CAIRN.INFO : Matières à réflexion

INTRODUCTION

1 La loi communale du 30 mars 1836 organisait les communes belges sur un même modèle juridique selon une logique d’uniformité [1], à savoir : une assemblée délibérative élue directement (le conseil communal), un organe exécutif (le collège des bourgmestre et échevins) et un organe central (le bourgmestre) nommé par le Roi.

2 Dans la Belgique unitaire d’avant 1970, le législateur national organisait les pouvoirs locaux. Le gouvernement et la province, un organe déconcentré le représentant, contrôlaient leurs actions. Ce système centralisé d’organisation des pouvoirs locaux a été remis en cause et a connu une régionalisation progressive en lien avec le processus général de fédéralisation du pays.

3 La révision constitutionnelle de 1970 est le début d’un long processus qui a mené à la création des communautés et des régions. La loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 attribue aux régions des compétences de tutelle sur les pouvoirs locaux [2], mais ne modifie pas la compétence nationale en matière d’organisation des institutions communales [3].

4 La régionalisation du droit organique des institutions locales sera réalisée par étapes, en commençant par les centres publics d’aide sociale (CPAS) [4]. En application de l’accord de la Saint-Michel (28 septembre 1992), la loi spéciale du 16 juillet 1993 attribue la quasi-totalité des règles d’organisation des CPAS aux communautés. Dans la région de langue française, l’exercice de cette compétence sera ensuite transféré à la Région wallonne sur la base de l’article 138 de la Constitution. Les bases d’une régionalisation des lois communale et provinciale avaient été jetées par l’accord de la Saint-Michel, mais cette régionalisation ne fut mise en œuvre que dans la foulée des accords du Lambermont (16 octobre 2000) et de la Saint-Polycarpe (23 janvier 2001). La loi spéciale du 13 juillet 2001 applique ces accords en transférant les compétences relatives à l’organisation des pouvoirs locaux aux régions.

5 C’est dans ce contexte que le gouvernement wallon PS-Fédération PRL FDF MCC-Écolo, mis en place après les élections du 13 juin 1999, décide de rassembler la législation relative aux pouvoirs locaux dans un Code de la démocratie locale et de la décentralisation (CDLD) [5]. Sous la législature suivante, celui-ci fera rapidement l’objet d’une réforme importante qui introduira les innovations qui font l’objet de ce Courrier hebdomadaire. Le gouvernement PS-CDH formé à l’issue des élections régionales du 13 juin 2004 propose, dans son accord de gouvernement, des mesures « en vue de renforcer la démocratie locale ».

6 Plusieurs principes généraux de « bonne gouvernance » sont au cœur des débats politiques de l’époque : la déontologie et la transparence dans la gestion publique, en particulier ses aspects financiers ; les incompatibilités et les empêchements visant à éviter les conflits d’intérêts ; la représentation des hommes et des femmes. Ces principes vont s’incarner dans plusieurs innovations inscrites dans deux décrets du 8 décembre 2005 : le décret modifiant certaines dispositions du Code de la démocratie locale et de la décentralisation et le décret modifiant la loi organique du 8 juillet 1976 des centres publics d’action sociale [6].

7 Pensée dès la codification du droit communal, cette réforme s’accélère et prend un caractère d’urgence après le déclenchement de l’affaire de la Carolorégienne, une société de logements sociaux dont un audit révélé à la presse en septembre 2005 considère que certains de ses administrateurs, échevins de la ville de Charleroi, sont suspects d’abus de biens sociaux. Le climat de dénonciation de la gestion publique, dans le cadre de plusieurs dossiers à Charleroi et dans d’autres communes wallonnes, va accélérer la prise de décision sur ces réformes de la gouvernance locale.

8 Trois axes ont été définis par le ministre des Affaires intérieures et de la Fonction publique Philippe Courard (PS) [7]. Le premier axe concerne l’élaboration des listes aux élections communales et provinciales. Le premier décret du 8 décembre 2005 prévoit que les listes soient constituées en accordant une place équivalente aux candidats des deux sexes, en précisant que l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un et que les deux premières places doivent être occupées par des candidats de sexe différent. De nouvelles conditions d’éligibilité sont en outre prévues afin de renforcer la lutte contre le racisme et la xénophobie. Les délais séparant les élections de l’entrée en fonction des nouveaux mandataires sont réduits sans pour autant mettre à mal les droits de recours existants. L’ordre des suppléants est défini sur la base des voix de préférence obtenues par chaque candidat sans avoir égard à l’effet dévolutif de la case de tête et à l’ordre de présentation sur la liste.

9 Le second axe concerne l’installation des autorités communales et provinciales et la désignation du bourgmestre. L’installation du conseil communal est désormais prévue le premier lundi de décembre suivant l’élection. En ce qui concerne la désignation du bourgmestre, le texte renforce le rôle de l’électeur dans une combinaison de transparence et de responsabilisation. Le conseil communal se limite à prendre acte du résultat issu des élections, du pacte de majorité qui s’en est suivi et de l’acceptation de la fonction de bourgmestre par le candidat. Lorsqu’un conseiller communal renonce à la fonction de bourgmestre ou démissionne de cette fonction, il ne pourra plus être échevin ni président du CPAS durant la même législature. En ce qui concerne le collège des bourgmestre et échevins, que le décret rebaptise en collège communal, afin de remplir l’obligation de résultat posée par l’article 11bis de la Constitution, la présence d’au moins une personne de chaque sexe au sein du collège est imposée, tout en permettant de désigner un échevin en dehors des conseillers communaux élus, mais parmi les habitants de la commune. Afin de réaliser une plus grande synergie entre commune et CPAS, le président du CPAS est désormais membre du collège avec voix délibérative, sauf lorsqu’il s’agira d’exercer la tutelle sur le CPAS. Le collège communal fait l’objet d’une présentation globale et unique au travers du pacte de majorité comprenant l’identité du bourgmestre, des échevins et du président du CPAS et adopté par le conseil communal.

10 Le troisième axe concerne le mode de fonctionnement des autorités locales. La motion de méfiance permet, dans des limites de temps, de remplacer le ou les membres du collège communal qui n’auraient plus la confiance d’une majorité d’élus. La motion doit être constructive : une personne doit être proposée pour le remplacement. En ce qui concerne les CPAS, le deuxième décret du 8 décembre 2005 envisage six éléments importants. L’élection des membres du conseil de l’action sociale a lieu lors de la séance d’installation du conseil communal et non plus le troisième lundi suivant l’installation de ce dernier. Le mode de désignation des conseillers est simplifié. De nouvelles conditions d’éligibilité sont prévues afin de renforcer la lutte contre le racisme et la xénophobie. Le texte reprend la règle selon laquelle pour chaque acte de présentation, le nombre de candidats d’un même sexe ne peut dépasser 2/3 du total des candidats. De même, le bureau permanent et les comités spéciaux devront être composés de personnes des deux sexes. Les règles qui président au remplacement d’un conseiller sont assouplies afin de donner plus de liberté au conseil communal. La recherche des synergies entre la commune et le CPAS est facilitée notamment au travers de la présence du président du CPAS au sein du collège communal et au travers de la tenue de réunions communes.

11 Trois innovations significatives apportées par les décrets du 8 décembre 2005 sont analysées en détail ici : le mode de désignation du bourgmestre, les motions de méfiance constructive, collectives et individuelles, et les synergies nouvelles entre le CPAS et la commune. Nous exposerons en détail le contenu et le sens de ces trois réformes (1re partie). Nous examinerons ensuite leur impact sur l’installation et le fonctionnement des exécutifs communaux lors de sa mise en œuvre après les élections communales de 2006 (2e partie).

1. TROIS INNOVATIONS MAJEURES DU CODE WALLON DE LA DÉMOCRATIE LOCALE

1.1. LA DÉSIGNATION DU BOURGMESTRE

12 La Constitution ne fait aucune mention ni de la fonction, ni même du titre de bourgmestre, ni, a fortiori, de son mode de désignation [8]. Avant la réforme de décembre 2005 et l’élection communale d’octobre 2006, le bourgmestre était nommé par le Roi, en pratique par le ministre de l’Intérieur. Cette caractéristique le distinguait donc des membres du conseil communal et des autres membres du collège des bourgmestre et échevins [9]. Il était choisi, en principe, parmi les membres du conseil communal. Cette nomination par le Roi à l’origine s’explique notamment par la volonté de Léopold I de renforcer son pouvoir en bénéficiant d’un parlement qui lui soit favorable car composé, à l’époque du système censitaire, d’un nombre non négligeable de bourgmestres qu’il pouvait récompenser à sa guise [10]. La lecture des travaux préparatoires de la loi organique de 1836 montre qu’il n’était alors pas pensable que « les habitants d’une commune aient le pouvoir de conférer au chef de leur conseil communal l’exercice d’une branche de l’administration générale de la Nation » [11]. En effet, juridiquement, le bourgmestre a une double fonction. Il est à la fois un organe de la collectivité politique décentralisée et un organe déconcentré de l’autorité centrale [12]. La liberté de le nommer au sein du conseil communal ou en dehors de celui-ci fut l’enjeu de plusieurs moments majeurs de la vie politique belge.

13 Le débat sur le mode de désignation du bourgmestre avait été relancé [13] après l’adoption de la loi spéciale du 13 juillet 2001 portant transfert de diverses compétences aux régions et communautés. Cette loi régionalise la législation organique des institutions communales [14]. Chaque parti était porteur de préoccupations spécifiques. Le PS craignait d’être confronté à des coalitions susceptibles de le menacer dans ses bastions traditionnels, le PSC (CDH depuis mai 2002) et Écolo pouvaient craindre une perte de flexibilité en terme d’alliance et une bipolarisation les mettant hors-jeu et la Fédération PRL FDF MCC (MR depuis mars 2002) souhaitait éviter d’être marginalisée par le biais d’accords pré ou post-électoraux. Dans ce contexte, la Fédération PRL FDF MCC était la principale promotrice d’une réforme au sein de la coalition arc-en-ciel mise en place à la Région wallonne après les élections du 13 juin 1999. Elle a notamment défendu l’idée d’un scrutin communal organisé sur deux listes : l’une pour la désignation du bourgmestre et l’autre pour le conseil communal. S’imposerait dès lors au bourgmestre l’obligation de constituer une majorité en tenant compte de la composition du conseil communal nouvellement élu. Une seconde proposition libérale, soutenue par Charles Michel, ministre régional wallon des Affaires intérieures, en 2002, prônait un scrutin de type majoritaire à deux tours.

14 Au début des années 2000, des articles de presse alimentent l’idée que les électeurs souhaitent une modification du mode de désignation du bourgmestre. Vers l’Avenir annonce en 2002 que 71 % des électeurs wallons souhaitent une élection directe du bourgmestre. De Morgen annonce, en 2004, qu’ils seraient 74 % en Wallonie à souhaiter cette évolution [15].

15 Le régime électoral des communes est le même que celui qui existe aux autres niveaux de pouvoir [16] : il s’agit d’un système électoral proportionnel, ce qui induit la plupart du temps la formation de coalitions. Les scrutins de liste accordent un rôle prépondérant aux structures partisanes dans la désignation des candidats et donc, indirectement, des élus. Dans ce contexte, le débat politique s’est organisé autour d’une question fondamentale : comment et dans quelle mesure donner davantage de poids aux électeurs pour la désignation du bourgmestre ? Par un vote majorité contre opposition, c’est donc bien une réforme importante que le Parlement wallon adopte en décembre 2005.

16 L’article 1123-4, paragraphe 1, alinéa 1er, du CDLD dispose en effet qu’« est élu de plein droit bourgmestre, le conseiller de nationalité belge qui a obtenu le plus de voix de préférence sur la liste qui a obtenu le plus de voix parmi les groupes politiques qui sont parties au pacte de majorité adopté en application de l’article L1123-1 ».

17 La désignation du bourgmestre devient ainsi quasi-automatique. Elle se déroule en deux temps : il convient d’abord d’identifier la liste la plus forte du pacte de majorité et, ensuite, le candidat ayant obtenu le plus de voix sur cette liste. Ce mode de désignation quasi-automatique (ou automatique au second degré) réduit l’influence des partis sur la désignation du bourgmestre et, par répercussion, modifie les logiques qui animent la constitution des listes et des majorités. Cette réforme marquera ses effets dès les élections communales d’octobre 2006.

1.2. LES MOTIONS DE MÉFIANCE CONSTRUCTIVE COLLECTIVES ET INDIVIDUELLES

18 La motion de méfiance constructive, inspirée par le système fédéral allemand, entre dans notre pratique politique au niveau fédéral en 1993. La motion de méfiance constructive ne porte à ce niveau que sur la responsabilité collective du gouvernement. C’est l’alinéa 2 de l’article 96 de la Constitution qui en fixe les modalités. Il n’existe pas de mécanisme de méfiance constructive individuelle, c’est-à-dire à l’égard d’un seul membre du gouvernement, en vertu du principe de collégialité gouvernementale.

19 En 2004, la nouvelle majorité wallonne PS-CDH annonçait dans sa déclaration de politique régionale son intention de légiférer en la matière afin d’instaurer un mécanisme de motion de méfiance constructive au niveau des exécutifs communaux :

20

« Un décret sur la démocratie locale généralisant les bonnes pratiques de gouvernance communale devra être élaboré. Il prévoira notamment les mesures suivantes : une responsabilité accrue des élus communaux avec la possibilité de démettre un échevin, un bourgmestre ou le collège dans son ensemble par une motion de méfiance constructive adoptée par une majorité qualifiée dans des circonstances et des moments déterminés. » [17]

21 Cette volonté politique sera concrétisée par le premier décret du 8 décembre 2005 [18] et le nouvel article L1123-14 du CDLD qui stipule :

22

« Le collège, de même que chacun de ses membres, est responsable devant le conseil. Le conseil peut adopter une motion de méfiance à l’égard du collège ou de l’un ou de plusieurs de ses membres. Cette motion n’est recevable que si elle présente un successeur au collège, à l’un ou à plusieurs de ses membres, selon le cas. (…) »

23 La motion de méfiance constructive collective permet donc à une majorité du conseil de retirer globalement sa confiance au collège, la présentation du successeur au collège constituant un nouveau pacte de majorité. La motion de méfiance constructive individuelle permet aux groupes politiques constituant le pacte de majorité de retirer leur confiance à l’un des membres du collège communal, ce qui était jusqu’alors impossible, l’échevin désavoué restant en place même quand sa majorité lui retirait ses attributions. En intégrant le président du CPAS dans le pacte de majorité, celui-ci est directement concerné par le dépôt d’une motion collective et peut dorénavant lui aussi faire l’objet d’une motion individuelle devant le conseil communal. Auparavant, le président du CPAS était désigné pour la durée de la législature sans pouvoir être démis ou subir un retrait de ses attributions par le conseil de l’action sociale.

1.3. SYNERGIES ENTRE LE CENTRE PUBLIC D’ACTION SOCIALE ET LA COMMUNE

24 Afin d’éviter une succession de renversements de majorité, des délais ont toutefois été introduits qui encadrent l’application du mécanisme de la motion de méfiance collective (L1123-14 du CDLD) :

25

« (…) Une motion de méfiance concernant l’ensemble du collège ne peut être déposée avant l’expiration d’un délai d’un an et demi suivant l’installation du collège communal.
Lorsqu’une motion de méfiance à l’encontre de l’ensemble du collège a été adoptée par le conseil, aucune nouvelle motion de méfiance collective ne peut être déposée avant l’expiration d’un délai d’un an.
Aucune motion de méfiance concernant l’ensemble du collège ne peut être déposée après le 30 juin de l’année qui précède les élections. »

26 Dans le cadre des débats parlementaires, c’est le risque d’instabilité politique qui a été évoqué pour justifier l’instauration de ces balises. Certains ont pu craindre que des majorités soient formées sans qu’un engagement politique sérieux soit pris par les partenaires afin de mener à bien un programme politique communal. En empêchant l’utilisation du mécanisme dans les 18 mois suivant l’installation du collège après les élections, on espérait responsabiliser les futurs partenaires. Cet argument a été mobilisé tant pour les situations où les majorités sont longues et difficiles à négocier que pour les situations où elles seraient conclues rapidement sans que des accords politiques n’aient été noués sur les points fondamentaux susceptibles d’opposer rapidement les partenaires durant la législature communale.

27 L’interdiction d’utiliser le mécanisme de motion de méfiance après le 30 juin de l’année précédant une année électorale était fondée sur la volonté d’empêcher que les tensions entre partenaires dans les phases préparatoires de la compétition électorale ne nuisent à la stabilité de l’action politique locale. Un contexte de campagne électorale peut conduire des partenaires à se désolidariser face à un bilan qu’il leur apparaît risqué de porter dans le cadre de la coalition sortante.

28 La question des liens entre les institutions de la commune et les structures locales en charge de questions sociales a fait polémique dès les débats qui ont conduit à la création des CPAS par la loi organique du 8 juillet 1976. L’analyse des travaux parlementaires relatifs au projet de loi organique des CPAS révèle déjà ce souci d’assurer une collaboration entre la commune et le CPAS [19]. Le poids financier des actions menées par le CPAS sur le budget communal, la spécificité du travail social (notamment les règles d’anonymat), des rivalités entre président du CPAS et échevins (en particulier l’échevin des Affaires sociales), la tutelle sur les actes du CPAS, sont autant de sujets susceptibles de créer des tensions entre les deux institutions.

29 Deux éléments instaurés par la réforme de 2005 vont modifier structurellement les liens entre commune et CPAS : le mode de désignation du président du CPAS et son intégration au sein du collège désormais dénommé « communal ».

30 L’article L1123-1, paragraphe 2, alinéa 2 stipule que « le projet de pacte [de majorité] comprend l’indication des groupes politiques qui y sont parties, l’identité du bourgmestre, des échevins ainsi que celle du président du conseil de l’action sociale pressenti si la législation qui lui est applicable prévoit sa présence au sein du collège communal [20] ». L’article L1123-3, alinéa 1 confirme que « le collège comprend le bourgmestre, les échevins et le président du conseil de l’action sociale si la législation qui lui est applicable prévoit sa présence au sein du collège communal (…) ».

2. IMPACT ET BILAN

2.1. UN BOURGMESTRE PLUS LÉGITIME ?

2.1.1. Évaluation globale

31 Une étude publiée en 2003 avait mis en évidence que, pour les élections communales de 2000 en Wallonie, 74 % des bourgmestres étaient les élus ayant reçu le plus de voix de préférence toutes listes confondues [21]. Le ministre Philippe Courard, pour rassurer les mandataires inquiets de l’impact d’une réforme du mode de désignation du bourgmestre, a commandé une étude pendant la préparation du décret du 8 décembre 2005. En appliquant les modifications prévues aux résultats du scrutin communal de 2000, il ressortait de cette projection qu’environ 15 % des communes auraient été affectées par une désignation du bourgmestre selon les modalités du nouveau CDLD.

32 Au vu des résultats des élections d’octobre 2006, il est possible de dresser un premier bilan de cette innovation. Il apparaît que 12,2 % des bourgmestres désignés par application du nouveau système (avant leur remplacement éventuel par un bourgmestre faisant fonction) ne sont pas ceux que le parti avait placés en tête de liste (cf. tableau 1) [22]. Un élu sur huit qui tirait la liste la plus forte au sein d’un pacte de majorité a donc été dépassé par un autre candidat de sa liste. L’impact réel est proche de celui qui avait été projeté et concerne 32 des 262 communes wallonnes. Il faut toutefois noter qu’une analyse plus fine des résultats indique que plusieurs têtes de liste furent battues de justesse par un colistier (cf. tableau 2).

Tableau 1

Communes dont le bourgmestre n’était pas tête de liste, par province

Province Bourgmestre non tête de liste Nombre total de communes %
Namur
Luxembourg
Hainaut
Liège
Brabant wallon
7
6
9
8
2
38
44
69
84
27
18,4
13,6
13,0
9,5
7,4
Total 32 262 12,2
figure im1

Communes dont le bourgmestre n’était pas tête de liste, par province

33 L’effet de la désignation quasi-automatique du bourgmestre est politiquement significatif et les partis seront amenés à intégrer de manière structurelle cette dimension dans leurs réflexions stratégiques. Les élections de 2012 montreront notamment si l’impact observé en 2006 est le fruit d’une correction ponctuelle des propositions des partis ou d’une différence structurelle entre l’opinion publique locale et l’opinion que les partis s’en font. Le choix de la tête de liste n’est pas lié uniquement à la popularité électorale présumée du candidat. D’autres critères, par exemple les autres mandats politiques exercés par les candidats, les conflits internes entre candidats ou les équilibres entre les différentes entités d’une commune, influencent les décisions des partis relatives à la composition des listes, mais cette innovation institutionnelle modifie les perceptions des acteurs et les stratégies politiques.

34 Le nouveau système de désignation du bourgmestre visant à donner davantage de poids au choix des électeurs, il est intéressant de vérifier si les bourgmestres en fonction sont les candidats ayant obtenu le plus de voix de préférence. Cette question est importante puisqu’elle renvoie à la position de principe sous-tendant la réforme, selon laquelle la légitimité politique du bourgmestre dépend principalement de son score électoral et non de la confiance qui lui serait accordée par son parti ou par la coalition majoritaire.

35 L’analyse des résultats dans les 262 communes wallonnes permet d’établir que 79,4 % des bourgmestres en fonction [23] sont effectivement les champions en voix de leur commune, toutes listes confondues. Par contre, 12,6 % des bourgmestres ont obtenu un score électoral inférieur à celui de candidats d’autres listes, 2,3 % des bourgmestres sont dépassés par un candidat de leur propre liste et par un candidat d’une autre liste, et enfin 5,7 % des bourgmestres sont dépassés par un colistier. Ces derniers chiffres s’expliquent, d’une part, par le statut des bourgmestres empêchés parce qu’ils occupent une position exécutive au niveau régional, communautaire ou fédéral et, d’autre part, par la possibilité pour le candidat ayant obtenu le plus de voix de refuser le poste de bourgmestre. Le mécanisme de remplacement des bourgmestres empêchés par des bourgmestres faisant fonction désignés indépendamment de leur score électoral par le bourgmestre en titre constitue une entrave au principe fondamental au cœur de la réforme, celui du poids déterminant donné au vote de l’électeur pour la désignation du bourgmestre.

36 Une des innovations apportée par la réforme du CDLD portait sur la représentation des deux sexes sur les listes électorales. Alors que l’ancien système prévoyait une répartition minimale d’untiers/deuxtiers entre les deux sexes, les nouvelles dispositions stipulent que l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un et que les deux premières places doivent être occupées par des candidats de sexe différent. L’examen du tableau 2 permet de constater que sur les 32 têtes de liste battues, 25 hommes ont été dépassés par un homme, quatre hommes par une femme, trois femmes par un homme et aucune femme par une femme.

37 L’impact des voix de préférence a eu pour effet tendanciel de rajeunir la fonction exécutive locale. Sur les 32 bourgmestres ayant dépassé leur colistier tête de liste, 25 étaient plus jeunes. Par ailleurs, dix bourgmestres sortant placés en tête de liste ont été battus par un colistier. Trois bourgmestres sortants non têtes de liste ont par contre regagné le maïorat grâce à leur score électoral personnel (deux sur trois occupaient la place stratégique de dernier de la liste).

Tableau 2

Bourgmestres non têtes de liste

Province Commune Nombre
de votes
valables
Parti du
bourgmestre
Nombre de votes en tête de liste
(liste du bourgmestre)
Nombre de voix de préférence
pour le bourgmestre
Position du
bourgmestre
dans la liste
Liège Awans
Bassenge
Clavier
Flémalle
Lierneux
Modave
Oreye
Ouffet
5 797
5 549
2 826
15 657
2 229
2 514
2 418
1 798
PS
CDH
IC
PS
Ensemble
PS
PS
EC
Capelle José 611
(bourgmestre sortant)
Sleypen Paul 842
Olivier Marc 389
Van Bouchaute Gilbert 2 116
(bourgmestre sortant)
Léonard Fabrice 541
Gaspard Bernadette 184
Hellings Freddy 582
Lardot Renée 388
Vrancken André 961
Piette Josly 895
Dubois Philippe 487
Simonis Isabelle 2 369
Samray Francis 593
Lambrette Jules 788
(bourgmestre sortant)
Albert Isabelle 595
Gielen Marc 532
(bourgmestre sortant)
3
19 (dernier)
3
29 (dernier)
13 (dernier)
13 (dernier)
2
6
Namur Cerfontaine
Doische
Gedinne
Gembloux
Mettet
Onhaye
Viroinval
3 116
1 944
3 164
14 136
7 831
2 171
3 875
MR-IC
LBDA-PS-
CDH
Gedinne 2006
Bailli
ICAP
ICO
POUR
Chaboteaux André 834
Belot Philippe 345
Nemry Philippe 655
Bauvin Marc 1 278
Delforges Yves 1 092
Cox Gérard 937
(bourgmestre sortant)
Delizée Jean-Marc 1 110
Bombled Christophe 929
Dricot André 533
(bourgmestre sortant)
Massinon Vincent 677
Dispa Benoît 2 201
Remy Eugène 1 123
Bastin Christophe 954
Buchet Bruno 1 112
3
11 (dernier)
3
3
21 (dernier)
13 (dernier)
17 (dernier)
figure im2
Hainaut Antoing
Binche
Farciennes
Fleurus
Le Roeulx
Lessines
Leuze-en-hainaut
Seneffe
Sivry-Rance
4 854
20 537
5 640
13 440
5 183
11 590
8 838
6 877
3 268
PS
PS
PS
PS
IC
PS
MR
PS
MIL
Dudant Didier 851
Arena Marie 2 916
Minsart Fabrice 1 130
(bourgmestre sortant)
Calet Pol 1 778
(bourgmestre sortant)
Delhove Emmanuel 901
Flament Jean-Michel 864
Renard Jean-Paul 1 108
(bourgmestre sortant)
Bouchez Philippe 1 451
(bourgmestre sortant)
Poucet Michel 602
Bauwens Bernard 1 143
Devin Laurent 3 830
Bayet Hugues 1 324
Borremans Jean-Luc 2 190
Friart Benoît 1 543
Degauque Jean-Marie 1 191
Rawart Lucien 1 215
Busquin Philippe 1 576
Galetier Jean-François 864
6
2
3
4
3
3
3
21 (dernier)
5
Brabant
wallon
Hélécine
Orp-Jauche
2 203
5 365
UC
PS
Claes Roland 469
Bawin Henri 665
Cloots Rudy 676
Ghenne Hughes 1 532
12 (avant-
dernier)
17 (avant-
dernier)
Luxembourg Durbuy
Herbeumont
Libin
Manhay
Tintigny
Wellin
7 053
1 015
3 271
2 197
2 447
2 038
CDH
UNION
Autrement
EC
EVA
IW
Mottet Jean-Marie 1 366
(bourgmestre sortant)
Guillaume Jean 383
(bourgmestre sortant)
Baijot Christian 436
Wilkin Gérard 600
Labranche Philippe 587
(bourgmestre sortant)
Closson Benoît 537
Bontemps Philippe 1 571
Mathelin Catherine 430
Laffut Anne 727
Wuidar Robert 769
Piedboeuf Benoît 692
Dermience Robert 569
3
2
2
5
5
11 (dernier)
figure im3

Bourgmestres non têtes de liste

2.1.2. De nouvelles stratégies d’alliance pré-électorale : cartels et bipolarisation

38 Par rapport aux élections d’octobre 2006, la réforme est intervenue relativement tard au regard des rythmes de préparation des alliances communales. Des ajustements de tactique politique ont donc été nécessaires. Fin 2005, le changement de type de scrutin a pu bouleverser des plans de campagne déjà établis. La perspective de décrocher le poste de bourgmestre constitue un enjeu majeur tant pour le candidat et son éventuelle carrière politique que pour le parti et son implantation. La réforme modifie les règles du jeu dans la vie politique locale et interfère donc dans les stratégies déjà mises au point. Elle ajoute de nouveaux éléments à considérer dans l’élaboration des stratégies partisanes et dans les négociations pré-électorales. Dans les communes où un parti est relativement faible, la tactique doit trancher entre deux attitudes dont l’une se base sur une présomption de réussite menant à une liste propre aux élections en espérant être le plus fort dans le futur pacte de majorité, et dont l’autre se base sur une présomption de faiblesse et mène à la construction d’un cartel pour que le poste de bourgmestre se joue plutôt au sein de la liste ainsi composée. En d’autres termes, au sein d’une même alliance majoritaire envisagée, les responsables politiques doivent choisir entre une confrontation directe au sein d’une même liste entre candidats bourgmestre et une confrontation indirecte en fonction du poids de chaque liste dans le cadre de la négociation d’un pacte de majorité. La contrainte du nouveau dispositif modifie les supputations antérieures et oblige les acteurs à anticiper les poids politiques espérés dans chaque commune.

39 L’élaboration de listes de cartel renvoie dans une certaine mesure à une stratégie de scrutin majoritaire dans un système par ailleurs proportionnel. Un bourgmestre sortant peut estimer qu’une liste de cartel d’un autre parti permettrait aux électeurs de se prononcer dans un contexte proche du second tour d’un scrutin majoritaire. En agissant de la sorte, c’est-à-dire en réduisant l’offre politique partisane pour l’électeur, les principales alliances sont connues dès la campagne et les négociations post-électorales sont limitées dans leurs effets.

40 En fonction des rapports de force, une bipolarisation peut être voulue ou crainte selon les acteurs. Entre les deux grands partis de la Région wallonne, la course à la séduction du parti tiers au niveau communal peut être justifiée par une mise en minorité prolongée face à un adversaire nettement dominant dans le temps. La volonté de créer un centre-gauche ou un centre-droit apparaît comme le paravent programmatique ou idéologique de la volonté de renverser une domination historique. Mais une alliance post-électorale peut se mettre en place si une liste commune n’a pas été déposée. La bipolarisation est, dans le cas communal wallon, tempérée par la représentativité assurée par le vote proportionnel. La lecture bipolaire permet de justifier des logiques d’alliance basées sur l’occupation des postes à responsabilité. Même si aucun des partis ne se présentait en cartel, certaines interprétations des alliances possibles en fonction des scores traditionnels se pensent automatiquement en termes de bipolarisation autour des deux grands partis. La dominante socialiste des anciennes communes industrielles ou la dominante libérale des banlieues aisées pousse à des stratégies de regroupement avant ou après l’élection en fonction de la probabilité estimée d’une représentation garantie au collège communal. La réforme du mode de désignation du bourgmestre ajoute un nouvel élément que les partis politiques sont amenés à prendre en considération dans l’élaboration de leur stratégie d’alliance.

41 En 2006, les nouvelles conditions d’accès à la fonction de bourgmestre ont modifié certaines coalitions déjà pensées, voire signées. On a enregistré dans plusieurs communes des annonces de changement de stratégie électorale. Au lendemain du vote du décret, certains partis tiers se sont vus dans une position telle qu’ils pouvaient espérer décrocher le maïorat grâce à un champion de voix qui, en s’associant à un autre grand parti, espérait faire basculer la majorité et emporter le poste de bourgmestre. Dans la commune de Fléron, à la veille des élections de 2006, le CDH et le MR se sont par exemple alliés contre le PS (liste IC). Cette nouvelle alliance constituait pour le CDH une stratégie pré-électorale visant à maximiser ses chances d’atteindre ses ambitions maïorales. Associé au PS, et sans faire de liste commune avec ce parti, les chances d’obtenir le poste de bourgmestre étaient peu élevées en raison du score présumé de la liste socialiste dans cette commune. L’obligation de tenir compte des voix de préférence a ainsi modifié nombre de coalitions pensées dans le contexte de la domination de la coalition par le parti qui amenait le plus d’élus.

42 On découvre à ce sujet plusieurs tactiques utilisées par les bourgmestres sortants ou par les candidats bourgmestre. Certains ont ainsi renoncé à des cartels potentiellement majoritaires, mais dans lesquels ils risquaient de faire face à des candidats susceptibles d’emporter plus de voix de préférence. D’autres ont constitué des alliances parce qu’ils estimaient qu’ils pouvaient bénéficier de l’apport électoral d’un partenaire tout en ayant des garanties pour un accès aisé au poste de bourgmestre en raison de la faiblesse des autres candidats individuels du cartel (par exemple à Aywaille). À l’intérieur même des partis, la compétition est devenue plus féroce et a mobilisé plus qu’auparavant les candidats en campagne qui, soit se sont sentis menacés, soit ont senti une possibilité d’accéder à la magistrature communale suprême. Les nouvelles modalités de désignation du bourgmestre ont ainsi pu entraîner une augmentation de l’engagement individuel des candidats au détriment de la logique collective du parti (par exemple à Bassenge ou à Flémalle).

43 En raison du caractère tardif de la réforme du CDLD par rapport au scrutin d’octobre 2006, il n’est pas encore possible de tirer des enseignements clairs des données agrégées au niveau de la Région wallonne en matière de cartellisation et de bipolarisation. On peut toutefois noter qu’en 2000, il y avait 1 080 listes présentées dans les 262 communes wallonnes. En 2006, ce nombre était de 1 031. Cela représente une diminution de 49 listes, soit 4,5 %. Sur la base des analyses qualitatives des stratégies d’alliance et des campagnes électorales, il est possible de poser l’hypothèse que des mécanismes d’apprentissage vont conduire à amplifier ce phénomène de bipolarisation.

2.1.3. La personnalisation « amène des voix »

44 Si d’un côté certains essayent d’insuffler une dynamique de scrutin majoritaire, d’autres pratiquent la personnalisation de la campagne comme dans un système d’élection directe. Dans certaines communes, tous les candidats de listes participant à la majorité ont fait campagne pour le bourgmestre sortant ; les partis, cherchant l’efficacité, voulaient une majorité absolue et aucun second n’apparaissait pour concurrencer le sortant. Si l’électeur votait pour cette liste, cela devait favoriser in fine le candidat bourgmestre. Le résultat attendu a parfois été au rendez-vous, si l’on se base sur la comparaison des scores individuels obtenus aux élections communales de 2006 avec ceux obtenus à d’autres élections. Le recours au vote personnalisé s’est révélé beaucoup plus intense. Dans le contexte de cette quête de voix de préférence, l’évolution des scores individuels a donné l’impression à plusieurs élus que leurs électeurs provenaient d’autres partis et qu’ils ont modifié des votes précédemment acquis à d’autres listes.

45 Plusieurs facteurs ont donc joué en faveur d’une personnalisation. Tout d’abord, traditionnellement, les votes personnels sont plus nombreux lors d’élections locales que lors d’autres scrutins puisque la question cruciale de la gestion quotidienne de la commune pour six ans est un enjeu visible et tangible qui s’incarne dans la figure du bourgmestre. Ensuite, nous venons de le voir, les bourgmestres sortants ont développé des stratégies renforçant le vote nominatif. La personnalisation de la campagne et la polarisation au sein de la liste ont amené les électeurs à marquer une préférence individuelle. Dans certains cas, le bourgmestre désigné estime avoir amené des électeurs sur son nom puisqu’il n’était pas soutenu à l’intérieur du parti. Ces voix viennent alors de réseaux personnels, associatifs, syndicaux, relationnels. Ces bourgmestres ont profité du système mis en place pour la désignation du bourgmestre en maximisant les opportunités offertes par le nouveau système. Il s’agit de candidats, soit qui étaient considérés comme secondaires pour le parti, mais dont la popularité a été révélée, soit qui ont créé, à l’occasion d’un scrutin plus personnalisé, une occasion de s’imposer dans, voire contre, la logique interne du parti. Dans ces cas, la désignation quasi-automatique du bourgmestre a été considérée en quelque sorte comme un embryon d’élection directe.

46 À l’intérieur des listes les plus importantes, l’enjeu maïoral semble être dans les mains des électeurs, alors qu’auparavant il était dans les mains des décideurs du parti. Dans la continuité de cette logique de choix électoral, certains partis avaient décidé de désigner les échevins en fonction des scores individuels. Dans ces cas précis, cette personnalisation a provoqué un résultat en nette hausse pour les candidats (par exemple à Bassenge, Flémalle ou Chaudfontaine). L’annonce des effets de vote a provoqué une personnalisation du vote : l’électeur s’est adapté au système électoral.

47 À la lumière du scrutin de 2006, il semble assuré que la désignation quasi-automatique du bourgmestre a porté l’attention et le vote des électeurs sur les personnalités. Mais affirmer que le pouvoir est dans les mains de l’électeur paraît une thèse trop audacieuse. En lui donnant un poids spécifique pour la désignation du bourgmestre, la réforme du CDLD a contribué à accélérer la croissance du vote nominatif [24]. Le système tend à favoriser les candidats connus des électeurs, à savoir, dans la plupart des cas, les bourgmestres sortants eux-mêmes. Plusieurs bourgmestres interrogés s’approprient d’ailleurs cette analyse à la lumière de leur expérience personnelle de campagne (par exemple Willy Demeyer à Liège, Philippe Dodrimont à Aywaille ou Daniel Bacquelaine à Chaudfontaine). Les candidats saillants, ceux qui sont repérables par un nombre suffisant d’électeurs, deviennent les acteurs privilégiés capables de dépasser la tête de liste (par exemple, Josly Piette à Bassenge ou Isabelle Simonis à Flémalle).

2.1.4. Leadership et règlement des différends au sein d’une liste

48 Le problème du leadership au sein d’une liste se pose de manière généralement plus aigüe lorsque le parti est en situation de monopole d’accès au maïorat, c’est-à-dire dans des communes à majorité absolue de longue durée. Dans une liste qui est persuadée d’obtenir la majorité absolue, beaucoup de candidats rêvent d’être à tout le moins échevin, surtout là où certains partis locaux avaient décidé d’attribuer les places en fonction des scores individuels.

49 Le travail politique de constitution de listes, que ce soit dans le cadre d’un parti, d’une liste locale ou d’un cartel entre des listes auparavant autonomes pose des problèmes d’équilibre à plusieurs dimensions, étant donné la limitation du nombre de places. Il faut tenir compte en premier lieu des échevins et des conseillers communaux sortants. Les listes ont pour objectif de présenter des candidats crédibles et représentatifs, les plus susceptibles d’attirer le vote des électeurs. Le dosage doit être subtil entre les sortants, la notoriété des échevins, les anciennes communes (avant fusion), l’équilibre des sexes, les sphères d’activité, des rivalités locales ancrées dans la tradition, la présence de diverses générations. D’autres encore font le choix de faire une liste d’ouverture en laissant des places sur la liste à des personnalités de la vie associative locale tout en sachant qu’il n’est pas facile de refuser ainsi des places à des militants du parti.

50 Une fois la sélection des candidats effectuée et l’ordre des candidats de la liste décidé, c’est donc l’électeur qui intervient dans le choix du bourgmestre. Néanmoins, nombre de membres des appareils de parti estiment que c’est le parti qui est le plus qualifié pour choisir le candidat bourgmestre et le placer en tête de liste. L’octroi de la première place constitue une ressource pour le parti et un atout pour le candidat, notamment en termes de visibilité. C’est le plus souvent le premier de la liste qui est interrogé par les médias, qui prend la parole lors des présentations et débats de campagne. Politiquement et psychologiquement, pour les candidats et pour les électeurs, la deuxième et la dernière places sont également stratégiques. Le rôle et le poids du parti restent donc importants.

51 Dans certains cas, le nouveau système peut faciliter le travail des partis. En effet, au lieu de trancher un différend entre deux candidats, les instances locales ou les instances supérieures peuvent décider de laisser aux électeurs le soin de choisir. Pour les dirigeants, sinon pour les candidats, s’en remettre aux électeurs représente une manière de diminuer la tension interne dans la phase préparatoire des élections. Afin d’éviter ou d’apaiser des luttes intestines, certains partis locaux ont ainsi préféré que le mode de désignation des échevins soit aligné sur celui du bourgmestre. En conséquence du glissement de responsabilité opéré par le décret, les candidats vont chercher à se positionner pendant la campagne. Ils vont développer des stratégies personnelles parallèlement à celle du parti ou de la liste. Une bipolarisation est parfois apparue au sein de la liste, par exemple entre le front uni des échevins sortants d’un côté et un opposant interne de l’autre. Les électeurs ont alors été amenés à départager une version traditionnelle d’un parti dominant et sa version modernisée en faveur d’un renversement des rapports de pouvoir internes.

2.1.5. Problèmes spécifiques liés au nouveau système

La dévolution des votes en case de tête et la désignation du bourgmestre

52 L’importance accordée aux voix de préférence dans la désignation du bourgmestre au détriment des votes en case de tête relance la tension entre les partisans d’une démocratie de partis et les partisans d’une démocratie du public. Dans certaines communes, les électeurs traditionnels des partis de masse ont encore l’habitude de voter en case de tête. La signification habituellement donnée à ce vote est que l’électeur fait ainsi confiance au parti et à l’ordre de la liste qu’il propose. Ce vote en case de tête n’est par contre, par définition, jamais pris en compte pour le décompte des voix de préférence. Puisque dans le cadre du nouveau système, les votes en case de tête ne s’ajoutent pas au score électoral du candidat-bourgmestre proposé par le parti, en votant en case de tête, les électeurs laissent non plus au parti mais aux autres électeurs le soin de choisir qui sera le bourgmestre [25]. La technique actuelle est complexe et pas nécessairement comprise par l’électeur. Le vote en case de tête intervient pour la désignation des titulaires des sièges [26] ; par contre, seuls les votes nominatifs sont pris en compte pour l’identification de la personne la plus populaire de la liste et pour l’ordre des suppléants [27].

53 La résistance au changement, la tradition, les habitudes expliquent cette difficulté pédagogique. C’est donc de la responsabilité des candidats de faire un travail d’explication avant, pendant et après les élections. La dynamique au sein des partis et des listes est appelée à changer, de nouvelles stratégies se développent au niveau des états-majors. Introduire une nouvelle règle qui permettrait de tenir compte des votes en case de tête pour désigner le bourgmestre reviendrait à annihiler les changements voulus par le Parlement wallon. Celui-ci a bien compris les difficultés liées au maintien partiel de l’effet dévolutif de la case de tête. En fait, le législateur wallon a notamment maintenu la dévolution pour promouvoir l’élection de femmes au sein des conseils communaux (32 % des élus et 9 % des bourgmestres après les élections de 2006 [28]). Afin d’éviter les confusions dont nous venons de parler pour la désignation quasi-automatique du bourgmestre, le changement pourrait consister à supprimer, à terme, l’effet dévolutif de la case de tête. D’autant que les votes en case de tête diminuent puisque leur légitimité et leur utilité diminuent [29].

Le remplacement du bourgmestre empêché

54 Comment désigner le remplaçant du maïeur en cas d’empêchement ? Le décret a tranché, il s’agit de la personne désignée par le bourgmestre en titre. La liberté laissée au bourgmestre ressort du principe de gouvernabilité et non du principe de représentativité, assurant une continuité entre le dirigeant empêché et son remplaçant. Le maïeur peut donc désigner seul son suppléant. Il ne choisit pas nécessairement le deuxième mieux élu de la liste mais un autre élu qui peut avoir fait un score inférieur. Le législateur wallon, par cette disposition controversée, souhaite en effet éviter qu’une rivalité apparaisse entre les deux bourgmestres et crée des blocages [30].

2.1.6. Du bilan aux premiers ajustements

55 La différence majeure apportée par le nouveau dispositif réside dans la clarté des critères de sélection des candidats à des mandats exécutifs pour les électeurs. Le système précédent était caractérisé par une zone d’incertitude, une opacité qui donnait la main aux instances des partis. Le glissement ou la superposition des modes de régimes représentatifs repérés par Bernard Manin est donc complet de ce point de vue [31].

56 Il faut toutefois noter que pour régler la situation exceptionnelle de la ville de Charleroi, une réforme du système fut adoptée en 2007 afin d’ouvrir la possibilité de déroger à la règle générale en cas de démission collective du collège communal (décret du 27 juin 2007 modifiant les paragraphes L1123-4 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation [32]). Un paragraphe supplémentaire est ajouté à l’article L-1123-1 du CDLD afin de permettre la désignation d’un bourgmestre indépendamment de son score électoral et y compris en dehors du conseil :

57

« § 5. Si, en cours de législature, tous les membres du collège démissionnent, le pacte de majorité est considéré comme rompu.
Un nouveau projet de pacte doit être déposé entre les mains du secrétaire communal dans les trente jours de l’acceptation par le conseil communal de la démission du dernier des membres du collège communal visé à l’alinéa précédent. Le bourgmestre est le conseiller de nationalité belge issu d’un des groupes politiques qui sont parties au pacte de majorité et dont l’identité est reprise dans le nouveau pacte de majorité.
Le bourgmestre peut également être désigné hors conseil. (…) »

58 Celle réforme s’oppose au principe fondamental du nouveau décret et vise à régler les situations dans lesquelles la désignation quasi-automatique du bourgmestre conduit à une impasse politique, le bourgmestre ainsi désigné ne pouvant obtenir la confiance d’une majorité, ou aucune majorité n’étant politiquement ou arithmétiquement envisageable. Ce dispositif n’a jusqu’ici été appliqué qu’une fois, à Charleroi.

59 Face aux divers constats tirés, Paul Furlan (PS), ministre wallon des Pouvoirs locaux et de la Ville, a annoncé lors du salon des mandataires, le 11 février 2010, qu’il voulait évaluer le nouveau système de désignation du bourgmestre sur certains points. Le principe de désignation quasi-automatique ne semble pas remis en cause. En ce qui concerne « le candidat plébiscité qui, renonçant à devenir bourgmestre, se voyait interdit d’échevinat ou de présidence du CPAS » [33], le ministre Furlan charge un groupe de travail d’y réfléchir. Plusieurs problèmes retiennent principalement l’attention du gouvernement : l’intérêt de ce champion de voix pour une matière autre que le maïorat, la volonté de cet élu de préparer un successeur, la maladie du bourgmestre et les incompatibilités professionnelles. La difficulté de la prise en compte de ces cas de figure qui ouvriraient des exceptions à la règle générale réside dans le risque de manipulations, d’abus ou de pressions politiques qui viseraient à contourner le choix des électeurs.

2.2. LES MOTIONS DE MÉFIANCE CONSTRUCTIVE INDIVIDUELLES : CONTINUITÉ OU FLEXIBILITÉ ?

60 Plusieurs auteurs attendaient cette réforme, qui fut introduite par la Région face à une situation souvent dénoncée dans le passé [34]. Il arrivait en effet que certains échevins, en désaccord avec le collège, siègent sans compétence. Une fois en place, en effet, le collège désigné n’était pas contrôlé en cours de mandat par le conseil communal, qui se trouvait donc impuissant face à la liberté d’agir dont jouissait l’exécutif. Dans le cas de l’écartement d’un seul échevin, la pratique des majorités en place consistait à retirer toute compétence à l’échevin mis en cause. Celui-ci conservait le droit de siéger au collège. Le mécanisme de la motion de méfiance vise à trouver un équilibre entre continuité de la gestion communale et flexibilité institutionnelle lorsqu’un membre du collège n’a plus la confiance du conseil. Dans ce cas, on voit que l’équilibre entre continuité dans la gestion des affaires et représentativité est maintenu. Le nouvel échevin permettra la poursuite de la gestion en même temps qu’il garantit une représentativité renouvelée au collège.

61 La motion de méfiance individuelle a été d’application immédiate pour les échevins dès le début 2006 [35]. Ce mécanisme fut rapidement utilisé à l’encontre de certains membres de collège. Quatre motions ont ainsi été déposées avant les élections communales d’octobre 2006 : à Malmedy, Charleroi, Sambreville et La Louvière. Trois nouvelles motions ont été présentées depuis les dernières élections dans les communes de Virton, Seneffe et Rouvroy. Celles-ci illustrent de manière intéressante l’application d’un même outil politique dans des contextes différents :

62

  • Virton : commune gérée par le PS et le CDH qui a vu la présidente socialiste du CPAS écartée par les conseillers communaux, officiellement pour deux raisons qui révèlent des dissensions partisanes internes. Sont pointés son manque de présence au CPAS et son incapacité à construire et à présenter son budget ;
  • Seneffe : dans une majorité PS-CDH, un échevin socialiste impliqué dans une « affaire » et pourtant blanchi par la justice a fait l’objet du dépôt d’une motion. Le jour du conseil communal, les membres de son parti ayant signé le dépôt de motion sont en majeure partie absents. La motion a donc été rejetée ;
  • Rouvroy : autour d’un projet de centre sportif et culturel, les désaccords entre les membres de la majorité (Entente communale) ont conduit à l’adoption de plusieurs motions. Ces motions, conjuguées avec la démission de mandataires et avec l’absence de suppléants, ont fait apparaître certaines limites du système actuel [36].

63 Une problématique qui a rapidement émergé est celle des motivations qui conduisent à écarter un mandataire et des moyens de défense de celui-ci. Les jugements politiques sur l’action d’une personnalité sont parfois inséparables de la personnalité elle-même. Ce n’est parfois pas tant l’action de l’échevin qui est en cause qu’un comportement personnel. Dans le cas de l’inculpation d’un mandataire, par exemple, la confiance entre les partenaires peut être remise en cause et motiver le dépôt d’une motion [37]. Cette question a été portée devant la Cour constitutionnelle. Celle-ci a ainsi eu l’occasion de rappeler le caractère politique de la motion, ce qui justifie notamment l’impossibilité pour un échevin de se faire assister par un avocat au cours d’un débat sur une motion de méfiance :

64

« La motion de méfiance constructive réglée par le CDLD est un instrument qui permet au conseil communal d’exercer sa compétence de contrôle politique à l’égard du collège communal ou à l’égard d’échevins à titre individuel. Le débat qui est mené à l’occasion d’une telle motion est, de par sa nature, axé sur la question de savoir si l’organe élu démocratiquement entend ou non maintenir sa confiance à l’organe exécutif ou à un membre de cet organe et suppose que celui qui porte une responsabilité politique se justifie en personne devant l’organe élu démocratiquement, même lorsque la question de confiance est dictée par son comportement personnel » [38].

65 Un point spécifique pose des difficultés auxquelles le gouvernement wallon a annoncé vouloir apporter une réponse : le responsable politique démis de ses fonctions au sein du collège communal ne perd pas les mandats dérivés détenus dans d’autres structures paracommunales. Seule sa démission le prive de ces mandats. Il serait logique que les mandats dérivés de la fonction d’échevin suivent la personne investie des nouvelles fonctions. Dans certains cas en effet, ces mandats conditionnent la cohérence et l’efficacité de l’action scabinale.

2.3. LES MOTIONS DE MÉFIANCE CONSTRUCTIVE COLLECTIVES : ÉQUILIBRE OU INSTABILITÉ ?

66 Le dispositif de la motion de confiance collective créé en 1980 pour les régions et les communautés, existe, comme on l’a signalé, depuis 1993 au niveau fédéral. Au niveau local, ce dispositif permet un basculement de majorité rendu nécessaire par le fait que, si une dissension durable s’installe entre l’ensemble de l’exécutif et l’assemblée élue, c’est l’action de la commune pour plusieurs années qui est mise en péril. Il est à noter qu’au niveau régional, communautaire et fédéral, même si ce système de motion existe depuis plusieurs années, il n’a jamais été utilisé [39], signe que l’existence d’un dispositif n’induit pas nécessairement son utilisation et que la menace d’instabilité permanente que certains pouvaient craindre ne s’est pas vérifiée à ces niveaux. Le principe du changement potentiel suffit dans bien des cas pour ramener à l’ordre des exécutifs qui pourraient, sinon, être tentés de s’écarter des désirs de leur majorité élue. Inversement, les supputations sur les soutiens que pourrait obtenir une motion de méfiance peuvent suffire pour souder autour d’un exécutif des élus insatisfaits sur tel ou tel point qui leur semble important, mais qui est mineur aux yeux d’autres élus.

67 Ce dispositif a été activé jusqu’à présent dans dix communes durant la mandature 2006-2012 [40] : Malmedy (29 août 2008), Sombreffe (31 octobre 2008), Rouvroy (8 décembre 2008), Huy (23 mars 2009), Gesves (4 mai 2009), Florennes (16 octobre 2009), Limbourg (3 novembre 2009), Gerpinnes (7 janvier 2010), Fléron (22 avril 2010) et Ans (28 mars 2011).

68 L’examen de ces motions et des changements de pacte de majorité qu’elles ont induits permet de tirer plusieurs constats. Sur les dix motions de méfiance constructives, cinq seulement ont conduit à un changement de bourgmestre. D’un point de vue individuel, ces cinq nouveaux bourgmestres ont tous des scores électoraux personnels inférieurs au bourgmestre en titre auquel ils succèdent. Du point de vue des groupes politiques, dans sept cas sur dix, le parti majoritaire du nouveau pacte de majorité ne change pas. Dans deux cas, il a moins de voix que le parti majoritaire précédent (Florennes et Fléron). Dans un cas, il a plus de voix (mais le nouveau bourgmestre a par contre moins de voix de préférence que le champion en voix de la liste concurrente passant à l’opposition) (Malmedy).

69 Lors de l’adoption du dispositif, le débat a notamment porté sur l’instabilité des paysages politiques locaux qu’il entraînerait, ainsi que sur les modifications des rapports de force entre les partis en cours de mandature.

70 Au total, dix motions ont été déposées en deux ans et demi. Afin d’en mesurer l’impact politique, ce nombre doit être rapporté aux 262 communes wallonnes potentiellement concernées, ce qui correspond à 3,8 % des communes ayant connu un renversement de majorité. Ces motions ont provoqué le remplacement de cinq bourgmestres, sans nouvelles élections. Ce type de changement est intervenu dans les communes de Malmedy, Huy, Florennes, Fléron et Ans.

71 Sans tenir compte de la commune de Rouvroy où la situation politique est particulièrement instable, nous avons calculé un résumé des gains, des pertes ou du statu quo pour chaque parti. Le différentiel a été calculé en tenant compte de l’ensemble de la dynamique créée par le dépôt d’une motion qui redistribue les cartes au sein des institutions communales.

72 À un niveau global, un premier constat s’impose. Le PS et le MR, les deux partis qui dominent le paysage politique wallon, tirent globalement profit de la redistribution en entrant dans quatre majorités et en sortant de deux (+ 2). Écolo entre dans une majorité, mais sort de deux (- 1). Le CDH connaît un statu quo même s’il sort de trois majorités contre deux pour les trois autres partis. Au total, à la suite des dix motions adoptées, les nouvelles majorités recomposées intègrent davantage de partis (douze partis ou cartels entrent dans une majorité, neuf partis ou cartels sortent d’une majorité [41]). Nous devons toutefois insister sur la nécessaire précaution à prendre lorsque l’on travaille sur des dynamiques locales. En effet, les compositions politiques au niveau municipal ne se réduisent pas à ces quatre partis « traditionnels ».

Tableau 3

Les motions de méfiance collective

Commune et date de la motion
de méfiance collective
Groupes politiques du pacte de majorité (décembre 2006) et
opposition
Groupes politiques du nouveau pacte de majorité et opposition
Malmedy
29 août 2008
Majorité : 4 Forces vives (tendance indépendant, 1 519 voix) + 6 Alternatives (tendance CDH – Écolo, 2 040 voix) + 1 PS (716 voix)
Opposition : 10 Entente communale-MR (3 368 voix)
Bourgmestre : Jean-Paul Bastin (1 350 voix)
Majorité : 4 Forces vives (tendance indépendant) + 10 Entente communale-MR
Opposition : 6 Alternatives (tendance CDH-Écolo), 1 PS
Bourgmestre : André Denis (1 329 voix)
Sombreffe
31 octobre 2008
Majorité : 9 IC (tendance CDH)-Ldb (2 088 voix) + 2 Écolo (590 voix)
Opposition : 6 PS (1 389 voix), 2 MR (673 voix)
Bourgmestre : Étienne Bertrand (1 483 voix)
Majorité : 9 IC (tendance CDH)-Ldb + 6 PS
Opposition : 2 MR, 2 Écolo
Bourgmestre : Étienne Bertrand (1 483 voix)
Rouvroy
8 décembre 2008
Majorité : 6 Entente communale (840 voix)
Opposition : 3 RMG (482 voix)
Bourgmestre : Stéphane Herbeuval (607 voix)
Majorité : 6 Entente communale + 3 RMG
Bourgmestre : Stéphane Herbeuval (607 voix) [42]
Huy
23 mars 2009
Majorité : 13 PS (6 066 voix) + 3 MR (1 979 voix)
Opposition : 11 Ensemble (tendance Écolo-CDH-Indépendants, 4 964 voix)
Bourgmestre : Anne-Marie Lizin (3 389 voix)
Majorité : 13 PS + 11 Ensemble (Écolo-CDH-Indépendants)
Opposition : 3 MR
Bourgmestre : Micheline Toussaint (1 116 voix)
figure im4
Gesves
4 mai 2009
Majorité : 7 GEM (tendance MR, 1 432 voix) +4 ICG (tendance CDH, 1 018 voix))
Opposition : 1 Écolo (420 voix), 5 LDB (tendance PS, 1 103 voix))
Bourgmestre : José Paulet (1 203 voix)
Majorité : 7GEM (tendance MR) + 5LDB (tendance PS)
Opposition : 4 ICG (tendance CDH), 1 Écolo
Bourgmestre : José Paulet (1 203 voix)
Florennes
16 octobre 2009
Majorité : 9 Contact21 (tendance CDH, 2 646 voix) + 1 Écolo (783 voix)
Opposition : 8 U11C (tendance MR, 2 505 voix), 3 ED (tendance PS, 1 260 voix)
Bourgmestre : Stéphane Lasseaux (1 497 voix)
Majorité : 3 ED (tendance PS) + 8 U11C (tendance MR) + 1 Écolo
Opposition : 9 Contact21 (tendance CDH)
Bourgmestre : Pierre Helson (1 152 voix)
Limbourg
3 novembre 2009
Majorité : 9 PS (1 705 voix)
Opposition : 1 MR-IC (456 voix), 4 Union-CDH (829 voix), 3 Écolo (642 voix)
Bourgmestre : Jean-Marie Reinertz (961 voix)
Majorité : 9 PS + 1 MR-IC
Opposition : 4 Union-CDH, 3 Écolo
Bourgmestre : Jean-Marie Reinertz (961 voix)
Gerpinnes
7 janvier 2010
Majorité : 10 CDH (3 234 voix) + 4 MR (1 625 voix)
Opposition : 8 Plus (tendance PS, 2 823 voix), 1 AC (569 voix)
Bourgmestre : Philippe Busine
Majorité : 10 CDH + 8 Plus (tendance PS)
Opposition : 4 MR, 1 AC
Bourgmestre : Philippe Busine
Fléron
22 avril 2010
Majorité : 12 PS (4 338 voix) + 2 Écolo (1 007 voix)
Opposition : 11 IC (MR-CDH-indépendant, 4 012 voix)
Bourgmestre : Linda Musin (2 113 voix)
Majorité : 11 IC (MR-CDH-indépendant) + 2 Écolo
Opposition : 12 PS
Bourgmestre : Roger Lespagnard (1 348 voix)
Ans
28 mars 2011
Majorité : 19 PS (9 132 voix) + 4 MR (3 196 voix)
Opposition : 2 CDH (1 470 voix), 2 Écolo (1 600 voix), 2 RCA (1 567 voix)
Bourgmestre empêché : Michel Daerden (4 150 voix)
Bourgmestre faisant fonction : Yves Parthoens (1 159 voix)
Majorité : 12 PS + 4 MR + 2 CDH + 2 RCA
Opposition : 7 PS, 2 Écolo
Bourgmestre : Stéphane Moureau (2 031 voix)
figure im5

Les motions de méfiance collective

Tableau 4

Impact des motions sur la participation des partis dans les exécutifs locaux

Parti
(ou tendance)
Entre dans une
majorité suite à
une mmc
(1)
Reste dans une
majorité suite à
une mmc
(2)
Sort d’une
majorité suite à
une mmc
(3)
Différence entre
les flux sortants
et entrants
(1)- (3)
PS
MR
Écolo
CDH
4
4
1
3
3
2
2
2
2
2
2
3
+2
+2
- 1
0
figure im6

Impact des motions sur la participation des partis dans les exécutifs locaux

73 Au vu de ces modifications au sein des majorités communales, on pourrait penser que le décret a assoupli le système. Ce point de vue doit être nuancé au niveau du conseiller communal, à la lecture de l’article L1123-1,§ 1er du CDLD : « Le ou les conseillers élus sur une même liste lors des élections constituent un groupe politique dont la dénomination est celle de ladite liste. » Le conseiller communal est donc depuis la réforme lié pour toute la durée de la législature à son groupe politique. En cas de démission, le conseiller perd ses mandats. Par ailleurs, même s’il se déclare rattaché à un autre parti (transfuge) ou indépendant, il sera toujours considéré comme appartenant à son groupe et il ne pourra donc pas signer un nouveau pacte de majorité comme membre d’un autre groupe politique [43]. On peut donc considérer que les dispositions qui consistent à ne plus permettre aux élus d’une liste de s’en départir figent les élus dans leur groupe. Ce constat révèle que le pouvoir des partis, ou des groupes politiques selon les termes du décret, sort renforcé. En effet, seuls les partis, c’est-à-dire les ensembles formés par les élus d’une liste, peuvent décider des renversements de pacte de majorité dans les communes. Alors que, sur d’autres plans, le décret introduit un dépassement de la démocratie de partis en faveur de la démocratie du public, la logique partisane locale s’impose ici de façon univoque. Tout est cadenassé pour les élus, alors que l’on sait que les électeurs sont plus sensibles aux personnalités et que les motivations idéologiques ou programmatiques sont moins présentes dans les scrutins locaux que dans les scrutins régionaux ou fédéraux.

74 A contrario, ceci peut être perçu comme une cause d’instabilité, liée à des effets d’attraction d’une personnalité ou à des accords davantage relationnels qu’institutionnels qui rendent la gestion municipale difficile à planifier et menacent la continuité des actions entreprises. Le nouveau système veut vraisemblablement créer plus de stabilité et forcer les candidats à réfléchir à leur engagement, mais il fige pour six années les rapports de force entre les formations politiques et non plus entre les conseillers communaux. La liberté d’action de l’élu, consubstantielle à la genèse des régimes représentatifs d’après Bernard Manin, avait été sauvegardée malgré l’émergence de la démocratie de partis. Paradoxalement, dans un appareil décrétal destiné à amoindrir les pesanteurs estimées excessives de l’action collective, l’action individuelle est limitée à un endroit sensible du système de contrôle de l’exécutif par les membres de l’assemblé élue.

75 L’analyse de la motion de méfiance collective déposée et votée à Ans permet pourtant de relativiser cette dernière considération. La notion de groupe politique ne s’est pas révélée dans ce cas un élément stabilisateur. À Ans, c’est le PS en tant que groupe politique majoritaire qui s’est divisé, entre pro et anti-Daerden, bourgmestre empêché. C’est le sous-groupe le plus important du parti majoritaire qui a créé le changement politique à Ans. La motion a été portée par une partie majoritaire du groupe majoritaire contre une frange minoritaire de ce dernier. Une minorité de conseillers du groupe politique socialiste est donc désormais dans l’opposition.

76 Cette « fronde » est le résultat du remplacement opéré par Michel Daerden en juin 2010 de Stéphane Moreau par Yves Parthoens comme bourgmestre faisant fonction, remplacement contesté au sein même du PS ansois.

77 Il s’agit de la première motion qui vise un bourgmestre empêché. Cette particularité constitue l’objet du recours en annulation introduit par deux ex-échevins et l’ex-président du CPAS (par ailleurs frère du bourgmestre empêché, Jean-Louis Daerden) auprès du ministre Furlan : cette motion est contestée dans sa légalité parce qu’elle touche un bourgmestre empêché et donc non membre du collège, mais bien du conseil.

78 Indépendamment des motions déposées depuis août 2008, et dès l’évaluation du CDLD menée au Parlement wallon en 2007, un aménagement du décret a été discuté [44]. Des critiques opposées ont depuis lors été formulées. Certains souhaitent restreindre, voire supprimer le mécanisme. Le CDH estime, par exemple, depuis l’automne 2009, que la motion de méfiance collective « menace la stabilité du paysage politique communal en Wallonie » [45]. Cette prise de position correspond au moment où le CDH venait d’être mis à l’écart par une motion dans la commune de Florennes.

79 D’autres au contraire souhaitent augmenter la portée du mécanisme. Les périodes pendant lesquelles ce type de motion ne peut pas être déposé ont notamment été jugées trop longues par plusieurs observateurs. Elles représentent la moitié de la durée de la mandature. En outre, le décret stipule qu’aucune motion de méfiance collective ne peut être adoptée durant l’année qui suit le renvoi du collège précédent. Ceci réduit encore la période au cours de laquelle peut être déposée une motion de méfiance, qui est ainsi ramenée à deux ans, au plus, si la première motion de méfiance est adoptée avant le 30 juin de l’année qui précède celle qui précède les élections. Une piste évoquée de réforme consisterait à limiter la participation d’un même groupe politique à deux majorités maximum (pendant le même mandat) [46]. On pourrait par ailleurs s’inquiéter de voir une majorité devoir se supporter au cours des 18 premiers mois de mandature si la mise en œuvre de la cohabitation se révèle plus complexe que prévu : la première période pourrait être réduite dans cette perspective. La prise au sérieux de l’engagement politique et de ses conséquences est avancée ici pour limiter la faculté de défaire et refaire des majorités.

2.4. LES RELATIONS ENTRE CPAS ET COMMUNE : CONCURRENCE OU COOPÉRATION ?

2.4.1. Le mode de désignation du président

80 Depuis l’entrée en vigueur du nouveau décret, le président du CPAS est proposé au conseil communal en même temps que les membres du collège communal. Il s’agit en fait du président pressenti, car celui-ci doit ensuite être désigné par le conseil communal parmi les personnes présentées en tant que conseillers de l’action sociale. Cette première étape pose deux difficultés. Tout d’abord, le président est d’une certaine manière élu parmi les membres du conseil de l’action sociale avant que les conseillers communaux aient désigné les membres de ce même conseil. Cette anticipation reflète la volonté du législateur wallon de créer du lien entre les deux institutions, mais il dénote aussi l’existence d’un nouveau lien hiérarchique entre le président du CPAS et le conseil. Le président du CPAS est d’abord redevable devant les conseillers communaux qui l’ont désigné. Alors qu’il assume la gestion politique de son institution avec les membres du conseil de l’action sociale, c’est devant les conseillers communaux qu’il doit répondre de son action.

81 Une enquête menée par la Fédération des CPAS de l’Union des villes et des communes de Wallonie (UVCW) [47] auprès des présidents et secrétaires du CPAS propose une première évaluation de cette réforme. Elle a notamment porté sur l’impact ressenti de la désignation du président du CPAS au travers du pacte de majorité (et non plus par ses pairs). 62 % des répondants estimaient qu’il s’agissait d’une avancée, 30 % que cela n’avait pas eu d’effet et seulement 7 % qu’il s’agissait d’un recul. Les autres répondants étaient sans avis.

82 Les réponses apportées ont étonné l’UVCW. La nouvelle disposition ne semble donc pas rendre le président illégitime aux yeux de ses pairs, contrairement à certaines appréhensions formulées avant la réforme. En réalité, il apparaît que la réforme est plus importante sur le plan formel que sur celui des pratiques politiques. Précédemment, même s’il était formellement désigné par ses pairs du conseil de l’action sociale, le président était déjà pressenti par la majorité communale qui désignait les membres du conseil. Le système actuel a donc pour principal effet de clarifier une procédure déjà largement d’application dans les faits.

2.4.2. L’intégration du président du CPAS au sein du conseil et du collège

83 En investissant le président du CPAS d’un rôle au sein du collège communal, le législateur a exprimé sa volonté de resserrer les liens entre la commune et le CPAS [48]. Cette disposition vise la mise en place de synergies en ce qui concerne les moyens humains, informatiques et dans une moindre mesure financiers. Dans sa volonté de rapprocher les deux institutions, le législateur wallon a aussi décidé que le président siègerait avec voix consultative au conseil communal [49]. Le CDLD autorise aussi le bourgmestre à présider le conseil de l’action sociale, mais avec voix uniquement consultative.

84 En ce qui concerne la participation du président du CPAS aux réunions du collège communal, il est intéressant de noter qu’il existait déjà une pratique en la matière avant la réforme. En effet, dans les communes wallonnes de moins de 150 000 habitants, un quart des collèges invitaient déjà le président du CPAS à assister à ses réunions. En ce qui concerne les deux villes wallonnes de plus de 150 000 habitants, Liège et Charleroi, le président du CPAS de Liège participait aux réunions du collège avant 2006.

Tableau 5

Participation du président du CPAS aux réunions du collège : pratiques antérieures

Avant la réforme (sous la présidente législature), le président du CPAS participait-il régulièrement aux réunions du collège ?
Taille du CPAS/nombre d’habitants Taux de participation
- de 15 000
De 15 001 à 50 000
De 50 001 à 150 000
+ de 150 000
22 %
28 %
25 % (2 villes sur 8)
50 % (1 ville sur 2)
figure im7

Participation du président du CPAS aux réunions du collège : pratiques antérieures

Fédération des CPAS, « Évaluation de la réforme de la loi organique : résultats et analyse de l’enquête auprès des CPAS », CPAS+, décembre 2007, p. 148.

85 Ces chiffres démontrent que des pratiques politiques étaient déjà mises en place afin de favoriser des synergies entre la commune et le CPAS. La participation du président du CPAS avec voix délibérative au collège communal est vécue comme une avancée par 87 % des répondants à l’enquête.

Tableau 6

Évaluation de la participation obligatoire du président du CPAS aux réunions du collège

Le président participe dorénavant avec voix délibérative aux réunions du collège communal. Ce changement est, de l’avis des CPAS :
une avancée
un recul
sans effet
sans avis
87 %
5 %
7 %
1 %
Plus précisément, cette présence obligatoire au collège :
permet une plus grande synergie entre la commune et le CPAS ?
permet une meilleure connaissance du CPAS par la commune ?
permet une amélioration de la cohérence entre le CPAS et la commune ?
permet de réaliser et de développer des économies d’échelle ?
porte atteinte à l’autonomie du CPAS ?
permet de mieux défendre la cause du CPAS à la commune ?
Oui : 80 %
Oui : 85 %
Oui : 79 %
Oui : 69 %
Non : 70 %
Oui : 80 %
figure im8

Évaluation de la participation obligatoire du président du CPAS aux réunions du collège

Fédération des CPAS, « Évaluation de la réforme de la loi organique : résultats et analyse de l’enquête auprès des CPAS », CPAS+, décembre 2007, p. 147-148.

86 Certains observateurs y voyaient pourtant un risque, à savoir que le président perde une partie de sa liberté d’action dans cette nouvelle dynamique. Il semble donc qu’au contraire, la légitimité du président du CPAS s’en trouve renforcée avec cette nouvelle place dans l’ordre protocolaire de la commune : à savoir la deuxième, derrière le bourgmestre. De son côté, le CPAS a moins le sentiment que la commune décide sans lui.

CONCLUSION

87 Entre le souhait d’une meilleure gouvernabilité et celui d’une meilleure représentativité, les décrets de 2005 tentaient d’opérer un choix qui se dirigeait vers plus de transparence et qui garantirait une meilleure gouvernance. En général, nous avons pu voir un glissement vers une démocratie du public et une prise de distance d’avec la démocratie de partis, sauf quelques exceptions.

88 Citons dans les exceptions les résultats de l’application des motions de méfiance constructive collective, application qui augmente le nombre de participation des quatre grands partis dans les majorités. Nous avons aussi pointé la présence plus forte des partis au CPAS en lien avec le rôle plus politique du président du CPAS au sein du collège et du conseil communal. À l’avant-scène de ces mécanismes apparaît la naissance des groupes politiques dont nous avons analysé l’impact sur le lien entre l’élu et sa liste. L’aspect le plus subtil de la réforme réside dans sa capacité à se présenter comme une volonté de mieux tenir compte du choix des électeurs en personnalisant le choix électoral. Mais cette individualisation est sous le contrôle des partis. Deux exemples illustrent ce propos.

89 Premièrement, la désignation quasi-automatique du bourgmestre semble à certains le résultat d’une élection directe. Le bourgmestre serait la personnalité qui aurait récolté le plus de voix. Mais comme nous l’avons souligné, ce n’est pas toujours la personnalité ayant récolté le plus de voix de préférence qui est bourgmestre puisqu’elle doit faire partie d’une liste qui est partie au pacte de majorité et qui doit, de surcroît, constituer la liste la plus forte du pacte de majorité. Il s’agit non pas d’une élection directe, mais bien d’une désignation quasi-automatique au sein de la liste, une fois que celle-ci a été identifiée. Le candidat bourgmestre est donc lié tant à son parti qu’à sa force électorale. Si la popularité dont il jouit n’a pas de répercussion sur le nombre total des votes en faveur de son parti, il n’est pas sûr de gagner son pari. Dans la voie qui mène aux exigences de la démocratie du public, le décret a fait ici une halte à mi-chemin encore de la démocratie de partis.

90 Deuxièmement, les conseillers communaux sont désignés par les électeurs de la même manière qu’avant la réforme. Mais, alors que les élections communales permettent un vote pour une personnalité, un élu était libre, avant la réforme, de rejoindre un autre groupe (transfuge) ou de siéger comme indépendant en cas de dissension. Cet élu pouvait se détacher de son groupe. Actuellement, il peut toujours démissionner de son groupe et, en vertu de l’article L-1123-1 § 1, 2e alinéa, il perd tous ses mandats dérivés tout en gardant son mandat de conseiller. Toutefois, pour le vote des motions de méfiance, « ce conseiller est considéré comme appartenant toujours au groupe politique quitté », stipule l’alinéa suivant. Alors que les motions ont été créées pour assouplir la rigidité du système, on peut considérer que l’appartenance au groupe politique fige les élus dans des regroupements d’élus dont beaucoup n’ont pas la cohérence programmatique des partis de masse et dont la ligne politique ou les pratiques peuvent évoluer de manière parfois erratique.

91 Ce double constat pourrait nous amener à considérer que le pouvoir des partis sort renforcé de ce dispositif. En effet, seuls le poids collectif des listes et la cohérence des groupes politiques pourront décider des choix globaux dans les communes. Alors que l’on sait que les électeurs sont plus sensibles aux personnalités et que les cohérences programmatiques sont moins prégnantes dans des scrutins locaux, ces personnalités sont contraintes par les choix collectifs de leur groupe politique. A contrario, ceci peut être source d’une instabilité difficile à gérer au niveau municipal. Le nouveau système veut vraisemblablement créer plus de stabilité, il force les futurs candidats à assumer les choix de l’ensemble politique qui peut les porter au pouvoir, mais il fige pour six années les rapports de force entre les formations politiques et non entre les conseillers communaux.

92 Par ailleurs, le constat de Seiler nous apparaît confirmé : « Quelle que soit la pratique démocratique régnante, le choix de l’électeur n’est jamais vraiment respecté. » [50] C’est à partir des préférences exprimées par les candidats présents sur les listes que les électeurs opèrent un choix dans l’offre politique, et les élus, en tant que corps, ne sont pas insensibles aux attentes des électeurs et cherchent à anticiper leurs réactions. Comme le rappelle Bernard Manin, les « représentants soumis à réélection sont incités à anticiper le jugement rétrospectif des électeurs sur la politique qu’ils mènent » [51]. L’anticipation par les élus des votes rétrospectifs des électeurs constitue la garantie fondamentale de contrôle du pouvoir par le peuple. Paradoxalement cependant, une partie significative des modifications étudiées renforce le pouvoir collectif et la gouvernabilité, alors même que les intentions affichées consistaient à renforcer le contrôle des citoyens et la représentativité.

Notes

  • [1]
    J. SOHIER, « La régionalisation des pouvoirs locaux », in La régionalisation de la Nouvelle Loi communale : une valeur ajoutée ?, 11/2007, p. 15.
  • [2]
    Limitées à l’organisation des procédures et à l’exercice de la tutelle.
  • [3]
    Sur l’histoire de la fédéralisation du droit des institutions locales, cf. A. COENEN, Le Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation. La Région wallonne organise ses pouvoirs locaux, La Charte, 2005.
  • [4]
    Aujourd’hui, centre public d’action sociale.
  • [5]
    Arrêté du gouvernement wallon du 22 avril 2004 portant codification de la législation relative aux pouvoirs locaux (Moniteur belge, 12 août 2004), confirmé par le décret du 27 mai 2004 (Moniteur belge, 12 août 2004).
  • [6]
    Tous deux publiés au Moniteur belge le 2 janvier 2006.
  • [7]
    Parlement wallon, CRAC 2 (2005-2006), 22 septembre 2005, p. 11-13.
  • [8]
    Sur l’élection du bourgmestre, cf. J. SOHIER, « La régionalisation des pouvoirs locaux », op. cit. ; F. DELPERÉE, « Belgique », in F. DELPERÉE, M. JOASSART, Dossier sur l’élection du bourgmestre, Bruylant, 2002, p. 43-60.
  • [9]
    Aujourd’hui collège communal en Wallonie.
  • [10]
    B. LOMBAERT, V. RIGODANZO, « Les pactes de majorité, l’élection “directe” du bourgmestre et les incompatibilités », in Droit de la démocratie provinciale et communale : la désignation et la responsabilité des mandataires, Actes de la journée d’étude du 21 juin 2006 aux FUCAM, Presses universitaires de Namur, 2006, p. 50.
  • [11]
    F. DELPERÉE, M. JOASSART, « Observations générales sur l’élection du bourgmestre », op. cit., p. 267.
  • [12]
    B. LOMBAERT, V. RIGODANZO, « Les pactes de majorité, l’élection “directe” du bourgmestre et les incompatibilités », op. cit.
  • [13]
    Ce débat a été alimenté par les libéraux flamands et francophones pendant toute la décennie précédant la réforme (cf. J.-B. PILET, Changer pour gagner ? Les réformes des lois électorales en Belgique, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2007, p. 125). Ces partis étaient favorables à un changement radical du mode de désignation du bourgmestre (élection directe).
  • [14]
    Moniteur belge, 31 août 2001.
  • [15]
    J.-B. PILET, Changer pour gagner ? Les réformes des lois électorales en Belgique, op. cit., p. 133.
  • [16]
    Ibidem, p. 13.
  • [17]
    Gouvernement wallon, Déclaration de politique régionale, 2004-2006, p. 66.
  • [18]
    Les dispositions relatives aux motions de méfiance constructives seront révisées par le décret du 8 juin 2006.
  • [19]
    M. UYTTENDAELE, Regards sur la démocratie locale en Wallonie. Les nouvelles règles applicables aux communes, aux CPAS et aux provinces, Bruylant, 2006, p. 177-182.
  • [20]
    L’autonomie de la Communauté germanophone en matière d’organisation des CPAS est ainsi préservée.
  • [21]
    J. -B. PILET et al. , « Sur la voie d’une réforme du mode de désignation des bourgmestres », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1816-1817, 2003, p. 50-51.
  • [22]
    V. RONSE, « Le décret Courard : étude et analyse par rapport aux élections communales du 8 octobre 2006 », mémoire de licence en sciences politiques, Université de Liège, 2007, p. 56.
  • [23]
    À la date du 20 avril 2011.
  • [24]
    La part des votes de préférence augmente de manière régulière depuis plusieurs décennies. En Belgique, elle est passée de 20 % dans les années 1950 à plus de 60 % dans les années 1990 (cf. J.-B. PILET, Changer pour gagner ? Les réformes des lois électorales en Belgique, op. cit., p. 42).
  • [25]
    M. UYTTENDAELE, Regards sur la démocratie locale en Wallonie. Les nouvelles règles applicables aux communes, aux CPAS et aux provinces, op. cit., p. 73.
  • [26]
    La moitié des votes en case de tête constitue un « pot commun » dans lequel les candidats viennent puiser dans l’ordre de la liste pour atteindre si nécessaire le chiffre d’éligibilité.
  • [27]
    Parlement wallon, Doc. parl. 204-64 (2004-2005), 15 novembre 2005, p. 11.
  • [28]
    V. RONSE, « Le décret Courard : étude et analyse par rapport aux élections communales du 8 octobre 2006 », op. cit., p. 72.
  • [29]
    J.-M. SCHREUER, « Dossier : les élections communales et provinciales du 8 octobre », Regards, n° 62, novembre 2006, http://www.mocliege.be ; J.-B. PILET, Changer pour gagner ? Les réformes des lois électorales en Belgique, op. cit., p. 42.
  • [30]
    Parlement wallon, CRAC 18 (2007-2008), 16 octobre 2007, p. 6.
  • [31]
    B. MANIN, Les principes du gouvernement représentatif, Flammarion, 1996.
  • [32]
    Moniteur belge, 29 juin 2007.
  • [33]
    P. LORENT, « Le mayorat, enjeu majeur », Le Soir, 9 février 2010.
  • [34]
    Comme « détestable » (cf. A. COENEN, Le Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation. La Région wallonne organise ses pouvoirs locaux, op. cit., p. 143), comme un « chancre » (M. UYTTENDAELE, Regards sur la démocratie locale en Wallonie. Les nouvelles règles applicables aux communes, aux CPAS et aux provinces, op. cit., p. 92).
  • [35]
    A. COENEN, Le Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation. La Région wallonne organise ses pouvoirs locaux, op. cit., p. 144.
  • [36]
    P. LORENT, « Le Code est perfectible : la preuve par Rouvroy », Le Soir, 29 décembre 2010, p. 6.
  • [37]
    J. BOURTEMBOURG, A. VEULEMANS, « La responsabilité disciplinaire et politique des mandataires locaux », <http://www.bourtembourg.be>.
  • [38]
    Cour constitutionnelle, arrêt n° 156/2007, affaire Vanbergen, 19 décembre 2007, B. 11.
  • [39]
    M. UYTTENDAELE, Regards sur la démocratie locale en Wallonie. Les nouvelles règles applicables aux communes, aux CPAS et aux provinces, op. cit., p. 96-97.
  • [40]
    Il encore susceptible d’être utilisé jusqu’au 30 juin 2011.
  • [41]
    En tenant compte du fait qu’à Ans, c’est une partie du PS qui a rejoint l’opposition.
  • [42]
    Après le vote de la motion de méfiance collective maintenant Stéphane Herbeuval au poste maïoral, celui-ci a fait l’objet d’une motion de méfiance individuelle conduisant à la désignation de Carmen Ramelot au poste de bourgmestre (337 voix de préférence).
  • [43]
    B. LOMBAERT, V. RIGODANZO, Les pactes de majorité, l’élection « directe » du bourgmestre et les incompatibilités, Droit de la démocratie provinciale et de la responsabilité des mandataires, actes de la journée d’études du 21 juin 2006 aux FUCAM, Presses Universitaires de Namur, 2006, p. 39-40.
  • [44]
    Parlement wallon, CRAC 8 (2007-2008), 2 octobre 2007.
  • [45]
    P. LORENT, « Le mayorat, enjeu majeur », op. cit.
  • [46]
    Parlement wallon, CRAC 18 (2007-2008), 16 octobre 2007, p. 5.
  • [47]
    Fédération des CPAS, « Évaluation de la réforme de la loi organique : résultats et analyse de l’enquête auprès des CPAS », CPAS+, décembre 2007, p. 147.
  • [48]
    M. UYTTENDAELE, Regards sur la démocratie locale en Wallonie. Les nouvelles règles applicables aux communes, aux CPAS et aux provinces, op. cit., p. 159.
  • [49]
    Si le président ne cumule pas sa fonction avec celle de conseiller communal.
  • [50]
    D.-L. SEILER, « Le mode de scrutin fait-il l’élection ? », in P. DELWIT, J.-M. DE WAELE, Le mode de scrutin fait-il l’élection ?, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2003, p. 34.
  • [51]
    B. MANIN, Les principes du gouvernement représentatif, op. cit., p. 228.
Français

En 2005, un an après l’adoption du Code de la démocratie locale et de la décentralisation et un an avant les élections communales, le Parlement wallon adopte des innovations qui auront directement des effets sur ces élections et sur le fonctionnement des conseils et des collèges communaux. Parmi ces innovations, trois font l’objet d’un bilan dans ce Courrier hebdomadaire : la désignation quasi-automatique du bourgmestre, la possibilité pour des conseillers communaux de déposer une motion de méfiance collective ou individuelle contre le collège communal et l’instauration de synergies nouvelles entre le CPAS et la commune.
Après avoir exposé en détail le contenu et le sens de ces trois réformes, les auteurs examinent ensuite leur impact sur les stratégies préélectorales lors des élections communales de 2006, sur l’installation des exécutifs communaux et sur leur fonctionnement. Ils concluent à un glissement vers une démocratie du public et à une prise de distance d’avec la démocratie de partis, sauf en ce qui concerne les motions de méfiance collective, qui laissent un rôle important aux groupes politiques. La réforme se présente comme une volonté de mieux tenir compte du choix des électeurs en individualisant le processus électoral. Mais cette individualisation est dans une large mesure sous le contrôle des partis.

Geoffroy Matagne
Emmanuel Radoux
Pierre Verjans
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En 2005, un an après l’adoption du Code de la démocratie locale et de la décentralisation et un an avant les élections communales, le Parlement wallon adopte des innovations qui auront directement des effets sur ces élections et sur le fonctionnement des conseils et des collèges communaux. Parmi ces innovations, trois font l’objet d’un bilan dans ce Courrier hebdomadaire : la désignation quasi-automatique du bourgmestre, la possibilité pour des conseillers communaux de déposer une motion de méfiance collective ou individuelle contre le collège communal et l’instauration de synergies nouvelles entre le CPAS et la commune.
Après avoir exposé en détail le contenu et le sens de ces trois réformes, les auteurs examinent ensuite leur impact sur les stratégies préélectorales lors des élections communales de 2006, sur l’installation des exécutifs communaux et sur leur fonctionnement. Ils concluent à un glissement vers une démocratie du public et à une prise de distance d’avec la démocratie de partis, sauf en ce qui concerne les motions de méfiance collective, qui laissent un rôle important aux groupes politiques. La réforme se présente comme une volonté de mieux tenir compte du choix des électeurs en personnalisant le choix électoral. Mais cette individualisation est dans une large mesure sous le contrôle des partis.
Mis en ligne sur Cairn.info le 29/05/2011
https://doi.org/10.3917/cris.2094.0005
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