CAIRN.INFO : Matières à réflexion

INTRODUCTION

1Les mythes colorent le passé. L’histoire de la Belgique dans l’OTAN ne fait pas exception.

2Contrairement à ce qu’on pense souvent, la Guerre froide n’a pas éclaté au moment où s’achevait la Seconde Guerre mondiale. La coalition de guerre contre l’Allemagne nazie allait perdurer pendant plusieurs années encore après la fin des hostilités et donner naissance à un certain nombre d’initiatives internationales auxquelles se rallièrent tous les alliés, dont en premier lieu la création des Nations Unies. C’est en 1947 seulement que la coalition issue de la lutte contre l’Allemagne nazie bascula pour déboucher sur une Guerre froide. Les erreurs de perception et les divergences d’intérêts entre les États-Unis et l’Union soviétique s’étaient mutuellement renforcées et avaient fini par transformer les anciens alliés – qui avaient tous deux pris une part décisive à la victoire sur l’Allemagne nazie – en nouveaux adversaires géopolitiques  [1].

3Dans les premières années de l’après-guerre, la Belgique se révéla être un partisan convaincu d’une défense ouest-européenne sous direction britannique. C’est en 1947 seulement que les États-Unis devinrent à ses yeux un partenaire privilégié mais uniquement, dans un premier temps, sur le plan économique et financier. Il fallut encore attendre l’été 1948 pour que la diplomatie belge mette de côté son projet de défense européenne d’après-guerre et s’intègre dans une alliance atlantique.

4Dans les décennies qui suivirent, la Belgique se montra un fidèle partenaire de l’OTAN. Mais la bonne intelligence entre Bruxelles et Washington n’empêcha pas des crises profondes de perturber de temps à autre cette sérénité. En plus, et contrairement aux Pays-Bas par exemple, la Belgique allait fournir une contribution spécifique et originale à la détente entre l’Est et l’Ouest.

5La chute du mur de Berlin en 1989 et l’implosion de l’Union soviétique en 1991 mirent un terme à la Guerre froide et à l’ordre mondial bipolaire. Ce qui entraîna, dans tous les pays membres de l’OTAN, en ce compris la Belgique, un débat sur une nouvelle architecture de sécurité en Europe dès lors que le continent n’était plus divisé entre l’Est et l’Ouest. En Belgique, ce débat fut assez rapidement tranché par le choix que fit la classe politique, par-delà les frontières de parti, d’en revenir à l’option européenne défendue par Paul-Henri Spaak dans la période 1945-1948. Faire le lien entre la primauté européenne en matière de défense et la coopération atlantique devint un exercice d’équilibre pas toujours simple à réaliser.

1. LE PROJET BELGE D’UNE ARCHITECTURE MONDIALE DE SÉCURITÉ

66 décembre 1944. Pour la Belgique, la Seconde Guerre mondiale est presque terminée. Paul-Henri Spaak, ministre des Affaires étrangères, est de retour à Bruxelles depuis septembre après quatre années d’exil à Londres. Pour la première fois, il présente au Parlement ses plans pour un nouvel ordre mondial de l’après-guerre.

7C’est un tout autre Spaak que celui qui avait été, avant guerre, le symbole de la politique de neutralité. À Londres, il avait très vite embrassé la vision de ceux qui, auparavant, le critiquaient. Depuis 1936, ils l’avaient sans cesse averti que sa politique d’indépendance déboucherait sur un fiasco. Le déclenchement de la guerre leur avait donné raison. Ils étaient nombreux à s’être réfugiés à Londres. Très vite, leurs discussions donnèrent naissance au concept d’une architecture de sécurité à plusieurs étages. Ils voyaient à l’étage supérieur une nouvelle organisation mondiale, une version améliorée de la Société des nations, qui s’occuperait de la sécurité collective. Ces nouvelles Nations Unies devaient ensuite s’appuyer sur de puissantes organisations continentales. Le troisième étage serait composé, en ce qui concernait le continent européen, de deux groupements régionaux, l’un en Europe occidentale autour de la Grande-Bretagne et un autre en Europe de l’Est autour de l’Union soviétique. Ces deux groupements devaient travailler en étroite collaboration. Chacun d’entre eux mettrait sur pied, sur le plan interne, une coopération militaire, monétaire et économique poussée.

8À son retour de Londres fin 1944, Spaak se fit le porte-parole de cette piste de réflexion londonienne. Il ne s’intéressait guère à l’échelon le plus élevé de l’édifice – les Nations Unies – ni d’ailleurs à l’échelon intermédiaire, l’organisation continentale paneuropéenne. Il consacra l’essentiel de son énergie politique à l’échelon inférieur : le groupement régional des pays d’Europe occidentale. Il y voyait un nouveau Pacte de Locarno, mais élargi, par lequel les États signataires s’engageaient à se porter mutuellement une aide politique et militaire en cas de nouvelle agression de la part de l’Allemagne. Il pensait, dans ce cadre, à une coopération militaire concrète au niveau de la standardisation des systèmes d’armement, de la coordination des forces armées, de l’échange d’informations militaires, du développement de bases communes et autres  [2]. La Grande-Bretagne devait, de son point de vue, assumer un rôle de leader naturel : « La solidarité qui se développera ainsi entre les deux pays peut devenir plus étroite que celle qui unit entre eux les membres du British Commonwealth  [3]. »

9L’originalité de la vision belge consistait à lier à cette coopération politico-militaire une dimension politique et économique : pour Spaak, les accords politiques et militaires conclus sur le plan international n’avaient de sens que portés par des fondements économiques durables. Aussi jugeait-il trop étroite la vision de son homologue néerlandais Van Kleffens, qui abordait les problèmes de l’après-guerre sous l’angle exclusif de la sécurité (atlantique).

10La conception qu’avait Spaak de l’Europe s’inscrivait dans un courant d’avant-guerre, celui qui voyait dans l’Europe un projet politique n’ayant d’autre finalité que lui-même et qui, de surcroît, cherchait sa voie de façon autonome, comme une sorte de « troisième bloc », entre les grandes puissances d’après-guerre de l’époque, les États-Unis et l’Union soviétique. Cette conception trouvait son inspiration dans la Paneurope du comte Coudenhove-Kalergi (même si Coudenhove-Kalergi lui-même n’était guère aimé de la communauté belge en exil à Londres)  [4].

11Mais ce projet belge originel eut vite du plomb dans l’aile. La Grande-Bretagne n’éprouvait guère d’intérêt pour le rôle dirigeant que Spaak entendait assigner à Londres. Winston Churchill s’était toujours montré très critique vis-à-vis de ce type de coopération continentale. Il considérait en effet les petits États continentaux comme des chaînons trop faibles, incapables d’appuyer une quelconque position de force des Britanniques : « The Belgians are extremely weak, and their behaviour before the war was shocking. The Dutch were entirely selfish and fought only when they were attacked, and then for a few hours. Denmark is helpless and defenceless, and Norway practically so  [5]. » (Les Belges sont extrêmement faibles, et leur comportement d’avant-guerre a été choquant. Les Néerlandais se sont montrés totalement égoïstes et n’ont combattu que lorsqu’on les a attaqués, et pour quelques heures seulement. Le Danemark est démuni et sans défense, et la Norvège, en pratique, l’est tout autant). Pour garantir l’influence britannique dans le monde, Churchill optait pour un lien atlantique étroit entre son pays et les États-Unis, la Grande-Bretagne jouant le rôle d’un junior partner, et parallèlement pour le maintien de bonnes relations personnelles avec le dirigeant soviétique Joseph Staline  [6].

12De son côté, la France réagit de manière divisée au projet belge. L’Union soviétique s’y montra même explicitement hostile.

13À partir de la fin 1944, l’Union soviétique se mit à mener une campagne particulièrement agressive contre la Belgique. Elle accusait Spaak de vouloir mettre sur pied un bloc antisoviétique  [7]. Tel n’était pas le cas, pourtant. Spaak s’était efforcé, à partir de l’été 1941, de nouer des relations amicales avec l’Union soviétique : la nomination de son chef de cabinet Édouard Le Ghait au poste d’ambassadeur à Moscou en témoignait  [8]. Il souhaitait éviter l’apparition de blocs antagonistes en Europe  [9]. Son collègue Gutt voyait lui aussi en l’Union soviétique un allié précieux et se montrait particulièrement compréhensif quant au « prix » à payer à cette fin : « Si tous les pays et tous les chefs d’État attaqués par l’Allemagne s’étaient conduits comme les Russes et Staline, nous n’en serions pas où nous en sommes. Évidemment il y a un prix, un morceau de Pologne (…) mais peut-on lui reprocher d’avoir avancé la ligne où elle subirait le premier choc ? En fait cela a été bien fait  [10]. »

14Selon l’ambassadeur Le Ghait, l’Union soviétique craignait que le projet que défendait la Belgique ne débouche sur une organisation défensive purement occidentale. Certes, les pays concernés se trouveraient ainsi préservés d’une nouvelle attaque allemande, mais ils seraient du même coup tentés, tout comme dans la deuxième moitié des années 1930, de rester passifs en cas de difficultés à l’Est de l’Allemagne : « On peut prévoir », écrivait-il à Spaak en février 1945, « que toute politique qui pourrait avoir comme résultat de transformer la Belgique et les Pays-Bas en un glacis uniquement défensif de la Grande-Bretagne et de la France serait mal vue des Soviets  [11]. »

15Mais il est probable qu’une deuxième raison aiguisait encore la méfiance des Soviétiques à l’endroit de la Belgique : la participation belge au projet américain Manhattan. L’Union minière du Haut Katanga avait fourni aux États-Unis, depuis septembre 1942, du minerai d’uranium en provenance du Congo belge pour fabriquer des armes atomiques. Washington redoutait en effet que l’Allemagne ne commence elle aussi à développer un armement atomique. Le responsable militaire du projet Manhattan, le général Leslie Groves, avait néanmoins en tête un objectif complémentaire. Il souhaitait placer sous contrôle américain tout le minerai d’uranium du monde pour créer ainsi un monopole américain de l’uranium. Groves faisait partie, aux États-Unis, d’une minorité qui concevait d’emblée le programme nucléaire comme un élément de la confrontation, à ses yeux inévitable, entre les États-Unis et l’Union soviétique une fois que la guerre contre l’Allemagne aurait pris fin. Les mines d’uranium du Katanga occupaient, dans ce projet, une place centrale car elles contenaient les réserves les plus riches et les plus importantes du monde.

16Pendant longtemps, le gouvernement belge n’a pas été au courant de ces plans et des contacts et contrats entre l’Union minière et le projet Manhattan. Il n’en fut informé qu’en mars 1944, et de façon seulement partielle et sporadique. En septembre 1944, il ratifia les accords conclus précédemment pour la fourniture du minerai, sans se rendre compte du rôle qu’ils pourraient jouer dans les plans de Groves.

17En principe, le projet Manhattan était secret mais l’Union soviétique était au courant du projet depuis l’été 1942. Elle décida elle aussi en 1943 de monter un projet analogue. Mais contrairement aux États-Unis, l’Union soviétique ne disposait pas, ou à peine, de l’uranium nécessaire. Elle était bien consciente, par contre, de la part qu’occupait le Congo dans le projet Manhattan. Dans ces circonstances, Staline pouvait sans doute difficilement en conclure autre chose que ceci : le gouvernement belge menait une politique à deux visages, affirmant tendre à une bonne intelligence avec l’Union soviétique sur le continent européen mais fournissant dans le même temps la matière première qui permettait d’assurer un monopole nucléaire américain. À ses collaborateurs directs, Staline déclara alors à plusieurs reprises que les États-Unis se servaient de leur monopole nucléaire pour faire pression sur l’Union soviétique afin qu’elle accepte les plans américains concernant l’Europe et le reste du monde. On pouvait difficilement attendre de la direction soviétique de l’époque qu’elle croie un seul instant qu’une société privée belge se soit engagée dans un tel dossier, pour l’essentiel, sous sa propre responsabilité et que le gouvernement belge ait été doublé à la fois par la direction de cette société et par l’allié américain, malgré la convention de septembre 1944  [12].

18Moscou ne répondit pas aux tentatives répétées entreprises entre 1945 et 1947 par Spaak et par la diplomatie belge pour parvenir à un traité d’amitié belgo-soviétique, malgré l’attitude conciliante (et de réconciliation) que manifestait publiquement Spaak envers l’Union soviétique  [13]. Après la guerre, la diplomatie belge ne cessa de souligner que ses efforts régionaux ne devaient en aucun cas être interprétés comme un encouragement à la constitution d’un bloc antisoviétique. Pour Spaak et la plupart des hommes politiques belges, ce groupement ouest-européen n’était en effet rien d’autre qu’une « tierce puissance » entre les États-Unis et l’Union soviétique, qui entretiendrait des liens d’amitié avec les deux grandes puissances. En mars 1947 encore, Spaak déclara à l’ambassadeur soviétique à Bruxelles que la Belgique n’adhérerait jamais à une alliance dirigée contre l’Union soviétique  [15].

2.1947, ANNÉE-CHARNIÈRE

19Le 5 juin 1947, le secrétaire d’État américain George Marshall fit un discours où il traçait un portrait particulièrement sombre du déclin de l’Europe. Selon lui, il fallait lancer un nouveau programme de redressement, unique et de durée limitée. Il demandait aux Européens d’en prendre l’initiative et invitait tous les pays européens à y participer.

20Comme exemple d’accord de coopération économique susceptible de servir de base au programme de redressement, Marshall avait cité l’union douanière Benelux  [16]. Pourtant, les premières réactions en Belgique ne furent guère enthousiastes. Le secrétaire général du Ministère des Affaires étrangères Hervé de Gruben se demanda comment Washington envisageait sa politique de crédit : si le plan Marshall s’appliquait également à l’Europe de l’Est, le scénario ne fonctionnerait sans doute pas ; si, au contraire, l’Europe de l’Est était exclue, la partition de l’Europe s’en trouverait favorisée, ce qui n’était pas souhaitable. Il repoussa dès lors, avec l’accord de Spaak, une proposition des Pays-Bas tendant à entreprendre une démarche commune à Washington pour accueillir favorablement l’offre de George Marshall et souligner la contribution positive que le Benelux pouvait apporter au redressement de l’Europe  [17].

21Aux yeux de la Belgique, les États-Unis étaient certes une nation amie ; mais ils étaient trop éloignés pour assumer le rôle de leader de l’Occident – c’est ce que Spaak avait déclaré pendant la guerre  [18]. Presque tous les Belges de Londres avaient les yeux exclusivement braqués sur la Grande-Bretagne dès lors qu’il s’agissait d’exercer un rôle dirigeant sur un groupement économique et politique occidental. Seuls quelques démocrates-chrétiens, comme Paul Van Zeeland et Frans Van Cauwelaert, avaient plaidé en faveur d’une union atlantique : le premier pour des motifs essentiellement économiques, le second pour des raisons de sécurité et d’indépendance politique.

22Une semaine plus tard, Spaak avait cependant totalement changé son fusil d’épaule. Il s’était rendu compte des avantages que pouvait présenter le plan Marshall, dont il disait désormais qu’il était world shaking[19]. Lorsque son ambassadeur à Washington, Robert Silvercruys, l’informa que Washington ne souhaitait pas la participation de l’Union soviétique, Spaak fit savoir qu’il le regrettait. Mais il conclut dans le même temps que le plan devait, dans ce cas, s’appliquer à la seule Europe de l’Ouest, sans vouloir toutefois exclure la possibilité d’une participation ultérieure des Soviétiques  [20].

23Le revirement de Spaak tenait exclusivement à sa conception des intérêts nationaux de la Belgique. Dès la fin 1946, la vision de la Belgique sur l’Allemagne avait évolué, passant d’une « paix dure » à une politique de rapprochement et de réintégration progressive de l’Allemagne en Europe. Le redressement de l’économie allemande s’avérait en effet être un élément crucial pour le rétablissement économique de l’Europe. De plus, la Belgique avait toujours plaidé pour une collaboration européenne étroite en matière politique et économique. Pour la première fois, le plan Marshall pouvait servir de levier externe fort à ces deux objectifs. Le plan était ainsi susceptible de rencontrer le problème le plus urgent et le plus vital pour la stabilité sociale en Belgique, à savoir la menace d’un étranglement du commerce belge avec ses partenaires commerciaux directs, risquant de porter atteinte au redressement économique de la Belgique.

24Au cours des discussions sur le plan Marshall, la Belgique et les États-Unis se rapprochèrent indéniablement. Les États-Unis mirent à profit leurs excellents contacts bilatéraux avec les pays du Benelux pour adapter la mise en application du programme Marshall  [21]. Les pays du Benelux – et, en particulier, la Belgique – orientèrent le plan dans la direction qu’ils jugeaient nécessaire, celle d’un renforcement de la coopération économique intraeuropéenne. Parallèlement, un distanciement progressif intervint dans les relations entre la Belgique et la Grande-Bretagne, d’abord suite à l’option britannique en faveur d’un système de préférence impériale axé sur le Commonwealth, puis suite au refus britannique de donner de plus larges compétences politiques à l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) chargée de contrôler l’affectation des crédits prévus par le plan Marshall  [22].

25Le plan Marshall ouvrit la voie à une alliance militaire entre les États participants. Mais Spaak, au départ, n’y était pas favorable. Il restait en effet fidèle à son option de départ, celle d’une défense européenne. Lorsque le ministre britannique des Affaires étrangères Ernest Bevin proposa en février 1948 la création d’une Union occidentale, Spaak réagit avec enthousiasme car pour la première fois semblait s’ouvrir une possibilité de parvenir à une coopération politico-militaire étroite entre États ouest-européens, et ce sous direction britannique.

26Avant que ne commencent les premières négociations pour une Union occidentale, un coup d’État communiste eut lieu à Prague le 25 février 1948. Contrairement à l’opinion publique et à la presse, les chancelleries occidentales réagirent de façon assez modérée aux événements. La plupart des responsables de la diplomatie occidentale, dont Spaak, jugeaient que le coup de Prague ne faisait que confirmer la situation existante, à savoir que la Tchécoslovaquie faisait bel et bien partie de la sphère d’influence soviétique  [23]. À aucun moment Spaak ne considéra que cette opération était le signe avant-coureur d’une intervention soviétique dirigée contre l’Europe de l’Ouest. À l’instar de l’influent diplomate américain George F. Kennan, qui déclara à propos du coup de Prague qu’il s’agissait d’une « réaction défensive au succès du plan Marshall », Spaak considérait lui aussi que les événements de Tchécoslovaquie étaient plutôt une expression de crainte que d’agressivité de la part de l’Union soviétique  [24].

27Le 17 mars 1948, après deux semaines de négociations, le plan britannique fut adopté par cinq ministres des Affaires étrangères européens (Grande-Bretagne, France et les trois pays du Benelux) sous la forme d’un traité de Bruxelles, instituant une collaboration européenne « en matière économique, sociale et culturelle et de légitime défense collective ». L’article premier en définissait l’objectif économique, à savoir l’organisation et la coordination des activités économiques des États participants avec un maximum d’efficacité. L’article 4 décrivait l’obligation d’assistance automatique que contractaient, les uns envers les autres, les États membres. Des diplomates canadiens qualifièrent l’Union occidentale de « Spaakistan », en raison de l’enthousiasme et de l’énergie dont Spaak avait fait preuve pour en assurer le succès.

28Mais ce que Spaak ne soupçonnait pas à ce moment, c’était que les Britanniques ne considéraient le traité de Bruxelles que comme une étape en direction d’une coopération atlantique élargie, conformément au junior partnership envisagé par Churchill avec les États-Unis. En effet, dès la fin 1947 Washington avait fait savoir aux Britanniques que les États-Unis ne souhaitaient pas s’engager dans une coopération atlantique avant que les Européens aient fourni la preuve qu’ils étaient à même de s’organiser entre eux.

29Quand Washington décida en juin 1948 de lancer des négociations pour la signature d’un Pacte atlantique, Spaak réagit avec réticence. En mars et en avril 1948, il avait encore déclaré n’avoir nul besoin d’engagements américains formels vis-à-vis de l’Europe occidentale : « In contrast to the pre-1939 situation, the Soviets had no desire to fight in Europe » (Contrairement à la situation d’avant 1939, les Soviétiques n’avaient aucun désir de se battre en Europe). De l’avis de Spaak, un traité entre les États-Unis et l’Union Occidentale pourrait donner l’impression qu’on avait fait une croix sur le reste de l’Europe de l’Ouest, et amener à accroître, sur ces pays précisément, la pression soviétique. Le scepticisme de Spaak poussa Washington à se demander s’il était opportun de continuer à négocier en perspective du pacte, et s’il n’était pas préférable de se limiter à une déclaration unilatérale des États-Unis indiquant qu’en cas d’attaque soviétique, l’Europe de l’Ouest se sache assurée du soutien américain et d’un appui militaire de leur part  [25].

30Pendant tout l’été, Spaak ne cessa de répéter qu’un pacte militaire était superflu et prématuré et serait considéré par l’Union soviétique comme une provocation. Ce qui n’était pas, à ses yeux, une bonne idée au vu de la puissance militaire limitée, à l’époque, des États occidentaux. La Belgique, tout comme d’ailleurs la France, n’était intéressée qu’à conclure des accords pour d’éventuelles situations d’urgence, sous la forme par exemple de livraisons d’armes.

31Aussi dans les négociations sur un pacte atlantique à Washington, la délégation belge ne joua-t-elle aucun rôle de fond dans les négociations au niveau des ambassadeurs. « The contributions of the French and Belgian members of the Working Group to its discussions have so far been exactly zero. They have come forward with no positive or constructive ideas whatsoever, nor have they had anything to say about ideas that have been put forward by other people that contributed in any way to their development » (Les contributions des membres français et belges du groupe de travail à ses discussions se sont soldées jusqu’ici par un grand zéro. Ils n’ont avancé aucune idée positive ou constructive d’aucune sorte, et n’ont rien dit du tout à propos d’idées avancées par d’autres personnes qui puisse contribuer d’une manière ou d’une autre à leur développement)  [26]. Fin août, les réticences belges mais surtout françaises faillirent entraîner la rupture des négociations à Washington  [27].

32Mais en septembre, il apparut que Spaak avait surmonté son scepticisme. Tant le ministre américain des Affaires étrangères que celui de Grande-Bretagne avaient signifié leur mécontentement à l’endroit de l’attitude belge. Spaak lui-même ne nia d’ailleurs pas sa volte-face. Non qu’il eût peur de l’Union soviétique. Pas plus que les autres membres du groupe de travail à Washington qui préparaient le Pacte de l’Atlantique Nord, Spaak ne s’attendait à une nouvelle guerre. L’Europe ne se trouvait pas à la veille d’un troisième conflit mondial : tel était le constat que faisait Spaak début février 1948 sur la situation internationale  [28].

33Si Spaak changea son fusil d’épaule, c’est surtout en raison des rapports de forces entre puissances occidentales. La Grande-Bretagne, dont il avait toujours espéré qu’elle assume un rôle dirigeant en Europe de l’Ouest, avait à chaque fois fait faux bond. Les États-Unis par contre, dont Spaak n’attendait pas au départ un grand soutien, suivaient depuis 1947 une politique telle que leurs intérêts en matière d’unification européenne étaient presque identiques aux intérêts belges. À partir de 1947, les États-Unis supplantèrent de plus en plus la Grande-Bretagne comme point de référence de la politique étrangère de la Belgique. Mais Washington était favorable à un pacte atlantique – alors que la Belgique continuait à plaider pour une forme de tierce puissance ou de troisième bloc qui occuperait une position neutre entre les États-Unis et l’Union soviétique.

34L’impression que la Belgique était toujours en faveur d’une Europe comme troisième force entre Washington et Moscou, fut renforcée quand l’ambassadeur belge au Canada vint présenter au ministre adjoint des Affaires étrangères Lester Pearson une suggestion en ce sens, sur instruction – dit-on – de Spaak lui-même. Si l’Europe occidentale était équipée militairement et unifiée politiquement, elle pouvait rester neutre en cas de conflit entre les deux grandes puissances. Impossible, ajoutait l’ambassadeur belge, de concevoir cette Europe occidentale sans l’Allemagne de l’Ouest, puisque ce pays pouvait fournir la majorité des troupes. L’ambassadeur précisait encore que le choix d’une construction militaire ouest-européenne était fondé sur la crainte que beaucoup nourrissaient de voir « the United States […] not be equal to the task of working out any great coalition which would defeat the Soviet. It had neither the wisdom nor the experience to bring about such a grand design ; [it] too often acted on impulse with only short-range objectives in mind » (les États-Unis ne pas être à même de mettre sur pied une grande coalition capable de vaincre les Soviétiques. Ils n’ont ni la sagesse ni l’expérience qui leur permettraient de réaliser un projet aussi ambitieux ; trop souvent, ils agissent de manière impulsive, n’envisageant que des objectifs à court terme), comme l’écrivit par la suite Escott Reid, le secrétaire général adjoint aux Affaires étrangères du Canada.

35Mais, à partir de l’été de 1948, les États-Unis avaient fait comprendre à plusieurs reprises que les pays qui souhaitaient adopter ce type de position ne pourraient pas compter sur une aide américaine en cas de crise  [29]. On ne pouvait envisager de livraisons d’armes américaines qu’aux seuls pays « qui offriraient des garanties pratiques que ces armes ne seraient pas gaspillées par une politique désuète » et qui étaient prêts à discuter de leur politique militaire et à la coordonner dans un « conseil de défense ayant assez d’autorité pour ignorer des considérations de politique intérieure à prendre des décisions militaires qui s’imposent sans restrictions locales  [30] ».

36En d’autres termes, la persistance d’un refus belge à suivre la proposition d’un pacte atlantique n’aurait apporté aucun avantage, uniquement des inconvénients. Même si le pacte atlantique s’écartait du concept originel d’une Europe sous direction britannique, il restait en définitive le seul choix susceptible de préserver les intérêts nationaux de la Belgique.

37Le 10 septembre 1948, l’ambassadeur belge à Washington Robert Silvercruys informa le gouvernement américain que la Belgique avait fini par donner le feu vert au Traité de l’Atlantique Nord. Deux semaines plus tard, le 28 septembre 1948, Spaak prononça devant l’Assemblée générale des Nations Unies, au palais de Chaillot à Paris, son célèbre discours « Nous avons peur ». Ainsi Paul-Henri Spaak entérinait un changement de cap stratégique. Dès lors que la Belgique se décida à s’inscrire dans une défense atlantique sous direction américaine, le concept d’une défense européenne comme troisième force, chère à Spaak lors de son retour de Londres, fut abandonné.

38Le 4 avril 1949, le Traité de l’Atlantique Nord fut signé à Washington par les deux États nord-américains, les cinq États membres de l’Union occidentale et par l’Italie, le Danemark, la Norvège, le Portugal et l’Islande. Le lendemain, les membres de l’Union Occidentale demandèrent formellement à recevoir, de la part des États-Unis, un soutien en matériel militaire. En Belgique, le 4 mai, la Chambre donna son assentiment au Traité de l’Atlantique Nord, sans les voix des députés communistes et de la socialiste Isabelle Blume. Le Sénat fit de même une semaine plus tard, avec un vote semblable.

39L’interprétation classique, selon laquelle le Pacte de l’Atlantique Nord était la conséquence des craintes que suscitaient les intentions militaires de l’Union soviétique, n’est pas conforme à la réalité. Bien au contraire : chacun des États membres du Traité de l’Atlantique Nord avait ses raisons bien à lui d’y souscrire, et elles étaient souvent en premier lieu de nature économique ou liées à sa politique intérieure. Ce qui, par ailleurs, unissait tous les pays concernés sous la bannière américaine était l’instabilité sociale qui aurait découlé de la récession économique persistante, dont la seule issue semblait être de collaborer étroitement avec les États-Unis.

40Dans le processus de décision belge non plus et à aucun moment, les motifs liés à la sécurité militaire ne furent prioritaires entre 1947 et 1949. Ni les événements de Prague ni l’explosion de la première bombe atomique soviétique en 1949 n’amenèrent Spaak à croire en une menace militaire des Soviets. Lorsque des rumeurs firent état au printemps 1948 d’une rencontre possible entre Spaak et Staline, l’ambassadeur canadien à Bruxelles Victor Doré résuma en ces mots l’ambivalence de Spaak : une telle rencontre serait « logical, taking into account Spaak’s well known friendly attitude towards Russia proper in spite of his energetic condemnation of Communism » (logique, compte tenu de l’attitude amicale bien connue de Spaak envers la Russie proprement dite en dépit de sa condamnation énergique du communisme)  [31].

41Pour Spaak, le Traité de l’Atlantique Nord était la consécration et l’aboutissement du choix qu’avait fait la politique étrangère belge en 1947 à la suite du plan Marshall. Spaak voyait bien que les États-Unis étaient le levier et l’allié le plus fiable et – de son point de vue – le moins « intéressé » pour construire une coopération économique et politique étroite entre États ouest-européens.

42Spaak ne souhaitait pas que l’édification d’une Europe atlantique entraîne la partition du continent européen. Bien au contraire. Mais si c’était le prix à payer pour l’Europe qu’il appelait de ses voeux, cet inconvénient ne pesait pas lourd face aux avantages économiques et idéologiques de la formule, y compris du point de vue de la politique intérieure du pays. Dans la deuxième moitié de 1947, dans un contexte de parallélisme croissant entre intérêts belges et américains, la Belgique cessa dès lors ses efforts en vue de conclure un traité d’amitié belgo-soviétique.

43Le discours de Spaak de septembre 1948 (« Nous avons peur ») ne donnait-il pas seulement une image fausse de la façon dont il jaugeait la politique des Soviets ? Il n’était pas davantage la conséquence d’événements objectifs survenus dans les relations internationales à ce moment. Il faut en premier lieu y voir la confirmation que la volte-face diplomatique entamée en 1947 amenait la politique étrangère de la Belgique à souscrire à la façon dont les Américains appréhendaient la réalité internationale, et à s’aligner de plus en plus sur la vision américaine du monde.

44Un des exemples de l’alignement grandissant de la politique belge sur les positions américaines fut la collaboration, patronnée depuis l’été 1947 par Spaak lui-même, entre la CIA américaine, qui venait de voir le jour, et la Sûreté de l’État en Belgique (par l’intermédiaire de son administrateur général Robert De Foy). Les deux services, expliquait Spaak, avaient une « mission commune » à remplir à l’égard des « activités communistes en Belgique et dans les pays voisins ». Deux ans plus tard, en 1949, il allait en résulter des négociations sur la mise en place d’un réseau de résistance (stay-behind) en cas de guerre en Europe  [32]. L’alignement de la Belgique sur la vision américaine du monde était devenu un fil conducteur dans la politique étrangère belge.

3. L’ÉPOQUE DE LA COMMUNAUTÉ ATLANTIQUE

45La bonne intelligence entre Bruxelles et Washington ne cessa, dans les décennies suivantes, de se renforcer. Les bonnes relations nouées entre Bruxelles et Washington pendant la Guerre froide n’empêchèrent cependant pas la Belgique de ne pas souscrire avec un enthousiasme toujours égal à la politique américaine, ni des crises profondes de les perturber de temps à autre.

46Le 25 juin 1950, des troupes nord-coréennes franchirent le 38e parallèle qui séparait la presqu’île de Corée, depuis la défaite japonaise, en une partie Nord soutenue par l’Union soviétique et une partie Sud qu’appuyaient les États-Unis. La guerre de Corée devint le premier théâtre de combats de la Guerre froide parce que ce conflit local se trouva élargi, pour des motifs notamment de politique intérieure américaine, à une lutte d’influence mondiale entre l’Est et l’Ouest. Le gouvernement belge partageait dans une large mesure la perception américaine du conflit. Le représentant permanent de la Belgique aux Nations Unies, Fernand Vanlangenhove, reprit à son compte les accusations américaines selon lesquelles l’Union soviétique manipulait en sous-main la Corée, et l’enjeu du conflit était l’affaiblissement et la division de l’Occident.

47Mais comme la plupart des autres alliés européens, la Belgique était bien moins enthousiaste à l’idée d’engager des troupes. Fin juillet, le gouvernement belge avait promis un appui aérien sous la forme de quelques avions transporteurs, mais les États-Unis avaient continué d’insister pour qu’il mette au moins un bataillon à disposition. Les réticences belges firent l’objet de critiques dans la presse américaine : on accusait la Belgique de contribuer insuffisamment, malgré sa puissance économique, à la sécurité collective et de chercher à reporter cet effort sur les États-Unis.

48Le 26 août, le gouvernement belge décida en définitive de participer à la force des Nations Unies en envoyant en Corée un bataillon de volontaires. Il s’efforça dans le même temps, mais en vain, de réduire son appui aérien. Au total, 3 500 volontaires belges participèrent à la guerre et il y eut dans leurs rangs 106 victimes. Arrivés fin janvier 1951, les derniers soldats quittèrent la Corée en juin 1955. L’intérêt de l’opinion publique comme de la classe politique fut extrêmement limité ; l’abdication de Léopold III fit passer ce dossier à l’arrière-plan, en tout cas dans les débuts du conflit.

49Une deuxième divergence d’opinion apparut à l’été 1951, lorsque la France et les États-Unis présentèrent, conjointement, un projet d’armée européenne sous le nom de Communauté européenne de défense (CED). Les États-Unis firent activement campagne pour que les États ouest-européens souscrivent à ce projet. Le gouvernement Pholien, où Paul Van Zeeland détenait le portefeuille des Affaires étrangères, ne pouvait cependant accepter l’atteinte à sa souveraineté qu’entraînait la portée supranationale de la proposition. La Belgique cherchait d’une part à mettre un minimum de militaires belges à la disposition de l’armée européenne et, d’autre part, à intégrer au maximum la CED dans l’OTAN. La CED, fit observer Van Zeeland fin octobre 1951, n’est qu’une expérience « dans le cadre du Pacte de l’Atlantique, la conception européenne ne servant, en quelque sorte, que de relais  [33] ». Pour la Belgique, les forces armées européennes faisaient partie intégrante de l’OTAN. Celle-ci était, pour reprendre les termes de Paul Van Zeeland, la « colonne vertébrale » de la politique étrangère belge et « l’idée européenne s’inscrivait dans la politique atlantique  [34] ».

50Vers la fin de 1951, l’opposition belge était si forte que le projet CED risqua de capoter  [35]. L’un des participants allemands aux négociations se plaignit que la Belgique repoussait tout ce qu’il y avait d’européen dans la CED, de sorte que des voix s’élevaient, de plus en plus nombreuses, pour édifier la CED sans le Benelux. Des fonctionnaires français et allemands conseillèrent aux États-Unis de faire pression sur la Belgique, considéré comme le pays du Benelux le plus hostile à la CED. Les États-Unis menacèrent en effet d’exclure la Belgique des discussions sur la CED. Ils laissèrent entendre que ceux qui ne signeraient pas ne devaient pas compter sur l’aide économique et militaire des Américains. Isolé en Europe et confronté aux pressions des États-Unis, le gouvernement belge finit par céder.

51Le 27 mai 1952, les six pays de la CECA signèrent le traité CED. Tout comme auparavant lors des négociations sur la CECA à partir de 1950, l’attitude réticente de la Belgique dans les discussions sur la CED avait pourtant porté ses fruits. À nouveau, la compétence supranationale allait beaucoup moins loin que dans le projet original. C’est ainsi qu’il n’était plus question d’un ministre supranational de la Défense, mais d’un « commissariat collégial » de neuf membres, avec beaucoup moins de pouvoir que la Haute autorité de la CECA puisqu’il s’agissait pour l’essentiel d’un organe d’exécution du Conseil des ministres qui détenait la véritable clé des décisions et où tous les États membres disposaient d’un droit de veto si des intérêts nationaux étaient menacés. Par contre, la Belgique avait dû accepter que la majeure partie de ses troupes relèvent de la CED ; mais elle avait réussi à faire inscrire dans le projet de traité que dans certaines circonstances, par exemple dans leurs colonies, les pays pouvaient continuer à disposer de troupes propres. Enfin, les unités de la CED étaient subordonnées à l’OTAN, comme la Belgique l’avait exigé. La CED devait, pour l’essentiel, « mettre en condition » les contingents mis à la disposition du commandement suprême européen de l’OTAN. C’est ce commandant suprême de l’OTAN qui commandait les troupes de la CED et aussi longtemps que l’OTAN existait, il ne pouvait être question aux yeux de la Belgique de créer un commandement suprême européen distinct  [36].

52Le projet de traité contenait néanmoins un objectif supranational, défini en son article 38. Celui-ci chargeait la future assemblée de la CED de préparer dans les six mois une structure « fédérale ou confédérale » qui encadrerait non seulement la CED, mais aussi les autres communautés déjà existantes. De cette façon, la future armée européenne se trouverait encadrée par une Europe politique qui en assurerait le contrôle démocratique  [37]. Mais le rejet de la CED par l’Assemblée nationale française en août 1954 fit s’éloigner la perspective d’une unification politique rapide de l’Europe. Avec les traités de Rome de 1957, dans l’élaboration desquels les pays du Benelux jouèrent un rôle crucial, on opta pour une progression indirecte vers l’union politique, par le biais de l’édification supranationale d’un marché commun.

53L’Europe atlantique de 1947 et l’Europe supranationale de 1957 étaient des projets étroitement imbriqués, mais dont le premier primait sur le second. Aussi le traité de Rome de 1957 instituant la Communauté économique européenne (CEE) ne mentionnait-il nulle part l’existence d’une politique monétaire commune, ni d’une politique étrangère ou de défense commune. La première n’était pas nécessaire, puisque la stabilité monétaire était garantie par le système de Bretton-Woods, dont le dollar était la clé de voûte. La deuxième relevait, pour les architectes de l’Europe communautaire de 1957, de la compétence exclusive de l’Alliance atlantique. Les consultations politiques sur les problèmes internationaux devaient avoir lieu, affirma Spaak quelques mois après la conférence de Messine, au sein de l’OTAN qui devait devenir le véritable centre politique de l’Occident  [38].

54Paul-Henri Spaak allait même déclarer explicitement en 1955 que « the European idea is necessarily a limited idea » (l’idée européenne est nécessairement une idée limitée) et qu’il fallait considérer la construction européenne comme un des éléments d’un « Commonwealth atlantique  [39] ». La construction européenne servait à conjurer les démons du passé, à savoir le nationalisme et l’antagonisme entre France et Allemagne, tandis que l’OTAN devait faire front aux dangers actuels et futurs  [40]. La politique européenne devait, de la sorte, être constamment évaluée à la lumière de sa compatibilité avec la coopération dans le cadre atlantique.

55Aussi l’édification d’un Commonwealth atlantique devint-il le leitmotiv de Spaak lorsqu’il fut élu, en 1956, deuxième secrétaire général de l’OTAN. Au cours de ses derniers mois en tant que ministre des Affaires étrangères, il avait fort insisté, à l’occasion de la crise de Suez, sur la nécessité de procéder à des consultations politiques au sein de l’OTAN. Après la nationalisation du canal de Suez par le président égyptien Nasser le 1er juillet 1956, Spaak adopta une attitude encore plus dure – si tant est que ce fût possible – que les Britanniques et les Français. Il compara la nationalisation du canal à l’action d’Hitler, à laquelle nul ne s’était opposé. Spaak estimait qu’il fallait stopper Nasser – lui « casser les reins », comme il l’écrivit à une amie – et il tenta de faire condamner l’intervention de Nasser par la Cour internationale de justice  [41].

56Quand la France et la Grande-Bretagne procédèrent le 1er novembre 1956 à une intervention militaire en Égypte, elles furent critiquées au sein de l’OTAN, notamment par la Norvège qui qualifia l’opération de « colonialiste » et demanda que l’OTAN s’en distancie. Spaak prit la défense de la France et de la Grande-Bretagne. Pour lui, ce qui s’était passé en Égypte était la preuve que les fondements de la politique soviétique, qui consistaient à rendre la vie dure à l’Occident, n’avaient pas changé  [42]. Toute perte d’influence de la France et de la Grande-Bretagne au Moyen-Orient équivaudrait à une défaite pour l’Occident dans la confrontation globale entre l’Est et l’Ouest  [43]. Pour s’opposer à cette nouvelle forme, indirecte, d’agression soviétique, il fallait davantage de consultation et de coopération au sein de l’OTAN, y compris – précisait Spaak – pour des événements qui surviendraient en dehors de la zone du Traité atlantique. Ce qu’il craignait par-dessus tout, c’était donc que les événements de Suez et la réaction négative des Américains ne provoquent une rupture dans l’OTAN  [44]. Face à la politique globale de l’URSS, il fallait en effet placer une politique globale de l'Occident  [45]. Il chargea son chef de cabinet Rothschild de convoquer un groupe de travail discret de fonctionnaires belges, portugais, britanniques et français pour coordonner leur politique en Afrique. Mais tout comme dans d’autres pays, le Ministère des Colonies n’était guère enthousiaste, en Belgique, à l’idée d'une coordination internationale et l’idée de Spaak resta sans suite  [46].

57En tant que secrétaire général de l’OTAN, Spaak allait s’engager en faveur de l’idée qu’avait déjà défendue Van Zeeland pendant la guerre, celle d’une union économique atlantique. Mais il y ajoutait un volet politique, pour parvenir ainsi à une Communauté atlantique. Celle-ci devait, à ses yeux, devenir l’épicentre du processus de décision politique en Occident, avec le Conseil de l’OTAN comme une sorte de « directoire du monde libre » tant en ce qui concernait la politique de coexistence pacifique dans les relations Est-Ouest que pour les problèmes des pays en voie de développement. Les questions économiques devaient également y être abordées  [47]. L’Occident était en effet engagé dans une lutte de pouvoir globale avec l’Union soviétique et devait former un front commun solide, politiquement et économiquement, afin que l’Union soviétique ne puisse tirer profit des divisions entre États membres de l’OTAN  [48]. Parce que le conseil existant de l’OTAN, qui prenait ses décisions à l’unanimité, n’était pas à même de faire face à des situations d’urgence, Spaak s’était montré partisan dès 1955 de la suppression de la règle de l’unanimité et de « l’intégration politique totale dans le cadre de l’OTAN  [49] ».

58Le mandat de Spaak en tant que secrétaire général ne fut pas un succès. Selon ses propres dires, il ressentit combien certains États membres étaient mécontents des positions qu’il défendait  [50]. Il mit abruptement fin à son mandat et redevint ministre du gouvernement belge en avril 1961. Entre-temps, ce gouvernement était à nouveau entré en conflit avec les États-Unis.

59La troisième crise belgo-américaine de la Guerre froide trouvait son origine au Congo. En 1960-1961, la période trouble de l’indépendance congolaise, le leader katangais Moïse Tshombe proclama l’indépendance de sa province. La Belgique avait préalablement assuré Tshombe qu’elle reconnaîtrait rapidement l’indépendance du Katanga. Mais à la requête du Premier ministre Lumumba, qui menaçait de demander une aide militaire à l’Union soviétique et qui rompit les relations diplomatiques avec la Belgique, le Conseil de sécurité ordonna à la Belgique, à la mi-juillet 1960, de retirer ses troupes du Congo où elles furent remplacées par des casques bleus de l’ONU. La Belgique reprocha vivement au gouvernement américain d’avoir soutenu la résolution et le menaça de représailles comme le non-achat de nouveaux avions de combat Starfighter américains et la révision des engagements financiers au sein de l’OTAN. Toutefois, ces menaces ne furent jamais mises à exécution. Spaak, lui aussi, partagea dans un premier temps le mécontentement belge face à l’attitude des États-Unis mais dès son retour en politique belge, il allait tout mettre en œuvre pour normaliser à nouveau les relations belgo-américaines.

60Dans la première moitié des années 1950, les trois fils conducteurs qui allaient caractériser la politique étrangère et de défense belge pendant la Guerre froide avaient ainsi pris forme : l’atlantisme en tant que cadre de référence central en matière de politique étrangère ; l’édification d’une construction européenne limitée à la sphère économique ; la méthode supranationale pour y renforcer la position des petits États vis-à-vis des grands.

4. L’OSTPOLITIK BELGE (1966-1973)

61Début mars 1966, une nouvelle crise survint au sein de l’Alliance atlantique suite à la décision du président français de Gaulle de soustraire les forces armées françaises du commandement intégré de l’OTAN, ce qui entraîna le départ des installations de l’OTAN de la France. À l’OTAN, on proposa de transférer les installations de l’Alliance en Belgique.

62Ce transfert n’était pas évident pour les Belges  [51]. Le nouveau ministre des Affaires étrangères Pierre Harmel (PSC), dans le gouvernement social-chrétien-libéral dirigé par Paul Vanden Boeynants, évita pendant des mois toute confrontation parlementaire, tout en prenant discrètement contact avec l’opposition socialiste. Il mettait spécialement l’accent, dans ce cadre, sur sa volonté de plaider au sein de l’OTAN pour un rôle politique plus affirmé de l’Alliance afin de promouvoir la détente entre l’Est et l’Ouest.

63En juin, la Chambre discuta du transfert du Shape. Au nom du groupe social-chrétien, Leo Tindemans prit la défense de l’OTAN. Il fallait maintenir l’Alliance afin de donner « de bons conseils » aux États-Unis et de garder ainsi ce pays « sur le droit chemin ». Si l’on entendait de surcroît s’occuper de politique de détente, il fallait également rester membre de l’OTAN pour parvenir ainsi à une « concertation organisée entre l’Est et l’Ouest ». Tindemans accusa de Gaulle d’empêcher, par sa politique, l’Europe de parler d’une seule voix et reprocha aux adversaires du transfert du Shape leur « infantilisme intellectuel » et un « manque flagrant de connaissance des faits en matière de politique et de défense ». Un autre député social-chrétien, Raymond Scheyven, qualifia par contre l’OTAN d’alliance entre un géant et quatorze nains, estimant que la politique belge se limitait à garder « le petit doigt sur la couture du pantalon » par peur de déplaire aux États-Unis. Il se montrait ainsi proche des positions de la gauche du PSB qui, à la Chambre et au Sénat, refusa le transfert du Shape en arguant que les États-Unis étaient le « gendarme de la contre-révolution », et demandait la dissolution simultanée des deux alliances  [52]. Le 16 juin, Spaak fit sa dernière intervention parlementaire pour défendre l’OTAN mais aussi la politique étrangère qu’il avait menée pendant des décennies, renvoyant aux arguments développés auparavant par Leo Tindemans (CVP)  [53].

64Spaak et Spinoy à la Chambre, De Groote au Sénat furent les seuls socialistes à appuyer la décision du gouvernement. Les autres s’abstinrent ou votèrent contre, tout comme la Volksunie et le FDF. Un tiers du Parlement refusa ainsi de donner son assentiment à une décision importante du gouvernement : pour la première fois depuis les débats sur la CECA et sur la CED, la classe politique se trouvait divisée sur un aspect important de la politique étrangère  [54]. Au cours du débat, la plupart des orateurs avaient cependant souligné que l’OTAN devait faire davantage d’efforts dans le sens de la détente et du désarmement. Ce qui correspondait aux convictions personnelles d’Harmel, selon qui « l’effort de détente et de paix est plus important encore que l’effort de défense » et « l’élaboration de la détente est le premier travail d’une alliance conclue en vue de la sécurité (…). Nous savons que le seul élément vraiment ferme de la sécurité est la détente  [55]. »

4.1. L’EXERCICE HARMEL

65La détente européenne en était en effet venue à occuper rapidement une place centrale dans la politique d’Harmel. La nécessité d’initiatives nationales propres, la nécessité de considérer la question allemande comme le problème central en matière de sécurité européenne, la priorité à donner à une approche politique plutôt que militaire de la sécurité et surtout l’avenir de l’OTAN après le départ partiel de la France et la perspective de l’année 1969 (moment où les États membres auraient le droit de quitter l’Alliance après un délai d’un an) : telles étaient quelques-unes des suggestions dont Harmel avait débattu avec son collègue américain Dean Rusk et qu’il soumit à discussion en décembre 1966 au sein de l’OTAN. Pour Harmel, les temps étaient mûrs pour réfléchir sans préjugés à l’avenir de l’OTAN, puisque bien des choses avaient changé dans les 20 années écoulées au plan international. Sur ce, Harmel fut chargé de ce qu’on appela au sein de l’OTAN « l’exercice Harmel », la recherche de ce qu’il définissait lui-même comme « un nouvel évangile » pour l’OTAN.

66Pendant un an, quatre groupes de travail se penchèrent sur différents aspects de la question. Toutes sortes de propositions furent mises sur la table : une Communauté atlantique, ce à quoi Spaak avait aspiré lorsqu’il était secrétaire général de l’OTAN ; une alliance fondée sur deux piliers, comme l’avait proposé le président Kennedy. Mais le résultat final de toutes ces discussions alla dans un sens tout différent. Il fut consigné dans un document approuvé en décembre 1967 par le Conseil de l’OTAN sous le titre Les futures tâches de l’Alliance, en abrégé Rapport Harmel. Ses principaux auteurs étaient, outre Harmel lui-même (et son chef de cabinet Étienne Davignon, anciennement chef de cabinet de Paul-Henri Spaak) l’Américain Eugene Rostow et le Français Couve de Murville.

67Si l’Alliance voulait avoir un avenir, soulignait le rapport, elle devait satisfaire à trois conditions : promouvoir la détente, reconnaître le droit aux initiatives nationales et dépasser la division de l’Europe. D’aucuns ont réduit le rapport à une soi-disant « doctrine » formulée en son article cinq, où il était confirmé que l’OTAN poursuit des objectifs de défense, mais aussi de détente. Harmel lui-même a toutefois toujours insisté sur le fait que la politique de détente n’était pas une doctrine, et encore moins un but en soi. Pour lui, l’objectif final était défini à l’article 9, aux yeux d’Harmel l’article central de son rapport : « Le relâchement des tensions (…) fait partie d’un processus à long terme visant à améliorer les relations et à favoriser un règlement européen. Le but politique ultime de l’Alliance est de parvenir à un ordre pacifique juste et durable en Europe, accompagné des garanties de sécurité appropriées ». Tous les États membres devaient contribuer à la poursuite de cet objectif, selon les termes de l’article 7 : « En tant qu’États souverains, les Alliés ne sont pas tenus de subordonner leur politique à une décision collective. (…) Chaque Allié devrait jouer pleinement son rôle dans l’amélioration des relations avec l’Union soviétique et les pays de l’’Europe de l’Est (…). »

68L’équilibre que recherchait Harmel n’était pas un équilibre entre défense et détente mais entre d’une part le maintien de l’OTAN en tant qu’instrument pour la défense de l’Europe de l’Ouest et, d’autre part, la volonté de rendre cet instrument superflu en amorçant une politique de rapprochement entre l’Est et l’Ouest. Le « règlement européen » qui se trouvait au coeur de l’exercice Harmel et qui, traduit à l’article 9, devint l’objectif officiel de l’OTAN était défini par Harmel comme la recherche de « l’Europe totale ». Cette vision paneuropéenne était, sans que cette référence soit citée explicitement, identique à l’Europe gaulliste de l’Océan atlantique à l’Oural – que de Gaulle qualifiait aussi d’Europe « globale ». En mettant l’accent sur le dépassement de la confrontation entre les deux blocs, elle renvoyait du même coup à l’Europe de la troisième voie dont les fédéralistes européens s’étaient fait les promoteurs après la Seconde Guerre mondiale.

69Contrairement à Paul-Henri Spaak, Pierre Harmel ne parlait guère d’une « Communauté » atlantique. À ses yeux, les Américains et les Européens formaient en effet une « alliance », alors que le terme de « Communauté » se rapportait au projet européen. Aussi était-il très favorable à la mise en place d’un « caucus européen » au sein de l’OTAN  [56], de sorte que les États membres européens puissent coordonner leurs positions avant de les présenter au Conseil de l’Atlantique Nord, où les États-Unis disposaient d’une voix prépondérante.

4.2. LA POLITIQUE D’HARMEL

70La place centrale que gagnait la politique de détente dans la politique étrangère d’Harmel amena à revoir l’attitude qu’avait traditionnellement la Belgique envers de Gaulle. Quand Harmel était devenu ministre des Affaires étrangères en 1966, il avait constaté combien la diplomatie belge était francophobe. Mais Harmel ne retira pas seulement, de la politique gaulliste de rapprochement avec l’Europe de l’Est, le concept d’ordre paneuropéen mentionné plus haut : la politique du président de Gaulle, où l’on ne voyait le plus souvent qu’une expression du chauvinisme français, contenait en effet aussi l’instrument permettant de rétablir en Belgique l’unanimité en matière de politique étrangère, à savoir le caractère national, non subordonné à l’OTAN, d’une politique proprement belge. En d’autres termes, la diplomatie belge devait prendre des initiatives propres en matière de détente, parce que l’OTAN ne pouvait d’elle-même en tant qu’organisation – vu son caractère intergouvernemental – mener une telle politique.

71Harmel opta dès lors pour l’activation et la systématisation du dialogue bilatéral avec des pays analogues du Pacte de Varsovie, qu’avait engagé Spaak auparavant. En défendant au sein de l’OTAN la politique gaulliste de rapprochement avec l’Europe de l’Est, Harmel justifiait ainsi du même coup sa volonté de nouer un dialogue privilégié avec quelques pays du Pacte de Varsovie. La diplomatie belge new look entendait dans ce cadre explorer les possibilités de faire progresser le contrôle des armes et le désarmement en Europe, ce sur quoi avaient insisté au Parlement différents groupes sous la forme d’une réduction de la durée du service militaire et d’une révision des tâches au sein de l’OTAN.

72En septembre 1966, Harmel visita pour la première fois la Pologne. Dans leur communiqué commun, Harmel et son collègue polonais Rapacki confirmèrent que de tels contacts seraient poursuivis et menés à différents niveaux, notamment au niveau des fonctionnaires, afin d’examiner la possibilité de développer de cette manière des initiatives communes en termes de réduction multinationale des armements et des troupes en Europe. Mais les deux ministres confirmèrent également que la mise sur pied d’une Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe était, à leurs yeux, un but positif. La Belgique soutenait ainsi pour la première fois la proposition soviétique d’une reconnaissance régionale du statu quo territorial d’après-guerre en Europe. De son côté, le secrétaire général de l’OTAN Manlio Brosio dit de cette proposition qu’elle était « sans doute l’instrument politique le plus perfectionné aux mains de l’Union soviétique pour installer son hégémonie en Europe. (…) Un nouveau système collectif européen de sécurité serait tout simplement synonyme de domination soviétique  [57]. » Lors des discussions belgo-polonaises furent également examinées des suggestions originales tendant à « geler » la course aux armements en Europe, ce qui n’était guère du goût de Washington  [58].

73La politique d’Harmel n’avait pourtant pas comme but premier de réaliser le contrôle des armes ou le désarmement, mais, conformément à l’article 9 du rapport Harmel, de rechercher un moyen de résoudre la « question allemande ». Pour Harmel, tout comme pour les socialistes ouest-allemands du SPD, c’était là la cause première de la Guerre froide. Il se distançait dès lors du point de vue de ses coreligionnaires ouest-allemands qui ne juraient que par l’unification allemande via l’intégration à l’Ouest de l’Allemagne de l’Est. La détente politique, c’est-à-dire le « règlement européen » dont il était question dans le rapport Harmel, était le couronnement de la politique de détente. Aussi Harmel soutint-il à partir de 1969 l’Ostpolitik de Willy Brandt. Certains, à l’OTAN, craignaient que Brandt ne cherche à réunifier les deux Allemagne, quitte même à sortir pour cela de l’OTAN. Parce que la question allemande ne pouvait être résolue qu’avec l’appui des Allemands et parce qu’une Allemagne isolée au plan international se trouverait en effet placée devant le choix entre sa fidélité à l’Alliance et la normalisation de ses relations avec « l’autre » Allemagne, l’OTAN devait accepter l’Ostpolitik. À partir de 1969, Harmel situa l’Ostpolitik belge dans le prolongement de celle de Brandt, comme une contribution à « l’européanisation » de l’Ostpolitik de la RFA.

74Mais l’Ostpolitik belge ne se ralliait pas sans autre forme de procès à la vision soviétique en matière de sécurité européenne. Elle cherchait au contraire à lier la demande soviétique de reconnaître le statu quo territorial à la demande occidentale de contrôler et de réduire les armements en Europe. L’Occident rencontrait ainsi la source primaire du sentiment d’inquiétude des Soviétiques, et l’Union soviétique rencontrait le besoin de sécurité des pays de l’Ouest. Ce lien qu’établissait ainsi la Belgique entre détente politique et détente militaire devait se traduire sous la forme de négociations parallèles incluant simultanément les deux aspects. Bien que le parallélisme et le calendrier fussent bien moins stricts que ne l’avait espéré la diplomatie belge, cette politique déboucha néanmoins sur un certain lien entre les négociations politiques dans le cadre de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) et les négociations militaires au sein du Mutual Balanced Force Reduction (MBFR, Réduction mutuelle et équilibrée des forces conventionnelles), engagées toutes deux en 1973.

5. CONFLIT D’ORIENTATIONS : EUROPÉANISME CONTRE ATLANTISME (1970-1980)

75L’année 1975 marqua un temps fort de la politique de détente avec la signature de l’Acte final de Conférence sur la sécurité et la coopération signé à Helsinki, mais signa aussi les débuts de son enlisement, même si ce n’était pas immédiatement visible à l’époque. Les résultats de la détente généraient des frustrations grandissantes qui conduisirent en Europe, aux États-Unis et en Union soviétique à un refroidissement des relations entre l’Est et l’Ouest, déclenchant vers 1979 une nouvelle Guerre froide.

76La politique étrangère belge redevint, à ce moment, grise et effacée – non seulement dans son contenu mais aussi dans sa forme, contrastant ainsi avec la période Spaak et la période Harmel. Les ministres successifs des Affaires étrangères Renaat Van Elslande (CVP, 1973-1977), Henri Simonet (PS, 1977-1980) et Charles-Ferdinand Nothomb (PSC, 1980-1981) se contentèrent pour l’essentiel de suivre le consensus existant au sein de l’OTAN, sans proposer dans ce cadre d’initiatives importantes ni mettre d’accents particuliers. Cette rupture de style s’accompagna d’un enlisement assez rapide de la tradition harmélienne du dialogue bilatéral avec des pays similaires du Pacte de Varsovie. Dès novembre 1974, Van Elslande dut réfuter devant la Chambre le reproche selon lequel la Belgique ne croyait plus en une politique spécifiquement belge en la matière : « Il est exact que la Belgique se met moins souvent seule en avant que par le passé, parce que le gouvernement est convaincu que l’intégration européenne est le but premier de notre politique étrangère et que nous réussissons donc progressivement à parler d’une seule voix, exerçant de la sorte une influence plus forte sur les événements mondiaux  [59]. » Henri Simonet disqualifia en termes plus abrupts l’instrument essentiel de la politique d’Harmel : « Auparavant, il arrivait souvent qu’on vante les mérites de ce qu’on appelait la ‘navette de conciliation’ de la diplomatie belge. Je n’en attends pas grand-chose. Faire mousser la dynamique du serrage de mains peut aussi être un prétexte à ne pas devoir se forger une politique propre. En misant tout sur un rôle de médiateur, on ne doit jamais prendre position – et je ne peux accepter cette solution de facilité  [60]. » Le nombre de contacts avec des pays d’Europe de l’Est diminua et atteignit sous Charles-Ferdinand Nothomb un creux absolu  [61]. La politique d’Harmel sombra dans l’oubli et on n’y fit plus référence, ni en Belgique ni au sein de l’OTAN.

77Sous Simonet, un fort accent fut mis pour la première fois, dans le cadre des négociations de la CSCE, sur le respect des droits de l’homme en Union soviétique et en Europe de l’Est, conformément à l’attitude analogue prise par le président américain Carter, afin notamment de tenir compte des critiques des conservateurs aux États-Unis  [62]. La Belgique fut également, avec le Danemark, le seul État membre de l’OTAN à respecter pendant un temps l’augmentation annuelle de 3 % du budget de la défense convenue en 1977  [63]. Dans le courant des années 1970, la Belgique fut en outre le seul pays de l’OTAN à connaître une hausse annuelle constante de son budget de la défense en pourcentage du produit national brut, et à fournir ainsi l’effort relatif le plus important en la matière  [65]. La Belgique adopta un profil diplomatique bas ce qui, lié à la croissance constante de son budget de la défense, lui valut d’apparaître, jusqu’au début des années 1980, comme le meilleur élève de la classe atlantique.

78Cette évolution entraîna dans le courant des années 1980, dans la classe politique belge et dans l’opinion publique, une division entre « atlantistes » – lesquels, aux yeux de ceux qui les critiquaient, restaient attachés à un cadre de coopération désuet et dépassé sous direction américaine – et « européens » (qualifiés également de « proeuropéens » ou de « gaullistes européens ») qui voulaient l’avènement d’une Europe de l’après-confrontation, d’ailleurs décrite sans beaucoup de précision, une « Europe européenne » qui s’inscrive dans le prolongement de la détente européenne des années 1960 et 1970  [66]. Qu’une telle dichotomie puisse apparaître illustrait bien, pour la première fois, que l’unanimité par rapport à l’Europe atlantique, laquelle avait toujours fait coïncider coopération atlantique et construction européenne, était en train de s’éroder.

79La différence entre atlantistes et proeuropéens prit une tournure concrète à l’occasion d’un programme d’installation de nouveaux missiles nucléaires à portée intermédiaire, ou « euromissiles », proposé par les États-Unis.

80En décembre 1979, le Conseil de l’OTAN avait pris la décision d’installer de nouveaux missiles nucléaires américains en Europe. La mise en œuvre de cette décision devint très vite un article de foi en matière de loyauté atlantique. Mais en Europe, et aussi en Belgique, l’opposition à l’installation de ces missiles était largement répandue.

81À partir de 1980, les missiles nucléaires devinrent des pièces maîtresses de l’échiquier politique belge. Le débat relatif à ces euromissiles déboucha une nouvelle fois sur de vives tensions politiques en Belgique, sur un fond de manifestations récurrentes qui rassemblaient des centaines de milliers de citoyens. La ligne de partage entre partisans et adversaires des missiles ne correspondait qu’en partie au clivage classique entre droite et gauche en politique belge. Chez les sociaux-chrétiens s’opposaient le mouvement ouvrier chrétien et la droite. Parmi les socialistes francophones et socialistes flamands il y avait une appréciation différente. Les premiers, bien qu’opposés à l’installation de missiles en Belgique, étaient plus sensibles à la position française, exprimée par le président français François Mitterrand à Bruxelles en octobre 1983 : « Les missiles sont à l’Est, les pacifistes sont à l’Ouest. » De leur côté, les socialistes flamands étaient plus proches des positions des socialistes ouest-allemands, plus favorables à la détente. Dans la famille libérale également, une opposition existait entre la jeune génération de libéraux flamands avec Guy Verhofstadt à leur tête, qui partageait également le point de vue du mouvement pacifiste, et leurs leaders.

82Partisans et adversaires des euromissiles partaient de conceptions opposées de la politique de sécurité et d’une tout autre philosophie politique. Les partisans, avec pour figure de proue le ministre des Affaires étrangères Leo Tindemans (CVP), rappelaient le déséquilibre militaire, la menace idéologique émanant de l’Union soviétique et la nécessité d’y faire face en formant un front unanime – ce qui impliquait de souligner à nouveau le rôle central des États-Unis et de l’OTAN. Les adversaires, avec pour figure de proue le chef du groupe SP à la Chambre Louis Tobback, mettaient l’accent sur la nécessité de faire un effort plus important en matière de désarmement et de contrôle des armements ; à leurs yeux, la course aux armements représentait en soi un plus grand danger que l’attitude de l’Union soviétique. Ils reprochaient au gouvernement, et surtout au ministre des Affaires étrangères Tindemans, de ne plus mener de politique active et plaidaient pour que l’Europe en tant que telle joue un rôle plus actif pour rétablir la détente, basée sur une « sécurité réciproque », concept lancé par les sociaux-démocrates Olof Palme et Egon Bahr.

83Le débat allait durer près de cinq ans. À partir de fin 1979 le Centre national d’action pour la paix et le développement (CNAPD) et le Vlaams Aktiekomitee tegen Atoomwapens (VAKA) organisèrent à intervalles régulières des grandes manifestations nationales, celle d’octobre 1983 dépassant les 300 000 personnes. La participation flamande y était très importante. Des parlementaires de tous les partis d’opposition y participèrent, ainsi que plusieurs dizaines d’élus CVP. En effet, ce parti comptait en son sein un fort courant favorable au report d’une décision d’implantation en Belgique, principalement situé dans l’aile ouvrière du parti  [67].

84Le 14 mars 1985, le gouvernement belge finit par autoriser l’installation de missiles nucléaires américains en Belgique. C’était là une défaite pour les pro-européens ; mais il s’avéra très vite que leurs idées avaient pris racine dans les conceptions belges en matière de sécurité internationale.

85La semaine même où furent installés en Belgique les nouveaux missiles américains, Mikhaïl Gorbatchev succéda, à la tête de l’Union soviétique, à Constantin Tchernenko : c’était le troisième dirigeant du pays en moins de trente mois. Seule une minorité parmi les kremlinologues estimait qu’un changement de cap plus ou moins radical était en voie de se produire. Bien que Gorbatchev prit assez rapidement une série d’initiatives en matière de désarmement et de détente, au sein du Ministère belge des Affaires étrangères, tout comme à l’OTAN d’ailleurs, l’on persista à croire que Gorbatchev n’était pas porteur de changements fondamentaux dans la politique soviétique, que son action plus modérée avait plutôt, en fait, des effets déstabilisants et que l’objectif que poursuivait l’Union soviétique restait de garder l’Europe de l’Est sous son contrôle et de neutraliser l’Europe occidentale. Pour empêcher que l’Occident ne réagisse en rangs dispersés à cette politique soviétique, il fallait une coopération étroite avec les États-Unis. Trois décennies auparavant, les tentatives de rapprochement de Khrouchtchev avaient conduit aux mêmes mises en garde au sein de l’OTAN.

86Tout ceci forma l’arrière-plan de la dernière crise belgo-américaine de quelque importance dans le courant de la Guerre froide. En décembre 1987, les États-Unis et l’Union soviétique avaient conclu le traité FNI sur les euromissiles : il prévoyait la destruction de la nouvelle génération de missiles à portée intermédiaire, ceux contre lesquels le mouvement pacifiste avait manifesté en vain pendant tant d’années. Afin de compenser les capacités militaires perdues du fait du traité, l’OTAN entendait moderniser les missiles tactiques à courte portée restants  [68].

87Au sein du gouvernement belge, le ministre de la défense nationale Guy Coëme (PS) fut le premier, fin septembre 1988, à formuler des réserves à l’endroit de ce projet de modernisation des armements nucléaires tactiques. Cette modernisation lui semblait non seulement inopportune, vu la politique de Mikhaïl Gorbatchev, mais aussi en contradiction avec l’accord de gouvernement, lequel plaidait précisément pour des négociations sur ces systèmes d’armement. Toute décision en la matière paraissait d’autant moins souhaitable que Coëme avait été informé, par des canaux parallèles, que le ministre allemand des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher nourrissait des réserves analogues – même s’il ne pouvait pas encore les exprimer à l’époque au sein de son gouvernement.

88Le 21 octobre 1988, la Belgique décida qu’il était prématuré de se prononcer sur la modernisation en projet. Quand cette décision gouvernementale fut portée à la connaissance de ses alliés de l’OTAN, les fonctionnaires de l’Allliance n’en crurent pas leurs oreilles : ils ne s’attendaient pas à ce que la Belgique renonce à son attitude habituelle d’adhésion tacite à la modernisation. Les réactions ne se firent pas attendre. Des critiques particulièrement vives s’élevèrent contre la Belgique dans les rangs de l’OTAN. Manfred Wörner, le secrétaire général de l’OTAN de l’époque, était furieux et le secrétaire américain à la Défense allait battre froid pendant longtemps son collègue belge. En Belgique aussi, une partie de la presse critiqua la décision du gouvernement. D’aucuns parlèrent d’une courbe rentrante aussi maladroite que peu glorieuse. Le ministre des Relations extérieures Tindemans attaqua publiquement son collègue de la défense. Mais les réserves belges, exprimées par Guy Coëme, avaient fait de ce dossier de routine une affaire de haute importance politique. En Allemagne fédérale, le ministre des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher profita de l’occasion. Il accentua la pression sur le chancelier Helmut Kohl. Trois mois plus tard, l’Allemagne adopta la même position que la Belgique. La modernisation nucléaire tactique en projet se trouva, de ce fait, abandonnée.

6. L’ADIEU À LA GUERRE FROIDE

89En 1947, la Belgique était entrée à pas hésitants dans la Guerre froide. Elle avait adhéré à l’OTAN sans foi ni amour. Lorsque la tension entre l’Est et l’Ouest commença, quatre décennies plus tard, à s’estomper, la Belgique redécouvrit la politique d’Harmel. Les européanistes des années 1980 formèrent le noyau à partir duquel se développa une réédition de l’Ostpolitik belge  [69].

90En novembre 1989, le ministre de la défense Coëme décida d’entamer un dialogue militaire bilatéral avec quelques pays du Pacte de Varsovie. Depuis mars 1988, des militaires américains avaient noué des entretiens avec leurs collègues soviétiques. Fin juillet 1988, on évoqua pour la première fois au Ministère belge de la Défense l’idée d’entretiens de ce type, partant du principe que le rapprochement entre les alliances ne devait pas rester l’affaire des seules deux grandes puissances, dont le rôle dirigeant ne pourrait que s’en trouver renforcé. À partir de la toussaint 1989, la Belgique mit dès lors en place un « dialogue structurel » avec une série de pays du Pacte de Varsovie, et finalement avec l’Union soviétique elle-même.

91La « diplomatie militaire » de Coëme s’inspirait explicitement de la politique d’Harmel : des initiatives spécifiquement nationales devaient permettre de faire progressivement évoluer l’Alliance pour aboutir à un rapprochement de plus grande ampleur, paneuropéen, avec l’Europe de l’Est. Le fait que ces initiatives émanent cette fois du Ministère de la Défense nationale plutôt que de celui des Affaires étrangères était dû à la stricte loyauté atlantique qui était encore de mise au sein du Ministère des Affaires étrangères – contrairement au courant pro-européen qui était particulièrement présent au sein des forces armées, en particulier dans la force terrestre.

92Cette Ostpolitik belge, bilatérale et active, fut cependant très vite dépassée par les événements de l’année 1990. Suite à la démocratisation politique de l’Europe de l’Est et de l’Union soviétique, le rapprochement entre l’Est et l’Ouest ne cessa de s’accélérer, pour déboucher sur la réunification de l’Allemagne.

93Comme tout le monde, la diplomatie belge fut elle aussi surprise par la vitesse des événements. En juillet 1989 encore, des diplomates belges estimaient que la « question allemande » ne se posait pas à court terme et Mark Eyskens (CVP) lança même à cette époque un avertissement : tout ce « blabla sur la réunification allemande » ne pouvait que « miner la position de Gorbatchev dans son propre pays  [70] ». En janvier 1990, le directeur général de la Politique au sein du Ministère des Affaires étrangères Jan Hollants Van Loocke parlait encore de « l’éventuelle fusion » entre les deux Allemagne et de « l’hypothèse » d’une fusion entre les deux pays  [71].

94Mais en février 1990, on se rendit compte dans les milieux diplomatiques et militaires belges que l’unification allemande était irréversible et qu’elle surviendrait à bref délai. La Belgique ne fut jamais opposée à la réunification en tant que telle – contrairement à des pays comme la France, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. Mais ce qui provoquait quelque inquiétude, tant dans les milieux militaires que dans les milieux diplomatiques, c’étaient les conséquences de la réunification. Au Ministère de la Défense comme au Ministère des Affaires étrangères, on se demandait comment concilier une réunification de l’Allemagne et l’appartenance de l’Allemagne de l’Ouest à la Communauté européenne et à l’OTAN. On craignait que, si l’Allemagne devait choisir entre la réunification et le maintien de son ancrage occidental, elle n’en vienne à opter pour la première et à se détacher de la Communauté européenne et de l’OTAN  [73].

95C’est ainsi que s’engagea aussi en Belgique, tout comme dans tous les États membres de l’OTAN, le débat sur l’architecture de sécurité la plus adéquate pour encadrer la réunification allemande. Trois scénarios circulaient en Belgique.

96Le premier défendait l’idée d’une institutionnalisation de la Conférence sur la Sécurité et la coopération en Europe (CSCE) pour en faire un système de sécurité paneuropéen incluant l’Union soviétique, les États-Unis et tous les pays d’Europe. Ce scénario bénéficiait de l’appui, en Allemagne de l’Ouest, du ministre des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher (FDP) et des sociaux-démocrates. En Belgique, c’étaient surtout les socialistes (principalement flamands) et le mouvement pacifiste qui le soutenaient. Ils constataient en effet que le concept central de « Maison commune européenne » de Gorbatchev était parallèle à celui d’« Europe totale » paneuropéenne que défendait Harmel, et à l’Europe gaulliste, s’étendant de l’Océan atlantique à l’Oural.

97Les partisans de cette première option voyaient ensuite s’édifier sur cette structure de base une coopération politique et économique étroite entre les pays de la Communauté européenne et leurs voisins d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, sous la forme d’un élargissement rapide de la Communauté européenne aux États qui en avaient la capacité économique – sans en exclure même, à terme, l’Union soviétique. Dans cette structure complexe, la dimension militaire ne recevait qu’une place subordonnée. Octroyer des compétences militaires à la Communauté européenne risquait de transformer celle-ci en une grande puissance classique, ce qui semblait une évolution inopportune. Aussi optait-on, par défaut, pour une « européanisation » de l’OTAN par la création de deux piliers – un pilier américain et un pilier européen – comme l’avait suggéré le président Kennedy au début des années 1960.

98Mais au Ministère des Affaires étrangères, on était extrêmement méfiant vis-à-vis des concepts paneuropéens. Mark Eyskens (CVP), le successeur de Tindemans, ne voyait pas d’un bon oeil la Maison commune européenne de Gorbatchev. Pour lui, cette idée émanait du « rusé » Andreï Gromyko, qui l’avait lancée à l’ère Brejnev en pleine Guerre froide. Ceux qui utilisaient ce concept, affirmait Eyskens, le faisaient par « conviction donquichottesque qu’il convenait de remplacer l’atlantisme par une sorte d’ouralisme  [74] ». Lui-même était par contre partisan d’une autre option : l’approfondissement de la Communauté européenne et de faire de celle-ci un « point d’ancrage » dans un monde en rapide changement. Les socialistes francophones se retrouvaient eux aussi, pour l’essentiel, dans ce scénario mais pour d’autres motifs : ils souhaitaient une plus grande autonomie de l’Europe vis-à-vis des États-Unis, comme ils l’avaient demandé depuis le milieu des années 1970  [76].

99Aux dires de Mark Eyskens fin 1989, la Communauté européenne « est une idée qui triomphe (a winning concept) et ce n’est donc pas le moment, dès lors qu’on s’en rend compte, de laisser se languir une telle idée et la réalité qu’elle exprime. (…) Et le danger de voir la Communauté se diluer n’est nullement imaginaire. Le danger est d’abord interne. Il était là, menaçant la Communauté, dès les origines. Un certain nombre d’États membres rechignent toujours devant tout transfert de souveraineté. Réaliser 1992 [‘Objectif 1992’ ou l’achèvement du marche intérieur européen, RC] et l’Union économique et monétaire, n’ira pas sans de très grands efforts et une profonde volonté d’entente entre les États membres. On ne peut assurer que tous les États membres accepteront d’interpréter et d’appliquer l’Acte unique d’une façon identique. Et pourtant l’Acte unique pose de façon très claire l’Union politique comme objectif final pour la Communauté. Ajoutons d’ailleurs que, l’Union économique et monétaire une fois accomplie, l’union politique entre les États membres deviendra quasiment indispensable (…) Il est urgent que les dirigeants de la Communauté définissent le contenu de l’Union politique  [77]. »

100Une minorité de diplomates ne croyaient pas que les 12 États membres de la Communauté européenne puissent jamais faire preuve d’une volonté politique suffisante pour mener une action commune en matière de sécurité et de défense. Aussi plaidaient-ils pour qu’on demeure, dans ces domaines, dans le cadre de l’OTAN, avec tout au plus l’Union de l’Europe occidentale (UEO) comme une sorte d’instance de « préconcertation » dans l’OTAN – aux interventions volontairement discrètes, pour ne pas trop marquer les esprits. Tout comme Van Zeeland et Spaak à l’époque, ils restaient convaincus que l’OTAN était le principal forum de dialogue transatlantique à propos de la situation dans le monde. Politiquement, cette troisième option était marginale.

101La guerre du Golfe (1990-1991) trancha le débat en Belgique. La Communauté européenne avait réagi rapidement et de manière cohérente lorsque l’armée irakienne avait envahi le Koweït le 2 août 1990. Le 13 août, le Premier ministre W. Martens rappela ses collègues qui étaient en vacances et convoqua un Conseil des ministres extraordinaire sur la crise du Golfe. Dès le 3 août, le gouvernement avait gelé les avoirs koweïtiens et le ministre des Affaires étrangères avait mis les ports d’Anvers et de Zeebruges à disposition pour le transit de troupes américaines ; il avait également demandé la convocation d’une réunion de l’Union de l’Europe occidentale. Comme dans tous les pays, une grande incertitude régnait d’abord pourtant quant aux intentions américaines : Washington entendait-il uniquement protéger l’Arabie saoudite ou voulait-il, au contraire, chasser lui-même Saddam Hussein du Koweït manu militari ? Tous les partis gardaient de surcroît le souvenir de la première guerre du Golfe de 1987-1988 et des débats au Parlement. À l’époque, les socialistes – dans l’opposition – s’étaient indignés de l’intervention unilatérale des Occidentaux et de l’absence d’un mandat des Nations Unies pour agir.

102Cette fois pourtant, des discussions étaient en cours au Conseil de sécurité de l’ONU sur le recours à des moyens militaires pour imposer l’embargo. En attendant, le gouvernement décida lors d’un Conseil des ministres convoqué le 13 août d’envoyer dans l’immédiat deux chasseurs de mines et un navire de soutien « s’entraîner » dans la partie est de la Méditerranée. Si le Conseil de sécurité approuvait la résolution annoncée, la flottille mettrait le cap sur la région du Golfe. À l’issue du conseil, le Premier ministre résuma ainsi les lignes de force de l’attitude belge : nécessité d’un mandat des Nations Unies ; préférence marquée pour une solution pacifique ; coordination maximale entre pays d’Europe ; volonté de poursuivre le dialogue arabo-européen. Le gouvernement belge souligna de plus le refus de Paris et de Madrid de laisser l’OTAN jouer un rôle dans le conflit du Golfe.

103Après six mois de crise, six semaines de guerre aérienne et 100 heures de guerre au sol, les armes se turent. Le 25 février, Bagdad annonça qu’il se retirait du Koweït. Trois jours plus tard, le président américain déclara que les objectifs militaires étaient atteints. On arrêta les opérations militaires. La guerre du Golfe fut la première guerre de l’après-Guerre froide. Américains et Soviétiques étaient du même côté. Pratiquement tous les gouvernements virent dans cette crise un premier test du « Nouvel ordre mondial » où ce ne seraient plus la confrontation et le pouvoir, mais les Nations Unies et la sécurité collective qui joueraient un rôle central.

104La Belgique sortit de cette crise avec des sentiments mitigés. Jusqu’à la fin, le gouvernement avait défendu avec une relative cohérence ses principes de base, mais le conflit lui laissait un goût de « fiasco diplomatique  [78] ». Néanmoins, sans que cela apparut clairement tout de suite aux observateurs et aux participants, la politique de sécurité belge avait connu un nouveau changement de cap stratégique.

105D’une part, la Belgique avait découvert dans les Nations Unies un point d’ancrage nouveau pour sa politique de sécurité. Pour le gouvernement belge, chacune de ses décisions devait s’inscrire, de la façon la plus explicite possible, dans un mandat du Conseil de sécurité de l’ONU. La classe politique belge en vint à voir dans les Nations Unies l’organisation centrale d’une gouvernance mondiale, à présent que la politique de puissance et la Guerre froide semblaient céder la place, pour la première fois depuis 1947, au droit international. Des membres du gouvernement belge exprimèrent à plusieurs reprises leur déception que les opérations militaires ne soient pas menées directement sous commandement des Nations Unies elles-mêmes, par le biais du Comité d’État-major du Conseil de sécurité. En participant aux opérations de l’ONU en Namibie en 1989, rapidement suivie par des opérations au Sahara occidental (1991), au Cambodge (1992) puis en Somalie, en Yougoslavie et au Rwanda, la Belgique prit part en peu de temps à davantage d’opérations des Nations Unies qu’au cours de la période d’après-guerre dans sa totalité.

106D’autre part, le déroulement de la guerre du Golfe avait amené la classe politique belge à un consensus sur l’opportunité de doter la Communauté européenne de compétences militaires. À mesure que le conflit prenait, à partir de novembre 1990, une dimension militaire toujours plus prononcée, la Communauté européenne passait à l’arrière-plan. Elle avait été incapable de traduire dans les faits sa vision plus globale de cette crise géopolitique, parce qu’elle n’était pas à même d’offrir une alternative à la logique de guerre – qui en arrivait à s’autoalimenter – et qu’elle était placée, dans ce domaine, devant le fait accompli. Même les socialistes flamands avaient fait cette analyse. Frank Vandenbroucke, le président du SP, tira de la guerre du Golfe la conclusion que la Communauté européenne ne pouvait faire le poids dans la politique mondiale que si les États membres lui donnaient le pouvoir de mettre en place une politique de défense commune  [79]. Les décisions militaires formeraient les éléments d’une politique étrangère et de sécurité globale – et commune – et se trouveraient ainsi intégrées, pour ainsi dire, dans l’ensemble des facteurs diplomatiques, économiques et politiques, au lieu d’être laissées à elles-mêmes comme c’était le cas dans une organisation purement militaire comme l’OTAN.

107Quand l’Allemagne fédérale et la France choisirent ensemble d’adopter un profil plus européen en matière de défense en transformant l’ancienne Union de l’Europe occidentale (UEO) en « bras armé » de la Communauté européenne, la Belgique fut tout aussitôt disposée à leur apporter son appui. Le 4 octobre 1990 – le lendemain de l’unification de l’Allemagne – le Comité ministériel des affaires européennes avait défini la position belge selon laquelle « il appartenait à la Communauté européenne de développer une politique de sécurité comme une finalité et qu’une telle politique de sécurité ne peut exclure une composante de défense. » Dans un non-paper censé compléter un mémo de mars 1990 sur l’Union politique européenne, on pouvait lire que le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement devait être à même de charger l’UEO de donner exécution à des décisions militaires. L’UEO devait de surcroît, aux yeux des Belges, faire partie à terme de l’Union politique.

108Dans le courant de l’année 1991, des représentants du Ministère belge de la Défense entamèrent ensuite les premières discussions avec les Français et les Allemands sur une participation belge à un corps d’armée européen. L’Allemagne avait lancé cette idée par crainte de voir les États-Unis se montrer moins disposés, à l’avenir, à participer à des conflits en Europe. Aussi choisissait-on de ne pas incorporer cette unité militaire au commandement intégré de l’OTAN, de façon à ce qu’elle puisse opérer à la fois dans un cadre (autonome) européen et dans le cadre de l’OTAN. Pour la France, la proposition allemande était un premier pas concret pour parvenir à une défense européenne : elle lui accorda aussitôt son soutien. Quand Kohl et Mitterrand proposèrent, à la mi-octobre 1991, d’ouvrir également ce corps à d’autres pays européens afin de constituer ainsi un embryon d’armée européenne, les militaires belges furent les premiers à se montrer intéressés. Il en résulta des entretiens discrets, puis formels, entre les Ministères de la Défense et les chefs d’état-major de la Belgique, de la France et de l’Allemagne en vue d’une adhésion de la Belgique à l’Eurocorps  [80].

109Au sein de l’UEO, la Belgique se montrait favorable à la généralisation de semblables unités militaires « multinationales », qui devaient servir d’instrument de « la cohésion politico-militaire au sein de la future Europe », comme le formula le chef d’état-major de l’armée belge, le général José Charlier. Ce n’était pas du tout du goût des États-Unis, lesquels craignaient que la Communauté européenne ne se développe ainsi pour devenir une puissance mondiale autonome.

110Pendant les négociations préliminaires au traité de Maastricht, au plus fort du débat dans tous les pays d’Europe sur l’architecture de sécurité européenne, la Belgique se rangea aux côtés de ceux qui voulaient confier des compétences militaires à la Communauté européenne. Les discussions se centraient sur le rôle de l’Union de l’Europe occidentale. Les partisans, comme la France et la Belgique, voyaient en l’UEO « l’instrument militaire de l’UE » tandis que les adversaires de l’UEO ne voulaient y voir que « le pilier européen de l’OTAN ».

111Lors d’un Conseil des ministres de l’UEO à Bonn, le 29 octobre 1991, le ministre de la Défense Coëme exprima la position du gouvernement en des termes qu’avait inspirés le général Charlier : « Une Europe politiquement unifiée doit avoir une politique de sécurité et de défense propre, non subordonnée à aucune autre organisation. »

112La boucle était ainsi bouclée. L’atlantisme avait à nouveau fait place à l’européanisme. L’Europe redevenait le cadre premier de la politique de défense et de sécurité de la Belgique, l’OTAN passant à l’arrière-plan. La Belgique en revenait ainsi à ses racines, à savoir au projet originel de Spaak d’une position européenne autonome dans la politique mondiale, fondée sur une politique de défense et une politique étrangère propres et opérant dans le cadre normatif des Nations Unies, ce qui permettait de la légitimer. C’est ainsi que se dessinèrent les nouveaux points de référence de la politique belge en matière de défense et de sécurité. Ils remplacèrent désormais les trois fils conducteurs de la première moitié des années 1950, qui avaient orienté la politique étrangère de la Belgique dans tout le courant de la Guerre froide.

7. LA BELGIQUE ET L’OTAN DANS LE MONDE MULTIPOLAIRE (1991-2009)

113Lorsque fut signé le traité de Maastricht, ils étaient nombreux à être convaincus que le renforcement de la coopération mutuelle en matière de politique étrangère et de sécurité permettrait à l’Union européenne d’intervenir en force sur la scène internationale. La guerre civile en Yougoslavie constitua un premier test pour la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) qui avait succédé à l’ancienne Coopération politique européenne (CPE).

114En juin 1991, le conflit éclata dans toute son acuité lorsque deux des républiques fédérées yougoslaves, la Croatie et la Slovénie, se détachèrent de la fédération yougoslave et que l’armée intervint pour mettre un terme à la sécession. Des unités croates et yougoslaves se trouvèrent impliquées dans des combats sans fin, alternant avec d’innombrables cessez-le-feu locaux qui, généralement, ne duraient pas très longtemps après quoi les combats reprenaient et ne cessaient de s’étendre. Conformément à ses nouvelles orientations en matière de défense européenne, la Belgique joua un rôle marquant dans les premiers mois du conflit.

115Lorsque la guerre civile s’intensifia en Croatie, l’Allemagne fut la première à se prononcer en faveur d’une force d’interposition européenne. Le 6 août 1991, les Douze demandèrent à l’Union de l’Europe occidentale (UEO) d’examiner comment y procéder, le ministre français des Affaires étrangères Roland Dumas plaidant explicitement pour une force armée de l’UEO. Sur ce, les chefs d’état-major des États membres de l’UEO se mirent au travail. Sous l’impulsion principalement du chef d’état-major français Jacques Lanxade et de son collègue belge José Charlier, quatre scénarios furent élaborés au sein de l’UEO, allant d’une petite force de protection de quelques milliers d’hommes à une véritable armée de 10 000 à 30 000 soldats. Aux yeux de J. Charlier, une telle troupe devait aider à stabiliser les cessez-le-feu locaux afin que ces zones s’étendent progressivement et fassent tache d’huile pour inclure finalement l’ensemble de la Croatie. On pourrait ainsi empêcher que les combats ne gagnent la Bosnie-Herzégovine. Les militaires qui mettaient ces scénarios au point partaient de l’hypothèse que ces opérations pourraient être effectuées en ne comptant pratiquement que sur les forces européennes, sans devoir faire appel aux États-Unis ou à l’infrastructure de l’OTAN.

116Fin octobre 1991, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et le Portugal mirent toutefois leur veto à l’intervention de l’UEO, non pour des raisons militaires, mais pour des motifs purement politiques. Ces trois pays estimaient en effet que des opérations militaires relevaient de la compétence exclusive de l’OTAN, et voyaient dans les initiatives européennes une forme d’érosion de l’OTAN  [81].

117Parce que l’UEO décide selon la règle de l’unanimité, cette opération préventive de l’UEO devenait du même coup impossible. Comme on s’y attendait, le conflit gagna quelques mois plus tard, en mars 1992, la Bosnie-Herzégovine et parvint à un niveau qui dépassait les capacités de l’Union européenne. Celle-ci s’adressa alors à la CSCE puis aux Nations Unies, mais en vain. L’impuissance militaire de l’Union européenne à jouer un rôle dirigeant effectif dans la crise yougoslave amena à renoncer aux objectifs ambitieux d’avant Maastricht en matière de politique étrangère et de sécurité commune, et à un scepticisme généralisé quant aux capacités militaires de l’Union européenne. Le vide ainsi créé fut comblé par la seule organisation dont il avait été décidé au début du conflit en Yougoslavie qu’elle n’y jouerait aucun rôle : l’OTAN.

118Ce n’est que vers la fin de la décennie que le débat sur la défense européenne reprit une certaine vigueur. Les frustrations résultant de l'absence de l’Europe dans la guerre civile en Yougoslavie, et plus particulièrement au Kosovo, amenèrent le président français Chirac et le Premier ministre britannique Blair à donner en 1998 à Saint-Malo une nouvelle impulsion à la défense européenne.

119Cette nouvelle donne dans le contexte européen donnèrent au nouveau gouvernement (arc-en-ciel) de Guy Verhofstadt, qui entra en fonction en juillet 1999, l’occasion de confirmer le cap pro-européen dans lequel s’était engagée précédemment la politique belge de défense. De manière très explicite, tant le Premier ministre que le ministre des Affaires étrangères Louis Michel confirmèrent le cap proeuropéen dans lequel s’était engagé le pays en matière de défense. « Je ne veux pas être le valet des États-Unis », déclara Louis Michel dans une de ses premières grandes interviews aux journaux  [82]. Devant ses diplomates, il souligna que l’Union européenne devait se développer et devenir une « Europe puissance » – comme l’avait fait dix ans auparavant l’ancien chef d’État-Major belge, le général José Charlier – afin d’ainsi contribuer à « reconstituer un monde multipolaire où ne prédomine pas l’unilatéralisme d’une seule grande puissance  [83] ».

120Guy Verhofstadt, lui aussi, défendit systématiquement ce point de vue. Il évoqua à plusieurs reprises le rôle « autonome » de l’Union européenne en matière de politique de défense  [84]. Dans une note au Conseil des ministres, fin 2002, il affirme explicitement qu’un éventuel renforcement des efforts de défense belges ne pouvait être envisagé que dans le cadre de l’édification d’une défense européenne. L’initiative la plus concrète que prit dans ce domaine le gouvernement belge fut le sommet européen d’avril 2003 consacré à la défense, affublé par ses détracteurs du qualificatif de « sommet des pralines ». Une série d’options politiques destinées à raffermir les capacités de défense de l’Europe et l’autonomie opérationnelle de l’Union européenne firent l’objet de discussions avec la France, l’Allemagne et le Luxembourg. La plus controversée était la création éventuelle d’un quartier général (« un noyau de capacité collective ») de planification et la conduite des opérations européennes  [85]. Malgré les vives critiques qui leur furent adressées au sein de l’OTAN, la plupart des initiatives examinées à l’époque furent mises à exécution d’une manière ou d’une autre dans les années suivantes.

121L’agacement à Washington et dans les autres États membres de l’OTAN découlait de la crainte d’une incompatibilité entre autonomie européenne et loyauté atlantique – et le leadership américain. Aussi le gouvernement Verhofstadt mettait-il fortement l’accent sur les avantages qui en résultaient pour l’OTAN : des efforts accrus de l’Europe en matière de défense pouvaient en effet bénéficier également à l’OTAN. Mais le scepticisme quant à l’évolution de l’OTAN n’en restait pas moins sensible : « Il semble bien que l’OTAN ne sera plus à l’avenir une alliance. Les USA poussent l’OTAN dans la direction d’une coalition lâche qui, en fonction de l’ennemi, sera composée différemment et utilisera des moyens différents. On formera donc à la carte une coalition contre tel ou tel ennemi  [86]. » Lors des préparatifs d’un sommet de l’OTAN à Prague en novembre 2002, le Premier ministre Verhofstadt se montra soucieux de ce qu’on appelait, dans les milieux diplomatiques, « l’instrumentalisation » de l’OTAN, en d’autres termes la transformation de l’alliance en une « boîte à outils » utilisée par Washington comme bon lui semble et servant de base à une série changeante de coalitions of the willing. Pour la Belgique, une telle stratégie, fondée sur des coalitions temporaires d’États « volontaires », ne pouvait jeter les bases solides d’un système international.

122Afin de s’opposer à une telle instrumentalisation de l’OTAN, Guy Verhofstadt en revint à partir de 2003 à une idée qu’avait aussi défendue (en vain) Pierre Harmel, celle d’un « nouvel atlantisme », d’une alliance construite sur deux piliers équivalents, l’un américain, l’autre européen  [87]. Ce qui supposait, aux dires du Premier ministre Verhofstadt, que l’Union européenne renforce sa coopération en matière de politique de sécurité et de défense pour pouvoir en arriver à une force de défense européenne capable de prendre des décisions de façon autonome et de les exécuter. Ce nouvel atlantisme, ajoutait Guy Verhofstadt, convient au monde multipolaire vers lequel nous évoluons. Comme le disait la déclaration gouvernementale de 2003, l’Union européenne « ne deviendra un partenaire et un acteur crédible au niveau mondial que si elle dispose d’une capacité de défense européenne propre cadrant dans le partenariat stratégique entre l’Union européenne et l’OTAN ». Mais l’insistance belge à souligner l’autonomie de l’Europe ne s’accordait pas bien avec l’attitude de Washington, qui craignait de voir une défense européenne structurée placer sans cesse les États-Unis devant des faits accomplis et rendre inopérante la tendance américaine traditionnelle à profiter de la division entre États européens. Cette divergence d’opinions s’ajoutait au contentieux belgo-américain existant et contribua, en 2003, au climat explicitement antibelge qui régnait à Washington.

123Aussi put-on clairement percevoir lors des négociations gouvernementales de 2003, à en croire Bert Anciaux (Spirit), une hypersensibilité à « tout ce qui pourrait heurter les Américains  [88] ». À partir de 2004 on s’efforça, tant du côté belge que du côté américain, de normaliser les relations entre les deux pays sur la base d’un principe pragmatique : « Agree where we can, agree to disagree where we can. » Mais dans un premier temps, on ne peut pas dire que la bonne intelligence se soit pour autant réinstallée entre les deux pays. La politique de l’administration G.W. Bush était, pour cela, trop éloignée du mainstream belge. Lors d’un congrès à Gand en 2004, Louis Michel formula la situation comme suit : « Oui au fellowship, non au followship[89]. » Son successeur Karel De Gucht, qui poursuivit la normalisation avec Washington, défendait la même position de distance critique vis-à-vis des États-Unis : « Les États-Unis ont évolué ces deux dernières décennies, dans leur ensemble, dans le sens du conservatisme. L’Europe du New Deal n’existe pas en ce moment  [90]. »

8. LA VISION BELGE SUR LE RÔLE AMÉRICAIN DANS LE MONDE

124Lorsque les États-Unis entrèrent en Irak en 2003 avec une coalition of the willing, le gouvernement Verhofstadt réagit de manière pratiquement identique à celle du gouvernement Martens en 1990 face à la Guerre du Golfe. Le Conseil des ministres du 6 septembre 2002 jugea cruciaux le rôle des Nations Unies et celui de l’UE. Il confirma qu’aucun pays – lire : les États-Unis – n’a le droit d’intervenir en dehors des Nations Unies. Le Premier ministre Verhofstadt confirma par ailleurs le souhait de la Belgique de voir l’Europe défendre une position commune lors du Conseil européen de Barcelone en mars 2002. Par contre, la Belgique considérait que l’OTAN n’avait en l’espèce aucun rôle à jouer. À ses yeux, le recours aux moyens militaires était la solution ultime, et elle était très attachée à la nécessité de forcer enfin une solution dans le conflit israélo-palestinien. Enfin, jusqu’à la fin, la Belgique s’efforça de parvenir à une solution diplomatique – comme le démontra la rencontre bilatérale entre Louis Michel et Tarek Aziz en février 2002.

125La guerre contre l’Irak, de même que la loi de compétence universelle  [91] et le plaidoyer belge en faveur de l’autonomie internationale de l’Europe, entraîna le gouvernement belge dans une de ses plus graves confrontations avec les États-Unis depuis la fin de la Guerre froide.

126Aux États-Unis, on se demanda publiquement si la Belgique pouvait encore être considérée comme un allié des Américains  [92]. La Belgique devint l’objet d’une intense campagne américaine, tant dans la presse que de la part des responsables politiques. Dans la presse, la Belgique fut rangée dans « l’axe des froussards » (axis of weasels)  [93] et l’on proclama qu’elle était l’exemple-type de pays « qui n’ont aucune importance stratégique, qui sont incapables de contribuer d’aucune façon à des opérations alliées, des profiteurs en matière de dépenses de défense et infectés d’un pacifisme hypocrite  [94] ». Un membre démocrate du Congrès, Gary Ackerman, déposa en mai 2003 une proposition de loi rapidement qualifiée de « Belgian invasion act » parce qu’elle proposait de donner au président américain le pouvoir d’engager « tous les moyens nécessaires » afin de venir à l’aide ou d’obtenir la libération de tous les Américains qui seraient cités à comparaître devant un tribunal belge sur la base de la loi sur la compétence universelle  [95].

127C’est surtout la menace de voir le quartier général de l’OTAN se retirer d’Evere, lancée publiquement par le ministre américain de la défense Donald Rumsfeld en juin 2003, qui fit impression, tant en Belgique qu’à l’étranger. C’était là, déclara Louis Michel, la goutte d’eau qui faisait déborder le vase, et qui amena le gouvernement belge à décider d’adapter en profondeur la loi de compétence universelle  [96].

128L’antiaméricanisme n’a jamais été le moteur de l’orientation proeuropéenne de la Belgique en matière de défense. L’opposition à l’intervention américaine en Irak découlait de la très classique aversion de la Belgique envers tout déséquilibre ou imprévisibilité dans les rapports internationaux. Une grande puissance qui dispose d’une supériorité militaire et déclare vouloir en faire usage en tant qu’instrument politique tout en affirmant ne pas vouloir se plier aux règles qui s’appliquent aux autres États est, en effet, une source d’imprévisibilité dans le système international. Tel est précisément le scénario catastrophe qu’a toujours craint plus que tout la diplomatie belge depuis la naissance du pays.

129Au jour même – littéralement – de son indépendance, la Belgique s’est trouvée entourée d’États plus puissants qui se sentaient constamment appelés à décider, par-dessus la tête des Belges, de l’avenir du nouvel État. Contrairement aux Pays-Bas, la Belgique a dès sa création été confrontée au fait qu’elle était un petit pays, disposant de peu de moyens de puissance propres, coincé entre les aléas de la politique de puissance de ses grands voisins et menacée sans cesse dans son existence même lorsque le statu quo international était en péril. Assurer l’autonomie de la Belgique fut donc d’emblée l’un des ingrédients de base de l’intérêt vital du pays.

130Ceci explique l’aversion de la Belgique envers une influence trop marquée des grandes puissances sur de petits États comme la Belgique et envers l’imprévisibilité internationale qui réduit les petits États au rôle de jouet des grands. La Belgique a donc toujours cherché à limiter autant que possible le pouvoir et l’influence que pouvaient avoir sur elle les grands puissances – ce qui permet à un petit État sans guère de moyens de puissance propres de se couvrir partiellement contre un retour à une politique de puissance pure et dure et contre les aléas de la politique de puissance des grands États. Depuis l’entre-deux-guerres et surtout après la Seconde Guerre mondiale, la Belgique a traduit ce principe en une règle de base : le maintien d’un système international basé sur des règles fixes est du plus élémentaire intérêt pour un petit État, que ce soit au niveau de l’Europe ou au niveau mondial.

131Josef Joffe, éditorialiste et universitaire allemand, a expliqué comme suit l’objectif qui sous-tend la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) : la PESC a moins pour but de prendre position contre les États-Unis que d’accroître l’autonomie relative vis-à-vis de ce pays. « Its (PESC) purpose is not to oppose the United States outright, but to enhance Europe’s relative power vis-à-vis the United States with an asset that might increase European autonomy or diminish US preponderance  [97]. »

132Tout comme Frank Vandenbroucke, le président du SP au moment de la Guerre du Golfe, l’avait conclu en 1991, la guerre contre l’Irak de 2003 renforça aux yeux de Guy Verhofstadt l’idée que pour être internationalement crédible, l’Union européenne doit pouvoir disposer d’une capacité de défense autonome. Son projet pour une architecture mondiale est celui d’un monde multipolaire dont l’Union européenne est l’un des piliers  [98].

133L’attitude de base de la Belgique vis-à-vis de la relation transatlantique se résume en fait à la recherche d’un « contrepoids » – même si ce terme n’est pas utilisé officiellement, en raison des malentendus qu’il suscite  [99]. Plutôt que de « contrepoids » – terme discutable – il vaut mieux sans doute parler d’un « mécanisme de correction » dans les rapports de forces internationaux. Certains ont cependant été on ne peut plus clairs. C’est ainsi que Jean-Luc Dehaene (CD&V) affirma en décembre 2001 que l’Europe devait entreprendre, dans le deuxième et dans le troisième pilier, les mêmes avancées importantes que dans le premier pilier, de sorte que l’Union européenne puisse devenir une « contre-puissance » des États-Unis sur la scène mondiale. On retrouve la même idée dans le Plan stratégique 2000-2015 du ministre André Flahaut (PS) : « Chercher à maintenir l’engagement américain ne signifie pas qu’il puisse être question d’une hégémonie des États-Unis. Pour faire contrepoids à ceci, il s’indique de renforcer la dimension européenne au sein de l’OTAN  [100]. »

134Les Belges considéraient que les États-Unis, sous le premier mandat de l’administration G.W. Bush, étaient devenus trop dominants, d’autant que ce pays avait choisi de privilégier le recours à l’unilatéralisme. La Belgique ne revint jamais non plus sur sa conviction que sa position dans le dossier irakien était correcte. C’est notamment pour ce motif que la Belgique mit fortement l’accent, lors de la préparation du sommet de l’OTAN à Riga en septembre 2006, sur la nécessité de respecter l’article 7 de la Charte de l’OTAN – qui confirme la prééminence des Nations Unies sur l’OTAN  [101].

135La Belgique a adopté également la même position depuis 2002 dans le débat sur les ambitions mondiales de l’OTAN. « Out of area or out of business », tel était le slogan entendu dès les années 1990 aux États-Unis pour mettre en garde contre le risque de voir l’OTAN perdre sa raison d’être après la fin de la Guerre froide. L’engagement de l’OTAN en Irak et en Afghanistan fut dès lors considéré par certains États membres comme la prémisse d’un tel rôle mondial de l’OTAN. L’ancien Premier ministre Verhofstadt souscrivait certes au principe d’un rôle mondial dévolu à l’OTAN (« réseau de sécurité international »)  [102], mais il le subordonnait à deux conditions qui restreignaient ce rôle : un pilier européen autonome et la primauté des Nations Unies sur toutes les autres organisations de sécurité. Ce qui implique, aux yeux des Belges, que toutes les opérations de l’OTAN engagées en dehors du champ du traité proprement dit doivent être couvertes par un mandat de l’ONU.

CONCLUSION

136En 2009, les relations transatlantiques entre Bruxelles et Washington se sont totalement normalisées. Ce résultat est notamment dû au revirement américain, sous le deuxième gouvernement Bush, sur la question de l’autonomie européenne en matière de défense. En février 2008, l’ambassadeur américain auprès de l’OTAN Victoria Nuland déclara pour la première fois que les États-Unis étaient désormais partisans d’une Europe « plus forte », dotée en outre d’une autonomie propre. Ce point de vue fut confirmé lors du sommet de l’OTAN de Bucarest en avril 2008  [103].

137Ce changement dans l’attitude américaine permit à la Belgique de faire plus facilement le lien entre la primauté européenne en matière de défense et la loyauté atlantique – exercice d’équilibre parfois encore délicat, en effet, lors de la décennie écoulée.

138Il est d’autant plus frappant de constater qu’en 2009, le consensus belge sur la primauté proeuropéenne en matière de défense semble compromis, selon certains observateurs. Lors des longues négociations pour former une coalition gouvernementale qui suivirent les élections du 10 juin 2007, le formateur Yves Leterme (CD&V) présenta des textes qui ne parlaient plus d’une « autonomie » européenne mais, à première vue, impliquaient un retour à la primauté atlantique. Cette impression se trouve renforcée par les positions semble-t-il plus explicitement proatlantiques du ministre de la Défense Pieter De Crem (CD&V). Lors d’une visite au Pentagone en juin 2008, ce dernier déclara qu’il « mettait à exécution une partie du programme de son parti [le CD&V] », à savoir qu’il faut « d’urgence rétablir les relations transatlantiques et renoncer à la diplomatie parallèle  [104] ».

139Pourtant, il ne semble pas être question d’un nouveau changement de cap stratégique dans un sens à nouveau plus proatlantique. Il est frappant, par exemple, que la note politique présentée fin 2008 par le ministre de la Défense De Crem fasse expressément référence, en tant qu’objectif à long terme, à la « construction d’une armée européenne réelle » dont devrait disposer l’UE. Cette déclaration est même plus explicite que les déclarations en ce sens par des gouvernements belges dans un passé récent.

140Sans doute ces contradictions apparentes reflètent-elles des différences d’accent plutôt qu’un nouveau changement de cap stratégique. Tout laisse à penser, en effet, que le primat européen continuera sans plus de dominer la politique belge de sécurité alors même que le centre de gravité politique des relations transatlantiques, manifestement, se déplace progressivement de l’OTAN vers les États-Unis d’une part et vers l’Union européenne de l’autre  [105]. L’OTAN a cessé d’être le forum où se tient le débat politique entre l’Europe et l’Amérique. Il existe aujourd’hui un dialogue direct entre l’Union européenne et Washington sur bon nombre de sujets (par exemple Galileo ou l’Iran). De nombreux dossiers prioritaires ne sont en effet pas en premier lieu liés à des questions de sécurité. L’OTAN n’a guère ou pas d’expérience pour ce qui est de la crise financière, du changement climatique et de l’énergie par exemple. Même lorsqu’il s’agit de sécurité, on constate une grande unanimité en faveur d’une comprehensive approach associant bon nombre de domaines non militaires. Dans certains dossiers, comme les relations avec la Russie, l’OTAN fait de surcroît partie du problème plutôt que de sa solution.

141De fait, l’OTAN évolue et devient dans les faits une alliance fondée sur deux piliers, avec l’Union européenne (et ses États membres) et les États-Unis comme véritables « décideurs de première ligne ». Ce sont les acteurs qui peuvent mener une politique étrangère digne de ce nom, allant du commerce et du développement à la diplomatie et à la défense en passant par les droits de l’homme et la démocratie. Un autre point fort de l’Union européenne est que, contrairement à l’OTAN, elle est davantage qu’une simple organisation intergouvernementale.

142À l’étranger, on juge souvent peu crédible le plaidoyer belge en faveur d’une plus grande autonomie européenne en matière de politique étrangère et de défense. La Belgique, pensent d’aucuns, est mal placée pour se faire l’avocat d’une défense européenne : elle détient la lanterne rouge pour ce qui est des dépenses en la matière. Cette critique n’est pas sans fondement – sans doute est-elle inévitable : l’histoire politique belge connaît en effet depuis la naissance du pays une tradition antimilitariste bien ancrée, présente dans toutes les familles politiques sans exception, fût-ce pour des motifs différents  [106]. Le poids de cette tradition pèse sur chaque gouvernement belge, qu’il opte pour un cap proeuropéen ou pour un cap proatlantique.

Notes

  • [1]
    Sur les origines de la Guerre froide, cf. R. COOLSAET, La politique extérieure de la Belgique. Au cœur de l’Europe, le poids d’une petite puissance, Bruxelles, De Boeck Université (Pol-His), 2002, pp. 41-73.
  • [2]
    L. DE VOS, Documents diplomatiques belges 1941-1960, tome II, « Défense », n° 72, pp. 205-207.
  • [3]
    F. VAN LANGENHOVE, La sécurité de la Belgique. Contribution à l’histoire de la période 1940-1950, Éditions de l’ULB, 1971, pp. 129-136.
  • [4]
    M.-T. BITSCH, Histoire de la construction européenne de 1945 à nos jours, Bruxelles, Complexe, 1996, pp. 24-25. Sur les visions de l’Europe au sein de la communauté belge de Londres, cf. J. GOTOVITCH, « Perspectives européennes dans la Résistance et à Londres durant la guerre », in M. DUMOULIN. (red.), La Belgique et les débuts de la construction européenne. De la guerre aux traités de Rome, Ciaco, 1987, p. 40 ; « Snoy », in ibidem, pp. 159-160 ; L. DE VOS, Documents diplomatiques belges 1941-1960, tome I, n° 55, pp. 194-196.
  • [5]
    C. WIEBES, B. ZEEMAN, « A star is born. Militaire alliantievorming in de Atlantische regio, 1945-1948 », Mededelingen van de subfaculteit der algemene politieke en sociale wetenschappen, n° 31, Amsterdam, 1983, p. 37.
  • [6]
    Idem, Belgium, the Netherlands and alliances, 1940-1949, Rijksuniversiteit Leiden, thèse de doctorat, 1993, p. 28.
  • [7]
    J. WILLEQUET, Paul-Henri Spaak. Un homme, des combats, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1975, pp. 135-136.
  • [8]
    M DUMOULIN, Spaak, Bruxelles, Racine, 1999, p. 275.
  • [9]
    P.-F. SMETS, La pensée européenne et atlantique de Paul-Henri Spaak (1942-1972), Bruxelles, Goemaere, 1980, tome I, p. 42 ; J. GOTOVITCH, Perspectives européennes, pp. 43-44.
  • [10]
    J.-F. CROMBOIS, Camille Gutt. Les finances et la guerre (1940-1945), Gerpinnes-Bruxelles, Quorum-Ceges, 2000, p. 352.
  • [11]
    L. DE VOS, Documents diplomatiques belges 1941-1960, tome II, n° 170, pp. 407-409.
  • [12]
    Sur l’attitude de Staline à propos du monopole nucléaire américain, cf. J.-L. GADDIS, Now we know. Rethinking Cold War history, Oxford, Clarendon Press, 1997, pp. 95-97.
  • [13]
    P.-F. SMETS, La pensée européenne et atlantique de Paul-Henri Spaak (1942-1972), op. cit., pp. 89-90 ; C. WIEBES, B. ZEEMAN, « A star is born. Militaire alliantievorming in de Atlantische regio, 1945-1948 », op. cit., p. 69.
  • [### 15]
    M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., pp. 403-404.
  • [16]
    P. MELANDRI, Les États-Unis face à l’unification de l’Europe 1945-1954, Paris, Éditions E. Pedone, 1980, p. 97.
  • [17]
    C. WIEBES, B. ZEEMAN, Belgium, the Netherlands and alliances, 1940-1949, op. cit., p. 123.
  • [18]
    P.-F. SMETS, La pensée européenne et atlantique de Paul-Henri Spaak (1942-1972), op. cit., pp. 12 et 19.
  • [19]
    Ibidem, p. 123.
  • [20]
    C. WIEBES, B. ZEEMAN, Belgium, the Netherlands and alliances, 1940-1949, op. cit., p. 123 ; P.-F. SMETS, La pensée européenne et atlantique de Paul-Henri Spaak (1942-1972), op. cit., pp. 81-85.
  • [21]
    G. KURGAN-VAN HENTENRYK, « La Belgique et le Plan Marshall. Les négociations belgo-américaines juin 1947-juillet 1948 », in Le Plan Marshall et le relèvement économique de l’Europe, Colloque, 21 au 23 mars 1991, Paris, Commission pour l’histoire économique et financière, 1993, p. 77.
  • [22]
    S. GODTS-PETERS, « Le rôle des Belges dans l’élaboration d’un système de paiements en Europe de 1947 à l’Union européenne de paiements », in M. DUMOULIN. (red.), La Belgique et les débuts de la construction européenne. De la guerre aux traités de Rome, op. cit., pp. 89-90 ; G. KURGAN-VAN HENTENRYK, « La Belgique et le plan Marshall ou les paradoxes des relations belgo-américaines », Revue belge de philologie et d’histoire, LXXI, 1993,2, pp. 305-308 et 333.
  • [23]
    C. WIEBES, B. ZEEMAN, Belgium, the Netherlands and alliances, 1940-1949, op. cit., p. 172 ; D. YERGIN, Shattered peace. The origins of the Cold War and the national security state, Boston, Houghton Mifflin Co, 1977, pp. 343-345. Cf également F. COGELS, Souvenirs d’un diplomate. Du gâteau avec les duchesses, Bruxelles, Hervé Douxchamps, 1983, p. 96.
  • [24]
    G. F. KENNAN, Memoirs 1925-1950, New York, Pantheon, 1967, tome I, p. 379 ; Foreign Relations of the United States, Washington, GPO, 1947,1, p. 773 ; C. WIEBES, B. ZEEMAN, Belgium, the Netherlands and alliances, 1940-1949, op. cit., p. 172.
  • [25]
    Foreign Relations of the United States, Washington, GPO, 1948,3, pp. 46-48 et 76 ; L. KAPLAN, The United States and NATO. The formative years. Lexington, University Press of Kentucky, 1984, pp. 73-74 ; M. DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 416.
  • [26]
    E. REID, Time of fear and hope. The making of the North Atlantic Treaty, 1947-1949, Toronto, McClelland and Steward, 1977, p. 116.
  • [27]
    C. WIEBES, B. ZEEMAN, Belgium, the Netherlands and alliances, 1940-1949, op. cit., p. 252.
  • [28]
    National Archives (Washington), Young to Secretary of State, 16 février 1949 (855.00/2-1649).
  • [29]
    Foreign Relations of the United States, Washington, GPO, 1948,3, pp. 233 et 281.
  • [30]
    L. DE VOS, Documents diplomatiques belges 1941-1960, op. cit., n° 118, pp. 289-290 ; C. WIEBES, B. ZEEMAN, Belgium, the Netherlands and alliances, 1940-1949, op. cit., pp. 303 et 389.
  • [31]
    Ibidem, p. 172.
  • [32]
    National Archives (Washington), Millard (US Embassy Brussels) to Secretary of State, 2 décembre 1947 et réaction de Lovett à Millard, 4 décembre 1947 (855.00/12-247) ; M DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 431.
  • [33]
    L. DE VOS, Documents diplomatiques belges 1941-1960, n° 121 et 122 ; idem, « La Communauté européenne de défense, une occasion manquée ? », in M. DUMOULIN. (red.), La Belgique et les débuts de la construction européenne. De la guerre aux traités de Rome, op. cit., p. 109 ; P. DELOGE, « L’armée belge et la CED », in M. DUMOULIN. (red.), La Communauté européenne de défense, leçons pour demain ?, Bruxelles, Presses interuniversitaires européennes, Euroclio 15,2000, pp. 163. La Belgique ne souhaitait au départ mettre à disposition que 6 000 hommes. Ensuite, ce nombre fut porté à 12 000.
  • [34]
    L. DE VOS, L., Documents diplomatiques belges 1941-1960, tome II, n° 103, p. 264.
  • [35]
    ROTHSCHILD, « Une certaine idée de l’Europe », in Le rôle des Belges et de la Belgique dans l'édification européenne, Studia Diplomatica, XXXIV, 1981, p. 53 ; L. DE VOS, Documents diplomatiques belges 1941-1960, op. cit., n° 142, p. 350.
  • [36]
    L. DE VOS, « La Communauté européenne de défense, une occasion manquée ? », op. cit., pp. 108-109 ; idem, Documents diplomatiques belges 1941-1960, op. cit., n° 141 et 142.
  • [37]
    H. BRUGMANS, L’idée européenne 1918-1966, Bruges, De Tempel, 1966, p. 160.
  • [38]
    P.-F. SMETS, La pensée européenne et atlantique de Paul-Henri Spaak (1942-1972), op. cit., p. 470.
  • [39]
    Foreign Relations of the United States, Washington, GPO, volume 1955-1957,4, p. 19.
  • [40]
    P.-H. SPAAK, « De politiek van West-Europa », in Textes et Documents, 195, janvier 1965 ; D. PAULUS, Les milieux dirigeants belges et l’adhésion du Royaume-Uni aux Communautés européennes, Bruxelles, ULB, Éditions de l’Institut de sociologie, 1971, p. 212 n° 42.
  • [41]
    P.-H. SPAAK, Combats inachevés, Paris, Fayard, 1969, tome 1, p. 229 ; F. MUÛLS, Quarante années au service de l’État 1919-1959, S. l., 1994, p. 365 ; M DUMOULIN, Spaak, op. cit., p. 538.
  • [42]
    Foreign Relations of the United States, Washington, GPO, 1955-1957,4, pp. 107 et 116.
  • [43]
    F. MUÛLS, Quarante années au service de l’État 1919-1959, op. cit., p. 365.
  • [44]
    P.-H. SPAAK, Combats inachevés, op. cit., p. 229.
  • [45]
    Idem, Pourquoi l'OTAN ?, Paris, Plon, 1959, pp. 35-37.
  • [46]
    R. ROTHSCHILD, Un Phénix nommé Europe. Mémoires 1945-1995. Bruxelles, Racine, 1997, p. 198.
  • [47]
    P.-H. SPAAK, Combats inachevés, op. cit., tome 2, p. 214 ; R. JORDAN, Political leadership in NATO, Boulder, Westview, 1979, p. 72 ; E. REID, Time of fear and hope. The making of the North Atlantic Treaty, 1947-1949, op. cit., p. 250 ; P. WINAND, Eisenhower, Kennedy and the United States of Europe, New York, St. Martin’s Press, 1993, pp. 198-199.
  • [48]
    P.-H. SPAAK, Pourquoi l’OTAN ?, op. cit., pp. 35-37.
  • [49]
    P.-H. SPAAK, « The atom bomb and NATO », Foreign Affairs, vol. 33, n° 3, avril 1955, pp. 357-358.
  • [50]
    Idem, Combats inachevés, op. cit., tome 2, p. 217.
  • [51]
    « Le transfert du Shape et du Conseil de l’OTAN en Belgique », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 357,1967 ; M. VINCINEAU, « Le Parlement belge devant la crise de l’Alliance atlantique », Chronique de politique étrangère, XXI, 1er janvier 1968.
  • [52]
    Chambre, Ann. parl., 16 juin 1966, pp. 22,31 et 38 ; Sénat, Ann. parl., 21 juin 1966, pp. 1363-1369.
  • [53]
    Chambre, Ann. parl., 16 juin 1966, p. 27.
  • [54]
    La Libre Belgique, 27 juin 1966 ; P. STRUYE, Problèmes internationaux 1927-1972, Bruxelles, Larcier, Travaux de la faculté de droit de Namur, 1972, tome 1, pp. 71-74.
  • [55]
    Chambre, Ann. parl., 14 juin 1966, p. 15 ; La Cité, 6 septembre 1966. Sur Pierre Harmel, cf. également V. DUJARDIN, Harmel, Bruxelles, Le Cri, 2004,823 p.
  • [56]
    Foreign Relations of the United States, Washington, GPO, 1964-1968, XIII, n° 300.
  • [57]
    H. VAN DER VELDEN, H.-A. VISÉE, Ontspanning in Europa. De Conferentie over Veiligheid en Vrede in Europa. Baarn, Het Wereldvenster, 1976, pp. 102-103. Sur le dialogue bilatéral belgo-polonais, cf. L. COLOT, « La politique belge en matière de détente et de coopération en Europe », Chronique de politique étrangère, XXII, n° 1, janvier 1969, p. 73 ; NRC-Handelsblad, 29 avril 1968 ; Knack, 14 mai 1980 ; « La Belgique et la CSCE », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 707,1976, pp. 6-7 ; M. HAYOUL, « L’Europe de l’Est, le groupe des Neuf et P. Harmel », La Revue Nouvelle, 15 juin 1967, pp. 637-638.
  • [58]
    Foreign Relations of the United States, Washington, GPO, 1964-1968, XIII, n° 300.
  • [59]
    Chambre, Ann. parl., 26 novembre 1974, p. 381 – traduction de Serge Govaert.
  • [60]
    P. VAN DE MEERSCHE, « Bilan Belgisch buitenlands beleid 1979 », Res Publica, XXII, 1980, pp. 468-469.
  • [61]
    B. ADAM, « Sécurité de l’Europe et relance de l’UEO », Bruxelles, GRIP, Notes et documents, 72-73, 1984, p. 7 ; De Morgen, 17 avril 1980.
  • [62]
    J. DEAN, Watershed in Europe, Lexington, Lexington Books, 1987, p. 185.
  • [63]
    R. J. BARNET, The Alliance, America, Europe, Japan. Makers of the postwar world. New York, Simon and Schuster, 1983, p. 369.
  • [### 65]
    SIPRI, World armaments and disarmament, Yearbook 1983, Londres, Taylor & Francis, 1983, p. 171 (tableau 7A.4).
  • [66]
    B. CRAMER, « Le discours européen entre l’atlantisme et l’européisme », Bruxelles, GRIP, Notes et documents, 120-121,1988, passim ; C. MC ARDLE KELLEHER, « America looks to Europe », in Washington Quarterly, 1984.
  • [67]
    X. MABILLE, La Belgique après la Seconde Guerre mondiale, Bruxelles, CRISP, 2003, p. 224.
  • [68]
    Cf. à ce sujet B. ADAM, A DUMOULIN, É. REMACLE, La modernisation des armes nucléaires à courte portée, Bruxelles, GRIP, décembre 1988.
  • [69]
    R. COOLSAET, Chronique d’une politique étrangère. Les relations extérieures de la Belgique (1988-1992), Bruxelles, Éditions Vie ouvrière, 1992, pp. 15-20.
  • [70]
    Humo, 27 septembre 1989.
  • [71]
    J. HOLLANTS VAN LOOCKE, Vogelvrij. Herinneringen van een diplomaat, Leuven, Van Halewyck, 1999, p. 275.
  • [### 73]
    EYSKENS, Buitenlandse Zaken, Tielt, Lannoo, 1972, pp. 99,104 et 106.
  • [74]
    Eyskens, Buitenlandse Zaken, p. 22.
  • [### 76]
    P. DELWIT, Les partis socialistes et l’intégration européenne, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1995, pp. 223-224.
  • [77]
    M. EYSKENS, « De la défense à l’entente, l’impact de l’implosion du communisme », Bruxelles, Ministère des Affaires étrangères, Textes et Documents 90/1, p. 17.
  • [78]
    International Herald Tribune, 26-27 janvier 1991.
  • [79]
    De Standaard, 1er mars 1991.
  • [80]
    R. COOLSAET, La politique extérieure de la Belgique. Au cœur de l’Europe, le poids d’une petite puissance, op. cit., p. 267.
  • [81]
    Une organisation professionnelle pour l’UEO. La crise yougoslave, Rapport présenté au nom de la commission de Défense par M. De Hoop Scheffer. Assemblée de l’UEO, n° 1294,27 novembre 1991 ; A. DUMOULIN, E. REMACLE, L’Union de l’Europe occidentale. Phénix de la défense européenne, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 235-236 ; J. LANXADE, Quand le monde a basculé, Paris, Nil Éditions, 2001, pp. 105-107 ; N. BOTH, From indifference to entrapment. The Netherlands and the Yugoslav crisis 1990-1995, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2000, p. 110.
  • [82]
    Financieel-Economische Tijd, Le Soir, 4 septembre 1999.
  • [83]
    Discours de L. Michel à l’occasion de l’ouverture des Journées de contact diplomatiques, Bruxelles, 4 septembre 2000.
  • [84]
    « Een visie op Europa », Discours de G. Verhofstadt à l’European Policy Center, 21 septembre 2000.
  • [85]
    A. DUMOULIN, « La Belgique et le Groupe des Quatre en matière de défense », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1862-1863,2004 ; S. BISCOP, Global Tensions and Their Challenges to Governance of the International Community, ISA, Budapest, juin 26-28 2003.
  • [86]
    Knack, 12 juin 2002.
  • [87]
    « Pleidooi voor een nieuw atlantisme », Hofstadlezing (conférence Hofstad) par Guy Verhofstadt, La Haye, 21 février 2003.
  • [88]
    De Morgen, 22 juillet 2004.
  • [89]
    Studia Diplomatica, LVII, 2004,3, p. 20.
  • [90]
    Knack, 22 novembre 2006.
  • [91]
    La loi belge sur la compétence universelle était le fruit d’une initiative parlementaire, adoptée à l’unanimité par le Parlement en 1993. Elle octroyait au juge belge une compétence universelle pour connaître des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide, indépendamment du lieu où l’infraction a été commise, de la nationalité de la victime et de l’endroit où se trouve l’auteur présumé. À l’origine elle fut acclamée comme une avancée significative en matière de droit international, mais suite aux critiques internationales et à son invocation jugé surréaliste contre Louis Michel et José Happart elle fut remaniée en profondeur par le deuxième gouvernement Verhofstadt en juillet 2003. Cf. à ce sujet R. COOLSAET, « Perspectieven op het Belgisch buitenlands beleid anno 2004 », in La Belgique et sa politique étrangère : 2002-2004, Institut Egmont (IRRI), Studia Diplomatica, 2004 [2005], LVII, 4, pp. 31-44.
  • [92]
    Wall Street Journal, 15 mai 2003.
  • [93]
    New York Post, 12 janvier 2003.
  • [94]
    Wall Street Journal, 7 février 2003.
  • [95]
    House of Representatives, 108th Congress, 1st session, HR 2050,9 mai 2003.
  • [96]
    Le Soir, 24 juin 2003.
  • [97]
    J. JOFFE, « Who’s afraid of Mr. Big ? Global Relations with the United States », in The National Interest, 2001.
  • [98]
    Discours de Guy Verhofstadt devant le Parlement européen, 31 mai 2006.
  • [99]
    De Standaard, 17 janvier 2004.
  • [100]
    Plan stratégique pour la modernisation de l’armée belge 2000-2015. Propositions concrètes pour entrer dans le 21e siècle, Bruxelles, p. 17 (traduction de Serge Govaert).
  • [101]
    Cf. à ce sujet l’ambassadeur Dominique Struye, « België en de transformatie van de NAVO » Studia Diplomatica, LX, 2007, Suppl., pp. 96-97.
  • [102]
    Guy Verhofstadt, Parlement européen, 31 mai 2006.
  • [103]
    « U.S. Ambassador to NATO Victoria Nuland’s Speech in London », <http ://nato.usmission.gov-/ambassador/2008/>.
  • [104]
    De Standaard, 9 juin 2008.
  • [105]
    S. BISCOP, « Preparing for the NATO Summit : from Allies to Partners », 2 février 2009, <www. acus. org/ new_atlanticist/ preparing-nato-summit-allies-partners>.
  • [106]
    F. LEHOUCK, Het antimilitarisme in België 1830-1914, Anvers, Standaard, 1958.
Français

Depuis son indépendance, la Belgique a toujours été soumise aux aléas de la politique de ses grands voisins et menacée parfois dans son existence lorsque le statu quo international était en péril. Assurer l'autonomie de la Belgique fut donc d'emblée un intérêt vital du pays.
Ceci explique l’aversion de la Belgique envers une influence trop marquée des grandes puissances sur les petits États et envers l'imprévisibilité internationale qui les réduit au rôle de jouets des grands. Depuis l'entre-deux-guerres et surtout après la Deuxième Guerre mondiale, la Belgique a soutenu un système international basé sur des règles fixes, que ce soit au niveau de l'Europe ou au niveau mondial.
Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, l'État belge se révéla être un partisan convaincu d'une défense ouest-européenne sous direction britannique. Dans les décennies qui suivirent, la Belgique se montra cependant un fidèle partenaire de l'OTAN. Mais la bonne intelligence entre Bruxelles et Washington n'empêcha pas des crises profondes de troubler de temps à autre cette sérénité. La chute du Mur de Berlin en 1989 entraîna un débat sur une nouvelle architecture de sécurité en Europe. En Belgique, on en revint alors à l'option européenne défendue par Paul-Henri Spaak dans la période 1945-1948. Faire le lien entre la primauté européenne en matière de défense et la coopération atlantique est un exercice d'équilibrisme, pas toujours simple à réaliser.

Rik Coolsaet
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Depuis son indépendance, la Belgique a toujours été soumise aux aléas de la politique de ses grands voisins et menacée parfois dans son existence lorsque le statu quo international était en péril. Assurer l'autonomie de la Belgique fut donc d'emblée un intérêt vital du pays. Ceci explique l’aversion de la Belgique envers une influence trop marquée des grandes puissances sur les petits États et envers l'imprévisibilité internationale qui les réduit au rôle de jouets des grands. Depuis l'entre-deux-guerres et surtout après la Deuxième Guerre mondiale, la Belgique a soutenu un système international basé sur des règles fixes, que ce soit au niveau de l'Europe ou au niveau mondial. Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, l'État belge se révéla être un partisan convaincu d'une défense ouest-européenne sous direction britannique. Dans les décennies qui suivirent, la Belgique se montra cependant un fidèle partenaire de l'OTAN. Mais la bonne intelligence entre Bruxelles et Washington n'empêcha pas des crises profondes de troubler de temps à autre cette sérénité. La chute du Mur de Berlin en 1989 entraîna un débat sur une nouvelle architecture de sécurité en Europe. En Belgique, on en revint alors à l'option européenne défendue par Paul-Henri Spaak dans la période 1945-1948. Faire le lien entre la primauté européenne en matière de défense et la coopération atlantique est un exercice d'équilibrisme, pas toujours simple à réaliser.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2009
https://doi.org/10.3917/cris.1999.0005
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