent, et quel que soit le niveau, national ou régional, où [cette politique] s’exerce »  [65].

3.4. Le paritarisme

72 L’organisation de l’économie consiste à organiser institutionnellement les relations entre les forces du capital et les forces du travail pour compenser l’inégalité que le pouvoir économique y introduit de fait. Le rapport Leburton signale que de « longues discussions » ont eu lieu en commission parlementaire à ce sujet. Par la solution qu’elle a adoptée, c’est-à-dire le mode de représentation des employeurs et des travailleurs dans les conseils où ils sont présents, la Commission spéciale de la Chambre a voulu « garantir la parité entre le capital et le travail, ou plus concrètement entre les deux grandes forces économiques, pas nécessairement antagonistes : ceux qui détiennent les moyens de production et ceux qui les mettent en œuvre sans les posséder »  [66].

73 Corollairement, la représentativité des organisations appelées à siéger dans les nouveaux organes de la démocratie économique et sociale est une condition à respecter dans la mise en œuvre institutionnelle de l’organisation démocratique de l’économie.

74 Le paritarisme consiste à mettre en présence, sur pied d’égalité, des représentants issus du monde patronal et des représentants du monde syndical. Il s’agit de « garantir la parité entre le capital et le travail, ou plus concrètement entre les deux grandes forces économiques, pas nécessairement antagonistes : ceux qui détiennent les moyens de production et ceux qui les mettent en œuvre sans les posséder »  [67]. Le pied d’égalité que suppose théoriquement la mise en présence d’un nombre égal de représentants des employeurs et des travailleurs dans les conseils consultatifs peut avoir en pratique un caractère purement formel. Les syndicats disposent en effet de moins d’experts pour éclairer leurs représentants que les organisations d’employeurs. C’est pourquoi les syndicats se sont quelquefois montrés soucieux de doter les secrétariats des conseils de moyens humains plus conséquents  [68]. Par ailleurs, plus fondamentalement, le paritarisme formel dissimule l’asymétrie qui existe entre représentants des employeurs et représentants des travailleurs par le simple fait qu’un patron « pèse » plus qu’un ouvrier. En outre, « si le syndicat se constitue avec le but premier de solidariser les travailleurs face aux patrons, les associations d’employeurs n’ont pas comme vocation première la constitution d’un front unique contre les travailleurs, mais bien de gérer les rapports avec l’État et avec l’environnement économique, par exemple l’organisation de la concurrence »  [69]. Le choix du paritarisme imposant une symétrie formelle, il n’est pas impossible que le fonctionnement pratique des conseils les fasse évoluer vers plus de symétrie réelle.

75 La représentativité des organisations est leur degré d’affiliation effective par rapport au nombre d’affiliations potentielles. La liberté d’affiliation est un principe de base fortement affirmé à l’époque pour se démarquer des modes corporatistes d’organisation de l’économie existant dans d’autres pays et de l’expérience temporaire des conseils professionnels instaurés dans l’immédiat après-guerre dans une courte période en vue de la reconstitution de l’appareil productif démantelé pendant la guerre. Des procédures sont mises en place pour apprécier la représentativité des organisations patronales sectorielles. Du côté des travailleurs, le taux élevé de syndicalisation du pays permet de considérer comme représentatives trois organisations interprofessionnelles : la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) et la Centrale générale des syndicaux libéraux de Belgique (CGSLB). Cette représentativité une fois établie, la démocratie économique et sociale repose, d’une part, sur le respect de la liberté d’affiliation et, d’autre part, sur l’acceptation tacite que, du côté patronal, toutes les entreprises d’un secteur, même celles qui ont choisi de ne pas s’affilier à une organisation patronale, sont représentées par elle et, du côté syndical, que l’ensemble des travailleurs, même ceux qui ne sont pas affiliés à une organisation syndicale, sont représentés par elles. Au niveau des entreprises, la représentativité des délégués des travailleurs appelés à siéger dans les conseils d’entreprise est assurée par un mécanisme électoral (les élections sociales, qui se tiennent à partir de 1950). Le lien avec les autres niveaux de la démocratie économique et sociale est assuré par le fait que seules les trois grandes organisations syndicales représentatives peuvent déposer des listes de candidats aux élections sociales  [70].

4. La démocratisation de l’entreprise

76 Les réformes sociales de l’entre-deux-guerres ont amélioré le statut des travailleurs. L’évolution du droit du travail a permis de réglementer les conditions d’embauche, la durée du travail et les modalités d’exécution de celui-ci. Dans les grandes entreprises, des délégations syndicales ont été reconnues. Les organes de négociation paritaires ont été le cadre de la négociation d’une hausse des rémunérations. Les principales branches de la sécurité sociale ont été mises en place. La sécurité et l’hygiène dans les entreprises se sont améliorées. Pourtant, l’entreprise, c’est-à-dire le lieu même où ces réformes s’appliquent, est restée intacte : « La structure interne de l’entreprise n’a pas changé. L’assiette juridique de l’entreprise repose toujours sur la notion traditionnelle de la propriété ainsi que sur les contrats civils de société, de prêt et de louage de services. La tâche du législateur de demain sera de remplacer ce substratum contractuel par l’idée de l’institution qui permettra de fondre harmonieusement au sein de l’entreprise les forces sociales qui concourent à la réalisation de son objet, sans que l’une de ces forces ne puisse subjuguer l’autre. »  [71] L’entreprise est également l’objet de réformes inspirées par le courant d’idées de la démocratie économique. Il s’agit de réformer les rapports de pouvoir dans la vie de travail  [72], par l’institution des conseils d’entreprise.

4.1. Deux approches syndicales

77 Du point de vue syndical, deux voies d’approche semblent se dessiner dans l’immédiat après-guerre.

78 L’approche socialiste est plutôt une approche « par le haut » et privilégie les réformes de structures économiques globales (cf. infra) pour ensuite aborder le niveau le plus bas, celui de l’entreprise. Mais d’importantes nuances sont à apporter à ceci, la FGTB étant issue, en 1945, d’une fusion de l’ancienne Confédération générale du travail de Belgique (CGTB) socialiste avec trois importantes organisations créées pendant la guerre : deux d’obédience socialiste (Mouvement syndical unifié et Centrale générale des services publics) et une d’obédience communiste (Confédération des syndicats uniques). Il importe de situer la conception de la FGTB dans un contexte où la démocratisation de l’entreprise est inséparable, d’une part, d’un plan économique d’ensemble et de plan sectoriels, et, d’autre part, d’un programme de nationalisation des grands secteurs de l’économie (crédit, énergie, transports, sidérurgie, chimie, etc.). Pour la FGTB, il y a lieu de séparer nettement la délégation syndicale, à fonction nettement revendicative, du conseil d’entreprise, à mission d’orientation collaborationniste  [73]. La FGTB de l’époque est cependant très méfiante au sujet des renseignements relatifs à la marche de l’entreprise que le conseil d’entreprise pourrait recevoir de la direction. Elle mise tout sur son programme de nationalisation, qui devrait se réaliser à brève échéance.

79 L’approche du syndicalisme chrétien tente de démocratiser l’économie « par le bas » et fait avec insistance de l’entreprise le lieu où les rapports sociaux doivent changer dans le sens d’une collaboration entre les travailleurs et les chefs d’entreprise dans l’environnement économique du libre marché. La CSC n’a pas pour objectif la suppression du salariat par l’abolition de la propriété privée des moyens de production. Elle cherche plutôt, en concordance avec la doctrine sociale de l’Église catholique, à établir dans l’entreprise un esprit de participation à la gestion des entreprises. Elle mêle à cette époque, dans les attributions des conseils d’entreprise, les tâches de cogestion et les tâches de revendication. Elle semble beaucoup plus attachée aux responsabilités du syndicat par rapport à la gestion de l’économie qu’à sa fonction revendicative dans un contexte conflictuel. Elle va même jusqu’à prôner une cogestion « réalisée par l’accès des travailleurs au conseil d’administration »  [74]. La CSC appuie le dépôt par le PSC d’un projet de loi sur la nomination de deux administrateurs choisis parmi le personnel. Mais il faut, pour elle, aller beaucoup plus loin. Elle « ne peut considérer une participation minoritaire du travail au conseil d’administration comme une solution définitive » ; au contraire, elle estime « que cette participation doit aller le plus rapidement possible jusqu’à la parité »  [75].

4.2. Collaboration, cogestion, auto-gestion

80 Les compétences à attribuer au conseil d’entreprise font l’objet de longues discussions au Parlement entre 1946 et 1948. On voit grosso modo s’affronter deux conceptions : l’une qui vise à donner à cet organe une mission de cogestion, comprise comme la collaboration entre employeur et travailleurs, l’autre visant l’auto-gestion, c’est-à-dire la gestion autonome des entreprises par les travailleurs.

81 Le but de collaboration sous la forme d’une cogestion est poursuivi par le monde chrétien (cf. supra). Mais en 1946, le projet de loi instituant les conseils d’entreprise, déposé au nom du gouvernement par Léon-Éli Troclet (PSB), assume aussi entièrement cette conception : « L’institution des conseils d’entreprise a un but éminemment pacificateur. Elle veut, en établissant des contacts réguliers entre le chef d’entreprise et des représentants de son personnel, développer un esprit de collaboration et de coopération. »  [76] Le projet d’instituer des conseils d’entreprise est le point de rencontre entre les revendications de la FGTB et la nécessité de collaboration reconnue par les employeurs et le monde social-chrétien dont fait partie la CSC. Un consensus s’établit sur la nécessité de reconnaître le besoin des travailleurs de jouer un rôle dans la vie économique. Il s’agit également là d’un besoin de considération  [77]. Du côté de la FGTB, la cogestion de l’appareil économique est en outre vue comme une préparation des travailleurs à la gestion autonome des entreprises socialisées. Au-delà de la collaboration ou de la cogestion, c’est donc pour un certain nombre d’acteurs l’auto-gestion qui se profile comme le but de la démocratie dans l’entreprise.

82 Quoi qu’il en soit des attentes des uns et des autres, les craintes du patronat de voir son autorité légale contestée par la nouvelle législation sont prises en compte par cette nouvelle législation. Les documents parlementaires tiennent à y faire écho en reproduisant un extrait du discours de Louis Cornil, administrateur délégué de la Fédération des industries belges (FIB) à la Conférence nationale du travail du 13 mai 1946 : « L’autorité du chef d’entreprise et de ses collaborateurs investis de certains pouvoirs dans l’échelle hiérarchique de l’entreprise ne peut être compromise et vous l’avez formellement reconnu  [78]. Cette autorité ne peut subsister que dans une atmosphère de confiance réciproque. (…) Nous voulons confirmer ici que dans notre esprit les conseils d’entreprise seront des organes de conciliation et de collaboration qui doivent siéger dans le calme, à l’abri des passions politiques. »  [79]

83 Aussi, prévoit le projet de loi, le conseil d’entreprise « devra-t-il se borner (…) à exercer, à cet égard, un pouvoir d’avis et de suggestion, la responsabilité de la gestion technique et de l’entreprise devant rester, en principe, l’apanage du chef d’entreprise »  [80]. Le rapport Van Zeeland se veut aussi rassurant à l’intention des employeurs : « Il ne peut y avoir d’autorité sans responsabilité ; ni, inversement, de responsabilité sans autorité. L’employeur garde l’autorité, et par conséquent, la responsabilité aussi bien de la marche que du succès ou de l’échec de l’entreprise. »  [81] En contrepartie, les travailleurs doivent être correctement renseignés sur la marche de l’entreprise par des informations périodiques et par la communication des documents comptables  [82].

84 Le Projet d’accord de solidarité sociale de 1944 avait préconisé la constitution, « dans chaque entreprise d’au moins vingt travailleurs », d’une « délégation du personnel » dont la compétence serait générale. Cette délégation devait couvrir les matières tant sociales qu’économiques dévolues aujourd’hui à trois organes différents (le conseil d’entreprise, le comité pour la prévention et la protection au travail, et la délégation syndicale). La loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie est fortement en retrait par rapport à ce projet d’accord. Les conseils d’entreprise qu’elle instaure seront créés seulement dans les entreprises d’au moins 200 travailleurs (seuil abaissé progressivement, et aujourd’hui fixé à 100 travailleurs).

85 La conception de la FGTB a donc prévalu en ce qui concerne la distinction entre les missions des délégations syndicales et celles des conseils d’entreprise. Par ailleurs, la FGTB a obtenu que l’on complète la législation sur les conseils d’entreprise par une législation sur l’enregistrement comptable et sur le révisorat d’entreprise.

4.3. Collaborer pour accroître la productivité ?

86 La demande d’une déclaration commune sur la productivité de 1954 émanait du côté patronal (cf. supra). Cet accord était censé instaurer une collaboration beaucoup plus approfondie que celle instituée par les conseils d’entreprise, et ceux-ci étaient désignés comme les lieux où doit s’opérer la collaboration en vue de l’accroissement de la productivité. Concrètement, elle prévoyait la formation de techniciens syndicaux de productivité, dûment formés à l’analyse des techniques de production. Elle impliquait plus généralement un consensus sur l’orientation même de l’économie vers plus de production pour plus de consommation accessible à tous. Encore fallait-il que cet esprit de collaboration, accepté par les dirigeants syndicaux, soit accepté par les travailleurs dans les entreprises. Si la foi dans l’engrenage productivité–expansion–bien-être plus élevé était partagée au sommet, qu’en était-il à la base ? Par ailleurs, les efforts de collaboration en faveur de la productivité allaient-ils favoriser l’apprentissage de la gestion des entreprises par les travailleurs, comme le pensait A. Renard, le secrétaire général adjoint de la FGTB ?

87 Le rapport d’activité 1956 de la FGTB (couvrant la période 1953-1955) considère la Déclaration commune sur la productivité comme une garantie pour les travailleurs « contre les conséquences trop brutales de nouveaux procédés techniques ou de nouvelles normes de travail ». Ce texte est empreint de confiance, allant même jusqu’à voir dans les efforts conjoints pour accroître la productivité « une nouvelle forme d’action qui constitue en quelque sorte un apprentissage de la gestion »  [83]. Très rapidement cependant, les rapports d’activité de la FGTB se montrent plus distants vis-à-vis du sujet, ne font pas état de la manière dont la Déclaration commune est appliquée dans les entreprises et mettent plutôt l’accent sur la politique d’expansion économique à mener par le gouvernement. À partir des années 1970, il n’est plus question du sujet dans les rapports d’activité.

88 À la CSC, on reconnaît que l’application de la Déclaration commune est lente et difficile  [84]. Le rapport d’activité de 1957 (couvrant les années 1956 et 1957) fait état du danger que les techniciens syndicaux ne deviennent des « technocrates » syndicaux. Celui de 1960 (couvrant les années 1958 à 1960) énonce les problèmes préoccupant la CSC : « la répartition équitable de l’accroissement de la productivité, le fait d’empêcher une augmentation dans l’effort demandé aux ouvriers et surtout le problème crucial du chômage technologique ». La CSC reconnaît que les problèmes sont loin d’être résolus au niveau de l’entreprise. Les rapports d’activité suivants ne fournissent plus aucune indication sur le domaine de la productivité. Les garanties que l’organisation se proposait de défendre vis-à-vis de ses membres, par exemple par rapport aux rythmes de travail, sont laissées dans l’ombre.

89 Les rapports d’activités syndicaux sont muets sur le degré d’acceptation, par les travailleurs et par leurs délégués, de cette collaboration sur la productivité. Ce qui ne va pas de soi, entre autres, est le fait que des techniques d’augmentation de la productivité mettent en jeu les relations humaines dans l’entreprise et que, ce faisant, elles entrent en concurrence avec les prérogatives syndicales de représentation du personnel  [85]. Mais le plus frappant est que la manière dont les deux syndicats rendent compte de la problématique de la productivité est totalement déconnectée de l’enjeu de la démocratisation de l’entreprise, thème qui les avait mobilisés quelques années auparavant.

5. Le cadre démocratique de la politique économique

90 Au-delà de l’organisation démocratique de l’économie et de la démocratisation de l’entreprise, c’est la politique économique elle-même qui va connaître des aménagements en vue de permettre aux acteurs économiques – désormais bien identifiés comme étant le capital, d’une part, et le travail, d’autre part – de participer à la décision politique. Cette nécessité de participation est reconnue en même temps que s’accroît l’intervention de l’État dans la vie économique.

91 L’interventionnisme de l’État a longtemps été jugé par les chefs d’entreprise comme anti-économique, comme un élément perturbateur du fonctionnement normal du marché. Dans les années 1930, avaient cependant émergé des formes d’interventionnisme visant la « réorientation économique »  [86] du pays. Celles-ci se développent fortement après la Seconde Guerre mondiale. Elles consistent principalement en la garantie de l’État à certains prêts accordés par les institutions financières aux entreprises, en la prise en charge temporaire par l’État des intérêts des emprunts contractés par des entreprises, en des subventions pour l’acquisition de bâtiments industriels, en l’achat ou en la construction de bâtiments par l’État, et en des exonérations fiscales. Les années 1950 voient l’élargissement rapide de ces formes d’aide. Leur champ d’application devient aussi plus important. Davantage de secteurs sont couverts. L’État est appelé à soutenir l’extension et la rationalisation des entreprises. « Les grands intérêts économiques ou sociaux deviennent l’intérêt économique général et celui-ci comprend, en plus, le développement de l’équipement économique du pays – concept très large – et l’équipement de recherche scientifique. »  [87] L’industrie, l’artisanat, le commerce et l’agriculture sont concernés. On passe de mesures temporaires à des mesures permanentes. Les zones géographiques à aider se multiplient. Le levier d’aide le plus utilisé, mais aussi le plus demandé par la grande industrie comme par les classes moyennes, est le dégrèvement fiscal. Cette évolution reçoit une approbation quasi générale, même de la part des organisations syndicales.

92 L’exposé des motifs des projets de loi d’aide aux entreprises comprend souvent une profession de foi dans l’économie de marché et une affirmation du rôle supplétif de l’État. Ce dernier n’entend pas se substituer à l’initiative privée, ni biaiser la libre concurrence, vue comme l’une des bases de la prospérité du pays, mais entend se ménager la possibilité de soutenir et de favoriser les initiatives intéressantes qui se feraient jour  [88].

93 À la fin des années 1950, apparaît la nécessité de mettre de l’ordre dans cette forme de politique économique, sous la forme d’un encadrement programmé de celle-ci.

5.1. Les idées socialistes

94 En 1954, la FGTB effectue un important travail de mise à jour doctrinale qui est discuté lors du congrès extraordinaire « Situation économique et perspective d’avenir ». L’élément central des divers volets de la politique économique prônée par la FGTB est la planification  [89]. La doctrine du planisme remonte aux années 1930, lorsque le Parti ouvrier belge (POB) a adopté, comme plusieurs autres partis et syndicats socialistes européens, le « plan de travail » élaboré par Henri de Man comme moyen de maîtriser la crise économique  [90].

95 C’est A. Renard qui est à l’origine du congrès extraordinaire de 1a FGTB de 1954. Il se montre un ferme partisan de la planification de l’économie. Pour lui, les objectifs de plein emploi, de répartition équitable du revenu national et d’amélioration du niveau général de vie « ne peuvent être atteints qu’à la condition de mettre en œuvre, selon un plan bien ordonné, tous les moyens techniques disponibles »  [91]. Il s’agit selon lui d’une « planification souple. Celle-ci, par opposition à la planification des régimes totalitaires, n’implique pas l’appropriation publique de l’ensemble des moyens de production. Cette appropriation collective doit rester limitée à certains services publics et, dans la mesure nécessaire, à certains secteurs industriels de base »  [92]. Par « planification souple », la FGTB entend une planification qui « fixe les objectifs à l’économie nationale et amène les entreprises à y concourir par réaction autonome, grâce à l’action systématique du gouvernement, conformément au plan, sur un certain nombre de facteurs économiques, notamment dans l’ordre monétaire, budgétaire, fiscal, des travaux publics, des prix, des salaires, de l’épargne, des investissements et du commerce extérieur  [93] ».

96 Cette planification souple (par opposition à la planification intégrale autoritaire) est compatible avec la démocratie économique : « La démocratie politique telle qu’elle est appliquée en Belgique et une politique économique fondée sur la planification souple s’harmoniseraient parfaitement pourvu que quelques aménagements fussent apportés au fonctionnement de la démocratie politique. On pourrait dire qu’à cette condition, la planification souple apparaît vraiment comme l’expression économique d’une authentique démocratie politique. »  [94] Dans la mise en œuvre de cette planification, les organisations syndicales estiment avoir leur rôle à jouer. En effet, elles « pourront, spécialement dans les conseils d’entreprise, mais aussi aux autres niveaux, exercer une vive et vigilante pression sur les chefs d’entreprise pour qu’ils conforment leur gestion aux objectifs qui, pour leur branche économique, sont proposés par le plan »  [95].

97 Mais la planification serait sans effet si le secteur privé ne suivait pas en investissant dans les initiatives économiques souhaitées. On retrouve ici le thème de la carence de l’initiative privée, liée au conservatisme des holdings qui préfèrent la rentabilité financière des investisseurs au développement économique axé sur le bien-être commun. Le rapport de la FGTB de 1954 souhaite que les ressources financières du pays soient orientées vers les investissements prévus par le plan économique. À cette fin, le syndicat propose de transformer la Société nationale de crédit à l’industrie en « un établissement public pur et doté du pouvoir de prendre des participations permanentes dans les entreprises (…). Cette institution recevrait des attributions très larges et pourrait jouer le rôle d’une société financière publique. Elle devrait, notamment, être habilitée à créer des entreprises nouvelles, soit seule, soit en collaboration avec d’autres pouvoirs publics ou avec des groupes privés. Elle devrait pouvoir reprendre le contrôle d’entreprises existantes et apporter son concours, par la voie de participation financière ou autrement, aux entreprises dont le développement est conforme aux objectifs du plan »  [96].

98 Après avoir pris ses distances, au début des années 1950, avec le programme de réformes de structure préconisé par le FGTB, le Parti socialiste belge (PSB), passé dans l’opposition en 1958, en adopte l’essentiel en 1959, et notamment la planification et la création d’une Société nationale d’investissement  [97], vue comme une alternative aux mesures d’expansion économique qui se sont développées au cours de la décennie qui se termine.

5.2. Vers la programmation économique

99 Ces idées trouvent un répondant auprès d’une catégorie moderniste du patronat proche d’une jeune génération d’économistes issus de l’Université catholique de Louvain. Ces « hommes nouveaux, plus techniciens qu’hommes d’affaires, plus soucieux d’efficacité que de rentabilité »  [98], sont ralliés à l’idée de programmation économique parce que celle-ci répond « aux impératifs de l’évolution de la structure du système capitaliste »  [99].

100 L’économie belge est en effet, selon cette analyse, dominée par des groupes à la tête desquels se trouvent des holdings financiers. Ceux-ci sont essentiellement préoccupés de rentabilité financière et ne se préoccupent pas de diriger l’économie du point de vue des besoins réels du pays. Par ailleurs, la tendance à la concentration économique a abouti à la création de grands ensembles industriels qui « supplantent les holdings dans la gestion des affaires. Leur dimension les rend en quelque sorte autarciques sur le marché des capitaux : les bénéfices de leur activité sont réinvestis chez eux ; point n’est besoin du marché des capitaux, ni des holdings pour assurer la redistribution. Dans ces conditions, les holdings n’agissent plus vis-à-vis des grands ensembles que comme des banquiers de long terme, tandis que les banques traditionnelles assurent les opérations à court terme »  [100]. Ces grands ensembles exercent des monopoles de fait et contrôlent donc l’ensemble du marché, ce qui nécessite d’avoir une approche prévisionnelle sur l’évolution des besoins globaux, y compris vis-à-vis des autres industries. Il s’ensuit que, « dans un capitalisme de grands ensembles, une certaine forme de planification ou de programmation est nécessaire au fonctionnement du système lui-même. Chaque société fonctionnant elle-même suivant un planning déterminé, il faut un programme d’ensemble pour déterminer les plannings particuliers »  [101].

101 Il y a donc une convergence entre les besoins fonctionnels du système économique de l’époque et les conceptions exprimées par les syndicats, même si les objectifs et leurs justifications ne sont pas les mêmes. Cette convergence mène à l’institution de la « programmation » économique – terminologie choisie alors pour se démarquer des revendications socialistes concernant la planification.

102 Un arrêté royal du 14 octobre 1959 crée le Bureau de programmation économique (BPE), qui sera chargé de cette programmation. Il est intéressant de noter que l’avis du Conseil central de l’économie (CCE), émis d’initiative, est unanime au sujet de la création de cette institution  [102] et que l’idée de démocratie continue à imprégner les préoccupations auxquelles le CCE entend répondre :

103

« Les faits économiques et sociaux présentent aujourd’hui un tel degré de complexité et d’interdépendance que l’empirisme ne permet plus au gouvernement de choisir, parmi les diverses politiques possibles, celles qui réaliseront au mieux les objectifs choisis. Il convient, sans aucun doute, de conserver aux organes de la démocratie le choix des objectifs et des moyens fondamentaux de la politique économique et sociale et la solution des conflits qui peuvent surgir entre ces objectifs et ces moyens lorsqu’ils sont poursuivis simultanément. Cependant, il importe aussi que la politique menée pour atteindre ces objectifs soit plus soigneusement élaborée et qu’elle présente les garanties maximales d’efficacité et de cohérence. C’est pourquoi le Conseil estime qu’il est désormais nécessaire de recourir davantage, dans la politique économique et sociale, aux techniques modernes mises à la disposition des gouvernants par la science économique. Il considère notamment qu’une programmation bien comprise de l’économie rendrait possible la conduite d’une politique économique et sociale plus efficiente et plus cohérente, et permettrait au secteur privé de prendre les décisions qui lui incombent en meilleure connaissance de cause. »  [103]

104 Il s’agit de rendre plus rationnelle la politique économique du gouvernement, dont les mesures ont « trop souvent (…) pour objet de remédier hâtivement à des situations difficiles au fur et à mesure que celles-ci se présentent »  [104].

105 La nouvelle institution créée est une sorte de bureau d’études composé d’experts hautement qualifiés. Elle est chargée de contribuer à fixer les objectifs généraux de la politique économique, le programme de développement économique et social, le plan des investissements publics et les prévisions quant aux investissements privés ainsi que des indications sur les perspectives des différents secteurs de la vie économique. Vis-à-vis du secteur privé, la programmation n’est que théorique et purement volontariste, mais elle comporte un aspect de négociation : « Dans la mesure, par exemple, où un secteur industriel admet que sa production doit augmenter en moyenne d’un certain pourcentage chaque année, il considérera à certains égards qu’il s’agit là d’une forme de négociation : d’une part, il peut espérer obtenir ainsi de l’État certaines faveurs, d’autre part, du point de vue de l’opinion publique, il prend plus ou moins implicitement l’engagement de réaliser ce taux. »  [105]

106 L’élaboration du programme comprend la détermination d’un taux prévisionnel d’expansion annuel du PNB, le raffinement de ce taux au niveau des secteurs privés en concertation avec les fédérations patronales sectorielles, la concertation globale avec les interlocuteurs sociaux interprofessionnels et une coordination interministérielle. La version définitive du programme aboutit au Parlement après nouvel examen par le gouvernement et par les interlocuteurs sociaux.

107 La concertation avec les interlocuteurs sociaux, qui intervient à des moments symboliquement forts, a lieu au sein d’un nouvel organe créé par l’arrêté royal du 25 novembre 1960 : le Comité national de l’expansion économique (CNEE). C’est l’organe de participation des interlocuteurs sociaux à la définition des objectifs de la politique économique du gouvernement. C’est un organe qui associe les interlocuteurs sociaux à la décision politique de façon plus étroite que le CCE, dont le rôle est seulement consultatif. À la différence de ce dernier, il n’est pas paritaire, mais tripartite. Il met en présence les représentants patronaux et syndicaux et les ministres le plus directement concernés par la politique économique et sociale du gouvernement (cf. supra). Il a pour mission de proposer les objectifs généraux de la politique économique, notamment en matière d’investissements, d’emploi, de prix et de salaires ; de fournir des indications sur les perspectives des différents secteurs économiques ; de donner son avis sur les investissements publics et de formuler des recommandations en ce qui concerne les investissements privés. Un mois après l’adoption de cette réforme, qui, en pratique, ne concerne que les dirigeants nationaux des syndicats et leurs services d’étude, éclate la grande grève de l’hiver 1960-1961 contre un projet de loi gouvernemental de redressement des finances publiques.

108 Dans la préface au rapport annuel du CCE de 1963, le président de cet organe, Albert De Smaele, tente une légitimation consensuelle de la création du BPE et du Comité national de l’expansion économique (CNEE). Pour lui, la réforme en cours « doit refléter l’état actuel des rapports économiques et sociaux au sein de notre démocratie. Sur le bref laps de temps de cet après-guerre qui ne compte pas encore vingt ans, une modification profonde s’est amorcée dans les conceptions politiques. Par suite des études entreprises et des expériences faites sur les problèmes de la croissance non seulement dans les pays qui sont entrés récemment dans la voie de l’industrialisation, mais également dans ceux qui les y avaient depuis longtemps précédés, l’humanité a pris conscience de ce qu’un développement continu est possible à un rythme qui, sur la durée d’une carrière professionnelle, réalise une véritable mutation des conditions de départ. Cette prise de conscience – à la fois d’une possibilité concrète, mesurable, de progrès et aussi de sa gradualité, de sa démultiplication en une infinité d’étapes et d’interdépendances – est en passe de modifier les relations entre les groupes sociaux à l’intérieur du pays, et à l’extérieur entre les groupes de nations. Cet objectif de développement peut être atteint plus efficacement en prenant appui sur le réseau d’impulsions et de choix rationnels de priorité que constitue un plan démocratiquement structuré »  [106].

5.3. L’association des holdings à la programmation économique

109 L’instauration d’une concertation économique tripartite n’est pas la seule réforme importante qui accompagne la programmation. Il faut encore citer une mesure prise quelques années après la création du BPE et qui complète la démocratie économique en appelant des acteurs économiques restés jusque-là absents de la scène, les holdings, à y participer. Cette mesure fait écho aux conceptions développées par la FGTB lors de son congrès « Holding et démocratie économique » de 1956. Le rapport présenté à ce congrès est préparé par une commission composée notamment d’intellectuels proches du syndicat. Il se penche longuement sur l’emprise des groupes d’entreprises, à la tête desquels se trouvent les holdings, sur l’économie du pays, concluant que « quelques groupes financiers, dominés eux-mêmes par une poignée d’hommes ou de familles, dirigent ou contrôlent la plus grande partie de l’économie belge et congolaise »  [107]. Dès lors, le problème ne serait pas de choisir entre économie libre ou économie dirigée, puisque l’économie du pays est de fait dirigée (mais par les holdings financiers et dans le sens d’un conservatisme nuisible à l’intérêt général). L’économie « doit-elle être abandonnée à quelques capitalistes dont on ne peut exiger ou attendre qu’ils dirigent dans un autre sens que celui de leurs intérêts personnels ou bien doit-elle revenir à l’État représentant de l’intérêt général ? Nous répondons que les féodalités privées doivent rentrer dans l’ordre démocratique. La direction de l’économie doit être exercée par les pouvoirs publics, dans l’intérêt de la communauté et sous son contrôle »  [108]. L’association des holdings à la programmation économique est une mesure qui va dans le sens d’une revendication formulée dans le rapport du congrès FGTB de 1956, à savoir « le transfert à la nation des prérogatives et des privilèges féodaux des groupes financiers et des holdings »  [109].

110 Les holdings occupent le lieu même du pouvoir économique. Dans une économie de groupes d’entreprises, le pouvoir de décision se situe dans la société de tête du groupe, souvent une société à portefeuille ou holding, qui contrôle l’ensemble de ses filiales et sous-filiales. Le paritarisme, qui met en présence les représentants patronaux et syndicaux, ignore les holdings. Les membres du conseil d’administration de ces entités, dont le pouvoir de décision, notamment en matière d’investissement ou de désinvestissement, est essentiel, ne siègent en effet pas, du moins en tant que tels, dans les instances paritaires. C’est ce que va prendre en compte l’arrêté royal du 10 novembre 1967 organisant le statut des sociétés à portefeuille et leur association à la programmation économique. L’association des holdings à la programmation de l’économie « apparaît comme hautement souhaitable »  [110] pour deux raisons. D’une part, « dans le cadre de la programmation conçue comme une action indicative pour l’ensemble des partenaires économiques et sociaux, une information du Bureau de programmation économique sur les projets fondamentaux des sociétés à portefeuille s’avère fréquemment indispensable ». D’autre part, « dans de nombreux secteurs industriels, ces sociétés constituent de véritables centres de décision qu’il est indispensable d’associer dans les discussions des politiques globales, dès lors que l’on s’oriente vers une économie largement concertée »  [111].

111 L’arrêté royal du 10 novembre 1967 vise notamment à « assurer une information correcte des associés [c’est-à-dire les actionnaires des sociétés à portefeuille] et du public, en général, sur la structure et l’activité de ces sociétés ». La Commission bancaire est chargée de surveiller le respect de cette obligation d’information. Concernant leur association à la programmation économique, il est prévu que les sociétés « communiquent chaque année au Bureau de programmation économique, à sa demande, une documentation sur leurs projets d’investissements et sur ceux de leurs filiales et de leurs sous-filiales. Cependant, cette communication ne pourra revêtir qu’un caractère global quand il s’agit d’un programme de recherche technologique ou appliquée. Les membres du Bureau de programmation économique et son personnel ne peuvent se livrer à aucune divulgation des informations dont ils ont connaissance »  [112].

5.4. Bilan et réforme de la programmation économique

112 Après un premier programme quinquennal, un premier bilan est tiré par le président du CCE, qui tient à ce que son institution joue son rôle dans la nouvelle gestion de l’économie du pays. Il considère cette première expérience comme un exercice didactique riche d’enseignements  [113]. Elle a eu lieu en période de haute conjoncture, caractérisée par un plein emploi qui peut être vu comme un frein à la croissance. Il entrevoit déjà la possibilité de lourdeur que peut générer l’ampleur de la masse des documents à prendre en considération. Il signale les problèmes que pose l’analyse prévisionnelle, sans cesse à ajuster et à distinguer du choix proprement politique que constitue la programmation. Celle-ci doit être issue d’une « confrontation d’idées au sein des conseils en vue d’aboutir au choix d’objectifs raisonnés »  [114].

113 Après une décennie, le bilan de la programmation économique comme mécanisme de décision politique est cependant relativement négatif. Du point de vue institutionnel, il semble que le statut du BPE ne lui permet pas d’être efficace face à une certaine passivité de l’administration et au cloisonnement des compétences ministérielles, notamment entre les Travaux publics et les Affaires économiques. Du point de vue de la démocratie économique, il suscite la déception des organisations syndicales, car, si elles sont associées à l’élaboration des programmes, c’est à un moment où rien ne peut plus être modifié sans mettre en péril la cohérence de l’ensemble. Ensuite, rien n’est prévu concernant le suivi des programmes. D’autres raisons sont encore pointées. On observe, par exemple, du point de vue économique, un déphasage conjoncturel par rapport aux prévisions. En outre, un divorce apparaît entre les programmes globaux et la dimension régionale de la politique économique qui est de plus en plus revendiquée  [115].

114 Enfin, un désaccord persiste entre la Fédération des industries belges (FIB) et les syndicats au sujet d’un aspect important de la programmation. La FIB souhaite en effet inclure une programmation sociale dans la programmation économique. Elle se montre en faveur d’une politique des revenus à travers cette programmation. Selon l’organisation patronale, une programmation sociale devrait inclure l’ensemble du progrès social disponible (non seulement les salaires, mais aussi le coût de la sécurité sociale, par exemple). Le premier programme d’expansion économique comporte de fait un paragraphe sur la politique des revenus. Il y est dit qu’une hausse trop rapide des revenus entraînerait l’échec du programme. Il y aurait lieu de choisir entre investissement et consommation  [116]. Or, voulant préserver la zone d’autonomie des secteurs dans la négociation salariale, les centrales professionnelles des syndicats refusent d’étendre la programmation aux aspects salariaux. Pour les syndicats, il s’agit aussi d’une question de principe. Une telle programmation devrait tenir compte de la productivité. Or, « le mouvement syndical a toujours refusé d’aligner ses revendications salariales sur les conséquences de décision de gestion où il n’a pas eu son mot à dire, ce sur la base de données qu’il ne lui est pas laissé de contrôler sérieusement »  [117].

115 Une réforme de la programmation est entreprise. Elle est l’objet d’un accord entre le Parti social chrétien (PSC) et le Parti socialiste belge (PSB), conclu le 12 juin 1968 et repris en annexe de la déclaration gouvernementale du 25 juin 1968. Elle est mise en œuvre par la loi du 15 juillet 1970 portant organisation de la planification et de la décentralisation économique  [118]. Cette loi, dite loi Terwagne  [119], est extrêmement ambitieuse du point de vue de l’encadrement de la politique économique. Elle n’a cependant pas la même signification pour les deux courants politiques.

116 Du côté socialiste, elle représente l’aboutissement des revendications de la gauche renardiste wallonne fédéraliste incarnée par le Mouvement populaire wallon. Rappelons que ce courant, qui s’est trouvé revitalisé au lendemain de la grande grève de l’hiver 1960-1961, souhaitait mettre en place une importante décentralisation de la politique économique  [120]. Pour lui, les problèmes de l’expansion économique wallonne devaient se régler par un transfert de pouvoir politique vers la Wallonie. Bien qu’il ait été marginalisé au sein du PSB suite à la démission d’A. Renard de son poste de secrétaire général de la FGTB en 1961 et à sa mort en 1962, le renardisme est resté très vivace au sein du syndicat socialiste. L’interrégionale wallonne de la FGTB a vu le jour en 1968 et a poursuivi la défense de ces revendications régionalistes.

117 La vision sociale-chrétienne de cette réforme est très différente de la vision socialiste. Au début de l’année 1967, le PSC tient un congrès sur le renouveau de l’action politique. Pour les sociaux-chrétiens, la programmation ne fait pas nécessairement partie d’une visée vers plus de démocratie économique, mais plutôt d’une visée vers une gestion publique rénovée et incluant plus de rationalité. De bonnes études prévisionnelles doivent aboutir à un plan d’action politique plus efficace. S’il y voit « un moyen de renforcer le caractère démocratique de la gestion politique »  [121], le PSC considère que cette démocratie est davantage « une coalition de forces politiques et de milieux professionnels dont la composition varie dans le temps, et surtout selon la matière considérée »  [122]. L’association des « milieux professionnels » à la décision politique est moins un principe démocratique qu’une question d’efficacité de la gestion publique.

118 La loi du 15 juillet 1970 transforme la programmation en planification et le BPE en Bureau du Plan. En outre, la planification s’accompagne de la décentralisation qui tient à cœur à la gauche syndicale wallonne. De nouveaux organes régionaux de démocratie économique sont créés, à savoir les conseils économiques régionaux  [123] et les sociétés de développement régional.

119 La portée politique de la planification est beaucoup plus grande que celle de la programmation. Le plan est impératif pour les pouvoirs publics et se traduit annuellement dans les budgets. Il est de nature contractuelle pour les entreprises qui reçoivent des incitants de l’État en contrepartie des engagements pris par elles en vue d’exécuter le plan. Il est indicatif pour le surplus.

120 Du point de vue de la démocratie économique, la réforme prévoit la consultation des interlocuteurs sociaux à un moment plus précoce de l’élaboration du plan, à savoir sur un document préparatoire appelé les « options du plan ». Il est prévu que le CNEE reçoive des rapports sur l’exécution du plan. Cela est censé répondre aux demandes des syndicats d’être associés au suivi de l’exécution du plan.

121 La réforme est saluée par le président du CCE dans le rapport annuel de 1971 comme un approfondissement de la démocratie économique : « La conférence économique et sociale [de 1970] a fait un choix (…). Elle a manifesté la ferme préoccupation d’assurer une réelle démocratisation de l’économie par la mise en place des organes et des procédures d’une consultation effective sur les objectifs et les moyens du plan au niveau national, sectoriel et régional. »  [124]

5.5. Une planification elle-même difficile

122 La planification économique connaît des difficultés du même ordre que la programmation durant la décennie précédente. Le phénomène n’est pas propre à la Belgique : est également sensible dans d’autres pays d’Europe occidentale. L’élaboration du plan quinquennal, avec la multiplication des étapes de consultation nationale et régionale, s’avère très lourde. Les facteurs constitutifs de la croissance économique sont d’une complexité croissante. Le développement économique glisse vers le secteur tertiaire, qui se prête mal à une planification. La grande industrie est plus en proie à la rationalisation que désireuse de plans d’investissement. L’économie s’internationalise et le pouvoir supranational des Communautés européennes fait perdre de l’autonomie de décision à l’État belge, lui-même en proie aux forces centripètes de la décision politique exercée par les régions. Mais la crédibilité du plan peut elle-même être questionnée : des décisions politiques de portée économique sont prises sans référence au plan  [125].

123 Paradoxalement, on semble toujours croire en la perfectibilité du plan. Concernant l’association des holdings à la planification, il s’avère que l’arrêté royal du 10 novembre 1967 n’a pas rempli son rôle. Pour des raisons techniques, sur la base du recensement établi par la Commission bancaire, « l’ensemble des sociétés inscrites, de leurs filiales et sous-filiales et des sociétés sur lesquelles elles exercent un contrôle, ne couvre que de façon variable et encore très imparfaite, les différents secteurs de l’activité économique que le législateur de 1967 voulait associer à l’élaboration et à l’exécution de la planification »  [126]. La loi du 20 janvier 1978 organisant l’association des holdings à la planification économique et modifiant le statut des sociétés à portefeuille vise à corriger cet inconvénient. Le législateur tente ainsi de donner un ultime parachèvement à l’édifice institutionnel de la planification, alors même que le taux de chômage atteint un niveau record et que la crise économique prend de plus en plus l’allure d’une crise structurelle.

124 Du point de vue qui nous occupe ici, à savoir la démocratie économique, « un obstacle majeur semble contrarier une véritable démocratisation du plan : comment pouvoir disposer d’alternatives de cohérence, à tous les niveaux importants, afin de permettre des choix en connaissance de cause sans remettre en question l’ensemble du plan. La première difficulté est technique : calculer de telles alternatives, à tous les niveaux importants, suppose à la fois une connaissance approfondie des besoins et la maîtrise des “modèles” de politique économique et sociale extrêmement perfectionnés. Mais la principale difficulté est sans doute politique : il y a des choix que le gouvernement ou les partenaires sociaux ne veulent pas faire sur la place publique »  [127].

125 À la fin de la décennie 1970, la réponse politique à la crise économique engendrée par la fin des accords de Bretton Woods et par la crise pétrolière se déroule sur fond de forte instabilité gouvernementale. De plus, à partir de 1980, la montée en puissance des Régions comme entités politiques autonomes transmet le destin de la planification dans les mains des autorités régionales devenues compétentes pour la politique économique. Le plan 1976-1980 n’est jamais adopté formellement par le Parlement. Quant au CNEE, il ne se réunit plus depuis 1975.

5.6. L’initiative économique publique

126 L’idée de donner à une institution publique la compétence d’investir des capitaux dans des entreprises pour remédier au manque d’investissement privé est ancienne. En 1952, le député socialiste Édouard Anseele dépose une proposition de loi tendant à modifier les compétences de la Société nationale de crédit à l’industrie pour lui permettre d’entrer temporairement dans le capital à risque des entreprises  [128]. Peu après, le ministre des Finances du gouvernement Van Houtte (PSC homogène), Albert-Édouard Janssen, dépose un projet de loi instituant une Société nationale d’investissement. Il s’agit de combler des lacunes constatées dans la structure du marché des capitaux. Ces lacunes concernent « le financement, par voie de participations, des entreprises nouvelles ou l’expansion d’entreprises existantes, notamment de petite et moyenne importance, pour laquelle l’appel public à l’épargne est difficilement réalisable »  [129]. La mesure envisagée est étrangère à l’idée de démocratie économique, à laquelle le texte ne fait aucunement référence (tout comme la proposition de loi d’É. Anseele). L’idée que les pouvoirs publics puissent jouer un rôle actif dans le développement économique est absente du projet de loi. D’une part, « il doit être entendu que l’intervention de la société ne pourra présenter un caractère permanent ». D’autre part, la société devra trouver ses moyens d’actions « par l’émission d’obligations et de bons de caisse auxquels l’État attachera sa garantie de bonne fin, en raison de l’intérêt général que représente l’activité de la société ». Ce projet de loi n’est pas voté durant la législature.

127 Le PSC affine sa conception lors d’un congrès de mars 1959 et le gouvernement Eyskens (social-chrétien–libéral) se propose une nouvelle fois de légiférer. Il consulte le CCE, qui ne parvient pas à émettre un avis unanime sur le sujet. Trois avis distincts, correspondant à ceux de la FIB, de la FGTB et de la CSC, sont émis le 27 mai 1959  [130]. La FIB reconnaît les signes de faiblesse de l’économie, mais en attribue la responsabilité à la fiscalité des entreprises et à la séparation imposée aux banques entre leurs activités de dépôts et leurs activités d’affaires. L’organisation patronale se prononce pour la création de sociétés d’investissement régionales privées. Une éventuelle société nationale d’investissement devrait n’avoir qu’une compétence strictement supplétive, ne devrait pas détenir de participations permanentes dans le capital d’une entreprise ni contrôler la gestion de celle-ci. Son capital devrait en outre se trouver majoritairement dans les mains du secteur privé. De son côté, la FGTB rappelle que la création d’une Société nationale d’investissement doit être un instrument de la programmation de l’économie, qu’elle doit s’inscrire dans un programme plus ample de réforme de structure économique comportant la nationalisation du secteur de l’énergie et le contrôle des holdings. La société à créer doit être entièrement publique. Grâce à un capital suffisamment important, elle doit pouvoir prendre des participations de façon permanente dans les entreprises, quels que soient la taille et le domaine d’activité de celles-ci. La CSC émet un avis fort proche de celui de la FGTB. Cependant, pour le syndicat chrétien, la société nationale d’investissement devrait être une société mixte, mais ni les holdings ni les banques ne devraient participer à son capital. La CSC prône aussi la création de sociétés régionales d’investissement, dont le capital pourrait être souscrit par des pouvoirs publics locaux et par le secteur privé.

128 Créée par la loi en 1962 sous le gouvernement Lefèvre-Spaak (social-chrétien–socialiste), la Société nationale d’investissement (SNI)  [131] réalise un compromis entre les deux principales tendances que l’on vient de décrire. C’est une société anonyme, dans laquelle les pouvoirs publics ont une participation majoritaire (au minimum 75 %) et dont ils désignent le président et les trois quarts des administrateurs. La SNI peut prendre des participations minoritaires dans des entreprises existantes. Elle peut aussi lancer des entreprises nouvelles et, dans ce cas, prendre une participation majoritaire dans le capital de l’entreprise. La SNI n’est cependant pas un holding public, c’est-à-dire un organisme capable de contrôler jusqu’à la gestion de l’entreprise, mais un organisme limité à la fonction de financement et d’impulsion industrielle  [132]. La coordination des investissements publics doit être fonction des critères économiques établis par le programme quinquennal du gouvernement  [133].

129 La SNI joue rapidement son rôle d’investisseur public. Il devient de plus en plus communément accepté que « les objectifs qui sont assignés à l’État par une programmation démocratiquement concertée justifient, dans son chef ou dans celui d’entreprises publiques, la prise en charge de certaines activités économiques lorsqu’il apparaît à l’évidence que le secteur privé reste en défaut de les réaliser »  [134]. Les objectifs de la SNI sont rapidement élargis, ses moyens d’action augmentés et ses modalités d’intervention diversifiées. Son capital, fixé au départ à 2 milliards de francs belges, est progressivement augmenté jusqu’à 7 milliards en 1975.

130 Cependant, dès la fin des années 1960 et le début des années 1970, les difficultés économiques sont telles que le rôle de la SNI apparaît à certains comme trop limité et qu’il faut donc le redéfinir pour permettre à cet organe de jouer un véritable rôle de holding public. Il apparaît aussi que des projets industriels qui sont d’un intérêt capital pour la politique industrielle du pays ne suscitent guère d’intérêt de la part du secteur privé. Le passage de la programmation à la planification en 1970 nécessite dès lors une politique industrielle plus précisément définie de la part de l’État. Par ailleurs, face au déclin industriel wallon, les syndicats voient dans une réforme de la SNI la possibilité de pallier les insuffisances du secteur privé dans la région.

131 L’initiative industrielle publique est le thème qui occupe l’avant-plan de l’actualité lors de la crise politique de janvier 1974, notamment dans les discussions qui se tiennent au sein du gouvernement Leburton-Tindemans-De Clercq (socialiste–social-chrétien–libéral) autour du projet de construction d’une raffinerie de pétrole grâce à des capitaux publics  [135]. Le thème prend une place importante dans les programmes de partis lors de la campagne électorale organisée en vue des élections législatives du 10 mars 1974. L’accord du gouvernement Tindemans I (social-chrétien–libéral, élargi plus tard au Rassemblement wallon) issu de ces élections comprend le projet de légiférer sur la question.

132 Au même moment, la proximité de la mise en place des sociétés de développement régional amène les organisations interprofessionnelles d’employeurs à préciser leur doctrine en matière d’initiative économique publique :

133

« La mise en place des sociétés de développement régional va conduire le gouvernement à préciser leurs pouvoirs en matière d’initiative économique publique dans la mesure où la loi du 15 juillet 1970 sur la planification et la décentralisation économique leur reconnaît la possibilité d’assumer directement la mise en œuvre de projets industriels, en cas de carence du secteur privé. Cette perspective a été l’occasion pour la Fédération des entreprises de Belgique, le Vlaams Economisch Verbond, l’Union wallonne des entreprises et l’Union des entreprises de Bruxelles, d’examiner les problèmes posés par la mise en œuvre de l’initiative économique par les pouvoirs publics. Ils ont abouti aux conclusions suivantes :
Dans le domaine économique et social, le rôle spécifique de l’État se situe essentiellement sur un double plan :
- encadrer et stimuler l’activité économique en créant notamment les conditions qui permettront à l’initiative privée de se développer harmonieusement. C’est d’ailleurs dans cet esprit que le Parlement a voté la loi du 30 décembre 1970 sur l’expansion économique, afin de mettre à la disposition des entreprises une série d’instruments qui doivent lui permettre de développer les investissements nécessaires à l’expansion et au plein emploi ;
- veiller à la satisfaction des besoins collectifs qui ne peuvent pas ou difficilement être réalisés par le secteur privé. De nombreuses carences existent dans ce domaine et ce devrait être la préoccupation prioritaire des pouvoirs publics d’y porter remède. On pense notamment aux infrastructures sociales, culturelles et sportives, à la sauvegarde de l’environnement et à l’aménagement du territoire.
L’État, garant de l’intérêt général, doit respecter son rôle d’arbitre et de régulateur de la vie économique. Il n’est plus en mesure de le faire lorsqu’il se pose en concurrent du secteur privé et participe aux activités régies par le marché. Dans ce cas, il est juge et partie, étant à la fois le contrôleur et le contrôlé. Il est dès lors contraire à la nature même du secteur public qu’il assume, en concurrence avec les entreprises privées, des responsabilités industrielles et commerciales.
L’économie de marché et l’initiative privée ont fait leurs preuves en Belgique. Parmi d’autres avantages, ce système empêche que des préoccupations de politique partisane l’emportent sur les réalités économiques. Comme elles l’ont fait par le passé, les entreprises de ce pays sont décidées à assumer demain leurs responsabilités et à faire face aux nécessaires mutations. Les projets économiques propres aux pouvoirs publics devraient dès lors être entrepris par priorité dans les domaines auxquels il a été fait allusion ci-avant.
Dans le cas où, contrairement à leur vocation, les pouvoirs publics décideraient néanmoins aux termes de la loi du 15 juillet 1970, de créer une entreprise industrielle ou commerciale en invoquant la carence du secteur privé, il faudrait qu’au préalable, cette carence soit établie. Il importe aussi qu’aux différents stades du projet, la possibilité soit laissée au secteur privé de l’entreprendre seul, ou en collaboration avec des pouvoirs publics. Il va de soi que dans tous les cas, il faudra veiller à ce que l’entreprise publique ne bénéficie pas de privilèges par rapport à l’entreprise privée, ni au moment de sa création ni au cours de son existence. Par ailleurs, les obligations légales auxquelles est assujettie la vie économique dans ce pays doivent valoir pour les deux types d’entreprises. »  [136]

134 Du point de vue de la concertation socio-économique, l’initiative industrielle publique apparaît comme un point de désaccord fondamental entre les interlocuteurs sociaux au plus haut niveau. Le sujet est examiné dans le cadre de l’activité de la commission « Initiative publique » du CCE. Cette commission lui consacre sept réunions entre le 4 juillet et le 16 décembre 1974  [137]. Ces travaux n’aboutissent pas à un avis, ni même à un rapport. Les interlocuteurs sociaux prolongent leur discussion au CNEE. Le blocage persiste au sein de cet organe tripartite lors de sa réunion du 28 avril 1975. Cette réunion est l’une des dernières du CNEE, sinon la dernière  [138].

135 Le gouvernement met en œuvre l’accord qu’il a conclu sur la matière, en déposant au Sénat un projet de loi organisant l’initiative économique publique  [139]. Ce texte tend, selon l’exposé des motifs, « à compléter la gamme des moyens d’action qu’il convient d’accorder aux pouvoirs publics pour assurer la réalisation de leurs objectifs de politique économique. Il s’agit d’abord de permettre à la puissance publique d’assumer, avec la responsabilité et la clarté requises, des initiatives économiques là où celles-ci peuvent ou doivent être prises. Dans ce but, il a été jugé nécessaire d’habiliter une institution publique à créer ou à reprendre des entreprises, pour contribuer à la satisfaction des besoins économiques, que ce soit dans la production ou la distribution de biens et de services ».

136 L’exposé des motifs rappelle d’abord les moyens d’action des pouvoirs publics : règlements et contrôles ; concertation ; création de services publics, d’établissements publics, d’associations de collectivités publiques, d’entreprises publiques autonomes ou encore d’intérêt public ou d’économie mixte ; aide aux entreprises privées. Il constate que « l’État apporte directement ou indirectement son concours à bien des pouvoirs exercés par les entreprises privées. Il est devenu évident aujourd’hui que l’État doit pouvoir plus méthodiquement et plus généralement recourir à toutes les formes de l’action économique pour créer les conditions optimales du bien-être dont il est comptable »  [140]. Il ne s’agit plus seulement d’octroyer aux entreprises du crédit à long terme avec la garantie de l’État, mais encore de leur apporter directement des capitaux pour renforcer leurs fonds propres.

137 La loi du 30 mars 1976 portant organisation de l’initiative publique confie la mission complémentaire de holding public à la SNI. Celle-ci est dotée d’un comité d’investissement, composé en majeure partie de personnalités du monde des affaires désignées par le conseil d’administration en fonction de leur compétence et de leur expérience. Elle se voit attribuer les mêmes pouvoirs qu’un holding privé. Elle peut procéder à la création de sociétés commerciales, prendre des participations dans de telles sociétés et participer à leur gestion lorsque ces sociétés possèdent des missions de service public, lorsqu’elles présentent un intérêt stratégique pour l’économie belge et lorsque la carence de l’initiative privée dans un secteur ou une région est constatée.

Conclusion

138 L’instauration de la démocratie économique n’est pas étrangère à la conjoncture politique internationale de l’époque, à savoir la Guerre froide. Avec le recul, on serait tenté de l’interpréter comme une tentative d’imiter l’encadrement politique de l’économie en vigueur dans les pays communistes, mais dans une économie de marché, c’est-à-dire sans toucher à la nature privée des centres de décision de cette économie. Le paradoxe était de vouloir donner une direction à l’économie, mais sans la diriger.

139 Les multiples facettes de la démocratie économique que nous avons illustrées peuvent se classer en deux grandes catégories. D’une part, il y a l’ensemble des aspects qui peuvent se regrouper sous le concept de démocratisation de l’économie. Il s’agissait de canaliser le pouvoir économique dans le sens de l’intérêt général. Les principaux instruments de cette orientation ont été la planification et l’initiative industrielle publique. D’autre part, il y a les aspects que l’on peut qualifier d’approfondissement démocratique de la politique économique, ce qui s’est traduit par une « économie concertée ». Il s’agissait de faire davantage participer les travailleurs ou leurs organisations à la vie de la nation et à la gestion des entreprises. Ceci a supposé une capacité d’encadrement des travailleurs par les organisations syndicales et le renouvellement périodique des thèmes de consensus social lorsque ceux-ci ne s’avéraient plus suffisamment mobilisateurs.

140 Aujourd’hui, les relations entre les institutions de la démocratie parlementaire et ce qui subsiste de la démocratie économique ont beaucoup changé. Une étude semblable devrait être menée sur la période de 1978 à nos jours pour donner un contenu précis à cette assertion. On ne peut donc qu’en rester à des observations générales en guise de conclusion.

141 La principale raison de ces changements en est que les institutions de la démocratie parlementaire ne sont plus les organes de la souveraineté nationale qu’elles étaient au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. D’importants transferts de souveraineté ont été opérés au profit d’un nombre croissant d’organisations internationales, qui produisent des normes s’imposant directement à l’ordre juridique étatique. Le cadre institutionnel de la démocratie économique était censé compléter ou corriger un régime politique, mais celui-ci s’est profondément transformé depuis lors. Si les promoteurs de la démocratie économique étaient très soucieux de préserver l’autonomie de décision des autorités légitimes établies par la Constitution, ces mêmes autorités légitimes n’ont plus aujourd’hui qu’une autonomie limitée dans les matières qui étaient au centre de la démocratie économique, l’essentiel étant transféré ou fortement régulé au niveau international, principalement celui de l’Union européenne.

142 Concernant le choix fondamental et unanime du paritarisme généralisé, qui avait été fait à l’époque, l’étude suggère les remarques suivantes. Ce paritarisme s’était basé sur l’identification des acteurs patronaux et syndicaux. Du côté patronal, le présupposé était que les détenteurs du pouvoir économique étaient adéquatement représentés par les organisations d’employeurs. La réalité d’aujourd’hui révèle que les décideurs économiques des grandes entreprises internationales ayant des filiales en Belgique ne sont pas présents dans ces organisations patronales. Dès lors, leurs intérêts sont-ils adéquatement représentés par elles ? Toutefois, on peut douter que la représentation des intérêts du pouvoir économique était plus effective à l’époque. Rappelons, par exemple, que pour associer les décideurs économiques à la planification économique, on n’a pas jugé bon de faire appel seulement aux organisations patronales, mais qu’on a cru nécessaire de s’adresser directement aux holdings pour obtenir de l’information sur leurs projets d’investissement.

143 Que représentent dès lors les organisations patronales ? Elles défendent les intérêts communs des entreprises en tant qu’employeurs face aux syndicats et en tant que sociétés commerciales devant se plier au cadre réglementaire national, mais elles ne représentent pas les détenteurs ultimes de la décision d’investir ou de désinvestir. Au sujet de cette décision stratégique, si cruciale, on l’a vu, pour les concepteurs de la démocratie économique, il n’existe aucun mode de représentation collective d’intérêts. Et donc, pas d’interlocuteur du pouvoir politique et, a fortiori, des syndicats. L’exercice de la démocratie économique a été constamment biaisé par ce défaut de représentation des véritables responsables du pouvoir économique.

144 Le même biais ne se repère pas du côté de la représentation des travailleurs. On peut cependant signaler la difficulté, pour les syndicats, de défendre à la fois les travailleurs qui ont un emploi et les travailleurs sans emploi, ceux des grandes entreprises, en général bien organisés, et ceux des PME, plus difficiles à mobiliser. Aujourd’hui les syndicats se trouvent devant une difficulté bien plus grande de faire une synthèse des aspirations de plus en plus divergentes des affiliés. La divergence entre affiliation syndicale et vote politique illustre bien ce biais. De plus, il y a toujours eu des conflits entre syndicalisme des services publics, syndicalisme des entreprises industrielles et syndicalisme des entreprises des services.

145 La démocratisation de l’entreprise appelle le même type de remarque que le point précédent. L’interlocuteur des travailleurs est celui qui a l’autorité que la loi attribue au chef d’entreprise. Mais celui-ci n’a pas nécessairement le pouvoir de décision sur les questions stratégiques, ce qui ne veut pas dire que la direction locale n’a aucune capacité de négociation avec la maison mère. Le détenteur de ce pouvoir n’est pas ordinairement présent dans les échanges, sauf dans les cas où, face à des décisions contestées de la maison mère, les travailleurs l’ont identifié et ont exigé sa présence et ses réponses à leurs questions. Mais si loin que soit allée la démocratisation de l’entreprise, le pouvoir de décision du chef d’entreprise et a fortiori celui de l’actionnaire ont soigneusement été préservés. On se rappellera que l’un des arguments utilisés à l’époque était que le pouvoir de décision devait rester dans les mains de ceux qui endossaient les risques liés au fait d’entreprendre. Avec le recul, on peut se demander qui endosse véritablement les risques de décisions telles que les restructurations et les fermetures, qui sont prises pour minimiser les risques liés à la rentabilité des investissements financiers, mais dont les conséquences sont des pertes de milliers d’emplois, d’éventuelles diminutions de salaire pour ceux qui restent, et la dépression économique de bassins industriels entiers. Ici aussi, l’acteur principal n’est pas concerné par le cadre institutionnel mis en place sous le couvert de la démocratie économique.

146 La décision politique en matière économique a migré vers des sphères internationales, mais son encadrement démocratique ne l’a pas suivie. Les politiques monétaires et budgétaires sont fortement encadrées au niveau européen, où il n’est pas question d’une démocratie économique au sens du paritarisme de l’après Seconde Guerre mondiale. En effet, la composition du Comité économique et social de l’Union européenne, par exemple, ne répond pas à la conception paritaire des acteurs économiques. Les aides aux entreprises sont également encadrées au niveau européen, auquel les États membres ont transféré leur souveraineté en matière de régulation de la concurrence.

147 L’encadrement démocratique de la politique économique, reconnaissable dans la pérennité de certaines institutions créées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ne remplit plus tout à fait la même fonction. Le Bureau fédéral du plan, par exemple, est aujourd’hui chargé de missions d’études prévisionnelles pour éclairer les décisions budgétaires, fiscales, etc., mais plus pour planifier les investissements publics.

148 Les Régions ont repris dans leur giron les conseils économiques créés par la loi sur la planification économique, en les rebaptisant conseils économiques et sociaux. C’est en leur sein qu’a lieu à présent la concertation économique avec les autorités politiques. Des formes nouvelles de planification sont apparues (par exemple, le Plan régional de développement à Bruxelles ou le Plan Marshall en Wallonie). Il serait intéressant d’analyser ces méthodes de gestion en ayant à l’esprit les objectifs et les principes de la démocratie économique et sociale. On se trouve en réalité très loin de la planification des années 1960-1970, qui était un processus top-down, alors que les nouvelles planifications du type Plan Marshall sont des processus bottom-up visant à structurer des réseaux. Les autorités publiques se font alors « facilitateur » de mise en contacts.

149 La planification subsiste au niveau européen sous la forme de programmes fixant des objectifs budgétaires ou autres à atteindre par les États membres dans une certaine période. Mais aucun encadrement démocratique, au sens de la démocratie économique, ne la caractérise. Au contraire, on a vu l’émergence d’une institution, la Commission européenne, qui joue un rôle central dans la définition des normes et dans le contrôle de l’application de celles-ci.

150 Au niveau national subsistent les grandes institutions paritaires que sont le Conseil central de l’économie (CCE) et le Conseil national du travail (CNT). Au niveau sectoriel, les commissions paritaires continuent à fonctionner. Mais l’objet des discussions que ces institutions étaient censées encadrer a profondément changé : ce n’est plus l’expansion économique ni le partage des fruits de la croissance qui sont les objets essentiels de la concertation entre les interlocuteurs sociaux et le gouvernement, mais la compétitivité internationale des entreprises et l’adaptation du marché du travail à cette compétitivité.

151 Signalons que si le paritarisme subsiste dans ces institutions, il a été battu en brèche dans des institutions nouvelles créées dans un passé plus récent. Le Conseil supérieur de l’emploi (CSE), par exemple, créé en 1995, ne réunit pas les interlocuteurs sociaux, mais principalement des spécialistes académiques des questions d’emploi et de formation. Un autre exemple est celui du Conseil fédéral du développement durable (CFDD), créé en 1993, où les représentants des employeurs et des travailleurs siègent parmi d’autres organisations actives en matière d’environnement, et côtoient des organisations de coopération au développement, des organisations de consommateurs, des organisations de jeunesse et des scientifiques.

152 Il a semblé intéressant de revenir sur cette période pour éclairer les impasses dans lesquelles s’est trouvée la politique économique keynésienne, à l’heure où l’on songerait à prôner un certain retour à ce type de régulation économique.

Notes

  • [1]
    P. ROSANVALLON, La démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du peuple en France, Paris, Gallimard, 2000, p. 357-373.
  • [2]
    Ibidem, p. 359.
  • [3]
    Ibidem, p. 363.
  • [4]
    M. PIRAUX, « Participation, consultation, concertation, confrontation », in L’avenir des politiques sociales et la contribution de la recherche scientifique à leur élaboration [Actes du colloque tenu à Bruxelles les 24 et 25 février 1981], Bruxelles, Bureau du Plan, 1981, p. 21.
  • [5]
    « Le Comité patronal-ouvrier présidé par H. Fuss réunit durant la guerre des dirigeants d’associations patronales comme G. Velter et P. Goldschmidt-Clermont, et des syndicalistes influents comme le socialiste [L.] Watillon et le démocrate-chrétien [H.] Pauwels. Ces réunions étaient fréquentées également et entre autres par A. Van Acker, qui occupa après la guerre diverses fonctions ministérielles, et L. Major, qui devint le secrétaire général de la FGTB » (Ibidem, p. 25).
  • [6]
    É. ARCQ, La concertation sociale, Bruxelles, CRISP, Dossier n° 70, 2008, p. 11.
  • [7]
    Conseil central de l’économie, « Un projet d’accord de solidarité sociale (1944) », www.ccecrb.fgov.be.
  • [8]
    I. CASSIERS, L. DENAYER, « Concertation sociale et transformations socio-économiques depuis 1944 », in É. ARCQ, M. CAPRON, É. LÉONARD, P. REMAN (dir.), Dynamiques de la concertation sociale, Bruxelles, CRISP, 2010, p. 80.
  • [9]
    M. JAMOULLE, É. GEERKENS, G. FOXHAL, F. KEFER, S. BREDAEL, Le temps de travail. Transformations du droit et des relations collectives du travail, Bruxelles, CRISP, 1997, p. 27.
  • [10]
    R. SAVAGE (dir.), Histoire inédite de l’économie en Belgique, de 1945 à nos jours, Charleroi, Couleur livre (coll. L’autre économie), 2008, p. 11.
  • [11]
    « Le jeu des forces qui ont conditionné, dans l’après-guerre, les formes d’aide de la puissance publique à l’initiative privée », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 15-16, 1959.
  • [12]
    A. DE SMAELE, Préface, in Conseil central de l’économie, Rapport du secrétaire sur l’activité du conseil du 1er juillet 1956 au 30 juin 1957, 1957, p. 8.
  • [13]
    A. DE SMAELE, Préface, in Conseil central de l’économie, Rapport du secrétaire sur l’activité du conseil du 1er juillet 1960 au 30 juin 1961, 1961, p. 8.
  • [14]
    « La programmation économique », in J. MEYNAUD, J. LADRIÈRE, F. PÉRIN (dir.), La décision politique en Belgique : le pouvoir et les groupes, Paris, A. Colin (coll. Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, 138), 1965, p. 247-267.
  • [15]
    A. DE SMAELE, Préface, in Conseil central de l’économie, Rapport du secrétaire sur l’activité du conseil du 1er juillet 1959 au 30 juin 1960, 1960, p. 7.
  • [16]
    Fédération générale du travail de Belgique, Rapport moral et administratif pour les années 1965-1966-1967, 1968, p. 694. En 1955, devant les revendications de nationalisation du secteur de l’électricité émises par la FGTB, le patronat du secteur et la FIB avaient accepté la signature, avec les organisations syndicales, d’une convention sur l’électricité qui créait un comité de contrôle. Celui-ci, bipartite mais où siégeaient en tant qu’observateurs des délégués des ministres concernés, était notamment chargé de surveiller la politique d’investissement et de prix des entreprises productrices.
  • [17]
    M. PIRAUX, « Participation, consultation, concertation, confrontation », op. cit., p. 56.
  • [18]
    Ibidem, p. 56.
  • [19]
    P. BLAISE, « La place des accords interprofessionnels dans la concertation sociale », in Les accords interprofessionnels, 1960-1994, Bruxelles, CRISP, 1995, p. 3-7.
  • [20]
    Par l’arrêté royal n° 64 du 10 novembre 1967 organisant le statut des sociétés à portefeuille et leur association à la programmation (Moniteur belge, 14 novembre 1967).
  • [21]
    Sur les circonstances de la convocation de cette conférence, cf. « La Conférence économique et sociale et ses suites législatives et conventionnelles », in G. SPITAELS, M.-L. OPDENBERG, L’Année sociale 1970, Bruxelles, Éditions de l’Institut de sociologie de l’Université libre de Bruxelles, 1971, p. 138-177.
  • [22]
    Convention remplacée par la convention collective n° 9 du 9 mars 1972.
  • [23]
    Loi du 20 janvier 1978 organisant l’association des holdings à la planification économique et modifiant le statut des sociétés à portefeuille, Moniteur belge, 10 février 1978.
  • [24]
    Chambre des représentants, Projet de loi instituant les conseils d’entreprises. Rapport fait au nom de la Commission du Travail et de la Prévoyance sociale par E. Leburton, doc. n° 306, 8 mai 1947, p. 3.
  • [25]
    Ibidem.
  • [26]
    Chambre des représentants, Projet de loi portant organisation de l’économie. Exposé des motifs, doc. n° 50, 3 décembre 1947, p. 1.
  • [27]
    Chambre des représentants, Projet de loi portant organisation de l’économie. Rapport fait au nom de la Commission spéciale par E. Leburton, doc. n° 511, 2 juin 1948, p. 11.
  • [28]
    Chambre des représentants, Projet de loi instituant les conseils d’entreprises. Rapport fait au nom de la Commission du Travail et de la Prévoyance sociale par E. Leburton, doc. n° 306, 8 mai 1947, p. 12.
  • [29]
    Fédération générale du travail de Belgique, Situation économique et perspective d’avenir [Congrès extraordinaire, 30-31 octobre 1954], 1954, p. 135.
  • [30]
    Sénat, Projet de loi portant organisation d’une représentation officielle des activités de l’économie. Exposé des motifs, doc. n° 146, 14 mai 1947, p. 2.
  • [31]
    Confédération des syndicats chrétiens, Le syndicalisme. Rapport de la troisième commission d’études de la CSC [XVe congrès, Bruxelles, 10-12 octobre 1947], 1947, p. 40.
  • [32]
    Ibidem.
  • [33]
    Ibidem, p. 42.
  • [34]
    Fédération générale du travail de Belgique, Holdings et démocratie économique, 1956, p. 10.
  • [35]
    35 Ibidem, p. 223.
  • [36]
    Fédération générale du travail de Belgique, Rapport moral et administratif pour les années 1956-1957-1958, 1959, p. 50.
  • [37]
    Confédération des syndicats chrétiens, Le syndicalisme, op. cit., p. 14.
  • [38]
    « Le syndicalisme et l’État », in Confédération des syndicats chrétiens, Le syndicalisme chrétien. Sa nature et sa mission [XVIIe congrès, Bruxelles, 12-14 octobre 1951], 1951, p. 126-157 ; Confédération des syndicats chrétiens, Questions organiques. Nos rapports avec les partis politiques [XVIIIe congrès, Bruxelles, 2-4 octobre 1953], 1953, p. 23-24.
  • [39]
    Chambre des représentants, Projet de loi portant organisation de l’économie. Exposé des motifs, doc. n° 50, 3 décembre 1947, p. 6.
  • [40]
    Sénat, Rapport de la Commission du Travail et de la Prévoyance sociale chargée d’examiner le projet de loi organique du Conseil national du travail, doc. n° 182, 12 mars 1952, p. 3.
  • [41]
    Sénat, Rapport de la Commission des Affaires économiques chargée d’examiner le projet de loi portant organisation de l’économie, doc. n° 489, 28 juillet 1948, p. 5.
  • [42]
    Ibidem, p. 4.
  • [43]
    Fédération générale du travail de Belgique, Holdings et démocratie économique, op. cit., p. 16.
  • [44]
    M. PIRAUX, « Participation, consultation, concertation, confrontation », op. cit., p. 28.
  • [45]
    Cité dans Le fonctionnement et les activités du Conseil central de l’économie, 1948-1998, Bruxelles, CRISP, 1998, p. 77.
  • [46]
    Chambre des représentants, Projet de loi créant un Conseil économique et social. Exposé des motifs, doc. n° 675-1, 29 novembre 1963.
  • [47]
    L’exposé des motifs du projet de loi cite la loi créant le Bureau de programmation économique, la loi créant la SNI, ainsi que des textes relatifs à la répression des abus de puissance économique, aux ventes à tempéraments, à la gestion paritaire dans les organismes publics de sécurité sociale et de prévoyance sociale, à l’apprentissage dans l’industrie et le commerce, à l’octroi d’une allocation complémentaire de vacances, et au salaire hebdomadaire garanti.
  • [48]
    Chambre des représentants, Projet de loi portant organisation de l’économie. Exposé des motifs, doc. n° 50, 3 décembre 1947, p. 2.
  • [49]
    Chambre des représentants, Projet de loi portant organisation de l’économie. Rapport fait au nom de la Commission spéciale par E. Leburton, doc. n° 511, 2 juin 1948, p. 8.
  • [50]
    Ibidem, p. 9.
  • [51]
    Ibidem, p. 12-13.
  • [52]
    Sénat, Rapport de la Commission des Affaires économiques chargée d’examiner le projet de loi portant organisation de l’économie, doc. n° 489, 28 juillet 1948, p. 2.
  • [53]
    Chambre des représentants, Projet de loi portant organisation de l’économie. Rapport fait au nom de la Commission spéciale par E. Leburton, doc. n° 511, 2 juin 1948, p. 10.
  • [54]
    Ibidem.
  • [55]
    Sénat, Projet de loi organisant l’initiative économique publique. Exposé des motifs, doc. n° 766-1, 19 janvier 1976, p. 4.
  • [56]
    Chambre des représentants, Projet de loi portant organisation de l’économie. Rapport fait au nom de la Commission spéciale par E. Leburton, doc. n° 511, 2 juin 1948, p. 11.
  • [57]
    Exposé de Roger De Staerke à la radio, reproduit dans Bulletin de la FIB, 20 octobre 1953, p. 1638-1639.
  • [58]
    É. ARCQ, M. PIRAUX (J. GÉRARD-LIBOIS, dir.), Le rôle des groupes dans l’évolution de la problématique du travail, Bruxelles, Services du Premier ministre, Programmation de la recherche scientifique, 1981, p. 255-256.
  • [59]
    Chambre des représentants, Projet de loi portant organisation de l’économie. Exposé des motifs, doc. n° 50, 3 décembre 1947, p. 2.
  • [60]
    Ibidem, p. 3.
  • [61]
    Sénat, Projet de loi portant organisation d’une représentation officielle des activités de l’économie. Exposé des motifs, doc. n° 146, 14 mai 1947, p. 1.
  • [62]
    Chambre des représentants, Projet de loi portant organisation de l’économie. Rapport fait au nom de la Commission spéciale par E. Leburton, doc. n° 511, 2 juin 1948, p. 10.
  • [63]
    Chambre des représentants, Proposition de loi concernant l’organisation et le fonctionnement du Conseil national du travail (CNT), Développements, doc. n° 67, 4 juillet 1950, p. 1.
  • [64]
    Ibidem, p. 2.
  • [65]
    Chambre des représentants, Projet de loi de cadre portant organisation de la planification et de la décentralisation économique. Exposé des motifs, doc. n° 125, 22 octobre 1968, p. 2.
  • [66]
    Chambre des représentants, Projet de loi portant organisation de l’économie. Rapport fait au nom de la Commission spéciale par E. Leburton, doc. n° 511, 2 juin 1948, p. 13.
  • [67]
    Ibidem,p. 13.
  • [68]
    Le fonctionnement et les activités du Conseil central de l’économie, 1948-1998, op. cit., p. 79.
  • [69]
    Ibidem, p. 190.
  • [70]
    Une exception interviendra plus tard pour l’élection des représentants des cadres au conseil d’entreprise.
  • [71]
    Chambre des représentants, Projet de loi portant organisation de l’économie. Exposé des motifs, doc. n° 50, 3 décembre 1947, p. 12-13.
  • [72]
    Pour une introduction aux débats sur la démocratisation de l’entreprise entre les deux guerres mondiales, notamment la question du contrôle ouvrier posé par le syndicat socialiste dès les années 1920, cf. É. ARCQ, M. PIRAUX, Le rôle des groupes dans l’évolution de la problématique du travail, op. cit., p. 129-137.
  • [73]
    Fédération générale du travail de Belgique, Rapport au congrès statutaire des 23-25 décembre 1945, 1945.
  • [74]
    Confédération des syndicats chrétiens, Cogestion. Rapport de la première commission d’études de la CSC [XVe congrès, Bruxelles, 10-12 octobre 1947], 1947, p. 59-60.
  • [75]
    Ibidem, p. 74.
  • [76]
    Chambre des représentants, Projet de loi instituant les conseils d’entreprises. Exposé des motifs, doc. n° 142, 25 juin 1946, p. 1.
  • [77]
    Ibidem, p. 10.
  • [78]
    Rappelons que le Projet d’accord de solidarité sociale était explicite à ce sujet : « Les travailleurs respectent l’autorité légitime des chefs d’entreprise et mettent leur honneur à exécuter consciencieusement leur travail. »
  • [79]
    Chambre des représentants, Projet de loi instituant les conseils d’entreprises. Rapport fait au nom de la Commission du Travail et de la Prévoyance sociale par E. Leburton, doc. n° 306, 8 mai 1947, p. 10.
  • [80]
    Chambre des représentants, Projet de loi portant organisation de l’économie. Exposé des motifs, doc. n° 50, 3 décembre 1947, p. 14.
  • [81]
    Sénat, Rapport de la Commission des Affaires économiques chargée d’examiner le projet de loi portant organisation de l’économie, doc. n° 489, 28 juillet 1948, p. 29.
  • [82]
    Ibidem.
  • [83]
    Fédération générale du travail de Belgique, Rapport moral et administratif pour les années 1953-1954-1955, 1956, p. 167.
  • [84]
    Confédération des syndicats chrétiens, Rapport d’activité 1955, 1955.
  • [85]
    É. ARCQ, M. PIRAUX, Le rôle des groupes dans l’évolution de la problématique du travail, op. cit., p. 241.
  • [86]
    Comme en atteste le Rapport préliminaire général sur la réorientation économique de la Belgique publié en septembre 1936. Cf. « Le jeu des forces qui ont conditionné, dans l’après-guerre, les formes d’aide de la puissance publique à l’initiative privée », op. cit.
  • [87]
    Ibidem, p. IV.
  • [88]
    Cf. par exemple Sénat, Projet de loi concernant l’aide à la création, à l’extension et à la rationalisation d’entreprises industrielles et artisanales. Exposé des motifs, doc. n° 7, 11 novembre 1952.
  • [89]
    P. TILLY, « L’histoire revisitée des congrès de 1954 et 1956 de la FGTB », in M. ALALUF (dir.), Changer la société sans prendre le pouvoir. Syndicalisme d’action directe et renardisme en Belgique, Bruxelles, Labor, 2005, p. 55.
  • [90]
    G. DESOLRE, « Les réformes de structures mises en perspective », in M. ALALUF (dir.), Changer la société sans prendre le pouvoir, op. cit., p. 37.
  • [91]
    A. RENARD, « Les déficiences de notre économie », Syndicats, 15 mai 1954 (cité dans André Renard écrivait. Recueil d’articles, 1936-1962, Liège, Impredi, s.d. [1962], p. 237).
  • [92]
    A. RENARD, « Planisme et réforme de structure », Syndicats, 5 juin 1954 (cité dans André Renard écrivait, op. cit., p. 241).
  • [93]
    Fédération générale du travail de Belgique, Situation économique et perspective d’avenir, op. cit., p. 132.
  • [94]
    Fédération générale du travail de Belgique, Holdings et démocratie économique, op. cit., p. 16.
  • [95]
    Ibidem, p. 135.
  • [96]
    Fédération générale du travail de Belgique, Situation économique et perspective d’avenir, op. cit., p. 189.
  • [97]
    Donc une nouvelle institution publique, et non pas une compétence nouvelle à attribuer à la Société nationale de crédit à l’industrie comme le proposait la FGTB.
  • [98]
    « La programmation économique », op. cit., p. 252.
  • [99]
    Ibidem, p. 247.
  • [100]
    Ibidem, p. 249.
  • [101]
    Ibidem, p. 250.
  • [102]
    Notons cependant que l’unanimité n’est sans faille ni du côté syndical, ni du côté patronal. Cf. Le fonctionnement et les activités du Conseil central de l’économie, 1948-1998, op. cit., p. 81-82.
  • [103]
    Avis du Conseil central de l’économie du 27 mai 1959 relatif à la programmation de l’économie.
  • [104]
    « Exposé des motifs », in Arrêté royal du 14 octobre 1959 portant création d’un Bureau de programmation économique, Moniteur belge, 20 octobre 1959.
  • [105]
    « La programmation économique (I) », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 153, 1962.
  • [106]
    Conseil central de l’économie, Rapport du secrétaire sur l’activité du conseil du 1er juillet 1962 au 30 juin 1963, 1963, p. 8-9.
  • [107]
    Fédération générale du travail de Belgique, Holdings et démocratie économique, op. cit., p. 215.
  • [108]
    Ibidem, p. 216.
  • [109]
    Ibidem, p. 217.
  • [110]
    « Rapport au Roi », in Arrêté royal n° 64 du 10 novembre 1967 organisant le statut des sociétés à portefeuille et leur association à la programmation économique, Moniteur belge, 14 novembre 1967.
  • [111]
    Ibidem.
  • [112]
    Ibidem.
  • [113]
    Conseil central de l’économie, Rapport du secrétaire sur l’activité du conseil du 1er juillet 1964 au 30 juin 1965, 1965, p. 7.
  • [114]
    Ibidem, p. 9.
  • [115]
    « Le Bureau du Plan et le plan 1971-1975 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 520-521, 1971, p. 2-7.
  • [116]
    « Les tentatives d’élaboration d’une politique des revenus en Belgique (I) », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 259, 1964, p. 15.
  • [117]
    Conseil central de l’économie, Avis du 1er juin 1966 sur les statistiques en matière de productivité, 1966. Plus tard, dans les années 1980 et 1990, avec l’arrivée de la problématique de la compétitivité, on tentera de résoudre le problème posé par cet argument syndical. Le CCE sera chargé de mission, et doté de moyens, en vue d’objectiver au mieux des notions comme celles de productivité et de compétitivité comme préalable aux discussions sur les augmentations salariales.
  • [118]
    Chambre des représentants, Projet de loi de cadre portant organisation de la planification et de la décentralisation économique. Exposé des motifs, doc. n° 125, 22 octobre 1968. La réforme, voulue par les socialistes wallons, est pensée comme complémentaire à la réforme des institutions politiques mise en œuvre par la révision de la Constitution de 1970 (cf. G. EYSKENS, Mémoires, Bruxelles, CRISP, 2012, p. 997-999).
  • [119]
    Du nom du ministre socialiste Freddy Terwagne, décédé en 1971 et auteur du projet de loi.
  • [120]
    C. KESTELOOT, « Syndicalisme et fédéralisme », in M. ALALUF (dir.), Changer la société sans prendre le pouvoir, op. cit., p. 65-86.
  • [121]
    « La planification », Cahiers du CEPESS, n° 4, 1969, p. 10.
  • [122]
    Ibidem, p. 23.
  • [123]
    Pour deux d’entre eux, ces conseils s’appuient sur des organes existants, créés sous la forme d’asbl : le Conseil économique régional wallon et le Conseil économique régional flamand. Le troisième est un organe nouveau : le Conseil économique du Brabant.
  • [124]
    Conseil central de l’économie, Rapport du secrétaire sur l’activité du conseil du 1er juillet 1969 au 30 juin 1970, 1970, p. 7-8.
  • [125]
    « Le Bureau du Plan et le plan 1971-1975 », op. cit., p. 17.
  • [126]
    Chambre des représentants, Projet de loi organisant l’association des holdings à la planification économique, modifiant le statut des sociétés à portefeuille et relatif à la modification de la structure en capital de certaines sociétés. Exposé des motifs, doc. n° 503-1, 11 avril 1975, p. 2.
  • [127]
    « Le Bureau du Plan et le plan 1971-1975 », op. cit., p. 17.
  • [128]
    Chambre des représentants, Proposition de loi relative à des modifications et à des compléments apportés aux dispositions organiques de la Société nationale de crédit à l’industrie. Développements, doc. n° 357, 8 avril 1952.
  • [129]
    Chambre des représentants, Projet de loi instituant une Société nationale d’investissement. Exposé des motifs, doc. n° 637, 17 juillet 1952, p. 1.
  • [130]
    Conseil central de l’économie, Rapport du secrétaire sur l’activité du conseil du 1er juillet 1958 au 30 juin 1959, 1959, p. 77-105.
  • [131]
    Loi du 2 avril 1962 relative à la Société nationale d’investissement et les sociétés régionales d’investissement, Moniteur belge, 18 avril 1962.
  • [132]
    Cf. « Exposé du ministre », in Sénat, Projet de loi relatif à la constitution d’une société nationale d’investissement et de sociétés régionales d’investissement agréées. Rapport fait au nom de la Commission des Affaires économiques et de l’Énergie par L. Desmet, doc. n° 95, 29 janvier 1962, p. 2.
  • [133]
    Cf. Sénat, Projet de loi relatif à la constitution d’une société nationale d’investissement et de sociétés régionales d’investissement agréées. Exposé des motifs, doc. n° 161, 27 octobre 1961, p. 3.
  • [134]
    Sénat, Projet de loi organisant l’initiative économique publique. Exposé des motifs, doc. n° 766-1, 19 janvier 1976, p. 4.
  • [135]
    Il s’agit notamment, à travers ce projet, d’avoir une vue directe sur les coûts réels de production des produits pétroliers. Cf. « L’entreprise publique en Belgique », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 630, 1974.
  • [136]
    Bulletin de la FEB, 20 janvier 1974.
  • [137]
    Conseil central de l’économie, Rapport du secrétaire sur l’activité du conseil du 1er juillet 1975 au 30 juin 1976, 1976, p. 20.
  • [138]
    L’initiative économique publique, Bruxelles, CRISP, 1977, p. 43-46. Les pages qui précèdent s’inspirent largement de ce dossier.
  • [139]
    Sénat, Projet de loi organisant l’initiative économique publique. Exposé des motifs, doc. n° 766-1, 19 janvier 1976.
  • [140]
    Sénat, Projet de loi organisant l’initiative économique publique. Exposé des motifs, doc. n° 766-1, 19 janvier 1976, p. 4.
  1. Introduction
  2. 1. Historique
    1. 1.1. Les origines de la démocratie économique
    2. 1.2. L’institutionnalisation de la démocratie économique dans l’immédiat après-guerre
    3. 1.3. La mise en pratique de la démocratie économique dans les années 1950
      1. 1.3.1. Les déclarations communes sur la productivité
      2. 1.3.2. L’accord interprofessionnel sur la réduction du temps de travail
      3. 1.3.3. Une politique d’expansion économique
    4. 1.4. La programmation économique et la concertation tripartite dans les années 1960 et 1970
      1. 1.4.1. Une politique économique programmée et concertée
      2. 1.4.2. L’extension de la concertation tripartite aux grands secteurs économiques
      3. 1.4.3. Une négociation sociale structurée en trois niveaux
      4. 1.4.4. De la programmation à la planification
      5. 1.4.5. Une ultime relance de la démocratie économique et sociale ?
  3. 2. Démocratie économique et démocratie politique
    1. 2.1. La démocratie économique comme complément de la démocratie politique
    2. 2.2. Le maintien de la souveraineté étatique
    3. 2.3. L’exercice démocratique du pouvoir économique
    4. 2.4. La création de la fonction consultative
  4. 3. L’organisation démocratique de l’économie
    1. 3.1. Égalité politique et égalité économique
    2. 3.2. Instaurer un climat de collaboration
    3. 3.3. L’organisation rationnelle de l’économie
    4. 3.4. Le paritarisme
  5. 4. La démocratisation de l’entreprise
    1. 4.1. Deux approches syndicales
    2. 4.2. Collaboration, cogestion, auto-gestion
    3. 4.3. Collaborer pour accroître la productivité ?
  6. 5. Le cadre démocratique de la politique économique
    1. 5.1. Les idées socialistes
    2. 5.2. Vers la programmation économique
    3. 5.3. L’association des holdings à la programmation économique
    4. 5.4. Bilan et réforme de la programmation économique
    5. 5.5. Une planification elle-même difficile
    6. 5.6. L’initiative économique publique
  7. Conclusion
Étienne Arcq
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Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un vaste projet de démocratie économique et sociale complétant la démocratie politique voit le jour en Belgique. Il se concrétise par l’institutionnalisation d’une double forme de concertation : sociale, d’une part, et économique, d’autre part. La concertation sociale vise à associer les interlocuteurs sociaux aux décisions politiques prises en matière de relations collectives de travail. La concertation économique a pour objectif d’instaurer un mode de fonctionnement démocratique en matière économique : en permettant aux acteurs économiques de participer aux prises de décision (les patrons au niveau de la politique économique et les travailleurs au niveau de l’entreprise) et en orientant les décisions économiques vers l’intérêt général. Aujourd’hui, la concertation sociale est toujours d’actualité. En revanche, la concertation économique a quasiment disparu. Le but du présent Courrier hebdomadaire est de retracer l’histoire, largement oubliée, de la démocratie économique et de ses réalisations institutionnelles. Quatre aspects de l’économie concertée sont analysés : le lien entre démocratie économique et démocratie politique, l’organisation démocratique de l’économie, la démocratisation de l’entreprise, l’encadrement démocratique de la politique économique. Pour tenter de caractériser le degré de consensus politique atteint sur ces différents aspects, sont étudiées les intentions du législateur, les vues des partis participant au pouvoir et les positions des interlocuteurs sociaux influençant la décision politique. Les facteurs du déclin de la concertation économique sont mis en évidence. Ce retour sur le passé éclaire les débats actuels sur la « gouvernance économique », qui sont aux antipodes des conceptions ayant été à la base de la démocratie économique.
Mis en ligne sur Cairn.info le 03/02/2015
https://doi.org/10.3917/cris.2237.0005
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