CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Le contentieux lié à l’application territoriale de l’emploi des langues en matière administrative réapparaît régulièrement sur la scène politique belge. Il prend la forme, aujourd’hui, de différends qui ne sont pas tous liés aux questions linguistiques en matière administrative, mais qui en découlent au plan historique ou au niveau symbolique : exigence de la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde  [1], refus de la nomination de trois bourgmestres des communes « à facilités » de la périphérie bruxelloise, compétence ou non de la Communauté française pour l’inspection des écoles communales francophones de la périphérie, etc.

2 Ces dernières années, les tensions politiques ont été essentiellement liées à une remise en cause des droits linguistiques des francophones dans des communes appartenant à la région de langue néerlandaise, au nom d’un caractère supposé transitoire de certains de ces droits accordés lors de la fixation de la frontière linguistique en 1963. Cette remise en cause apparaît, aux yeux de la majorité du monde politique flamand, comme l’achèvement nécessaire de l’imposition du néerlandais comme seule langue administrative en Flandre. Elle s’appuie sur l’invocation d’un parallélisme, rarement contesté du côté francophone, avec l’usage exclusif du français en Wallonie depuis toujours (alors que celui-ci connaît bien des exceptions, comme nous le verrons), et sur une nécessaire égalité de traitement entre les deux grandes régions du pays sur le plan linguistique.

3 Ces controverses sont le produit de l’histoire de la confrontation des langues et des communautés linguistiques en Belgique. D’une part, la lutte pour la reconnaissance d’une langue dominée, et assez récemment structurée, le néerlandais, contre la suprématie d’une langue dominante et internationale, le français, conçue à l’origine comme la seule langue officielle possible dans le pays, et assurant donc un avantage à ceux qui la connaissent. D’autre part, et plus récemment, la résistance de la minorité numérique francophone, résistance considérée comme de plus en plus nécessaire face à une majorité néerlandophone perçue comme désireuse de s’emparer des rouages essentiels de l’État. Tout au long de l’histoire du pays, ces motivations propres à chaque communauté ont été largement sous-estimées par l’autre communauté. Si elles apparaîtront à l’occasion dans notre analyse, elles échappent à notre objet. Elles doivent cependant rester présentes à l’esprit du lecteur, qui est libre de juger de la légitimité qu’elles apportent aux positions politiques prises par les uns et les autres.

4 L’objectif de ce Courrier hebdomadaire est de reconstituer l’histoire de la législation sur l’emploi des langues en matière administrative et ses conséquences sur la situation des communes au plan territorial (appartenance à un arrondissement, à une province ou à une région linguistique). L’accent sera mis sur les communes à statut linguistique particulier, en mettant en parallèle la nature de leur statut et l’évolution linguistique de leur population, telle qu’elle peut être déduite des recensements linguistiques décennaux ou d’autres sources. Nous présenterons une monographie exhaustive des statuts linguistiques des communes touchées par cette législation.

5 L’analyse sera essentiellement juridique et institutionnelle. Il est néanmoins nécessaire, pour comprendre l’évolution de la loi, de replacer chaque étape dans son contexte, ce que nous ferons de manière succincte. Concernant les différentes interprétations, flamandes et francophones, des moments cruciaux de cette histoire, nous renvoyons le lecteur à des ouvrages spécifiques sur le sujet. Notre propos est de contribuer à ces travaux en nous concentrant sur la genèse et les conséquences des lois elles-mêmes.

6 La législation sur l’emploi des langues comprend trois séries de textes :

7

  • les lois et arrêtés royaux qui déterminent les statuts des territoires (régions, provinces, arrondissements, communes) où est instauré un régime d’emploi des langues déterminé pour les administrations publiques locales ou centrales et leurs relations avec les citoyens ;
  • les lois et arrêtés royaux qui déterminent l’emploi des langues dans certaines administrations centrales de l’État, principalement la justice et l’armée ;
  • les lois et arrêtés royaux qui déterminent l’emploi des langues dans l’enseignement.

8 Nous n’analyserons que l’aspect territorial de l’emploi des langues en matière administrative, sans aborder la question de l’emploi des langues dans certains services centraux de l’État, sauf lorsque ces questions ont été directement liées dans le débat politique. La question de l’emploi des langues dans l’enseignement ne sera pas traitée ici.

1. Les premières législations

9 Au regard des lois plus récentes, et en particulier des lois de 1962-1963, les premières lois linguistiques frappent par leur brièveté et leur simplicité. Celles-ci sont dues notamment aux conditions dans lesquelles la question linguistique a émergé, et aux rapports de force, très déséquilibrés, qui prévalaient entre Flamands et francophones avant l’instauration du suffrage universel.

1.1. 1830 : la Belgique francophone

10À la Révolution, les élites belges sont essentiellement francophones, en Flandre comme à Bruxelles et en Wallonie. Le régime du suffrage censitaire, qui revient à réserver le droit de vote aux plus fortunés (1 % de la population), consacre leur suprématie. Le néerlandais littéraire, qui leur est largement inconnu, est perçu avant tout comme la langue de l’occupant vaincu. La volonté de Guillaume d’Orange d’imposer progressivement une forme de suprématie de la langue néerlandaise (lois sur l’emploi des langues de 1819, 1822 et 1823) a encore renforcé l’hostilité des révolutionnaires.

11 Alors que l’enseignement primaire est loin d’être généralisé, la majorité de la population ne connaît pas le français codifié et s’exprime dans des dialectes flamands au nord, et en wallon et autres dialectes romans (picard, wallo-romain et autres) au sud, voire en allemand dans l’est du pays (dont la frontière ne sera fixée qu’en 1839). Arguant de la diversité de ces dialectes et de leur absence de règles précises, le pouvoir révolutionnaire proclame le 16 novembre 1830, alors que les combats sont à peine achevés, la première réglementation linguistique du nouvel État : « Considérant que le principe déjà proclamé de la liberté du langage emporte pour chaque citoyen la faculté de se servir de l’idiome qui convient le mieux à ses intérêts ou à ses habitudes (…), considérant d’autre part que les langues flamande et allemande en usage parmi les habitants de certaines localités varient de province à province, et quelquefois de district à district, de sorte qu’il serait impossible de publier un texte officiel des lois et arrêtés en langues flamande et allemande ; arrête : le Bulletin Officiel des lois et actes du gouvernement sera publié en français. »

12 Le 19 septembre 1831, une loi confirme l’usage supplétif des langues flamande et allemande : « Les lois seront insérées au Bulletin Officiel aussitôt après leur promulgation, avec une traduction flamande ou allemande pour les communes où l’on parle ces langues, le texte français demeurant néanmoins le texte officiel. »

13 L’usage administratif d’une seule langue, le français, conçu comme un élément essentiel de l’unité nationale, s’impose à tous les niveaux de l’État, bien que le premier recensement effectué en 1846 démontre que 57,5 % de la population déclare s’exprimer le plus fréquemment en « flamand ». Sur le plan local, certains résultats de ce recensement, qu’on trouvera en Annexe 1, montrent une situation linguistique fort différente de celle que l’on connaît aujourd’hui : forte domination du néerlandais dans les actuelles communes bruxelloises et quasi-monopole du néerlandais dans les communes de la périphérie bruxelloise et dans les Fourons (sauf à Mouland) ; présence dans quelques communes seulement d’une minorité linguistique significative, francophone ou néerlandophone selon les cas  [2] ; faible nombre de communes présentant une mixité linguistique équilibrée  [3]. En tout état de cause, le recensement est, à cette époque, sans effet sur l’usage de la langue administrative, qui reste partout le français. Les revendications du mouvement flamand naissant pour la reconnaissance du néerlandais ne commencent à avoir un écho politique qu’avec l’extension du suffrage censitaire et le passage au suffrage capacitaire en 1870. Elles trouvent une première véritable expression politique avec l’affaire Schoep  [4], qui aboutira à la loi du 17 août 1873 établissant la possibilité d’être jugé en néerlandais en Flandre et à Bruxelles.

1.2. 1878 : la loi Delaet, ou la Flandre et Bruxelles vers un bilinguisme asymétrique

14Cinq ans après la loi de 1873 relative à la justice, la loi Delaet du 22 mai 1878 étendra cette nouvelle logique linguistique à la gestion administrative du pays.

1.2.1. L’origine

15Conformément à ce qu’il avait annoncé lors des débats en 1873, le député catholique d’Anvers Jan Delaet introduit le 6 avril 1876 une proposition de loi visant à faire du néerlandais la langue administrative de base en Flandre.

16 Depuis l’indépendance, la situation linguistique des administrations locales est fondée sur la liberté de l’emploi des langues consacrée par l’article 23 de la Constitution  [5] : l’emploi des langues est laissé à la liberté des fonctionnaires. En pratique, comme les textes législatifs et réglementaires sont rédigés en français et que l’enseignement secondaire supérieur est largement unilingue dans tout le pays, les fonctionnaires de Flandre et de Bruxelles, recrutés localement pour la plupart, sont en général bilingues : leur langue maternelle est le néerlandais (souvent dialectal) tandis que l’essentiel de leur activité professionnelle s’exerce en français. Il n’est cependant pas rare de trouver dans l’administration flamande des fonctionnaires appartenant à la bourgeoisie francophone de Flandre ou originaires de Wallonie qui ne connaissent pas le néerlandais. Dans l’administration wallonne, le français se superpose souvent aux différentes formes de patois, mais la proximité de ces dialectes locaux avec le français est beaucoup plus grande qu’entre les dialectes flamands et le français.

1.2.2. La composition de la Chambre

17La Chambre issue des élections de 1876 comprend des élus libéraux et catholiques. Les libéraux sont majoritaires dans l’arrondissement de Bruxelles et en Wallonie. Les catholiques sont majoritaires en Flandre ; ils constituent seuls le gouvernement de Theux-Malou. Dans un contexte politique tendu, centré sur les relations entre l’Église et l’État, les catholiques cherchent à se concilier une partie de la bourgeoisie flamande de plus en plus sensible à la question linguistique, et ce peu avant les élections du 11 juin 1878  [6]. Cette opportunité est saisie par les premiers députés flamingants  [7] du Meetingpartij, dont Jan Delaet, Lodewijk Gerrits et Édouard Coremans, élus depuis les années 1860, pour tenter de rallier une majorité autour du renforcement du néerlandais en Flandre.

Tableau 1 : Composition de la Chambre - 1876-1878

Tableau 1 : Composition de la Chambre - 1876-1878

Tableau 1 : Composition de la Chambre - 1876-1878

1.2.3. La proposition de loi et le débat parlementaire

18La proposition de loi prévoit l’utilisation officielle du néerlandais  [8] dans les actes administratifs en Flandre, le français n’ayant plus qu’un rôle de langue supplétive utilisable à la demande. En Flandre toujours, les communications au public par les communes et provinces, de même que par les administrations centrales de l’État, devront être faites en néerlandais ou dans les deux langues. Les relations internes à la commune ou entre administrations situées en Flandre se feront en néerlandais. La correspondance sera rédigée en néerlandais sauf si le destinataire a lui-même fait usage du français.

19À la province de Brabant, à la ville de Bruxelles et dans huit communes alentour  [9], bien que la majorité de la population y soit très majoritairement néerlandophone à cette date, la proposition prévoit l’usage libre du français ou du néerlandais comme langue administrative interne et un bilinguisme systématique dans les communications au public, en raison du nombre important de francophones qui participent à la vie administrative de la capitale. La proposition vise donc à donner pour la première fois à l’agglomération bruxelloise, notion jusque-là de nature géographique et sociologique, une définition administrative.

20 Enfin, les communes du Hainaut et de la province de Liège « où le flamand est langue parlée par la généralité des habitants » auront le même régime que les provinces flamandes, tandis que dans les communes des provinces flamandes « où la langue française est celle de la généralité des habitants, les affaires administratives seront traitées dans cette langue ». Aucun critère objectif n’est avancé pour déterminer quelles sont ces communes ; en particulier, la loi ne fait aucune référence au recensement linguistique.

21 L’objectif général de la proposition ne suscite pas de véritable contestation, mais son champ d’application fait l’objet de longs débats. La discussion porte essentiellement sur l’obligation, pour tous les fonctionnaires de Flandre et de Bruxelles, d’être capables de faire usage du néerlandais (instauration d’un bilinguisme obligatoire de fait), en particulier dans les relations au sein même de l’administration. Les promoteurs du projet invoquent la nécessité pour la population flamande de comprendre son administration et d’être comprise d’elle. Ils s’appuient sur le constat de l’application somme toute aisée de la loi de 1873 dans le domaine judiciaire. Les partisans d’une application restrictive de la proposition de loi mettent en avant l’inutilité de la possession du néerlandais pour les personnels qui ne sont pas en contact avec le public, ainsi que le risque de biaiser la promotion au mérite au profit d’une seule aptitude au bilinguisme. Ils invoquent aussi le risque de créer un déséquilibre en faveur des Flamands dans l’administration belge, partant du principe (largement exact) que seuls ceux-ci sont bilingues. Les Flamands pourraient donc désormais « envahir toutes les fonctions publiques  [10] » ; même l’attribution des plus hautes fonctions (haute administration, postes ministériels, etc.) pourrait entraîner l’obligation de connaître les deux langues, marginalisant les francophones, majoritairement unilingues.

22 Un autre point de désaccord porte sur la possibilité d’imposer l’usage d’une langue dans les relations internes à l’administration. Le catholique Jean Thonissen défend un amendement qui limite la portée de la loi aux seuls avis et communications au public, la liberté linguistique dans les relations internes étant, selon lui, protégée par la Constitution.

23 Finalement, afin de garantir l’adoption du texte avant la fin de la législature, les promoteurs de la proposition évacuent la question des relations internes aux administrations communales et provinciales ainsi que celle des actes administratifs, pour se limiter à la correspondance et aux communications au public. Cette restriction permet de trouver un accord en faveur d’une version minimaliste de la proposition, malgré la persistance de critiques dans les deux familles politiques, dont Walthère Frère-Orban (libéral) et Barthélémi Dumortier (catholique), qui craignent toujours une « mainmise des Flamands sur l’État  [11] », tout en ne s’opposant pas au texte final.

24 Par ailleurs, la définition de limites administratives, distinctes sur le plan linguistique des limites de provinces et d’arrondissements, s’est révélée assez complexe. L’absence de critères pour déterminer objectivement les communes qui appartiendraient à un régime linguistique différent du régime commun défini par la loi a fait craindre de nombreuses confusions. On en est revenu, dès la discussion en commission, à une référence aux arrondissements et provinces, ce qui a rendu nécessaire certains assouplissements du texte, notamment pour créer un régime identique dans tout l’arrondissement de Bruxelles, dont le territoire, à cette date, comprend à la fois l’actuelle région bilingue de Bruxelles-Capitale et l’actuel arrondissement de Hal-Vilvorde  [12].

1.2.2. Les votes

25La loi est votée à l’unanimité des 98 membres présents à la Chambre le 8 mai, et est confirmée par le Sénat le 15 mai à l’unanimité des 34 membres présents.

Tableau 2 : Le vote à la Chambre de la loi de 1878 - 8/5/1878

Tableau 2 : Le vote à la Chambre de la loi de 1878 - 8/5/1878

Tableau 2 : Le vote à la Chambre de la loi de 1878 - 8/5/1878

1.2.5. La situation juridique et ses conséquences

26 On trouvera le texte complet de la loi du 22 mai 1878 en Annexe 2, ainsi qu’une synthèse de son impact dans l’Annexe 1.

Géographie linguistique

27Dans les quatre provinces du nord (Anvers, Flandre orientale, Flandre occidentale et Limbourg) et les arrondissements de Louvain et de Bruxelles (province de Brabant), les avis et communications au public doivent être rédigés en néerlandais ou dans les deux langues.

28 Dans les quatre provinces du nord et l’arrondissement de Louvain (province de Brabant), la correspondance entre communes et particuliers est par défaut le néerlandais, sauf si l’interlocuteur a lui-même utilisé le français ou fait la demande que cette langue soit utilisée.

29 Dans l’arrondissement de Bruxelles, la correspondance entre communes et particuliers est par défaut le français, sauf si l’interlocuteur a lui-même utilisé le néerlandais ou fait la demande que cette langue soit utilisée.

30 Dans l’arrondissement de Nivelles (province de Brabant) et les quatre provinces du sud (Hainaut, Liège, Luxembourg et Namur), la situation est inchangée : ces territoires ne sont pas mentionnés dans la loi. Le français y reste donc la seule langue administrative.

Division territoriale et prééminence du néerlandais en Flandre

31Sans les nommer comme telles, la loi de 1878 crée trois régions administratives linguistiquement distinctes. La Flandre passe du régime du droit exclusif du français à un régime juridiquement bilingue, et où le néerlandais devient officiellement, pour les actes administratifs concernés, la langue par défaut. L’arrondissement de Bruxelles obtient un régime bilingue également. Mais, suite à l’abandon d’un régime spécifique pour les neuf communes de l’agglomération bruxelloise, régime de type bilingue prévu par la proposition de loi, le statut unique de l’ensemble de l’arrondissement présente la bizarrerie d’imposer le néerlandais comme langue par défaut pour les avis et communication au public, comme nous l’avons vu au premier alinéa du point précédent, et préférentiellement le français pour la correspondance interne ou envers les particuliers. La seule région où la langue nationale est désormais exclusivement d’application est définie de manière implicite et résiduelle ; elle correspond (à quelques modifications de limites près) à la Wallonie d’aujourd’hui.

32 Cette création de trois régions administratives linguistiquement distinctes autorise à parler, à partir de 1878, de « régions linguistiques », et à leur donner, par commodité, la dénomination qui est la leur aujourd’hui. Il faut cependant insister sur le fait que l’expression de « région linguistique » n’apparaît officiellement qu’en 1932, et que les dénominations de ces régions (« région de langue française », etc.) ne sont établies par la loi qu’en 1963. Nous emploierons néanmoins cette expression et ces dénominations par commodité dès lors que, en substance, la réalité visée y correspond, en mettant l’expression de « région linguistique » entre guillemets pour rappeler son anachronisme.

Les limites administratives

33Sur le plan territorial, la proposition de loi initiale de Jan Delaet a fait apparaître une problématique qui constituera une des difficultés les plus importantes des lois ultérieures sur l’emploi des langues. Les limites administratives de la Belgique, à savoir les provinces et les arrondissements, ne correspondent qu’imparfaitement aux réalités linguistiques. Le texte final de la loi du 22 mai 1878 a esquivé la question. Or, en divisant implicitement le territoire en « régions linguistiques » de régime différent selon le tracé des provinces et arrondissements, la loi fait apparaître deux anomalies.

34D’une part, 60 communes (sur les quelque 3 000 que compte alors le pays  [13]) situées le long de la nouvelle limite entre la région où le néerlandais est devenu la langue officielle par défaut et la région de langue française présentent, selon les recensements linguistiques antérieurs  [14], une population pratiquant très majoritairement la langue de l’autre région. Parmi elles, 29 sont situées dans la région où le néerlandais prévaut désormais par défaut  [15] et 31 dans la région de langue française  [16]. Il s’agit, pour la plupart, d’erreurs de tracé dans la délimitation des provinces et arrondissements pendant le régime français (1792-1815), mais dont la correction n’apparaît pas, à cette époque, comme nécessaire. On les appellera les « communes égarées » (verdwaalde gemeenten) [17].

35D’autre part, la loi ne reconnaît pas l’agglomération bruxelloise comme une entité administrative distincte au plan linguistique, contrairement à la proposition de loi de départ : elle est traitée par la loi comme les 113 autres communes de l’arrondissement de Bruxelles. Selon les recensements linguistiques déjà réalisés (1846 et 1866), l’agglomération bruxelloise est, à cette date, majoritairement néerlandophone dans toutes les communes (sauf Ixelles et Saint-Josse-ten-Noode), mais présente de fortes minorités francophones réparties très inégalement. Son statut de capitale justifie sans doute également, pour le législateur, un emploi plus spécifique du français, seule langue nationale officielle jusqu’en 1898. Cette absence de limite administrative propre entraîne un traitement particulier pour tout l’arrondissement de Bruxelles par rapport aux arrondissements et provinces néerlandophones. Si l’on prend la loi à la lettre, les avis et communications pourraient se faire seulement en néerlandais dans l’agglomération comme dans tout le reste de l’arrondissement.

Conséquences

36La mise en application de la loi ne modifiera que très lentement le paysage administratif flamand. En effet, le cadre de fonctionnaires en place ne peut être changé du jour au lendemain, quelle que soit sa connaissance de la langue néerlandaise. L’utilisation toujours possible du français dans les relations internes offrira aux fonctionnaires francophones de Flandre de nombreuses échappatoires pour ne pas employer le néerlandais.

37 Néanmoins, cette timide reconnaissance du néerlandais comme langue administrative représente une avancée qui entraînera de nombreuses conséquences à plus long terme. Il faut en effet former désormais des fonctionnaires qui sachent manier le néerlandais : dès 1883, une nouvelle loi impose l’usage du néerlandais dans l’enseignement préparatoire des écoles moyennes. La production simultanée d’actes administratifs en français et en néerlandais rend progressivement le bilinguisme nécessaire à de nombreux niveaux : le néerlandais est introduit dans les registres de la population ; en 1888, le Moniteur devient bilingue ; les timbres-postes suivent en 1891 et les billets de banque en 1895. Enfin, en 1898, la « loi d’égalité », votée à la quasi-unanimité par la Chambre, fait accéder le néerlandais au rang de langue nationale à égalité avec le français.

1.3. 1921 : la loi Van Cauwelaert, ou deux régions unilingues et un bilinguisme externe à Bruxelles

38La Première Guerre mondiale a été à l’origine de nouvelles revendications du mouvement flamand, tout en ayant provoqué de profondes divisions en son sein, entre les « activistes » collaborateurs, les « frontistes » organisés dans les tranchées et les « passivistes » plus modérés. Les premières élections au suffrage universel masculin du 16 novembre 1919 étendent la représentation flamingante en envoyant notamment à la Chambre 5 députés du Frontpartij, le parti constitué par les frontistes à la fin du conflit.

1.3.1. L’origine

39 Les passivistes, dont le programme minimum avait été accepté par le gouvernement de Broqueville en exil, entament, sous la direction du député catholique d’Anvers Frans Van Cauwelaert, la bataille législative pour sa mise en œuvre. Van Cauwelaert réintroduit le 24 décembre 1919 une proposition de loi antérieure à la guerre visant à la conversion de l’Université de Gand au néerlandais, mais celle-ci ne semble pas pouvoir aboutir rapidement. Des députés flamands de toutes les provinces et de toutes les formations politiques  [18] introduisent à leur tour une proposition de loi sur l’emploi des langues en matière administrative, qui donne à Van Cauwelaert l’occasion d’une première avancée significative dans l’aboutissement du programme minimum du mouvement.

40 Cette proposition reprend presque intégralement le texte soumis à la Chambre par le député catholique Jan Delaet en 1876, et qui avait été modifié au cours de la procédure parlementaire (cf. point 1.2.3.). Cette réintroduction est justifiée par l’impact très insuffisant, aux yeux du mouvement flamand, de l’application de la loi de 1878 : l’objectif est de mettre en place les véritables conditions d’une néerlandisation  [19] de l’administration en Flandre. Enfin, en traitant à égalité le néerlandais et le français, elle s’inscrit dans la situation nouvelle créée par la loi d’égalité de 1898.

1.3.2. La composition de la Chambre

41La première Chambre élue au suffrage universel masculin étend fortement la représentation socialiste. À la différence du scrutin majoritaire encore utilisé à l’époque de la loi Delaet, le mode de scrutin proportionnel désormais en vigueur crée une représentation plus équilibrée dans chacune des régions, ce qui donne un poids politique plus grand aux revendications flamandes. Il en résulte aussi une plus grande dispersion de la représentation politique. Quatre partis d’envergure nationale ont des députés, au lieu de deux en 1878 ; à l’exception du Frontpartij, ces partis ont des élus dans les trois « régions linguistiques » du pays.

Tableau 3 : Composition de la Chambre - 1919-1921

Tableau 3 : Composition de la Chambre - 1919-1921

Tableau 3 : Composition de la Chambre - 1919-1921

1.3.3. La proposition de loi et le débat parlementaire

Le texte initial

42La proposition de loi déposée le 4 février 1920 reprend, outre le texte de la proposition initiale déposée par Jan Delaet en 1876, les développements de ce dernier, tout en insistant sur le fait que, au vu de la faible application du texte modifié adopté en 1878, il convient d’en revenir à la proposition initiale, plus contraignante. Pour rappel, le texte de la proposition initiale présentait plusieurs différences majeures par rapport à la loi elle-même :

43

  • le pays est divisé en deux « régions linguistiques » traitées symétriquement, alors que la loi de 1878 ne traite que de la région constituée par les quatre provinces flamandes et les arrondissements de Louvain et Bruxelles ;
  • les relations internes entre les pouvoirs publics (communes, provinces, administration centrale) doivent se faire dans la langue de la « région linguistique », et les textes officiels doivent être établis dans cette langue, alors que la loi de 1878 est muette sur les relations internes ;
  • pour ce qui concerne les relations avec le public, le texte énumère précisément les types de textes, d’actes et de documents qui sont concernés par cette obligation  [20], alors que la loi de 1878 se bornait à définir un cadre général ;
  • un régime linguistique bilingue spécifique à l’agglomération bruxelloise est prévu, et la distingue ainsi de l’arrondissement de Bruxelles qui est dès lors assimilé aux autres provinces flamandes, alors que la loi de 1878 applique le régime bilingue à tout l’arrondissement ;
  • dans les communes du Hainaut et de Liège où le néerlandais est « la langue parlée par la généralité des habitants », le régime linguistique est le néerlandais. Symétriquement, dans les communes des provinces flamandes et de l’arrondissement de Louvain où le français est « la langue parlée par la généralité des habitants », le régime linguistique est le français. L’application de cette disposition concerne à l’évidence les « communes égarées », mais l’identification de celles-ci n’est déterminée par aucun critère. La loi de 1878, elle, était muette sur ce type de communes.

Le texte issu de la commission des langues

44La proposition est d’abord discutée dans une commission spécifique, dite commission des langues, dans laquelle les députés flamingants sont majoritaires. La commission dépose son rapport et un texte amendé à la Chambre le 30 juin. Sous l’impulsion de Van Cauwelaert, le texte est considérablement étendu et précisé :

45

  • l’usage obligatoire du néerlandais dans les provinces flamandes ne concerne plus les seules administrations publiques mais « toutes les administrations soumises à la surveillance de l’État ou organisées par lui » (Banque Nationale, Chemins de fer, sociétés des eaux, etc.) ;
  • les avis et communications au public devront être rédigés dans les deux langues si un nombre minimal d’électeurs communaux en fait la demande, selon une proportion décroissante en fonction de la taille de la commune  [21], ce qui répond à la question de la détermination des « communes égarées », mais donne aussi la possibilité à d’autres communes comprenant une minorité linguistique d’adopter un régime partiellement bilingue ;
  • par contre, curieusement, les communes faisant partie de l’agglomération bruxelloise ne sont plus énumérées ;
  • la langue allemande devient la langue officielle des communes où la majorité de la population parle cette langue, sans que le mode de détermination de celles-ci soit précisé ;
  • l’obligation de la connaissance de la langue de la région par les fonctionnaires des administrations concernées est abordée pour la première fois.

46 Le rapport est accompagné d’une note de minorité émanant d’élus francophones qui s’élèvent contre l’obligation de l’usage du néerlandais dans les relations internes à l’administration et en invoque l’inconstitutionnalité, ce qui laisse présager un débat animé à la Chambre.

Le premier débat à la Chambre

47Lors du retour du texte en séance plénière, le 3 août 1920, plusieurs amendements émanant d’élus francophones tentent de réduire la portée du texte. De nouvelles précisions sont également apportées. Lorsque le texte est voté le 6 août, trois adaptations ont été approuvées :

48

  • l’agglomération bruxelloise comportera 15 communes dûment énumérées  [22], au lieu des 9 communes mentionnées dans la proposition de loi initiale et reprises telles quelles de la proposition de loi de 1876. Le texte ne prévoit pas de mécanisme d’extension de l’agglomération, mais ne l’interdit pas non plus ;
  • les fonctionnaires de l’administration centrale seront désormais nommés à parts égales entre ceux qui ont passé leur examen d’admission en néerlandais et ceux qui l’ont passé en français ;
  • dans les communes à majorité germanophone, les communications au public devront se faire en deux langues au moins dont l’allemand, et les habitants pourront choisir cette langue pour s’adresser à l’administration ou exiger de celle-ci qu’elle s’adresse à eux dans cette langue.

49 Le vote de la Chambre suscite rapidement de vives réactions. Des administrations communales dénoncent la loi, alors que d’autres s’expriment en sa faveur. Le monde politique francophone exprime de nettes réserves à plusieurs occasions, notamment lors du congrès du Parti libéral en octobre 1920. Sous cette pression, plusieurs personnalités politiques font marche arrière et invoquent la nécessité de modifier substantiellement le texte au Sénat.

Le débat au Sénat

50Après de longues discussions souvent tendues, le Sénat approuve le 13 mai 1921 une version remaniée de la proposition de loi, modifiant le texte de la Chambre sur quatre aspects essentiellement.

51 1. Le Sénat assouplit le champ d’application du bilinguisme dans les administrations centrales de l’État, et les conditions de preuve de ce bilinguisme pour les fonctionnaires : la loi ne s’applique plus aux administrations qui comportent, dans leur propre législation, un régime linguistique spécifique (art. 5) ; l’obligation de bilinguisme ne s’applique plus aux relations intérieures de l’administration mais uniquement aux fonctions qui sont en contact avec le public (art. 5) ; seules les promotions aux niveaux supérieurs de l’administration (chefs de division ou équivalent et niveaux supérieurs) seront soumises à un examen linguistique démontrant la connaissance des deux langues par le candidat, et ce, seulement à partir du 1er janvier 1925 (art. 6) ; les agents en place au moment du vote de la loi ne sont tenus à aucune obligation linguistique individuelle (art. 9). Par contre, tous les nouveaux candidats à un emploi dans les administrations centrales de l’État devront réussir un examen démontrant leur « connaissance élémentaire » de la seconde langue (art. 6).

522. Le Sénat redéfinit le mode de fixation des limites des « régions linguistiques » :

53

  • dans les communes où la majorité de la population « parle le plus fréquemment », selon le dernier recensement décennal, une langue différente de celle définie par les limites administratives des provinces et arrondissements, le conseil communal décide de la langue administrative d’usage (art. 3). Cette disposition a pour objectif de répondre à la problématique des « communes égarées » en établissant un critère objectif pour les identifier ;
  • dans les communes où 20 % des électeurs communaux, ou 15 000 électeurs communaux au moins dans les communes de plus de 70 000 habitants, auront formulé « une requête signée » au conseil communal, les avis et communications au public doivent être rédigés dans les deux langues (art. 4). Ce régime linguistique, qu’on baptisera ultérieurement « bilinguisme externe », constitue un régime intermédiaire entre le régime bilingue de l’agglomération bruxelloise et le régime unilingue. La procédure pétitionnaire pour l’obtenir au niveau de chaque commune (dont le mode d’application n’est par ailleurs pas clairement défini) est remarquable en ce qu’elle est un des rares cas où une loi belge a prévu un mécanisme de ce type ;
  • l’agglomération bruxelloise comprend 17 communes et non 15  [23]. De plus, l’agglomération bruxelloise peut être complétée par simple arrêté royal. Aucun critère lié au volet linguistique du recensement n’est spécifié pour induire cette adaptation, à la différence du mécanisme prévu pour les « communes égarées ». Pour ce qui concerne les relations internes, il n’est plus question de bilinguisme général, mais d’un régime linguistique établi par arrêté royal dans chaque commune de l’agglomération, sur base des décisions des conseils communaux (art. 2). Seuls les avis et communications au public devront impérativement être rédigés dans les deux langues. Par ailleurs, il faut ajouter que la commune de Bruxelles elle-même s’était vu rattacher en mars 1921, c’est-à-dire en plein milieu du débat, les communes de Laeken (sur laquelle se situe le port de la ville), de Neder-over-Hembeek et de Haeren (qui comprend le premier aéroport bruxellois). La surface de la commune a presque quadruplé. Bien que la finalité de cette extension ait été présentée comme essentiellement économique, il faut remarquer qu’elle a pour conséquence, sur le plan linguistique, d’inclure dans le statut bilingue de Bruxelles trois communes dont deux, Neder-over-Hembeek et Haeren, sont unilingues néerlandophones.

543. Le Sénat maintient, à tous les niveaux et dans toutes les « régions linguistiques », la possibilité du bilinguisme : la loi n’interdit nulle part l’usage de la seconde langue. Elle laisse à la discrétion de toutes les administrations concernées le choix de faire un usage supplétif de la seconde langue si elles l’estiment nécessaire (art. 1, 4 et 7). Seules les communications individuelles doivent être unilingues et respecter le choix de la langue de l’intéressé. Les administrés conservent la possibilité d’obtenir la traduction d’un acte administratif dans l’autre langue nationale sur simple demande, sur tout le territoire (art. 8).

55 4. Le Sénat supprime toute référence au droit des germanophones et de la langue allemande. Les communes allemandes annexées par le traité de Versailles sont encore sous un régime d’exception et les députés wallons de la province de Luxembourg craignent que la loi soit utilisée par les défenseurs d’une reconnaissance officielle du dialecte luxembourgeois parlé dans les zones d’Arlon et de Messancy.

Le second débat à la Chambre

56La Chambre approuve le texte du Sénat sans modification, après le rejet de plusieurs amendements. Un amendement dispensant la Wallonie de l’application de la loi (ce qui aurait en réalité remis tout le projet en cause) obtient une majorité parmi les députés wallons (37 contre 8), mais est rejeté par une très large majorité sur l’ensemble de la Chambre (93 contre 42). Plus étonnant, un amendement visant à imposer une parité linguistique entre fonctionnaires dans les administrations centrales de l’État et celles de l’agglomération bruxelloise est rejeté par une large majorité de députés flamands (61, dont 2 du Frontpartij, contre 4), et approuvé par une large majorité de représentants wallons (44 contre 5). Ce vote traduit à nouveau les craintes, du côté wallon, dans un contexte où la population francophone est minoritaire dans le pays et où la connaissance de la seconde langue est beaucoup moins développée parmi les francophones que parmi les Flamands, que l’imposition plus stricte d’un bilinguisme des agents favorise une mainmise des néerlandophones sur la fonction administrative. Le rejet de l’amendement de la part des députés flamands indique que le monde politique flamand, en refusant ainsi de garantir un partage égal des postes, n’est pas prêt à donner de gages aux francophones pour apaiser leurs craintes.

1.3.4. Les votes

57 Le premier vote en faveur du texte à la Chambre, le 3 août 1920, avant sa modification par le Sénat, rassemble une majorité de députés flamands et bruxellois  [24], favorables à la loi, contre une majorité de députés wallons d’une part, et une majorité de catholiques contre une majorité de socialistes d’autre part. Les frontistes présents votent tous en faveur de la loi.

Tableau 4 : Le premier vote à la Chambre de la loi de 1921 - 3/8/20

Tableau 4 : Le premier vote à la Chambre de la loi de 1921 - 3/8/20

Tableau 4 : Le premier vote à la Chambre de la loi de 1921 - 3/8/20

58 Après la modification du texte par le Sénat, il revient à la Chambre où il fait l’objet d’une nouvelle discussion et d’un nouveau vote le 29 juillet 1921. La physionomie du vote reste assez semblable. L’abstention est cependant plus importante ; les catholiques wallons ont basculé dans le camp des opposants à la loi ; et les frontistes, mécontents de l’édulcoration de la loi, votent cette fois contre le texte proposé.

Tableau 5 : Le second vote à la Chambre de la loi de 1921 - 29/7/20

Tableau 5 : Le second vote à la Chambre de la loi de 1921 - 29/7/20

Tableau 5 : Le second vote à la Chambre de la loi de 1921 - 29/7/20

59 La loi est promulguée le 31 juillet 1921. Elle entre en vigueur le 1er janvier 1922 et abroge la loi du 22 mai 1878.

1.3.5. La situation juridique

60 On trouvera le texte complet de la loi du 31 juillet 1921 en Annexe 2, ainsi qu’une synthèse de son impact dans l’Annexe 1.

L’égalité juridique des langues

61Les trois « régions linguistiques » définies implicitement par la loi de 1878 sont confirmées et leurs limites redéfinies. La région de langue française et la région de langue néerlandaise sont cette fois traitées de manière égale et symétrique. La région bilingue est redéfinie de façon plus restrictive (agglomération bruxelloise et non plus arrondissement de Bruxelles).

La frontière linguistique mobile

62Le traitement égal et symétrique des deux régions unilingues conforte implicitement la notion de « frontière linguistique  [25] », déjà sous-jacente dans la loi de 1878 : les deux « régions linguistiques » constituant des territoires géographiquement homogènes  [26], la limite entre les deux s’impose de fait comme une division administrative d’un type nouveau. Celle-ci est potentiellement mobile, de manière régulière, en fonction des résultats du dernier recensement linguistique décennal. La loi introduit le concept de communes qui combinent un régime linguistique administratif unilingue et un droit, pour les habitants, à être traités dans l’autre langue nationale à leur demande : c’est ce qu’on a appelé le bilinguisme externe, expression qui ne figure pas dans la loi mais qui sera abondamment utilisée.

Les « communes égarées »

63Contrairement à la loi de 1878, la loi de 1921 présente une solution pour les communes concernées par les imperfections des limites provinciales et d’arrondissement, les « communes égarées ». La possibilité offerte aux conseils communaux de choisir pour leur commune une langue administrative interne différente de celle de la « région linguistique » à laquelle elle appartient, à condition que la majorité de la population déclare parler cette autre langue lors du recensement, leur est clairement destinée, même si, en théorie, cette disposition peut trouver à s’appliquer partout dans le royaume. Par rapport à la proposition initiale, la loi présente l’avantage d’établir un critère objectif pour identifier les « communes égarées », tout en laissant, au nom de l’autonomie communale, la liberté aux conseils communaux de se saisir de cette possibilité ou non  [27].

64 Selon les données du recensement de 1920 (voir Annexe 1), la référence à la majorité issue du recensement linguistique décennal trouve à s’appliquer essentiellement aux communes déjà citées  [28] : à deux exceptions près, aucune nouvelle commune ne présente une majorité linguistique différente de celle de son arrondissement ou de sa province. Les « communes égarées » ne sont cependant plus que 52 (27 en Flandre et 25 en Wallonie), au lieu de 60 en 1878. Zandvoorde, Rekkem et Herstappe sont entre-temps devenues majoritairement néerlandophones, d’une part, et Remersdaal et Rosoux-Crenwick majoritairement francophones, d’autre part. Helchin, située en Flandre, s’est, elle, nouvellement « égarée », en devenant majoritairement francophone, et Marcq, située en Wallonie, a fait le chemin inverse. Quant à Hombourg, Gemmenich, Sippenaeken, Moresnet et Membach, elles font partie des communes « des 3 langues » situées dans l’arrondissement de Verviers, entre les communes fouronnaises et le canton d’Eupen. Leur population pratique un dialecte particulier, mélange de français, de néerlandais et d’allemand, dont la nature exacte fera encore l’objet de controverses par la suite. Les résultats des recensements linguistiques y sont dès lors très volatils : originellement néerlandophones, ces populations sont devenues ensuite très majoritairement germanophones. Mais les minorités se déclarant francophones y sont devenues plus importantes que les minorités se déclarant néerlandophones. Or, l’allemand n’étant pas pris en compte par la loi, ces communes tombent dès lors dans le régime francophone majoritaire (malgré la présence d’à peine 6 % de francophones et 3 % de néerlandophones à Gemmenich, par exemple).

Le bilinguisme externe

65Dans les communes où règne une certaine mixité linguistique, le choix du statut de bilinguisme externe est applicable dès lors que 20 % des électeurs communaux, ou 15 000 électeurs dans les communes comptant plus de 70 000 électeurs, en font la demande par voie de pétition. La demande est exprimée par rapport à la langue administrative interne de la commune : dans les « communes égarées », c’est par rapport à la langue éventuellement choisie par le conseil communal que le bilinguisme externe peut être exigé. En ce qui concerne le bilinguisme externe également, nous n’avons pas pu vérifier l’utilisation par les populations concernées de cette procédure pétitionnaire en raison de l’absence de toute centralisation de cette information. L’usage effectif de cette disposition, qui ne fait l’objet d’aucun arrêté d’application, reste obscur. Il semble que la validation de cette procédure imprécise incombe au seul conseil communal, qui devient donc l’instance qui décide de l’application du bilinguisme externe en garantissant que les conditions prévues par la loi ont bien été réunies. Il est par ailleurs aussi possible que certains conseils communaux concernés aient tout simplement décidé d’adopter le statut de bilinguisme externe, sans attendre une pétition en bonne et due forme, en considérant que la représentation des langues en leur sein avait valeur de requête suffisante. Selon plusieurs auteurs flamands  [29], le seuil de 15 000 électeurs sur 70 000 aurait été retenu afin qu’aucune grande ville wallonne, où les ouvriers migrants flamands constituent parfois une population importante, ne soit concernée, alors que les principales communes flamandes le seraient.

66 Quelles étaient les communes susceptibles de bénéficier du régime de bilinguisme externe, compte tenu des données des recensements au plan linguistique ? Si l’on considère que la répartition des électeurs au plan linguistique est identique à celle de la population en général, ce qui semble acceptable, et que les électeurs représentent les 2/3 environ de la population masculine, on peut conclure que :

67

  • la règle des 20 % pouvait trouver à s’appliquer dans 15 communes situées en Flandre : 10 « communes égarées » à majorité francophone dont la population néerlandophone dépasse les 20 %  [30], et 5 autres communes où la population francophone dépasse les 20 %  [31] ;
  • la règle des 20 % pouvait trouver à s’appliquer dans 3 communes situées en Wallonie : 2 « communes égarées » à majorité néerlandophone dont la population francophone dépasse les 20 %  [32], et 1 autre commune, anciennement « égarée » mais devenue majoritairement francophone, et où la population néerlandophone dépasse les 20 %  [33] ;
  • en Flandre, seules Anvers et Gand présentent une proportion de francophones significative, mais encore insuffisante pour que la règle des 15 000 électeurs communaux sur 70 000 puisse s’appliquer. En ce qui concerne les grandes villes wallonnes, il aurait fallu que le seuil à franchir soit nettement inférieur pour voir s’appliquer cette procédure : il y avait, par exemple, moins de 1 000 néerlandophones déclarés à Charleroi en 1920. Il est donc vraisemblable que cette règle n’ait pas trouvé à s’appliquer.

68Les communes de la frontière linguistique où le régime de bilinguisme externe est, selon toutes vraisemblances, potentiellement applicable, sont donc au nombre de 20 au maximum, toutes régions confondues.

Le bilinguisme des fonctionnaires de l’administration centrale

69La loi du 31 juillet 1921 a pour ambition de convertir progressivement tous les fonctionnaires de l’administration centrale à un bilinguisme minimal. L’édulcoration de la loi par le Sénat a joué un rôle important dans l’échec de cet objectif. Le maintien des situations acquises pour les fonctionnaires en place et les limitations aux contraintes du bilinguisme pour les promotions internes réduisent cette exigence aux seuls nouveaux arrivants. Si, pour ceux-ci, la règle avait été strictement appliquée, il aurait fallu attendre le renouvellement complet du cadre de l’administration pour y arriver, soit une quarantaine d’années. Or, ces nouveaux arrivants étant eux-mêmes recrutés par des fonctionnaires de l’État, la règle sera souvent appliquée très souplement.

70 La loi ne prévoit aucun mécanisme de contrôle de l’acquisition du bilinguisme ; elle n’impose aucune sanction ni aucune disposition particulière pour favoriser la formation des agents. Il était dès lors illusoire de penser que la simple adoption de la loi puisse mobiliser des dizaines de milliers de fonctionnaires unilingues francophones à s’astreindre à se former par eux-mêmes à l’autre langue nationale.

Le bilinguisme de l’agglomération bruxelloise

71Dans l’agglomération bruxelloise, la loi laisse aux administrations le choix de la langue administrative. Un arrêté royal du 27 janvier 1922 ratifie le choix des conseils communaux concernés : seul Woluwe-Saint-Étienne a fait le choix du néerlandais, et Woluwe-Saint-Pierre celui des deux langues indifféremment. Toutes les autres communes ont fait le choix du français, et ce, alors même que 7 communes, selon le recensement de 1920, comptent une majorité de néerlandophones  [34]. L’objectif de bilinguisme recherché par les promoteurs de la loi est loin d’être atteint. Le 12 juillet 1923, en vertu de la possibilité offerte par la loi d’étendre l’agglomération, un arrêté royal y rattache la commune de Ganshoren.

1.3.6 Conséquences

72 Dans les années qui suivent, le mouvement flamand se concentre sur la question de l’enseignement supérieur. Mais le constat est progressivement fait que la loi du 31 juillet 1921 ne permet pas une réelle égalité de l’emploi des langues dans l’administration, et que le bilinguisme ne s’étend pas. Avec la montée des nationalismes en Europe, une partie du mouvement flamand s’inscrit dans cette mouvance et se radicalise  [35]. Sous cette pression, le monde politique flamand portera, quelque dix ans plus tard, l’insuffisance de la mise en application de la loi de 1921 au niveau du gouvernement.

73 Pour ces raisons, la loi de 1921 est généralement considérée par les auteurs flamands comme un échec. Cette appréciation doit cependant être nuancée : les principes qu’elle a instaurés deviendront la base des législations futures. La loi qui suivra reprendra l’essentiel de ses dispositions, en donnant beaucoup plus de garanties sur leur application.

1.4. 1925 : le statut linguistique des cantons d’Eupen, Malmedy et Saint-Vith

74 Les articles 33 à 35 du Traité de Versailles ont rattaché 30 communes allemandes et la commune « libre » de La Calamine (aussi appelée Moresnet Neutre ou Kelmis  [36]) au territoire belge en juin 1919. Ces nouveaux territoires ont été placés sous un régime d’exception par une loi du 15 septembre 1919, sous la responsabilité d’un haut commissaire du Roi, le lieutenant-général Herman Baltia. La Calamine, bien que germanophone à plus de 97 %  [37], est rattachée au canton francophone d’Aubel dans l’arrondissement de Verviers et passe directement sous le régime de la loi ordinaire.

1.4.1. L’origine

75En 1924, le gouvernement dépose un projet de loi détaillé ayant pour objectif de mettre fin au régime d’exception des nouveaux territoires et de les faire passer sous la loi belge dans tous les domaines. Pris par le temps, et dans le but de permettre à leur population de participer aux élections législatives de 1925, le gouvernement décide finalement de faire passer dans les dernières séances de la législature une loi cadre mettant fin au régime d’exception, mais renvoyant les modalités de l’application de la loi belge à un débat ultérieur. Par une loi du 6 mars 1925, le régime d’exception est donc aboli et les nouveaux territoires forment désormais les cantons d’Eupen, Malmedy et Saint-Vith, rattachés à l’arrondissement de Verviers et à la province de Liège. Ils participeront pour la première fois aux élections législatives le 15 avril 1925.

76 Sans qu’aucun recensement linguistique ait pu y être pratiqué, il apparaît de manière évidente que 24 de ces communes sont unilingues germanophones  [38], alors que 6 d’entre elles, les futures « communes malmédiennes », sont francophones  [39], avec une minorité germanophone dont la proportion est alors difficile à estimer. C’est un simple arrêté royal du 4 octobre 1925 qui établit le régime linguistique administratif des nouveaux cantons, en application des pouvoirs donnés au Roi par la loi du 6 mars 1925.

1.4.2. Le débat parlementaire

77Le débat parlementaire portera très peu sur l’emploi des langues. La question principale est de savoir si ces nouveaux territoires vont constituer un arrondissement administratif propre ou s’ils vont se fondre dans un arrondissement existant, et, dans ce cas, s’ils seront rattachés au même arrondissement ou s’ils seront dispersés. Les partisans de la dispersion invoquent une histoire linguistique différente de ces communes ; il est envisagé de rattacher le canton de Saint-Vith à la province de Luxembourg et celui d’Eupen au Limbourg, car certains voient dans le dialecte eupenois une racine flamande. Finalement, devant la volonté exprimée par la population de rester administrativement unie, le débat se résume au choix entre le rattachement des trois cantons à l’arrondissement de Verviers et la constitution d’un arrondissement spécifique. La majorité opte finalement pour le rattachement à l’arrondissement de Verviers, la représentation spécifique de ces « nouveaux Belges » étant assurée par l’octroi d’un député supplémentaire à l’arrondissement électoral.

1.4.3. Les votes

78 La composition de la Chambre est identique à celle de 1921. La loi est votée à la Chambre le 5 mars 1925 par 91 voix contre 5 et 48 abstentions. Le vote n’est ni communautaire, ni lié à la majorité gouvernementale, bien que les socialistes, dans l’opposition, s’abstiennent parce que l’inclusion des nouveaux territoires dans l’arrondissement de Verviers est préférée à la constitution d’un arrondissement propre.

79 Le lendemain, le Sénat vote le texte à son tour par 76 voix pour et 43 abstentions. Les abstentions sont motivées par les mêmes raisons que celles de la Chambre. Le texte est promulgué dans l’urgence le jour même.

1.4.4. L’arrêté royal

80 L’arrêté royal du 4 octobre 1925 reprend l’essentiel des dispositions du projet de loi initial. Il touche de nombreux aspects liés à l’intégration des nouveaux territoires dans la loi belge : loi communale, loi militaire, législation sur l’art de guérir, loi sur l’emploi des langues dans la justice, etc.

81 Sur le plan administratif, le texte ne règle que les avis et communications au public et la correspondance entre les communes et les services locaux de l’État et de la province de Liège. Il est calqué sur celui de la loi de 1921. Il prévoit que les avis et communications au public « seront rédigés en langue allemande et en langue française et, s’il y a lieu, également en langue flamande ». La correspondance se fera « en allemand avec les communes et les particuliers, à moins que ces communes ou ces particuliers ne demandent que la correspondance ait lieu, soit en français, soit en flamand, ou aient eux-mêmes fait usage de l’une ou l’autre de ces langues dans la correspondance ».

1.4.5. Conséquences

82Pour la première fois, et bien que ce soit par une loi dérogatoire à la loi commune, l’usage de l’allemand est consacré en matière administrative. Le statut des 24 communes unilingues germanophones passées à la loi commune est donc adapté à leur situation sociologique, ce qui ne sera pas le choix d’autres pays confrontés à la même situation par rapport à des territoires allemands annexés (imposition du français comme langue administrative en Alsace et en Moselle par la France par exemple).

83 La commune de La Calamine présente cependant une situation particulière. Elle n’est pas passée par le régime d’exception. Elle échappe donc à la loi de 1925, et malgré son caractère massivement germanophone elle se retrouve incluse dans la région unilingue francophone.

84 La communauté de destin des six communes malmédiennes avec leurs homologues germanophones leur vaut un statut particulier de bilinguisme externe en faveur de l’allemand, alors que les recensements linguistiques ultérieurs montreront que la population germanophone y est très minoritaire.

85 Cette ouverture à l’allemand ne profitera pas aux germanophones du reste de la Belgique, en particulier aux habitants de la région d’Arlon (« Arelerland ») qui déclaraient majoritairement parler l’allemand dans 20 communes au recensement de 1920  [40]. Elle restera aussi sans effet sur les 9 communes « des 3 langues », situées entre les communes fouronnaises et le nouveau canton d’Eupen, dont le dialecte est apparenté à la fois au français, au néerlandais et à l’allemand, mais dans lesquelles le recensement de 1920 donne une très nette majorité à l’allemand  [41].

2. De 1932 à 1954

86 Contrairement à la loi de 1921, la loi de 1932 est encore invoquée dans le discours politique actuel : elle passe souvent pour avoir constitué le point de départ d’un processus ayant mené à la fixation définitive de la frontière linguistique dans les années 1960. Outre que cette approche occulte les évolutions législatives antérieures, elle confère à la loi de 1932 un statut de loi fondatrice, créditée notamment d’avoir instauré la frontière linguistique, ce qui ne correspond pas à la réalité : sa motivation réside bien plus dans la volonté d’approfondir la concrétisation des principes de la loi de 1921, dont le bilan est considéré comme décevant à la fin des années 1920.

2.1. La loi de 1932, ou les cadres linguistiques de l’État central et les mécanismes de contrôle

2.1.1. L’origine

87Après la percée des nationalistes flamands aux élections du 26 mai 1929, où ils passent de 6 à 11 sièges à la Chambre (au détriment du parti catholique principalement), la pression du mouvement flamand pour une imposition effective du néerlandais comme langue administrative unique en Flandre s’accroît fortement. L’élection d’August Borms, activiste flamingant condamné à mort pour collaboration après la Première Guerre mondiale, lors d’une élection partielle dans l’arrondissement d’Anvers le 9 décembre 1928  [42], apparaît comme un véritable défi à l’État belge. L’impact très limité de l’application de la loi de 1921, tant en raison des transitions longues et des exceptions que de l’insuffisance de cadres formés en néerlandais, rendait nécessaire une évaluation et un renforcement de celle-ci, de même qu’un approfondissement de la loi sur l’emploi des langues dans l’enseignement. C’est en 1929 également que les socialistes élaborent le « Compromis des Belges » : Camille Huysmans et Jules Destrée soumettent aux instances de leur parti un texte qui prétend mettre un terme aux querelles linguistiques en imposant un équilibre, basé sur la territorialité mais en des termes ambigus, entre les deux langues nationales.

88 Pour la première fois, l’emploi des langues devient une question de gouvernement. Après une première longue discussion parlementaire, l’usage exclusif du néerlandais est imposé à l’Université de Gand par la loi du 5 avril 1930. Dans un second temps, le gouvernement Jaspar (catholique-libéral) dépose à la Chambre, le 15 mai 1931, un projet de loi visant à modifier la loi de 1921 sur l’emploi des langues en matière administrative. Mais le gouvernement d’Henri Jaspar tombe le 21 mai 1931 et Jules Renkin lui succède à la tête de la même majorité. Renkin, tout en maintenant le projet de loi, ne fait plus de la question linguistique une question gouvernementale et laisse aux membres de sa coalition une totale liberté de vote sur le projet en discussion.

2.1.2. La composition de la Chambre

89 Les élections législatives de 1929 ont consacré la victoire du Frontpartij et des libéraux, et la défaite des socialistes et surtout du parti catholique. Ce résultat ramène grosso modo la composition de la Chambre à ce qu’elle était en 1921, avec une représentation libérale malgré tout plus faible et une plus forte représentation des nationalistes flamands.

Tableau 6 : Composition de la Chambre - 1929-1932

Tableau 6 : Composition de la Chambre - 1929-1932

Tableau 6 : Composition de la Chambre - 1929-1932

2.1.3. Le projet de loi

90Le projet de loi Jaspar modifie en fait très peu le texte de 1921 en vigueur. Le principal aspect nouveau est constitué par le retrait presque complet de toute compétence des conseils communaux dans la définition de la langue administrative des « communes égarées » et des communes présentant une forme de mixité linguistique, au profit d’un mécanisme plus objectif basé uniquement sur le volet linguistique du recensement décennal. Il étend aussi la portée de la loi en incluant explicitement les parquets et la gendarmerie, ainsi que les cabinets ministériels, dans son champ d’application. La possibilité d’étendre l’agglomération bruxelloise par arrêté royal disparaît. Sur la plupart des autres points, le projet Jaspar reprend le texte de 1921 sans modification  [43], ce qui suscite de vives réactions. C’est donc de la discussion parlementaire et des multiples amendements que sortiront les évolutions les plus importantes. Le texte initial est attaqué sur de nombreux points par les députés flamands. La section centrale de la Chambre, présidée par Van Cauwelaert, renforce le cadre contraignant du texte sur plusieurs points :

Le renforcement de l’unilinguisme dans chaque région et du bilinguisme à Bruxelles

91Le champ d’application de l’usage obligatoire des langues est largement précisé.

92 Les nombreuses exceptions au champ d’application de la loi de 1921 sont supprimées. Désormais, ce sont non seulement les administrations de l’État (y compris les parquets et la gendarmerie), provinciales et locales, mais aussi les entreprises et services publics, régies, services concédés et « en général, toutes les administrations et autorités publiques subordonnées » (art. 1er § 3), qui sont concernés par la loi. Celle-ci prévaut sur les éventuelles réglementations propres qui contreviendraient aux dispositions de la loi. De même, les provinces et les communes ne peuvent plus faire usage de l’autre langue dans leurs relations internes.

93 Dans l’agglomération bruxelloise, un bilinguisme minimal remplace le libre choix de la langue administrative par les autorités communales. Comme dans la loi de 1921, l’emploi des langues est réglé par un arrêté royal, mais celui-ci doit tenir compte « des situations locales et (…) s’inspirer d’un égal respect pour les deux langues nationales » (art. 2 § 4). Woluwe-Saint-Étienne et Ganshoren rejoignent le régime unilingue néerlandais de l’arrondissement de Bruxelles et ne font plus partie de l’agglomération bruxelloise, qui ne compte plus que 16 communes et non 18.

94 Dans les administrations centrales de l’État, l’objectif du bilinguisme des agents est remplacé par la constitution de cadres linguistiques séparés. À l’exception des fonctions supérieures, les fonctionnaires ne doivent plus faire la preuve de leur connaissance de la seconde langue, sauf dans l’agglomération bruxelloise et dans l’administration de la province de Brabant. Ils sont inscrits dans un cadre linguistique correspondant à la langue dans laquelle ils ont réussi leur examen d’entrée ou, à défaut, un examen linguistique spécifique (art. 9).

Le renforcement du rôle du recensement dans les communes de la frontière linguistique

95Le recensement linguistique devient la référence unique pour déterminer l’application d’un régime linguistique distinct du régime général défini par la situation géographique de la commune :

96

  • dans les « communes égarées », le rôle du conseil communal dans le choix de la langue administrative est supprimé : la langue correspondant à celle de la majorité de la population devient automatiquement la langue administrative de la commune (art. 3 § 1er) ;
  • dans les communes où une minorité de 30 % au moins de la population déclare s’exprimer dans l’autre langue nationale d’après le dernier recensement, un régime de bilinguisme externe doit être instauré (art. 6 § 4). Le principe des pétitions à adresser aux autorités communales par 20 % des électeurs disparaît. Bien qu’elle ne se limite en principe pas aux seules communes de la frontière linguistique, cette disposition ne trouvera d’application que parmi celles-ci (et autour de l’agglomération bruxelloise). Le seuil de 30 % garantit qu’aucune grande ville flamande ne sera plus concernée par le régime de bilinguisme externe. Par contre, dans les communes concernées, les fonctionnaires en contact avec le public et leur responsable direct doivent désormais « connaître les deux langues nationales » (art. 9 § 2).

La mise en place d’organes de contrôle

97 Une commission permanente est mise en place pour surveiller la mise en application de la loi (art. 13). Elle est composée de membres choisis parmi les candidats proposés par les Académies royales de langue et littérature française et néerlandaise ; elle peut instruire les plaintes qui lui sont adressées et interpeller le ministre de l’Intérieur à ce sujet. Le gouvernement doit faire rapport des dispositions prises à l’égard de ces plaintes.

98 Par contre, aucune sanction n’est prévue pour les fonctionnaires qui ne rempliraient pas leurs obligations linguistiques. Réclamées par de nombreux députés néerlandophones, les sanctions sont finalement abandonnées face aux réticences francophones et aux difficultés qu’aurait provoquées leur intégration dans le cadre législatif de la fonction publique.

Les droits des germanophones

99Malgré une demande gouvernementale, les droits des germanophones ne sont toujours pas consacrés par la loi commune. Alors que le régime linguistique des 30 communes annexées après le traité de Versailles a été réglé par une loi intermédiaire spécifique depuis plus de six ans, le statut linguistique des nouveaux cantons et celui de la langue allemande ne sont pas considérés par le projet. Le statut de La Calamine n’est toujours pas pris en considération et cette commune reste donc en région de langue française. La Chambre conviendra seulement que la loi ne s’applique pas aux nouveaux cantons (art. 12), ce qui a pour conséquence de maintenir en vigueur les dispositions de l’arrêté royal du 4 octobre 1925.

2.1.4. Les votes

100 La loi recueille un large accord, à l’exception des frontistes, qui jugent le texte insuffisant, et de quelques libéraux de Flandre (qui représentent principalement les minorités francophones) et de Bruxelles. Contrairement à la loi de 1921, la loi est approuvée par la majorité des socialistes wallons, et des francophones en général. Alors que la loi de 1921 avait été votée majorité flamande contre minorité francophone, celle de 1932 recueille les deux tiers des voix dans toutes les régions du pays. Le vote intervient le 2 mars 1932.

Tableau 7 : Le vote de la loi de 1932 à la Chambre - 2/3/32

Tableau 7 : Le vote de la loi de 1932 à la Chambre - 2/3/32

Tableau 7 : Le vote de la loi de 1932 à la Chambre - 2/3/32

101Le texte passe au Sénat le 15 juin 1932. Des amendements portant sur l’extension de l’agglomération bruxelloise, sur l’introduction d’un délai pour l’application des dispositions relatives aux administrations centrales et sur le seuil de 30 % pour l’introduction du bilinguisme externe sont rejetés. L’intention est clairement de ne pas renvoyer le texte à la Chambre pour aboutir avant l’été. Le projet est finalement approuvé tel quel le 21 juin par 98 voix contre 14 et 19 abstentions. La loi est promulguée le 28 juin. Elle abroge la loi du 31 juillet 1921 dès sa parution le lendemain.

2.1.5 La situation juridique

102On trouvera le texte complet de la loi du 28 juin 1932 en Annexe 2, ainsi qu’une synthèse de son impact dans l’Annexe 1.

103 La loi modifie peu la situation juridique créée en 1921. Ses principes sont identiques, sa structure également. On peut lire les deux textes en parallèle, des phrases entières sont reprises textuellement. Au-delà du changement principal que constitue la création de cadres linguistiques dans les administrations de l’État, son rôle se situe essentiellement dans une plus grande applicabilité et dans une référence plus systématique à des paramètres objectifs et contrôlables.

104 La loi confirme l’existence des trois régions linguistiques (toujours sans les dénommer, mais en utilisant incidemment cette expression générique), l’égalité juridique des deux langues et la frontière linguistique mobile. Elle adapte, en les confirmant, les principes du traitement spécifique des « communes égarées », du bilinguisme externe pour les communes de mixité linguistique, du bilinguisme de l’agglomération bruxelloise et du bilinguisme des administrations centrales.

Le statut des communes

105La loi supprime toute incertitude quant au statut linguistique des communes, en retirant presque tout pouvoir aux conseils communaux pour définir la langue administrative de leur entité. C’est le cas pour les « communes égarées », puisque désormais un recensement dont le résultat donnerait une majorité linguistique différente de la région administrative à laquelle la commune appartient oblige celle-ci à adopter l’autre langue. C’est également le cas pour les communes de mixité linguistique, pour lesquelles ce sont désormais les chiffres du recensement qui ouvrent automatiquement le droit au régime de bilinguisme externe. Dans les communes de l’agglomération bruxelloise, alors que la loi de 1921 laissait aux pouvoirs locaux le choix de la langue, le bilinguisme devient une obligation : elles sont tenues de s’adresser dans les deux langues à la population, et dans la langue administrative légale avec les entités des régions néerlandophones et francophones. Elles ne peuvent plus déterminer leur langue administrative que pour leurs relations avec des entités elles-mêmes bilingues (relations internes, relations entre elles et relations avec l’administration centrale).

106 Enfin, la loi fixe les limites de l’agglomération bruxelloise et ne prévoit plus aucun mécanisme pour l’adapter ou l’étendre, à l’inverse de la loi de 1921. Les recensements, dont les conséquences peuvent trouver à s’appliquer dans les communes autour de l’agglomération, ne peuvent qu’introduire un régime de bilinguisme externe selon la règle des 30 %, mais n’ouvrent aucun droit à rejoindre l’agglomération : comme on le verra plus loin, l’extension de l’agglomération bruxelloise en 1954 requerra une modification de la loi, et n’est donc pas une simple conséquence de son application.

Géographie linguistique

107 Ces modifications permettent une analyse plus aisée de la situation géographique créée par la nouvelle loi. Les limites des trois régions linguistiques sont modifiées, par rapport à celles définies en 1921, par trois paramètres :

108

  • les modifications de limites définies par la loi elle-même ;
  • les changements de mode de calcul définis par la loi (en particulier pour le bilinguisme externe) ;
  • les résultats du recensement de 1930.

109La disparition de toute référence au choix des conseils communaux rend la géographie linguistique plus facile à analyser.

110L’agglomération bruxelloise

111La loi fixe l’agglomération à 16 communes, les mêmes qu’en 1921 à l’exception de Woluwe-Saint-Étienne, qui rejoint le régime général (unilingue néerlandophone) de l’arrondissement de Bruxelles. Le recensement de 1930 donnant moins de 7 % de francophones dans cette commune, elle ne tombe pas non plus sous le régime de bilinguisme externe. Par contre, la commune de Berchem-Sainte-Agathe, limitrophe de l’agglomération, dépasse le seuil de 30 % et obtient le statut de bilinguisme externe pour les francophones. Quant à Ganshoren, qui avait été rattachée à l’agglomération en 1923 en raison du dépassement de ce seuil en 1920 déjà, elle retourne au même régime de bilinguisme externe dans la partie néerlandophone de l’arrondissement de Bruxelles.

112Les « communes égarées »

113 Notons également que selon le recensement de 1930 (voir Annexe 1), si les règles générales de la loi avaient dû s’appliquer dans l’agglomération elle-même, 5 communes auraient reçu un régime unilingue francophone, 7 communes un régime francophone avec bilinguisme externe pour les néerlandophones, et 4 un régime néerlandophone avec bilinguisme externe pour les francophones. La situation linguistique de la capitale apparaît donc assez disparate : les 16 communes de l’agglomération ont un régime totalement bilingue alors que les situations linguistiques de ces communes sont fort différentes, et deux communes périphériques bénéficient du régime de bilinguisme externe pour la minorité francophone.

114Les communes auxquelles s’applique le régime de bilinguisme externe

115 Leur nombre ne diminue pas, mais l’application de la règle qui les concerne devient automatique : 52 communes sont désormais attachées de manière obligatoire au régime linguistique de la majorité de leur population, distinct de celui de la région administrative à laquelle elles appartiennent. Ce sont les mêmes qu’en 1921, auxquelles il faut rajouter Remersdaal, redevenue néerlandophone  [44], et dont il faut retrancher Marcq, redevenue francophone, en vertu du recensement de 1930. Les « communes égarées » sont donc désormais au nombre de 27 (francophones) en Flandre et 25 (néerlandophones) en Wallonie.

116 C’est dans cette catégorie que l’évolution par rapport à 1921 est la plus marquée. Malgré la référence désormais directe et obligatoire au recensement, et malgré la hausse du seuil de la minorité à 30 %, les mouvements sont nombreux et en sens divers, si on les compare à la situation simulée à partir du recensement de 1920 (les 16 communes de l’agglomération bruxelloise ne sont pas concernées)  [45] :

117

  • 2 communes unilingues néerlandophones deviennent bilingues externes pour les francophones (N ➔ N (fr))  [46] et 3 font le chemin inverse (N (fr) ➔ N)  [47], 4 communes néerlandophones maintenant ce régime accessible depuis 1921 (N (fr) = N (fr))  [48] ;
  • 3 communes unilingues francophones deviennent bilingues externes pour les néerlandophones (FR ➔ FR (n))  [49] et 7 font le chemin inverse (FR (n) ➔ FR))  [50], 4 communes francophones maintenant ce régime accessible depuis 1921 (FR (n) = FR (n))  [51].

118Les communes germanophones

119 Les 30 communes des nouveaux cantons d’Eupen, Malmedy et Saint-Vith ont participé pour la première fois au recensement en 1930. L’allemand ayant toujours été comptabilisé dans les volets linguistiques des recensements, il est donc désormais établi que 6 communes sont à large majorité francophone (canton de Malmedy  [52]) et 24 à large majorité germanophone (cantons d’Eupen et de Saint-Vith). La loi ne reconnaît pas l’allemand comme langue nationale et le statut linguistique de ces communes n’est pas abordé. Elles restent donc sous le régime de la loi particulière de 1925.

120 On peut néanmoins projeter le résultat auquel aurait abouti l’application de la loi commune avec reconnaissance de l’allemand au même titre que les autres langues nationales. Pour les 6 communes malmédiennes, dont aucune ne présente une proportion de germanophones supérieure à 30 % (Robertville atteint 22 %), le résultat est identique à celui qui aurait prévalu si l’allemand avait été traité comme les deux autres langues. Pour les 25 communes germanophones à plus de 90 % pour la plupart (seul Lontzen est significativement plus bas : 75 %), un régime unilingue germanophone aurait été instauré. La situation particulière de La Calamine, probablement oubliée, est affectée par le maintien de deux régimes légaux distincts : le régime unilingue francophone est en contradiction avec la langue utilisée par la population  [53].

2.1.6. Conséquences

121À court terme, les conséquences de la loi de 1932 sont considérées comme positives dans les deux communautés. En entérinant les principes de 1921 et en renforçant leur mise en application, cette loi est d’abord considérée comme une victoire par le mouvement flamand. Les garanties obtenues par les francophones sur l’accès à la fonction publique d’État leur permettent de voter majoritairement la loi. Celle-ci apparaît donc comme un texte de consensus, à l’inverse de la loi de 1921, qui avait été approuvée par la seule majorité néerlandophone.

122 Par contre, dans les années suivantes, l’application de la loi de 1932, souvent déficiente, en particulier dans les communes de la frontière linguistique et même dans certaines villes de Flandre, sera régulièrement mise en cause par des militants flamingants comme Florimond Grammens  [54], qui exigeront l’application stricte de la loi (et non sa suppression). En particulier, la loi n’empêchera pas la progression de la francisation de l’agglomération bruxelloise, dont le bilinguisme reste largement organisé sur une base volontaire : la plupart des communes optent pour le maintien du français comme langue d’usage interne.

123 Jusqu’à 1940, dans un contexte politique pourtant favorable aux revendications nationalistes, aucun projet de loi ne remettra la loi de 1932 en cause. À long terme cependant, et en particulier dans le climat d’après-guerre exacerbé par le recensement de 1947, la loi de 1932 fera l’objet d’interprétations simplistes et de nombreux contresens, et ce jusqu’aujourd’hui. Elle sera présentée, à tort, comme étant la loi qui a créé la frontière linguistique. Le régime de bilinguisme externe sera souvent vu par le mouvement flamand comme une concession excessive aux francophones, consistant en un statut d’exception incohérent et inapplicable, destiné uniquement à convertir progressivement des communes flamandes au français, alors même qu’il n’était qu’une adaptation restrictive, inspirée des thèses néerlandophones, du même régime prévu par la loi de 1921. Les entorses à l’application de la loi susciteront une perte de crédibilité des volets linguistiques des recensements, soupçonnés de faire l’objet de manipulations à plus ou moins grande échelle.

124 L’approbation de la loi du 28 juin 1932 sera suivie de près par un approfondissement du principe de territorialité en matière d’enseignement primaire et moyen (loi du 14 juillet 1932). Il sera désormais possible de suivre un cursus scolaire et universitaire totalement en néerlandais, et donc de former les fonctionnaires nécessaires au cadre linguistique néerlandophone de l’administration d’État. La génération d’hommes politiques et d’intellectuels flamands qui négociera les lois de 1962-1963 en sera la première bénéficiaire.

125 Enfin, elle suscitera le mythe encore vivace d’une Flandre ayant proposé équitablement aux francophones la généralisation du bilinguisme dans l’administration de tout le pays, ceux-ci l’ayant refusé par volonté de maintenir avant tout l’unilinguisme en Wallonie. Selon certaines interprétations, les Flamands seraient donc fondés, depuis lors, à exiger l’application stricte de l’unilinguisme en Flandre  [55]. Or, en fait de bilinguisme, le débat de 1932 n’a porté que sur l’application de l’apprentissage des deux langues par les agents de l’administration centrale prévu par la loi de 1921, application restée très imparfaite à cette date. De plus, même limité à ce seul aspect, le choix du maintien (et du renforcement) de ce bilinguisme individuel était en réalité loin de faire l’unanimité dans la représentation flamande, les catholiques flamands en particulier s’étant rapidement montrés partisans de la scission en cadres linguistiques séparés, de même que le Frontpartij. À l’inverse, du côté francophone, si la solution des cadres linguistiques séparés a bien été présentée et défendue par les socialistes wallons, elle a été partiellement ou totalement combattue au cours des débats par les libéraux et les catholiques. Ces derniers s’abstiendront pour la plupart lors du vote final, précisément en raison de l’abandon de l’obligation de bilinguisme des agents de l’État à partir d’un certain niveau de responsabilité. Il n’a par ailleurs jamais été question d’abandonner la revendication de l’unilinguisme intégral dans les pouvoirs locaux, revendication constante du mouvement flamand depuis plus de 50 ans  [56]. La fin de l’utilisation du français dans les relations internes entre communes et provinces flamandes, utilisation encore permise par la loi de 1921, était dès le début des discussions une revendication unanime des partis flamands représentés à la Chambre  [57].

2.2. La loi de 1954, ou une solution de circonstance au problème du recensement

126Le recensement de 1940 ayant dû se limiter à un simple comptage à cause de l’Occupation, un nouveau recensement complet n’a pu avoir lieu qu’en 1947. Les résultats préliminaires connus en novembre 1949 révéleront qu’un nombre important de communes voient leur population francophone augmenter le long de la frontière linguistique et autour de Bruxelles. Des recours sont introduits auprès de la commission de contrôle prévue par la loi de 1932, et la publication des résultats de 44 communes litigieuses est suspendue.

127 Déjà, au sortir de la guerre, le contentieux communautaire est apparu extrêmement profond. Outre qu’il constitue la toile de fond de la question royale qui menace l’unité du pays, il porte sur de nouveaux éléments : condamnation francophone de la compromission du mouvement flamand avec l’Ordre nouveau ; perception différente de la collaboration et de l’épuration ; premières revendications séparatistes dans le mouvement flamand, qui trouvent leur pendant dans le mouvement wallon, finalement recentré autour de l’exigence d’une régionalisation qui garantisse aux Wallons minoritaires une maîtrise de leur région dans l’État belge ; basculement progressif de la primauté économique de la Wallonie vers la Flandre et du rapport de force politique qui en découle.

2.2.1. Les origines

128 Après la Seconde Guerre mondiale, plusieurs initiatives politiques sont prises pour tenter de faire évoluer la situation, soit dans le sens d’une résolution définitive et équilibrée du contentieux communautaire, soit au contraire dans le but d’exercer une pression afin de maximiser le gain politique autour de cette résolution. C’est d’abord la convocation du Congrès national wallon en 1945 et la mise en place d’un comité permanent qui jouera un rôle dans la défense du point de vue wallon sur la question linguistique. C’est aussi la création en 1948, sur proposition de loi du député social-chrétien liégeois Pierre Harmel, d’un « centre de recherche pour la solution nationale des problèmes sociaux, politiques et juridiques des diverses régions du pays  [58] », composé de parlementaires, de magistrats et de personnalités politiques de tous bords, plus communément appelé Centre Harmel. Il est présidé par le ministre d’État Eugène Soudan (socialiste), bourgmestre de Renaix. Sa section politique s’attelle au cours de l’année 1951 à l’analyse de la situation en matière de langues dans les communes de la frontière linguistique et, dans certains cas, dans les hameaux qui les composent, dans le but de proposer la rectification des limites communales, d’arrondissement et provinciales afin de les faire coïncider avec la réalité linguistique sur le terrain, et d’en finir avec les « communes égarées ». Travaillant en dehors des structures politiques classiques et bénéficiant de ce fait d’une certaine sérénité  [59], prolongé à plusieurs reprises malgré des changements de majorité, le centre se base d’abord sur l’audition d’experts universitaires et de militants fédéralistes des deux bords, avant d’envoyer des délégations dans les communes de la frontière linguistique pour s’informer des souhaits des élus locaux quant à un éventuel statut linguistique définitif  [60].

Le projet du Centre Harmel

129Dans ce contexte institutionnel fragile et compte tenu des vives tensions communautaires créées par la question royale, le gouvernement Eyskens (social-chrétien/libéral, 1949-1950) puis les gouvernements Duvieusart et Pholien (sociaux-chrétiens homogènes, 1950 et 1950-1952) reportent successivement la publication des résultats du recensement de 1947, invoquant les travaux en cours du Centre Harmel dans le but évident de temporiser face aux pressions symétriques des francophones, qui exigent la publication des résultats, et des associations flamandes, qui militent pour qu’ils soient définitivement enterrés. Le 12 juillet 1951, une résolution arrêtée par la section politique du Centre Harmel sur un tracé définitif de la frontière linguistique et sur le statut des communes linguistiquement mixtes, y compris l’agglomération bruxelloise, est remise au ministre de l’Intérieur Maurice Brasseur  [61].

130 Le Centre Harmel recommande d’adopter une nouvelle loi sur l’emploi des langues selon les principes suivants :

131

  • la fixation définitive de la frontière linguistique et la renonciation aux recensements linguistiques décennaux ;
  • la rectification du tracé des limites de certaines communes dont des hameaux ou quartiers pratiquaient une langue différente de celle de la commune selon les études universitaires réalisées sur le sujet ou les réalités constatées sur place ;
  • le transfert des communes dont les élus locaux ont manifesté le désir d’appartenir à l’autre région linguistique en motivant cette demande sur la réalité linguistique de la commune ;
  • la mise en place d’un régime de mixité linguistique en fonction du souhait exprimé par ces mêmes élus locaux.

132 Concrètement, le Centre Harmel propose d’appliquer ces principes de la manière suivante (dont on trouvera les principales conséquences en Annexe 1) :

133

  • 23 modifications de limites communales tout au long de la frontière linguistique ;
  • rattachement de 44 « communes égarées » à un arrondissement et/ou une province d’une région linguistique différente : 18 communes appartenant à des arrondissements de langue française  [62] doivent être rattachées à des arrondissements de langue néerlandaise et 26 doivent faire le chemin inverse  [63] ;
  • rattachement de la partie septentrionale de Marcq à l’arrondissement néerlandophone de Bruxelles, et modification de ses limites pour inclure ses quartiers francophones dans les communes de Bassilly, Silly, Hoves et Graty ;
  • retour d’Enghien en région de langue française, malgré la reconnaissance du caractère historiquement flamand de la ville ;
  • régime de bilinguisme externe pour Renaix, Enghien et Mouscron ;
  • régime de bilinguisme complet, à définir par arrêté royal, pour les communes fouronnaises, qui restent dans leur arrondissement d’origine.

134 Le Centre Harmel recommande de consulter les conseils communaux de toutes les communes concernées, sans que leur avis soit contraignant, avant la mise en place du nouveau statut. Dans la mesure où le fonctionnement des administrations provinciales sera affecté par ces modifications, il recommande de les consulter également.

135 Maurice Brasseur s’engage à déposer un projet de loi basé sur la résolution du Centre et tente de contourner la question de la publication des résultats du recensement contesté. La chute du gouvernement Pholien le 9 janvier 1952 ne lui en laisse pas le temps.

Le projet Moyersoen

136 Le 27 mai 1952, son successeur dans le gouvernement Van Houtte (social-chrétien homogène), Ludovic Moyersoen, dépose au Sénat un nouveau projet de loi qui s’écarte sur de nombreux points de la résolution du Centre :

137

  • le régime linguistique interne néerlandophone est appliqué dans 24 « communes égarées » appartenant à des arrondissements et provinces francophones  [64] ;
  • le régime linguistique interne francophone est appliqué dans 29 « communes égarées » appartenant à des arrondissements et provinces néerlandophones  [65] ;
  • un statut de bilinguisme externe, dont l’étendue est réduite, est accordé à 9 communes du régime francophone  [66] et à 10 communes du régime néerlandophone  [67]. Les communes cominoises, ainsi que Dottignies et Herseaux, restent unilingues francophones. Aucune commune ne bénéficie du bilinguisme externe dans la périphérie bruxelloise (elles seront réintégrées dans le statut de bilinguisme externe au cours du débat parlementaire) ;
  • aucune rectification de limites communales n’est prévue ;
  • l’agglomération bruxelloise est étendue à Evere, Ganshoren et Berchem-Sainte-Agathe et compte donc 19 communes ;
  • le bilinguisme des relations internes dans l’agglomération bruxelloise est imposé, et donc un renforcement du bilinguisme des agents ;
  • il n’est plus question d’une consultation des autorités locales avant l’adoption de leur nouveau statut. Par contre, le recensement linguistique n’est pas aboli, même s’il n’a plus d’impact sur l’emploi des langues en matière administrative.

138 Le projet, beaucoup plus favorable aux thèses flamandes (et dont on trouvera la synthèse des conséquences en Annexe 1), est soumis au Centre Harmel qui le critique sur plusieurs points, en se bornant à mettre en évidence les différences avec sa propre résolution. Le débat prend plus d’un an au Sénat, et le projet remanié ne revient à la Chambre que le 17 juillet 1953, juste avant les vacances parlementaires. Finalement, la situation reste en suspens jusqu’à l’installation du gouvernement socialiste-libéral Van Acker en avril 1954.

Le projet Vermeylen

139Le nouveau gouvernement prend le problème dans l’autre sens : considérant que les plaintes introduites au sujet du recensement de 1947 ont été complètement traitées, le ministre de l’Intérieur Pierre Vermeylen en publie les résultats controversés le 10 juin 1954. Il se prévaut d’un accord au sein du gouvernement pour déposer un projet de loi modificatif de la loi de 1932 qui en atténuera les conséquences pour 5 communes en y maintenant un régime de bilinguisme externe pour les néerlandophones qui, selon le recensement, aurait dû disparaître. Le projet prévoit également d’étendre l’agglomération bruxelloise à 3 communes supplémentaires. Le ministre annonce dans la foulée un projet de loi pour reprendre complètement la question de l’emploi des langues en matière administrative et modifier la loi du 28 juin 1932. Ce projet n’arrivera jamais sur le bureau de la Chambre.

Le recensement de 1947

140 Le recensement de 1947 (voir Annexe 1) montre de fortes variations dans la composition linguistique de certaines communes de la frontière linguistique et de la périphérie de l’agglomération bruxelloise. Ces évolutions tendent essentiellement à une représentation plus forte du français. C’est le cas dans 11 des 16 communes de l’agglomération bruxelloise (ce qui a une importance pour la sociologie linguistique de la capitale, mais n’a pas d’effet sur le statut légal des communes). C’est aussi le cas dans 7 communes limitrophes de l’agglomération et dans 17 communes de la frontière linguistique. Dans ces 24 communes, une application de la loi devrait modifier le statut légal vers un régime plus favorable au français (acquisition d’un régime de bilinguisme externe par le franchissement de la limite des 30 % de francophones, ou modification de la majorité linguistique, et donc du régime linguistique, en faveur du français). À l’inverse de la tendance générale, une seule commune, Rekkem, évolue légalement dans un sens favorable au régime néerlandophone (perte du bilinguisme externe pour les francophones, qui ne représentent plus 30 % de la population). Le néerlandais gagne aussi du terrain dans plusieurs communes du Brabant wallon proches de l’agglomération bruxelloise (Braine-l’Alleud, Lillois, Ophain, La Hulpe, Waterloo), mais dans une mesure nettement moindre. La proportion de néerlandophones s’y situe toujours en dessous des 15 % (13 % à La Hulpe), bien qu’elle gagne de 3 à 5 points par rapport au recensement de 1930.

Le basculement de la majorité linguistique

141L’évolution marquée par le recensement de 1947 ne concerne donc pas seulement l’extension du régime de bilinguisme externe, mais porte aussi, dans 10 communes, sur un changement de majorité linguistique. Dans deux cas, Mouland et Remersdaal, on passerait même, si la loi était appliquée, d’un régime unilingue néerlandophone en 1930 à un régime unilingue francophone (N ➔ F) : alors que la langue administrative était jusque-là exclusivement le néerlandais, elle devrait devenir exclusivement le français. Or, si la loi de 1932 avait été conçue dans la perspective d’une évolution possible vers le statut de bilinguisme externe, il n’est pas sûr que la perspective de voir des communes changer de majorité linguistique, et donc de langue administrative interne, ait été correctement appréhendée. Le cas ne s’était produit que deux fois entre 1920 et 1930, à Marcq et à Remersdaal  [68], dans un contexte politique plus souple, puisque selon la loi de 1921 le conseil communal décidait en dernier ressort du choix de la langue administrative de la commune lorsque la majorité linguistique de l’entité est différente de la langue de l’arrondissement. Ce n’est plus le cas depuis 1932. On peut imaginer, dans un cadre administratif moderne, que ce type de bouleversement constitue un danger pour la continuité de l’action publique dans les communes concernées, tant en ce qui concerne le suivi des textes réglementaires que les connaissances linguistiques obligatoires des agents communaux.

142 Par ailleurs, les 10 basculements de majorité linguistique constatés jouent tous en faveur des francophones. Trois ont lieu dans la périphérie bruxelloise (les trois communes qui seront finalement rattachées à l’agglomération) et sept dans les provinces ou arrondissements wallons. Ces basculements contribuent à réduire le nombre de « communes égarées », qui passe de 52 à 45 (27 en Flandre, 18 en Wallonie).

Les 44 communes litigieuses

143 Les litiges portés en 1949 devant la commission de contrôle linguistique portent sur les 16 communes de l’agglomération bruxelloise, sur 24 communes (sur 25) dont le statut devait être modifié au regard de la loi de 1932, sur 3 communes de la périphérie bruxelloise où l’accroissement de la population francophone apparaît comme significative (Wezembeek-Oppem  [69], Dilbeek et Strombeek-Bever), et enfin sur la commune de Saintes, unilingue francophone. Curieusement, Neuve-Église, bien qu’ayant franchi la barre des 30 % de francophones en 1947 (31,5 %, contre 26 % en 1930), ne fait pas partie des communes litigieuses et semble avoir été oubliée par les contestataires du recensement.

2.2.2. La composition de la Chambre

144La majorité gouvernementale est, pour la première fois, socialiste/libérale. Le seul député de la Volksunie a été élu sur une liste portant le nom de circonstance de Christelijke Vlaamse Volksunie, le parti lui-même n’étant fondé qu’en décembre 1954. Un dissident social-chrétien bruxellois a été comptabilisé comme social-chrétien ; il rejoindra d’ailleurs ce groupe en cours de législature. Enfin, un député francophone de Flandre a été comptabilisé comme wallon  [70].

Tableau 8 : Composition de la Chambre - 1954-1958

Tableau 8 : Composition de la Chambre - 1954-1958

Tableau 8 : Composition de la Chambre - 1954-1958

2.2.3. Le projet de loi et le débat parlementaire

145Le texte soumis par le gouvernement consiste en une simple adaptation de deux paragraphes de la loi de 1932. L’article 2 § 5 qui énumère les communes de l’agglomération bruxelloise étend cette énumération aux communes de Berchem-Sainte-Agathe, Evere et Ganshoren, et l’article 6 § 4 qui définit les obligations du bilinguisme externe et son application s’étend nommément aux communes d’Enghien, Petit-Enghien, Marcq, Mouland et Remersdaal, soit deux communes dans lesquelles le régime de bilinguisme externe pour les néerlandophones aurait dû disparaître (Petit-Enghien et Marcq) et trois communes dans lesquelles il n’aurait pas pu être instauré, les néerlandophones représentant désormais moins de 30 % de la population alors qu’ils étaient encore majoritaires selon le recensement de 1930 (Enghien, Mouland et Remersdaal).

146 Le débat parlementaire, animé principalement par les interventions-fleuves de Ludovic Moyersoen, au nom de l’opposition sociale-chrétienne flamande, porte principalement sur l’opportunité de publier les résultats contestés du recensement de 1947. Ses opposants jugent qu’il est vicié par des manipulations et contestent dès lors la possibilité de régler toute question linguistique sur la base de ses résultats. De plus, le parquet avait clairement manifesté sa décision de ne pas poursuivre en justice les falsifications manifestes rapportées par des militants flamands à Mouscron et dans la périphérie bruxelloise : les résultats étaient dès lors définitivement non crédibles aux yeux de Moyersoen et de ses partisans. Ceux-ci auraient dès lors souhaité un débat sur le statut linguistique des communes contestées sans référence à ce recensement, comme il avait déjà tenté de l’obtenir par son projet inabouti de 1952.

147 Le seul amendement déposé, par Moyersoen lui-même, propose d’étendre le régime d’exception introduit par le projet en ajoutant les communes de Luingne, Mouscron et Russeignies à la liste des 5 communes bénéficiant d’un bilinguisme externe inconditionnel. Il entend également imposer le néerlandais comme langue administrative, indépendamment du recensement, à Biévène, Marcq et aux 6 communes fouronnaises. Il est rejeté par 118 voix contre 59 et 13 abstentions.

148 Le débat se termine par l’affirmation, par le gouvernement, du caractère transitoire de ces dispositions, un projet de loi refondant complètement la législation de 1932 devant être déposé à bref délai. Le projet de loi est approuvé sans opposition, par 104 voix (les groupes de la majorité gouvernementale et le député social-chrétien dissident) et 75 abstentions (pratiquement toute l’opposition).

Tableau 9 : Le vote de la loi de 1954 à la Chambre - 24/06/54

Tableau 9 : Le vote de la loi de 1954 à la Chambre - 24/06/54

Tableau 9 : Le vote de la loi de 1954 à la Chambre - 24/06/54

149 Le texte est transmis au Sénat qui en débat le 30 juin. Il est approuvé sans modification le jour même par 86 voix contre 2 et 58 abstentions.

2.2.4. La situation juridique

150On trouvera les passages les plus significatifs de la loi du 2 juillet 1954 en Annexe 2, ainsi qu’une synthèse de son impact dans l’Annexe 1.

151 La loi se borne à modifier la loi du 28 juin 1932 à la marge. Elle étend l’agglomération bruxelloise, qui a déjà connu plusieurs modifications géographiques lors de l’adoption des textes de 1921 et de 1932. Dans aucun de ces textes antérieurs, la composition de l’agglomération et son statut bilingue ne sont motivés. Sur ce point, la loi du 2 juillet 1954 ne fait donc que remplacer une liste de communes par une autre, ce qui n’affecte en rien l’esprit du texte original.

152 Par contre, l’ajout nominatif de 5 communes bénéficiant inconditionnellement du statut de bilinguisme externe alors que toutes les autres communes sont toujours soumises à la règle des 30 % (art. 6 § 4) résout temporairement un conflit politique autour de l’application ponctuelle de la loi de 1932, mais crée aussi une distorsion qui rend la pérennité de ce texte très problématique. On peut même se demander si le principe d’égalité des citoyens devant la loi est bien respecté par ce texte, puisque le législateur n’apporte aucune justification au choix des communes qui bénéficient du régime dérogatoire, et que d’autres communes ont vu leur bilinguisme externe supprimé par l’application de la loi de 1932  [71].

153 Comme le ministre de l’Intérieur Pierre Vermeylen l’avait laissé entendre, on peut considérer que la loi du 2 juillet 1954, malgré son apparence banale, a en quelque sorte rendu la loi du 28 juin 1932 politiquement inapplicable. On peut en effet supposer que tout changement de statut linguistique issu d’un recensement futur pourra être contesté et que, sur base du précédent que représente désormais la loi du 2 juillet 1954, une nouvelle loi adaptative pourra être revendiquée. Le risque est grand, dès lors, que d’exception en exception, le statut des communes touché par un recensement linguistique futur soit en définitive fixé après une négociation politique dans laquelle ce même recensement ne jouera finalement plus de rôle réel.

Le statut des communes

154 Les modalités régissant le statut linguistique des communes ne sont pas modifiées par la loi du 2 juillet 1954. Les dispositions de la loi du 28 juin 1932 restent d’application.

Géographie linguistique

155 Les limites des trois régions linguistiques sont modifiées par deux paramètres :

156

  • les modifications de limites définies par la loi de 1954 elle-même ;
  • les résultats du recensement de 1947, en particulier pour les 44 communes litigieuses dont les résultats ont été publiés peu avant l’adoption de la loi.

157L’agglomération bruxelloise et sa périphérie

158L’agglomération bruxelloise est portée à 19 communes : aux 16 communes qui la composaient s’ajoutent Evere, Ganshoren (qui y revient donc) et Berchem-Sainte-Agathe. Pour ces trois communes, le recensement de 1947 avait montré un basculement d’une majorité de néerlandophones vers une majorité de francophones  [72]. En vertu de la loi de 1932, ces communes auraient donc dû devenir administrativement francophones, en ne laissant à la population néerlandophone que le statut de bilinguisme externe. Dans un arrondissement appartenant à la région de langue néerlandaise, il était difficilement envisageable que des communes de la périphérie de l’agglomération bruxelloise évoluent vers un statut plus défavorable pour les néerlandophones que celui-là même qui régnait dans la capitale, où les néerlandophones étaient proportionnellement moins nombreux encore. Le rattachement de ces trois communes à l’agglomération permettait de maintenir les droits des néerlandophones tout en soustrayant ces communes aux conséquences d’un futur recensement.

159 Par ailleurs, 4 communes limitrophes de l’agglomération obtiennent un statut de bilinguisme externe pour les francophones (N ➔ N (fr)) : Kraainem, Drogenbos, Linkebeek et Wemmel.

160 À la modification du statut linguistique de ces 7 communes, qui renforce les droits des francophones, s’ajoute le fait que le recensement de 1947 fait apparaître une forte francisation de la capitale. Si le régime commun déterminé par le recensement avait dû s’appliquer aux 16 communes de l’agglomération bruxelloise, 4 auraient reçu un statut francophone avec bilinguisme externe pour les néerlandophones  [73] et les 12 autres un statut unilingue francophone. Plus aucune commune de la capitale ne présente une majorité néerlandophone. Cette extension univoque et rapide sera baptisée « tache d’huile » (olievlek) par le mouvement flamand et provoquera de très vives réactions contre le principe de l’adaptation du statut linguistique sur la base des résultats du recensement décennal.

161Dans ce contexte, les adaptations apportées par la loi de 1954 introduisent des compensations au bénéfice des seuls néerlandophones. Alors que, selon la loi de 1932, les 3 communes de la périphérie auraient dû se voir attribuer un statut francophone avec bilinguisme externe, elles deviennent totalement bilingues en étant rattachées à l’agglomération bruxelloise, tandis que les 4 entités qui sont dans le cas inverse restent dans la loi commune : elles demeurent néerlandophones avec un bilinguisme externe pour les francophones. Ces 4 communes font partie des 6 communes qui seront appelées ultérieurement « communes à facilités de la périphérie bruxelloise » et qui constitueront, avec les communes fouronnaises, le terrain principal du contentieux linguistique belge jusqu’aujourd’hui.

162Du point de vue francophone, on peut considérer que la loi du 2 juillet 1954 a été une première occasion manquée, celle d’un rattachement pur et simple de ces 4 communes à l’agglomération bruxelloise bilingue, compensatoire au rattachement à celle-ci des 3 communes qui auraient dû devenir francophones avec bilinguisme externe pour les néerlandophones. Il est probable que cette argumentation n’a pas été défendue parce que les députés francophones ont surtout considéré l’évolution linguistique de ces 7 communes, telle que le projet le proposait, par rapport à leur situation antérieure (évolution favorable au français dans tous les cas), et non pas par rapport à ce qu’elle aurait dû être si la loi de 1932 avait été strictement appliquée.

163La frontière linguistique

164 La loi prévoit le maintien d’un bilinguisme externe néerlandophone, malgré les résultats du recensement, pour 5 communes. Dans le cas de trois d’entre elles, Mouland, Remersdaal et Enghien, le principe qui prévaut consiste à maintenir un bilinguisme externe néerlandophone dans les communes qui étaient majoritairement néerlandophones selon le recensement précédent (1930) et qui seraient devenues d’un coup unilingues francophones par l’application de la loi (N (fr) ➔ FR). On évite ainsi que sur la base du résultat d’un seul recensement, toute la population néerlandophone perde la possibilité d’être traitée en néerlandais par son administration dans des communes qui sont historiquement néerlandophones.

165 Il faut remarquer que cet avantage ne sera pas accordé symétriquement aux francophones à Rekkem, seule commune à revenir à un régime unilingue néerlandophone en 1954. Il n’y avait, il est vrai, pas de basculement de majorité linguistique dans ce cas, mais seulement perte du régime de bilinguisme externe (N (fr) ➔ N). C’était aussi, rappelons-le, le cas de Petit-Enghien et de Marcq du côté francophone, où les résultats du recensement de 1947 auraient dû conduire à la perte du régime de bilinguisme externe pour les néerlandophones.

166 Concernant ces deux dernières communes, le choix de maintenir le bilinguisme externe par une disposition expresse de la loi de 1954 est plus difficilement justifiable. Si ces communes seraient bien revenues au régime unilingue francophone en cas d’application stricte de la loi de 1932, on ne peut pas considérer que cette évolution marque une rupture dans leur histoire linguistique. Marcq n’avait basculé vers une majorité néerlandophone qu’en 1920, la commune ayant toujours présenté une proportion à peu près égale des deux langues [74]. Elle était revenue à une majorité francophone en 1930. Petit-Enghien comptait une majorité francophone en 1930 (et dans tous les recensements antérieurs). Par ailleurs, une évolution similaire, celle de la simple perte du bilinguisme externe (FR (n) ➔ FR), se présentait également dans 4 autres communes  [75] de la frontière linguistique et, dès lors, il eût été logique que la même exception leur soit appliquée.

167 En tenant compte de la situation dérogatoire au recensement créée par la loi pour les 5 communes mentionnées, des modifications entraînées par l’application de la loi de 1932 et de l’apparent oubli de la commune de Neuve-Église, les conséquences de la publication des résultats du recensement de 1947 sur les communes de la frontière linguistique se présentent comme suit :

168

  • 3 communes unilingues néerlandophones deviennent bilingues externes pour les francophones (N ➔ N (fr))  [76] et 1 fait le chemin inverse (N (fr) ➔ N)  [77], 2 communes néerlandophones maintenant le régime déjà acquis en 1932 (N (fr) = N (fr))  [78] ;
  • aucune commune unilingue francophone ne devient bilingue externe pour les néerlandophones (FR ➔ FR (n)), mais 4 font le chemin inverse comme nous l’avons vu (FR (n) ➔ FR), 2 communes francophones maintenant le régime déjà acquis en 1932 (FR (n) = FR (n))  [79] ;
  • 6 communes unilingues néerlandophones (dont 5 communes fouronnaises) deviennent francophones avec un régime bilingue externe pour les néerlandophones (N ➔ FR (n))  [80] ;
  • 1 commune néerlandophone avec bilinguisme externe pour les francophones devient francophone avec bilinguisme externe pour les néerlandophones (N (fr) ➔ FR (n))  [81].

169 Sur les 18 communes qui devaient changer de statut en vertu du recensement de 1947, 15 le font réellement : malgré le recensement, Petit-Enghien et Marcq ne changent pas de statut, tandis que celui de Neuve-Église n’est apparemment pas adapté. Par rapport à la situation antérieure basée sur le recensement de 1930, sur les 15 communes qui changent de statut, 14 le font dans un sens plus favorable aux francophones et une seule dans un sens plus favorable aux néerlandophones. Par contre, comme nous l’avons vu, par rapport à ce qu’aurait dû être l’application stricte de la loi de 1932 sur la base du recensement de 1947, 5 communes se voient attribuer un régime plus favorable aux néerlandophones.

2.2.5. Conséquences sur la crédibilité du recensement linguistique

170 L’application, même tempérée, des conséquences du recensement linguistique de 1947 constitue le point de départ de la revendication flamande en faveur de sa suppression et de l’abrogation de la loi de 1932. Cette revendication se base sur trois arguments principaux.

Premier argument : le principe de territorialité

171Pour le mouvement flamand, la langue administrative des communes doit être fixée sur une base territoriale, et non s’adapter à la volonté évolutive de leur population. Les frontières des « régions linguistiques » devant être fixes, les déplacements de population d’une région à l’autre doivent être conçus comme une forme de « migration linguistique » dont chacun doit accepter les conséquences en s’adaptant à la langue de la commune où il s’installe. Pour inciter ces migrants à s’adapter à l’autre langue, il faut réduire au minimum, et progressivement faire disparaître, tous les statuts de mixité linguistique pour n’avoir à terme que des communes unilingues, à l’exception de l’agglomération bruxelloise qui, en tant que capitale, doit rester un territoire commun à l’ensemble des Belges.

172 Pour le mouvement flamand, ce principe de territorialité va de soi car il prévaut dans tous les autres pays. Ce principe est aujourd’hui partagé par la grande majorité du monde politique flamand.

Deuxième argument : la non-fiabilité du recensement de 1947

173 Le recensement linguistique de 1947 ne serait pas fiable car, au sortir de la guerre où le mouvement flamand a été fortement stigmatisé par l’accusation de collaboration avec l’occupant, de nombreux Flamands bilingues ont eu « honte de leur langue » et ont affirmé être francophones ou parler préférentiellement le français. Le recensement de 1947 déboucherait donc sur une surreprésentation des francophones, et ne serait pas fiable pour appliquer la loi de 1932.

174 Cet argument, bien qu’assez communément admis, résiste difficilement à un examen approfondi. On ne constate en effet pas de mouvement général en faveur du français dans le recensement de 1947, mais une proportion significativement plus importante de francophones dans un nombre très limité de communes. Dans la plupart des cas, les causes d’une francisation de la population y sont sociologiquement explicables : influence de la métropole liégeoise dans le cas des communes fouronnaises et de la métropole lilloise dans le cas des communes cominoises, extension de la capitale vers sa périphérie, etc. La plupart de ces communes n’ont pas été particulièrement touchées par l’épuration d’après-guerre ou par des faits marquants de collaboration ou de résistance, qui pourraient justifier localement une telle attitude. Si ce facteur avait eu des conséquences significatives, on devrait en trouver une trace plus systématique et à une plus grande échelle, notamment le long de la frontière linguistique. Or, ce n’est pas le cas. À côté des communes en litige où la proportion de francophones a augmenté, on trouve 20 communes « égarées » ou de mixité linguistique dans lesquelles c’est la proportion de néerlandophones qui a augmenté  [82] (de 12 % à Wezeren). D’autres communes voient aussi leur proportion de néerlandophones augmenter notablement pour la première fois lors du recensement de 1947, notamment à La Hulpe, Ophain-Bois-Seigneur-Isaac, Lillois, Braine-l’Alleud.

Troisième argument : la manipulation des recensements

175 Aux yeux du mouvement flamand, les recensements linguistiques étaient facilement falsifiables. À partir du moment où ils ont été utilisés à des fins politiques, ils se sont convertis, pour le mouvement flamand, en « référendums linguistiques » sans présenter les garanties nécessaires à leur fiabilité. Les ruptures majeures constatées en 1947 sont en partie causées par l’influence sur les habitants, voire par la manipulation des chiffres, dont se sont rendus responsables les dirigeants politiques locaux ou les agents de recensement, qui ont voulu orienter l’évolution linguistique de leur commune dans un sens déterminé.

176 À nouveau, cet argument semble peu fondé. Certes, des manipulations ont été soupçonnées et même identifiées dans certaines communes litigieuses, dans le but évident d’influencer les résultats du recensement linguistique. Mais on peut douter que ces manipulations aient eu un impact décisif sur les résultats. En effet, les sauts importants enregistrés ponctuellement dans les majorités et minorités linguistiques des communes concernées ont d’autres explications. D’abord les facteurs sociologiques évoqués au point précédent. Ensuite, au cours du long délai écoulé entre les deux derniers recensements (17 ans), entrecoupés par la Seconde Guerre mondiale, on a assisté à des migrations de la population et au développement de l’industrialisation, moteur de ces migrations. Ces deux facteurs peuvent expliquer à eux seuls de plus grands bouleversements entre les deux derniers recensements qu’entre les précédents. Enfin et surtout, ces bouleversements dans les majorités linguistiques ont été pour la plupart confirmés par la suite, que ce soit par le nombre de cartes d’identité délivrées à la population dans chaque langue, par le choix de la langue d’enrôlement au service militaire ou par les résultats des élections communales dans les communes où l’approfondissement des tensions a entraîné la création dès les années 1960 de listes linguistiquement homogènes  [83].

177 C’est particulièrement le cas dans les communes fouronnaises, qui concentrent à elles seules 5 des 10 communes où la majorité linguistique bascule en 1947, et dont le rattachement au Limbourg a été essentiellement justifié par les soupçons de manipulation lors du recensement. Il faut rappeler que le résultat du recensement de 1930 avait déjà fait l’objet de telles accusations, mais qui visaient cette fois des néerlandophones : le statut unilingue néerlandophone des 6 communes y aurait été obtenu par le détournement de nombreux formulaires par l’abbé Veltmans, militant flamingant installé dans la région depuis les années 1920. Si certains auteurs  [84] attribuent la défaite de la plupart des majorités communales sortantes aux élections d’octobre 1952 au mécontentement créé par les tentatives d’influencer le recensement de 1947 en faveur des francophones, les sept élections communales qui auront lieu entre 1964 et 1994 confirmeront de manière constante et sans équivoque une majorité électorale franche en faveur des listes francophones, dont on peut déduire l’existence d’une forte population francophone dans les 6 communes fouronnaises dès l’après-guerre.

178 Le même raisonnement vaut pour la plupart des communes limitrophes de l’agglomération bruxelloise, où le même phénomène électoral apparaît à partir de 1964 ou de 1970. C’est en particulier le cas dans les 6 communes « à facilités » créées en 1963, dans lesquelles les listes francophones remporteront souvent la majorité absolue.

179 Par contre, l’argumentation du mouvement flamand pourrait être exacte dans le cas de Biévène, d’Enghien et, dans une moindre mesure, de Marcq, où l’importance du bouleversement est suspecte, et sans facteur explicatif convaincant. L’absence de listes électorales communales marquées linguistiquement dans ces communes ne permet pas de confirmer la réalité de ce changement brusque de majorité linguistique, et donc d’écarter l’explication par la manipulation du recensement. Le maintien d’Enghien, ville incontestablement d’origine flamande, dans la région de langue française constituera par la suite, et sur cette base notamment, un sujet de fort mécontentement pour le mouvement flamand.

3. Les lois de 1962-1963

180La fin des années 1950 est dominée par la revendication flamande de fixation de limites linguistiques définitives, qui garantiraient l’unilinguisme de la Flandre et constitueraient le prélude à la mise en place de structures autonomes dans les matières culturelles. Les Wallons, minoritaires dans l’État belge et en déclin économique, se centrent de plus en plus sur l’exigence de la régionalisation, dans la crainte de perdre tout pouvoir face à une majorité flamande qui leur apparaît comme revendicative et soudée.

181 Par ailleurs, le mouvement flamand, marginalisé à la Libération, revient au devant de la scène politique. Avec la création de la Christelijke Volksunie en 1954, transformée en Volksunie en 1958, on voit réapparaître pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale un parti aux objectifs prioritairement communautaires. Une myriade d’associations politiques et culturelles se créent ou se réorganisent, et aboutissent à la fondation en mars 1959 du Vlaams Aktiekomitee voor Brussel en Taalgrens (VAK), aux revendications maximalistes en matière linguistique. Le VAK revendique l’unilinguisme généralisé dans une Flandre la plus étendue possible, toute concession territoriale étant considérée comme un « vol de territoire ». Ce groupe de pression agit comme un aiguillon auprès des parlementaires flamands, principalement les sociaux-chrétiens, pour les inciter à la plus grande fermeté dans la négociation à venir.

3.1. La loi Gilson de 1962, ou l’adaptation des limites administratives et la fixation de la frontière linguistique

3.1.1. L’origine

182Le contexte politique autour de la question de l’emploi des langues s’est envenimé depuis la loi du 2 juillet 1954. En 1955, 47 organisations flamandes signent une résolution demandant la suppression du volet linguistique du recensement décennal. La date du prochain recensement fait débat : soit 1957 pour maintenir la régularité décennale par rapport au recensement de 1947, soit 1960 pour reprendre l’échéance de début de décennie, comme c’est en principe le cas pour tous les pays membres de l’ONU.

183 C’est finalement cette dernière option qui est retenue, afin de disposer du temps nécessaire pour traiter la question des implications en matière linguistique. On évoque la possibilité d’organiser un « recensement linguistique objectif » qui devrait éviter les contestations du recensement de 1947. Mais la question du maintien du volet linguistique et de la réforme de la loi de 1932 reste encore sans réponse définitive pendant plusieurs années, alors que l’actualité est dominée par la question scolaire.

184 Le 24 avril 1958, le Centre Harmel dépose à la Chambre son rapport final, qui reprend ses recommandations de 1951 sur la fixation de la frontière linguistique.

185 Le 6 juin 1959, le VAK interpelle le Premier ministre Gaston Eyskens (CVP) pour lui faire part de ses exigences : intégrité linguistique des deux communautés sur leur territoire, bilinguisme effectif à Bruxelles, fin du volet linguistique du recensement et suppression des droits des minorités. Durant toute l’année, le VAK multiplie les actions vis-à-vis du gouvernement et des parlementaires. Le 9 décembre, le député social-chrétien flamand Jan Verroken interpelle le gouvernement : son groupe politique n’accepte de lui maintenir sa confiance que s’il s’engage à supprimer le volet linguistique du recensement et à fixer définitivement la frontière linguistique au plus tard pour fin 1960.

186 Fin 1959, le gouvernement met en place une commission dirigée par l’ancien ministre Jacques Basijn, chargée de déterminer les conditions auxquelles un recensement linguistique « objectif » peut être réalisé. Cette commission n’aboutit à aucun résultat et implose en mai 1960 après la démission de tous ses membres néerlandophones. Un accord politique intervient alors au sein du gouvernement pour que le volet linguistique soit retiré du futur recensement. Le 27 septembre, Gaston Eyskens annonce à la Chambre que le recensement décennal sera réalisé à la fin de l’année sans volet linguistique, et qu’un recensement linguistique distinct sera organisé à la date et selon des modalités définies ultérieurement par la loi. À ce moment, l’idée d’un recensement linguistique dans un cadre remanié n’est pas donc pas abandonnée, et suscite de nouvelles actions de la part du VAK.

187 Les formulaires destinés au recensement prévu pour le 31 décembre commencent à être distribués aux administrations communales. Bien qu’ils ne comprennent plus aucune question à caractère linguistique, le VAK dénonce, le 4 octobre, le fait que ces formulaires sont bilingues, et qu’ils pourraient donc servir à réaliser un recensement linguistique déguisé, en les décomptant en fonction de la langue dans laquelle il y sera répondu. Sous son impulsion, de 162 à 183 bourgmestres  [85] de communes flamandes renvoient ces formulaires à l’Institut national de la statistique au motif qu’ils sont rédigés dans les deux langues, et donc non conformes à la loi qui veut que la langue des documents administratifs soit exclusivement le néerlandais en Flandre. Ce contretemps empêche la réalisation du recensement à la date prévue du 31 décembre. Mobilisé par la crise qui résulte des grandes grèves de l’hiver 1960 contre le projet de loi unique, le gouvernement Eyskens est contraint de retarder le recensement d’une année encore. À sa chute en mars 1961, malgré les engagements politiques pris, il laisse le problème irrésolu.

188 Après ces fortes tensions, la suppression de tout mécanisme automatique d’évolution du statut linguistique des communes fait l’objet d’un large accord. Devant l’opposition du mouvement flamand, toute idée d’un recensement linguistique « objectif » dans un cadre légal spécifique est abandonnée. Une réforme de la loi de 1932 apparaît donc inéluctable, et figure à l’agenda du gouvernement social-chrétien/socialiste Lefèvre-Spaak installé en avril 1961 : il s’agit désormais de demander au Parlement de « fixer la frontière linguistique » et, au gouvernement, de « trouver une solution au problème des communes de la périphérie de l’agglomération bruxelloise »  [86].

189 Le nouveau gouvernement procède en deux temps. Afin que le recensement décennal puisse être réalisé en décembre 1961 dans un climat apaisé, il fait voter une loi, promulguée le 24 juillet 1961, qui interdit toute question liée à l’usage des langues dans le prochain recensement  [87]. Dès lors, celui-ci ne jouera aucun rôle dans le futur texte concernant l’emploi des langues en matière administrative. La loi du 28 juin 1932 devient donc inapplicable, et un projet de réforme doit nécessairement être proposé.

190 Le 21 octobre 1961, le succès de la première marche sur Bruxelles organisée par le VAK crée un nouveau climat de tension qui incite le gouvernement à accélérer le mouvement en dissociant la problématique bruxelloise, a priori la plus épineuse, de la question de la fixation de la frontière linguistique. Un projet de modification de la loi de 1932 est déposé par le ministre de l’Intérieur Arthur Gilson (social-chrétien) le 14 novembre sur le bureau de la Chambre.

3.1.2. La composition de la Chambre

191Vu l’importance que cette question aura par la suite, nous avons réparti les élus de l’arrondissement de Bruxelles en fonction de leur appartenance linguistique  [88]. De même, deux élus francophones de Flandre ont été comptabilisés comme Wallons  [89].

Tableau 10 : Composition de la Chambre - 1961-1965

Tableau 10 : Composition de la Chambre - 1961-1965

Tableau 10 : Composition de la Chambre - 1961-1965

3.1.3. Le projet de loi

192 Le projet de loi se réfère explicitement au rapport du Centre Harmel, tout en s’en écartant sur plusieurs points. Il comprend quatre aspects relatifs à notre sujet :

193

  • 23 modifications des limites de communes dont la mixité linguistique est liée à certains quartiers ou certains hameaux de leur territoire, dont la langue usuelle est différente de celle du reste de la commune. Cette proposition suit les recommandations du Centre Harmel, y compris en ce qui concerne le démembrement de Marcq dont la partie septentrionale, où se concentre la population néerlandophone, est rattachée à l’arrondissement de Bruxelles (unilingue néerlandophone en dehors de l’agglomération bruxelloise), alors que les hameaux francophones de la moitié sud sont rattachés aux communes francophones limitrophes ;
  • le rattachement de 35 « communes égarées » à un arrondissement ou à une province d’une région linguistique différente : 18 communes appartenant à des arrondissements de langue française  [90] sont rattachées à des arrondissements de langue néerlandaise et 17 font le chemin inverse  [91]. Les communes cominoises, mouscronnoises et fouronnaises ne sont pas concernées ;
  • la suppression de la référence au recensement pour les « communes égarées » et pour l’application du régime de bilinguisme externe, et son remplacement par une liste nominative de 18 communes auxquelles s’applique le régime de bilinguisme externe prévu par la loi de 1932 : 11 communes en région de langue néerlandaise  [92] et 7 communes en région de langue française  [93]. Les 6 communes fouronnaises et les 10 communes cominoises et mouscronnoises, ainsi qu’Espierres, pour certaines enclavées dans leur arrondissement et bordées par une frontière internationale, ne sont pas concernées par un transfert de région linguistique mais conservent la langue administrative de la majorité linguistique issue du recensement de 1930 (avec bilinguisme externe) : le français pour les communes cominoises et mouscronnoises, le néerlandais pour les communes fouronnaises. Il n’est plus question d’un régime bilingue complet pour ces dernières. Les communes germanophones et les communes malmédiennes ne sont pas concernées par le projet : leur statut, indépendant du recensement linguistique, reste inchangé ;
  • le transfert des communes de Mouland et Fouron-le-Comte de l’arrondissement de Liège, qui devient unilingue, vers l’arrondissement de Verviers auquel appartiennent déjà les 4 autres communes fouronnaises, et qui deviendrait trilingue en raison des 31 communes au statut de mixité linguistique français-allemand qu’il comprend déjà, et de l’incertitude linguistique qui règne dans les communes autour de Moresnet, Welkenraedt et Membach. Dans cette configuration ingénieuse, la région de langue française compterait un seul arrondissement comprenant des communes de statut linguistique différent, alors que la région de langue néerlandaise conserverait deux arrondissements, Ypres et Courtrai, comprenant des communes francophones, à savoir les communes cominoises et mouscronnoises.

194 Par ailleurs, le projet de loi Gilson modifie les obligations communales en matière d’emploi des langues dans l’enseignement primaire et secondaire déterminées par la loi du 14 juillet 1932, thème dont nous ne traitons pas ici. Pour la première fois, les questions de l’emploi des langues en matière administrative et en matière d’enseignement primaire et secondaire sont couplées dans un même texte.

195 Si les transferts de hameaux et de quartiers entre communes correspondent en tous points aux propositions du Centre Harmel  [94], les transferts de communes entre régions linguistiques s’en écartent sur plusieurs points : les communes cominoises ne sont plus transférées au Hainaut ; le statut des communes fouronnaises est ramené au bilinguisme externe au sens de la loi de 1932, au lieu d’un statut interne bilingue spécifique ; 14 des 15 communes de Landen ne sont plus rattachées au Brabant mais au Limbourg. Quant à la ville d’Enghien, elle reste bien en Hainaut, mais passe au régime francophone avec bilinguisme externe pour les néerlandophones.

196 Le premier projet de loi Gilson n’applique donc pas de manière stricte le principe de la concordance entre la langue administrative de la commune et son rattachement à une région linguistique : certaines communes administrativement néerlandophones sont maintenues dans des arrondissements ou provinces francophones, et inversement pour certaines communes administrativement francophones. Ces écarts par rapport à ce qui pouvait apparaître comme une position de compromis entre francophones et néerlandophones acquise au sein d’une instance politique investie d’une certaine autorité morale  [95] auront pour conséquence de ramener la recherche d’un compromis au point de départ. Le non-respect de certaines recommandations du Centre Harmel sera utilisé par de nombreux élus, au cours du débat parlementaire, pour en remettre d’autres en cause.

3.1.4. Le débat en commission de la Chambre

197Le projet de loi est transmis à la commission de l’Intérieur présidée par Ludovic Moyersoen. Le rapporteur en est le député social-chrétien d’Audernarde Jan Verroken. Lorsque le texte revient en séance plénière en février 1962, il a subi de profondes modifications qui sont le résultat de débats animés et parfois peu cohérents :

198

  • les limites de 16 communes de la frontière linguistique seulement sont modifiées. Le hameau de La Houppe à Flobecq, le sud de Marcq et le nord de Petit-Enghien restent dans leur commune d’origine. Douze de ces modifications concernent des « communes égarées » ou des communes qui ont été concernées par l’une ou l’autre étape de la législation linguistique  [96] ;
  • 18 « communes égarées » appartenant à des arrondissements de langue française  [97] sont rattachées à des arrondissements de langue néerlandaise, mais 22 (et non plus 18) font le chemin inverse  [98]. Parmi les premières, 14 des 15 communes de Landen ne sont plus rattachées à l’arrondissement de Hasselt (province de Limbourg) mais à l’arrondissement de Bruxelles  [99] (comme c’est le cas pour la 15e dans les deux versions du projet de loi), tout en restant en région de langue néerlandaise ;
  • la liste nominative des entités auxquelles s’applique le nouveau statut de mixité linguistique comprend 25 communes et non 18. Par rapport au projet initial, Flobecq, Marcq et Petit-Enghien se voient elles aussi attribuer un statut de bilinguisme externe pour les néerlandophones, tandis que Messines, Helchin, Biévène et Herstappe se voient attribuer un statut de bilinguisme externe pour les francophones ;
  • le statut de bilinguisme externe est réduit : les fonctionnaires communaux ne doivent plus être bilingues, mais doivent « avoir une connaissance suffisante de la seconde langue » pour une série de fonctions énumérées (secrétaire communal, receveur communal, etc.) et dans les fonctions en contact avec le public. Les examens d’admission et de promotion doivent être réalisés exclusivement dans la langue de la commune.

199 Ce nouveau texte résulte de la prise en considération d’arguments de différente nature au sein de la commission, tels que la référence aux recensements et la volonté des populations (exprimée notamment par le bourgmestre d’Espierres, le social-chrétien Marcel Glorieux, désireux de maintenir sa commune en Flandre). Mais, surtout, il se base sur le principe absolu selon lequel toute commune dont la langue administrative est le français doit être rattachée à la région de langue française et celle dont la langue administrative est le néerlandais doit être rattachée à la région de langue néerlandaise, ce qui contrevient à la proposition initiale du gouvernement à propos des communes fouronnaises d’une part et cominoises et mouscronnoises d’autre part. Dès lors, le parallélisme établi entre le sort de ces communes, dont la commission propose le rattachement respectivement au Limbourg et au Hainaut, ce qui revient à créer deux enclaves administratives aux extrémités de la frontière linguistique, évoque inévitablement l’idée d’un marchandage entre députés flamands et francophones de la commission. Cependant, selon les témoignages, les positions des membres ont évolué de manière singulièrement différente de ce qui était attendu : le socialiste Marcel Demets, conseiller communal de Mouscron, a plaidé en faveur du transfert des communes cominoises et mouscronnoises au Hainaut et a accepté en échange le transfert des communes fouronnaises au Limbourg, position confirmée par le socialiste liégeois Paul Gruselin  [100] au nom de l’ensemble de la représentation socialiste wallonne. Paradoxalement, les membres flamands de la commission étaient beaucoup plus réticents sur ce point. C’était notamment le cas de Jan Verroken, qui a plaidé pour le transfert des communes mouscronnoises au Hainaut, mais aussi pour le maintien des communes cominoises en Flandre occidentale et des communes fouronnaises en province de Liège. C’est finalement le libéral flamand Herman Vanderpoorten qui a formulé, en commission, l’amendement organisant le transfert des trois groupes de communes, amendement voté par 20 voix contre 1 et 2 abstentions  [101]. Le texte ainsi adapté est envoyé à la séance plénière de la Chambre au début du mois de février 1962.

3.1.5. Conséquences

200Dès le dépôt du projet de loi en novembre 1961, des mouvements en sens divers s’expriment par rapport au statut envisagé pour certaines communes. La découverte par les populations concernées, après le vote en commission, que de profondes modifications ont été apportées à la proposition initiale donne à penser que le statut final des communes de la frontière linguistique ne se fonde pas sur des critères objectifs mais sur des intérêts obscurs et des compensations politiques dont certains citoyens risquent de faire les frais. Le sentiment d’être face à une « loterie » suscite de nombreuses réactions au sein des communes concernées. De nombreux conseils communaux (Mouscron, Espierres, La Hulpe, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Ellezelles, etc.) votent des résolutions pour affirmer leur volonté de se voir attribuer un statut particulier ou pour protester contre les rectifications de limites communales envisagées.

201 Mais c’est le rattachement des 6 communes fouronnaises à l’arrondissement de Tongres dans le Limbourg qui crée les plus vives réactions parmi la population et le monde politique local. Un mouvement d’opposition au transfert est lancé par le bourgmestre de Teuven, le social-chrétien Lionel de Sécillon, et trouve des relais dans le monde politique liégeois, essentiellement du côté social-chrétien.

3.1.6. Le débat en séance plénière de la Chambre

202 À l’inverse de la discussion en commission, le débat en séance plénière, influencé par les réactions de plus en plus fortes des populations concernées et de leurs élus locaux, se présente progressivement comme un affrontement entre communautés sur la question fouronnaise. Le socialiste Paul Gruselin prend position pour le maintien des communes fouronnaises dans la province de Liège, en contradiction avec la position qu’il avait adoptée en commission. L’ensemble des députés sociaux-chrétiens liégeois et verviétois font de même. Le catholique flamand Jan Verroken défend à présent âprement le rattachement au Limbourg, à l’inverse de ce qu’il a plaidé initialement en commission. Il est rapidement suivi par la quasi-totalité de la représentation flamande. La question, qui apparaissait encore comme technique lors de la discussion en commission, a définitivement pris un tour politique national, qui entraîne un repli des députés sur une position favorisant leur communauté linguistique.

3.1.7. Le premier vote à la Chambre

203Le 15 février, un amendement déposé par le social-chrétien verviétois Albert Parisis, visant à maintenir les communes fouronnaises dans l’arrondissement de Liège mais en leur attribuant un statut unilingue néerlandophone (soit le maintien de la situation issue du recensement de 1930 comme concession à la partie néerlandophone), est rejeté par 130 voix contre 52 (dont 3 élus néerlandophones) et 1 abstention.

204 Les néerlandophones votent massivement contre le maintien des Fourons à Liège, malgré le régime unilingue néerlandophone proposé (95 à 3)  [102]. Les Wallons votent majoritairement pour (40 contre 25). Si l’on globalise l’ensemble des voix francophones, le vote est majoritairement favorable au maintien (49 contre 35), mais cette majorité est large pour les libéraux (5 contre 1) et les sociaux-chrétiens(24 contre 2). Les socialistes, par contre, votent majoritairement contre le maintien à Liège (32 contre 10). Cependant, tous les socialistes liégeois sont pour le maintien(9 contre 0)  [103], alors qu’à une exception près les autres élus socialistes francophones votent en faveur du transfert. On peut constater que de toute manière, aucune majorité n’était possible face au vote néerlandophone : les 84 élus francophones présents ne pouvaient compenser la majorité de 92 votes acquise du côté néerlandophone, même en votant unanimement pour le maintien.

Tableau 11 : Le premier vote à la Chambre sur le statut des Fourons Amendement Parisis pour le maintien à Liège avec régime unilingue néerlandophone 15/02/62

Tableau 11 : Le premier vote à la Chambre sur le statut des Fourons Amendement Parisis pour le maintien à Liège avec régime unilingue néerlandophone 15/02/62

Tableau 11 : Le premier vote à la Chambre sur le statut des Fourons Amendement Parisis pour le maintien à Liège avec régime unilingue néerlandophone 15/02/62

205 Le texte proposé par la commission de l’Intérieur est dès lors adopté tel quel en séance plénière le 15 février 1962. Il est approuvé par 136 voix contre 18 et 22 abstentions.

Tableau 12 : Le premier vote de la loi de 1962 à la Chambre - 15/02/62

Tableau 12 : Le premier vote de la loi de 1962 à la Chambre - 15/02/62

Tableau 12 : Le premier vote de la loi de 1962 à la Chambre - 15/02/62

206Malgré les réticences exprimées lors du débat, le vote de la loi apparaît globalement comme un vote communautaire massif dans la représentation flamande (88 contre 3) et un vote majorité contre opposition dans la représentation francophone (48 contre 15 et 17 abstentions, dont 10 abstentions de socialistes wallons). Le malaise provoqué par la question fouronnaise, mais aussi par le « régime des facilités » rendu nécessaire pour compenser les désaccords sur le tracé de la frontière, considéré comme excessif  [104] par certains députés francophones, aboutit à ce que 12 députés wallons de la majorité, notamment liégeois (5), s’abstiennent, et que les 3 députés sociaux-chrétiens verviétois, ainsi qu’un socialiste, votent contre. Néanmoins, à l’exception du groupe libéral francophone, le texte obtient une majorité dans tous les groupes politiques des familles traditionnelles, et dans tous les arrondissements électoraux, globalement et au sein de chaque famille politique. Les communistes et la Volksunie s’abstiennent, les premiers parce que les populations concernées n’ont pas été consultées, les seconds parce que, tout en étant partisans de la fixation de la frontière linguistique, ils considèrent que le tracé de cette frontière est trop défavorable à la région de langue néerlandaise.

207Dès lors, l’opposition au rattachement des communes fouronnaises au Limbourg s’amplifie au sein de leur population. Quatre des 6 bourgmestres avaient déjà présenté leur démission à quelques jours du vote  [105]. Parallèlement, le Bond der Vlamingen van Oost-België, association culturelle flamande locale, fait campagne pour le rattachement au Limbourg.

3.1.8. Le débat au Sénat

208Placé sous la pression de l’opinion, le débat en commission du Sénat tourne à l’affrontement communautaire. La question du rattachement des Fourons au Limbourg est l’objet de plusieurs votes au résultat contradictoire (11 contre 11 d’abord, puis 12 contre 8).

209 En séance plénière, le 17 juillet 1962, l’affrontement se poursuit, toujours dans la plus grande incohérence. Un amendement proposant le maintien en province de Liège est rejeté par 72 voix contre 70 et 2 abstentions ; mais, quelques minutes plus tard, l’article prévoyant le transfert au Limbourg est lui-même rejeté par 73 voix contre 71 et 2 abstentions. Après ce deuxième vote, un sénateur demandera à la cantonade : « Où sont les Fourons ? » Les 6 communes fouronnaises risquent de se retrouver « nulle part »… Les majorités sont très courtes et constituent désormais des blocs beaucoup plus marqués linguistiquement.

210 Afin d’apaiser les esprits, le gouvernement propose d’instaurer des garanties particulières pour le contrôle de l’application de la législation linguistique dans les communes cominoises et mouscronnoises d’une part et fouronnaises d’autre part. Les premières constitueront un arrondissement à part entière, dirigé par un commissaire d’arrondissement chargé spécifiquement du contrôle de la législation linguistique. Les secondes constitueront un canton de l’arrondissement de Tongres, et un commissaire adjoint d’arrondissement spécifique y serait nommé et chargé du même rôle.

3.1.9. Le vote au Sénat

211 Avec ces garanties, la majorité bascule en faveur du rattachement des communes fouronnaises au Limbourg. Le 9 octobre 1962, l’amendement relatif au transfert est voté par 91 voix contre 68 et 4 abstentions. Le jour même, l’ensemble du projet ainsi amendé est voté par le Sénat et renvoyé à la Chambre.

3.1.10. Avant le second vote à la Chambre

212Après le vote du Sénat, le conseil provincial de Liège entre dans la controverse : il utilise le pouvoir d’avis que lui confère la loi provinciale en cas de modification des limites de la province pour constituer une commission d’enquête chargée de fournir les informations nécessaires à l’émission d’un avis sur le transfert des communes fouronnaises  [106]. Une consultation populaire est organisée dans les communes concernées le 28 octobre 1962 et donne une large majorité au maintien dans la province de Liège. Cette consultation, comme la commission, fait l’objet d’un appel au boycott de la part des partisans du transfert au Limbourg, de sorte qu’il est difficile de lui accorder un caractère réellement représentatif. Néanmoins, le nombre de votants en faveur du maintien dans la province de Liège est à ce point écrasant (93 % pour, 4 % contre) qu’il représente à lui seul 68 % du total des électeurs inscrits des les 6 communes : on peut en déduire qu’une majorité de la population s’oppose bien au transfert. Les 6 bourgmestres formulent par écrit leur demande de maintien dans la province de Liège, tout en acceptant un régime néerlandophone avec bilinguisme externe comme position de compromis.

213 Le 14 octobre 1962, le VAK rassemble 60 000 personnes pour sa deuxième marche sur Bruxelles, où une contre-manifestation francophone l’attend. L’affrontement est violent, il y a 19 blessés. Le 24 octobre, une manifestation est organisée à Liège contre le transfert des Fourons au Limbourg.

3.1.11. Le second vote à la Chambre

214Le 31 octobre 1962, le texte est débattu pour la dernière fois à Chambre. La discussion porte essentiellement sur la problématique fouronnaise. Deux aspects s’entremêlent : l’avis de la population et le rattachement au Limbourg.

215 Suite aux manifestations des élus locaux et de la population, et à la présomption, désormais, qu’une large majorité locale est opposée au transfert, plusieurs intervenants considèrent qu’il faut tenir compte de ce nouvel élément. Des amendements sont introduits pour conditionner le rattachement au Limbourg à une consultation populaire locale. Cette possibilité est écartée en raison des craintes habituelles que suscite la procédure référendaire en Belgique, voire au motif de son inconstitutionnalité (intervention du ministre Gilson  [107]), mais aussi par crainte de devoir faire face à une demande similaire dans d’autres communes transférées, dont certaines sont également loin d’être enthousiastes. Un amendement, déposé par le social-chrétien Pierre Harmel, demande de retirer les communes fouronnaises du projet afin de prendre le temps de reconsidérer la question d’une consultation. Il n’est pas pris en considération. Un autre amendement déposé par le libéral francophone Georges Mundeleer, prévoyant une consultation des populations avant la mise en application de la loi, est rejeté par 168 voix contre 27 et 1 abstention.

216 Quant au rattachement au Limbourg, plusieurs parlementaires s’y opposent en invoquant l’avis de la population, même parmi ceux qui ont voté pour le rattachement lors du premier vote en février  [108]. Il est cependant difficile pour ceux-ci d’éviter de considérer la question comme une disposition symétrique au rattachement des communes cominoises et mouscronnoises au Hainaut  [109]. Même si les deux situations sont différentes d’un point de vue historique et linguistique, il est presque impossible désormais de les dissocier dans le débat. À nouveau, comme en février, la discussion porte plus sur la nécessité d’arriver à une cohérence totale de la langue administrative des communes avec les régions linguistiques auxquelles elles appartiendront désormais (position de la commission de l’Intérieur avant le premier vote) ou, au contraire, sur l’utilité du maintien des exceptions prévues dans le projet Gilson initial. La pétition des 6 bourgmestres fouronnais demandant le maintien à Liège mais acceptant un statut néerlandophone avec bilinguisme externe (concession au caractère supposé excessif des conclusions du recensement de 1947) finit par être contre-productive : puisque le traitement des personnes dans la langue de leur choix est de toute façon garanti par le statut de bilinguisme externe, il apparaît plus logique à plusieurs députés francophones de rattacher des communes qui conserveront leur statut néerlandophone à un arrondissement néerlandophone.

217 Dans une ultime tentative, quatre amendements sont déposés pour obtenir le maintien des communes fouronnaises dans la province de Liège. Ils sont pris en considération par un vote unique, et rejetés par une majorité de 122 voix contre 72 et 3 abstentions.

Tableau 13 : Le second vote à la Chambre sur le statut des Fourons. Amendement Parisis-Gruselin-Van der Schueren-Jeunehomme pour le maintien à Liège 31/10/62

Tableau 13 : Le second vote à la Chambre sur le statut des Fourons. Amendement Parisis-Gruselin-Van der Schueren-Jeunehomme pour le maintien à Liège 31/10/62

Tableau 13 : Le second vote à la Chambre sur le statut des Fourons. Amendement Parisis-Gruselin-Van der Schueren-Jeunehomme pour le maintien à Liège 31/10/62

218Le vote est, cette fois, exclusivement communautaire. La représentation néerlandophone vote presque unanimement contre le maintien à Liège (2 voix favorables contre 100 et 2 abstentions). Du côté francophone, la majorité en faveur du maintien est moins forte, mais tout à fait claire (70 voix contre 22 et 1 abstention). Les libéraux (11) et les communistes francophones (5) votent unanimement pour. Les socialistes francophones sont majoritairement favorables au maintien, mais partagés (28 contre 17) : les élus favorables au transfert sont surtout bruxellois (les 9 élus socialistes de l’arrondissement de Bruxelles votent contre le maintien dans la province de Liège) et hennuyers (les 2 élus de l’arrondissement de Tournai-Ath et les 2 élus francophones de l’arrondissement de Courtrai votent à l’évidence en fonction du rattachement, considéré comme symétrique, des communes cominoises et mouscronnoises au Hainaut). Les élus liégeois votent tous pour le maintien, à l’exception de Joseph-Jean Merlot et d’Edmond Leburton : en tant que ministres, ils sont tenus par la solidarité gouvernementale. On observe la même configuration chez les sociaux-chrétiens francophones, avec une majorité cependant plus forte en faveur du maintien (24 contre 5 et 1 abstention). Quoi qu’il en soit, et même en tenant compte des 2 votes flamands favorables au maintien à Liège, les francophones, qui comptent 93 députés en séance, ne peuvent de toute manière pas supplanter les 100 votes hostiles au maintien des communes fouronnaises en province de Liège acquis du côté néerlandophone.

219 Quelques minutes plus tard, le texte complet est soumis au vote final. Au terme d’une journée de forte tension politique où le gouvernement a été plusieurs fois interpellé, où l’on a invoqué les risques pour l’avenir du pays et où l’on a pronostiqué sa fin, la Chambre adopte définitivement le projet de loi Gilson tel qu’amendé par le Sénat, par 130 voix contre 56 et 12 abstentions.

Tableau 14 : Le second vote de la loi de 1962 à la Chambre - 31/10/62

Tableau 14 : Le second vote de la loi de 1962 à la Chambre - 31/10/62

Tableau 14 : Le second vote de la loi de 1962 à la Chambre - 31/10/62

220Le vote de la loi ressemble fortement, en négatif, au vote de l’amendement sur le maintien des communes fouronnaises dans la province de Liège, ce qui démontre le caractère central de la question fouronnaise dans le vote sur l’ensemble du texte. À nouveau, on observe un quasi-consensus au sein de la représentation flamande, bien au-delà de la majorité gouvernementale (95 contre 2 et 8 abstentions). Seule une petite minorité de députés wallons approuve le texte final (22 contre 45) ; de même, le texte n’est approuvé que par une minorité de députés francophones en général (35 contre 54 et 4 abstentions). Les députés liégeois votent massivement contre le projet (2 contre 20), notamment le social-chrétien Pierre Harmel, qui justifie son vote par le rejet de son amendement sur le maintien au moins provisoire des communes fouronnaises dans la province de Liège. Les francophones de l’arrondissement de Bruxelles, assez peu concernés, votent pratiquement majorité contre opposition (13 contre 9, dont 1 élu social-chrétien qui s’y oppose). Seuls les élus du Hainaut et les élus francophones de Flandre occidentale  [110], plus intéressés par le rattachement des communes cominoises et mouscronnoises, votent à une faible majorité en faveur du texte (17 contre 14). Au niveau francophone, aucun parti ne vote majoritairement en faveur du texte : les libéraux (11) et les communistes (5) votent unanimement contre ; les sociaux-chrétiens se partagent (13 contre 13 et 4 abstentions) ; 23 députés socialistes votent contre le texte alors que 22 l’approuvent. Les députés francophones de la majorité sont donc divisés de manière quasi paritaire (35 en faveur du texte contre 36 et 4 abstentions), ce qui est exceptionnel dans le cas d’un projet d’origine gouvernementale. Ici encore, le nombre de députés présents étant de 198, et 8 députés néerlandophones s’étant abstenus, il aurait fallu que les 93 députés francophones présents se joignent aux 2 députés néerlandophones hostiles au texte pour compenser exactement la majorité flamande qui y était favorable (95 contre 95).

221 La fixation de la frontière linguistique a donc été décidée par un vote majoritaire de la seule représentation flamande, et contre la volonté de la majorité de la représentation francophone. Ce vote communauté contre communauté, largement motivé par la problématique fouronnaise, sera notamment à l’origine de l’exigence francophone d’introduire le vote à majorité spéciale dans la Constitution, ce qui sera fait lors de la révision constitutionnelle de 1970 (exigence, pour certaines matières linguistiques ou institutionnelles, d’une majorité des deux tiers avec majorité absolue dans chaque groupe linguistique, tant à la Chambre qu’au Sénat). Si cette procédure avait existé à cette date, le vote du 31 octobre 1962 aurait conduit au rejet du texte. Néanmoins, malgré plusieurs tentatives ultérieures, la frontière linguistique n’a jamais été modifiée depuis 1962.

222 Le vote de la loi provoquera un malaise politique durable, dont les conséquences apparaissent dès les jours qui suivent. Le 5 novembre, le ministre des Travaux publics Joseph-Jean Merlot, un des deux Liégeois à avoir voté en faveur du texte, démissionne en signe de protestation contre le rattachement.

223 La loi est promulguée le 8 novembre 1962. Elle ne doit entrer en vigueur que le 1er septembre 1963  [111]. En effet, le souhait du gouvernement est de mettre en application l’ensemble de la législation concernant la fixation des régions linguistiques au même moment. Or, le volet concernant Bruxelles doit encore être débattu.

3.1.12. La situation juridique

Géographie linguistique

224 Comme on l’a vu, la loi du 8 novembre 1962 a modifié la situation juridique sur quatre points.

225Elle a adapté les limites communales, provinciales et d’arrondissement pour créer une plus grande homogénéité au sein des communes de la frontière linguistique. En conséquence, pour les communes concernées, les recensements de 1930 et de 1947 ne constituent plus une référence fiable pour mesurer leur évolution linguistique, puisque leur territoire a été adapté. Ces adaptations ont vraisemblablement modifié de façon significative la proportion des habitants des deux langues, les minorités étant en principe concentrées dans les quartiers qui ont été détachés. En particulier, on peut présumer qu’après ces rectifications, Neuve-Église et Rekkem en région de langue néerlandaise et Comines, Mouscron, Flobecq, La Hulpe et Zétrud-Lumay en région de langue française ont complètement récupéré ou renforcé leur caractère unilingue (au sens de la règle des 30 % de la loi de 1932). À Rhode-Saint-Genèse par contre, l’évolution ultérieure donne à penser que les modifications de frontières communales n’ont pas empêché la présence d’une forte minorité francophone, dont l’ampleur est difficile à déterminer à cette date. Quant à Biévène, il est permis de déduire de plusieurs calculs ultérieurs qu’après les deux modifications des limites communales opérées par la loi Gilson, la majorité néerlandophone perdue en 1947 a été rétablie, mais sans doute pas au point de réduire la proportion de francophones à moins de 30 %  [112].

226 La loi a imposé comme langue administrative la langue de la région à laquelle les communes étaient désormais rattachées, sans exception. Il n’existe donc plus de « communes égarées » : 25 communes dans lesquelles le français est la langue administrative, désormais définitive  [113], et qui appartenaient à une province ou à un arrondissement de langue néerlandaise ont rejoint un arrondissement de langue française ; 24 communes dans lesquelles le néerlandais est la langue administrative, et qui appartenaient à une province ou à un arrondissement de langue française, ont fait le chemin inverse. Comme l’exemple des communes fouronnaises le démontre, cela ne signifie pas que la majorité de la population de chacune de ces communes s’identifie au régime linguistique imposé par la nouvelle loi.

227 La loi a redéfini le statut de bilinguisme externe en limitant strictement son application aux actes administratifs et aux communications avec le public, et en réduisant le niveau d’exigence du bilinguisme pour les agents communaux. Ce statut sera désormais baptisé « facilités linguistiques » dans le jargon politique belge. Il faut rappeler cependant que cette expression ne figure dans aucun texte de loi, et que les interprétations dont elle fait parfois l’objet (notamment sur son caractère extinctif supposé) n’en sont que plus spéculatives. Treize communes francophones, désormais toutes situées en région de langue française, se voient attribuer ce régime  [114] ; il en va de même pour 12 communes néerlandophones, toutes situées en région de langue néerlandaise.

228 Enfin, plus aucun mécanisme d’exception ou d’évolution n’est prévu : le statut linguistique des communes est définitif, sauf à être modifié par une nouvelle loi.

229 Les multiples versions des projets de rectification des limites communales et de traitement des « communes égarées » (proposition du Centre Harmel, projet de loi Gilson, premier texte voté par la Chambre, texte voté par le Sénat et confirmé par la Chambre), la confusion et la pression politique dans lesquelles certains débats se sont déroulés, enfin l’absence évidente d’argumentation commune à certains choix des législateurs ont concouru à ce que le statut des communes créé par la loi de 1962 ne réponde à aucun principe clair. On cherchera dès lors vainement une justification cohérente à certains rattachements de communes ou à l’octroi, ou au refus d’octroi, des « facilités ».

Les rattachements et les facilités en Flandre

230La problématique du rattachement des communes fouronnaises au Limbourg a été longuement décrite. Ce rattachement ne peut finalement se justifier que par le rejet de toute référence au recensement de 1947 au profit du recensement de 1930. Mais le même raisonnement aurait dû conduire Enghien à suivre le même chemin, et Espierres et Helchin à rejoindre la Wallonie, à l’inverse de ce que dit la loi. Si l’on se base sur une référence plus ancienne, le début du 20e siècle ou même le premier recensement de 1846, le maintien d’Espierres en Flandre, commune majoritairement francophone depuis l’indépendance, ne peut pas non plus se justifier. On sait qu’en l’occurrence, c’est la volonté des habitants, exprimée par l’intermédiaire du conseil communal, qui a prévalu, alors que cette volonté a précisément toujours été refusée aux habitants des communes fouronnaises. Le cas de Biévène s’apparente à celui des Fourons, mais, comme cela a été mentionné, la commune a connu des rectifications de limites qui peuvent présumer le rétablissement d’une majorité néerlandophone dans son nouveau périmètre.

231 L’octroi de facilités linguistiques est à peine plus logique. En ne retenant que les communes dont les limites n’ont pas été modifiées, Messines et Herstappe reçoivent des facilités à partir d’un régime bilingue externe existant au moins depuis 1930. En se basant sur les données du recensement de 1930, Renaix n’aurait pas dû en recevoir, mais bien si on se base sur 1947. Mais dans cette dernière hypothèse, Houtain-l’Évêque aurait dû en recevoir également. En se basant sur 1930, les communes fouronnaises n’auraient pas dû recevoir de facilités pour les francophones : celles-ci ont été accordées afin de compenser le transfert des communes fouronnaises au Limbourg, mais aussi au vu de l’importance numérique des francophones fouronnais ressortant du recensement de 1947.

Les rattachements et les facilités en Wallonie

232Les rattachements à la Wallonie sont un peu plus cohérents : ils concernent toutes les communes appartenant à des arrondissements de langue néerlandaise mais dont la population était majoritairement francophone selon les recensements de 1930 et de 1947, à l’exception notable, déjà mentionnée, d’Espierres et d’Helchin.

233 Par contre, l’octroi des facilités ne répond à aucune logique globale. Les communes cominoises étaient toutes unilingues francophones en 1930 et en 1947, et Comines a connu une rectification de limites pour se défaire du hameau néerlandophone de Kruiseke, ce qui a encore renforcé la majorité francophone écrasante qui ressort des recensements : les facilités n’y ont été accordées pour les néerlandophones que par compensation de leur transfert en Hainaut et par symétrie avec les communes fouronnaises. C’est également le cas de deux des quatre communes mouscronnoises, car seules Luingne et Mouscron jouissaient d’un régime de bilinguisme externe après 1930. Flobecq reçoit des facilités alors que la proportion de néerlandophones n’y a jamais dépassé les 7 % : cet octroi est sans doute dû à la décision de ne finalement pas transférer le quartier de La Houppe à Opbrakel. Inversement, l’Écluse et Russeignies, qui disposaient d’un bilinguisme externe après 1930, ne reçoivent pas de facilités. Enfin, le traitement commun d’Enghien, Petit-Enghien et Marcq, qui reçoivent toutes trois des facilités, est injustifié au regard de leur histoire linguistique, qui est très différente d’une entité à l’autre.

La diversité des critères

234Il apparaît donc à l’analyse que le destin linguistique des communes a répondu à des critères variables et, pour certains, contradictoires. À l’évidence, les communes géographiquement proches ont été traitées conjointement, même si leur histoire linguistique était différente. Les communes cominoises, mouscronnoises et fouronnaises ont été traitées symétriquement, y compris pour l’octroi des facilités, avec un statut d’arrondissement ou de canton particulier. Les communes autour d’Enghien, les communes d’Orroir, Amougies et Russeignies et les communes de Landen ont également été traitées globalement, alors que leur situation était parfois diverse. Des facilités ont été accordées en compensation de l’abandon d’une rectification de limite (Flobecq), alors que d’autres l’ont été sur la base des recensements linguistiques de 1930 et de 1947, dans des rapports variables et au gré des pressions politiques exercées. Reste le cas très singulier d’Espierres et d’Helchin, seules communes dont le sort a dépendu uniquement de la volonté exprimée, sans que cela provoque de remous, par leurs conseils communaux.

3.1.13. Conséquences

235Nous analyserons les conséquences de la loi du 8 novembre 1962 conjointement avec celle de la loi du 2 août 1963.

3.2. La loi Gilson de 1963, ou les limites de l’agglomération bruxelloise et le statut de la périphérie

3.2.1. L’origine

236 La loi du 8 novembre 1962 laisse en suspens la question du statut linguistique de l’agglomération bruxelloise et des communes de la périphérie, dont 4 ont obtenu un bilinguisme externe pour les francophones en 1954 (Linkebeek, Drogenbos, Wemmel et Kraainem) et dont plusieurs enquêtes indiquent qu’elles seraient rejointes par d’autres si un nouveau recensement avait lieu (Dilbeek, Wezembeek-Oppem, Rhode-Saint-Genèse, Strombeek-Bever…). Le régime bilingue de la capitale est insuffisamment défini par la législation et ne garantit pas, pour le mouvement flamand, un traitement équitable des deux langues dans la capitale. Par ailleurs, le statut des cantons d’Eupen, Malmedy et Saint-Vith reste réglé par une loi particulière, et la langue allemande n’a toujours pas de véritable statut officiel et global. La volonté du gouvernement est d’intégrer dans un nouveau texte la résolution de l’ensemble de ces questions, de même qu’une définition plus précise des modes de relations applicables entre les entités administratives de régime linguistique différent.

237 Les deux questions épineuses sont l’extension de la zone de mixité linguistique autour de Bruxelles, ainsi que les garanties à accorder à la minorité néerlandophone de l’agglomération bruxelloise pour garantir un régime réellement bilingue dans la capitale. De plus, il est impératif de trouver un accord avant les vacances parlementaires car la loi du 8 novembre 1962 doit entrer en vigueur le 1er septembre 1963, et les dispositions concernant Bruxelles sont toujours celles définies par les lois de 1932 et de 1954.

3.2.2. La composition de la Chambre

238 La composition de la Chambre est la même qu’en 1962 (cf. point 3.1.2.).

3.2.3. Le projet de loi

239 Un premier projet est soumis au gouvernement par le ministre de l’Intérieur Arthur Gilson dès le 30 mars 1962  [115]. Il se présente comme suit :

240

  • pour la première fois, le pays est officiellement divisé en quatre régions linguistiques, et celles-ci reçoivent une dénomination légale. Chaque région est définie par un territoire administratif composé de provinces, d’arrondissements et/ou de communes. La région de langue néerlandaise est composée des provinces d’Anvers, de Flandre occidentale, de Flandre orientale et du Limbourg, ainsi que des arrondissements de Louvain et de Bruxelles, à l’exception de l’agglomération bruxelloise. La région de langue française est composée des provinces de Hainaut, de Liège, du Luxembourg et de Namur, ainsi que de l’arrondissement de Nivelles. La région de langue allemande est composée des 25 communes germanophones des cantons d’Eupen, Malmedy et Saint-Vith, ainsi que de la commune de La Calamine. La région bilingue, dont la dénomination existante d’ « agglomération bruxelloise » est maintenue dans le projet, est composée des 19 communes déterminées par la loi de 1954 ;
  • la langue employée en matière administrative au sein de chaque région linguistique devient exclusivement celle de la région, sauf dans les cas prévus pour les communes à statut spécial ; à Bruxelles, région bilingue, le français et le néerlandais sont mis sur le même pied. Les fonctionnaires doivent prouver leur connaissance de la langue de la région, soit par la langue dans laquelle ils ont fait leurs études, soit par un examen spécifique. Les communications au public et les actes administratifs doivent être rédigés dans la (ou les) langue(s) de la région. Les modalités de communication entre entités administratives sont précisées dans tous les cas de figure, selon le nombre de pouvoirs et le nombre de régions linguistiques concernées (au sein de chaque région linguistique, entre deux régions unilingues, entre la région bilingue de Bruxelles et les régions unilingues, etc.) ;
  • les services centraux de l’État seront organisés selon deux cadres linguistiques : néerlandophone et francophone ;
  • une commission permanente de contrôle linguistique est instituée  [116] pour vérifier l’application de la loi. Elle est habilitée à introduire des recours auprès du Conseil d’État en cas de viol de la loi, mais n’a pas de pouvoir de sanction ;
  • un régime linguistique spécial, comparable à celui des communes de la frontière linguistique déterminé dans la loi du 8 novembre 1962, est attribué à 8 communes néerlandophones de l’arrondissement de Bruxelles : Kraainem, Dilbeek, Drogenbos, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Strombeek-Bever, Wemmel et Wezembeek-Oppem, et à 3 communes francophones de l’arrondissement de Nivelles proches de l’agglomération bruxelloise : Braine-le-Château, Waterloo et La Hulpe ;
  • dans 9 communes de l’arrondissement de Verviers (Baelen, Gemmenich, Henri-Chapelle, Hombourg, Membach, Montzen, Moresnet, Sippenaeken et Welkenraedt), c’est-à-dire les communes « des 3 langues » situées entre les limites des régions de langue allemande et de langue néerlandaise et où le dialecte local ne se rattache pas à une racine romane, il sera possible d’adapter le régime linguistique par arrêté royal.

241 D’emblée, la liste des communes à régime spécial crée une tension au sein de la majorité. La proposition est rejetée aussi bien par les francophones que par les néerlandophones. Pour ces derniers, le nombre de communes flamandes où les francophones bénéficient du statut spécial est trop élevé, ce qui avalise l’extension de la « tache d’huile » francophone autour de Bruxelles. Pour les premiers, l’octroi des facilités pour les néerlandophones dans les trois communes de l’arrondissement de Nivelles n’est en rien justifié par la proportion de néerlandophones dans la population locale. Les recensements de 1930 et de 1947 y indiquaient une proportion de néerlandophones avoisinant les 5 à 10 %, sauf à La Hulpe (13 %), commune qui a subi entre-temps une modification de ses limites : deux quartiers francophones d’Overijse lui ont été rattachés  [117] et deux de ses quartiers néerlandophones ont été rattachés à Hoeilaart  [118], ce qui a nécessairement fait baisser la proportion de néerlandophones au sein de la commune.

242 Échaudé par les débats conflictuels sur la fixation de la frontière linguistique qui ont conduit une partie de sa majorité à l’abandonner lors du vote d’octobre 1962, le gouvernement décide de mettre en place une « commission de contact » entre les principaux ministres et présidents de parti, dans le but de trouver un point d’accord préalable à la discussion parlementaire. Le projet est provisoirement retiré des débats.

243 Le 6 juin, le Premier ministre Théo Lefèvre présente une nouvelle proposition, qui a reçu la veille l’accord des partis de la majorité. Elle ne varie sensiblement que sur la question des communes à statut spécial : l’agglomération bruxelloise serait étendue de 19 à 25 communes, en comprenant les 4 communes bénéficiant déjà d’un bilinguisme externe ainsi que Wezembeek-Oppem et Rhode-Saint-Genèse. Cette proposition suscite rapidement des contestations dans le camp social-chrétien flamand et dans la presse flamande, qui condamne tout nouveau rattachement de communes à l’agglomération bruxelloise. L’aile flamande du parti social-chrétien menace de quitter le gouvernement si cette proposition venait à être adoptée.

3.2.4. La discussion parlementaire, la crise gouvernementale et l’accord de Val-Duchesse

244 La discussion commence le 27 juin 1963 à la Chambre. Dès le début des discussions, l’aile flamande du PSC-CVP, sous la pression des radicaux du VAK, s’oppose fermement à toute extension de l’agglomération.

245 Le député CVP Jan Verroken propose alors de scinder les communes de Kraainem et de Linkebeek pour rattacher les quartiers les plus francophones bordant l’agglomération respectivement à Woluwe-Saint-Pierre et à Uccle, et de rattacher les autres communes de la périphérie à la région de langue néerlandaise, sans statut spécial. Il reprend en cela une des nombreuses propositions de démembrement des communes concernées parues dans la presse flamande au cours des dernières semaines. Devant l’hostilité des sociaux-chrétiens francophones, qui met en péril l’unité de son parti, Paul Vanden Boeynants, président du PSC-CVP et député de Bruxelles, refuse.

246 Reprenant l’initiative, il obtient difficilement un accord au sein de son parti sur un statut spécial pour les 6 communes jointes à l’agglomération bruxelloise dans le deuxième projet du gouvernement. Ce régime serait d’application pendant une période de trois ans et ferait ensuite l’objet d’une évaluation. Mais, dès qu’elle en est informée, l’aile flamande du parti socialiste refuse le principe d’une solution transitoire et réaffirme sa volonté d’obtenir un accord qui, en tout état de cause, soit définitif. Devant l’impossibilité de trouver un consensus, le Premier ministre présente sa démission au roi le 2 juillet.

247 La perspective d’une crise gouvernementale au début des vacances et de l’entrée en vigueur de la loi de 1962 dès le 1er septembre rend la situation très problématique. Le roi refuse la démission du gouvernement. Un conclave de membres du gouvernement et de dirigeants des partis de la majorité est convoqué le 7 juillet au château de Val-Duchesse pour tenter de trouver une solution à l’arraché. Le 8 juillet au matin, après 12 heures de réunion, un accord est trouvé sur les bases suivantes :

248

  • l’agglomération bruxelloise est maintenue à 19 communes, et portera le nom de région bilingue de Bruxelles-Capitale ;
  • Linkebeek, Drogenbos, Wemmel et Kraainem obtiennent un régime spécial proche du bilinguisme externe prévu à l’origine par la loi de 1932. Wezembeek-Oppem et Rhode-Saint-Genèse obtiennent un statut restreint comparable à celui défini par la loi du 8 novembre 1962 pour 25 communes de la frontière linguistique. Les 6 communes sont dénommées « communes périphériques » ;
  • l’arrondissement administratif de Bruxelles est scindé en un arrondissement dénommé « Bruxelles-Capitale », un arrondissement qualifié de « distinct » (art. 7) correspondant aux 6 communes périphériques et un arrondissement de « Hal-Vilvorde » correspondant aux autres communes néerlandophones de l’arrondissement initial ;
  • un poste de vice-gouverneur du Brabant, chargé de veiller à l’application de la législation linguistique dans l’arrondissement de Bruxelles-Capitale et dans l’arrondissement constitué des 6 communes périphériques, est créé.

249 Le projet de loi revient à la Chambre ainsi modifié. Le 11 juillet 1963, à 14 heures, le dernier débat s’ouvre en séance plénière. La Volksunie, hostile au projet, entame un travail de retardement par le dépôt de plusieurs dizaines d’amendements. Les communistes défendent, comme en 1962, l’idée d’une consultation des populations concernées. Plusieurs propositions d’amendement émanent également du banc social-chrétien. Le ministre Gilson, qui craint le détricotage de l’accord obtenu à Val-Duchesse, enjoint alors à la majorité de « s’en tenir à l’accord négocié, en particulier sur les communes à statut spécial, et de rejeter tous les amendements qui s’en écartent ». L’opposition libérale quitte la salle, jugeant dès lors le débat inutile. Les députés de la majorité, surtout du côté des sociaux-chrétiens flamands, formulent des réactions de dépit. Jan Verroken prévient : « Ne nous faites pourtant pas dire que nous serons prêts à parler en bien de cet accord boiteux concernant les communes de la périphérie. » Jos De Saeger, président de l’aile flamande du PSC-CVP, ajoute : « Nous tenons à dire que nous continuerons à considérer ces communes comme une partie de la terre flamande et que nous ne les laisserons pas tomber dans le futur. »

250 Le social-chrétien flamand Cornelius Verbaanderd, député-bourgmestre de Grimbergen, introduit un amendement qui reprend sa proposition de loi déposée en 1961, scindant l’arrondissement électoral de Bruxelles en un arrondissement de Bruxelles-Capitale et un arrondissement de Hal-Vilvorde. La proposition suscite de fortes réactions négatives parmi les députés flamands. Jan Verroken lui-même demande son retrait, jugeant cet objectif prématuré. Les députés socialistes flamands Jos Van Eynde et Frans Gelders sont aussi très hostiles, car ils considèrent que cette scission aurait pour conséquence d’éliminer toute représentation flamande à Bruxelles. Quant à Hal-Vilvorde, arrondissement essentiellement rural, les sociaux-chrétiens flamands y seraient très favorisés. Le ministre Gilson s’oppose à la prise en compte de l’amendement, confirmant que le maintien d’un seul arrondissement électoral fait partie du compromis obtenu au sein du gouvernement et que sa remise en cause mettrait tout l’accord en danger. Les francophones semblent plutôt indifférents au débat  [119].

251 Finalement, tous les amendements sont retirés ou rejetés, à l’exception d’un texte de Ludovic Moyersoen qui nuance l’obligation d’une parité totale dans les fonctions dirigeantes au sein des services centraux dont les attributions intéressent inégalement les régions de langue néerlandaise et de langue française.

252 Au début de la séance, Camille Huysmans, qui avait participé aux débats sur toutes les lois linguistiques depuis la fin de la Première Guerre mondiale (il avait 92 ans en 1963, dont 53 ans comme parlementaire), avait conclu une longue intervention lyrique par ces mots : « L’affirmation selon laquelle on peut contenir les langues dans des « frontières linguistiques » est une grande illusion. L’économie est en effet bien plus forte que la philologie. Les langues sautent par dessus les frontières et quand j’entends que la loi votée en ce jour doit durer plus de 10 ans, laissez-moi vous dire : c’est encore une illusion. Vous serez contraints par la pression de l’économie d’étendre le cercle des communes bilingues [120]. » Il ne participera pas au vote.

3.2.5 Les votes à la Chambre et au Sénat

253 Le débat se poursuit ensuite pendant plusieurs heures sur l’usage des langues dans l’enseignement primaire et secondaire. Les députés libéraux réintègrent l’hémicycle pour le vote final. Dans la nuit du 11 au 12 juillet, à 3h30 du matin, le projet est voté par 157 voix contre 33. Il n’y a aucune abstention.

Tableau 15 : Le vote de la loi de 1963 à la Chambre - 2/08/63

Tableau 15 : Le vote de la loi de 1963 à la Chambre - 2/08/63

Tableau 15 : Le vote de la loi de 1963 à la Chambre - 2/08/63

254 Le vote est difficile à interpréter dans la mesure où les membres de la majorité étaient tenus par l’accord de Val-Duchesse, ce qui leur a été maintes fois rappelé par le gouvernement pendant les débats. Il en résulte un vote majorité contre opposition, toutes appartenances communautaires confondues. Les libéraux, les communistes et les indépendants votent unanimement contre, de même que la Volksunie. Trois sociaux-chrétiens néerlandophones font malgré tout défection à la majorité, dont Cornelius Verbaanderd (en raison de la non-scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde) et Gaston Eyskens, qui avait manifesté son désaccord sur la méthode choisie pour obtenir un compromis et qui pressentait les conflits qu’il allait générer. Les socialistes des deux communautés votent tous en faveur du texte. Cependant, l’absentéisme important au sein des socialistes liégeois (5 députés sur 12) a peut-être constitué une manière d’échapper à la discipline partisane lors d’un vote qui aura pour conséquence la fin du débat sur la fixation de la frontière linguistique, et donc la mise en œuvre du rattachement des communes fouronnaises au Limbourg.

255 Le texte est renvoyé au Sénat, qui en débat à partir du 23 juillet. Les sénateurs de la majorité se bornent à exprimer tout le mal et toutes les insuffisances qu’ils décèlent dans le projet, tout en annonçant qu’ils ne remettront pas l’accord en cause. Le 25 juillet, le texte est voté par 122 voix contre 14 et 7 abstentions.

256 La loi est promulguée le 2 août 1963 et entre en vigueur le 1er septembre suivant  [121].

3.2.6. La situation juridique et la géographie linguistique

257Les deux lois Gilson ont unifié l’emploi des langues en matière administrative, en matière d’enseignement primaire et secondaire et en matière de services centraux de l’État. Elles ont défini les régions linguistiques du pays en établissant le régime de ces régions et des rapports entre elles et, en particulier, en intégrant la langue allemande dans la loi commune.

258 Comme le prévoyait la loi de juillet 1963, les deux lois Gilson ont été ensuite coordonnées en un seul texte  [122]. Nous considérerons la situation juridique créée par l’ensemble, sans reprendre en détail la situation de la frontière linguistique exposée dans le chapitre précédent. On trouvera une synthèse de l’impact des lois Gilson dans l’Annexe 1.

259 Si l’on tente de caractériser les communes belges du point de vue linguistique indépendamment de la langue considérée, on peut établir désormais 8 types de communes, des plus unilingues aux plus multilingues, certains types se laissant regrouper dans une catégorie d’ensemble.

Les communes unilingues

260 Elles constituent la situation ordinaire dans les régions de langue néerlandaise et de langue française. Dans ces communes, les avis et communications au public, les actes administratifs et la correspondance interne doivent se faire dans la langue de la région. Les traductions ne sont permises que dans les relations avec les communes des autres régions linguistiques, sauf Bruxelles-Capitale. Les traductions de la correspondance avec les communes de la région germanophone peuvent être demandées au gouverneur de la province de Liège.

Les six types de communes à régime spécial

261 Elles sont baptisées, dans le langage courant, communes à facilités. Cette expression recouvre six cas de figure.

262 1) Les communes unilingues francophones dont le statut pourrait être adapté par arrêté royal à la demande des conseils communaux. Il s’agit des 9 communes « des 3 langues ». Ces communes se sont francisées avec le temps et la possibilité d’activer un statut spécial n’y a jamais été mise en œuvre ;

263 2) les 6 communes malmédiennes. Dans ces communes :

264

  • les avis au public doivent être rédigés dans les deux langues (allemand et français) si le conseil communal en décide,
  • il doit être répondu dans la langue des particuliers quand ils s’adressent à l’administration dans une de ces deux langues,
  • les actes sont établis dans la langue de la région (le français), mais tout particulier peut en obtenir la traduction dans l’autre langue, sans justification et sans frais,
  • les certificats, déclarations et autorisations que la commune délivre aux particuliers sont établis dans la langue choisie par l’intéressé,
  • les agents communaux passent les examens d’admission ou de promotion dans la langue de la région. Aucune obligation n’existe concernant la connaissance de la seconde langue. La loi prévoit seulement que « les services sont organisés de façon telle que le public puisse faire usage du français ou de l’allemand sans la moindre difficulté » ;

265 3) les 25 communes des cantons d’Eupen et de Saint-Vith (comprenant désormais La Calamine), ainsi que 2 communes de la périphérie bruxelloise. Le statut des 25 communes germanophones est identique à celui des communes malmédiennes, la langue de la région étant cette fois l’allemand, sauf que les avis au public doivent être obligatoirement rédigés dans les deux langues (pas de pouvoir du conseil communal en la matière). Deux communes de la périphérie bruxelloise, Rhode-Saint-Genèse et Wezembeek-Oppem, ont le même statut, la langue de la région étant dans ce cas le néerlandais. Dans ces 27 communes, il n’y a pas d’obligation, pour les agents communaux, de connaître la seconde langue : la commune a seulement pour obligation d’assurer le bilinguisme des services ;

266 4) les 10 communes de la frontière linguistique suivantes : Messines, Espierres, Helchin, Renaix, Biévène, Herstappe en Flandre ; Enghien, Marcq, Petit-Enghien et Flobecq en Wallonie. Ces communes ont un régime identique à la catégorie précédente, sauf que les agents communaux assurant les fonctions dirigeantes de l’administration communale et les agents en contact avec le public doivent avoir réussi un examen établissant « une connaissance suffisante de la seconde langue » ;

267 5) les 15 autres communes de la frontière linguistique : les 5 communes cominoises, les 4 communes mouscronnoises et les 6 communes fouronnaises. Ces communes ont un régime identique à la catégorie précédente, mais elles forment de plus un arrondissement ou un canton auxquels est attribué un commissaire d’arrondissement ou un commissaire d’arrondissement-adjoint chargé de veiller à l’application des lois linguistiques ;

268 6) les 4 communes restantes de la périphérie bruxelloise : Linkebeek, Kraainem, Drogenbos et Wemmel. Elles connaissent un régime identique à celui des 10 premières communes de la frontière linguistique, mais les actes établis dans ces 4 communes sont directement rédigés dans la langue choisie par l’intéressé. Il n’est pas nécessaire de demander une traduction  [123].

Les communes bilingues de Bruxelles-Capitale

269Dans les 19 communes de la région bilingue de Bruxelles-Capitale, les avis et communications au public doivent être rédigés dans les deux langues. Les actes sont établis dans la langue (française ou néerlandaise) choisie par l’intéressé. Les services doivent pouvoir communiquer dans les deux langues avec les particuliers. Ils sont tenus de communiquer avec les communes des régions de langue néerlandaise ou française dans la langue de ces régions. Les agents sont nommés sur la base d’un cadre linguistique, avec une proportion minimale entre les deux rôles linguistiques : la moitié du cadre au moins doit être bilingue et un quart doit appartenir à chacun des deux rôles linguistiques unilingues ; pour les fonctions supérieures, le cadre doit être partagé de manière égale entre les deux rôles. Tous les agents doivent faire la preuve d’une connaissance minimale de la seconde langue.

Les arrondissements

270L’arrondissement administratif de Bruxelles est scindé en trois : Bruxelles, qui correspond à la région bilingue de Bruxelles-Capitale ; Hal-Vilvorde, qui correspond au reste de l’ancien arrondissement de Bruxelles à l’exception des 6 communes périphériques ; les 6 communes à statut spécial de la périphérie, constituant un arrondissement administratif distinct, qui forme avec les arrondissements de Bruxelles-Capitale et l’arrondissement de Hal-Vilvorde l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde (art. 3 §2). Cet arrondissement qualifié par la loi de 1963 de « distinct » n’a ni nom officiel  [124], ni chef-lieu. Il est placé sous l’autorité du vice-gouverneur de la province de Brabant, qui siège à Bruxelles. L’énumération de la composition de la région de langue néerlandaise (art. 3 § 1) ne mentionne pas cet arrondissement comme en faisant partie. Arthur Gilson a soutenu, a posteriori, que cette situation était délibérée  [125] , alors que la thèse communément avancée du côté néerlandophone est qu’il s’agit d’une omission. Mais il en résulte que, formellement, cet arrondissement n’appartient à aucune des quatre régions linguistiques définies par la loi, et qu’il se retrouve sous l’autorité administrative du vice-gouverneur en charge de la région bilingue de Bruxelles-Capitale.

3.3. Les conséquences des deux lois Gilson

3.3.1. Un conflit non résolu

271 Les réactions à la mise en application des lois Gilson le 1er septembre 1963 sont très vives. L’hostilité à l’accord atteint à l’arraché les 7-8 juillet 1963 est manifeste tant du côté francophone que du côté flamand. Les négociateurs sont pris violemment à partie. Les francophones sont accusés d’avoir livré les communes fouronnaises, où des manifestations sont organisées, au Limbourg contre la volonté de la population, et d’avoir abandonné la périphérie bruxelloise. Les parlementaires sociaux-chrétiens flamands, dont Jan Verroken, sont accusés de trahison et d’avoir accepté un « vol de territoire flamand ».

272 L’absence de principes communs et de critères consensuels entre les deux communautés, à l’opposé de ce qui avait prévalu dans les débats qui ont précédé les lois de 1921 et de 1932, a créé des situations très inégales entre les communes de mixité linguistique, ce qui a formé la source de tensions ultérieures. Les tensions les plus vives ont concerné les communes fouronnaises  [126], qui n’ont cessé, de 1962 jusqu’à la fin du 20e siècle, de constituer une source grave de conflit politique. La loi dite de pacification du 9 août 1988 contribuera à calmer les tensions après plusieurs années de conflit autour de la nomination du bourgmestre de Fourons. Une politique de « néerlandisation » menée par les autorités flamandes (développement d’un réseau scolaire très favorisé, implantation de fonctionnaires néerlandophones) et l’immigration progressive d’une population néerlandaise, qui possède le droit de vote aux élections communales depuis 2000, mettent fin à la suprématie électorale des francophones en 2000 et en 2006 au niveau communal (majorité néerlandophone au conseil communal) et en 2006 au niveau du CPAS (majorité néerlandophone au conseil de l’aide sociale, pour l’élection duquel les étrangers n’ont pas le droit de vote). Ce renversement de majorité linguistique contribue à une certaine normalisation des relations entre Fourons et les autorités flamandes, mais il ne satisfait pas la nouvelle minorité francophone, qui s’estime toujours discriminée et insuffisamment reconnue dans ses droits.

273 L’application du statut spécial dans les 6 communes de la périphérie bruxelloise présentera également des difficultés à répétition, en raison des obstacles mis à leur application et de la volonté flamande d’en restreindre la portée. Paradoxalement, ces difficultés provoqueront un regroupement politique des habitants francophones qui exclura durablement les néerlandophones du pouvoir communal dans la plupart d’entre elles à partir de 1976  [127]. Actuellement, 4 des 6 communes périphériques présentent toujours une majorité exclusivement francophone  [128], les deux autres étant dirigées par une majorité bilingue.

274 Cette crispation, encore largement d’actualité, suscitera de nombreuses tentatives de revoir les lois Gilson, au moins pendant la décennie qui suivit leur entrée en vigueur, en particulier quant au statut des communes de la périphérie bruxelloise et des communes fouronnaises. Abstraction faite de la loi de pacification de 1988, toutes échoueront.

3.3.2. Les arrondissements administratifs autour de Bruxelles

275L’arrondissement administratif « distinct » regroupant les 6 communes de la périphérie bruxelloise constituera pendant plusieurs années un argument pour les francophones de ces communes, qui invoqueront leur non-appartenance à la Flandre. Des motions sont votées à plusieurs reprises par la plupart des conseils communaux de ces communes au cours des années 60 : profitant du flou entourant leur appartenance à une région linguistique, ils demandent à nouveau leur rattachement à la région bilingue de Bruxelles-Capitale, ou à tout le moins leur rassemblement dans une région bilingue à part entière. Mais, dans le cadre de la révision constitutionnelle menée par le gouvernement Eyskens-Cools en 1970, il est prévu que toutes les communes du pays doivent appartenir à une région linguistique (Constitution, art. 4 al. 2). La suppression de l’arrondissement trouve ainsi sa justification. Cette suppression pouvant être votée à la majorité ordinaire, elle est approuvée le 20 novembre 1970 en même temps que la révision de la Constitution, par 157 voix contre 49 et 1 abstention. Le statut spécial des 6 communes n’est pas touché, mais celles-ci font désormais officiellement partie de la région de langue néerlandaise et de l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde.

3.3.3. Le mythe de l’abandon des communes fouronnaises

276La genèse tortueuse des lois Gilson sera à l’origine de deux mythes tenaces. Le premier concerne le « sacrifice » des Fourons par les socialistes liégeois. Il sera en effet parfois reproché, bien plus tard, à la représentation socialiste liégeoise d’avoir opéré un calcul électoral en sacrifiant les 6 communes fouronnaises, majoritairement sociales-chrétiennes, pour s’assurer un siège supplémentaire à la Chambre dans l’arrondissement de Liège, ou un siège de plus au conseil provincial de Liège  [129]. Cette présentation des faits est parfois utilisée comme justification du côté néerlandophone, rejetant ainsi sur les francophones la responsabilité du problème fouronnais  [130]. Outre que les calculs montrent que la faible population des communes fouronnaises rendait un tel effet en sièges très improbable  [131], une telle affirmation ne cadre pas avec l’évolution du débat parlementaire. C’est bien la conviction que les résultats du recensement de 1947 étaient excessifs, couplée à la volonté des fédéralistes liégeois de rattacher toute commune à un arrondissement de la langue de son administration interne, qui a conduit ceux-ci à préconiser initialement leur rattachement au Limbourg : puisque leur langue interne était le néerlandais, il était logique de rattacher ces communes à la région de langue néerlandaise. Cela explique leur revirement ensuite, lorsque cette conviction, confrontée à la réaction des habitants, s’est révélée inexacte. Mais, comme on l’a vu, la symétrie, en réalité infondée, qui a ensuite présidé au débat entre la situation des communes fouronnaises et celle des communes cominoises ne donnait plus de point d’appui à une argumentation basée sur la volonté de la population, et qui aurait en fait abouti à l’inclusion des deux entités dans la région de langue française. Afin d’« obtenir » Comines, il fallait désormais « abandonner » Fourons. Malgré cela, tous les élus de l’arrondissement de Liège, et même de la province de Liège, ont voté pour le maintien des communes fouronnaises dans la province de Liège dès le premier débat de février 1962, et ils n’ont été que 2 à voter en faveur de la loi elle-même, lors du vote final du 31 octobre 1962.

3.3.4. Le mythe de la fronde des 300 bourgmestres

277Le second mythe concerne l’interprétation du renvoi des formulaires du recensement de 1960 par les bourgmestres flamands comme un acte illégal, voire séditieux. Un raccourci historique amène parfois à prétendre que l’action « des 300 bourgmestres flamands » a consisté à empêcher la réalisation d’un recensement linguistique auquel ils étaient tenus, sans que la tutelle intervienne pour les y contraindre et les sanctionner. En réalité, comme on l’a vu, les formulaires concernés par l’action des bourgmestres flamands ne comprenaient déjà plus aucun volet linguistique et la finalité linguistique du recensement avait déjà été officiellement abandonnée. Le renvoi des formulaires, qui n’a d’ailleurs été opéré que par 183 bourgmestres selon Paul M. G. Levy  [132], était motivé par le fait que ces documents étaient rédigés dans les deux langues, ce que l’on peut considérer comme une entorse à la législation puisque la loi du 28 juin 1932 toujours en vigueur prévoyait l’unilinguisme des actes administratifs dans les communes sans statut spécial. C’est le retard causé par le renvoi de ces formulaires jugés non conformes qui est à l’origine du report du recensement du 31 décembre 1960 au 31 décembre 1961, et non le refus du recensement lui-même.

3.3.5. Statut linguistique communal et réformes institutionnelles

278Enfin, il apparaît à la lumière des cinq décennies suivantes que l’impact de la fédéralisation du pays sur la question du statut des communes litigieuses a été sous-estimé, en tout cas du côté francophone. Les débats parlementaires sur la question fouronnaise et sur le statut de la périphérie bruxelloise montrent qu’à l’époque, l’appartenance à un arrondissement donné était secondaire par rapport à l’obtention d’un régime de bilinguisme externe, ou de « facilités », pour la population de l’autre langue. Il ne s’agissait, à ce moment, que de déterminer l’appartenance à une région linguistique pour les questions administratives, ainsi qu’à une province dont les pouvoirs étaient assez limités. En outre, le choix de la langue administrative interne n’avait de conséquences tangibles que pour les élus et l’administration communale, dont le bilinguisme était de toute façon déjà requis dans les communes où s’appliquait le bilinguisme externe. Les responsables politiques de l’époque ne pouvaient pas prévoir que la frontière linguistique servirait à dessiner le territoire des régions et des communautés, ce qui induirait pour les communes un avenir tout différent de celui qui leur aurait été promis si elles avaient été rattachées à d’autres entités fédérées, chacune menant sa politique propre. C’est la prise de conscience de plus en plus grande de cet enjeu qui motive pour partie les conflits actuels sur l’extension de la Région de Bruxelles-Capitale ou sur la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde, sur l’application des facilités ou sur la possibilité pour les électeurs fouronnais de voter pour des candidats wallons aux élections fédérales ou régionales. Cette perspective a sans doute été plus rapidement appréhendée du côté flamand, la notion d’appartenance des communes litigieuses à un territoire ayant été privilégiée dans les revendications dès les années 1950. Le monde politique flamand a par contre surestimé ses capacités d’assimilation de la population francophone des communes flamandes par le seul moyen de l’imposition du néerlandais comme langue administrative : dans les communes de la périphérie, la proximité de Bruxelles et de la Wallonie permet aux francophones de continuer à « vivre en français » et même d’être de plus en plus nombreux autour de la capitale.

Conclusion

279Depuis l’indépendance du pays, on peut distinguer sept périodes dans le régime de l’emploi des langues en matière administrative.

280 1. De 1830 à 1878, le français est la seule langue administrative reconnue sur tout le territoire. Les textes en néerlandais et en allemand sont supplétifs, et n’ont qu’un rang de traduction sans valeur juridique.

281 2. De 1878 à 1921, le français est maintenu comme seule langue administrative en Wallonie, alors que la Flandre et Bruxelles évoluent vers un régime bilingue asymétrique (prépondérance du néerlandais en Flandre, prépondérance du français à Bruxelles). La différenciation dans l’emploi des langues entre régions crée pour la première fois entre celles-ci une « frontière linguistique ».

282 3. De 1921 à 1932, le néerlandais devient en principe la seule langue administrative en Flandre. Bruxelles conserve un régime bilingue envers la population, et libre pour les relations internes. Un certain nombre de communes de la frontière linguistique connaissent un régime « bilingue externe » (unilingue pour les relations internes, bilingue pour les relations avec la population) en fonction du résultat du volet linguistique du recensement décennal et des décisions des pouvoirs communaux. Les fonctionnaires de toutes les administrations centrales de l’État doivent devenir progressivement bilingues. Par ailleurs, le statut linguistique de la trentaine de communes rattachées par le traité de Versailles en 1919 (cantons d’Eupen, Malmedy et Saint-Vith) est fixé en 1925.

283 4. De 1932 à 1954, les principes de la loi de 1921 sont maintenus, mais approfondis et adaptés dans leurs modalités. Le rôle du recensement linguistique est renforcé dans l’attribution du régime de bilinguisme externe. Les administrations centrales de l’État sont divisées en rôles linguistiques néerlandais et français ; les fonctionnaires sont rattachés à un rôle linguistique spécifique et l’exigence de connaissance de la seconde langue est limitée aux fonctions supérieures.

284 5. De 1954 à 1962, le régime précédent est adapté à la marge pour donner un caractère définitif (sans plus de référence directe au recensement décennal) au régime « bilingue externe » de certaines communes de la frontière linguistique.

285 6. En 1962, les limites de provinces, d’arrondissements et d’une vingtaine de communes de la frontière linguistique sont modifiées pour rendre ces entités administratives linguistiquement homogènes. Le principe du caractère évolutif de la frontière linguistique, dont le tracé était modifié par une adaptation automatique et régulière en fonction de critères divers (recensement linguistique, décision de conseils communaux, ou autres), est aboli.

286 7. En 1963, l’ensemble des législations concernant l’emploi des langues est rassemblé en un seul texte qui détermine le statut des quatre régions linguistiques du pays (respectivement de langue néerlandaise, française, allemande et bilingue français-néerlandais) et l’emploi des langues en matière administrative dans chacune de ces régions. Un statut spécial de mixité linguistique est accordé à une septantaine de communes de la frontière linguistique et des cantons d’Eupen, Malmedy et Saint-Vith. Ce nombre est ramené à 30 par la fusion des communes entrée en vigueur le 1er janvier 1977.

287 En parcourant la question du statut des différentes langues dans les communes belges depuis l’indépendance, il apparaît d’abord qu’elle est d’une complexité insoupçonnée, et que les jugements simplificateurs que l’on porte parfois sur la question ne correspondent pas à la réalité. Il est indispensable, à notre sens, de situer dans cette perspective les débats communautaires actuels portant sur des questions strictement linguistiques. L’histoire permet de mieux comprendre les positions respectives d’aujourd’hui et les argumentations qui se confrontent, tout en donnant des éléments pour juger de la légitimité des arguments en présence.

La scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde

288La scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde en constitue un exemple privilégié. Il est indéniable, au regard de la chronologie et des débats parlementaires, que le maintien d’un arrondissement électoral unique, alors que l’arrondissement administratif était scindé en trois, constitue bien un élément de l’accord politique acquis à Val-Duchesse les 7 et 8 juillet 1963  [133]. De plus, la proposition de scission de l’arrondissement électoral qui a été introduite sous forme d’amendement à la deuxième loi Gilson a été refusée tant par la majorité de la représentation flamande que par les députés francophones. Les francophones semblent dès lors en droit d’avancer que la scission constitue une remise en cause de l’accord de 1963, et que les concessions faites par les francophones (fixation définitive de la liste des communes à statut spécial, limites de la région bilingue de Bruxelles-Capitale) lors de cette discussion doivent aussi pouvoir être renégociées.

289 Par contre, il faut constater que, malgré le précédent constitué par la suppression, en 1970, de l’arrondissement administratif correspondant aux 6 communes périphériques, les négociateurs francophones n’ont pas pensé à faire de la fixation des arrondissements électoraux une matière relevant d’une majorité spéciale, ce qui aurait été concevable pour les cas spécifiques des deux arrondissements électoraux de mixité linguistique (Bruxelles-Hal-Vilvorde et Verviers). Si cette disposition avait été prise, le débat autour de la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde se serait présenté différemment : le vote de la scission en commission de la Chambre le 7 novembre 2007, en l’absence des élus francophones qui s’étaient retirés par anticipation du résultat, aurait pu être suivi d’un vote en séance plénière au cours duquel une majorité de députés francophones aurait eu les moyens de bloquer la scission.

La langue des convocations électorales dans les communes à statut spécial

290Selon la Région flamande, qui a la tutelle sur les communes situées dans son territoire, l’envoi, sans demande explicite préalable des administrés, de convocations électorales en français aux habitants francophones des communes de Kraainem, Linkebeek et Wezembeek-Oppem constitue une infraction délibérée à la loi sur l’emploi des langues telle que l’autorité flamande l’interprète au moyen de ses circulaires. L’envoi de documents administratifs dans la langue de l’habitant selon un fichier préétabli (c’est-à-dire sans attendre une demande pour chaque nouveau document à délivrer) a constitué une pratique courante dans les communes de la périphérie depuis 1963, mais aussi dans bon nombre d’autres communes à régime spécial. Cependant, on a rarement évoqué le fait que le régime des facilités n’est pas identique dans les trois communes de la périphérie dont les bourgmestres n’ont pas été nommés, depuis les élections de 2006, par la Région flamande en raison de l’envoi, d’initiative, de convocations électorales en français. À Kraainem et à Linkebeek, il est prévu que « les actes sont rédigés en néerlandais ou en français, selon le désir de l’intéressé ». Par contre, à Wezembeek-Oppem, « les actes sont rédigés en néerlandais. Tout intéressé peut obtenir du service qui a dressé l’acte (…) une traduction française certifiée exacte (…) »  [134].  La polémique relative à la non-nomination des bourgmestres de ces trois communes tourne autour des modalités d’expression du « désir de l’intéressé » : selon les circulaires adoptées par la Région flamande, l’administré doit formuler une demande pour chaque document qu’il souhaite obtenir dans l’autre langue, alors que selon les bourgmestres non nommés, la volonté exprimée auprès des autorités communales vaut aussi longtemps que l’intéressé n’est pas revenu sur son choix antérieur. Cependant, si l’on prend la loi au pied de la lettre, on peut déplacer le débat et considérer que l’envoi des convocations électorales en français n’était pas illégal à Kraainem et à Linkebeek, où, selon la loi, c’est le désir de l’intéressé qui détermine la langue dans laquelle les actes sont rédigés, mais bien à Wezembeek-Oppem, où les actes sont d’abord rédigé en néerlandais. À l’exception de Wemmel et de Drogenbos, qui ont le même régime que Linkebeek et Kraainem, les autres communes à statut spécial sont dans la même situation que Wezembeek-Oppem sur ce point, la loi ne prévoyant que le droit à la traduction sur demande.

L’application des lois linguistiques

291On invoque souvent, du côté flamand, la mauvaise volonté francophone dans la mise en application des dispositions légales sur l’usage du néerlandais : après avoir obtenu gain de cause au parlement, les néerlandophones devaient se battre une deuxième fois sur le terrain pour que la loi soit appliquée. C’est en particulier le cas après le vote de la loi de 1921, dont l’application très partielle dans l’administration centrale a justifié en elle-même la loi de 1932. L’application de cette dernière a connu, elle aussi, des déficiences dans les communes de la frontière linguistique. Le bilinguisme de l’agglomération bruxelloise ne deviendra réalité dans toutes les communes qu’après l’adoption des arrêtés d’application de la loi de 1963, et les difficultés liées à son respect font l’objet de critiques aujourd’hui encore.

292 Il est indéniable que le manque d’intérêt, voire le mépris, de nombreux francophones pour la langue néerlandaise ont freiné l’évolution vers un équilibre dans l’emploi des langues en matière administrative dans le pays. Il faut ajouter que le contexte a souvent conduit à rendre la « néerlandisation » hautement improbable : il était impossible que tous les fonctionnaires de l’administration centrale deviennent bilingues en quelques années après 1921, que les populations des communes de la périphérie bruxelloise et des communes fouronnaises redeviennent naturellement néerlandophones après 1963, ou que le bilinguisme soit strictement respecté dans l’agglomération bruxelloise à partir du moment où cette agglomération était limitée à des communes très majoritairement francophones.

La nécessaire recherche du compromis

293Du côté francophone en particulier, on prétend souvent qu’en matière linguistique, l’évolution de la loi requiert, sinon en droit du moins au plan politique, l’accord d’une majorité au sein des deux principales communautés. L’idée qu’une communauté puisse imposer sa volonté à l’autre en vertu de sa simple supériorité numérique au parlement serait inacceptable et mettrait la survie du pays en danger. En réalité, après de longues décennies durant lesquelles les francophones ont bénéficié d’un (quasi) monopole de la représentation parlementaire, plusieurs lois linguistiques importantes ont été votées par une majorité essentiellement flamande, contre la volonté de la plupart des francophones. C’est en particulier le cas de la loi Van Cauwelaert de 1921, rejetée par plus de 80 % des députés francophones. C’est aussi le cas de la loi de 1962 fixant la frontière linguistique, dont il a abondamment été question ci-dessus. C’est aussi le cas d’autres textes que nous n’avons pas analysés ici  [135].

294 Dans les cas cités, les francophones n’ont cependant pas jugé la question suffisamment grave pour utiliser l’arme qui leur restait : la crise gouvernementale. En 1921, l’édulcoration de la loi au cours de la procédure parlementaire a sans doute joué. En 1962, la pression politique pour résoudre la question de la fixation de la frontière linguistique et les perspectives électorales très peu favorables à la coalition au pouvoir en cas d’élections anticipées ont sans doute amené les opposants au texte à écarter cette possibilité  [136].

295 C’est cette expérience qui amena les francophones à exiger l’introduction de majorités spéciales lors de la première réforme constitutionnelle de 1970. Néanmoins, cette double majorité ne touche pas tous les sujets linguistiques, comme la question de la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde l’a spectaculairement démontré le 7 novembre 2007, lors du vote flamand unilatéral en faveur de la scission  [137] en commission de l’Intérieur de la Chambre.

L’usage et l’interprétation des termes

296La loi ne reprend qu’exceptionnellement les termes utilisés couramment pour définir les régimes de mixité linguistique. Si le « bilinguisme externe » apparaît dans les débats parlementaires de 1932 et si les « facilités » figurent déjà dans le rapport du Centre Harmel, aucun de ces vocables n’apparaît dans la loi. L’expression d’ « arrondissement spécial de Bruxelles » qui a parfois servi à désigner l’arrondissement couvrant les 6 communes de la périphérie bruxelloise est dans le même cas. Le concept de « frontière linguistique », utilisé pour la première fois dans la loi du 14 juillet 1932 sur l’emploi des langues dans l’enseignement, sera retiré en 1962 en raison de l’ambiguïté juridique du terme. Dans la plupart des cas, les lois se bornent à énumérer les communes concernées par un régime linguistique particulier et à expliciter, pour chacune, ce régime. La coordination du 18 juillet 1966 tente de mettre un peu d’ordre en définissant légalement quatre expressions en tout et pour tout : « communes périphériques » est l’expression officielle pour désigner les 6 communes à facilités de la périphérie bruxelloise ; « communes malmédiennes » désigne les 6 communes francophones rattachées par le traité de Versailles ; « communes de la frontière linguistique » recouvre désormais toutes les communes où est établi un régime linguistique mixte, à l’exception de l’agglomération bruxelloise, des communes périphériques et des 9 communes que nous avons dénommées « des 3 langues » et où les facilités ne sont qu’optionnelles ; enfin, toutes les communes de mixité linguistique (sauf l’agglomération bruxelloise) sont désignées de manière générique par le terme « communes à régime spécial ».

297 Dès lors, l’invocation de la sémantique pour déduire de ces termes un sens intrinsèque constitue un exercice particulièrement périlleux. Voir un caractère transitoire ou non dans la signification du terme de « facilités » (qui aurait, selon certains, un sens pédagogique) est vain, puisque la loi n’utilise pas ce terme. L’expression de « frontière linguistique » peut être interprétée comme une volonté de donner à cette limite administrative un caractère quasi étatique, mais son utilisation dès 1932, alors que la « frontière » est encore mouvante à ce moment, déforce cette interprétation. Malgré les avis du Conseil d’État qui ont régulièrement mis l’accent sur ce point, le recours minimal à des termes précis avait pour but de masquer, dès l’origine, des divergences quant à la signification globale des régimes linguistiques votés et de réduire les textes, autant que possible, à la définition concrète de ces régimes.

Le caractère transitoire ou permanent des « facilités »

298Depuis quelques années, l’idée que les « facilités » avaient été accordées à titre transitoire, dans un but d’adaptation progressive des populations minoritaires à la langue de la commune, est avancée par une partie grandissante du monde politique flamand. Cette thèse est rejetée du côté francophone, qui invoque l’absence de toute référence, dans la loi, à un quelconque caractère transitoire des régimes linguistiques des communes.

299Le caractère supposé transitoire des facilités est cohérent avec la conception flamande d’une homogénéisation progressive de chaque région linguistique. À la suite des lois de 1962-1963, et surtout de la quasi-disparition de l’enseignement en français en Flandre dans les années 1960, on a pu penser du côté néerlandophone qu’une assimilation linguistique s’opérerait naturellement. Il n’en demeure pas moins que, non seulement on ne trouve pas trace d’un compromis sur cette question en 1962-1963, ni dans l’histoire de la législation linguistique en général, mais on serait bien en peine de trouver des revendications flamandes en ce sens dans la période couverte par cette étude. À aucun moment, entre 1920 et 1963, ni les lois, ni les projets de loi, ni leurs exposés des motifs, ni les discussions parlementaires n’évoquent l’idée de régimes linguistiques spéciaux à caractère extinctif (en dehors des dispositions transitoires prévues classiquement dans les textes législatifs)  [138]. Les débats et les textes regorgent par contre, du côté néerlandophone comme du côté francophone, et jusqu’en 1963 inclus, de la notion de « protection de la minorité linguistique », ce qui plaide plutôt pour le caractère permanent des facilités. Par ailleurs, les facilités ne sont pas nées ex nihilo d’un compromis autour des projets de loi Gilson de 1962-1963, mais constituent une fixation du régime de bilinguisme externe qui existait depuis 1921, parallèle à la fixation de la frontière linguistique revendiquée par le monde politique flamand. Il ressort d’ailleurs de nombreux débats, notamment autour du sort des communes fouronnaises, que les francophones n’ont accepté à contrecœur un rattachement de certaines communes à la région de langue néerlandaise que parce que des facilités étaient accordées à la population francophone de ces communes. Cette attitude n’aurait pu exister si le régime des facilités avait été considéré dès cette date comme transitoire. Enfin, tout au long de l’élaboration des lois de 1962-1963, une exigence flamande constante était d’instaurer des régimes linguistiques définitifs pour les communes concernées, comme l’illustre notamment le rejet en juin 1963 d’une proposition francophone qui aurait accordé des facilités aux 6 communes de la périphérie bruxelloise pendant trois ans, avec une évaluation de leur application à cette échéance.

Le point de vue flamand : la stabilité des « frontières »

300Depuis la chute du mur de Berlin et les conflits violents qui en sont nés en Europe centrale, une partie du monde politique flamand tend à dramatiser toute tentative de revoir les limites des régions linguistiques fixées en 1963. Par contre, les dispositions annexes, considérées par les francophones comme la contrepartie à la fixation de limites qu’ils jugent défavorable pour eux, sont régulièrement remises en cause au nom d’une logique d’homogénéité linguistique et d’une plus grande cohérence : suppression de l’arrondissement « distinct », scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde, extinction ou restriction des facilités. La révision ou la suppression de ces dispositifs n’aurait pas la même portée dramatique car elle ne modifierait pas les territoires, que du contraire : il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre des responsables politiques flamands accepter la fin des facilités pour les néerlandophones en Wallonie.

301 Mais il faut bien constater que l’idée selon laquelle la paix politique, voire la paix civile, serait mieux garantie par l’intangibilité des limites telles qu’elles ont été fixées en 1963 que par une règle évolutive a été démentie par les faits. Pendant les trois décennies au cours desquelles le pays a connu une « frontière » linguistique adaptable (1921-1954), des tensions sont régulièrement apparues, en particulier chaque fois que la « frontière » devait bouger. Le basculement de la majorité linguistique de certaines communes, qui devait induire un changement de langue administrative interne, était un danger pour la continuité administrative et pour la stabilité de leur personnel, qui devait en principe changer de langue de travail du jour au lendemain. Par mauvaise volonté ou par impossibilité pratique, ces changements ont suscité de nombreuses résistances, notamment du côté francophone. La crainte de voir apparaître des contestations systématiques et des oppositions à la mise en application des changements réguliers de régime linguistique était certainement fondée, et justifiait la fixation d’un régime linguistique définitif pour tout le territoire. Par contre, cette fixation opérée dans un cadre polémique, sans référence claire à des données objectives et à des principes partagés par les deux bords, a eu pour conséquence le retour régulier de nombreuses questions litigieuses liées aux lois de 1962-1963 depuis plus de 45 ans. Ces questions ont été et sont encore sources de crises politiques majeures, qui démontrent que l’objectif affiché à l’époque par le gouvernement Lefèvre-Spaak de régler la question linguistique en Belgique n’a pas été atteint.

Le point de vue francophone : les principes ou la frontière mobile ?

302Du côté francophone, on s’en tient en général à la logique du compromis : ou l’on accepte les lois de 1962-1963, pour bancales qu’elles soient, dans leur totalité ; ou, si l’on veut en accroître la cohérence, on rediscute de l’ensemble. Or, il faut bien constater que, si en 1921 et en 1932, les limites des régions linguistiques étaient basées sur des principes clairs, à partir de 1954 et surtout en 1962-1963, précisément au moment où il s’agissait d’établir une frontière fixe, aucune règle identifiable ne s’impose pour trancher les situations litigieuses. On assiste à la fois à une absence de fil conducteur dans les débats, à une méconnaissance des situations locales, tant présentes qu’historiques (surtout dans la question fouronnaise), et finalement à une négociation dans laquelle les échanges de territoire s’appuient tantôt sur le principe de territorialité et tantôt sur le principe du droit des gens ; tantôt sur les résultats des recensements linguistiques et tantôt sur leur contestation ; tantôt sur la primauté de la situation historique et tantôt sur celle de la situation contemporaine. Il en résulte une législation très complexe et peu lisible, en décalage par rapport aux attentes de certaines des populations concernées, et génératrice de nouveaux conflits pour plusieurs décennies.

303 En ce sens, le monde politique francophone, de manière assez peu explicite il est vrai, semble majoritairement vouloir corriger ce qu’il considère comme des erreurs par rapport à la réalité linguistique du pays au moment de la fixation de la frontière, plutôt que de vouloir revenir à une frontière linguistique mobile. Il y a en effet très peu de revendications francophones, même parmi les forces politiques les plus radicales sur le sujet, en faveur de l’extension des droits des francophones au-delà des zones litigieuses : pas ou peu de demandes d’extension des facilités dans les communes de la périphérie bruxelloise où la francisation s’est produite après 1963, par exemple. On peut s’étonner de ne pas entendre davantage les francophones souligner, à l’appui de la revendication de l’extension de la Région de Bruxelles-Capitale, qu’il ne s’agit pas de remettre en cause le principe de territorialité, mais de contester seulement la façon dont certains territoires ont été fixés. Pour le surplus, il est clair qu’aujourd’hui, dans un cadre où les régions linguistiques coïncident (à l’exception de la région de langue allemande) avec les Régions au sens des entités fédérées, le retour à une règle évolutive paraît difficilement praticable : il n’est en tout cas revendiqué comme tel par aucune force politique francophone.

Peut-on imaginer résoudre le problème de fond ?

304Compte tenu de ces constats, un nouveau compromis est imaginable, qui corrigerait le régime linguistique et l’appartenance régionale de communes dont les francophones ont contesté le traitement qui leur a été réservé en 1962-1963 (Fourons, périphérie bruxelloise), et qui renforcerait l’application du principe de territorialité en Flandre (facilités extinctives, fin de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde, renforcement de la territorialité dans l’enseignement). On peut regretter que cette question soit devenue tellement émotionnelle au sein du monde politique belge qu’il est devenu quasiment impossible d’en débattre sereinement, non pas dans un but de « conquête de territoire » ou de « maintien des privilèges linguistiques », mais dans le but de redéfinir à la marge, de façon définitive et selon de véritables principes, les régions linguistiques afin de pacifier le cadre fédéral de l’État.

305 10 août 2010

306 Les sources principales de ce travail sont :

307

  • Annales de la Chambre des représentants et projets et propositions de loi de la Chambre des représentants, accessibles en ligne sur < www.lachambre.be>.
  • Annales du Sénat et projets et propositions de loi du Sénat, accessibles en ligne sur <www.senate.be>.
  • Moniteur belge, de 1878 à 1966.
  • Statistiques de la Belgique, Recensement de la population en fonction de la langue parlée, Ministère de l’Intérieur, Bruxelles, 1846, 1866, 1880, 1890, 1900, 1910, 1920, 1930, 1947.

308 Les sources principales sont accessibles en ligne sur le site de l’auteur <www.vivelabelgique.com>.

Annexes

1. Tableau synthétique des effets des lois linguistiques sur les communes

309Le tableau ci-dessous reprend de manière synthétique l’évolution linguistique par commune. Les caractères gras indiquent une évolution réelle produite par une loi ; les caractères maigres indiquent nos projections sur la base des données linguistiques de certains recensements, ou représentent une proposition (rapport du Centre Harmel, projet de loi Moyersoen) qui n’est pas devenue loi. Les colonnes se lisent comme suit.

310 Communes énumère les 128 communes (sur quelque 2 660 communes en Belgique avant la fusion de 1977) qui ont été affectées par l’application de la législation sur l’emploi des langues en matière administrative. Elles sont regroupées en quatre zones correspondant à des problématiques linguistiques différentes (Bruxelles et sa périphérie ; Flandre telle qu’on pouvait la définir avant les transferts opérés en 1962-1963 ; Wallonie telle qu’avant 1963 ; zone où s’observe une pratique de l’allemand), les zones étant elles-mêmes subdivisées en fonction des provinces et des arrondissements existant avant 1963. Les communes sont présentées sous leur dénomination officielle en français chaque fois qu’une telle dénomination existe. La dénomination officielle en néerlandais ou en allemand est donnée, soit lorsqu’il n’existe pas de dénomination française officielle, soit après la dénomination française si la dénomination néerlandaise ou allemande en diffère.

311 Arr. et province avant 1963 indique à quel arrondissement et à quelle province appartenait la commune avant les rattachements définis par la loi de 1963.

3121846 détaille pour chaque commune, le pourcentage des principales langues parlées selon le premier recensement de 1846. Le total ne fait nécessairement 100 %, les langues annexes (allemand et anglais) étant négligées. Les renvois à d’autres entités indiquent les trois communes qui faisaient encore partie d’autres entités communales et pour lesquelles aucun chiffre spécifique n’est disponible en 1846.

313 1878 (loi) présente le régime linguistique attribué à chaque commune en application de la loi du 22 mai 1878 : FR signifie régime unilingue français, BIL (fr) régime bilingue préférentiellement français et N (fr) régime bilingue préférentiellement néerlandais. Les « communes égarées », telles qu’on peut les identifier selon les données des deux premiers recensements linguistiques (1846 et 1866), sont mentionnées par E fr en région de langue néerlandaise et par E n en région de langue française. Les parenthèses indiquent que le caractère de « commune égarée » est douteux, en raison de résultats contradictoires ou imprécis dans les recensements de 1846 et 1866. Les astérisques indiquent les deux communes francophones « égarées » dans l’arrondissement de Bruxelles, qui bénéficient cependant d’un régime bilingue en raison de l’extension de celui-ci à tout l’arrondissement.

314 1920 (rec.) présente l’extrapolation de la règle générale du régime linguistique défini par la loi du 31 juillet 1921, si les populations avaient toutes fait usage de leur droit de pétition en fonction de la langue déclarée lors du recensement de 1920, et si ce droit s’était également étendu aux populations germanophones. FR, N et AL signifient qu’aucune minorité linguistique ne dépasse 20 % et que le régime aurait été unilingue ; FR (n), N (fr), AL (fr), etc., représentent un régime de bilinguisme externe potentiel.

315 1921 (loi) présente le régime linguistique réellement attribué en application de la loi du 31 juillet 1921. Dans la même colonne, on trouve le régime attribué en 1925 pour les communes des cantons de l’Est. Les blancs correspondent aux communes dont le régime n’a pas pu être déterminé, faute d’information sur l’existence d’une pétition de la minorité linguistique et de son acceptation par le conseil communal. Pour ce qui concerne l’agglomération bruxelloise, le choix des conseils communaux a été confirmé par un arrêté royal du 27 janvier 1922 : BIL (fr) représente un régime bilingue avec le choix du français comme langue administrative interne par le conseil communal, BIL (n) avec le choix du néerlandais, BIL représente un régime bilingue intégral. L’astérisque indique le cas particulier de Ganshoren qui rejoint le régime bilingue de l’agglomération bruxelloise par un arrêté royal du 12 juillet 1923.

3161930 (rec.) présente le régime linguistique qui aurait été établi si la règle générale de la loi du 28 juin 1932 avait été appliquée uniformément, et si cette règle avait été étendue aux populations germanophones. FR, N et AL signifient qu’aucune minorité linguistique ne dépasse 30 % et que le régime aurait été unilingue ; FR (n), N (fr), AL (fr), etc., représentent un régime de bilinguisme externe potentiel.

317 1932 (loi) présente le régime linguistique attribué par la loi du 28 juin 1932. FR, N et AL signifient un régime unilingue ; FR (n), N (fr), AL (fr), etc. représentent un régime de bilinguisme externe ; BIL (fr) représente un régime bilingue avec le choix du français comme langue administrative interne par le conseil communal, etc.

318 1947 (rec.) présente le régime linguistique qui aurait été établi si la règle générale de la loi du 28 juin 1932 avait été appliquée uniformément sur la base du recensement réalisé en 1947, et si cette règle avait été étendue aux populations germanophones. Les astérisques indiquent les 42 communes litigieuses, dont le résultat du recensement a été porté devant la commission de contrôle linguistique en 1949, auxquelles il faut ajouter Dilbeek et Strombeek-Bever, dont le statut linguistique n’a finalement jamais été modifié, motif pour lequel ces communes n’apparaissent pas dans le tableau (44 communes litigieuses au total).

319 1952 (C. H.) présente la proposition émise par la section politique du Centre Harmel le 12 juillet 1952, reprise dans le rapport final du 24 avril 1958. La proposition définit le régime linguistique de chaque commune, et rattache celle-ci à la région correspondant au régime linguistique interne proposé (néerlandophone ou francophone). Le régime BIL W, proposé pour les communes fouronnaises, consiste en un bilinguisme intégral avec maintien en Wallonie. Les astérisques indiquent les communes devant subir une modification de leur limite afin d’assurer une plus grande homogénéité linguistique en leur sein.

320 1952 (p. M.) correspond au projet de loi introduit par le ministre de l’Intérieur Ludovic Moyersoen. Ce projet ne prévoit qu’une adaptation des régimes linguistiques des communes concernées, sans rattachement à un arrondissement ou à une province différente.

321 1954 (loi) présente le régime linguistique attribué par la loi du 2 juillet 1954.

322 1962-63 (lois) présente le régime linguistique attribué par les lois du 8 novembre 1962 et du 2 août 1963, ainsi que la région à laquelle la commune est rattachée : VL pour la Flandre et W pour la Wallonie. BIL représente le régime bilingue intégral de la région de Bruxelles-Capitale. Pour ce qui concerne les communes à statut spécial, les astérisques indiquent les communes ayant subi une modification de leur limite afin d’assurer une plus grande homogénéité linguistique en leur sein. Par ailleurs, les différents régimes de « facilités » sont, dans le même ordre, les six régimes décrits au point 3.2.6.

323 Arr. et province depuis 1963 indique l’arrondissement administratif et la province auxquels la commune appartient depuis 1963. Les astérisques indiquent que 6 communes de la périphérie bruxelloise ont appartenu à un arrondissement administratif distinct de 1963 à 1970.

324 Nbre numérote les 90 communes bénéficiant d’un régime spécial après le 1er septembre 1963.

325 Entité depuis fusion (1977) indique l’entité communale à laquelle appartient chacune de ces communes après la fusion des communes entrée en vigueur le 1er janvier 1977.

326 Nbre numérote les 49 communes bénéficiant d’un régime linguistique spécial après la fusion des communes entrée en vigueur le 1er janvier 1977.

327 1988 (loi) indique les communes (fusionnées) dont le régime électoral a été modifié par la loi dite de pacification du 9 août 1988, imposant la proportionnalité (P) dans le collège des bourgmestre et échevins et l’élection directe (ED) du conseil de l’aide sociale.

1. Tableau synthétique des effets des lois linguistiques sur les communes Effets des lois linguistiques sur le statut des communes Effets des lois linguistiques sur le statut des communes Effets des lois linguistiques sur le statut des communes

2. Textes de loi

1. Loi du 22 mai 1878 (Moniteur belge, 24 mai 1878)

328Art. 1er. Dans les provinces d’Anvers, de Flandre occidentale, de Flandre orientale, de Limbourg et dans l’arrondissement de Louvain, les avis et communications que les fonctionnaires de l’État adressent au public seront rédigés soit en langue flamande, soit en langue flamande et en langue française. Les fonctionnaires de l’État correspondront en flamand avec les communes et les particuliers, à moins que ces communes ou particuliers ne demandent que la correspondance ait lieu en français, ou n’aient eux-mêmes fait usage de cette langue dans la correspondance.

329 Art. 2. Dans l’arrondissement de Bruxelles, la correspondance des fonctionnaires de l’État avec les communes et les particuliers aura lieu en flamand si les communes ou les particuliers qu’elle concerne le demandent ou ont fait eux-mêmes usage de cette langue dans la correspondance. Les avis et communications que les fonctionnaires de l’État adressent au public sont rédigés conformément au § 1er de l’art. 1er.

2. Loi du 31 juillet 1921 (Moniteur belge, 12 août 1921)

330Art. 1er. Dans les provinces d’Anvers, Flandre occidentale, Flandre orientale et Limbourg, dans l’arrondissement de Louvain et dans l’arron­dissement de Bruxelles, sauf les communes indiquées à l’article 2, § 4, les administrations de l’État, des provinces et des communes, ainsi que les autorités publiques subordonnées, font usage de la langue flamande pour leurs services intérieurs et pour la correspondance entre elles et avec les départements centraux de l’État et des autorités publiques soumises à la présente loi.

331 Dans les provinces de Liège, Luxembourg, Namur et Hainaut et dans l’arrondissement de Nivelles, il est fait usage, dans les mêmes conditions, de la langue française.

332 Toutefois, les conseils provinciaux et les conseils communaux ont la faculté d’adjoindre, à la langue déterminée par la loi, l’autre langue nationale pour tout ou partie des services relevant de leur autorité. L’autre langue ne peut jamais être substituée à la langue déterminée par la loi.

333 Les administrations publiques sont tenues de se servir, dans leurs relations et leur correspondance avec les administrations inférieures ou les autorités publiques subordonnées, de la langue employée par celles-ci.

334Art. 2. Le conseil provincial du Brabant, en ce qui concerne l’agglomération bruxelloise, et les conseils communaux de l’agglomération bruxelloise déterminent le régime linguistique applicable à leurs services intérieurs ainsi qu’à la correspondance entre eux ou avec les départements centraux des autorités publiques soumises à la présente loi.

335 Les avis et communications qu’ils ont à faire au pub1ic sont rédigés dans les deux langues nationales.

336 Dans l’agglomération bruxelloise, l’emploi des langues pour les services administratifs de l’État et des autorités publiques, subordonnées à l’État, est réglée par arrêté royal motivé, en tenant compte des décisions des administrations locales.

337 En vue de l’application de la présente loi, l’agglomération bruxelloise comprend les communes suivantes : Auderghem, Bruxelles, Anderlecht, Etterbeek, Forest, Ixelles, Jette-Saint-Pierre, Koekelberg, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Uccle, Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Lambert, Woluwe-Saint-Pierre et Woluwe-Saint-Étienne.

338 Cette énumération pourra être complétée par arrêté royal.

339 Art. 3. Dans les communes dont la majorité des habitants parle le plus fréquemment, d’après le dernier recensement décennal, une langue différente de celle du groupe linguistique auquel l’article 1er les rattache, le conseil communal décide du choix de la langue pour ses services extérieurs et pour la correspondance. Toutes les administrations publiques soumises à la présente loi se conforment à ce choix, quant à la largue de service et pour la correspond­ance administrative.

340 Art. 4. Les avis et communications à faire au public par les administrations centrales de l’État et les autorisés publiques qui lui sont subordonnées sont rédigés dans les deux langues nationales ; il en est de même des communications que les provinces et les autorités publiques qui leur sont subordonnées ont à faire au public par voie d’affiche.

341 Les avis et communications adressés au public par les services locaux de l’État, des provinces ou des autorités publiques (lui leur sont subordonnées, ainsi que par les communes et par les autorités publiques qui leur sont subordonnées, sont rédigés dans la langue, de la commune ou dans les deux langues. Ils doivent être rédigés dans les deux langues dans les communes où la demande en aura été formulée par voie de requête signée par 20 % des électeurs communaux, ou par 15.000 électeurs communaux au moins dans les communes ayant plus de 70 000 électeurs communaux. Le conseil sera lié par la requête pendant toute la durée de son mandat.

342 Art. 5. Sous réserve des matières réglées par des lois particulières, nul ne peut être nommé à une fonction de l’État le mettant en rapport avec le public s’il ne connaît la langue adoptée par les communes du ressort dans lequel il est appelé à exercer ses fonctions.

343 Un arrêté royal détermine les fonctions dont les titulaires seront considérés nomme devant, à raison de ces fonctions, être en rapport avec le public.

344 Art. 6. Les candidats à une fonction ou à un emploi dans les administrations centrales de l’État, dans l’administration provinciale du Brabant, ou dans les administrations communales de l’agglomération bruxelloise, sont tenus de subir un examen d’entrée dans la langue de leur choix. Toutefois, une épreuve sur la connaissance élémentaire de la langue française est imposée aux récipiendaires ayant fait le choix de la langue flamande et une épreuve sur la connaissance élémentaire de la langue flamande est imposée aux récipiendaires ayant fait le choix de la langue française.

345 Le programme de cette épreuve est déterminé par arrêté royal.

346 Sous réserve de la disposition de l’article 9, nul ne pourra, à partir du 1er janvier 1925, être nommé dans ces administrations aux fonctions de chef de division ou à toute autre fonction d’un grade équivalent ou supérieur, s’il ne justifie, par examen, de la connaissance approfondie des deux langues.

347 Pourra être nommé chef de division, sans avoir préalablement subi cet examen, tout récipiendaire qui n’aura pas fait partie de l’administra­tion centrale durant les cinq années qui ont immédiatement précédé sa nomination. Ce fonctionnaire sera rétrogradé au grade inférieur si, au cours des deux années qui suivront sa nomination, il n’a pas satisfait à cet examen.

348 Les points obtenus par les récipiendaires pour les épreuves sur la seconde langue ne compteront, dans aucun cas, pour leur classement.

349 Peuvent être dispensés de l’épreuve ou de l’examen ci-dessus prévu, les récipiendaires qui justifient de la connaissance des deux langues nationales de la. manière que fixera un arrêté royal d’exécution, comme aussi les candidats à une fonction ou à un emploi qu’un arrêté royal motivé aura classés comme ne comportant pas la connaissance d’une seconde langue. Les fonctionnaires de l’État, des provinces, des communes et des autorités publiques subordonnées, chargés d’études techniques spéciales, peuvent être autorisés par leurs administrations à se servir, pour la rédaction de leurs rapports, de la langue de leur choix.

350 Art. 7. Dans leur ressort respectif, les administrations de l’État, autres que les administrations centrales, et leurs fonctionnaires font usage dans leurs relations avec les provinces et les communes, de la langue de celles-ci.

351 Dans leurs rapports avec les habitants, ils font usage de la langue employée par la commune de l’intéressé, à moins qu’ils ne préfèrent répondre à celui-ci dans la langue dont il s’est servi.

352 Si des communes du ressort des administrations ou des fonctionnaires indiqués à l’alinéa 1er ont fait usage du droit d’adjoindre une seconde langue, les habitants peuvent exiger qu’il soit fait usage de la langue de leur choix.

353 Art. 8. Les actes à dresser par les administrations centrales de l’État et des autorités publiques seront rédigés dans la langue indiquée par l’intéressé.

354 Les actes à dresser par les autres autorités publiques seront rédigée dans la langue déterminée par la présente loi pour les services intérieurs, mais tout intéressé pourra s’en faire délivrer, par traduction dans l’autre langue nationale, expédition ou copie certifiées exactes. Les frais de traduction seront à charge de l’administration requise de délivrer l’acte.

355 Art. 9. La situation personnelle des fonctionnaires, agents et employés en service au avant le 1er janvier 1920 ne peut être atteinte par les dispositions de la présente loi quant à leur maintien en fonction ni quant à leur avancement.

356 Art. 10. La loi du 22 mai 1878 relative à l’emploi de la langue flamande en matière administrative est abrogée.

357 Art. 11. La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 1922.

358Disposition transitoire

359Art. 12. Jusqu’à ce que l’article 6 de la présente loi reçoive sa complète application, l’emploi des deux langues nationales dans les administrations centrales sera réglé par arrêté royal, délibéré en conseil des ministres, de manière à donner satisfaction dans leur et ensemble aux exi­gences linguistiques de l’administration du pays et en assurant d’un égal respect les deux langues nationales.

3. Loi du 28 juin 1932 (Moniteur belge, 29 juin 1932)

360 Art. 1er , §1er. Dans les provinces d’Anvers, de la Flandre occidentale, de la Flandre orientale et du Limbourg, dans l’arrondissement de Louvain et dans l’ar­rondissement de Bruxelles, sauf les com­munes indiquées à l’article 2, § 5, les ad­ministrations de l’État, - y compris les parquets et la gendarmerie, - des pro­vinces et des communes, font usage de la langue néerlandaise.

361 § 2. Dans les provinces de Liège, de Luxembourg, de Namur et du Hainaut, et dans l’arrondissement de Nivelles, elles font usage de la langue française.

362 § 3. Ces dispositions s’appliquent égale­ment aux régies, aux services concédés, aux établissements publics on d’intérêt public, et, en général, à toutes les admi­nistrations et autorités publiques subor­données.

363 § 4. Les administrations et autorités publiques visées aux paragraphes précé­dents sont tenues, dans leurs relations et leur correspondance avec les adminis­trations et les autorités publiques infé­rieures ou subordonnées, de se conformer au régime linguistique légal de celles-ci.

364 Art. 2, § 1er. Les conseils communaux de l’agglomération bruxelloise détermi­nent le régime linguistique applicable à leurs services intérieurs, ainsi qu’à la correspondance entre eux ou avec les dé­partements centraux des administrations et des autorités publiques soumises à la présente loi.

365 § 2. Les administrations communales de l’agglomération bruxelloise font usage, dans leur correspondance avec les admi­nistrations et autorités soumises à l’ar­ticle 1er, de la langue que cet article im­pose à ces dernières ou dont elles font usage en vertu de l’article 3.

366 § 3. Les avis et communications qu’elles ont à faire au public sont rédigés dans les deux langues nationales.

367 § 4. Dans l’agglomération bruxelloise, l’emploi des langues pour les services ad­ministratifs locaux ou régionaux de l’État et des administrations et autorités pu­bliques, subordonnées à l’État, est réglé par arrêté royal motivé en tenant compte des situations locales et en s’inspirant d’un égal respect pour les deux langues nationales.

368 § 5. En vue de l’application de la pré­sente loi, l’agglomération bruxelloise comprend les communes suivantes An­derlecht, Auderghem, Bruxelles, Etter­beek, Forest, Ixelles, Jette-Saint-Pierre, Koekelberg, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-­Gilles, Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Uccle, Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Lambert et Woluwe-Saint-Pierre.

369 Art. 3, § 1er. Sous réserve de ce qui est stipulé à l’article 2 pour les communes de l’agglomération bruxelloise, les com­munes dont la majorité des habitants parlent le plus fréquemment, d’après le dernier recensement décennal, une langue différente de celle du groupe linguistique auquel l’article 1er les rattache, adopte­ront pour leurs services intérieurs et pour la correspondance la langue de cette ma­jorité.

370 § 2. Toutes les administrations et auto­rités publiques supérieures soumises à la présente loi se conforment à cette situa­tion quant au régime linguistique de leurs services locaux et pour la correspondance administrative.

371 Art. 4, § 1er. Dans les administrations centrales de l’État et dans celles des ser­vices ou établissements publics qui en vertu de l’article 1er, § 3, sont soumises à l’application de la présente loi et dont l’activité s’étend à tout le pays, ainsi que dans l’administration provinciale centrale au Brabant, les affaires sont traitées dans la langue à employer par les autorités et les services publics régionaux sans re­cours aux traducteurs. Il en est de même dans les administra­tions, services ou établissements dont l’activité s’étend à des communes situées dans l’une et dans l’autre région, telles qu’elles sont déterminées aux §§ 1er et 2 de l’article 1er.

372 § 2. Les services administratifs dési­gnés au paragraphe précédent seront or­ganisés de manière à pouvoir assurer d’une façon normale l’application de cette règle.

373 § 3. En vue d’assurer le maintien de l’unité de jurisprudence, il sera placé, pour autant que de besoin, à côté de cha­que fonctionnaire supérieur assurant une direction de service, un adjoint bilingue du même grade ou du grade immédiate­ment inférieur, choisi dans le service intéressé.

374 § 4. Les mesures d’exécution applicables aux administrations de l’État en vertu des dispositions de cet article seront prises par arrêté royal, dans les six mois de l’entrée en vigueur de la présente loi.

375 Art. 5. Les fonctionnaires et agents de l’État, des provinces, des communes et des autorités publiques subordonnées, chargés d’une étude technique spéciale, sortant du cadre de leurs devoirs habi­tuels, peuvent être autorisés, à titre ex­ceptionnel et pour chaque cas, par le chef de leur administration, à se servir pour la rédaction du rapport relatif à cette étude de la langue de leur choix.

376 Art. 6, § 1er. Il est répondu aux parti­culiers par les services et administrations visés à l’article 4 dans celle des deux lan­gues nationales dont ils ont fait usage ou demandé l’emploi.

377 § 2. Les avis et communications à faire au public par ces mêmes services et administrations, les circulaires, ainsi que les imprimés et formulaires qu’ils distri­buent aux autorités et aux administra­tions subordonnées ou qui sont prescrits par les règlements généraux, sont rédigés dans les deux langues, à l’exception des imprimés et formulaires dont l’usage est limité à une seule et même région linguis­tique.

378 § 3. Les avis et communications adres­sés au public par les services locaux de l’État, des provinces ou des autorités ad­ministratives et autorités publiques qui leur sont subordonnées, ainsi que par les communes et par les administrations et autorités publiques qui leur sont subor­données, sont rédigés dans la langue de la commune.

379§ 4. Ils doivent être rédigés dans les deux langues nationales dans les com­munes où, d’après le dernier recensement décennal, 30 % des habitants ont dé­claré parler le plus fréquemment la lan­gue de l’autre région linguistique.

380 Art. 7, § 1er. Dans leurs rapports avec les habitants, les administrations et les autorités publiques locales ou régionales, visées à l’article 1er, font usage de la lan­gue de leurs services intérieurs, à moins qu’elles ne préfèrent leur répondre dans la langue dont ils se sont servis.

381 § 2. Les administrations visées aux ar­ticles 2 et 6 § 4, s’adresseront aux parti­culiers dans celle des deux langues natio­nales dont ils ont fait usage ou demandé l’emploi.

382 Art. 8, § 1er. Les actes et certificats à dresser par les administrations centrales de l’État et par les administrations qui leur sont assimilées, ainsi que par celles visées aux articles 2 et 6 § 4, seront ré­digés dans la langue indiquée par l’inté­ressé.

383 § 2. Les actes et certificats à dresser par les autres autorités publiques seront rédigés dans la langue déterminée par la présente loi pour leurs services intérieurs, mais tout intéressé qui en établira la né­cessité, pourra s’en faire délivrer gratui­tement par traduction dans l’autre langue nationale, expédition ou copie certifiée exacte, en faisant la demande au gouver­neur de sa province.

384 Art. 9, § 1er. Sauf en ce qui concerne les administrations centrales, nul ne peut être nommé ou promu à une des fonctions ou à un des emplois publics visés à l’ar­ticle 1er, s’il n’est familiarisé avec la lan­gue de la commune ou de la région dans laquelle il doit exercer ses fonctions ou son emploi.

385 § 2. Dans les communes de l’aggloméra­tion bruxelloise, énumérées a l’article 2 et dans les communes visées au § 4 de l’article 6, nul ne peut exercer une fonc­tion le mettant en rapport avec le public s’il ne connaît les deux langues natio­nales. Cette disposition s’applique également aux fonctions dont le titulaire doit être en rapport avec le public, à la fois dans des communes à régime flamand et à ré­gime français.

386 § 3. Les candidats à une fonction ou à un emploi dans les administrations cen­trales de l’État, dans l’administration provinciale centrale du Brabant ou dans les administrations communales de l’ag­glomération bruxelloise sont tenus de su­bir un examen d’entrée dans la langue de leur choix.

387 § 4. Pour les administrations centrales de l’État il sera observé un juste équi­libre dans le nombre des emplois réservés aux candidats de chaque groupe linguis­tique.

388 § 5. Nul ne sera admis à concourir à la fois aux examens néerlandais et aux examens français.

389 § 6. L’examen d’entrée pour l’adminis­tration provinciale centrale du Brabant et pour les administrations communales de l’agglomération bruxelloise comportera une épreuve sur la connaissance élémen­taire de la langue néerlandaise pour les récipiendaires ayant fait choix de la lan­gue française et une épreuve de la con­naissance élémentaire de la langue fran­çaise pour les récipiendaires ayant fait choix de la langue néerlandaise. Nul ne pourra dans ces mêmes administrations être nommé aux fonctions correspondan­tes ou supérieures à celles de directeur dans les administrations centrales de l’État s’il ne justifie, par un examen ap­proprié, d’une connaissance suffisante de la seconde langue.

390 § 7. En vue d’assurer l’application des dispositions du présent article, les candidats dispensés d’un examen d’entrée à raison d’un diplôme officiel, sont tenus de subir un examen d’aptitude linguis­tique, approprié aux fonctions ou à l’emploi qu’ils sollicitent.

391 Art. 10. La sauvegarde des droits per­sonnels acquis par les fonctionnaires et agents en service au moment de la mise en vigueur de la présente loi, ne pourra pas entraver l’application de celle-ci.

392 Art. 11. Les principes établis par la pré­sente loi pour le règlement de l’emploi des langues dans les administrations cen­trales de l’État seront également appli­cables à la Cour des comptes.

393 Art. 12. La présente loi ne s’applique pas aux cantons d’Eupen, de Malmedy et de Saint-Vith.

394 Art. 13. §1er. Il sera institué une com­mission permanente chargée de surveiller l’application de la présente loi.

395 § 2. Cette commission sera composée de six membres, nommés par le Roi, pour une période de quatre ans, parmi les can­didats présentés sur listes triples par les Académies royales de langue et de litté­rature flamande et française, chacune pour la moitié des places à conférer.

396 § 3. La commission sera présidée par le Ministre de l’intérieur et de l’hygiène ou par son délégué.

397 § 4. Le Gouvernement prendra l’avis de la commission en toutes matières d’ordre général qui concernent l’application de la présente loi. La commission instruira les plaintes qui lui seront parvenues, en demandant rapport au Ministre intéressé. Elle lui transmettra toutes observations qu’elle jugera utiles à ce sujet.

398 § 5. Le Gouvernement fera connaître à la commission la suite qui aura été don­née à ses communications.

399 § 6. Chaque année, le Ministre de l’in­térieur et de l’hygiène déposera sur le bu­reau des Chambres législatives un rap­port détaillé sur l’activité de la commis­sion.

400 Art. 14. La loi du 31 juillet 1921 cessera ses effets à la date de la mise en vigueur de la présente loi.

4. Loi du 2 juillet 1954 modifiant la loi du 28 juin 1932 (Moniteur belge, 8 juillet 1954)

401Coordination officieuse des articles modifiés de la loi de 1932 :

402 Art. 2 § 5. En vue de l’application de la présente loi, l’agglomération bruxelloise comprend les communes suivantes: Anderlecht, Auderghem, Berchem-Sainte-Agathe, Bruxelles, Etterbeek, Evere, Forest, Ganshoren, Ixelles, Jette, Koekelberg, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Uccle, Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Lambert, Woluwe-Saint-Pierre.

403 Art. 6 § 4. Les avis et communications adressés au public doivent être rédigés dans les deux langues nationales dans les communes où d’après le dernier recensement décennal, 30 p.c. des habitants ont déclaré parler le plus fréquemment l’antre langue nationale, ainsi que dans les communes d’Enghien, Marcq, Mouland, Petit-Enghien, Remersdaal.

Notes

  • [1]
    Les arrondissements électoraux ont pris officiellement le nom de circonscriptions électorales en 1995. Nous conserverons la dénomination d’arrondissement électoral, dénomination en vigueur pendant toute la période couverte par cette étude.
  • [2]
    Messines, Neuve-Église, Rekkem, Zetrud-Lumay, Petit-Enghien, Wamont, Walsbets, et, en région bruxelloise, Laeken et Schaerbeek.
  • [3]
    Ixelles, St-Josse-ten-Noode, Marcq, Mouland, Zandvoorde.
  • [4]
    Jozef Schoep s’était vu refuser l’inscription de son fils à l’état civil en néerlandais et n’a pas pu se défendre en néerlandais dans l’action judiciaire menée ensuite.
  • [5]
    Aujourd’hui article 30.
  • [6]
    Le système électoral est encore basé sur le scrutin majoritaire, ce qui accentue fortement l’effet des glissements de voix.
  • [7]
    Comme de nombreux auteurs francophones et néerlandophones le font désormais, nous utiliserons ce terme pour désigner les partisans du mouvement flamand sans lui donner la valeur péjorative qu’il a pu avoir dans le passé.
  • [8]
    Dénommée, par l’auteur de la proposition, « langue flamande ».
  • [9]
    Anderlecht, Etterbeek, Saint-Gilles, Ixelles, Saint-Josse-ten-Noode, Laeken (commune distincte de la ville de Bruxelles à cette date), Molenbeek-Saint-Jean, Schaerbeek. Bien que la proposition de loi n’y fasse pas référence, il s’agit là des communes autour de Bruxelles dans lesquelles environ 10 % au moins de la population ont déclaré parler le français lors du recensement de 1866.
  • [10]
    Annales de la Chambre, 8 mai 1878, p. 823.
  • [11]
    Ibidem.
  • [12]
    L’arrondissement administratif de Bruxelles, créé dès l’indépendance, correspond donc à l’actuel arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde (dénomination introduite en 1963), ainsi qu’à l’actuel arrondissement judiciaire de Bruxelles.
  • [13]
    Il s’agit, bien entendu, des entités communales avant la fusion de 1977 et la fusion d’Anvers en 1982, qui réduiront le nombre total des communes du pays à 589. Dans la suite du texte, nous utiliserons le nom officiel des communes en français lorsqu’il existe. La correspondance entre les dénominations néerlandaises et françaises des communes est présentée dans le tableau récapitulatif en Annexe 1.
  • [14]
    Un volet linguistique a fait partie du recensement général de la population dès 1846. Ironie de l’histoire : comme il avait été retiré du formulaire de 1856 sous couvert du respect de la vie privée, ce sont des militants flamands qui ont exigé son rétablissement en 1866 afin pouvoir continuer à démontrer que les Flamands étaient majoritaires dans le pays.
  • [15]
    Comines, Ploegsteert, Warneton, Bas-Warneton, Houthem, Zandvoorde (arr. Ypres, prov. Fl. occ.), Mouscron, Dottignies, Herseaux, Luingne, Rekkem, Espierres (arr. Courtrai, prov. Fl. occ.), Amougies, Orroir, Russeignies (arr. Audenarde, prov. Fl. or.), Bierghes, Saintes (arr. Bruxelles, prov. Brabant), l’Écluse, Neerheylissen, Opheylissem, Zétrud-Lumay, (arr. Louvain, prov. Brabant), Corswarem (arr. Hasselt, prov. Limbourg), Bassenge, Eben-Emael, Herstappe, Lanaye, Otrange, Roclenge-sur-Geer, Wonck (arr. Tongres, prov. Limbourg).
  • [16]
    Everbeek (arr. Ath, prov. Hainaut), Biévène, Enghien, Saint-Pierre-Capelle (arr. Soignies, prov. Hainaut), Attenhoven, Eliksem, Laar, Landen, Neerhespen, Neerlanden, Neerwinden, Overhespen, Overwinden, Rumsdorp, Wamont, Walsbets, Waalshouthem, Wange, Wezeren, Rosoux-Crenwick (arr. Waremme, prov. Liège), Mouland, Fouron-le-Comte (arr. Liège, prov. Liège), Fouron-Saint-Martin, Fouron-Saint-Pierre, Remersdaal, Teuven, Hombourg, Sippenaeken, Gemmenich, Moresnet, Membach (arr. Verviers, prov. Liège).
  • [17]
    Dans la suite de l’exposé, on appellera :
    – « communes fouronnaises », les 6 communes regroupées, lors de la fusion des communes en 1977, sous le nom de Fourons : Mouland, Remersdaal, Fouron-Saint-Martin, Fouron-Saint-Pierre, Fouron-le-Comte, Teuven ;
    – « communes cominoises », les 5 communes regroupées sous le nom de Comines-Warneton : Comines, Ploegsteert, Warneton, Bas-Warneton, Houthem ;
    – « communes mouscronnoises », les 4 communes regroupées sous le nom de Mouscron : Mouscron, Dottignies, Herseaux, Luingne ;
    – « communes de Landen », les 13 communes regroupées sous le nom de Landen et les 2 communes rattachées à la commune de Linter : Attenhoven, Eliksem, Laar, Landen, Neerhespen, Neerhanden, Neerwinden, Overhespen, Overwinden, Rumsdorp, Wamont, Walsbets, Waalshouthem, Wange, Wezeren ;
    – « communes des 3 langues », les 9 communes situées entre les communes fouronnaises et les communes des cantons germanophones : Baelen, Henri-Chapelle, Hombourg, Gemmenich, Membach, Moresnet, Montzen, Sippenaeken, Welkenraedt.
  • [18]
    Quatre catholiques, un libéral et un socialiste. Frans Van Cauwelaert n’en faisait pas partie ; son nom est associé à la loi de 1921 en raison de son implication dans la suite des débats.
  • [19]
    Le terme de « flamandisation » n’est plus d’usage aujourd’hui.
  • [20]
    L’énumération donnée par la proposition Delaet de 1876 est rendue encore plus précise dans la proposition de 1920.
  • [21]
    15 % au-delà de 70 000 électeurs communaux, 20 % au-delà de 20 000, 25 % au-delà de 3 000, 30 % en dessous de 3 000.
  • [22]
    Anderlecht, Bruxelles (incluant elle-même Laeken, Haeren et Neder-over-Hembeeck à partir de mars 1921), Ixelles, Etterbeek, Forest, Schaerbeek, Saint-Gilles, Jette-Saint-Pierre (aujourd’hui Jette), Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Josse-ten-Noode, Auderghem, Koekelberg, Uccle, Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Lambert.
  • [23]
    S’y ajoutent Woluwe-Saint-Pierre et Woluwe-Saint-Étienne.
  • [24]
    Au sens de l’arrondissement électoral de Bruxelles, correspondant à l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde, ainsi dénommé à partir de 1963.
  • [25]
    L’expression est devenue courante dans le vocabulaire politique belge ; il faut néanmoins rappeler qu’il ne s’agit en rien d’une frontière au sens juridique du terme, mais d’une limite administrative interne. Son usage dans la terminologie légale sera d’ailleurs un sujet de controverse.
  • [26]
    À l’exception des communes cominoises et fouronnaises, qui constituent des enclaves linguistiques, géographiquement proches, dans l’autre territoire.
  • [27]
    Bien qu’il soit vraisemblable que la plupart de ces communes aient fait le choix de la langue majoritaire au sein de leur population car cette majorité y est en général très large, il n’y a apparemment pas eu de centralisation de cette information, de sorte qu’il est difficile de vérifier les décisions des conseils communaux concernés sans remonter aux archives de chaque commune.
  • [28]
    Cf. notes 14 et 15. Ces communes seront souvent désignées, dans le langage politique, sous le vocable de « communes de la frontière linguistique ».
  • [29]
    Cf. M. Van Ginderachter, De politieken partijen en de taalwetgeving, p. 221, et E. Witte et H. Van Velthoven, Langue et politique, p. 125.
  • [30]
    Comines, Houthem, Warneton, Herseaux, Luingne, Mouscron, Espierres, Helchin, Orroir et Saintes.
  • [31]
    Ganshoren, Neuve-Église, Rekkem, Renaix, Herstappe. Sur cette base, Ganshoren sera rattaché à l’agglomération bruxelloise par arrêté royal en 1923.
  • [32]
    Enghien, Fouron-Saint-Martin.
  • [33]
    Remersdaal.
  • [34]
    Anderlecht, Auderghem, Jette, Koekelberg, Molenbeek-Saint-Jean, Woluwe-Saint-Pierre, Woluwe-Saint-Lambert.
  • [35]
    Création du Verdinaso en 1931 et du Vlaams Nationaal Verbond (VNV) en 1933.
  • [36]
    La Calamine, commune située aux confins de la Belgique, de l’Allemagne et des Pays-Bas, n’appartenait officiellement à aucun État avant 1919.
  • [37]
    Selon le recensement de 1920. Comme elle ne tombe pas sous le régime d’exception, La Calamine est la seule commune rattachée à la Belgique par le traité de Versailles qui participe à ce recensement.
  • [38]
    Amblève, Bullange, Butgenbach, Crombach, Elsenborn, Eupen, Eynatten, Hauset, Heppenbach, Hergenrath, Kettenis, Lommersweiler, Lontzen, Manderfeld, Meyerode, Neu-Moresnet, Raeren, Recht, Reuland, Rocherath, Saint-Vith, Schoenberg, Thommen et Walhorn.
  • [39]
    Bellevaux-Ligneuville, Bevercé, Faymonville, Malmedy, Robertville et Waimes.
  • [40]
    Tintange, Beho (arr. de Bastogne) ; Arlon, Attert, Autelbas, Bonnert, Guirsch, Habergy, Hachy, Heinsch, Hondelange, Martelange, Messancy, Nobressart, Nothomb, Selange, Thiaumont, Toernich Tontelange, Wolkrange (arr. d’Arlon).
  • [41]
    À l’exception de Welkenraedt, devenue majoritairement francophone pour la première fois selon ce même recensement.
  • [42]
    L’élection sera invalidée par la Chambre le 19 décembre 1928.
  • [43]
    Le projet a été tellement inspiré du texte de la loi de 1921 qu’il reprend malencontreusement l’article 10, qui abrogeait la loi de 1878.
  • [44]
    Notons cependant que le recensement linguistique de 1930 dans les communes fouronnaises est le premier à avoir été contesté ; selon les pro-liégeois il aurait été manipulé par l’Abbé Veltmans pour exagérer la part de la population néerlandophone.
  • [45]
    Pour faciliter la compréhension des mouvements, nous utiliserons les notations N, FR et AL respectivement pour les régimes unilingues néerlandais, français et allemand ; un statut de minorité est indiqué en minuscule entre parenthèses (voir le tableau récapitulatif en Annexe 1).
  • [46]
    Messines, Berchem-Sainte-Agathe.
  • [47]
    Neuve-Église, Renaix, Fouron-Saint-Martin.
  • [48]
    Rekkem, Enghien, Ganshoren, Herstappe.
  • [49]
    Russeignies, l’Écluse, Petit-Enghien.
  • [50]
    Comines, Houthem, Warneton, Herseaux, Orroir, Rosoux-Crenwick, Saintes.
  • [51]
    Luingne, Mouscron, Espierres, Helchin.
  • [52]
    Les communes de Bullange, Butchenbach, Elsenborn et Rocherath, qui faisaient partie du canton de Malmedy en 1925, seront transférées au canton de Saint-Vith afin d’assurer l’homogénéité linguistique des cantons.
  • [53]
    Cet apparent oubli ne sera réglé que 30 ans plus tard, lorsque le statut de La Calamine sera explicitement joint à celui des 25 autres communes germanophones dans la loi du 8 novembre 1962.
  • [54]
    À partir de 1937, à Enghien, Houtain-l’Évêque ou dans les communes fouronnaises, Grammens met en évidence, par des actions provocatrices qui lui vaudront plusieurs condamnations, que la loi de 1932 n’est pas correctement appliquée, et ce au détriment des néerlandophones : utilisation du français dans les relations internes des communes, avis et communications en néerlandais déficientes, etc. Il stigmatisera également les inscriptions officielles en français qui subsistent un peu partout dans la Flandre profonde, et qui sont désormais illégales.
  • [55]
    « Si, en 1932, la Wallonie avait accepté le régime du bilinguisme, la Belgique ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. Qui a choisi alors l’unilinguisme ? Pas les Flamands, hein ! Les Wallons ! (…) On ne peut pas unilatéralement refuser de réaliser des choses sur son territoire pour exiger ensuite qu’elles le soient sur le territoire de l’autre communauté. Il y a un minimum de logique institutionnelle à accepter, tout de même… » Interview de Jean-Luc Dehaene, « Francophones, le problème vient de vous ! », Le Soir, 3 août 2007.
  • [56]
    Dès la proposition de loi Delaet en 1876.
  • [57]
    Il est vraisemblable que le mythe de « l’offre généreuse d’une Belgique entièrement bilingue » a été alimenté par certaines positions francophones dans le débat qui suivra quelques semaines plus tard sur l’emploi des langues dans l’enseignement primaire et secondaire. En effet, de nombreux députés wallons y refuseront d’envisager un traitement parallèle, proposé par des députés flamands, entre le maintien des écoles pour les francophones de Flandre et la possibilité pour les ouvriers flamands de la sidérurgie et des charbonnages installés dans le sillon Sambre-et-Meuse d’obtenir le droit d’ouvrir des écoles néerlandophones en Wallonie. Après le rejet par les néerlandophones d’argumentations basées sur la différence entre le droit des minorités linguistiques « natives » (les francophones de Flandre) et les autres, les francophones préféreront abandonner leurs revendications sur l’enseignement en français en Flandre et accepter le principe d’un enseignement primaire et secondaire organisé obligatoirement dans la langue de la région.
  • [58]
    Par une loi du 4 juin 1948, issue d’une proposition parlementaire déposée le 21 juin 1946.
  • [59]
    Malgré une assiduité très inégale de ses membres. Cf. « Le Centre Harmel », Courrier hebdomadaire, CRISP, 1er décembre 1961, n° 131.
  • [60]
    Cf. la méthode de travail du Centre Harmel sur la question linguistique exposée dans son rapport final : Annales de la Chambre, Projets et propositions de loi, 940-1, 24 avril 1958, pp. 251-278.
  • [61]
    Ces recommandations seront confirmées par une résolution de la section politique du Centre le 10 juin 1952 et présentées peu après devant la commission de l’Intérieur du Sénat.
  • [62]
    Everbeek, Biévène, Saint-Pierre-Capelle et les 15 communes de Landen.
  • [63]
    Les 5 communes cominoises, les 4 communes mouscronnoises, ainsi que Espierres, Orroir, Amougies, Russeignies, Bierghes, Saintes, l’Écluse, Zétrud-Lumay, Opheylissem, Neerheylissem, Corswarem, Otrange, Bassenge, Eben-Emael, Lanaye, Roclenge-sur-Geer et Wonck.
  • [64]
    Everbeek, Biévène, Saint-Pierre-Capelle, les communes de Landen et les communes fouronnaises.
  • [65]
    Les communes cominoises et mouscronnoises, ainsi que Espierres, Helchin, Amougies, Orroir, Russeignies, Bierghes, Saintes, l’Écluse, Neerheylissem, Opheylissem, Zétrud-Lumay, Corswarem, Bassenge, Eben-Emael, Lanaye, Otrange, Roclenge-sur-Geer et Wonck.
  • [66]
    Espierres, Helchin, Luingne, Mouscron, Russeignies, Enghien, Marcq, Petit-Enghien, l’Écluse.
  • [67]
    Messines, Rekkem, Renaix, Herstappe et les 6 communes fouronnaises.
  • [68]
    À Remersdaal, cette évolution pourrait n’être que le produit d’une erreur ou d’une malveillance des agents recenseurs. Alors que les 6 communes fouronnaises présentent une proportion de néerlandophones d’environ 90 % en 1910 et que cette proportion se maintient en 1920 pour 5 d’entre elles, Remersdaal bascule vers une proportion de 60 % de francophones pour 40 % de néerlandophones en 1920, avant de revenir à environ 70 % de néerlandophones en 1930, ce qui constitue une évolution peu vraisemblable. Une analyse détaillée montre, de plus, que les chiffres de 1920 sont incohérents, mentionnant plus de « bilingues parlant préférentiellement le français » que de bilingues au total.
  • [69]
    Cette commune manque de franchir le seuil des 30 % de francophones à deux personnes près, avec 1 137 francophones recensés sur 3 794 habitants (29,97 %).
  • [70]
    Nous comptabilisons comme wallon Marcel Demets, élu socialiste de l’arrondissement de Courtrai et échevin de Mouscron, du fait de l’appartenance des communes mouscronnoises à cet arrondissement.
  • [71]
    Notons cependant que le Conseil d’État n’a émis aucune réserve en ce sens sur le projet de loi.
  • [72]
    Majorité francophone relative à Evere : 48,48 % de francophones pour 48,24 % de néerlandophones.
  • [73]
    Anderlecht, Jette, Koekelberg et Molenbeek-Saint-Jean.
  • [74]
    D’ailleurs clairement marquée : dans cette commune à la géographie très singulière, les hameaux du nord sont néerlandophones et ceux du sud francophones.
  • [75]
    Mouscron, Luingne, l’Écluse et Russeignies.
  • [76]
    Houtain-l’Évêque, Renaix, Fouron-Saint-Martin.
  • [77]
    Rekkem.
  • [78]
    Herstappe, Messines.
  • [79]
    Espierres, Helchin.
  • [80]
    Mouland, Remersdaal, Fouron-le-Comte, Fouron-Saint-Pierre, Teuven, Biévène.
  • [81]
    Enghien.
  • [82]
    Corswarem, Eben-Emael, Ezemaal, Flobecq, Glons, Helchin, Herstappe, Laar, Lanaye, Neerheylissem, Neerlanden, Overhespen, Rekkem, Roclenge-sur-Geer, Rumsdorp, Walsbets, Wange, Wezeren, Zandvoorde, Zétrud-Lumay.
  • [83]
    Cf. notamment « L’évolution linguistique et politique du Brabant, Courrier hebdomadaire, CRISP, 1970, n° 466-467.
  • [84]
    « Le problème fouronnais de 1962 à nos jours », Courrier hebdomadaire, CRISP, 23 novembre 1979, n° 859, p. 10.
  • [85]
    Nombre variable selon les sources, mais de toute manière très inférieur aux « 300 bourgmestres » auxquels il est souvent fait référence du côté francophone lorsque l’on évoque cet épisode (cf. infra).
  • [86]
    Déclaration gouvernementale, Annales de la Chambre, 2 mai 1961.
  • [87]
    L’opposition libérale tenta, sans succès, de maintenir le recensement linguistique pour la seule périphérie bruxelloise. À noter que la loi du 24 juillet 1961 ne prohibait le volet linguistique que pour le recensement de 1961, raison pour laquelle la Volksunie vota contre le projet.
  • [88]
    Les partis politiques n’étant pas encore scindés, la qualification linguistique des élus ne peut se fonder que sur la langue administrative de leur circonscription (à l’exception du cas de deux députés francophones mentionné par ailleurs). En ce qui concerne les élus de la circonscription de Bruxelles, nous avons procédé à une analyse individuelle de leur appartenance.
  • [89]
    Nous comptabilisons comme wallons les députés Marcel Demets (socialiste) et Robert Devos (social-chrétien), élus dans l’arrondissement de Courtrai (Flandre occidentale), du fait de l’appartenance des communes mouscronnoises à cet arrondissement. Après le transfert de ces communes au Hainaut, ils seront tous deux élus dans l’arrondissement d’Ath-Tournai-Mouscron.
  • [90]
    Everbeek, Biévène, Saint-Pierre-Capelle et les 15 communes de Landen (Overhespen vers l’arrondissement de Louvain, les 14 autres communes vers l’arrondissement de Hasselt).
  • [91]
    Orroir, Amougies, Russeignies, Bierghes, Marcq, Saintes, l’Écluse, Zétrud-Lumay, Opheylissem, Neerheylissem, Corswarem, Otrange, Bassenge, Eben-Emael, Lanaye, Roclenge-sur-Geer, Wonck.
  • [92]
    Les 5 communes cominoises, 4 mouscronnoises, Espierres et Renaix.
  • [93]
    Les 6 communes fouronnaises et Enghien.
  • [94]
    À l’exception d’une modification plus importante que celle envisagée par le Centre Harmel concernant La Hulpe, qui échangerait le quartier ‘t Rot contre le quartier de La Corniche (gare de La Hulpe) avec Overijse.
  • [95]
    Même si la réalité de celle-ci a pu être contestée : cf. « Le Centre Harmel », Courrier hebdomadaire, CRISP, 1er décembre 1961, n° 131.
  • [96]
    Les limites sont modifiées entre les communes suivantes : Neuve-Église et Ploegsteert, Comines et Wervik, Rekkem et Mouscron, Ellezelles et Renaix, Opbrakel et Flobecq, Deux-Acren et Biévène, Deux-Acren et Viane, Bassilly et Biévène, Braine-l’Alleud et Rhode-Saint-Genèse, Hoeilaart et La Hulpe, La Hulpe et Overijse, Zétrud-Lumay et Hoegarden.
  • [97]
    Everbeek, Biévène, Saint-Pierre-Capelle et les 15 communes de Landen.
  • [98]
    Mouscron, Dottignies, Herseaux, Luingne, Espierres, Helchin, Amougies, Orroir, Russeignies, Bierghes, Saintes, l’Écluse, Zétrud-Lumay, Opheylissem, Neerheylissem, Corswarem, Bassenge, Eben-Emael, Lanaye, Otrange, Roclenge-sur-Geer, Wonck.
  • [99]
    Neuf des conseils communaux concernés en avaient fait la demande.
  • [100]
    Paul Gruselin, fédéraliste wallon de la première heure, restait fortement imprégné des travaux réalisés juste après la guerre sur la rectification des limites régionales, dans lesquels la référence à la langue des populations ne pouvait que se baser sur le recensement de 1930, celui de 1947 n’étant pas encore connu. Or, en 1930, les communes fouronnaises étaient encore toutes unilingues néerlandophones.
  • [101]
    Voir la relation détaillée des débats en commission et en séance plénière de la Chambre et du Sénat dans « Le problème des Fourons de 1962 à nos jours », Courrier hebdomadaire, CRISP, novembre 1979, n° 859.
  • [102]
    Ce sera le seul vote au cours duquel deux élus sociaux-chrétiens flamands (F. Lefère, Ypres, et G. Gilles de Pélichy, Roulers) voteront en faveur des thèses francophones.
  • [103]
    Élus des arrondissements de Huy-Waremme, Liège et Verviers, correspondant à la province de Liège.
  • [104]
    Annales de la Chambre, 15 février 1962, p. 54.
  • [105]
    Dont celui de Fouron-Saint-Pierre, seule des 6 communes à avoir conservé une majorité néerlandophone d’après le recensement de 1947.
  • [106]
    L’absence de consultation des conseils provinciaux sur les modifications des limites des provinces avait d’ailleurs été critiquée par le Conseil d’État dans son rapport sur le projet de loi Gilson initial. V. Projets de lois de la Chambre, 14 novembre 1961, 194/1.
  • [107]
    Annales de la Chambre, 31 octobre 1962, p. 30-31.
  • [108]
    M. F. Lefère (CVP, Ypres) : « Et pourquoi avez-vous voté le transfert de la Voer au Limbourg en février ? » M. F. Massart (PSB, Namur) : « Parce que ce sont des gens « thiois » et que je croyais qu’ils seraient contents de retrouver une province flamande. Ils n’en veulent pas. Comment disposerais-je de ces populations contre leur volonté ? », Le Soir, 1er novembre 1962, p. 3. Fernand Lefère a voté pour le maintien à Liège en février et vote pour le rattachement au Limbourg en octobre, alors que Fernand Massart fait l’inverse.
  • [109]
    Il est étonnant qu’aucun élu francophone n’ait apparemment tenté d’utiliser le sort d’Espierres et d’Helchin, communes à majorité francophone destinées à rester en Flandre dans le projet, et dont la population est à peine plus faible que celle des communes fouronnaises, pour trouver une autre contrepartie.
  • [110]
    Arrondissements d’Ath-Tournai, Soignies, Mons, Thuin et Charleroi, ainsi que les deux élus francophones de l’arrondissement de Courtrai.
  • [111]
    La mise en application des modifications des limites communales fera l’objet d’arrêtés royaux qui s’étaleront jusqu’en 1965.
  • [112]
    Cf. « L’évolution linguistique et politique du Brabant », Courrier hebdomadaire, CRISP, 16 janvier 1970, n° 466-467, p. 35.
  • [113]
    Au sens où tout changement de statut linguistique impliquerait une modification de la loi, et non plus une simple application de celle-ci.
  • [114]
    Rappelons que les communes germanophones ne sont pas concernées par le projet.
  • [115]
    Deux versions du projet sont présentées simultanément : celle du gouvernement, et celle reformulée sur de nombreux points par le Conseil d’État. Quelques nuances de fond peuvent être décelées entre les deux textes.
  • [116]
    Elle remplace la « commission permanente » instituée par la loi du 28 juin 1932.
  • [117]
    Les quartiers de la gare et « la Corniche ».
  • [118]
    Les hameaux de ‘t Rot et Nieuwe Bakenbos.
  • [119]
    Annales de la Chambre, 11 juillet 1963, pp. 23-24.
  • [120]
    Annales de la Chambre, 11 juillet 1963, p. 13.
  • [121]
    La loi ne prévoit pas de date d’entrée en vigueur spécifique, elle est donc formellement d’application dès sa parution au Moniteur le 22 août 1963. Sa référence à la loi du 8 novembre 1962 postpose de facto son application de 10 jours.
  • [122]
    Arrêté royal du 18 juillet 1966.
  • [123]
    La loi dite de pacification du 9 août 1988 a introduit une nouvelle différenciation dans les régimes spéciaux : les 6 communes de la périphérie bruxelloise, les communes cominoises (Comines-Warneton) et fouronnaises (Fourons), mais pas les communes mouscronnoises (Mouscron), ont désormais un collège échevinal composé proportionnellement au résultat des élections communales, et un conseil de l’aide sociale élu directement. Différenciation supplémentaire, le collège des gouverneurs de province se voit aussi attribuer un rôle particulier de tutelle pour Comines-Warneton et Fourons. Cette modification législative, destinée à répondre à la situation particulière des communes périphériques et surtout de Fourons à cette date (polémiques autour de la nomination du bourgmestre), n’a concerné Comines-Warneton que dans un souci de symétrie de traitement entre les communes fouronnaises et cominoises, volonté de symétrie qui s’est donc maintenue plus d’un quart de siècle après le vote des lois Gilson. Indépendamment des langues concernées, la loi du 9 août 1998 porte à 10 le nombre de statuts linguistiques communaux différents dans le pays.
  • [124]
    La loi fait en sorte de ne jamais le nommer. Il a parfois été appelé par la suite « arrondissement spécial de Bruxelles », mais cette dénomination ne figure dans aucun texte légal.
  • [125]
    Cf. La Relève, hebdomadaire de tendance sociale-chrétienne, 22 février 1969, Bruxelles.
  • [126]
    Les 6 communes fouronnaises sont fusionnées sous le nom de Fourons depuis le 1er janvier 1977.
  • [127]
    La dernière majorité néerlandophone d’une commune périphérique (Rhode-Saint-Genèse) sera renversée aux élections communales de 1988.
  • [128]
    Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse et Wezembeek-Oppem.
  • [129]
    Les deux interprétations ont été avancées.
  • [130]
    Dans ses Mémoires pour mon pays (Racine, Bruxelles, 2006, p. 128), Wilfried Martens écrit que les socialistes liégeois auraient demandé discrètement à Théo Lefèvre d’inclure le rattachement au Limbourg dans le projet de loi gouvernemental sur la fixation de la frontière linguistique. Or, comme nous l’avons vu, le premier projet déposé prévoyait le maintien des communes fouronnaises dans la province de Liège.
  • [131]
    À la province de Liège, sous la législature en cours (1961-1965) comme sous la législature précédente (1958-1961), les socialistes détenaient exactement la moitié des sièges du conseil provincial (43 sur 86), ce qui peut laisser penser qu’une légère modification du découpage électoral leur permettait d’espérer obtenir le siège manquant pour atteindre la majorité absolue. Même s’il est possible que des calculs aient été faits à l’époque afin de tester cette hypothèse, il résulte en réalité que l’élimination des quelque 2 100 votes valables fouronnais sur les quelque 575 000 votes de la province (0,37 %), ne pouvait pas modifier l’équilibre des sièges. Cet argument est d’autant moins pertinent que les communes fouronnaises n’appartenaient pas au même arrondissement électoral : Mouland et Fouron-le-Comte étaient dans l’arrondissement de Liège et les 4 autres communes dans l’arrondissement de Verviers. Cela ramenait le nombre de votes valables concernés dans chaque arrondissement à un gros millier, alors que le quotient électoral se situait au dessus de 6 000 voix dans chaque arrondissement. Il faut aussi rappeler que le projet Gilson initial prévoyait de rattacher les 6 communes fouronnaises à l’arrondissement de Verviers, déjà majoritairement social-chrétien. Il n’y avait donc aucun gain électoral à espérer, si minime soit-il, de ce rattachement. Enfin, le rattachement des communes de la vallée de la Geer (environ 6 000 habitants), prévu dans le même projet, présentait par contre un effet électoral potentiel plus important sur l’arrondissement de Liège, qui rendait le départ potentiel des deux communes fouronnaises appartenant à l’arrondissement encore plus négligeable.
  • [132]
    Cf. sa notice « Recensements linguistiques » dans l’Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Jules Destrée, 2001, t. III, p. 1366-1368.
  • [133]
    Ainsi que l’a rappelé le ministre Gilson au cours du débat parlementaire, Annales de la Chambre, 11 juillet 1963, p. 23.
  • [134]
    Art. 7, §2 D de la loi du 2 août 1963 et art. 28 et 30 de la loi coordonnée par arrêté royal le 18 juillet 1966.
  • [135]
    La loi du 31 juillet 1923 sur la néerlandisation de l’Université de Gand, la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire.
  • [136]
    Rappelons qu’un ministre, Joseph-Jean Merlot, a tout de même démissionné.
  • [137]
    À l’exception de l’abstention d’une députée écologiste flamande, unique représentante du groupe commun Écolo-Groen! au sein de la commission.
  • [138]
    Le seule allusion que nous ayons trouvée à un régime linguistique transitoire figure au détour d’une phrase du rapport du Centre Harmel, qui évoque un tel régime pour le rejeter.
  1. Introduction
  2. 1. Les premières législations
    1. 1.1. 1830 : la Belgique francophone
    2. 1.2. 1878 : la loi Delaet, ou la Flandre et Bruxelles vers un bilinguisme asymétrique
      1. 1.2.1. L’origine
      2. 1.2.2. La composition de la Chambre
      3. 1.2.3. La proposition de loi et le débat parlementaire
      4. 1.2.2. Les votes
      5. 1.2.5. La situation juridique et ses conséquences
        1. Géographie linguistique
        2. Division territoriale et prééminence du néerlandais en Flandre
        3. Les limites administratives
        4. Conséquences
    3. 1.3. 1921 : la loi Van Cauwelaert, ou deux régions unilingues et un bilinguisme externe à Bruxelles
      1. 1.3.1. L’origine
      2. 1.3.2. La composition de la Chambre
      3. 1.3.3. La proposition de loi et le débat parlementaire
        1. Le texte initial
        2. Le texte issu de la commission des langues
        3. Le premier débat à la Chambre
        4. Le débat au Sénat
        5. Le second débat à la Chambre
      4. 1.3.4. Les votes
      5. 1.3.5. La situation juridique
        1. L’égalité juridique des langues
        2. La frontière linguistique mobile
        3. Les « communes égarées »
        4. Le bilinguisme externe
        5. Le bilinguisme des fonctionnaires de l’administration centrale
        6. Le bilinguisme de l’agglomération bruxelloise
      6. 1.3.6 Conséquences
    4. 1.4. 1925 : le statut linguistique des cantons d’Eupen, Malmedy et Saint-Vith
      1. 1.4.1. L’origine
      2. 1.4.2. Le débat parlementaire
      3. 1.4.3. Les votes
      4. 1.4.4. L’arrêté royal
      5. 1.4.5. Conséquences
  3. 2. De 1932 à 1954
    1. 2.1. La loi de 1932, ou les cadres linguistiques de l’État central et les mécanismes de contrôle
      1. 2.1.1. L’origine
      2. 2.1.2. La composition de la Chambre
      3. 2.1.3. Le projet de loi
        1. Le renforcement de l’unilinguisme dans chaque région et du bilinguisme à Bruxelles
        2. Le renforcement du rôle du recensement dans les communes de la frontière linguistique
        3. La mise en place d’organes de contrôle
        4. Les droits des germanophones
      4. 2.1.4. Les votes
      5. 2.1.5 La situation juridique
        1. Le statut des communes
        2. Géographie linguistique
      6. 2.1.6. Conséquences
    2. 2.2. La loi de 1954, ou une solution de circonstance au problème du recensement
      1. 2.2.1. Les origines
        1. Le projet du Centre Harmel
        2. Le projet Moyersoen
        3. Le projet Vermeylen
        4. Le recensement de 1947
        5. Le basculement de la majorité linguistique
        6. Les 44 communes litigieuses
      2. 2.2.2. La composition de la Chambre
      3. 2.2.3. Le projet de loi et le débat parlementaire
      4. 2.2.4. La situation juridique
        1. Le statut des communes
        2. Géographie linguistique
      5. 2.2.5. Conséquences sur la crédibilité du recensement linguistique
        1. Premier argument : le principe de territorialité
        2. Deuxième argument : la non-fiabilité du recensement de 1947
        3. Troisième argument : la manipulation des recensements
  4. 3. Les lois de 1962-1963
    1. 3.1. La loi Gilson de 1962, ou l’adaptation des limites administratives et la fixation de la frontière linguistique
      1. 3.1.1. L’origine
      2. 3.1.2. La composition de la Chambre
      3. 3.1.3. Le projet de loi
      4. 3.1.4. Le débat en commission de la Chambre
      5. 3.1.5. Conséquences
      6. 3.1.6. Le débat en séance plénière de la Chambre
      7. 3.1.7. Le premier vote à la Chambre
      8. 3.1.8. Le débat au Sénat
      9. 3.1.9. Le vote au Sénat
      10. 3.1.10. Avant le second vote à la Chambre
      11. 3.1.11. Le second vote à la Chambre
      12. 3.1.12. La situation juridique
        1. Géographie linguistique
        2. Les rattachements et les facilités en Flandre
        3. Les rattachements et les facilités en Wallonie
        4. La diversité des critères
      13. 3.1.13. Conséquences
    2. 3.2. La loi Gilson de 1963, ou les limites de l’agglomération bruxelloise et le statut de la périphérie
      1. 3.2.1. L’origine
      2. 3.2.2. La composition de la Chambre
      3. 3.2.3. Le projet de loi
      4. 3.2.4. La discussion parlementaire, la crise gouvernementale et l’accord de Val-Duchesse
      5. 3.2.5 Les votes à la Chambre et au Sénat
      6. 3.2.6. La situation juridique et la géographie linguistique
        1. Les communes unilingues
        2. Les six types de communes à régime spécial
        3. Les communes bilingues de Bruxelles-Capitale
        4. Les arrondissements
    3. 3.3. Les conséquences des deux lois Gilson
      1. 3.3.1. Un conflit non résolu
      2. 3.3.2. Les arrondissements administratifs autour de Bruxelles
      3. 3.3.3. Le mythe de l’abandon des communes fouronnaises
      4. 3.3.4. Le mythe de la fronde des 300 bourgmestres
      5. 3.3.5. Statut linguistique communal et réformes institutionnelles
  5. Conclusion
    1. La scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde
    2. La langue des convocations électorales dans les communes à statut spécial
    3. L’application des lois linguistiques
    4. La nécessaire recherche du compromis
    5. L’usage et l’interprétation des termes
    6. Le caractère transitoire ou permanent des « facilités »
    7. Le point de vue flamand : la stabilité des « frontières »
    8. Le point de vue francophone : les principes ou la frontière mobile ?
    9. Peut-on imaginer résoudre le problème de fond ?
Stéphane Rillaerts
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
La fixation de la frontière linguistique en 1962-1963 est le résultat d’un long processus entamé dans les années 1870. Ses conséquences, quant à elles, se font encore sentir aujourd’hui, certains éléments de cette évolution — dont le statut des communes de la périphérie bruxelloise et de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde — continuant à diviser les deux communautés. Stéphane Rillaerts rend compte de ces mutations complexes en rassemblant tous les éléments de fait, et en exposant les positions en présence sans parti-pris. Pour chacune des lois portant sur l’emploi des langues en matière administrative, ainsi que pour les principaux projets qui ont précédé ces lois, l’auteur expose l’origine de la réforme et son contexte politique. Il présente les textes, les débats et les votes du parlement, y compris ceux portant sur des amendements controversés, relatifs aux Fourons par exemple. La montée en puissance des votes opposant les deux communautés apparaît ainsi clairement. Il s’avère également qu’au fil du temps, on a abandonné tout critère général décidant du sort des communes, ainsi que le lien avec les données issues des recensements de la population. L’auteur, qui a dépouillé toutes les sources parlementaires et les recensements de la population, compare systématiquement les données issues de ces derniers aux lois linguistiques et à leurs travaux préparatoires. Il présente en outre, en annexe, un tableau synthétisant l’évolution du statut de toutes les communes qui ont été concernées par les lois linguistiques, ce qui permet de reconstituer l’évolution de chaque commune en fonction des données des principaux recensements et des décisions politiques dont elle a fait l’objet. Cette reconstitution minutieuse, et sans précédent, fait ressortir des éléments inattendus. Ainsi, le volet linguistique du recensement a été réintroduit en 1866 à la demande de militants flamands. C’est la loi de 1921, et non celle de 1932, qui a créé les régions linguistiques. Il n’y a pas eu, en 1932, de proposition flamande de passer à un bilinguisme généralisé repoussé par les francophones. L’idée que 300 bourgmestres flamands ont refusé d’appliquer le volet linguistique du recensement de 1960 est également un mythe, de même que l’abandon des communes fouronnaises par les socialistes liégeois. La fixation de la frontière en 1962-1963 n’est pas le résultat d’un véritable compromis, en particulier en ce qui concerne la loi Gilson de 1962. Quant à la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, elle a été repoussée, en 1963, par la majorité des élus flamands, qui en redoutaient les conséquences pour leurs sièges bruxellois. Au moment où les questions linguistiques ont ranimé les tensions entre les communautés, ce Courrier hebdomadaire permet de comprendre pourquoi les Flamands et les Francophones ont des points de vue aussi divergents et aussi profondément enracinés en la matière. La longue conclusion qui achève l’étude aborde d’ailleurs plusieurs éléments du débat actuel, sans prendre parti, mais en apportant l’éclairage qu’enseigne l’Histoire.
Mis en ligne sur Cairn.info le 13/09/2010
https://doi.org/10.3917/cris.2069.0007
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