CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1 Le système fédéral belge est considéré comme un de ceux dont les forces centrifuges sont les plus prononcées. Ceci est notamment dû au fait que la Belgique ne compte plus de partis politiques d’importance organisés sur base nationale. Les différentes réformes institutionnelles opérées ces dernières décennies, et les débats politiques qui les ont précédées, ont dès lors presque exclusivement porté sur l’attribution de plus d’autonomie aux entités fédérées et sur une dissociation croissante du cadre belge.

2 Dans ce contexte, le projet d’introduire une circonscription électorale fédérale pour l’élection d’au moins une partie des élus fédéraux peut être considérée comme allant à contre-courant des tendances centrifuges (même si elle n’exclut nullement un accroissement simultané des compétences des entités fédérées). Pourtant, lentement mais sûrement, cette proposition s’est forgé une place dans le débat communautaire belge. Depuis plus de trente ans, elle est évoquée de temps en temps et, notamment depuis 2007, elle est présente de manière structurelle dans le débat public autour de la réforme de l’État belge.

3 Pour mieux comprendre comment ce projet, qui induirait un changement institutionnel considéré comme centripète, est arrivé à se frayer un chemin dans un des systèmes fédéraux les plus centrifuges, le présent Courrier hebdomadaire retracera l’histoire du débat public et politique autour de l’idée de créer une circonscription électorale fédérale en Belgique. Il permettra aussi de mieux connaître et comprendre les positions des différents acteurs dans ce débat, ainsi que les arguments utilisés et les modalités techniques proposées, qui ont souvent varié et évolué depuis la fin des années 1970.

4 Cette étude est notamment basée sur une analyse d’archives de presse et sur des entretiens menés avec divers acteurs politiques. Étant donné les limites de la méthode d’investigation mise en œuvre [1], notre contribution n’a pas pour ambition d’être totalement exhaustive, en tout cas pour ce qui concerne la période d’avant les années 1990. Cette étude s’appuie également sur l’implication personnelle de l’auteur dans le débat. N’excluant nullement une description correcte et nuancée, cette implication présente l’avantage que nous avons suivi de très près et avec un intérêt particulier le dossier depuis plus de dix ans [2].

5 Avant d’entrer dans le débat interne à la Belgique, le projet de circonscription fédérale sera replacé dans le débat qui existe en sciences politiques autour de la question de la gestion des sociétés divisées et des mécanismes institutionnels et notamment électoraux les plus appropriés pour ces sociétés. Nous nous concentrerons notamment sur les deux grandes écoles de pensée qui s’opposent : l’école centripète, qui prône un système électoral favorisant les dynamiques « transcommunautaires », et l’école centrifuge ou consociative, qui préfère une logique du « chacun chez soi ». De ce point de vue, le système électoral belge a été marqué par une accentuation constante de la logique consociative depuis les années 1960.

1. UN PROJET À CONTRE-COURANT DES TENDANCES CENTRIFUGES

6 Avant de retracer le cheminement du projet de circonscription électorale fédérale, il convient de percevoir l’originalité de cette idée dans l’évolution institutionnelle du pays, à savoir le fait qu’elle vise à une certaine évolution centripète du système politique belge, alors que depuis plusieurs décennies, celui-ci tend à être toujours plus centrifuge. Cela permettra en outre de cerner les avantages que présenterait la mise en œuvre d’un tel projet.

1.1. SYSTÈMES ÉLECTORAUX ET GESTION DES SOCIÉTÉS DIVISÉES

7 Le débat autour de la question de savoir quelles sont les institutions les plus adaptées pour la gestion des conflits dans les sociétés divisées fait l’objet d’une vaste littérature en sciences politiques [3]. La conception d’institutions (« design institutionnel ») est en effet une variable importante pour la résolution des conflits. Et parmi ces institutions, le système électoral constitue sans aucun doute un des plus puissants instruments qui soient aux mains de ceux qui essaient de résoudre un conflit [4]. Toutefois, il n’existe pas de réponse unanime sur le système idéal à mettre en place.

8 Cette absence de consensus s’explique notamment par les divergences entre les cadres théoriques et philosophiques adoptés par les auteurs. Schématiquement, nous pouvons distinguer deux grands courants. D’un côté, la logique intégrationniste vise à limiter l’expression de la diversité à la sphère privée, car c’est selon elle l’ethnicisation des institutions qui engendre l’instabilité politique [5]. D’un autre côté, les partisans de la dynamique d’« accommodation » soutiennent, au contraire, que l’intégration de la diversité au niveau institutionnel est la meilleure façon de gérer les clivages qui animent les sociétés divisées. L’opposition majeure entre ces deux grands courants réside dans leur conception de la nature intrinsèque des clivages [6]. Pour les intégrationnistes, les clivages ne sont pas une donnée fixée une fois pour toutes : ils peuvent précisément se transformer en une identité (politique) commune. Pour les défenseurs de l’accommodation par contre, les clivages sont parfois si fortement ancrés qu’il faut apprendre à « vivre avec ces différences », c’est-à-dire à les gérer plutôt qu’à chercher à les nier ou les éradiquer [7].

9 Par ailleurs, l’accommodation peut prendre différentes formes. À ce sujet, deux écoles de pensée s’opposent sur la meilleure voie à suivre. Les partisans d’une approche consociative, emmenés par Arend Lijphart, prônent une logique du « chacun chez soi », tandis que les tenants de l’école centripète promeuvent, à la suite des travaux de Donald Horowitz, une dynamique « transcommunautaire ».

10 Dans la théorie consociative, quatre caractéristiques-clés sont mises en avant pour promouvoir la stabilité démocratique dans les sociétés divisées [8] : le partage du pouvoir (au travers notamment de la formation de grandes coalitions), l’autonomie des groupes, la proportionnalité et le droit de veto des minorités. Transposé à la logique électorale, cela signifie premièrement que, pour assurer l’équilibre et le partage du pouvoir, chaque groupe doit être représenté dans les institutions et organes étatiques. À cet égard, le scrutin proportionnel est le système le plus adéquat pour assurer une représentation équitable des différents groupes. Deuxièmement, derrière le principe d’autonomie des groupes, se cache le postulat selon lequel ceux-ci ne peuvent être représentés que par des personnes élues en leur sein [9]. Aussi les partis « ethnicisés » sont-ils préconisés, tout comme le sont, lorsque c’est possible, les circonscriptions électorales ethniquement homogènes. Mais si les institutions comptent dans la gestion des conflits, l’attitude des élites reste toutefois une variable fondamentale [10]. En effet, c’est à l’issue des élections que les élites politiques gèrent les lignes de fracture et trouvent des solutions aux tensions qui agitent la société. La pacification des conflits est donc permise a posteriori, par l’attitude présupposée responsable et modérée des élites.

11 Pour les défenseurs de l’école centripète, cette dynamique est inverse : les candidats doivent représenter ou, du moins, composer avec les intérêts des différents segments qui constituent la société. Les moments-clés se situent donc a priori, lors de la campagne électorale [11]. Si ce sont toujours les élites qui assurent la cohésion et la stabilité politique, les représentants fondent cette fois leur légitimité sur un succès électoral dépassant les frontières de leurs seules origines ethniques. En effet, selon D. Horowitz, il n’y a pas de raison de penser que les élites sont capables – ou même désireuses – d’assurer la cohésion sociale [12] : il s’agit donc de les inciter structurellement à adopter des positions modérées. Comme le résume Timothy Sisk, « l’objectif est de concevoir une logique centripète du système politique en offrant des incitations électorales pour la modération des dirigeants politiques et en posant des freins à la surenchère extrémiste » [13]. Aussi l’élection n’est-elle pas l’affaire d’une journée électorale, mais l’aboutissement d’une dynamique de coopération entre les différents dirigeants ainsi qu’entre les candidats et les électeurs [14]. En vertu de quoi, les circonscriptions électorales hétérogènes, les partis nationaux multi-ethniques et les coalitions de partis sont fortement recommandés [15].

12 En Belgique, comme nous l’exposerons dans le point suivant, c’est jusqu’à présent la logique électorale consociative qui a été consacrée en matière électorale. À l’inverse, le projet de circonscription électorale fédérale s’inscrit davantage dans la philosophie de l’école centripète.

1.2. PARTIS ET SYSTÈME ÉLECTORAL EN BELGIQUE : UNE LOGIQUE CONSOCIATIVE

13 Arend Lijphart écrivait en 1981 que la Belgique est « l’exemple le plus parfait, le plus convaincant et le plus impressionnant de démocratie consociative » [16]. Institutionnellement, le caractère consociatif du pays s’explique par la consécration de la bipolarité de la représentation politique basée sur les identités linguistiques, notamment à travers la création de groupes linguistiques au Parlement, et par les mécanismes de protection de la minorité francophone (majorité spéciale, procédure de sonnette d’alarme, parité au gouvernement) qui font en sorte que toutes les décisions importantes quant à l’évolution (institutionnelle) du pays doivent être prises en consensus par les deux grands groupes linguistiques [17]. Politiquement, ce caractère consociatif s’explique par la nature – communautaire – du système de parti et par l’attitude électorale des formations politiques.

14 La création en 1970 de deux groupes linguistiques – français et néerlandais – pour les représentants au Parlement fédéral [18] a eu pour conséquence que les députés fédéraux sont, conformément à la logique consociative, censés représenter les citoyens de leur communauté. Il est par ailleurs intéressant de noter qu’il existe une certain tension entre cette évolution, qui coïncide avec les débuts de la fédéralisation progressive de l’État belge, et la conception de la représentation toujours incluse dans l’article 42 de la Constitution, qui proclame que « les membres des deux chambres représentent la nation, et non uniquement ceux qui les ont élus » [19].

15 En matière électorale, ainsi que le souligne J.-B. Pilet [20], la logique consociative s’est accentuée au cours des trois dernières décennies, avec une division croissante entre deux « zones électorales » – francophone et flamande – et une réduction des dernières zones électorales bilingues [21]. Dans ce contexte, la circonscription bilingue de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV) [22] est restée la seule circonscription électorale qui soit à cheval sur deux régions linguistiques (en l’occurrence, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la région de langue néerlandaise). En effet, tant lors de l’organisation des élections européennes de 1979 que lors de la réforme du Sénat en 1993, la logique du « chacun chez soi » a été confirmée (cf. infra). Alors que l’idée d’une circonscription électorale fédérale avait été évoquée dès 1978, deux collèges électoraux ont finalement été créés – l’un français, l’autre néerlandais –, les électeurs étant répartis dans trois circonscriptions électorales [23]. Pour les élections à la Chambre des représentants, la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde est restée l’ultime circonscription bilingue, puisque depuis la réforme électorale de 2002, les dix autres circonscriptions électorales épousent le tracé des provinces – excepté celle de Louvain [24]. Pour les élections des sénateurs [25] et des députés du Parlement européen en revanche, les électeurs de cette circonscription de Bruxelles-Hal-Vilvorde déterminent par leur vote – pour une liste francophone ou flamande – le collège électoral auquel ils appartiennent.

16 Les effets de ces diverses dispositions légales sont en outre renforcés par l’attitude des partis politiques. Légalement, rien n’empêche des candidats flamands de se présenter dans des circonscriptions du Sud du pays, et inversement. Pourtant, à de rares exceptions historiques près, les partis politiques d’une communauté linguistique donnée ne se présentent pas devant les électeurs de l’autre communauté. Ce comportement s’explique d’abord par la tradition consistant à se présenter dans la circonscription où l’on habite. Il se renforce au fur et à mesure que la Flandre devient linguistiquement plus homogène. Il s’explique enfin par la singularité du système de partis belge, qui s’appuie elle-même sur les facteurs précédents : depuis 1978, il n’existe en effet pour ainsi dire plus de partis nationaux, mais deux systèmes de partis « communautaires » [26] (francophone et flamand) qui s’affrontent. La pratique politique confirme dès lors la logique institutionnelle consociative : les candidats de chaque communauté se présentent exclusivement devant leurs électeurs respectifs [27].

17 En conclusion, la logique consociative est consacrée en Belgique par une division territoriale unilingue des circonscriptions électorales – à l’exception notoire de celle de Bruxelles-Hal-Vilvorde (jusqu’à présent du moins) –, mais également par la division politique des partis. Cette organisation particulière n’est cependant pas sans conséquence négative sur le système politique belge. C’est pourquoi, depuis plusieurs décennies, des propositions visant à introduire une dynamique centripète via la création d’une circonscription électorale fédérale sont apparues dans le débat politique.

2. ÉVOLUTION DU DÉBAT POLITIQUE ET PUBLIC

18 Cette seconde partie retrace les grands jalons du cheminement de l’idée de création d’une circonscription électorale fédérale, de son émergence, à la fin des années 1970, à nos jours. Pour ce faire, elle parcourt, en sept étapes, les principales prises de position des responsables politiques et de divers représentants de la société civile (dont les médias et les chercheurs universitaires).

2.1. LA GENÈSE : DE LA FIN DES ANNÉES 1970 À LA FIN DES ANNÉES 1990

19 Le projet de créer une circonscription électorale fédérale remonte à la fin des années 1970, à l’occasion de l’organisation des premières élections pour le Parlement européen. Cette première étape, celle de la genèse, couvre l’histoire de la Belgique jusqu’à la fin des années Dehaene, en 1999.

2.1.1. L’organisation des élections européennes de 1979

20 Une des premières traces que l’on retrouve de l’idée d’une circonscription électorale fédérale, ou plutôt nationale puisque la Belgique n’est alors pas encore un État fédéral, se situe à la fin des années 1970. La Belgique doit décider du système électoral à utiliser pour la première élection directe des parlementaires européens, qui sera organisée le 10 juin 1979 [28]. Leo Tindemans, alors Premier ministre, propose que ces parlementaires soient élus dans une circonscription nationale. Ce n’est certainement pas une coïncidence si cette idée est émise par le Premier ministre, qui y voit probablement aussi un moyen de tirer un profit électoral de sa grande popularité nationale. Mais ce serait notamment Charles-Ferdinand Nothomb, alors président du PSC (parti qui fait partie du gouvernement), qui s’y oppose alors, craignant que des candidats flamands obtiennent beaucoup plus de voix d’électeurs francophones que l’inverse [29]. Certaines sources (flamandes) disent que ce sont plutôt les partis francophones en général qui ne sont pas favorables à l’idée. Quoi qu’il en soit, le « débat » autour de l’éventualité de la création d’une circonscription électorale nationale n’est à l’époque pas porté sur la place publique.

21 En fin de compte, on décide d’introduire des circonscriptions – ou plutôt des collèges électoraux – au niveau des communautés, entre autres parce que ce système facilite le respect de la représentation qui est garantie aux groupes linguistiques pour les sièges européens. Les électeurs ne pourront dès lors voter que pour les listes néerlandophones dans la majeure partie de la région flamande, et que pour des listes francophones dans l’ensemble de la région wallonne. Il n’y a que dans la circonscription de Bruxelles-Hal-Vilvorde qu’ils pourront voter tant pour le collège électoral néerlandophone que pour le collège électoral francophone. Après l’introduction des groupes linguistiques à la Chambre en 1970 et la scission des trois partis politiques traditionnels entre 1968 et 1978 [30], ce nouveau système électoral renforce donc la logique de l’organisation de la représentation politique sur base linguistique, au lieu de lui donner un certain contrepoids comme aurait pu le faire une circonscription nationale.

2.1.2. Sous le gouvernement Martens VIII (1988-1991)

22 Le débat sur la circonscription nationale resurgit à la fin des années 1980 au moment de la « troisième phase » de la réforme de l’État prévue par le gouvernement Martens VIII (CVP / PS / SP / PSC / Volksunie), formé en mai 1988. Après que la première phase, négociée pendant l’été 1988, a fortement élargi les compétences des entités fédérées et que la deuxième phase, conclue pendant l’hiver 1988-1989, a réglé la question du système de financement et créé la Région de Bruxelles-Capitale, la troisième phase doit entre autres organiser l’élection directe des conseillers régionaux et mettre en œuvre une réforme du système bicaméral. Finalement, en dépit de quelques tentatives, cette troisième phase ne sera réalisée que lors d’une législature suivante, les éléments déjà prévus étant repris avec d’autres dans les négociations débouchant sur les accords de la Saint-Michel (28 septembre et 30 octobre 1992), qui transformeront officiellement la Belgique en un État fédéral lors de leur concrétisation par la révision constitutionnelle et des lois spéciales de 1993.

23 Dès la fin de l’année 1988, les partis politiques au pouvoir commencent à réfléchir et à affiner leurs positions quant à la troisième phase, sur laquelle l’accord de gouvernement est resté beaucoup plus vague que pour les deux précédentes. C’est dans ce cadre que l’idée de circonscription nationale revient à la surface. L’argument le plus fréquemment évoqué pour défendre cette idée veut qu’un parlement national a besoin d’avoir une légitimité nationale ; il est souvent couplé à un argumentaire en faveur de la refondation de partis nationaux.

24 Ainsi, en octobre 1988, le Premier ministre Wilfried Martens (CVP) déclare dans une interview au Soir que, conjointement à l’élection directe des conseillers régionaux, « les compétences nationales devront être gérées dans un esprit national. Ce qui suppose, pour les hommes politiques, une légitimité nationale ». Bien qu’il ne se prononce pas explicitement en faveur d’une circonscription nationale – à la question du journaliste qui lui demande s’il songe à cette formule, il répond qu’il est encore prématuré d’avancer des formules concrètes –, il déclare qu’il lui paraît « évident que l’on ne peut avoir une telle légitimité si l’on n’est l’élu que d’un petit arrondissement ». À la même époque, W. Martens fait des déclarations similaires lors d’autres interventions. D’autres personnes au sein du CVP semblent également favorables à l’idée. En mars 1989, le chef de groupe CVP au Sénat, Bob Gijs, émet quelques propositions sur la réforme du Parlement national dans une note divulguée par le Standaard. Il préconise un sénat quasi-paritaire sur le plan linguistique et dont le nombre de sénateurs serait réduit à 107 (contre 184 en 1989), dont 64 élus directs qui proviendraient d’une seule circonscription nationale, donnant droit à 32 mandats à chaque communauté.

25 Écolo, qui dans l’opposition forme un groupe parlementaire commun à la Chambre avec Agalev, soutient explicitement la proposition de circonscription nationale, mais pour la Chambre puisque le Sénat est censé devenir une émanation des régions et communautés. Agalev, dont notamment le sénateur Ludo Dierickx, est sur la même longueur d’ondes. Le sénateur PSC et constitutionaliste du parti Étienne Cerexhe abonde également dans le même sens quelques mois plus tard, dans une note qui sert de base à la position communautaire des sociaux-chrétiens francophones. Il y plaide pour que la Chambre ait « une légitimité nationale », ce qui implique selon lui non seulement une élection dans une circonscription nationale, mais également l’appartenance des élus à des partis nationaux.

26 Pour sa part, le PS, membre du gouvernement, est cependant fondamentalement opposé à l’idée. À cette époque, le parti socialiste francophone connaît toujours un courant régionaliste dominant et semble soupçonner des « unitaristes rentrés », tant au Nord qu’au Sud du pays, de vouloir faire de la troisième phase une « opération néo-unitariste », avec notamment l’idée d’une circonscription nationale comme un des chevaux de bataille. C’est en tout cas ce qui est déclaré après une discussion au bureau politique du PS en février 1989. Dans cette position, joue probablement également un rôle le fait que – au contraire du CVP du Premier ministre Wilfried Martens – le PS n’a pas dans ses rangs de responsables politiques qui connaissent une popularité nationale et pourraient donc retirer un gain électoral d’une circonscription belge.

27 Aussi, la dynamique de la réforme de l’État à l’œuvre jusqu’alors peut être interprétée comme une division des pouvoirs, notamment entre la force politique majeure au Nord, le CVP, et celle prédominant au Sud, le PS, qui a fait que les deux partis sont en quelque sorte devenus les maîtres chez eux. Au PS, la proposition peut être perçue comme une tentative du CVP de venir chasser sur son terrain et donc de rompre ce pacte implicite. Déjà avant que la proposition du chef de groupe CVP soit devenue publique, le PS déclare explicitement que, pour lui, il ne saurait être question de prévoir une circonscription nationale permettant aux hommes politiques flamands de venir tester leur popularité devant l’électorat francophone. Par la suite également, le PS répète son objection – notamment par la voix de son négociateur communautaire principal, Philippe Moureaux.

28 En Flandre, c’est surtout la Volksunie et une partie du CVP qui s’opposent à l’idée. La qualification de la proposition de circonscription nationale de « néo-unitariste » fait que ses partisans doivent souvent se défendre d’être animés par ce type de motivation. Ainsi, Henri Simons [31] explique dans le Soir : « Nous ne sommes pas belgicains, loin de là, mais dès l’instant où il demeure un échelon belge, il doit être géré en tant que tel. Et d’un point de vue démocratique, il faut que ceux qui s’en occupent puissent être sanctionnés par l’électeur. »

29 C’est probablement entre autres à ce mini-débat que se réfère André Alen, constitutionnaliste à la KUL et à cette époque secrétaire du Conseil des ministres [32], dans son rapport « La Belgique : un fédéralisme bipolaire et centrifuge » qui, édité par le Ministère des Affaires étrangères, devient un des premiers documents de référence sur le système fédéral belge (qui n’est alors pas encore officiellement institué) [33]. Énumérant les inconvénients d’un fédéralisme bipolaire, il écrit que « certaines techniques électorales, comme des élections nationales sur base d’une circonscription pour tout le pays, peuvent contribuer à doter le Parlement national et le gouvernement national d’un “substrat politique national” » [34]. Il ajoute cependant que, même si des techniques constitutionnelles pourraient inciter les partis à se réunir par-delà la frontière linguistique, celles-ci « n’auront pas d’effet s’il n’y a pas une acceptation minimale d’un État, d’une “nation” ». La circonscription nationale est également défendue par deux organismes dirigés par le professeur anversois Gonzales d’Alcantara : le Groupe Coudenberg, groupe de réflexion fédéraliste pro-belge qui, dans un livre paru en 1991 [35], préconise un changement de la législation électorale « permettant de donner aux élus de la chambre fédérale une légitimité nationale », et, plus tard, le Centre d’études du fédéralisme [36].

2.1.3. Sous les gouvernements Dehaene I et II (1992-1999)

30 Quand les négociations institutionnelles sont relancées par le gouvernement Dehaene I (CVP / PS / SP / PSC) en 1992, sous la forme d’un « dialogue de communauté à communauté », l’établissement d’une circonscription électorale unique pour la Chambre fait partie des propositions institutionnelles présentées par les partis écologistes, Écolo et Agalev, qui ont développé un programme commun pour ce dialogue. Avant même le début des travaux – à l’ordre du jour desquels figureront notamment la scission de la province du Brabant et, dans son sillage, une discussion sur la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde –, Écolo annonce qu’il se prononcera en faveur de la scission de BHV dans l’hypothèse où il serait décidé qu’au moins trente députés soient élus dans une circonscription nationale [37].

31 Aucun grand débat sur le sujet n’a néanmoins lieu lors de ces négociations, qui mèneront finalement aux accords définitifs de la Saint-Michel en janvier 1993. L’accord initial de la Saint-Michel se négociant entre les partis du gouvernement, Écolo et Agalev ne seront impliqués que dans une négociation ultérieure, qui amendera ces accords. Pour Écolo, la priorité sera alors surtout à un refinancement plus généreux des communautés et à l’écotaxe.

32 In fine, il est décidé que les élus directs du Sénat seront désignés par les électeurs sur base de deux collèges électoraux, l’un néerlandophone et l’autre francophone, ce qui revient donc à copier le système introduit pour les élections européennes et à renforcer à nouveau la dynamique de représentation politique sur base linguistique. Le Sénat, bien que de composition hybride, devient ainsi une sorte de sénat des communautés avec une représentation fixe par groupe linguistique. En plus des quarante élus directs (vingt-cinq néerlandophones et quinze francophones), il se compose de vingt-et-un sénateurs issus des parlements communautaires (dix membres du Parlement flamand, dix membres du Parlement de la Communauté française et un membre du Parlement de la Communauté germanophone) et de dix sénateurs cooptés (six néerlandophones et quatre francophones).

33 En octobre 1994, soit peu de temps après que la cinquième réforme de l’État a officiellement transformé la Belgique en un État fédéral, le Premier ministre J.-L. Dehaene (CD&V), qui en a été l’un des plus importants négociateurs [38], semble prendre conscience que la réforme n’a peut-être pas remédié à un des handicaps du système belge – voire l’a renforcé –, à savoir la fragmentation du paysage politique. Dans une interview au Soir il déclare ainsi que le système belge a besoin de regroupements suffisants pour huiler la prise de décision : « J’espère que, lorsque nous serons véritablement dans le système fédéral, on pourra – et pas nécessairement sous forme de “partis” proprement dits – en arriver à un regroupement des familles politiques. »

34 Par la suite, et jusqu’à la fin des années 1990, la proposition de circonscription fédérale n’est presque plus évoquée par des responsables politiques, même si les tensions communautaires n’ont pas disparu et que de nouvelles demandes institutionnelles se profilent, émanant désormais presque exclusivement de partis flamands.

35 Toutefois, l’idée d’une circonscription fédérale reste présente dans le débat public, grâce à quelques interventions de professeurs d’université dans les pages d’opinion des journaux, tant francophones que néerlandophones. L’idée est notamment défendue par Steven Vansteenkiste, juriste de l’université de Tilburg (Brabant septentrional, Pays-Bas) [39], et par Gérard Roland, professeur à l’ULB et futur membre du Groupe Pavia (cf. infra), qui l’évoque dans le Soir, le Standaard et Trends/Tendances. Pour G. Roland, une circonscription nationale est surtout une manière d’accompagner une réforme plus fondamentale du système électoral, qui doit voir l’introduction d’éléments d’un système majoritaire (l’élection d’une partie des parlementaires au scrutin majoritaire avec listes au niveau des districts). Toujours selon lui, en l’absence de circonscription nationale pour l’élection d’une autre partie des parlementaires, ces éléments majoritaires pourraient renforcer la bipolarisation et donc les tendances séparatistes.

36 En 1997, dans un article paru dans La Revue Nouvelle, Gérard Roland se joint à un professeur de la KUL et autre futur membre du Groupe Pavia, Antoon Vandevelde, et à un des futurs initiateurs de ce même groupe, le professeur de l’UCL Philippe Van Parijs, pour défendre une circonscription nationale au Sénat [40]. Leur analyse met principalement l’accent sur la dynamique de surenchère entre représentants politiques des deux communautés qui résulte des incitants électoraux dans le système actuel et qui est selon eux « une menace permanente à toute solidarité transrégionale généreuse ». En 1999, dans un autre article publié dans la même revue, P. Van Parijs se réfère aussi à l’idée d’une circonscription électorale fédérale, préconisant un seuil d’éligibilité de 1% des voix dans chaque province [41].

2.2. LES ANNÉES VERHOFSTADT (1999-2007)

37 De 1999 à 2007, la Belgique a à sa tête un gouvernement fédéral dirigé par Guy Verhostadt. Ce sont des années importantes pour le cheminement de l’idée de création d’une circonscription électorale fédérale. Elles sont notamment marquées par les prises de position de divers chercheurs universitaires.

2.2.1. Le gouvernement Verhofstadt I (1999-2003)

38 En 1999, la coalition fédérale arc-en-ciel (gouvernement Verhofstadt I : VLD / PS / Fédération PRL FDF MCC / SP / Écolo / Agalev) prône un nouveau climat communautaire, fait de dialogue et d’entente. En 2001, une cinquième réforme de l’État est négociée, en particulier suite aux demandes de partis francophones en faveur d’un refinancement de la Communauté française – et notamment l’enseignement francophone – et de partis flamands – dont la Volksunie nécessaire au gouvernement flamand pour garder sa majorité – pour accorder plus d’autonomie fiscale aux entités fédérées et leur transférer des compétences supplémentaires. La circonscription fédérale ne fait pas partie des débats, qui ne portent d’ailleurs aucunement sur une quelconque réforme électorale.

39 Ce n’est qu’un peu plus tard dans la législature que des réformes électorales sont entreprises par le gouvernement Verhofstadt I. Ainsi, en avril 2002, il s’accorde à remplacer les circonscriptions d’arrondissements par des circonscriptions provinciales plus grandes pour la Chambre et à introduire un seuil d’éligibilité de 5 %. La circonscription fédérale semble bel et bien avoir disparu du calendrier politique, puisqu’elle n’est pas même évoquée dans le cadre de cette réforme. Cette dernière donne par contre lieu à l’arrêt de la Cour d’arbitrage sur Bruxelles-Hal-Vilvorde du 26 mai 2003 [42], et la discussion sur la scission de cette circonscription électorale contribuera à faire revenir la circonscription fédérale dans le débat (cf. infra).

40 En 2002, sous l’impulsion du Premier ministre, la majorité fédérale prévoit également une réforme du Sénat. La Haute assemblée deviendrait paritaire (35 néerlandophones et 35 francophones) et, surtout, serait composée d’élus provenant des parlements des entités fédérées et non plus d’élus directs. Par contre, la Chambre accueillerait 50 représentants supplémentaires, élus directement dans les circonscriptions utilisées pour l’élection du Sénat depuis 1995, c’est-à-dire les deux collèges électoraux, néerlandophone et francophone [43]. Il est prévu que cette réforme du Sénat sera votée pendant la législature suivante. Il n’en sera finalement rien, et elle ne verra donc pas le jour.

2.2.2. Le rôle des universitaires en 2003-2004

41 Après quelques années d’absence du débat public, l’idée d’une circonscription fédérale est à nouveau relancée par des professeurs d’université. Ainsi, Dave Sinardet, politologue à l’Universiteit Antwerpen, en parle en mars 2003 dans la revue Samenleving en Politiek. Il voit en elle un remède à la polarisation et aux blocages communautaires résultant des incitants électoraux existants. Par ailleurs, il ajoute aussi au débat l’analyse selon laquelle une circonscription fédérale serait un moyen de résoudre un déficit démocratique du système belge, à savoir que, en raison du fait que les partis politiques sont scindés sur base linguistique, un ministre fédéral n’est électoralement responsable que devant les électeurs d’une des deux communautés. Se basant sur l’accord conclu par la majorité fédérale sur la réforme du Sénat (encore non avorté à cette époque), D. Sinardet propose plus précisément que 40 élus de la Chambre soient désignés dans une circonscription fédérale. Enfin, il constate qu’une telle réforme pourrait en outre mener à des alliances électorales entre partis néerlandophones et francophones d’une même famille politique. Il reprend ce dernier argument quelques semaines plus tard dans De Morgen, peu avant les élections fédérales, lorsque le Premier ministre sortant Guy Verhofstadt s’allie à son vice-Premier ministre Louis Michel, tous deux libéraux, pour une mini-tournée dans tout le pays, au cours de laquelle ils défendent ensemble un programme en dix points.

42 Fin juin 2003, Philippe Van Parijs (UCL) se joint à un autre futur coordinateur du Groupe Pavia, le politologue Kris Deschouwer (VUB). Dans une tribune commune plaidant pour la circonscription nationale parue dans De Standaard et La Libre Belgique (« Un sénat sans sénateurs, une vraie chambre fédérale »), ils proposent que 30 des 150 députés de la Chambre soient élus sur cette base. Selon eux, cette solution aurait pour effet de voir les familles politiques présenter sans tarder une liste unique. Une fois que l’une d’entre elles aurait adopté cette stratégie, les autres suivraient : « Les scores sans précédent qui pourront ainsi être réalisés amèneront les candidats les plus en vue à adopter bien plus qu’aujourd’hui, dans leurs paroles et dans leurs actes, un véritable profil fédéral. Et notre dynamique politique fédérale aura enfin atteint sa maturité. »

43 En 2004, les promoteurs d’une circonscription électorale fédérale lient leur idée à certains autres thèmes institutionnels qui sont à l’agenda, comme le manque de dynamique propre aux élections régionales et fédérales, pourtant désormais organisées à des dates séparées, et le dossier de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Ainsi, dans De Standaard et Le Soir, Dave Sinardet estime que sans véritable dynamique électorale fédérale, élections régionales et fédérales continueront à s’entremêler et que l’organisation d’élections simultanées deviendra inévitable. Dans Le Soir, Philippe Van Parijs propose de « troquer » la scission de la circonscription de Bruxelles-Hal-Vilvorde contre la mise en place d’une circonscription fédérale : « La hantise de la tache d’huile s’apaisera, des habitants pourront continuer de voter FDF, et les poids lourds de tous les partis (…) seront amenés à s’adresser au pays plutôt qu’à leur seule communauté. »

2.2.3. Le gouvernement Verhofstadt II (2003-2007)

44 La rentrée politique de 2004 est notamment marquée par les tensions autour de la circonscription de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Le dossier a été l’un des thèmes des élections régionales du 13 juin 2004. Une scission « sans tarder » de cette circonscription électorale a été demandée dans l’accord de gouvernement flamand [44]. Le dossier revient dès lors sur la table du gouvernement fédéral (gouvernement Verhofstadt II : VLD / PS / MR / SP. A–Spirit) [45].

45 À cette époque, la proposition de circonscription fédérale semble à nouveau circuler rue de la Loi. Ainsi, le président du PS, Elio Di Rupo, interrogé à ce sujet par la RTBF, affirme n’y être pas opposé. Mais il semble surtout douter de la volonté flamande d’aller dans cette direction : « Je pense que les francophones à cet égard, tous les francophones, sont prêts à faire preuve d’imagination mais il faut demander à nos collègues et à nos amis néerlandophones si eux aussi partagent cette opinion. » Il est difficile de savoir si E. Di Rupo est réellement ouvert à l’idée ou s’il veut simplement éviter de l’exclure publiquement. Il est vrai que par rapport à la situation qui prévalait quinze ans auparavant, lorsque le PS était un des principaux opposants à une circonscription nationale, le courant régionaliste a perdu de son influence dans le parti, et que le PS est devenu très prudent face à une régionalisation plus accrue du pays. De plus, il devient clair qu’E. Di Rupo nourrit des ambitions pour le poste de Premier ministre. Quelques semaines plus tard, dans une interview au Standaard, bien qu’il ne parle pas de la proposition de circonscription électorale fédérale, il constate que « la Belgique est le seul pays fédéral au monde sans partis fédéraux. Les Flamands votent pour des partis flamands et les francophones pour des partis francophones (…). Il faut une réponse à la question si l’on veut garder la Belgique. Je sais que la population est pour. Si les politiques veulent garder le pays, ils doivent être prêts à faire un effort. Je dois peut-être être le premier à faire un effort ».

46 En février 2005, à l’occasion d’un débat de la RTBF consacré aux vingt-cinq ans du fédéralisme belge, Melchior Wathelet Jr (CDH), se prononce également en faveur de la proposition d’une circonscription fédérale « pour que des personnes aient cette envie d’être élus dans l’ensemble du pays, qu’ils pensent belge avant de penser en fonction de leur Région et de leur Communauté ». Du côté d’Écolo, Marcel Cheron et Henri Simons (respectivement sénateur et premier échevin de la Ville de Bruxelles) se réfèrent à cette idée dans une carte blanche publiée dans le Soir en avril 2005 : « Pour une Belgique bicentenaire ! ».

47 L’année suivante, en 2006, plusieurs mandataires politiques, essentiellement francophones, se prononcent en faveur d’une circonscription fédérale [46]. De façon assez surprenante, Jean-Claude Van Cauwenberghe, ancien ministre-président de la Région wallonne et représentant du courant « wallingant » au PS, se montre spontanément favorable à la proposition : « Ça permettrait d’essayer de recréer une et une seule opinion publique belge, au lieu de deux grandes opinions actuelles », déclare-t-il au Soir en février 2006. En avril, c’est Rudy Demotte, ministre PS du gouvernement Verhofstadt II, qui enchaîne dans Het Laatste Nieuws : « Les préjugés disparaîtraient plus vite si Verhofstadt pouvait demain également être élu à Mons et Di Rupo également à Gand. » En mai 2006, Joëlle Milquet, présidente du CDH, sans toutefois se référer à la circonscription fédérale, constate que « ce pays manque d’hommes et de femmes politiques qui doivent rendre des comptes dans l’autre communauté linguistique ».

48 Toutefois, il est à noter que si les déclarations d’intention deviennent plus nombreuses, très peu d’entre elles sont suivies d’une tentative effective de mettre en marche le processus visant à l’instauration d’une circonscription électorale fédérale, à savoir du dépôt d’un projet ou d’une proposition de loi. Le seul cas est celui d’une proposition de révision de la Constitution déposée en mars 2006 par deux députés Écolo : Zoé Genot et Jean-Marc Nollet [47]. Aux yeux de ceux-ci, le système politique belge a besoin de responsables politiques disposant d’une légitimité nationale. Ils proposent dès lors de réserver un nombre de sièges à la Chambre des représentants à des candidats qui seraient élus au sein d’une circonscription électorale fédérale. Ils considèrent que de cette manière, pourrait se créer une prise de conscience fédérale belge et donc, à terme, une opinion publique commune. Concrètement, leur proposition de révision de la Constitution consiste à ajouter aux 150 députés élus dans les circonscriptions, 50 députés choisis sur une circonscription fédérale. Cette proposition est liée à une disparition des élus directs au Sénat, transformé en Sénat des communautés et régions (élus de second degré). L’objectif est également de ne pas augmenter globalement le nombre d’élus fédéraux rémunérés. Cette proposition sera par la suite redéposée à chaque nouvelle législature : par sept députés Écolo en 2007 [48] et par six députés Écolo et quatre Groen en 2010 [49].

49 Le fait que les initiatives parlementaires restent limitées peut bien sûr aussi s’expliquer par la dynamique du système politique et parlementaire belge, dans lequel beaucoup d’initiatives parlementaires sont le reflet d’accords entre partis politiques ou au sein du gouvernement. L’évolution des positions au sein des partis est donc plus révélatrice, qui montre que l’idée d’une circonscription électorale fédérale semble cheminer dans l’esprit des dirigeants politiques, qui y font de plus en plus souvent allusion.

50 Entre-temps, des intellectuels qui ne sont pas tous issus du monde académique, principalement flamands, ont également commencé à se prononcer sur la question. Ainsi, l’écrivain Tom Lanoye déclare en avril 2004 dans le magazine néerlandophone Humo : « Je suis bien certain que nombre de Wallons auraient voulu voter pour Marc Verwilghen dans le temps, et nombre de Flamands (…) pour Elio Di Rupo. Moi, par exemple, j’ai plus en commun avec Elio Di Rupo qu’avec Filip Dewinter. Imaginez-vous qu’aux États-Unis, on dirait : “Dans ton État, tu peux seulement voter pour ton propre candidat à la présidence du pays” ? Ce serait quand même complètement fou. Mais chez nous, où la démocratie a une touche surréaliste, c’est possible… » En janvier 2005, dans De Standaard, l’ex-journaliste de la VRT et publiciste Walter Zinzen voit dans le dossier Bruxelles-Hal-Vilvorde un modèle plutôt qu’un problème : il propose de faire élire le Premier ministre par tous les Belges, puis d’européaniser les élections européennes : « Faisons donc d’abord de la Belgique, et ensuite de l’Europe, un grand Bruxelles-Hal-Vilvorde. » Suivent également le professeur de droit canon de la KUL et Bekende Vlaming Rik Torfs, la rédactrice et chroniqueuse du Standaard[50], Mia Doornaert, le rédacteur en chef du Morgen, Yves Desmet, ou encore l’historien et journaliste du Standaard, Marc Reynebeau.

2.3. LA CRÉATION DU GROUPE PAVIA

51 En février 2005, Philippe Van Parijs et Kris Deschouwer réunissent autour d’eux une dizaine de leurs collègues universitaires de l’ensemble du pays pour publier une tribune libre collective dans De Standaard et La Libre Belgique (4 février). Suite à cette publication, les réactions des trois partis nationalistes flamands (Spirit, N-VA et Vlaams Belang) fusent. « Dans quel pays ces professeurs ont-ils vécu ces quarante dernières années ? », demande Geert Lambert (Spirit). Pour sa part, Bart De Wever (N-VA) est d’accord avec une des analyses de base, qui affirme que le système actuel implique un déficit démocratique ; mais il ajoute que si on veut être conséquent avec l’idée d’une « circonscription unitaire », il faudra aussi abolir les majorités spéciales et la parité au gouvernement.

52 La carte blanche mène en septembre 2005 à la création du Groupe Pavia, à l’initiative de Philippe Van Parijs et Kris Deschouwer, qui réunissent autour d’eux Rik Coolsaet (UGent), Carl Devos (UGent), Lieven De Winter (UCL), Paul Magnette (ULB), Marco Martiniello (ULg), Olivier Paye (FUSL), Koen Raes (UGent), Benoît Rihoux (UCL), Gérard Roland (University of Berkeley (Californie) et ULB), Dave Sinardet (UA), Antoon Vandevelde (KUL), Pierre Verjans (ULg) et Stefaan Walgrave (UA). Le nom du groupe se réfère à la rue de Pavie à Bruxelles, où réside P. Van Parijs, chez qui le groupe se réunit pour la première fois le 13 septembre 2005. Les réunions du groupe sont surtout consacrées au développement d’une proposition concrète et techniquement détaillée, et donc à la réflexion sur des questions comme l’introduction de quotas par groupe linguistique, un seuil d’éligibilité, l’utilisation de listes ouvertes ou fermées, etc. Plusieurs personnalités politiques néerlandophones et francophones sont également invitées individuellement à des réunions, pour contribuer à la réflexion informelle sur la faisabilité politique et sur l’élaboration d’un projet abouti. Fin décembre 2005, Le Soir fait écho aux travaux du groupe. En janvier 2006, un colloque fermé est organisé à la Fondation universitaire, notamment pour ouvrir plus largement la réflexion au monde académique. K. Deschouwer traite des motivations sous-jacentes à la proposition et établit une comparaison entre la Belgique et d’autres pays fédéraux, D. Sinardet détaille les avantages et inconvénients des divers variantes techniques de la proposition, et Hugues Dumont (constitutionnaliste aux FUSL) réagit en parcourant les problèmes constitutionnels que la proposition pourrait rencontrer [51]. P. Van Parijs se charge de la synthèse et des conclusions.

2.4. DE L’ÉMISSION « BYE BYE BELGIUM » AUX ÉLECTIONS FÉDÉRALES DE 2007

53 Les six mois précédant les élections fédérales du 10 juin 2007 constituent une période cruciale pour l’évolution de l’idée d’une circonscription électorale fédérale. La campagne est teintée de tensions communautaires, notamment parce que le cartel formé par le CD&V et les séparatistes de la N-VA – formation qui inquiète déjà en soi les partis et les médias francophones – a affirmé la nécessité d’une nouvelle grande réforme de l’État. Aussi, Yves Leterme (CD&V), alors ministre-président flamand mais déjà pressenti comme candidat au poste de Premier ministre fédéral, a-t-il une image de plus en plus négative dans les médias francophones, notamment à cause de quelques interventions dans la presse – dont celle où il déclare, d’après lui ironiquement, que les francophones ne seraient « pas en état intellectuel d’apprendre le néerlandais » [52].

54 Y. Leterme est de plus en plus considéré dans la presse francophone comme un séparatiste qui n’ose pas dire son nom. Pourtant, en octobre 2006, il a fait des déclarations à l’émission « Terzake » de la VRT qui témoignent de certaines préoccupations proches de celles des défenseurs de la circonscription fédérale. Interrogé sur ses déplacements en Wallonie, il répondait ainsi : « Nous sommes un pays fédéral où fonctionne un gouvernement fédéral sans que les responsables politiques doivent rendre des comptes dans l’autre partie du pays. Nous sommes tous élus dans l’une ou l’autre partie. » À la question du journaliste de savoir s’il plaidait pour des listes nationales, Y. Leterme répondit : « Non, ce n’est pas nécessaire, si nous – tant les membres du gouvernement fédéral que ceux qui représentent leur entité fédérée – allons également régulièrement défendre nos idées de l’autre côte de la frontière linguistique, et c’est ce que je fais. » Néanmoins, le climat général autour d’Y. Leterme annonce surtout un clash communautaire.

2.4.1. L’émission « Bye bye Belgium » (RTBF, 13 décembre 2006) et ses suites

55 Six mois avant les élections, le 13 décembre 2006, un autre évènement ravive le débat communautaire : la diffusion par la RTBF d’une émission spéciale consistant en un faux documentaire : « Bye bye Belgium ». Cette prétendue édition spéciale du journal télévisé annonce que le Parlement flamand a déclaré unilatéralement l’indépendance de la Flandre.

56 L’émission fait beaucoup de bruit dans tout le pays et est très controversée, notamment dans le monde politique. Entre autres, elle relance le débat sur les relations entre les communautés et sur l’image que celles-ci ont et véhiculent l’une de l’autre. Dans le sillage de ce débat, la circonscription électorale fédérale revient à la surface dans nombre de commentaires, notamment chez des journalistes du Soir. Fin décembre, le concepteur de l’émission, Philippe Dutilleul, plaide lui aussi pour une circonscription nationale dans Humo ; toutefois, et cela est représentatif de sa vision de l’évolution du pays (déjà apparente dans son faux documentaire), il ajoute qu’une telle réforme serait de la science-fiction : « Il n’y a aucune volonté politique de pousser cette réforme vitale. Flamands et Wallons continueront à voter les uns à côté des autres pour leurs propres politiques. Jusqu’à ce que c’en soit fini de la Belgique. »

57 Pourtant, au cours des semaines suivantes, les déclarations politiques en faveur de la proposition se multiplient. Le commissaire européen Louis Michel (MR) affirme lors de l’émission « Les bureaux du pouvoir » de la RTBF que la première décision qu’il tenterait de faire prendre par son gouvernement s’il était Premier ministre serait la création d’une circonscription électorale unique. Jean-Luc Dehaene (CD&V) explique fin décembre au Morgen que les inconvénients nés de l’absence d’un système électoral sur base fédérale se font de plus en plus sentir, mais il ajoute que cette situation est une conséquence de choix posés par les francophones, se référant à l’opposition de Charles-Ferdinand Nothomb lors de l’organisation des premières élections européennes.

2.4.2. Guy Verhofstadt et les libéraux flamands

58 En janvier 2007, différents libéraux flamands commencent à évoquer et à défendre l’idée d’une circonscription électorale fédérale. Ainsi, le vice-Premier ministre Patrick Dewael en parle dans une interview à La Libre Belgique : « En Belgique, un homme politique devient populaire en cassant du sucre sur l’autre communauté. Il n’y a plus de politiciens qui ont le courage de défendre la même politique dans le pays entier. Nous avons commis là une erreur grave. Dans tous les pays fédéraux, il y a toujours des circonscriptions nationales. » [53] Il ajoute : « Vous imaginez qu’Yves Leterme aurait fait les déclarations qu’il a faites cet été à Libération, s’il savait qu’il devait ensuite se présenter dans une circonscription nationale ? » Son plaidoyer est repris le jour suivant dans De Standaard. Quelques jours plus tard, le président de la Chambre, Herman De Croo (VLD), soutient également l’idée, en la combinant à une autre proposition qui lui est chère : l’établissement pour les autres sièges de la Chambre de circonscriptions d’arrondissement très réduites.

59 Côté francophone, le vice-Premier ministre Didier Reynders (MR), se déclare également favorable à une circonscription fédérale quelques jours plus tard, à l’occasion d’une interview au cours de laquelle il se présente comme candidat au poste de Premier ministre. À la RTBF, Francis Delpérée (CDH), sénateur et expert institutionnel de son parti, estime qu’une circonscription nationale est « faisable », mais qu’elle aurait davantage de pertinence pour l’élection du Sénat que pour celle de la Chambre.

60 Le fait que divers libéraux flamands d’importance commencent à évoquer l’idée n’est pas une coïncidence. Il indique que les membres du parti – et notamment le Premier ministre Guy Verhofstadt – veulent mettre la proposition en avant. Cela est confirmé par le discours [54] que le Premier ministre prononce le 24 janvier 2007, lors de la réception du nouvel an organisée pour les autorités du pays au Palais royal, dans lequel il déclare qu’une réforme de l’État est selon lui indispensable, parce que tant le séparatisme que l’immobilisme sont des dangers qui se renforcent mutuellement. Il introduit en outre un nouvel élément dans la philosophie de la réforme de l’État, en faisant part de son opinion selon laquelle un accroissement de l’autonomie des entités fédérées doit aller de pair avec un « renforcement des instruments fédérateurs ». G. Verhofstadt ajoute que « dans une fédération, chaque communauté doit être sensible à ce qui vit dans l’autre communauté », ce qu’on peut interpréter comme une référence à la circonscription fédérale – interprétation corroborée quelques semaines plus tard par le programme de campagne de son parti.

61 Début février 2007, le VLD présente en effet son programme communautaire, reprenant et concrétisant le plaidoyer de G. Verhofstadt en faveur de la mise en place d’instruments fédérateurs : « Pour des raisons historiques, l’introduction dans notre pays de partis nationaux n’est pas une option. Il faut réfléchir sérieusement sur une ou plusieurs autres options comme elles existent à l’étranger, c’est-à-dire un sénat des entités fédérées, une cour constitutionnelle à part entière ou une circonscription fédérale, par exemple pour une partie de l’assemblée. » À la VRT, le président du VLD, Bart Somers, par ailleurs ancien membre de la Volksunie, déclare également que « le VLD est prêt à sérieusement étudier la possibilité » d’une circonscription électorale fédérale.

62 Dans son plaidoyer pour une distribution des compétences sur base rationnelle, G. Verhofstadt n’exclut pas non plus de refédéraliser certaines compétences, certes assez mineures, comme les normes de bruit ou la coopération de développement qui, dans les faits, est largement restée fédérale. En même temps, son parti reste favorable à une régionalisation beaucoup plus poussée que ne le sont les socialistes ou les verts flamands.

63 Les propositions libérales flamandes sont assez mal accueillies, entre autres par des partis flamands comme le CD&V, la N-VA et le Vlaams Belang (qui dit dans un communiqué que le VLD choisit une position pro-Belgique dont « l’exemple le plus flagrant est la grande circonscription belge »). Elles le sont également par les partis (et les médias) francophones – hormis le MR, qui reste plus vague –, ces derniers étant choqués par d’autres propositions, telles celle qui vise à une extinction à terme des facilités linguistiques dans la périphérie bruxelloise. Au journal télévisé de la RTBF, après la diffusion d’un reportage sur la proposition du Groupe Pavia, G. Verhofstadt répète les trois instruments fédérateurs potentiels qui existent selon son parti et ajoute : « Moi, je ne me prononce pas pour telle ou telle solution ou une combinaison. Mais je crois que pour la première fois, il y a une nécessité de réfléchir sur ces instruments qui peuvent fédérer. »

64 Dans la vision de G. Verhofstadt, la circonscription fédérale est donc une forme possible de concrétisation de ce qu’il appelle les « instruments fédérateurs ». Cette innovation ne doit pas être sous-estimée ; depuis bien des années, notamment en Flandre, une réforme de l’État est considérée comme synonyme d’octroi de plus d’autonomie aux entités fédérées. Bien sûr, le profil communautaire que se donne alors le Premier ministre ne peut pas être dissocié de la campagne que mène son parti en vue des élections fédérales. Contre Y. Leterme, qui s’est associé aux séparatistes de la N-VA et qui a été ministre-président flamand, G. Verhofstadt entend utiliser ses huit années passées à la tête du pays pour se profiler comme un homme d’État qui se place au-dessus des partis, et qui arrivera par la voie du dialogue à des accords équilibrés tenant compte des intérêts du pays tout entier. C’est probablement parce qu’ils devinent ce type de considération tactique que les médias flamands ne portent guère attention au fond du discours et des propositions de G. Verhofstadt [55].

2.4.3. Propositions du Groupe Pavia (14 février 2007) et réactions

65 Un autre moment important de ces premiers mois de 2007 est la conférence de presse du Groupe Pavia du 14 février 2007 à la Fondation universitaire, au cours de laquelle le collectif présente sa proposition concrète [56].

Propositions du Groupe Pavia

66 Durant ses réunions, le Groupe Pavia a discuté de nombre de questions. Sa proposition finale est que 15 des 150 sièges de la Chambre soient attribués dans une circonscription correspondant à l’ensemble du territoire belge, les 135 autres sièges continuant à être attribués dans les onze circonscriptions provinciales. Est prévue une possibilité de double candidature, sur une liste provinciale et sur une liste nationale, pour éviter que des candidats importants courent un risque en se présentant dans la circonscription fédérale lorsqu’ils sont assurés d’être élus dans leur province. Si un candidat est élu à l’un et l’autre niveau, il peut décider lui-même lequel des deux sièges il occupera.

67 Une question difficile à trancher a été celle de savoir s’il fallait garantir une représentation donnée aux groupes linguistiques. Elle a mené à de vives discussions au sein du groupe, en raison de son caractère a priori contraire à l’esprit de la proposition. Le consensus finalement dégagé est que neuf des quinze sièges soient réservés à des néerlandophones et six à des francophones. Une représentation garantie est en effet considérée comme essentielle pour changer la dynamique en encourageant les partis à courtiser les électeurs habitant de l’autre côté de la frontière linguistique, à savoir que cet objectif sera d’autant plus facilement atteignable que les électeurs auront l’assurance que leurs votes ne contribueront pas à produire un déséquilibre au détriment de leur communauté, mais seulement à élire des candidats soucieux de défendre l’intérêt de l’ensemble de la population. Selon le Groupe Pavia, la détermination préalable du nombre d’élus de chaque groupe linguistique permet donc de décrisper l’électorat face à la possibilité de voter pour un ou plusieurs candidats de l’autre communauté, sans pour autant diminuer en rien l’intérêt que partis et candidats auraient à mener campagne de part et d’autre de la frontière linguistique. Cette question des quotas restera néanmoins un des éléments les plus controversés de la proposition. Ainsi, J.-L. Dehaene déclarera quelques mois plus tard : « Si on me propose une circonscription fédérale où on répartit les sièges néerlandophones et francophones à l’avance, je ne vois pas le sens de cet exercice. » Dans sa note de janvier 2008 (cf. infra), Guy Verhofstadt prévoira quant à lui un système sans quotas.

Réactions des partis politiques

68 La conférence de presse ayant réuni un nombre important de journalistes, la plupart des médias font donc écho à la proposition du Groupe Pavia. Surtout, la présentation officielle d’une telle proposition amène les partis à devoir se positionner officiellement sur l’échiquier.

69 Du côté des partis flamands, le seul soutien – prévisible – provient de l’Open VLD (nouveau nom du parti libéral flamand depuis le 11 février 2007). Malgré le soutien, par le passé, d’ex-Premiers ministres issus de ses rangs (comme Jean-Luc Dehaene, Wilfried Martens ou Mark Eyskens), la position officielle – également prévisible – du CD&V est négative. Le parti réagit par la voix de son président, Jo Vandeurzen, qui déclare que « la circonscription fédérale ne répond pas aux réalités de notre pays » et qu’elle n’est pas réaliste. Puisque tous les partis politiques sont divisés sur base linguistique, il serait plus logique d’organiser les circonscriptions de la même façon, estime-t-il. Il ajoute en outre que les électeurs flamands peuvent déjà se prononcer non seulement sur le gouvernement flamand, mais également sur les compromis conclus au niveau fédéral.

70 Le SP. A, dont presque aucun représentant ne s’était jusqu’alors prononcé sur la question, réagit également négativement. Tel est en tout cas le message du président, Johan Vande Lanotte, par ailleurs professeur de droit constitutionnel. Dans des réactions à la presse, il concède que c’est « un exercice intellectuel intéressant », mais il considère que sa mise en œuvre concrète est davantage susceptible de renforcer les tensions communautaires que de les résorber, se référant à « la seule fois dans la Belgique d’après-guerre où nous avons connu une circonscription unique », c’est-à-dire au moment de la consultation populaire sur le retour du roi Léopold III, en mars 1950. « Après, on a appris à faire des compromis », conclut-il. En mai 2005, après la crise sur le dossier Bruxelles-Hal-Vilvorde, J. Vande Lanotte avait déjà avancé une analyse similaire, déclarant qu’une circonscription fédérale était impossible dans un pays bipolaire comme la Belgique, d’autant qu’elle impliquerait d’abolir le système de protection de la minorité francophone [57]. Il semblait néanmoins regretter alors que la piste ne soit pas praticable : « En fait, il serait très logique de travailler avec une circonscription fédérale lors d’élections fédérales (…). C’est dommage, mais ce n’est totalement pas réaliste. » En 2007, interviewé par la VRT, il se montre par contre plus hostile (il est vrai qu’il réagit là à un argument qui n’émane pas du Groupe Pavia), déclarant qu’une meilleure solution pour créer un sentiment national serait d’accorder davantage de moyens financiers à l’équipe de football nationale.

71 Pour leur part, les autres membres du SP. A ne se prononcent pas, à l’exception de Maya Detiège, députée d’Anvers, qu’un reportage de la VRT montre réagissant spontanément très positivement à la proposition Pavia, puis changeant de ton après avoir téléphoné à son président de parti. Les écologistes de Groen ne réagissent pas officiellement ; il semble par ailleurs qu’ils ne soient pas interrogés par la presse sur le sujet. Quant à eux, la N-VA, Spirit et le Vlaams Belang rappellent leur objection.

72 Du côté des partis francophones, si les réactions ne sont pas négatives, elles ne sont pas non plus enthousiastes pour autant. Le PS déclare être « a priori favorable à l’initiative », comme d’ailleurs « à toutes les initiatives qui visent au renforcement de la cohésion nationale ». Il souligne toutefois que quelques élus ne constituent pas une garantie « pour empêcher les avancées qui remettraient en cause la solidarité » et fait remarquer que les idées nationalistes sont présentes jusqu’au sein même des partis traditionnels flamands, notamment par le biais de leurs alliances avec des formations nationalistes. Pour sa part, le CDH réagit positivement dans la presse. Le soutien semble cependant venir essentiellement de Melchior Wathelet Jr., chef de groupe du parti démocrate humaniste à la Chambre. Il s’était déjà déclaré en faveur de la proposition par le passé et il le soutiendra encore par la suite. « Cela obligerait d’aller à la rencontre de l’autre et permettrait à chacun d’expliquer son point de vue », commente-t-il, ajoutant pour les caméras de la VRT : « Ik wil een BV [Bekende Vlaming] worden. » Le jour suivant, à la Chambre, il interroge d’ailleurs le Premier ministre à ce sujet ; G. Verhofstadt réaffirme sa position selon laquelle une circonscription électorale fédérale constitue un des instruments fédérateurs possibles, considérant en outre que « c’est certainement une des idées qui sera sur la table dans un avenir proche ». Tandis qu’Écolo rappelle également son soutien à une telle proposition, le MR, de façon assez surprenante étant donné le soutien affiché par certaines de ses grandes figures au cours des semaines précédentes et d’une concertation avec l’Open VLD, ne réagit pas officiellement à la proposition.

73 Tout cela contribue à donner au grand public l’impression que la plupart des partis flamands sont opposés à l’idée alors que la plupart des partis francophones y sont favorables. Cette analyse superficielle s’avère pourtant incorrecte : un regard tourné tantvers le passé que vers le futur montre que l’opposition, ou au moins le manque de soutien est également le fait de partis francophones. Au sein des partis socialiste et démocrate humaniste francophones, le soutien provient surtout de prises de position individuelles, tout comme on le constate parmi les formations socialiste et chrétienne-démocrate néerlandophones.

Réactions de la presse flamande et de faiseurs d’opinion

74 Outre le monde politique, différents éditorialistes et faiseurs d’opinion réagissent à la proposition du Groupe Pavia. La presse du Nord du pays partage partiellement le diagnostic qui est posé quant aux problèmes engendrés par le caractère consociatif du système électoral belge, mais elle ne rejoint que plus rarement le Groupe Pavia sur les modalités – et surtout sur la faisabilité – de la solution préconisée.

75 Bart Sturtewagen, éditorialiste du Standaard, concède que la proposition a certains « mérites intellectuels », mais estime que « les chances que cela se fasse un jour ne sont presque pas plus grandes que zéro », parce que le temps où l’idée était « politiquement réalisable est révolu » : « Les entités fédérées ont acquis leur propre dynamique et ne vont plus la rendre. Il est même dangereux de croire que des super-politiciens, qui flottent au-dessus des communautés, pourraient aller à l’encontre de cette réalité. » « Irréaliste » est somme toute également le verdict d’Eric Donkier, du Belang van Limburg. Pour sa part, Luc Van der Kelen, du Laatste Nieuws, est plus positif ; il rappelle notamment que le problème de déficit démocratique du système belge est à prendre au sérieux. « Une proposition de professeurs d’université a été critiquée hier par les professeurs de la politique comme naïve, irréaliste, impraticable. C’est leur droit, mais qu’ils trouvent alors une meilleure idée », écrit-il.

76 Côté francophone, une analyse du projet de circonscription électorale fédérale est livrée par Vincent de Coorebyter (CRISP). Dans un article paru dans Le Soir du 16 janvier 2007 sous le titre « Vers une circonscription nationale ? », il expose les diverses difficultés auxquelles une telle initiative pourrait selon lui être confrontée. Les deux principales sont les suivantes. D’une part, une circonscription nationale permettrait de voter pour des partis francophones partout en Flandre, ce qui ressemblerait, du point de vue flamand, à un « super B-H-V », c’est-à-dire à l’extension de la circonscription bilingue de Bruxelles-Hal-Vilvorde à l’échelle de tout le pays. D’autre part et surtout, l’instauration d’une circonscription nationale exigerait de réviser l’article 63, § 2, alinéa 1er, de la Constitution, qui dispose que « chaque circonscription électorale compte autant de sièges que le chiffre de sa population contient de fois le diviseur fédéral, obtenu en divisant le chiffre de la population du Royaume par cent cinquante ». Réviser cet article impliquerait de réunir une majorité des deux tiers dans chaque chambre du Parlement fédéral. Or, que ce soit pour des raisons de principe ou parce qu’ils craindraient un mauvais résultat électoral dans une telle circonscription, plusieurs partis, et non des moindres, pourraient refuser d’apporter leur soutien à la révision de l’article 63 de la Constitution. Bref, à leur initiative d’en appeler à « l’intérêt bien compris des partis », V. de Coorebyter répond aux membres du Groupe Pavia par une mise en garde : « C’est précisément parce que l’intérêt des partis entre aussi en ligne de compte que ce projet, s’il est certes rarement dénoncé, pourrait rencontrer de grands obstacles et n’être jamais adopté. »

77 Deux jours plus tard, le texte de V. de Coorebyter est repris par De Morgen sous le titre, choisi par le journal, « Een super B-H-V ? », ce qui est symptomatique de la crispation flamande d’alors sur cette conséquence de la réforme. De même, dans le Doorbraak du 26 mai 2007, le politologue Bart Maddens (KUL), qui se dit proche du mouvement nationaliste flamand, se déclare fermement opposé à la proposition, notamment parce qu’elle créerait « un très grand BHV », à l’heure où s’accroît et se radicalise l’exigence flamande de scission de cette circonscription électorale. Cet argument reviendra plusieurs fois chez des opposants au projet, notamment chez ceux issus du monde nationaliste flamand.

2.4.4. Les enseignements de trois sondages

78 Au cours de la campagne électorale, la circonscription électorale n’est certes pas au centre du débat, mais elle apparaît néanmoins de façon régulière. Les relations entre les communautés demeurent au cœur des discussions publiques, entre autres suite aux tensions politiques Nord-Sud (notamment autour du cartel CD&V–N-VA), et à la controverse autour de l’émission « Bye bye Belgium ».

79 En mars 2007, De Standaard et Le Soir organisent ainsi une grande opération commune, dans le cadre de laquelle est réalisé (par TNS Media) un sondage portant sur plusieurs thèmes communautaires. Pour la première fois, ceci permet de se rendre compte de la manière dont l’idée d’une circonscription électorale fédérale est reçue dans l’opinion publique. En l’occurrence, près six personnes sur dix répondent positivement à la question « Souhaiteriez-vous en revenir en partie aux circonscriptions électorales nationales, permettant aux électeurs francophones de voter pour des hommes politiques néerlandophones et inversement ? » [58]. On remarque cependant des différences régionales prononcées, puisque 78 % des Bruxellois et 75 % des Wallons se disent partisans de l’idée, contre seulement 47 % des Flamands.

80 Un peu plus tard, en novembre 2007, soit après les élections et alors qu’Y. Leterme peine à former un gouvernement fédéral, une nouvelle enquête de TNS Media, menée cette fois pour la VRT et De Standaard, indiquera que 50% des Flamands sont favorables à l’idée d’une circonscription fédérale, contre 32 % défavorables (huit mois plus tôt, ce dernier chiffre était de 51 %). En mars 2008, un troisième sondage réalisé auprès de la population flamande livrera des chiffres assez similaires : 53 % pour et 30 % contre.

2.5. LES NÉGOCIATIONS POUR LA FORMATION DU GOUVERNEMENT « ORANGE BLEUE »

81 Du côté flamand, le principal vainqueur des élections fédérales du 10 juin 2007 est le cartel CD&V–N-VA, et en particulier Yves Leterme, qui recueille près de 800 000 voix de préférence sur la liste du Sénat. Pour leur part, les anciens partenaires de la majorité violette, l’Open VLD et plus encore le SP. A, réalisent de bien moins bons scores qu’en 2003. Du côté francophone, le MR présidé par Didier Reynders réussit à détrôner le PS ; pour la première fois depuis 1919, il devient le plus grand parti de Wallonie. Une formule de gouvernement dite « orange bleue » semble donc logique, et c’est effectivement dans cette direction que les partis concernés (CD&V, CDH, MR et Open VLD) semblent vouloir se diriger, bien que le gouvernement fédéral à naître ne dispose pas de la majorité des deux tiers au Parlement, pourtant indispensable pour la réforme de l’État que le cartel CD&V–N-VA a promis d’inclure dans l’accord de gouvernement. L’aspect communautaire des négociations est encore renforcé par suite de l’interprétation, donnée notamment par les médias, du vote massif des électeurs flamands pour le cartel CD&V–N-VA comme une demande forte en vue de cette réforme de l’État [59].

2.5.1. Des élections fédérales de juin 2007 à la mission d’« explorateur » de Herman Van Rompuy

82 Le surlendemain des élections, Yves Desmet écrit dans un éditorial du Morgen : « Il est (…) frappant [de constater] que, pour ces élections fédérales, la campagne a été menée entièrement de manière régionale. Étant donné que chacun ne peut gagner de voix que sur son propre terrain, et que personne ne peut être récompensé ou sanctionné de l’autre côté de la frontière linguistique, cela conduit à un positionnement excessivement régional. Cela rapporte les voix dont on a besoin, mais cela rend aussi plus difficile la formation du prochain gouvernement, qui nécessitera que l’on ravale ou escamote bon nombre de déclarations et promesses vigoureuses. L’idée est encore taboue, mais il faudrait tout de même un jour songer à faire élire au moins une partie des députés dans une circonscription nationale. » Même si bien d’autres éléments joueront également un rôle dans les difficultés rencontrées par les différents négociateurs pour former un gouvernement, cette analyse – qui rejoint celle du Groupe Pavia – s’avèrera assez prémonitoire.

83 Suivent en effet 194 jours de pourparlers, soit alors la plus longue tentative de formation d’un gouvernement de l’histoire belge. Ils aboutiront finalement, en décembre 2007, au retour de Guy Verhofstadt à la tête du pays, à titre de Premier ministre par intérim. Les négociations semblent buter principalement sur les sujets communautaires, menant dans les médias, qui dramatisent quelque peu les évènements, à diverses spéculations et à des débats sur la fin du pays [60].

La mission de « démineur » de Jean-Luc Dehaene

84 En juillet 2007, Jean-Luc Dehaene (CD&V) est désigné par le roi pour une mission consistant à essayer de « déminer » le terrain, c’est-à-dire à le préparer en vue de la nomination d’Yves Leterme comme formateur ; il s’agit surtout de s’assurer que tous les partenaires – et notamment le CDH – sont prêts à s’investir dans la constitution d’une orange bleue. Lors d’une des rares conférences de presse qu’il donne dans le cadre de sa mission, J.-L. Dehaene est interrogé par la RTBF sur la circonscription fédérale. Il donne alors la réponse déjà mentionnée précédemment, qui se distance en particulier de la proposition du Groupe Pavia sur la question des quotas (« Si on me propose une circonscription fédérale où on répartit les sièges néerlandophones et francophones à l’avance, je ne vois pas le sens de cet exercice. »).

85 Au cours de sa mission, J.-L. Dehaene n’a pas vraiment le temps d’aborder en profondeur les dossiers communautaires, même si selon certains il « testerait » un peu le scénario de la circonscription fédérale. Interviewé par Le Soir, il se montre pourtant plus cassant : « Et aujourd’hui, on voudrait nous proposer une circonscription unique, en décidant à l’avance du nombre de sièges attribués aux francophones et aux Flamands ? Au revoir et merci, hein ! » Ensuite, répétant son analyse selon laquelle le manque de volonté du côté francophone a toujours fait obstacle aux projets fédérateurs : « Je n’ai jamais vu en Wallonie ou à Bruxelles des francophones qui ouvraient un journal flamand ! S’ils avaient eu aussi cette tradition de bilinguisme, l’image du pays en serait modifiée. Je constate qu’une nouvelle génération d’hommes politiques en Flandre ne parle plus le français. (…) Les efforts réalisés par les francophones qui, comme vous, s’expriment de plus en plus en néerlandais, arrivent en fait quarante ans trop tard… »

La mission de « formateur » d’Yves Leterme

86 La circonscription fédérale reste néanmoins présente à différents stades de la négociation, même si elle n’y occupe certes pas une place de premier plan. La mission de J.-L. Dehaene ayant tourné court, Yves Leterme est investi formateur plus tôt que prévu. Au cours de sa première mission de formateur, à l’été 2007, il semble voir dans la circonscription fédérale un moyen de trouver un accord sur la scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde. La piste est évoquée furtivement, mais la méthode de travail chaotique d’Y. Leterme et le manque de confiance entre les partenaires empêchent la tenue de véritables négociations communautaires. De toute façon, il semble aussi que tous les partis concernés sont loin d’être favorables à l’idée de la création d’une circonscription électorale fédérale. C’est donc précisément la dynamique à laquelle la circonscription fédérale est censée apporter un remède, à savoir la polarisation et la radicalisation pré-électorale qui compliquent ensuite la conclusion de compromis raisonnables, qui contribue partiellement à ses difficultés d’être acceptée.

La mission d’« explorateur » de Herman Van Rompuy

87 Après la démission d’Yves Leterme comme formateur, le président de la Chambre, Herman Van Rompuy (CD&V), est nommé « explorateur » en septembre 2007. Bien qu’il ait écarté ce dossier par trop problématique afin de se consacrer à la résolution d’autres points de discorde communautaires, des pistes continuent à être évoquées relativement à la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Parmi elles, figurent notamment celle, apparemment proposée principalement par la N-VA, d’un droit d’inscription généralisé (kiespas). Ce système, qui existe aux Pays-Bas peut être considéré comme une sorte de croisement entre d’une part le droit de s’inscrire à Bruxelles accordé aux habitants de certaines communes de la périphérie bruxelloise, comme prévu entre autres dans le pacte d’Egmont et dans le presqu’accord sur Bruxelles-Hal-Vilvorde du gouvernement Verhofstadt II, et d’autre part la circonscription fédérale, puisque tout électeur belge pourrait s’inscrire dans la circonscription électorale de son choix. La différence d’effet fondamentale avec la circonscription fédérale est que cette solution n’inciterait pas les élites politiques à tenir compte de l’électorat de l’autre communauté ; au contraire, elle mobiliserait encore plus les électeurs sur base de leur appartenance linguistique. En effet, pour prendre un exemple, les partis politiques flamands désirant inciter les électeurs néerlandophones qui habitent en Wallonie à voter pour eux, auraient plutôt intérêt à ce que le climat communautaire soit tendu, puisque cela inciterait ces électeurs néerlandophones à s’inscrire dans une circonscription située en Flandre, et inversement. Quoiqu’il en soit, en raison d’une fuite dans la presse faisant à la fois part de cette piste et du soutien que lui apporte la N-VA, le projet est bientôt rendu improbable à court terme.

88 L’idée de circonscription fédérale continue toutefois d’être évoquée dans les négociations, de même qu’elle l’est dans la presse. Elle trouve même une légitimité supplémentaire, qui se base sur un nouvel argument. Eu égard au contexte communautaire, qui voit les francophones, ou du moins leurs médias et une partie de leurs représentants politiques, percevoir dans les demandes flamandes une tendance croissante en faveur de la scission du pays, la circonscription fédérale peut être considérée comme une mesure susceptible de restaurer la confiance [61] des francophones dans la volonté des Flamands d’inscrire leur futur dans le cadre belge.

2.5.2. Les déclarations de Didier Reynders

89 À la fin du mois d’octobre 2007, soit quelques semaines après qu’Yves Leterme ait repris le flambeau de formateur, c’est le président du MR, Didier Reynders, qui, dans différentes interviews accordées des deux côtés de la frontière linguistique (notamment dans le Morgen du 20 octobre), évoque la nécessité d’un signe réaffirmant le désir de continuer à vivre dans le cadre d’un État fédéral. La circonscription fédérale lui apparaît comme une des options possibles : « Je ne dis pas “c’est ça ou rien”, mais c’est l’une des méthodes pour montrer qu’on est attaché à un État » déclare-t-il, avant d’affirmer que la crise que traverse alors le pays est en partie due au fait que les partis ne vont pas assez à la rencontre de l’autre communauté.

90 Le 20 octobre, Bart Somers (Open VLD) tient des propos similaires dans les colonnes du Standaard. Deux jours plus tard, le même journal titre « La N-VA critique vivement la circonscription fédérale » (« N-VA kraakt federale kieskring »). Le ministre des Affaires administratives, de la Politique extérieure, des Médias et du Tourisme du gouvernement flamand, Geert Bourgeois (N-VA), y déclare que l’idée est « inacceptable », se référant entre autres à l’argument que ce serait un « grand-BHV » et que cela nierait la réalité sociologique et politique. « La N-VA ne collaborera pas à ce type de tentatives de restauration qui ne mènera à rien », ajoute-t-il. Le même jour, la thématique est également évoquée lors du bureau politique du CD&V, où les réactions sont également très critiques, la « proposition de Reynders » étant considérée notamment comme représentant « un pas en arrière » et allant « à l’encontre de la dynamique de régionalisation ». Le président, Jo Vandeurzen, plus prudent, se contente de déclarer que l’idée n’obtient qu’« un soutien très limité » et qu’il serait surprenant qu’elle se retrouve dans l’accord de gouvernement. Il est manifeste qu’il tient à ne pas fermer complètement la porte à une piste explorée par Yves Leterme et Herman Van Rompuy – qui eux n’ont pas réagi publiquement – lorsqu’ils préparaient la note qui devait servir de base aux négociations sur le volet communautaire en vue de l’accord du gouvernement. Par ailleurs, la question de savoir la raison pour laquelle D. Reynders a choisi de lancer cette idée par voie de presse s’impose à de nombreux membres du CD&V. À dater de cette époque, le rejet de l’idée d’une circonscription électorale fédérale, à la fois par la N-VA et par nombre de mandataires du CD&V, devient tout à fait public.

91 La controverse provoque le retour de la circonscription fédérale sur le devant de la scène publique. Dans son éditorial du 23 octobre, Bart Sturtewagen (De Standaard) revoit quelque peu l’opinion qu’il avait émise en février ; sans rejeter explicitement l’idée, il reste néanmoins très sceptique : « Est-ce que cela résoudra plus de problèmes que cela n’en cause ? (…) Pourquoi l’électeur devra-t-il alors voter ? Est-ce que les candidats nationaux représenteront le programme de leur parti ou justement pas ? Quelle sera leur relation avec leur parti après leur élection ? A-t-on une démocratie plus forte lorsqu’un groupe limité de politiques, détaché de leur parti, divise le pouvoir entre eux ? » Début novembre, Béatrice Delvaux, rédactrice en chef du Soir, défend la circonscription fédérale « ou toute autre idée visant à créer un espace politique et électoral commun flamand-francophone ». Le quotidien Het Volk soutient aussi à plusieurs reprises le projet de circonscription fédérale dans ses éditoriaux. Par contre, Rik Van Cauwelaert, du magazine flamand Knack, n’est pas du tout convaincu.

92 Quelles sont alors les réactions des différents partis politiques ? Divers libéraux et écologistes, notamment, rappellent leur enthousiasme pour l’idée. L’Open VLD semble avoir adopté, probablement pour des raisons stratégiques, un profil à nouveau plus « flamand » depuis les élections, mais il continue néanmoins de soutenir systématiquement l’idée de la circonscription fédérale. Fin octobre, Patrick Dewael publie ainsi une carte blanche dans De Standaard et Le Soir, reprenant à nouveau à son compte l’argument de la nécessité d’« éléments fédérateurs ». L’idée reste également chère à Guy Verhofstadt, qui suit les négociations gouvernementales d’assez prêt même s’il n’y est pas personnellement impliqué. Peu après, un documentaire de la VRT, « In het spoor van Verhofstadt », montre la réaction virulente de l’ancien Premier ministre quand P. Dewael lui annonce, lors de la deuxième tentative de formation d’un gouvernement fédéral par Y. Leterme, que la circonscription électorale est enterrée : « Enterrée ?! Ça ne peut pas être enterré ! Je te le jure, je ne voterais jamais si ça n’est pas dedans. Jamais, hein, jamais. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent, je ne le ferai pas. » Dans ce même documentaire, on entend Karel De Gucht dire à G. Verhofstadt qu’Y. Leterme a confié par deux fois au même K. De Gucht et à P. Dewael qu’il pense que la circonscription fédérale est une bonne idée, mais qu’il n’a pas le contrôle en la matière sur son propre cartel, qui s’y oppose.

93 Au SP. A, la nouvelle présidente, Caroline Gennez, semble plus positive envers le projet : « En soi, je n’ai rien contre une circonscription fédérale, mais définissons d’abord ce que nous voulons encore faire ensemble dans ce pays », déclare-t-elle à la télévision régionale anversoise ATV fin octobre. Gérard Deprez, président du MCC, composante du MR, se prononce également en faveur de l’idée ; il explique ainsi dans De Tijd qu’Y. Leterme aurait selon lui eu beaucoup plus de légitimité s’il avait aussi eu par exemple 600 000 voix en Wallonie.

94 À l’inverse, Boudewijn Bouckaert et Piet Deslé, de la Lijst Dedecker, parti ultralibéral au profil flamand très marqué et qui a obtenu cinq députés en 2007, considèrent que la proposition est « un cheval de Troie » : « La seule certitude que le Flamand aura en retour, c’est qu’il y aura une aile unitaire supplémentaire à la Chambre, qui contrecarrera chaque régionalisation de compétences. » De même, des voix issues du mouvement flamand continuent à attaquer la proposition, dont le politologue B. Maddens.

95 Par ailleurs, le Groupe Pavia participe lui aussi au rythme de ces parfois houleux échanges de points de vue, par le moyen de communiqués de presse en juillet, septembre et novembre. Il répète sa conviction selon laquelle les problèmes de formation du gouvernement auraient pu être évités s’il avait existé une circonscription fédérale.

2.5.3. De l’échec d’Yves Leterme au gouvernement Verhofstadt III

96 Début novembre, la pression pour aboutir à un accord monte fortement dans le chef des négociateurs. Cette situation est due à l’échéance du 7 novembre 2007, date à laquelle la proposition de loi des partis flamands visant à scinder la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde doit être soumise au vote en commission de l’Intérieur de la Chambre. Dans une note destinée aux négociateurs qui cherchent à former un gouvernement, Yves Leterme et Herman Van Rompuy énumèrent les compensations possibles à une scission de la circonscription électorale. Outre l’octroi de droits politiques aux francophones habitant dans les communes à facilités de la périphérie bruxelloise, y figurent diverses adaptations du système électoral, telles la circonscription fédérale ou le droit d’inscription généralisé. Le texte est considéré comme inacceptable, et dont rejeté, par la N-VA et par les négociateurs francophones (dont Olivier Maingain, président du FDF).

97 Après les tensions nées du vote survenu en commission de l’Intérieur de la Chambre – dont l’effet est temporairement suspendu suite à l’adoption d’une motion déclenchant la procédure dite « de conflit d’intérêts » (visée par l’article 32 de la loi ordinaire de réformes institutionnelles du 9 août 1980) par le Parlement de la Communauté française (9 novembre 2007) –, une dernière tentative de former un gouvernement « orange bleue » échoue à nouveau, faute d’accord sur le volet institutionnel. Le projet d’accord mentionnait les dossiers dont il était prévu de débattre plus tard. En ce qui concerne les réformes électorales, il y était notamment question de la réforme du Sénat et du couplement des élections régionales et fédérales. Selon certains, l’ajout de la circonscription fédérale serait l’un des points sur lesquels il n’y a pas pu y avoir d’accord.

98 Suite à l’échec d’Yves Leterme, c’est un gouvernement intermédiaire qui est mis en place le 21 décembre 2007 : le gouvernement Verhofstadt III (CD&V / MR / PS / Open VLD / CDH), qui dirigera l’Autorité fédérale jusqu’au 20 mars 2008.

99 En un an, la circonscription fédérale a réussi à se forger une place dans le débat communautaire. Contrairement au début de l’année 2007, on entend désormais beaucoup moins de commentaires taxant l’idée de naïve, d’irréaliste ou d’impossible. Elle semble être prise beaucoup plus au sérieux, tant par ses partisans que par ses adversaires. Certes, elle continue à avoir ses détracteurs. Mais le déroulement problématique des négociations semble avoir rallié un nombre croissant de dirigeants politiques, d’analystes et de faiseurs d’opinion à l’analyse du Groupe Pavia, selon laquelle la crise communautaire est en partie imputable au mode d’organisation du système politique belge.

2.6. LES GOUVERNEMENTS VERHOFSTADT III, LETERME I, VAN ROMPUY ET LETERME II

100 À la mi-janvier 2008, débutent les travaux du groupe « Octopus », qui est le nouveau cadre créé pour les négociations communautaires (à l’exclusion du dossier Bruxelles-Hal-Vilvorde, dont il est prévu qu’il soit confié plus tard au gouvernement fédéral). Le groupe est appelé ainsi parce que huit partis politiques en font partie : les « familles » libérale, chrétienne-démocrate, socialiste et écologiste. Avec ces derniers (Écolo et Groen), ce sont donc des partis explicitement favorables à la circonscription fédérale qui entrent dans les négociations communautaires. À leurs côtés, figurent les socialistes flamands, qui sont pour leur part beaucoup moins favorables à l’idée. Les négociations seront surtout menées par un groupe de « sages », avec des représentants des huit partis.

2.6.1. Le Rapport au roi Albert II de Guy Verhofstadt (janvier 2008)

101 Le 9 janvier 2008, quelques jours avant l’installation du groupe Octopus, Guy Verhofstadt dépose son Rapport au roi Albert II sur la réforme des institutions dans le cadre de ma mission d’information et de formation, qui consiste en réalité en une note communautaire [62]. Outre des initiatives concrètes en vue d’assurer aux différentes entités « des compétences plus homogènes » (qui contiennent plusieurs projets de défédéralisation et quelques-uns de refédéralisation) et l’« adaptation du régime de financement », le document comporte des propositions de « renforcement de la fédération », comme l’introduction de critères de convergence fédéraux dans certains domaines cruciaux ou l’instauration d’une circonscription fédérale. Concernant ce dernier point, G. Verhofstadt reprend largement les arguments du Groupe Pavia, se focalisant sur le manque de légitimité et d’efficacité du modèle actuel :

102

« Tout État fédéral a besoin d’éléments centripètes. Il suffit de regarder l’Allemagne, la Suisse, le Canada ou les États-Unis pour voir qu’il existe, selon le cas, des partis nationaux (même dans le Canada bilingue et la Suisse quadrilingue, la CSU en Allemagne étant une exception), une Cour constitutionnelle à part entière et un Sénat (Bundesrat en Allemagne, conseil cantonal en Suisse, Sénat aux EU) composé de représentants des entités fédérées. À l’exception de la Cour constitutionnelle, ces éléments font défaut dans la fédération belge. Il s’ensuit que la population de la fédération ne dispose pas de liens démocratiques avec sa gestion étant donné qu’il n’est possible d’apprécier électoralement que la moitié du gouvernement fédéral ou de leurs partis. Qui plus est, le fait que l’opinion publique diverge de part et d’autre des frontières des communautés linguistiques incite facilement les responsables politiques à la surenchère au sein du propre groupe linguistique, ce qui rend plus difficile de trouver des compromis. En d’autres termes, la légitimité comme l’efficacité de la prise de décisions souffre de l’actuelle organisation de l’État fédéral. »

103 Par contre, la proposition de G. Verhofstadt diffère du projet du Groupe Pavia sur plusieurs points centraux. Ainsi, elle parle « d’un nombre significatif de membres de la Chambre (…) au sein d’une circonscription électorale », en donnant comme exemple le – nouveau – chiffre de 33. Dans le cadre de la réforme générale du régime bicaméral, elle couple par ailleurs l’augmentation du nombre de députés à la suppression des 40 sénateurs élus directement. Enfin et surtout, elle s’oppose à une représentation garantie : « Dans une logique fédérale, il ne semble évidemment pas indiqué de travailler avec un contingent fixe par groupe linguistique pour la circonscription fédérale. L’on peut toutefois envisager une limite, à savoir un minimum d’élus par groupe linguistique. » À noter que plus loin dans sa note, lorsqu’il aborde ses propositions de résolution du problème de Bruxelles-Hal-Vilvorde, G. Verhofstadt évoque à nouveau la circonscription fédérale.

104 La note de G. Verhofstadt est critiquée tant par le PS et le CD&V que par les partis nationalistes flamands. Le PS, désormais acteur de la négociation, n’affiche toujours pas de position claire quant à la circonscription fédérale. Dans De Standaard, Elio Di Rupo se dit « complètement gagné » à l’idée, mais refuse qu’elle puisse constituer une compensation à la scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde : « Il ne faut pas nous rire à la figure. Si on parle de BHV, on parle de Bruxelles et sa périphérie, pas d’une circonscription fédérale. » De même, Laurette Onkelinx déclare dans Le Soir que l’idée n’est pas inintéressante, mais qu’elle n’est pas non plus primordiale : « Il ne faut pas prendre les francophones pour les naïfs de service. Les Flamands sont plus nombreux dans ce pays, on leur demandera de choisir entre Guy Verhofstadt et Yves Leterme. » Quelques semaines plus tard, elle ajoute un autre argument négatif dans La Libre Belgique : « On risque de connaître l’importation de certains slogans qui ont fait le succès du Vlaams Belang. »

105 Le CD&V fait également entendre des réactions mitigées. Yves Leterme déclare que l’on peut mettre le dossier sur la table, comme beaucoup d’autres, mais qu’un certain nombre de partis sont contre, pas seulement la N-VA. Le nouveau président du CD&V, Etienne Schouppe, qui lors des négociations du « premier paquet » fera partie du « groupe des sages » en remplacement d’Yves Leterme, ne « pense pas que c’est la voie à suivre, mais on verra bien ». En tout cas, estime-t-il, si l’on introduit la notion de quotas, elle est inutile. En revanche, Steven Vanackere (CD&V), ministre du Bien-Être, de la Santé publique et de la Famille du gouvernement flamand, fait part de son enthousiasme. Il est rejoint en cela par Herman Van Rompuy, qui précise toutefois fin janvier au Morgen que ce sont les socialistes qui rechignent à l’idée. Quant à elle, la N-VA continue de rejeter l’idée publiquement. Lors de la réception du nouvel an de son parti, Bart De Wever la catalogue d’extériorisation d’un « créationnisme belge » ; quelques semaines plus tard, il parle de « politique de restauration ».

2.6.2. Débats au Parlement flamand

106 À partir de décembre 2007, la circonscription fédérale a plusieurs fois été évoquée au Parlement flamand. Le retour de Guy Verhofstadt et le dépôt de sa note communautaire – dont le statut dans le cadre des négociations n’est alors pas très clair – amènent notamment les députés du Vlaams Belang à témoigner de leur inquiétude quant à la possibilité de l’introduction d’une circonscription électorale fédérale. Le principal argument qu’ils développent est qu’une telle initiative créerait un sentiment belge artificiel et, surtout, instaurerait un « grand BHV » qui permettrait aux partis francophones de récolter des voix non seulement dans la périphérie bruxelloise, mais également dans toute la Flandre. Les débats qui s’ensuivent offrent au CD&V et à l’Open VLD l’occasion de repréciser leur position respective. Ludwig Caluwé, chef de groupe CD&V, déclare à différentes reprises que son parti n’est pas favorable à l’idée. Il avance surtout l’argument selon lequel les institutions doivent suivre les évolutions de la société, et non l’inverse : « On ne doit pas créer des institutions parce que nous voulons amener une certaine évolution dans la société. » Constatant qu’il y a deux opinions publiques en Belgique, que les partis sont scindés et que Flamands et francophones ne regardent pas les mêmes chaînes de télévision, il estime que les institutions politiques doivent s’adapter à cette réalité : « Comme cela, nous pourrons rendre un service à la société. » Fin février, il déclare dès lors que le « deuxième paquet » de la réforme de l’État ne peut pas contenir de proposition de circonscription fédérale. À l’inverse, Sven Gatz, chef de groupe Open VLD, répète à diverses reprises le soutien de son parti à la circonscription fédérale, arguant que c’est un élément qui pourrait permettre un meilleur fonctionnement des institutions fédérales.

107 Pour sa part, le ministre-président du gouvernement flamand, Kris Peeters (CD&V) veille à ne pas se prononcer sur les propositions communautaires spécifiques. Le 12 février 2008 toutefois, en commission des Affaires intérieures du Parlement flamand, le député Joris Van Hauthem (Vlaams Belang) l’interroge spécifiquement sur la position du gouvernement flamand – qui participe aux activités du groupe Octopus – au sujet de la circonscription fédérale. Selon J. Van Hauthem, le fait d’accepter la création d’une telle circonscription comme prix à payer à la scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde serait contraire à l’accord de gouvernement flamand, qui prévoit une scission sans contrepartie. K. Peeters répond que la circonscription fédérale n’est évoquée en aucune façon dans les résolutions du Parlement flamand ou dans l’accord de son gouvernement, documents qui guident officiellement les positions communautaires de ce dernier : « Malheureusement on n’y a pas pensé (en 1999), mais je comprends que personne ne s’attendait à ce que cela soit à l’ordre du jour plus tard. » Il concède néanmoins que selon lui, l’idée serait « difficilement conciliable avec les points de départ et les buts flamands en matière de réforme de l’État », puisque la Flandre veut un modèle basé sur la dualité, dans lequel le centre de gravité se trouve plutôt dans les entités fédérées que dans la fédération, et désire que les circonscriptions coïncident avec les régions linguistiques. Il ajoute que la plupart des États fédéraux n’ont pas de circonscription nationale, celle-ci existant seulement dans des États unitaires. Bref, conclut-il, l’idée « ne s’accorde pas avec notre vision ».

2.6.3. Les négociations communautaires entre février et août 2008

108 Dans la nuit du 24 au 25 février 2008, un accord – baptisé de « premier paquet » de la réforme de l’État – est conclu par le « groupe des sages », composé de représentants des trois familles traditionnelles, à savoir des deux ministres des Réformes institutionnelles (Yves Leterme et Didier Reynders), d’un ancien Premier ministre (Jean-Luc Dehaene) et du Premier ministre en exercice (Guy Verhofstadt), ainsi que de trois anciens ministres : Philippe Moureaux, Philippe Maystadt (CDH) et Johan Vande Lanotte (SP. A). Cet accord prévoit notamment le transfert de différentes compétences aux entités fédérées. Cet accord contient également une liste des thèmes qui seront discutés dans le cadre du « deuxième paquet » – pour lequel les négociations devront avoir abouti pour le 15 juillet 2008. À la demande essentiellement de G. Verhofstadt, la circonscription fédérale figure dans cette liste : « Finalement, on examinera la problématique de la législation électorale en étudiant des points aussi délicats, vu les divergences de vue, que l’instauration d’une circonscription électorale fédérale, la simultanéité des élections fédérales et régionales, et une solution négociée pour répondre à l’arrêt de la Cour constitutionnelle relatif à Bruxelles-Hal-Vilvorde. » [63]

109 Dans les mois qui suivent, et dans la perspective des négociations en vue de la conclusion du « deuxième paquet », ce sont à nouveau surtout les partis libéraux et écologistes qui se prononcent en faveur de la circonscription fédérale à l’occasion de diverses interventions publiques. À l’inverse, le PS et le CDH affichent de plus en plus publiquement leur scepticisme. En mars, Elio Di Rupo déclare au Standaard : « Je ne rejette pas l’idée d’avance. C’est parce que je voudrais y croire, que je trouve que la proposition doit être étudiée. Mais la question est de savoir comment les liens communautaires et partisans de ces élus peuvent être surmontés pour arriver à une unité forte entre eux qui pourrait pousser le pays vers le haut. » Le même jour, Joëlle Milquet confie au Soir : « C’est un symbole, mais ce n’est pas cela qui va sauver l’État. Et puis, derrière tout ça, il y a des avantages électoraux majeurs pour certains, des calculs, vous le savez. » Si PS et CDH ne veulent pas aller jusqu’à rejeter l’idée publiquement, ils ne la soutiennent guère non plus franchement dans les négociations, en dépit des opinions positives de certains de leurs élus. Tel est également le cas du SP. A, dont le négociateur communautaire attitré, J. Vande Lanotte, fait partie du clan des opposants à l’idée.

110 En mars 2008, De Standaard divulgue qu’au cours de la période des tentatives de formation du gouvernement fédéral, Albert II aurait plaidé lors de ses entretiens avec les responsables politiques pour l’instauration d’une circonscription fédérale, y voyant un élément de cohésion pour le pays. Ces révélations font beaucoup de bruit, certains s’indignant du fait que le roi aurait essayé d’imposer ses points de vue [64].

111 Fin avril 2008, Yves Leterme, depuis un peu plus d’un mois à la tête du nouveau gouvernement fédéral (gouvernement Leterme I : CD&V / MR / PS / Open VLD / CDH), dépose une note exposant la méthode qu’il se propose de mettre en œuvre pour encadrer les négociations institutionnelles, qui seront largement basées sur l’accord des « sages » de février. Les négociations se déroulent cette fois-ci au sein d’un groupe « Heptapus », puisque les socialistes flamands ont décidé de ne plus y participer. Dans les faits, les vraies négociations ne débutent qu’à la fin du mois de juin. En ce qui concerne la scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde, de nouvelles pistes arrivent sur la table, dont celle, éphémère, d’un corridor reliant Bruxelles à la Wallonie. Mais les négociations échouent à nouveau à la date butoir du 15 juillet 2008.

112 La circonscription fédérale apparaît à nouveau dans un document qui devait être important, mais qui ne deviendra jamais officiel. Il s’agit de la déclaration qu’Yves Leterme aurait dû lire à la Chambre le 15 juillet 2008, et qui contient d’une part les décisions prises par le gouvernement sur le plan socio-économique (en vertu d’un accord intervenu quelques jours auparavant) et le bilan sur le plan communautaire. Cette dernière partie ne comprend qu’une page, essentiellement focalisée sur le nouveau cadre de négociation à instaurer, en l’occurrence un « dialogue de communauté à communauté » mené principalement par les gouvernements régionaux. Le dernier paragraphe, qui concerne le dossier Bruxelles-Hal-Vilvorde, se termine par ses mots : « Les partis (…) continueront à rechercher une solution négociée à BHV dans le cadre du dialogue susmentionné, ce qui demandera de la part de tous l’engagement de créer les conditions pour un déroulement serein des débats y afférents. On examinera notamment la problématique de la législation électorale en étudiant des points aussi délicats que l’instauration d’une circonscription électorale fédérale et la simultanéité des élections fédérales et régionales. » La mention explicite de la circonscription fédérale, dans cette déclaration qui ne contient par ailleurs presque aucune référence à des dossiers concrets, est clairement due à l’insistance de certains négociateurs, dont Marcel Cheron.

2.6.4. De l’échec du « dialogue de communauté à communauté » à la chute du gouvernement Leterme II

113 Les négociations communautaires reprennent en septembre 2008 dans le « dialogue de communauté à communauté », dirigé par le ministre-président flamand, Kris Peeters (CD&V), et le président du Sénat, Armand De Decker (MR). Le cartel CD&V–N-VA se brise le 22 septembre, sur le principe même de la participation du gouvernement flamand au dialogue [65]. Le dossier Bruxelles-Hal-Vilvorde – et la législation électorale en général – ne sont pas abordés dans ce cadre.

114 En décembre 2008, les suites judiciaires du dossier Fortis provoquent la chute du gouvernement Leterme I. Herman Van Rompuy devient le nouveau Premier ministre (gouvernement Van Rompuy : CD&V / MR / PS / Open VLD / CDH). Sa déclaration gouvernementale prévoit qu’un groupe de travail fédéral sera chargé du dossier Bruxelles-Hal-Vilvorde, mais il ne se réunira presque pas, le CD&V refusant d’y participer à partir de l’échec du « dialogue » en février 2009. Le dossier Bruxelles-Hal-Vilvorde est postposé par l’introduction de conflits d’intérêts successifs par les différentes assemblées parlementaires wallonne et francophones. Ce n’est qu’à la fin de l’année 2009, époque du Herman Van Rompuy à l’Union européenne et du retour d’Yves Leterme comme Premier ministre (gouvernement Leterme II : CD&V / MR / PS / Open VLD / CDH), que le dossier communautaire est à nouveau évoqué. Jean-Luc Dehaene se voit confier une nouvelle mission royale, visant à obtenir des propositions de résolution du dossier Bruxelles-Hal-Vilvorde avant avril 2010.

115 Au cours des discussions menées par J.-L. Dehaene de fin novembre 2009 au 20 avril 2010, l’idée d’une circonscription électorale fédérale est à nouveau avancée par les deux partis écologistes. Chez les libéraux flamands, le « clan Verhofstadt » ayant disparu de l’avant-plan, la position de l’Open VLD est moins favorable au projet. À la demande des partis écologistes, la circonscription fédérale est toutefois explicitement mentionnée dans une proposition de déclaration de révision de la Constitution élaborée par J.-L. Dehaene « en vue de créer, pour la prochaine législature, un large cadre dans l’optique d’une poursuite de la réforme des institutions, dont tout le monde reconnaît la nécessité ». En effet, l’instauration d’une circonscription fédérale exigerait de réviser l’article 63, § 2, alinéa 1er, de la Constitution, qui dispose que « chaque circonscription électorale compte autant de sièges que le chiffre de sa population contient de fois le diviseur fédéral, obtenu en divisant le chiffre de la population du Royaume par cent cinquante ». Réviser cet article exige de réunir une majorité des deux tiers dans chaque chambre du Parlement fédéral – une nécessité qui ne constitue pas nécessairement un obstacle à l’introduction d’une circonscription fédérale, puisque celle-ci devrait probablement être préalablement négociée et approuvée dans le cadre d’un grand accord communautaire, qui nécessite généralement aussi une telle majorité.

116 La circonscription électorale fédérale est mentionnée dans la déclaration de révision qui est finalement adoptée par le Parlement en mai 2010. Mais le processus en reste là en raison de la dissolution des Chambres. En effet, dénonçant l’absence de solution sur le dossier Bruxelles-Hal-Vilvorde, l’Open VLD – emmené par son nouveau président, Alexander De Croo – quitte le gouvernement Leterme II, menant à la chute de celui-ci et entraînant des élections anticipées.

2.7. DES ÉLECTIONS FÉDÉRALES DE JUIN 2010 À LA FORMATION DU GOUVERNEMENT DI RUPO

117 La N-VA et le PS sont les deux grands gagnants des élections fédérales du 13 juin 2010. Le succès de la N-VA, parti très opposé à l’idée d’une circonscription électorale fédérale, obère a priori les chances de ce projet d’être repris dans l’ordre du jour des négociations. À la demande d’Écolo, il est certes question à un moment d’introduire une circonscription fédérale pour l’élection des parlementaires européens, dans le cadre de la scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde pour ces mêmes élections, mais cela est également rejeté par la N-VA. La proposition reste néanmoins présente dans les interventions de certains faiseurs d’opinion, même si c’est moins le cas que durant les années précédentes – sans doute en raison du climat politique dominé par le score électoral de la N-VA. Au début de l’année 2011, l’idée d’une circonscription électorale fédérale est reprise par différents mouvements citoyens qui protestent contre la longueur et l’ampleur de la crise politique.

2.7.1. La note du formateur Elio Di Rupo (4 juillet 2010) et les conditions posées par le CD&V

118 La proposition revient à l’avant-plan lorsque Elio Di Rupo (PS) – nommé formateur à la mi-mai 2011 – l’intègre dans sa note de début juillet 2011, qui doit servir de base de négociation en vue de la formation du gouvernement fédéral [66]. Dans le cadre d’une réforme plus large du système bicaméral, E. Di Rupo propose que dix représentants de la Chambre soient élus au sein d’une circonscription électorale fédérale. Si un tel projet figure dans ce document, c’est essentiellement pour contenter les partis écologistes et par souci d’intégrer quelque proposition institutionnelle qui n’aille pas dans le sens d’une division selon une ligne de fracture communautaire ; toutefois, cela traduit également un changement opéré dans la position du PS sur la question. En effet, après des débats internes et en partie suite aux expériences difficiles de négociation avec la N-VA, le PS s’est rallié à la proposition, comme en témoigne par exemple un discours prononcé par E. Di Rupo le 26 avril 2011 à l’ULB, à l’occasion d’une conférence-débat avec J. Vande Lanotte. Il déclare notamment : « Il faut non seulement responsabiliser les institutions mais aussi responsabiliser leurs acteurs, à savoir les femmes et hommes politiques eux-mêmes. Je suis, à cet égard, de plus en plus convaincu de l’intérêt de prévoir qu’un nombre déterminé de députés soient élus sur une circonscription fédérale, c’est-à-dire par l’ensemble des citoyens. La circonscription fédérale n’est pas une solution magique aux difficultés de notre vie politique, mais elle peut contribuer à l’apaiser. Les élus seraient contraints d’être davantage à l’écoute des autres régions du pays et à tenir le même discours dans les deux langues. » Néanmoins, la circonscription fédérale ne constitue toujours pas pour autant une des grandes priorités pour le PS, et un régionaliste convaincu comme son ministre wallon Jean-Claude Marcourt y reste opposé.

119 Lorsqu’en juillet 2010 la N-VA rejette la note du formateur, le CD&V doit décider s’il accepte quant à lui de négocier sur base de cette note, alors qu’il avait répété avec insistance qu’il ne formerait pas de gouvernement sans la N-VA. Finalement, le parti démocrate chrétien flamand décide de participer aux négociations, mais à la condition que quatre points soient retirés de la note et donc des discussions. Ces points sont considérés par le CD&V comme des compensations supplémentaires pour la scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde, car ils ne se trouvaient pas dans la note rédigée quelques mois plus tôt par son président, Wouter Beke, lors de sa mission de « négociateur royal », et dont la partie relative à Bruxelles-Hal-Vilvorde faisait selon lui l’objet d’un consensus entre la N-VA, le PS et le CD&V. La circonscription fédérale est l’un de ces quatre points. Les autres partis accèdent à la demande du CD&V, à la condition que les quatre points en question puissent être discutés dans des commissions à une date ultérieure. Dans l’esprit du CD&V, ceci signifie qu’ils sont reportés aux calendes grecques, comme le formule publiquement W. Beke.

2.7.2. L’accord institutionnel du 11 octobre 2011

120 In fine, les négociations aboutissent à un accord politique global sur la sixième réforme de l’État, présenté à la Chambre le 11 octobre 2011. Il stipule que dans le prolongement des réformes du système bicaméral déjà décidées, une « commission parlementaire spécifique » se penchera entre autres sur la question de l’éventuelle création d’une circonscription fédérale pour l’élection de la Chambre [67]. Étant donné l’opposition du CD&V, il est toutefois clair dès cet instant que la majorité des deux tiers, nécessaire pour pareille réforme, ne sera pas trouvée au cours de la présente législature. D’autant que, l’accord institutionnel global, avec ses équilibres, ayant été bouclé, il n’est plus possible aux partis de la coalition de marchander. Au début de l’année 2012, il est même incertain que la commission prévue sera effectivement créée.

121 Tout ceci n’empêche que la circonscription fédérale continue d’être évoquée, notamment suite à une pétition lancée début novembre 2011 par un couple flamand-wallon résidant à Londres, Jan-Emmanuel De Neve et Aude-Line Dulière, en collaboration avec les organisations de jeunesse Shame, Camping 16 et Plan B (qui s’étaient créées pour protester contre la crise politique), et avec le soutien notamment de Philippe Van Parijs et de Dave Sinardet. La pétition bénéficie de l’appui de dizaines de Belges connus, provenant de divers horizons : Paul De Grauwe, Mia Doornaert, Bart Peeters, Benoît Poelvoorde, Koen Schoors, Axelle Red, etc. Elle est également signée par divers responsables politiques, comme les ministres fédéraux Paul Magnette (PS), Annemie Turtelboom (Open VLD) et Guy Vanhengel (Open VLD), ou encore le président de parti Jean-Michel Javaux (Écolo) et la chef de groupe parlementaire à la Chambre Meyrem Almaci (Groen). Début 2012, la pétition a récolté plus de 25 000 signatures. Le succès de l’initiative citoyenne tend à montrer que, même si la faisabilité politique à court terme d’une circonscription électorale fédérale reste plus qu’incertaine, la proposition et l’analyse sous-jacente du système institutionnel belge ont gagné en notoriété et en soutien parmi les acteurs politiques et intellectuels et au sein de l’opinion publique en général.

2.7.3. Premiers enseignements du gouvernement Di Rupo

122 Entre-temps, avec le gouvernement Di Rupo (PS / CD&V / MR / SP. A / Open VLD / CDH), qui a prêté serment le 6 décembre 2011, s’est dans une certaine mesure créée un nouvelle dynamique politique. Notamment suite à la longue crise politico-communautaire, qui a remis un temps en question jusqu’au fonctionnement du modèle belge, et en raison de la menace électorale que constitue pour les partis de la coalition au pouvoir la N-VA, qui ne cesse de monter dans les sondages, les trois partis francophones du gouvernement fédéral – dont le PS, des rangs duquel est issu le Premier ministre pour la première fois depuis 1974 – ont pris conscience de l’importance politique de l’image que la Flandre a d’eux et, partant, de la nécessité de travailler à cette image.

123 Ceci est bien entendu particulièrement vrai pour Elio Di Rupo, qui se présente explicitement comme le Premier ministre de tous les Belges, et notamment comme un Premier ministre soucieux d’apprendre à connaître « la Flandre » et d’entrer en dialogue avec elle. Mais d’autres responsables fédéraux francophones, comme la vice-Première ministre et ministre de l’Intérieur, Joëlle Milquet (CDH) – qui était vice-Première ministre et ministre de l’Emploi et de l’Égalité des Chances dans le gouvernement précédent – se font également moins rares dans les médias flamands que dans le passé. Alors qu’il y a peu encore, les responsables politiques francophones ne se préoccupaient généralement pas de leur image au Nord du pays – certains avaient même tendance à cultiver une image négative au Nord du pays, croyant pouvoir ainsi renforcer leur image positive au Sud –, il apparaît que la donne a aujourd’hui changé.

124 Ainsi, une partie de la dynamique que pourrait contribuer à créer une circonscription électorale fédérale – l’obligation pour les responsables politiques de rendre des comptes aux habitants de l’ensemble du pays, et non uniquement à ceux de leur propre communauté – semble avoir été induite par le contexte politique particulier de 2007-2011. Remarquons toutefois que ceci semble concerner essentiellement le Sud du pays, puisque les responsables politiques flamands sont apparemment moins sensibles à l’intérêt de se forger une popularité du côté francophone. On peut considérer comme une extériorisation symbolique de cette situation le fait que, lors de la prestation de serment du nouveau gouvernement au Palais royal, presque tous les ministres francophones ont prêté serment dans les deux principales langues nationales, tandis que presque tous les ministres néerlandophones ne l’ont fait qu’en néerlandais. La question est maintenant de savoir quel sera l’impact de ce nouvel élément de la dynamique fédérale sur le débat relatif à la potentielle création d’une circonscription électorale fédérale.

CONCLUSION

125 L’histoire retracée dans cette contribution montre que le projet de circonscription électorale fédérale a parcouru bien du chemin en un peu plus de trois décennies. Déjà évoquée par certains responsables politiques dans les années 1970 et 1980, elle est surtout apparue dans le débat public dans les années 2000, par le biais du monde universitaire. À partir de 2007, elle a même acquis une place assez centrale dans le débat communautaire : nombre de faiseurs d’opinion ont pris position en sa faveur et quatre partis politiques l’ont défendue – dont celui de l’ancien Premier ministre Guy Verhofstadt (l’Open VLD) –, de même que de nombreuses personnalités d’autres partis. Elle a notamment été évoquée lors des houleuses négociations communautaires menées entre 2007 et 2011, ainsi que dans la note du formateur Elio Di Rupo au début du mois de juillet 2011. La crise politico-communautaire semble avoir contribué à faire comprendre à certains acteurs et observateurs de la vie politique que ce sont précisément les incitants centrifuges du système actuel qui participent à la création de blocages, et que des contrepoids intégrateurs sont nécessaires pour assurer le bon fonctionnement des institutions.

126 Toutefois, la faisabilité politique de la mise en place d’une circonscription électorale fédérale reste fortement sujette à caution. Un des diagnostics qui sous-tend la proposition est que le système électoral actuel conduit à la mécompréhension et à la polarisation des représentants politiques des deux grandes communautés linguistiques, pourtant condamnés à s’entendre in fine pour trouver des compromis au lendemain des élections. Mais si ce diagnostic est exact, la polarisation est peut-être telle qu’elle rend le remède hors de portée. En effet, adopter la réforme nécessite de sortir de la logique de polarisation. En d’autres termes, ce qui rend cette réforme légitime, voire indispensable, pour ses partisans, est aussi ce qui la rend fragile et peut-être inaccessible dans les faits.

127 Cependant, force est de constater que – comme c’est généralement le cas lors de réformes électorales – les points de vue politiques sur cette question sont souvent davantage guidés par des considérations de stratégie électorale que par une analyse de fond de ses avantages et inconvénients pour le système politique belge. Hormis les partis nationalistes ou régionalistes, qui la refusent par principe puisqu’ils voient en elle un retour à une dynamique politique plus « belge » ou un « grand BHV » et qui ont dans le passé eu un poids non négligeable dans les négociations communautaires auxquels ils ont souvent participés, ce sont, de part et d’autre de la frontière linguistique, les partis socialistes et chrétiens-démocrates qui se sont opposés à la circonscription fédérale dans le passé, même si quelques-unes de leurs figures importantes se sont prononcées en sa faveur. Ces positionnements semblent surtout découler de la crainte que ces partis nourrissent à l’égard du fait qu’une circonscription fédérale pourrait les pénaliser sur le plan électoral. Les chrétiens démocrates flamands et les socialistes francophones – qui ont grandement contribué au façonnement de l’architecture institutionnelle actuelle, ces deux partis ayant été dominants dans leur communauté – n’ont en effet généralement pas considéré qu’il était dans leur intérêt de briser la logique du « chacun chez soi ». Et cela, d’autant que les familles politiques auxquelles ils appartiennent étaient assez faibles de l’autre côté de la frontière linguistique (le PSC/CDH dans le Sud du pays et le SP/SP. A dans le Nord). Certes, il y a eu des évolutions dans cette position. Ainsi, dans les années 1980, une partie du CVP a semblé séduite par l’idée d’une circonscription nationale, tandis que le PS l’a rejetée. Depuis 2010 par contre, les rôles sont inversés, et le CD&V, qui a écarté cette proposition des négociations communautaires en juillet 2011, risque fort de persister dans son refus. Une des raisons de ces évolutions réside sans doute dans le fait que le CD&V n’a plus la pleine certitude de faire sortir régulièrement de ses rangs le Premier ministre du pays, alors que le PS voit actuellement son ancien président assurer la plus haute responsabilité politique fédérale.

128 En effet, on constate que tous les Premiers ministres, que la Belgique a connus ces trente dernières années ont, de façon plus ou moins explicite, tenus des propos favorables à l’idée. Ceci peut s’expliquer entre autres par leur popularité nationale. Par ailleurs, dans le système actuel, ils sont parmi les seuls responsables politiques que leur fonction incite à s’identifier à l’intérêt fédéral, même si, à l’instar de tous les autres, ils sont essentiellement élus par les électeurs de leur propre communauté linguistique. On notera à ce propos que ça n’a d’ailleurs souvent été que vers la fin de leur mandat ou de leur carrière que les Premiers ministres se sont montrés partisans de l’instauration d’une circonscription fédérale.

129 Au cours des trois dernières décennies, il n’y a pas que le débat qui a connu des inflexions. Les arguments utilisés ont, eux aussi, évolué. Certes, l’analyse de base n’a pas changé, à savoir qu’une circonscription électorale fédérale pourrait contribuer à éviter la polarisation communautaire, actuellement due en partie au fait que les élites politiques peuvent se contenter de ne tenir compte que des électeurs de leur propre communauté linguistique. Mais au fil du temps, s’y est ajouté un argument de légitimité démocratique, qui veut que tous les électeurs devraient pouvoir voter pour l’ensemble des partis susceptibles de composer le gouvernement fédéral qui va les gouverner. En outre, d’autres arguments, davantage liés au contexte politique spécifique du moment, sont également entrés dans le débat, telle l’opinion selon laquelle une circonscription fédérale est un élément qui pourrait aider à différencier les élections régionales et fédérales, ou qui pourrait servir de solution de compromis dans le conflit autour de la scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde.

130 L’histoire de la circonscription électorale fédérale en Belgique montre aussi le rôle public qu’universitaires et autres intellectuels peuvent jouer dans une société en apportant des propositions qui se trouvent souvent en-dehors du champ de vue, ou des intérêts, d’une grande partie du monde politique et médiatique. Mais elle montre aussi que ces idées éprouvent souvent bien des difficultés à intégrer le débat public tant qu’elles ne sont pas soutenues par des acteurs politiques ou, autrement dit, qu’elles ne sont pas considérées comme politiquement « faisables » par au moins une partie des dirigeants.

Notes

  • [1]
    Ainsi, nous avons travaillé sur des archives de presse disponibles en version électronique. Or, celles-ci ne sont accessibles que pour les décennies récentes.
  • [2]
    Cf. notamment D. SINARDET, « De communautaire koorts : symptomen, diagnose en aanzet tot remedie », Samenleving en politiek, tome 10, n° 3, 2003, p. 14-24 ; D. SINARDET, « Multilingual democracy and public sphere. What Belgium and the EU can learn from each other », in A. GOSSERIES, Y. VANDERBORGHT (dir.), Arguing about justice. Essays for Philippe Van Parijs, Presses universitaires de Louvain, Louvain-la-Neuve, 2011, p. 311-321 ; D. SINARDET, J. DODEIGNE, M. REUCHAMPS, « La circonscription électorale fédérale », in F. BOUHON, M. REUCHAMPS (dir.), Les systèmes électoraux de la Belgique, Bruylant, Bruxelles, 2012, p. 347-366 ; K. DESCHOUWER, P. VAN PARIJS, « Een federale kieskring voor een gezonde federatie », in D. SINARDET (dir.), Dossier staatshervorming : de rationele benadering, stichting Gerrit Kreveld, Gand, 2008, p. 43-52.
  • [3]
    Cette partie est largement basée sur D. SINARDET, J. DODEIGNE, M. REUCHAMPS, « La circonscription électorale fédérale », op. cit., p. 348-353.
  • [4]
    Cette célèbre citation de Giovanni Sartori en rend compte : le système électoral est l’instrument politique le plus manipulable (« the most manipulable instrument of politics ») (G. SARTORI, « Political Development and Political Engineering », in J. D. MONTGOMERY, A. O. HIRSCHMAN (dir.), Public Policy, Harvard University Press, Cambridge, 1968, p. 273.
  • [5]
    B. BARRY, Democracy and Power : Essays in Political Theory 1, Clarendon Press, Oxford, 1991, p. 136-155.
  • [6]
    J. MCGARRY et al., « Integration or Accommodation ? The Enduring Debate in Conflict Regulation », in S. CHOUDHRY (dir.), Constitutional Design for Divided Societies : Integration or Accommodation ?, Oxford University Press, Oxford, 2008, p. 68.
  • [7]
    B. O’LEARY, « Debating Consociational Politics : Normative and Explanatory Arguments », in S. NOEL (dir.), From Power Sharing to Democracy, McGill-Queen’s University Press, Montreal-Kingston-Londres-Ithaca, 2005, p. 9.
  • [8]
    A. LIJPHART, Democracy in Plural Societies : A Comparative Exploration, Yale University Press, New Haven, 1977, p. 25-44.
  • [9]
    A. LIJPHART, « Constitutional Design for Divided Societies », Journal of Democracy, volume 15, n° 2, 2004, p. 98.
  • [10]
    A. LIJPHART, « Consociational Democracy », World Politics, volume 21, n° 2, 1969, p. 211-213.
  • [11]
    J.-B. PILET, « The Adaptation of the Electoral System to the Ethno-Linguistic Evolution of Belgian Consociationalism », Ethnopolitics, volume 4, n° 4, 2005, p. 399-400.
  • [12]
    D. L. HOROWITZ, A Democratic South Africa ? Constitutional Engineering in a Divided Society, University of California Press, Berkeley-Los Angeles-Oxford, 1991, p. 141-143.
  • [13]
    T. D. SISK, Power Sharing and International Mediation in Ethnic Conflicts, United States Institute of Peace Press, Washington D.C., 3e édition, 1999, p. 14.
  • [14]
    B. REILLY, Democracy in Divided Societies : Electoral Engineering for Conflict Management, Cambridge University Press, Cambridge, 2001, p. 13-14.
  • [15]
    Concernant le système électoral proprement dit, le « vote alternatif » et le « système d’Hare » sont mis en avant pour leurs vertus centripètes. Cf. B. REILLY, « The Alternative Vote and Ethnic Accommodation : New Evidence from Papua New Guinea », Electoral Studies, volume 16, n° 1, 1997 ; M. DUMMET, Principles of Electoral Reform, Oxford University Press, Oxford, 1997, p. 121-157.
  • [16]
    A. LIJPHART, Conflict and Coexistence in Belgium : The Dynamics of a Culturally Divided Society, University of California Press, Berkeley, 1981, p. 8.
  • [17]
    D. SINARDET, « Le fédéralisme consociatif belge : vecteur d’instabilité ? », Pouvoirs. Revue française d’études constitutionnelles et politiques, volume 35, n° 136 (La Belgique), 2011, p. 27-28.
  • [18]
    Ces derniers sont définis suivant l’origine géographique de leur élection : les circonscriptions électorales s’alignent effectivement sur le tracé des régions linguistiques, à l’exception de celle de Bruxelles-Hal-Vilvorde.
  • [19]
    D. SINARDET, « From Consociational Consciousness to Majoritarian Myth : Consociational Democracy, Multi-level Politics and the Belgian case of Brussels-Halle-Vilvoorde », Acta Politica. International Journal of Political Science, volume 45, n° 3, 2010, p. 346-369.
  • [20]
    J.-B. PILET, « The Adaptation of the Electoral System to the Ethno-Linguistic Evolution of Belgian Consociationalism », op. cit., p. 401.
  • [21]
    Nous n’aborderons pas ici la nature consociative des règles électorales pour la Région de Bruxelles-Capitale.
  • [22]
    La scission de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde est prévue dans l’accord de réformes institutionnelles du 11 octobre 2011, tant pour l’élection des membres de la Chambre des représentants que pour celle des députés du Parlement européen (cf. Un État fédéral plus efficace et des entités plus autonomes. Accord institutionnel pour la sixième réforme de l’État, 11 octobre 2011, p. 13-15). Par ailleurs, le même accord prévoit la disparition des sénateurs élus directement par la population (Ibidem, p. 7-8), ce qui implique de facto la suppression des arrondissements électoraux pour l’élection du Sénat.
  • [23]
    Pour être complet, il existe depuis 1994 un collège électoral et une circonscription électorale germanophone pour les élections européennes (un siège à pourvoir).
  • [24]
    Loi du 13 décembre 2002 modifiant le Code électoral ainsi que son annexe (Moniteur belge, 10 janvier 2003). Les électeurs germanophones sont repris dans la circonscription électorale de Liège. Les députés germanophones élus dans cette circonscription sont donc intégrés au groupe linguistique français.
  • [25]
    Uniquement les sénateurs élus directement par la population.
  • [26]
    N. BRACK, J.-B. PILET, « One Country, Two Party Systems ? The 2009 Belgian Regional Elections », Regional & Federal Studies, volume 20, n° 4, 2010, p. 549-559. En ligne
  • [27]
    En plus de quelques contre-exemples historiques, cette « règle » politique souffre toutefois d’une exception : pour les élections de la Région de Bruxelles-Capitale, certains partis s’adressent directement aux électeurs de l’autre communauté. Elle permet principalement aux partis flamands d’obtenir un nombre important de voix, même avec un faible pourcentage d’électeurs francophones. Pour ces élections, les néerlandophones sont démographiquement minoritaires dans la circonscription électorale unique composée des 19 communes bruxelloises.
  • [28]
    Loi du 16 novembre 1978 relative aux élections du Parlement européen (Moniteur belge, 23 décembre 1978). Cf. « Les élections directes pour le Parlement européen », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 840-841, 1979, p. 19-20.
  • [29]
    En outre, il craint probablement d’être lui-même éclipsé par la popularité nationale de L. Tindemans.
  • [30]
    Le PSC-CVP en 1968, le PLP-PVV en 1971 et le PS-SP en 1978.
  • [31]
    Alors écologiste, il est aujourd’hui membre du parti socialiste.
  • [32]
    Il est également l’ancien chef de cabinet du ministre des Réformes institutionnelles, Jean-Luc Dehaene.
  • [33]
    A. ALEN, La Belgique : un fédéralisme bipolaire et centrifuge, Ministère des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération au Développement, Bruxelles, 1990.
  • [34]
    Traduction de la version néerlandaise : België, een tweeledig en centrifugaal federalisme.
  • [35]
    Au nom de la démocratie, Roularta Books, Zellik, 1991 ; In naam van de democratie, Roularta Books, Zellik, 1991.
  • [36]
    Créé en 1989 et basé à Bruxelles, le Centre d’études du fédéralisme réunit une équipe interdisciplinaire (juristes, économistes, politologues) provenant de différentes universités belges. Il cessera d’exister sous cette forme à la fin des années 1990.
  • [37]
    Pour plus de détails sur ce « dialogue de communauté à communauté », cf. notamment J. BRASSINE, « Le dialogue de communauté à communauté », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1369-1370, 1992.
  • [38]
    Il a d’ailleurs été aussi l’un des principaux acteurs des deux précédentes réformes.
  • [39]
    Il sera plus tard chef de cabinet du ministre flamand libéral Marino Keulen (Open VLD).
  • [40]
    G. ROLAND, T. VANDEVELDE, P. VAN PARIJS, « Repenser la solidarité entre les régions et entre les nations », La Revue Nouvelle, n° 105, 1997, p. 144-157.
  • [41]
    P. VAN PARIJS, « Mill, Rawls, Machiavel : un regard philosophique sur l’avenir de la Belgique », La Revue Nouvelle, n° 9, 1999, p. 90-108. Du même auteur, cf. également K. DESCHOUWER, P. VAN PARIJS, Electoral engineering for a stalled federation (Re-Bel ebook 4), Rethinking Belgium / University Foundation, Bruxelles, 2009.
  • [42]
    Arrêt n° 73/2003 du 26 mai 2003 de la Cour d’arbitrage. Cet arrêt considère que la situation créée par la réforme du code électoral induit une différence de traitement entre les candidats du Brabant flamand et les candidats des autres provinces. Sans pour autant annuler la réforme électorale, il demande dès lors au législateur d’examiner ce qu’il y a lieu de faire afin de remédier à cette situation. Pour autant, il n’exige par la scission de BHV ni n’établit de discrimination, considérant même que « la mesure procède du souci (…) de recherche globale d’un indispensable équilibre entre les intérêts des différentes communautés et régions au sein de l’État belge ».
  • [43]
    Ces circonscriptions sont parfois présentées comme « nationales », au sens où elles recouvrent les deux grandes communautés.
  • [44]
    Gouvernement flamand Leterme, composé de ministres CD&V, VLD, SP. A, N-VA et Spirit.
  • [45]
    Pour plus de détails sur le dossier Bruxelles-Hal-Vilvorde, cf. entre autres D. SINARDET, « From Consociational Consciousness to Majoritarian Myth : Consociational Democracy, Multi-level Politics and the Belgian case of Brussels-Halle-Vilvoorde », op. cit., p. 346-369.
  • [46]
    Mentionnons également le mouvement fédéraliste B Plus.
  • [47]
    Chambre des représentants, Révision de la Constitution. Proposition de révision de l’article 63 de la Constitution, en vue d’élire un quart des membres de la Chambre des représentants au sein d’une circonscription électorale fédérale (déposée Z. Genot et J.-M. Nollet), DOC 51 2373/001, 27 mars 2006.
  • [48]
    Chambre des représentants, Révision de la Constitution. Proposition de révision de l’article 63 de la Constitution, en vue d’élire un quart des membres de la Chambre des représentants au sein d’une circonscription électorale fédérale (déposée par J.-M. Nollet, [Z. Genot, F. Lahssaini, M. Gerkens, P. Henry, T. Snoy et G. Gilkinet]), DOC 52 0188/001, 10 octobre 2007.
  • [49]
    Chambre des représentants, Révision de la Constitution. Proposition de révision de l’article 63 de la Constitution, en vue d’élire un quart des membres de la Chambre des représentants au sein d’une circonscription électorale fédérale (déposée par S. Van Hecke, [O. Deleuze, Z. Genot, M. Gerkens, G. Gilkinet, M. Almaci, R. Balcaen, W. De Vriendt, K. Calvo y Castañar et É. Jadot]), DOC 53 0317/001, 7 octobre 2010.
  • [50]
    Elle deviendra en 2009 conseillère d’Yves Leterme, d’abord au cabinet des Affaires étrangères et ensuite à son cabinet de Premier ministre.
  • [51]
    H. DUMONT, « Observations sur les propositions du groupe Pavia en faveur d’une circonscription électorale nationale » [note pour le workshop du groupe Pavia], s.l. [Bruxelles], février 2006.
  • [52]
    J. QUATREMER, « D’un État unitaire à un État fédéral », entretien avec Yves Leterme, Libération, 17 août 2006.
  • [53]
    À noter que ce dernier argument, qui sera par la suite plusieurs fois utilisé par les partisans de la création d’une circonscription fédérale, n’est pas correct.
  • [54]
    À noter que ce traditionnel discours du Premier ministre ne doit pas être concerté avec les partenaires de gouvernement.
  • [55]
    Bien qu’il pourrait l’être également, eu égard à son alliance électorale avec la N-VA, le profil communautaire que se donne Y. Leterme à la même époque est par contre beaucoup moins interprété en termes stratégiques par ces mêmes médias.
  • [56]
    Dans les diverses évocations que nous avons listées précédemment, la circonscription fédérale était parfois associée au Groupe Pavia.
  • [57]
    Les arguments de J. Vande Lanotte ne semblent donc pas tenir compte du fait que seule une partie des députés seraient élus sur base d’une circonscription électorale fédérale, qu’il est envisageable que le système fonctionne conjointement avec les mécanismes de protection des minorités introduits dans la Constitution en 1970, et que des quotas linguistiques pourraient être prévus pour éviter de grands déséquilibres.
  • [58]
    À noter que cet intitulé comporte une erreur historique susceptible d’avoir un effet sur la réponse, puisqu’il présente la proposition comme un retour à une situation passée.
  • [59]
    Cette interprétation sera plus tard contredite par différentes études post-électorales. Cf. notamment M. SWYNGEDOUW, N. RINK, Hoe Vlaams-Belgischgezind zijn de Vlamingen ? Een analyse op basis van het postelectorale verkiezingsonderzoek 2007, KUL (CESO/ISPO), Louvain, 2008.
  • [60]
    Pour plus de détails sur les élections fédérales de 2007 et les négociations gouvernementales qui suivent, cf. D. SINARDET, « Belgian Federalism Put to the Test : The 2007 Belgian Federal Elections and their Aftermath », West-European Politics, volume 31, n° 5, 2008, p. 1016-1032.
  • [61]
    Een vertrouwenswekkende maatregel, en néerlandais.
  • [62]
    G. VERHOFSTADT, Verslag aan Koning Albert II over de hervorming van de instellingen in het kader van mijn informatie- en formatieopdracht, 2008.
  • [63]
    La proposition de loi spéciale dans laquelle est traduit l’accord des « sages » – déposée en mars 2008 par huit sénateurs, représentant chacun des partis des quatre principales familles politiques du pays : Marcel Cheron (Écolo), Francis Delpérée (CDH), Philippe Monfils (MR), Philippe Moureaux (PS), Freya Piryns (Groen), Johan Vande Lanotte (SP. A), Hugo Vandenberghe (CD&V) et Paul Wille (Open VLD) – reprend également cette liste (Sénat, Proposition de loi spéciale portant des mesures institutionnelles (déposée par H. Vandenberghe, P. Monfils, P. Wille, P. Moureaux, J. Vande Lanotte, F. Delpérée, M. Cheron et F. Piryns), document législatif 4-602/1, 5 mars 2008). Elle est examinée par la Commission des Affaires institutionnelles. Toutefois, comme les négociations du « deuxième paquet » n’aboutissent pas (cf. infra), elle n’est jamais votée et est frappée de caducité, en mai 2010, suite à la dissolution des Chambres.
  • [64]
    Toutefois, la controverse tourne surtout autour du fait que le colloque singulier a été brisé.
  • [65]
    Fin juillet, un communiqué du CD&V–N-VA avait encore stipulé que le dossier BHV devrait suivre son cours au Parlement fédéral.
  • [66]
    E. DI RUPO, Un État fédéral plus efficace et des entités plus autonomes. Note du formateur, 4 juillet 2011.
  • [67]
    Un État fédéral plus efficace et des entités plus autonomes. Accord institutionnel pour la sixième réforme de l’État, 11 octobre 2011, p. 9.
  1. Introduction
  2. 1. UN PROJET À CONTRE-COURANT DES TENDANCES CENTRIFUGES
    1. 1.1. SYSTÈMES ÉLECTORAUX ET GESTION DES SOCIÉTÉS DIVISÉES
    2. 1.2. PARTIS ET SYSTÈME ÉLECTORAL EN BELGIQUE : UNE LOGIQUE CONSOCIATIVE
  3. 2. ÉVOLUTION DU DÉBAT POLITIQUE ET PUBLIC
    1. 2.1. LA GENÈSE : DE LA FIN DES ANNÉES 1970 À LA FIN DES ANNÉES 1990
      1. 2.1.1. L’organisation des élections européennes de 1979
      2. 2.1.2. Sous le gouvernement Martens VIII (1988-1991)
      3. 2.1.3. Sous les gouvernements Dehaene I et II (1992-1999)
    2. 2.2. LES ANNÉES VERHOFSTADT (1999-2007)
      1. 2.2.1. Le gouvernement Verhofstadt I (1999-2003)
      2. 2.2.2. Le rôle des universitaires en 2003-2004
      3. 2.2.3. Le gouvernement Verhofstadt II (2003-2007)
    3. 2.3. LA CRÉATION DU GROUPE PAVIA
    4. 2.4. DE L’ÉMISSION « BYE BYE BELGIUM » AUX ÉLECTIONS FÉDÉRALES DE 2007
      1. 2.4.1. L’émission « Bye bye Belgium » (RTBF, 13 décembre 2006) et ses suites
      2. 2.4.2. Guy Verhofstadt et les libéraux flamands
      3. 2.4.3. Propositions du Groupe Pavia (14 février 2007) et réactions
        1. Propositions du Groupe Pavia
        2. Réactions des partis politiques
        3. Réactions de la presse flamande et de faiseurs d’opinion
      4. 2.4.4. Les enseignements de trois sondages
    5. 2.5. LES NÉGOCIATIONS POUR LA FORMATION DU GOUVERNEMENT « ORANGE BLEUE »
      1. 2.5.1. Des élections fédérales de juin 2007 à la mission d’« explorateur » de Herman Van Rompuy
        1. La mission de « démineur » de Jean-Luc Dehaene
        2. La mission de « formateur » d’Yves Leterme
        3. La mission d’« explorateur » de Herman Van Rompuy
      2. 2.5.2. Les déclarations de Didier Reynders
        1. 2.5.3. De l’échec d’Yves Leterme au gouvernement Verhofstadt III
    6. 2.6. LES GOUVERNEMENTS VERHOFSTADT III, LETERME I, VAN ROMPUY ET LETERME II
      1. 2.6.1. Le Rapport au roi Albert II de Guy Verhofstadt (janvier 2008)
      2. 2.6.2. Débats au Parlement flamand
      3. 2.6.3. Les négociations communautaires entre février et août 2008
      4. 2.6.4. De l’échec du « dialogue de communauté à communauté » à la chute du gouvernement Leterme II
    7. 2.7. DES ÉLECTIONS FÉDÉRALES DE JUIN 2010 À LA FORMATION DU GOUVERNEMENT DI RUPO
      1. 2.7.1. La note du formateur Elio Di Rupo (4 juillet 2010) et les conditions posées par le CD&V
      2. 2.7.2. L’accord institutionnel du 11 octobre 2011
      3. 2.7.3. Premiers enseignements du gouvernement Di Rupo
  4. CONCLUSION
Depuis plus de trente ans, l’évolution du système électoral belge tend à une division croissante entre deux zones électorales : l’une francophone et l’autre flamande.
Plusieurs acteurs et observateurs de la vie politique belge considèrent que, en raison de cette situation, le modèle fédéral actuel souffre de problèmes de légitimité et d’efficacité. Les responsables politiques fédéraux sont élus, non par la population de l’ensemble du pays, mais uniquement par les citoyens de leur communauté linguistique. Le système incite les candidats à une surenchère communautaire, ce qui complique la conclusion de compromis entre francophones et néerlandophones.
C’est pour contrer ces effets que, à la fin des années 1970, est apparue l’idée de réserver quelques sièges à la Chambre des représentants à des députés élus au sein d’une circonscription électorale fédérale. Lentement mais sûrement, cette proposition s’est forgé une place dans le débat politique et dans les négociations portant sur la réforme de l’État belge.
Deux parties structurent l’exposé. La première met en lumière l’originalité du projet de circonscription électorale fédérale. La seconde retrace le cheminement de l’idée de créer une telle circonscription, de son émergence à nos jours. Pour ce faire, elle parcourt les principales prises de position des responsables politiques et de divers représentants de la société civile, dont les médias et les chercheurs universitaires. Sont à cette occasion examinés les obstacles auxquels le projet s’est heurté et se heurte encore actuellement.
Mis en ligne sur Cairn.info le 10/07/2012
https://doi.org/10.3917/cris.2142.0005
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