CAIRN.INFO : Matières à réflexion

INTRODUCTION

1En dehors de quelques articles du Code pénal ou de certaines modalités d’exécution de la peine comme la libération conditionnelle, la prison n’a jamais fait l’objet d’une législation spécifique en Belgique. Depuis toujours, c’est le pouvoir exécutif, ministre ou administration, qui, par voie d’arrêtés ou de circulaires, a organisé l’administration pénitentiaire et les diverses facettes de l’exécution des peines privatives de liberté. Le principal cadre normatif est l’arrêté royal du 21 mai 1965 portant règlement général des établissements pénitentiaires  [1] qui, pour l’essentiel, se limite à la définition de grands principes que l’administration est censée mettre en œuvre par les circulaires  [2]. Si certaines voix ont régulièrement dénoncé l’insécurité juridique générée par une telle situation ou le fossé creusé par rapport aux normes internationales, le monde politique belge, en général, et le pouvoir législatif, en particulier, généralement indifférents à la question pénitentiaire, semblent s’en être fort bien accommodés durant des décennies.

2Ainsi que l’évoquait Jean Detienne dans une précédente livraison du Courrier hebdomadaire[3], une réforme fut toutefois entamée il y a dix ans, qui a abouti au vote de la loi de principes concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus (loi du 12 janvier 2005). C’est ce long processus que nous voudrions décrire ici, en suivant ses principales phases : l’impulsion politique du projet (première partie), sa rédaction par un membre du monde académique (deuxième partie), sa finalisation par une commission mixte administration – universités (troisième partie), et, enfin, le passage de relais au monde politique (quatrième et cinquième parties).

1. LA NOTE DE CLERCK (JUIN 1996)

3Contrairement à nombre de réformes que la Belgique a connues à la même époque, ce n’est pas un événement médiatisé qui a mis la question pénitentiaire à l’agenda politique, mais un ministre désireux d’innover en élaborant une politique cohérente. Au mois de juin 1996, un an après son entrée en fonction, le ministre de la Justice Stefaan De Clerck (CVP) déposait en effet au Parlement une note d’orientation Politique pénale et exécution des peines, dans laquelle il soulignait la double finalité de sa politique, eu égard en particulier à la surpopulation galopante des prisons : donner la priorité aux peines alternatives et assurer une exécution digne et efficace des peines privatives de liberté, de manière à promouvoir une « approche positive et axée sur l’obtention de résultats  [4] ». Une telle approche se basait à la fois sur des considérations éthiques et d'efficacité qui conduisent à douter de la fonction dissuasive ou neutralisante de la privation de liberté, et à remettre en cause l'approche de la peine en termes punitifs et répressifs. Le terme « positif » se comprenait ainsi en opposition au terme « répressif », et non seulement ouvrait la voie de la réparation comme axe central de la réaction sociale par le recours au travail d’intérêt général ou à la médiation, mais facilitait aussi la réinsertion sociale du délinquant.

4Un premier élément devait consister à abandonner l’idée que la seule vraie peine est la peine de prison et que les autres sont une faveur accordée au délinquant. Trois arguments seront avancés à l’appui de cette position : l’efficacité supérieure ou à tout le moins égale des peines non privatives de liberté en termes de récidive ; le coût inférieur des peines alternatives, dont le développement permettrait de surcroît d’éviter l’augmentation de la capacité pénitentiaire ; l’humanisation de la réaction pénale en raison, d’une part, du coût social et humain élevé de l’emprisonnement et, d’autre part, des possibilités de prise en compte de la victime par des peines non privatives de liberté.

5En ce qui concerne l'exécution de la privation de liberté, les objectifs en seront une exécution « sûre et humaine » ainsi que la préparation à la réinsertion et la prévention de la récidive. Objectifs qui seront reliés à trois « fonctions » de la peine : la garde, respectant la dignité humaine, mais garantissant la sécurité de la société, ce qui impliquera la rénovation de l'infrastructure pénitentiaire ; la limitation des souffrances supplémentaires à la privation de liberté, par l'adoption d'une loi de principes en matière d'exécution des peines qui édictera les normes nécessaires relatives au traitement des détenus, aux objectifs de la peine et au statut juridique des détenus ; la réinsertion, qui passera par la réparation des dommages causés par l'infraction et par une détention « sensée » qui « contribuera à une meilleure compréhension des circonstances qui ont occasionné la délinquance, à une acceptation plus constructive de la faute, au développement d'aptitudes sociales destinées à résoudre des problèmes, ainsi qu'à une influence positive sur le comportement de sorte que le détenu, ainsi transformé, puisse réintégrer la société  [5] ». Pour couler et préciser cet ensemble dans un cadre légal, singulièrement absent en la matière, le ministre annonça qu’il allait charger Lieven Dupont, professeur de droit pénal, de pénologie et de droit pénitentiaire à la KUL, de préparer un avant-projet de loi établissant les principes relatifs à l’administration pénitentiaire et à l’exécution de sanctions privatives de liberté.

6L’éclatement de l’affaire Dutroux au mois d’août 1996 va cependant modifier le cours de cette politique. Tout d’abord, à l’instar de ce qui s’était passé en 1992 lors de la découverte de la « toxicomanie » de T. Bourgard et T. Muselle, auteurs de l’affaire Marc et Corinne  [6], un certain nombre de mesures vont viser les délinquants dits sexuels : suspension des libérations provisoires de tous ces délinquants (en 1992, il s’agissait des usagers de drogue), installation d’unités d’orientation et de traitement spécialisées dans la délinquance sexuelle (en 1992, ces unités d’orientation et de traitement avait été créées pour prendre en charge les usagers de drogue et limiter les risques de récidive lors de congés pénitentiaires et de libérations conditionnelles), renforcement de l’application de la loi du 13 avril 1995, en particulier en ce qui concerne les délinquants sexuels (en 1993, le collège des procureurs généraux et le ministre de la Justice adoptaient une circulaire visant au renforcement de l’application de la loi de 1921 sur les drogues). Rapidement, force fut de constater la généralisation à de nombreux délinquants des réactions à des formes de criminalité dont on reconnaissait pourtant qu’elles étaient très rares  [7]. Ensuite, le Conseil des ministres du 20 décembre 1996 adopta un nouveau programme de construction de 1 000 nouvelles cellules, à commencer par un établissement de 400 places dans la région de Tubize-Ittre. Cette décision, extrêmement rapide, enterrait ainsi la note de S. De Clerck, sans même attendre l'évaluation, qu'elle annonçait pour 1998, du plan pluriannuel en cours en ce qui concerne l’infrastructure pénitentiaire  [8].

2. DE L’ESSAI D’AVANT-PROJET DE LOI DE PRINCIPES… (1996-1997)

7Ces événements n’empêchèrent toutefois pas le ministre de charger officiellement, mais discrètement, L. Dupont de la rédaction de l’avant-projet de loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et l’exécution des peines privatives de liberté prévu dans sa note d’orientation, en lui demandant qu’il contienne au moins les cinq éléments suivants : les principes de base du régime des détenus, notamment en référence aux règles pénitentiaires européennes  [9] ; les finalités de l’exécution des peines privatives de liberté ; le statut juridique interne du détenu ; le statut juridique externe du détenu  [10] ; le droit de plainte des détenus. Les travaux de L. Dupont, entamés le 1er octobre 1996, furent suivis par un comité d’accompagnement, présidé par un membre du cabinet du ministre et composé de trois fonctionnaires (administration pénitentiaire, Direction générale de la Législation pénale et des Droits de l’homme, et service de la politique criminelle), d’un représentant du Conseil supérieur de politique pénitentiaire (G. Kellens, ULg), d’un magistrat détaché en charge de la mise en œuvre de la note d’orientation (F. Pieters) et d’un expert indépendant (S. Snacken, VUB). Comme prévu, L. Dupont remit son rapport un an plus tard  [11]. Manifestement conscient des problèmes posés par le contexte dans lequel la réforme intervenait, S. De Clerck soulignait dans son avant-propos à ce rapport que, si les événements d’août 1996 avaient nécessité une réaction rapide, notamment par la réforme de la libération conditionnelle (nous y reviendrons), il était « à déplorer que certains objectifs de répression, qui s’avèrent totalement justifiés dans des cas exceptionnellement graves, soient désormais déclarés absolument prioritaires pour tout délinquant sans aucune forme de distinction  [12] ».

8Dans son introduction à l’exposé des motifs, L. Dupont soulignait tout d’abord qu’il avait opté pour l’appellation « essai d’avant-projet  [13] » plutôt qu’ « avant-projet » pour deux raisons importantes. D’une part, il s’agissait d’un texte martyr devant être soumis, avant son envoi au Parlement, à un grand nombre d’acteurs : magistrature, barreau, secteur de l’aide aux justiciables et, surtout, personnels de l’administration pénitentiaire, sans oublier les communautés, directement concernées par nombre de dispositions. Essai, d’autre part, parce qu’il ne traitait que de l’exécution des peines privatives de liberté et ne concernait donc que les condamnés, de sorte que restait à définir le statut juridique d’autres détenus, en particulier ceux placés en détention préventive. Étaient également exclus de l’essai les internés dont la problématique spécifique était traitée par une commission interdépartementale ad hoc.

9Il faut mentionner ici une autre absence qui n’est signalée que plus loin dans l’essai, mais qui est tout aussi importante : celle de dispositions relatives à l’organisation du régime pénitentiaire. L. Dupont soulignait ainsi qu’ « il n’y a pas ou peu de dispositions en rapport avec l’organisation de l’administration centrale, la relation entre l’administration centrale et les services extérieurs [c’est-à-dire les prisons], l’organisation interne de la prison locale, et pas une seule en rapport avec les services sociaux et services psycho-médicaux pourtant si importants  [14] ». Cette absence fut expliquée par la réorganisation en cours de la Direction générale des Établissements pénitentiaires qui aurait rendu inopportune une intervention en la matière, et par le fait que celle-ci ne nécessitait pas une réforme législative urgente et pouvait être réglée par un autre type de réglementation.

10Sans entrer dans le détail de la centaine de pages d’exposé des motifs et des quelque 170 articles de cet essai, nous en présenterons les grandes chapitres afin de pouvoir examiner ensuite en connaissance de cause les changements apportés tout au long du processus de réforme  [15]. Cette présentation se justifie d’autant plus que, si la loi finalement votée diffère du projet initial, parfois sur des points fondamentaux, l’ensemble n’en fut pas moins conservé pour l’essentiel.

2.1. CRISES DE LA PRISON ET RESPONSABILITÉS DU PARLEMENT

11L’exposé des motifs s’ouvre par la discussion d’une double crise impliquant la responsabilité du Parlement. Crise de légalité d’abord, en raison de l’absence de législation sur les prisons qui, depuis l’indépendance de la Belgique et malgré des critiques récurrentes, se traduit par maints problèmes peu compatibles avec les principes démocratiques : définition du contenu et de la portée de la peine privative de liberté par le seul pouvoir exécutif (et donc, l’administration pénitentiaire), absence de protection juridique des détenus, modification des décisions judiciaires par le pouvoir exécutif et ignorance, tant des juges que des condamnés, voire des spécialistes de la question, de la portée des condamnations, noyée dans une multitude de circulaires au contenu mouvant. Crise de légitimité ensuite : critiquée depuis sa naissance et, en particulier, durant les années 1970, pour son incapacité à œuvrer à la resocialisation des détenus, la prison est aujourd’hui confrontée à un problème aigu de surpopulation, qui ne touche pas simultanément tous les établissements pénitentiaires mais qui est important dans nombre d’entre eux et qui contribue largement à la dégradation des conditions de détention  [16]. Et si, comme on l’a vu, le ministre de la Justice prônait une politique réductionniste par un recours accru aux sanctions alternatives, force est de constater que les pratiques vont dans un sens diamétralement opposé, au point, soulignera L. Dupont, que « dans une telle situation, la politique pénitentiaire s’avère une chose impossible, compte tenu notamment de l’imprévisibilité et de l’incohérence de l’afflux de détenus dans les établissements pénitentiaires, phénomène sur lequel le pénitentiaire lui-même n’a pas de prise  [17] ».

12Pour se faire une idée de l’ampleur du problème, on notera que, selon les derniers chiffres officiels disponibles  [18], la population pénitentiaire belge (au 1er mars de chaque année) était de 9 375 détenus en 2005, pour 5 176 en 1980, soit une augmentation de plus de 80 % en 25 ans. Sur la même période, la capacité d’hébergement est passée d’environ 5 450 places à 8 133, soit une augmentation de près de 50 %.

13Les mécanismes de cette surpopulation sont aujourd’hui relativement bien connus, en particulier grâce aux travaux de S. Snacken  [19]. Celle-ci a mis en évidence la complexité des interactions entre facteurs externes au système pénal (évolution démographique, situation économique), facteurs internes (décisions prises aux stades antérieurs, non-exécution de certaines peines, libérations anticipées) et facteurs intermédiaires (opinion publique, décisions politiques, médias). En particulier, S. Snacken a relevé que la surpopulation était liée à une inflation carcérale (le nombre de détenus par 100 000 habitants, en Belgique, est passé d’environ 51 à près de 90 en 25 ans), causée par l’augmentation du nombre de prévenus et l’allongement de la durée des détentions préventives, l’allongement des peines (augmentation sensible du nombre de peines supérieures à cinq ans) et la proportion croissante des détenus étrangers. Plus récemment, S. Deltenre  [20] a mis en évidence que la croissance de la proportion de longues peines en prison (supérieures à trois ans) était moins due à un allongement de la durée des peines prononcées qu’aux possibilités de cumul de peines (au moment du jugement ou lors de leur exécution), aux révocations de sursis ou de libérations anticipées qu’emporte la condamnation, et enfin au retardement des libérations conditionnelles. Parmi les interactions de facteurs mentionnées ci-dessus, plusieurs recherches ont démontré l’importance des interactions entre le recours privilégié à la détention préventive en ce qui concerne les étrangers (avec pour conséquence une plus grande probabilité de condamnation à un emprisonnement ferme), les modalités de répression des affaires de stupéfiants dans lesquelles les étrangers sont également sur-représentés, la proportion d’étrangers incarcérés qui passe de 21 % en 1980 à 45 % en 2003, et la proportion d’usagers de drogues incarcérés qui atteindrait quelque 50 %, parmi lesquels on estime que 30 % seraient des usagers par voie intraveineuse.

14Dès lors, L. Dupont soulignera cet élément essentiel pour l’effectivité d’une réforme pénitentiaire : la nécessité de concevoir « un programme politique global, aux termes duquel la question de la peine privative de liberté n'est pas uniquement abordée sous l'angle de son exécution (ce qui est l'objectif de la rédaction d'une loi sur les principes de l'administration pénitentiaire régissant son exécution), mais est redéfinie dans un arsenal pénal réformé quant à la suite à donner aux affaires pénales et aux procédures judiciaires de fixation du quantum des peines[21] ».

15Pour sortir de cette double crise, conclura L. Dupont, il appartient donc au législateur, d’une part, de revoir la place occupée par la prison dans l’arsenal des peines de manière à ce que les juges n’y recourent effectivement qu’en dernier ressort et, d’autre part, puisque des peines privatives de liberté n’en continueront pas moins à être prononcées et exécutées, de légiférer en matière de statut juridique des détenus, qu’il s’agisse du statut interne (tout ce qui concerne la vie en prison), du statut externe (les modalités particulières d’exécution de la peine et de libération anticipée) ou du statut formel (la procédure permettant de faire valoir ses droits). Mais, précision importante, il ne s’agira pas pour autant de légiférer exhaustivement en ces matières car le pouvoir exécutif, et l’administration pénitentiaire en particulier, doivent pouvoir conserver une marge de manœuvre suffisante pour les adapter. Aussi, le choix fut-il fait d’une loi de principes dont l’exécution sera en grande partie laissée à l’appréciation du pouvoir exécutif.

2.2. PRINCIPES FONDAMENTAUX

16Se référant à la note d’orientation, l’essai vise à élaborer un statut juridique du condamné en tant que sujet de droit. Dans cette optique, la peine privative de liberté est définie comme étant la perte de la liberté d’aller et venir, à laquelle aucun élément punitif ne peut être ajouté, de sorte que le condamné conserve tous ses autres droits.

17Ce statut juridique s’inscrit dans une conception de la peine selon laquelle « la lutte contre le traumatisme carcéral (…) est considérée comme une condition sine qua non de la réalisation d’objectifs individualisés, constructifs et orientés vers l’avenir  [22] ». Cet objectif prioritaire prend acte du caractère éminemment négatif de la privation de liberté (pour le condamné, mais aussi son entourage, sa victime et la société) et de la nécessité de le limiter au maximum. Érigé en principe général, cet objectif est précisé par des principes complémentaires : celui du respect de la dignité humaine, destiné à préserver le respect de soi et le sentiment de responsabilité individuelle et sociale ; celui de la participation des détenus à l’organisation de la détention, destiné à prendre en compte leur point de vue, leurs intérêts et la représentation de leurs propres besoins ; et celui de la normalisation, qui renvoie au souci de rapprocher la prison du monde libre par les conditions de vie comme par les contacts extérieurs. Comme on peut déjà le pressentir, ce dernier principe, essentiel pour prévenir le traumatisme carcéral, aura une incidence majeure sur quasiment toutes les dispositions de l’essai.

18Si, dans l’état actuel des conditions de détention en Belgique, la lutte contre le traumatisme carcéral pourrait être considérée comme un objectif en soi, il sert en l’espèce de socle à la poursuite de deux autres objectifs, déjà mentionnés dans la note d’orientation. Celui de réinsertion, tout d’abord, présenté comme plus neutre que les objectifs antérieurs d’amendement, de rééducation ou de réadaptation, qui sous-entendaient l’existence d’une singularité de nature dans le chef du délinquant (que la prison serait en mesure de traiter), et occultaient ce faisant les processus de sélection pénale qui contribuent à cibler davantage les groupes sociaux les plus vulnérables. Cet objectif de réinsertion renvoie à la nécessité de donner un sens à la détention, en appliquant le principe de réduction du traumatisme carcéral et en offrant un ensemble diversifié et non contraignant d’activités et de services qui répondent aux besoins des détenus. Concrètement, ce principe trouvera à s’appliquer par l’élaboration d’un plan de détention individuel qui, sur base de l’identification des obstacles à la réinsertion (notamment par une enquête préalable), tentera de les contrer par la programmation d’activités adéquates (travail, enseignement, formation, traitement médical et/ou psychologique…). Élaboré, suivi et adapté idéalement par une équipe pluridisciplinaire, en concertation avec le détenu et en collaboration avec les communautés, ce plan ne devrait pas être imposé au détenu ; celui-ci pourrait être invité à s’engager à fournir les efforts nécessaires et devrait pouvoir faire valoir ses droits à ce que ce plan soit exécuté. Objectif de réparation, ensuite, qui constitue peut-être l’aspect le plus novateur de l’essai en ce qu’il renvoie à un nouveau modèle de justice qui, sous l’égide de la négociation notamment, redonnerait place aux protagonistes des situations à problèmes et contribuerait à restaurer les liens sociaux brisés. Considéré comme une « modalité contemporaine de l’objectif de réinsertion », l’objectif de réparation doit permettre aux victimes d’« obtenir réparation du préjudice matériel et moral (…) et [de] s’adresser directement ou indirectement à l’auteur des faits pour lui poser les questions qui les accablent psychologiquement ou moralement », et doit permettre aux détenus « d’assurer leur responsabilité à l’égard des victimes, de s’acquitter de leur dette morale ou matérielle, d’accepter leur culpabilité et, de cette manière, d’en arriver à s’auto-réparer  [23] ». Concrètement, cet objectif trouverait à s’appliquer ici aussi dans le cadre du plan de détention individuel, ainsi que dans les dispositions relatives au travail pénitentiaire et dans diverses modalités d’exécution de la peine comme la semi-détention ou la semi-liberté.

2.3. AUTRES AXES FONDAMENTAUX

19Trois autres axes viennent s’adosser à cet ensemble de principes et d’objectifs : le renforcement du contrôle de l’exécution de la privation de liberté et le droit de plainte, la création d’espaces où les communautés puissent exercer leurs compétences, et l’octroi de compétences décisionnelles au pouvoir judiciaire en matière de modalités d’exécution de la peine et de libération.

2.3.1. Contrôle et plainte

20Conformément aux recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) lors de ses visites et aux Règles pénitentiaires européennes de 1987, l’essai organise un contrôle externe et indépendant des établissements et introduit un droit de plainte calqué sur le système hollandais. Pour L. Dupont, il s’agit de conditions sine qua non pour garantir les « droits des détenus dans un contexte institutionnel caractérisé par une considérable absence de liberté et par une forte dépendance des détenus, d’une part, et par la structure organisationnelle propre à la prison, d’autre part, contexte dans lequel les intérêts juridiques individuels risquent d’être subordonnés aux intérêts de l’établissement et au primat de la tranquillité, de la sécurité et de l’ordre  [24] ». Au niveau fédéral, est créé un conseil central de contrôle pour l’administration pénitentiaire qui, outre une mission d’avis au ministre de la Justice (auparavant du ressort du Conseil supérieur de politique pénitentiaire), exercerait un contrôle des établissements, du régime des condamnés et du respect des dispositions qui leur sont applicables. Au niveau local, en plus des possibilités offertes au détenu de faire part de ses doléances à diverses instances et, en particulier, au directeur, est créée, dans chaque établissement, une commission de contrôle (anciennement commission administrative) qui, d’une part, contrôle le régime des condamnés et le respect des dispositions qui leur sont applicables et, d’autre part, est aussi investie d’une mission de médiation entre le directeur et les détenus, notamment si des plaintes sont portées à sa connaissance de manière informelle. Chaque commission de contrôle constitue par ailleurs en son sein une commission de plaintes auprès de laquelle tout détenu peut introduire officiellement un recours contre toute décision prise par ou au nom du directeur. Le conseil central constitue en son sein une commission d’appel qui connaît des recours contre les décisions des commissions de plaintes. L’essai organise précisément la procédure devant ces différentes instances. Précisons qu’un autre chapitre de l’essai organise également une procédure spécifique de plainte contre les décisions de placement ou de transfèrement.

2.3.2. Les compétences communautaires et régionales

21La question de l’exercice des compétences communautaires et régionales en matière d’aide aux détenus est un problème complexe, impossible à exposer ici, mais qui pèsera sur le processus de réforme. La principale difficulté fut de parvenir à évoquer des compétences communautaires, ce qui était rendu indispensable par l’objectif de réinsertion, le plan de détention ou l’organisation d’activités, sans que le texte apparaisse comme une ingérence du pouvoir fédéral dans ces compétences. La solution proposée dans l’essai fut de prévoir que l’administration pénitentiaire se concerte et collabore avec les autorités compétentes pour veiller à ce que les condamnés aient accès à un large éventail de formations, à une bibliothèque, au travail, à l’éducation sanitaire et aux soins de santé, à l’aide sociale et à l’assistance juridique. La coopération entre instances fédérale et fédérées devrait ainsi garantir que « le principe d’égalité ne sera pas violé au détriment des justiciables en général et des détenus en particulier, du fait de différences injustifiées au niveau de l’offre des autorités communautaires ou régionales respectives dans les différentes régions linguistiques  [25] ». Il y a vraisemblablement ici une allusion au peu de moyens consacrés par la Communauté française à ce secteur de l’aide aux justiciables.

2.3.3. La judiciarisation de l’exécution des peines

22La question du statut juridique externe des détenus constitue une partie substantielle de l’essai ; nous n’en brosserons cependant que les grands traits dans la mesure où, comme on le verra plus loin, elle fut finalement retirée de l’avant-projet pour être traitée par une autre commission ad hoc.

23Comme pour le statut juridique interne, toutes les modalités d’exécution de la peine privative de liberté et de la libération sont gérées par le pouvoir exécutif et l’administration pénitentiaire, y compris la libération conditionnelle, régie à l’époque par la loi de 1888 dite loi Le Jeune qui en confiait la décision au ministre de la Justice. S’est dès lors posée, depuis longtemps d’ailleurs, la question de l’intervention du pouvoir judiciaire en la matière, en raison des modifications que ces modalités d’exécution et de libération peuvent apporter à la décision prise au moment de la condamnation. Les exemples les plus marquants, repris par L. Dupont, concernent la libération provisoire (qui concerne, bon an mal an, quelque 80 % des libérations) et la non-exécution des courtes peines de prison, en vigueur depuis les années 1930, toutes pratiques uniquement régies par circulaires ministérielles. Pour L. Dupont cependant, la solution ne réside pas dans la suppression de ces pratiques administratives dans la mesure où l’exécution complète des peines génèrerait d’importants effets négatifs. L’instauration d’un système de libération conditionnelle constitue d’ailleurs la reconnaissance de la nécessité de pouvoir libérer anticipativement un détenu de manière à contrer de tels effets et d’opérer une transition entre la détention et la liberté complète.

24L. Dupont proposera dès lors un système basé sur deux principes. Premièrement, en référence aux objectifs de réduction du traumatisme carcéral, de réinsertion et de réparation, il faut considérer que la peine privative de liberté ne s’exécute pas que dans une prison. Deuxièmement, il faut impliquer le pouvoir judiciaire dans le processus, mais tout en veillant à ce que les aspects autres que juridiques soient également pris en compte. Pour ce faire, sera proposée la création de tribunaux pénitentiaires, juridictions de l’ordre judiciaire, mais pluridisciplinaires et compétents pour toutes les modalités d’exécution de la peine et de libération retenues par l’essai  [26].

2.4. CONDITIONS DE VIE

25Outre les dispositions relatives au droit à une nourriture convenable et à porter ses propres vêtements et chaussures, ainsi qu’à l’accès à une cantine, l’essai retient le régime communautaire comme régime de base, tout en laissant au Roi la possibilité de déterminer un régime particulier pour les détenus qui constituent une menace pour le personnel ou les autres détenus ou qui présentent de graves risques d’évasion. L. Dupont soulignera cependant que cette disposition n’implique nullement une adhésion à la création, vivement critiquée, notamment par le Conseil supérieur de politique pénitentiaire, de prisons de très haute sécurité et de quartiers de sécurité renforcée, ainsi qu’à l’utilisation de la notion de dangerosité pour la classification des détenus. Elle souligne simplement la nécessité de laisser une certaine marge de manœuvre pour le régime applicable à certains détenus.

26Ce régime communautaire est ponctué par des moments passés dans ce qui est appelé un « espace de séjour individuel » permettant d’exercer son droit à la vie privée. Aussi indispensable soit-il au vu des objectifs de l’essai, reconnaître un tel droit dans le contexte actuel de surpopulation des prisons est évidemment une gageure, soutenue cependant par une disposition relative à la capacité carcérale. L’article 14 de l’essai dispose en effet que le Roi est chargé de fixer la capacité maximale de chaque prison ou section de prison, notamment en fonction des espaces individuels nécessaires au séjour, capacité qui ne peut être dépassée. Si l’exécution d’une peine ne peut se faire dans le respect de cette disposition, le Ministère public peut décider, sous certaines conditions, de ne pas la mettre à exécution. Par ailleurs, un autre article prévoit que, si la capacité maximale venait quand même à être dépassée, le ministre de la Justice peut, sous certaines conditions, décider de libérer certains condamnés et, le cas échéant, fait annuellement rapport au Parlement sur le sujet. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette proposition qui animera les débats parlementaires à venir.

27L’accent est aussi mis sur le droit à des contacts avec l’extérieur et sur l’obligation d’œuvrer à leur maintien et à leur protection. Les dispositions relatives à ces contacts concernent la correspondance, le téléphone, les contacts avec les médias et les visites, dont les visites sans surveillance destinées à permettre des relations affectives et sexuelles. Les autres dispositions concernent successivement la religion et la philosophie, les activités de formation et de loisir (qui renvoient à la question des compétences communautaires et régionales déjà évoquée), la sécurité sociale, le travail, la santé, l’aide sociale (traitée très brièvement puisqu’il s’agit à nouveau d’une compétence communautaire) et, enfin, l’assistance juridique. Si tous ces points sont d’importance, certains méritent quelques développements supplémentaires.

28En ce qui concerne la sécurité sociale, L. Dupont en examine les principales composantes pour montrer qu’à quelques exceptions près, le condamné en est exclu, essentiellement en raison du fait que, le travail pénitentiaire étant une obligation légale, prévue à l’article 30ter du Code pénal en vue du reclassement et de la rééducation du condamné, il ne peut faire l’objet d’un contrat de travail et ne permet donc pas l’assujettissement à la sécurité sociale. Ceci non seulement compromet le respect des principes et objectifs de l’essai, mais constitue aussi une exclusion qui excède largement la seule privation de liberté, sans parler des conséquences économiques pour le condamné et son entourage. L. Dupont en appelle dès lors à une réforme du système de sécurité sociale pour les détenus et, pour la faciliter, propose la suppression de l’obligation légale du travail pénitentiaire par l’abrogation de l’article 30ter du Code pénal.

29D’autres éléments, liés cette fois au travail lui-même, plaident d’ailleurs pour une telle suppression. De manière générale, le travail pénitentiaire se caractérise par sa rareté (le taux de chômage pouvant atteindre de 60 à 90 % dans certaines prisons, le travail en vient à être considéré comme une faveur), sa monotonie, sa très faible rémunération et ses faibles potentialités en termes de formation. Les formations professionnelles sont d’ailleurs rares en prison, ce qui ne fait que renforcer les problèmes ultérieurs de réinsertion sur le marché du travail. L’essai propose donc de remplacer l’obligation de travail par un droit au travail disponible qui soit de nature à donner un sens à la détention (en particulier en lien avec le plan individuel de détention), à permettre l’exercice d’une activité professionnelle après la libération, à rembourser les dettes et à soutenir l’entourage. Le travail doit être organisé dans des conditions les plus proches possibles du travail à l’extérieur et être rémunéré décemment. Dans l’attente d’une réforme de la sécurité sociale, l’essai prévoit l’allocation d’une « indemnité de manque à gagner » pour les condamnés inaptes au travail ou se retrouvant sans travail contre leur gré. Il est également prévu que le temps consacré aux activités de formation soit assimilé au temps de travail pour lequel les condamnés bénéficient d’une allocation de formation. Par rapport à ces revenus, l’essai reprend le système en vigueur de versement sur un fond de réserve  [27] dont le montant est divisé en quotités réservées (pécule de sortie, cantine ou aide à l’entourage et paiement des dettes) ; le Roi peut également décider d’une retenue sur les revenus à titre de frais d’entretien des condamnés. À cette occasion, l’essai introduit discrètement des dispositions tendant à instaurer le travail à l’extérieur de l’établissement, qui doivent être mises en rapport avec certaines modalités d’exécution de la peine en dehors de la prison décidées par le tribunal pénitentiaire et visent en particulier les condamnés disposés à travailler à l’extérieur pour indemniser leur victime  [28].

30Reste la délicate question des soins de santé. Délicate en raison de la prévalence élevée de problèmes tels que le sida, l’usage de drogues, les troubles psychosomatiques, les suicides ou encore les grèves de la faim. Mais délicate aussi en raison des missions dévolues au médecin qui, mêlant conseil, traitement et contrôle, minent la relation de confiance nécessaire à l’exercice de sa fonction. Délicate enfin car, faute d’intervention de la sécurité sociale, c’est au Ministère de la Justice qu’il incombe d’en assumer la charge financière. L’essai met en avant le droit à l’équivalence des soins entre les prisons et l’extérieur, confirme le droit du condamné à consulter un médecin de son choix et, si nécessaire, à être soigné à l’extérieur de la prison. Il prévoit que le directeur veille à l’organisation d’un examen médical après l’accueil dans l’établissement, à la disponibilité suffisante du médecin attaché à la prison, à l’accès à des consultations de dentistes et de psychiatres ainsi qu’à la fourniture des médicaments et soins nécessaires. Il met enfin l’accent sur l’indépendance des médecins traitants et sur la différence à faire entre ceux-ci et les médecins appelés à remettre un avis dans le cadre d’une décision de l’administration (mesure disciplinaire, usage de moyens coercitifs…).

2.5. ORDRE, SÉCURITÉ ET RECOURS À LA CONTRAINTE

31La question de la sécurité et du maintien de l’ordre est abordée dans un nombre important de dispositions, à la fois en raison de la nature sécuritaire de la prison et pour assurer le respect des principes de l’essai. Le principe général est que les mesures prises doivent être proportionnelles à l’objectif de maintien de l’ordre et de la sécurité, et limitées au temps nécessaire à cet effet. L’essai distingue trois types de mesures : de contrôle, de sécurité et de contrainte. Les mesures de contrôle sont notamment le port d’une pièce d’identité, la fouille vestimentaire ou corporelle (à l’exclusion des examens internes), l’invitation à céder ses sécrétions corporelles aux fins de contrôle (en cas de présomption d’usage de drogues prohibées) et la fouille de l’espace de séjour individuel, tout ceci dans le respect de la dignité humaine. Les mesures de sécurité particulières, ensuite, sont notamment la privation d’objets, l’observation nocturne du condamné, le placement en cellule d’isolement ou à sécurité renforcée et l’exclusion totale ou partielle des activités communes. L’essai insiste sur le caractère exceptionnel de ces mesures qui ne peuvent être prises que sur la base de sérieuses présomptions de risque d’évasion, de violence, de suicide ou d’automutilation, uniquement à ces fins, durant le temps nécessaire et sans être confondues avec des sanctions disciplinaires. Enfin, les mesures de contrainte directe (usage de la force, de dispositifs d’entrave de la liberté de mouvement, de substances lacrymogènes ou autres, ou d’armes) sont encadrées par un certain nombre de règles d’application (subsidiarité, proportionnalité, moindre mal, avertissement préalable et légitime défense en ce qui concerne l’usage d’armes à feu).

2.6. RÉGIME DISCIPLINAIRE

32S’agissant d’assurer un statut juridique aux détenus, le régime disciplinaire a fait l’objet d’une attention particulière. Si le recours au droit disciplinaire est inévitable pour le maintien de l’ordre, celui-ci, souligne l’essai, n’est pas une fin en soi et ne peut se réduire à un instrument de maintien des rapports de force en prison, mais doit aussi concourir à la réalisation des objectifs assignés au régime des détenus. Or, la situation qui prévaut actuellement dans les prisons est caractérisée par une importante insécurité juridique : tant les infractions que les sanctions sont définies de manière très floue, le règlement de la procédure est sommaire et quasiment aucun recours n’est ouvert contre une décision de sanction. L’essai s’emploie donc à remédier à cette situation. Tout d’abord, des dispositions générales posent les principes de légalité et non bis in idem. Suit l’énumération limitative des infractions disciplinaires, dont la tentative est également passible de sanction : insultes, présence non autorisée en un endroit, absence injustifiée à des activités, achat, vente, échanges, dons… non autorisés entre détenus, possession d’objets ou de substances prohibées, consommation de drogue, refus d’obtempérer aux injonctions et aux ordres du personnel, (menace de) destruction de biens, mise en danger de la sécurité, de l’ordre ou des bonnes mœurs, vol, recel, escroquerie, corruption, (menace d’) atteinte à l’intégrité physique de personnes, évasion, inobservation d’une obligation déterminée par ou en vertu de la présente loi. Énumération suivie par celle, également limitative, des sanctions disciplinaires applicables, réparties en trois types : avertissement (réprimande inscrite dans un registre des sanctions), suspension ou limitation de l’exercice de certains droits (possession de certains objets, fréquentation de la bibliothèque, usage de la radio ou de la télévision, visites, activités communes) et mise au « cachot ». Certaines sanctions privatives ne peuvent être prononcées que si l’infraction a été commise dans leur cadre (bibliothèque, visites), et certaines ne peuvent consister qu’en une limitation (les visites de parents sont maintenues mais dans un local équipé d’une vitre de séparation). Quant au « cachot », limité à neuf jours et faisant l’objet d’un certain nombre de garanties, il est réservé aux infractions les plus graves et quand aucune autre sanction ne peut être envisagée. L’essai précise les modalités d’application des sanctions (détermination de la nature et du degré de la sanction, sursis…) et, évidemment, la procédure disciplinaire : rapport disciplinaire au directeur, convocation et information du détenu par le directeur (à ce stade, celui-ci peut classer l’affaire sans suite ou se contenter d’une réprimande sans inscription au registre des sanctions), phases et délais de la procédure et droits de la défense (exercée par un avocat ou par une personne de confiance choisie par le condamné).

3. … À LA COMMISSION DUPONT (1997-2000)

33Comme on l’a vu, un certain nombre de points n’ont pu être traités ou approfondis par L. Dupont et une consultation devait encore être organisée, de sorte que, dans la logique du processus entamé, le texte pouvait difficilement être envoyé au Parlement en l’état. S. De Clerck chargea une commission Loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus, dite commission Dupont, de finaliser ce travail et, plus précisément, d’examiner les modalités d’application des dispositions de l’essai à la catégorie des inculpés, prévenus et accusés et de les intégrer dans le texte existant, d’organiser une consultation des acteurs concernés, de préparer sur cette base un avant-projet de loi accompagné d’un exposé des motifs, d’examiner les possibilités de création de tribunaux d’application des peines et, dans une phase ultérieure, de préparer un avant-projet de loi instituant ces tribunaux  [29]. Par contre, n’entrait pas dans la mission de la commission l’examen du statut des internés, des mineurs d’âge incarcérés et des étrangers mis à la disposition de l’Office des étrangers. Son rapport final était attendu pour le 31 octobre 1999.

34Placée sous la présidence de Lieven Dupont, cette commission, dont certains membres faisaient déjà partie du comité d’accompagnement des travaux de ce dernier, était composée  [30] de professeurs d’université  [31], de membres du Ministère de la Justice  [32] et d’un membre du secteur associatif  [33]. On notera la composition très majoritairement néerlandophone de la commission et c’est d’ailleurs dans le Nord du pays que, à tout le moins au début, le soutien à cette réforme fut le plus marqué. Pratiquement, il semble qu’ « un noyau plus actif – composé des académiques, du directeur général et du représentant du secteur associatif – [se soit] constitué au sein de la commission, les autres membres jouant un rôle plus périphérique selon leur domaine de compétence  [34] ». Par ailleurs, un membre de la commission regretta le fait que celle-ci « souffrit à certains moments d’une désaffection de membres de l’administration qui devaient soutenir le travail technique et légistique  [35] ».

35Plusieurs événements interférèrent avec les travaux de la commission Dupont, dont il importe de mentionner les principaux avant d’en présenter les résultats.

3.1. DE NOMBREUSES INTERFÉRENCES : DE L’AFFAIRE DUTROUX AU GOUVERNEMENT ARC - EN - CIEL

3.1.1. La réforme de la libération conditionnelle

36En mars 1998 étaient adoptées les nouvelles lois sur la libération conditionnelle  [36], réformant toute la procédure en la matière et instituant des commissions pluridisciplinaires chargées de statuer en lieu et place du ministre de la Justice. Menée dans l’urgence, cette réforme fut une des conséquences majeures de l’affaire Dutroux. Poussé par une pétition ayant rassemblé plus de deux millions de signatures, le Parlement évoqua la question de l'instauration de peines incompressibles dans l'arsenal pénal  [37] ; le gouvernement refusa de s'engager dans une telle voie, mais entreprit la réforme de la loi de 1888 dont il saisit le Sénat en mars 1997 et la Chambre en juin de la même année, et dont l'objet principal était de rencontrer deux problèmes posés par l'affaire Dutroux : la procédure de décision (en référence aux critiques dont l’ancien ministre de la Justice M. Wathelet fit l’objet pour avoir accordé une libération conditionnelle à l’intéressé) et le contrôle des libérés (en référence aux lacunes de celui-ci durant la libération de l’intéressé).

37La réforme de la libération conditionnelle fut présentée comme s'inscrivant dans la nouvelle approche de l'exécution des peines et, à cet égard, le ministre indiqua qu’il lui semblait « important que les présents projets de loi n'entravent pas les travaux préparatoires de la loi de principes au point d'hypothéquer irrémédiablement les choix fondamentaux qui doivent encore être effectués  [38] ». Ceci n'en conduisit pas moins L. Dupont à devoir souligner dans son essai que « la conclusion s'impose que l'approbation par le Parlement des actuelles propositions en matière de libération conditionnelle, est plus qu'intentionnelle, en ce sens qu'elle préfigure la suite des activités présidant à la loi de principes  [39] » ; et, de ce fait, il s’abstiendra de faire des propositions en la matière.

38Par ailleurs, l’examen des lois de 1998 montre que, contrairement aux orientations majeures de l’essai de L. Dupont, la libération conditionnelle est de moins en moins appréhendée en termes de réinsertion sociale et de plus en plus en termes de réduction des risques de récidive, sur la base de la dangerosité présumée d'un certain nombre de catégories de détenus, définies le plus souvent par les soubresauts médiatiques de l'actualité judiciaire.

3.1.2. Le gouvernement arc-en-ciel

39Le 14 juillet 1999, le Premier ministre G. Verhofstadt (VLD) prononçait au Parlement la déclaration du nouveau gouvernement tripartite (libéraux, socialistes et écologistes) issu des élections législatives du 13 juin et au sein duquel Marc Verwilghen (VLD) se voyait attribuer le portefeuille de la Justice. Sous le titre « Une nouvelle politique pénitentiaire et d’exécution des peines », il annonçait une série de mesures, mais ne mentionnait pas les travaux de la commission Dupont dont le mandat venait à échéance le 31 octobre 1999. Le nouveau ministre de la Justice créa d’ailleurs un certain émoi lorsque, dans une interview, il annonça qu’il envisageait de supprimer les commissions Franchimont (réforme de la procédure pénale) et Dupont.

40La note de politique générale du Ministère de la Justice pour l’année 2000 annonça cependant que les travaux de la commission Dupont seraient terminés pour la fin février 2000 et qu’après examen détaillé du texte, celui-ci serait soumis au Parlement  [40]. Deux décisions importantes étaient également annoncées, dont la première était plus que surprenante. D’une part, pour permettre l’introduction progressive de la future loi, le ministre entendait en anticiper l’adoption par l’introduction, dans l’arrêté royal de 1965 portant règlement général des établissements pénitentiaires, de diverses dispositions (commissions de surveillance, règlements d’ordre intérieur, régime des visites…), ainsi que par l’introduction de quotas de capacité carcérale et par la création de la fonction de consultant en justice réparatrice dans les prisons. D’autre part, la question de la création de tribunaux d’application des peines, point important des travaux de la commission Dupont, allait être confiée à une nouvelle commission intitulée Tribunaux d’application des peines, position juridique externe et fixation de la peine. Mais, anticipant ici aussi sur les travaux de cette commission encore à créer, le ministre confirma la volonté du gouvernement d’introduire des peines incompressibles pour certains cas et, dans ce cadre, annonça une réforme de la libération conditionnelle destinée à concilier réparation (axe central de sa politique) et incompressibilité des peines  [41]. Si certains parlementaires se réjouirent de l’annonce du dépôt prochain de l’avant-projet de loi de principes, les autres propositions firent l’objet de réactions plus critiques, en particulier s’agissant des peines incompressibles jugées contradictoires avec l’instauration de quotas (T. Van Parys, CVP), la création de tribunaux d’application des peines (T. Giet, PS) ou l’individualisation de la peine (C. Desmedt, PRL)  [42].

41Le 10 février 2000, un arrêté royal  [43] accorda un délai supplémentaire à la commission Dupont jusqu’au 28 février, désigna deux nouveaux membres  [44] et, surtout, considérant que la commission ne disposait plus du temps nécessaire pour mettre les dispositions relatives au statut juridique externe des détenus en conformité avec les orientations du nouveau gouvernement, limita sa mission à ce sujet à la rédaction d’un projet de note. Le 28 février était installée la nouvelle commission Tribunaux d’application des peines, position juridique externe et fixation de la peine, dite commission Holsters du nom de son président, qui sera officialisée par un arrêté royal publié le 27 juin 2000. Plusieurs membres néerlandophones de la commission Dupont y furent nommés  [45]. Comme annoncé, compte tenu de cette nouvelle répartition des tâches, nous limiterons dorénavant notre propos au seul statut juridique interne des détenus.

3.2. L’AVANT - PROJET DE LOI DE PRINCIPES CONCERNANT L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ET LE STATUT JURIDIQUE DES DÉTENUS

42Le 15 mai 2000, la commission Dupont déposait son rapport final, composé de quatre volumes : la partie générale de l’exposé des motifs, le commentaire des articles, les textes de loi et un projet de note sur le statut juridique externe des détenus et les tribunaux d’application des peines. Le 5 juillet 2000, renonçant à l’examen approfondi par son cabinet, le ministre procédait à la remise solennelle de ce rapport à la commission de la Justice de la Chambre, en présence du président de celle-ci et de membres de la commission Dupont. Le 2 février 2001, la traduction française ayant été réalisée, le rapport et les exposés faits par L. Dupont, M. Verwilghen et F. Erdman à l’occasion de cette remise furent publiés sous forme de document parlementaire ; c’est à ce dernier document que nous nous réfèrerons ici  [46].

43De novembre 1997 à février 2000, soit durant près de deux ans et demi, la commission Dupont s’était réunie en moyenne deux fois par mois. Sur l’ensemble de l’avant-projet, elle a bénéficié de consultations organisées dans les parquets et au sein de l’administration pénitentiaire (administration centrale et prisons) : en 1998, plus de 600 personnes, des directeurs et assistants pénitentiaires, mais aussi des membres des services psychosociaux, des greffes et de l’administration centrale, se réunirent dans 19 groupes de travail thématiques  [47]. Sur des sujets particuliers, elle a sollicité l’avis des commissions administratives, de la Ligue des droits de l’homme, des représentants des cultes reconnus et de la laïcité organisée, des communautés et des régions ainsi que de différents experts pour certains problème juridiques. Elle s’est par ailleurs inspirée de la littérature scientifique, des normes internationales (conventions, recommandations du Conseil de l’Europe, rapports du CPT) et de législations étrangères ; pour le droit de plainte, elle a réalisé un voyage d’étude aux Pays-Bas.

44Par rapport à l’essai, outre le toilettage du texte, l’ajout de références et la rédaction d’un commentaire des articles, les changements apportés peuvent être regroupés en quelques catégories : une mise à jour en fonction de nouvelles dispositions légales ou politiques, sur laquelle nous ne nous étendrons pas sauf en cas de modification substantielle ; l’ajout de dispositions relatives aux inculpés, prévenus et accusés ; l’approfondissement de certains développements et la modification de certaines propositions. Si ces changements ne sont pas à négliger et attestent de l’ampleur du travail réalisé par la commission Dupont, on notera d’emblée que celle-ci a pris pour acquis l’essai initial et que les changements apportés relèvent avant tout de l’amélioration du texte. Celui-ci n’en fut pas moins sensiblement modifié, et compte une quarantaine d’articles supplémentaires  [48].

3.2.1. Les inculpés, prévenus et accusés  [49]

45Pour les inculpés, le constat de départ est le même que pour les condamnés : crise de légalité en l’absence d’un statut juridique interne, et crise de légitimité en raison d’un recours excessif à la détention préventive. La commission Dupont soulignait que, de 1980 à 1995, le nombre moyen de personnes placées en détention préventive avait augmenté de 75 %, leur taux journalier moyen représentant 33 % de l’ensemble de la population détenue, et que leur proportion dans les incarcérations était passée de 47 à 65 % et ce, malgré la réforme intervenue en 1990 qui non seulement limitait les conditions de délivrance d’un mandat d’arrêt, mais introduisait aussi des alternatives à la détention préventive. Précisons que depuis, malgré un léger tassement de la fin des années 1990 au début des années 2000, dix ans plus tard, le taux journalier des prévenus frôle les 40 % et leur proportion dans les incarcérations est de 70 %  [50].

46Ici aussi, l’intervention du législateur est donc estimée nécessaire, mais en référence à un principe spécifique : si la détention préventive implique une privation de liberté, il s’agit d’une mesure prise pour garantir la sécurité publique, qui ne peut donc revêtir de caractère punitif et doit être appliquée dans le strict respect de la présomption d’innocence. Ce principe présidera à l’ensemble des dispositions relatives aux inculpés.

47En ce qui concerne les principes et objectifs de la détention, une distinction a toujours été opérée entre inculpés et condamnés, incarcérés dans des établissements distincts (maisons d’arrêt et maisons pour peines) et bénéficiant de régimes différents, plus favorable en ce qui concerne les inculpés. Dans les faits cependant, il en va autrement, en particulier depuis que se pose le problème de la surpopulation qui frappe de manière aiguë les maisons d’arrêt en raison de l’augmentation du recours à la détention préventive. De ce fait et compte tenu du principe de la présomption d’innocence, la commission Dupont considère que l’objectif général de limitation des effets préjudiciables de la détention  [51], en ce qui concerne les inculpés, ne doit pas être considéré comme la condition de réalisation des objectifs de réinsertion et de réparation, mais constitue un objectif en soi déterminant le régime à appliquer ; les dispositions relatives au plan de détention individuelle ne concerneront d’ailleurs que les condamnés. Pour le reste, tous les autres principes et objectifs généraux (respect, participation, normalisation) sont évidemment applicables aux inculpés.

48En ce qui concerne les conditions de vie, l’essentiel des dispositions relatives aux condamnés est d’application, moyennant des aménagements : les inculpés peuvent en principe se retirer à tout moment dans leur espace de vie individuel, ont droit à des visites pendant au moins une heure par jour (six heures par semaine pour les condamnés), ou peuvent participer à des activités de formation pour autant que la durée de leur détention le permette. La principale différence tient dans la nécessité d’adapter le régime aux besoins de l’instruction. L’avant-projet prévoit donc que, lorsqu’il existe des raisons de craindre qu’un inculpé tente de faire disparaître des preuves ou d’entrer en collusion avec des tiers, le juge d’instruction peut ordonner, durant la période strictement nécessaire à cet effet, son isolement et l’interdiction de recevoir des visites  [52], d’échanger de la correspondance ou de tenir une conversation téléphonique avec les personnes nommément citées dans l’ordonnance et ce, au plus tard jusqu’à la fin de l’instruction ; un recours contre cette ordonnance est prévu.

49En ce qui concerne l’ordre, la sécurité et le recours à la contrainte, ainsi que le régime disciplinaire, aucune disposition spécifique aux inculpés n’est à mentionner.

3.2.2. Développements et changements

50Un certain nombre de points ont fait l’objet de développements par la commission Dupont visant à davantage étayer les options retenues, mais sans incidence sur le fond des propositions. Certains sont mineurs ou consistent en une mise à jour du texte, de sorte que nous ne nous y attarderons pas ; d’autres par contre méritent d’être examinés. Par ailleurs, un certain nombre de changements, parfois non négligeables, ont été introduits ; nous en reprenons les principaux.

51En ce qui concerne les principes et objectifs de la détention, six points peuvent être mentionnés, à commencer par l’objectif de réparation. Outre les précisions apportées sur la notion de justice réparatrice et l’intérêt de son développement, les modalités de sa mise en œuvre en prison sont abordées en référence à la nouvelle fonction de consultant en justice réparatrice annoncée par le ministre. Cette fonction est destinée à créer un contexte qui incite les détenus à œuvrer à la réparation et qui leur en fournit les moyens, en collaboration avec le personnel et compte tenu des spécificités de l’établissement. Les consultants en réparation sont entrés en fonction en octobre 2000 dans tous les établissements du pays  [53] pour mener, d’une part, des actions visant à modifier des aspects structurels de l’institution comme les conditions de détention et à promouvoir des valeurs réparatrices telles que la communication, la concertation, la participation ou la responsabilisation ; d’autre part, des actions individuelles liées à la communication entre le détenu et la victime, à la formation sur le thème des victimes et à la réparation  [54].

52Le deuxième point à souligner est l’ajout d’un nouvel objectif : la réhabilitation. Il chapeaute, sur un plan peut-être plus moral, les objectifs de réparation et réinsertion en ce qu’il doit permettre au détenu de se réconcilier avec lui-même et de trouver un arrangement avec la victime et la société ; rompant avec son passé, il pourra ainsi développer une image plus positive de lui-même, montrer qu’il est capable de respecter les lois, rembourser sa dette et être rétabli dans son honneur et ses droits de citoyen actif.

53Troisièmement, les dispositions relatives au plan de détention, dont on se souviendra qu’il constitue un des éléments clés pour la réalisation des objectifs précités, ont également subi diverses modifications, en particulier s’agissant du rôle que le détenu est appelé à y jouer. Ainsi, même s’il est toujours prévu que le plan « est élaboré en concertation avec le condamné et avec la participation de celui-ci », l’exposé des motifs ne mentionne plus, comme le faisait l’essai, qu’il est « d’une importance capitale (…) que le condamné (…) participe au maximum à l’élaboration de son plan  [55] ». Ce changement ne paraîtrait peut-être guère important si, dans le même temps, n’avait pas également été supprimée la possibilité pour le détenu de faire consigner dans le plan des commentaires en cas de désaccord, ni ajoutée, dans l’exposé des motifs, la possibilité que le plan soit élaboré même en cas de désaccord du détenu, tout en ayant précisé préalablement qu’une « collaboration basée sur la contrainte est vouée à l’échec  [56] ». On notera cependant que l’article 38, § 4 stipule que le plan « est intégré dans un protocole de collaboration qui doit être signé à la fois par le condamné, qui confirme ainsi son approbation à l’égard du plan, et par le directeur, qui confirme ainsi que l’administration pénitentiaire est disposée à contribuer, dans la limite de ses possibilités, à la réalisation de ce plan ». Une certaine ambiguïté n’en subsiste pas moins quant à la nature de la participation du détenu, surtout si l’on se réfère à la libération conditionnelle. Le plan de détention doit en effet servir de base au programme de reclassement, déposé à l’appui d’une proposition de libération conditionnelle et, comme le souligne un membre de la commission Dupont, ce lien « pourrait accroître le risque que le plan de détention soit axé uniquement sur la limitation du risque de récidive en cas de libération, sans se préoccuper davantage des effets nocifs de l’emprisonnement ou de la réintégration sociale plus large du détenu. Le lien avec une libération anticipée augmente de plus pour le détenu la pression à se conformer aux attentes, réduit l’aspect volontaire du contrat et accroît le risque d’adaptation simulée de la part du détenu  [57]. »

54Nous avons vu que l’essai, en raison de la réorganisation en cours de la direction générale des établissements pénitentiaires, ne contenait quasiment aucune disposition relative à l’organisation du régime pénitentiaire. La commission Dupont a adopté la même position, mais en invoquant également la limitation de ses missions et les contraintes liées au temps qui lui fut imparti et à sa composition. Toutefois, quatrième développement, elle a davantage explicité la portée d’une telle absence en soulignant que « l’instauration d’une pratique conforme aux principes de départ contenus dans une loi qui règle le statut juridique des détenus est naturellement impensable si on laisse de côté les aspects précités qui touchent la politique carcérale et celle du personnel  [58] », que « le développement des aspects organisationnels revêt une importance décisive dans la mise en œuvre des dispositions proposées dans la loi de principes  [59] », et qu’ « il ne s’agit pas simplement d’adapter des dispositions administratives, il s’agit davantage de reconnaître que le personnel constitue un élément clé si l’on veut appliquer réellement une politique pénitentiaire  [60] ». Par ailleurs, c’est sous ce point que la commission Dupont reprend la question de la surpopulation et les commentaires sur les dispositions relatives à la capacité maximale des prisons. Si elle y remplace la possibilité de ne pas exécuter une peine, ou de libérer en cas de dépassement de capacité, par une modalité d’exécution de la peine autre que l’enfermement décidée par le Ministère public, elle précise que ce dernier a accueilli froidement une telle disposition, mais qu’elle « a néanmoins estimé devoir la soumettre à un échange de réflexions critiques d’autres instances. Au bout du compte, il s’agit d’assurer la transparence autour de l’existence d’un problème qui doit pouvoir être résolu si chacun assume ses responsabilités, ce qui doit permettre d’éviter que la problématique de la surpopulation ne fasse peser une hypothèque si lourde sur les principes de base contenus dans le projet de loi que la mise en œuvre de loi devienne impossible  [61]. » Nous aurons l’occasion de revenir sur ces éléments importants (politique pénitentiaire, personnel et surpopulation).

55Cinquièmement, on notera que, sur la base des avis remis par les constitutionnalistes consultés par la commission Dupont qui soutenaient que rien ne peut contraindre les entités fédérées à assumer leurs compétences et qu’une loi fédérale ne pouvait y faire référence, la plupart des dispositions de l’essai relatives aux modalités d’intervention des communautés ont été supprimées  [62].

56Enfin, signalons qu’en matière de surveillance et de plaintes, sur la base d’un avis du Conseil supérieur de politique pénitentiaire, la commission Dupont, d’une part, a complété la mission du conseil central et revu sa composition ainsi que celle des commissions, et, d’autre part, a revu en profondeur le recours contre une décision de placement et de transfèrement.

57En ce qui concerne les conditions de vie, on peut d’abord rapidement mentionner l’ajout d’une disposition sur le règlement d’ordre intérieur (établi par le directeur, approuvé par le ministre et mis à disposition des détenus), les précisions apportées quant à la qualité des personnes ayant accès à la prison ou avec lesquelles la correspondance n’est pas soumise au contrôle, le développement des commentaires sur la religion et la philosophie, la formulation nettement plus explicite de l’organisation de visites sans surveillance, ou encore la suppression de la disposition relative à l’obligation d’œuvrer au maintien et à la protection des contacts extérieurs. Pour le reste, trois grandes modifications sont à remarquer.

58Premièrement, après des développements davantage étayés sur la critique du régime cellulaire, la commission retient non plus un, mais deux régimes de base : le régime communautaire, déjà présent dans l’essai, et le régime dit de semi-communauté. Destiné aux détenus qui doivent être placés dans un espace sécurisé ou qui menacent l’ambiance de la prison, ce dernier régime ne leur permet que de participer aux activités communautaires organisées et les oblige à passer tout le reste du temps dans leur espace de séjour individuel (ce qui constitue, aux yeux de la commission, un régime moins favorable pour le détenu). On peut mettre ce changement en rapport avec ceux intervenus en matière d’ordre, de sécurité et de recours à la contrainte (cf. infra), en ce qu’il permet d’institutionnaliser certaines restrictions que l’essai n’autorisait qu’à titre exceptionnel. Toutefois, on peut aussi considérer que la commission Dupont a estimé utile de couler dans des dispositions légales ce que l’essai laissait à l’appréciation de l’exécutif. Par ailleurs, la commission Dupont reprend à son compte l’opposition de l’essai à la création de prisons de très haute sécurité et de quartiers de sécurité renforcée, ainsi qu’à l’utilisation de la notion de dangerosité pour la classification des détenus.

59Si les considérations relatives à la sécurité sociale restent fondamentalement inchangées, la question du travail pénitentiaire, deuxièmement, a fait l’objet de développements plus conséquents pour souligner davantage les nombreux problèmes déjà soulevés dans l’essai, tout en précisant qu’une loi de principes n’était pas le cadre adéquat pour régler les détails relatifs à l’organisation du travail en prison. En référence au principe de normalisation, deux changements sont introduits. Alors que l’essai prévoyait que, dans l’attente d’une réforme de la sécurité sociale pour les détenus, le travail devait être rémunéré « décemment », la commission Dupont va plus loin et indique que les revenus du travail « doivent correspondre le plus possible à ceux proposés dans la société libre pour des activités identiques  [63] ». Ensuite, elle supprime le système des quotités réservées, considérant que, comme dans la société libre, une certaine liberté doit être laissée quant à l’affectation des revenus (au pécule de sortie, à la cantine, à l’entourage ou aux victimes), mais laissant entendre que l’absence ou la faible affectation au bénéfice de victimes pourrait avoir une incidence sur les décisions de libération ou d’octroi de certaines modalités d’exécution de la peine. Cette suppression de la quotité réservée aux victimes aura également pour effet de supprimer la référence que l’essai faisait au travail extérieur. Enfin, la commission Dupont insiste sur le fait que le prélèvement d’une partie des revenus des détenus à titre de frais d’entretien est une possibilité accordée au Roi dans la mesure où elle estime qu’un détenu sans revenu ne peut être tenu à une telle participation et qu’en aucun cas, elle ne peut s’appliquer aux inculpés en raison de la présomption d’innocence.

60Troisièmement, la question de la santé est une de celles qui font l’objet des développements et reformulations parmi les plus importants, l’exposé des motifs y consacrant désormais plus de 13 pages et le texte de loi pas moins de 15 articles. Ces développements, quels que soient leur intérêt et leur importance, n’auront cependant guère d’incidence fondamentale sur les principes déjà proposés par l’essai. On se contentera donc ici de souligner l’ajout, aux côtés du principe d’équivalence des soins, du principe de continuité (art. 87 : « Le détenu a droit à ce que les soins de santé dispensés avant son incarcération continuent de l’être de manière équivalente pendant son parcours de détention ») ; l’ajout, parmi les catégories de médecins attachés à la prison, des gynécologues ; ou encore la création d’un conseil pénitentiaire de la santé.

61En ce qui concerne l’ordre, la sécurité et le recours à la contrainte, les développements et reformulations entraînent des changements plus conséquents. La commission Dupont fait tout d’abord la distinction entre l’aspect externe et l’aspect interne de la mission qui incombe à l’administration pénitentiaire d’assurer l’exécution sûre et digne de la peine conformément aux normes internationales. L’aspect externe concerne la sécurité de la société ; l’aspect interne renvoie à l’ordre, c’est-à-dire au respect des règles de conduite assurant un climat sûr et digne en prison, dont une des composantes est la sécurité, c’est-à-dire le droit à la préservation de l’intégrité physique et à la protection des biens. Pour assurer un juste équilibre entre sécurité externe et interne, la commission Dupont, se référant notamment à la littérature anglo-saxonne, propose de retenir la notion de « dialectique du contrôle » selon laquelle les détenus doivent être considérés comme « des “acteurs” qui réagissent à des situations et à des attitudes. “L’ordre” n’est donc pas une donnée statique mais bien une dynamique qui résulte des interactions sociales au sein de l’établissement. “L’ordre” n’est dès lors pas synonyme de tranquillité absolue ou d’absence de tout antagonisme ou de toute violation : il s’agit au contraire de la situation où antagonisme et violation peuvent être canalisés sous des formes maîtrisables. La manière dont le contrôle est exercé est essentielle pour sa légitimité et pour son acceptation par les détenus  [64]. » Et de préciser que, sous cet angle, la meilleure façon d’assurer l’ordre et la sécurité « repose sur la conjonction de mesures techniques de contrôle, d’un régime actif et d’un accompagnement humain des détenus, et que la légitimité des mesures adoptées dépend du sens professionnel du personnel, de la motivation et de la cohérence des décisions  [65] ». Nous aurons l’occasion de revenir sur cette question qui ne manquera pas de poser problème dès lors que, comme on l’a vu, aucune disposition ne concerne le personnel et que la formation de celui-ci est pour le moins défaillante depuis des décennies.

62La commission s’attachera ensuite à préciser la différence à faire, d’une part, entre les divers types de mesures de sécurité proposés (par exemple, les mesures de contrôle qui font partie de la routine pénitentiaire et les mesures de sécurité particulières ou de coercition qui sont des mesures exceptionnelles), et, d’autre part, entre les mesures de sécurité et les sanctions disciplinaires (les mesures de sécurité sont prises à titre préventif et les sanctions en réaction à la commission de faits).

63Parmi les changements apportés, on peut tout d’abord mentionner en vrac l’ajout d’une distinction entre la fouille des vêtements et la fouille corporelle, destinée à encadrer limitativement cette dernière, la suppression des considérations sur le trafic de drogues et de la possibilité de procéder à un test des sécrétions corporelles, la suppression de l’obligation de laisser un avis dans la cellule après une fouille de celle-ci en l’absence du détenu, et la suppression de la référence à l’usage d’armes à feu comme mesure de contrainte. Pour le reste, les mesures restent celles proposées par l’essai, avec toutefois deux exceptions non négligeables. Premièrement, alors que l’essai prévoyait que les mesures de sécurité particulières ne pouvaient être ordonnées qu’en cas de risque sérieux d’évasion, d’actes de violence contre des personnes ou des choses, de suicide ou d’automutilation, le nouvel article 107 étend leur application aux cas de menaces pour l’ordre ou la sécurité, ce qui étend sensiblement le champ d’application de telles mesures, au demeurant sous l’égide de notions beaucoup plus floues.

64Deuxièmement, une nouvelle mesure est prévue : le placement sous régime de sécurité particulier individuel. Destiné aux détenus présentant une menace constante pour la sécurité extérieure, c’est-à-dire susceptibles de s’évader, ce régime est précisément réglementé, doit rester exceptionnel (il ne se justifie que lorsque aucune autre mesure ne peut être utilisée), et être le plus bref possible. La commission Dupont répète cependant à cette occasion son opposition à l’instauration de quartiers de haute sécurité, en s’appuyant cette fois sur les conclusions rendues par un groupe de travail sur les régimes de sécurité de l’administration pénitentiaire. Elle insiste aussi sur le fait que ce régime ne peut être appliqué qu’aux détenus susceptibles de s’évader, et non à ceux ayant commis un délit particulier ou dont le délit a suscité de l’émoi dans l’opinion publique, ou encore qui posent des problèmes de sécurité interne ; à leur égard, il faut tenter, dit-elle, de résoudre le problème en référence à la dialectique du contrôle et, le cas échéant, les transférer dans un autre établissement, les recherches montrant qu’un transfèrement met généralement fin au problème.

65Il n’est pas inutile de rappeler les différents régimes qui peuvent ainsi être organisés, en l’espèce par le Roi, dans les prisons ou sections de prison :

  • communautaire (régime de base applicable à tout détenu) ;
  • semi-communautaire (régime de base applicable aux détenus à placer dans un espace sécurisé ou qui menacent l’ambiance de la prison) ;
  • de sécurité (en application de mesures de sécurité particulières en cas de risque pour l’ordre et la sécurité) ;
  • de sécurité individuel particulier (applicable aux détenus susceptibles de s’évader) ;
  • disciplinaire.

66La marge de manœuvre de l’administration est donc grande en la matière et les dérogations au régime communautaire relativement nombreuses, malgré des réticences assez nettes dans l’exposé des motifs. Typique de la problématique carcérale, cette question montre toute la difficulté de la mission de la commission Dupont : d’un côté, tenir compte au maximum des principes généraux de la loi, et en particulier des objectifs de limitation des effets préjudiciables de la détention et de normalisation ; de l’autre côté, prendre en compte les préoccupations sécuritaires qui imprègnent le milieu et en rassurer les acteurs, en particulier dans un contexte de surpopulation qui peut avoir des conséquences pour la sécurité. La même difficulté se présentera avec la question du régime disciplinaire.

67En ce qui concerne le régime disciplinaire, la commission Dupont développe des considérations introductives, notamment en rappelant la référence à la dialectique du contrôle qui suppose une certaine souplesse dans l’application des règles et la recherche d’un équilibre entre traitement formel et informel. Sur cette base, une nouvelle disposition précise les principes généraux en stipulant que « le régime disciplinaire vise à garantir l’ordre et la sécurité dans le respect de la dignité, de l’amour-propre ainsi que de la responsabilité individuelle et sociale des détenus » (art. 117). De surcroît, outre un certain nombre de précisions apportées à la procédure sur lesquelles nous ne pouvons nous étendre ici, plusieurs changements substantiels ont été apportés à l’essai. Tout d’abord, les infractions disciplinaires ont été reformulées ou complétées et sont dorénavant réparties en deux catégories. Dans la première, qui reprend les infractions considérées comme les plus graves, figurent : l’atteinte intentionnelle (ou la menace de) à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle de personnes, la mise en péril de la sécurité intérieure, de l’ordre ou des bonnes mœurs, l’évasion, l’incitation ou la conduite d’actions collectives mettant la sécurité en péril (nouvelle infraction), la destruction (ou la menace de) de biens, une série de délits (corruption, vol, extorsion, abus de confiance, escroquerie ou recel) et la possession ou le trafic d’objets ou de substances prohibées. Dans la seconde catégorie, figurent l’atteinte à l’honneur ou à la réputation de personnes, la mise en péril de la sécurité intérieure, de l’ordre ou de la santé par défaut de prévoyance (nouvelle infraction), la transgression des règles relatives aux objets à disposition du détenu (nouvelle infraction), le refus d’obtempérer aux ordres du personnel, la présence non autorisée en un endroit de la prison, les contacts non réglementaires avec un codétenu ou une personne étrangère à la prison (nouvelle infraction), l’absence ou le manque d’entretien de l’espace de séjour et des espaces communs et le fait de souiller des terrains (nouvelle infraction), les nuisances sonores et toute infraction à une règle de conduite fixée par ou en vertu de la présente loi  [66].

68Les sanctions disciplinaires sont également modifiées, et classées en deux catégories. La première comprend des sanctions générales, indépendantes de la nature de l’infraction : réprimande avec inscription au registre des sanctions, privation pendant deux mois maximum du droit de se procurer certains objets à la cantine (sauf les articles de toilette et le nécessaire de correspondance), enfermement en cellule de punition pour un maximum de neuf jours en cas d’infraction de la première catégorie et trois jours en cas d’infraction de la deuxième catégorie, et isolement en cellule, pour maximum deux mois en cas d’infraction de la première catégorie et un mois en cas d’infraction de la deuxième catégorie (nouvelle sanction). La seconde catégorie de sanctions énumère celles qui, pour une durée maximum de deux mois, ne peuvent être prononcées, quel que soit le type d’infraction, que s’il existe un lien avec la nature ou les circonstances de l’infraction : privation d’objets, privation ou restriction de l’accès à la bibliothèque, privation ou restriction des contacts avec des personnes extérieures ou du droit de téléphoner (nouvelle sanction), et interdiction de participer à des activités culturelles, sportives ou de détente communes. Alors que l’essai déléguait au Roi l’essentiel des modalités d’application de l’enfermement en cellule de punition, la commission Dupont, pour sa part, estime nécessaire de les mentionner dans le texte de loi, de même que celles de l’isolement en cellule. En résumé, on retiendra que, spécialement équipée, cette cellule doit répondre aux normes de sécurité et d’hygiène ; que, s’y trouvant seul, le détenu y est privé de la plupart de ses objets, de visites, de téléphone, d’activités communes et de ses revenus du travail, allocation de formation ou indemnité de manque à gagner ; qu’il doit par contre continuer à disposer de lecture, bénéficier de promenade, d’activités de formation déjà en cours, de correspondance, et pouvoir pratiquer sa religion ou philosophie et faire appel à son avocat et à l’aide psychomédicale ; que la décision et le déroulement de la sanction sont encadrés médicalement et que le détenu est régulièrement visité ; enfin, qu’en cas de renouvellement de la sanction, un délai de 24 heures doit séparer les deux enfermements. Les modalités de l’isolement en cellule sont grosso modo les mêmes que celles qui précèdent, à la différence qu’il a lieu dans l’espace de séjour individuel, que les privations et restrictions sont moindres et que l’encadrement du déroulement de la sanction est moins intense.

69Ces développements appellent deux remarques. La première est que, malgré l’insistance de L. Dupont puis de la commission sur la nécessité de ne pas confondre mesures de sécurité et sanctions disciplinaires, les similitudes entre nombre d’entre elles sont telles qu’il semble difficile, en pratique, de préserver cette distinction : pour le détenu, être privé d’objets ou d’activités est d’abord une privation, le fait qu’elle résulte d’une mesure de sécurité ou d’une sanction important peu de son point de vue. Si les garanties procédurales proposées ne doivent pas être sous-estimées et si une gradation existe dans les dispositions, le passage d’une mesure à l’autre et donc leur confusion sont rendus possibles par les similitudes des raisons permettant d’y recourir : menace sur l’ambiance de la prison pour le régime semi-communautaire, menace sur l’ordre ou la sécurité pour les mesures de sécurité, mise en péril de la sécurité intérieure, de l’ordre ou des bonnes mœurs pour les sanctions disciplinaires. Au total, si la sécurité juridique est renforcée, elle n’en rencontre pas moins de sérieuses limites qui, une fois de plus, doivent être comprises au regard de la difficile conciliation entre les principes généraux de la loi et les préoccupations relatives à la sécurité propres au milieu carcéral. Conciliation que la commission Dupont tente d’approcher par la dialectique du contrôle, dont on rappellera cependant qu’elle nécessite notamment une formation spécifique des personnels.

70La seconde remarque consiste à pointer la contradiction entre le fait de déplorer l’exclusion des détenus de la sécurité sociale – exclusion qui excède largement la seule privation de liberté et constitue donc un supplément de peine  [67] – et de proposer, en cas d’enfermement en cellule de punition ou d’isolement en cellule, la suppression de tout revenu, allocation ou indemnités durant la sanction. Si ces dispositions, à nouveau, ont leur logique, le raisonnement est pourtant en tout point comparable : il s’agit là d’un supplément de sanction qui, de surcroît, s’inscrit dans une peine, elle-même alourdie par l’exclusion de la sécurité sociale… La question n’est pas négligeable si on se réfère à la situation financière souvent difficile des détenus et aux charges qu’ils sont néanmoins censés assumer (cantine, aide de l’entourage, indemnisation des victimes).

4. DU GOUVERNEMENT AU PARLEMENT (2000-2003)

71Comme on l’a vu, l’avant-projet de loi de principes fut déposé à la commission de la Justice de la Chambre le 5 juillet 2000, mais il faudra attendre le 2 février 2001 pour que la traduction française soit disponible et que le texte puisse être publié sous forme de document parlementaire. Le 30 octobre 2000, dans sa note de politique générale pour l’année budgétaire 2001, le ministre de la Justice rappela donc que la responsabilité de ce dossier incombait dorénavant au Parlement, espérant que « le texte incitera les parlementaires à débattre du statut juridique interne des détenus », et disant se tenir « entièrement à disposition afin d’apporter sa collaboration maximale  [68] ».

72Ce même mois d’octobre 2000, le secteur associatif francophone sortait de son mutisme et créait le Réseau pour une réforme globale du régime carcéral belge, appelé à fédérer toutes les associations et personnes actives dans le pays et désireuses de soutenir une réforme pénitentiaire, en particulier par l’examen de l’avant-projet de loi de principes et le soutien de son adoption  [69]. Le réseau adhéra sans difficultés à la philosophie du texte et à ses dispositions, mais se montra par contre très préoccupé par sa mise en œuvre, dont les problèmes de collaboration avec les communautés ou ceux liés à la formation et au statut du personnel. Il exercera un lobbying relativement important auprès du Parlement, avec, comme on le verra, plus ou moins de succès.

73Au Parlement, il faudra toutefois attendre la fin de l’année parlementaire, soit l’été 2001, pour que la question soit mise à l’ordre du jour.

4.1. DE L’AVANT - PROJET À LA PROPOSITION

74Le 17 juillet 2001, l’avant-projet de loi de principes fut transformé en une proposition de loi par les rapporteurs V. Decroly et T. Van Parys, proposition signée par les représentants de tous les partis démocratiques, majorité et opposition confondues, au motif, sibyllin, que « l’autorité du Parlement doit pouvoir s’exprimer pleinement sur la base de l’avis éminent de la commission Dupont  [70] ». Le processus sembla ainsi se débloquer puisque, le même jour, le président de la commission de la Justice de la Chambre, F. Erdman, écrivait aux deux rapporteurs pour leur demander une proposition de calendrier des travaux de la commission, sur la base de propositions que la commission Dupont lui avait transmises le 5 avril (organisation de visites de prisons, visite de la prison de Vught en Hollande, liste de thèmes à aborder, etc.), et ce en vue de l’examen de la proposition lors de la prochaine session, soit 2001-2002  [71]. À la rentrée parlementaire, les 3 et 22 octobre 2001, débuta effectivement l’examen de la proposition par la commission de la Justice de la Chambre, qui se poursuivit les 26 février, 26 avril et 1er juillet 2002  [72].

75Outre quelques visites de prisons, la commission de la Justice entendit les exposés du directeur général de l’administration pénitentiaire, qui décrivit l’organisation de son administration et fournit diverses statistiques, et de L. Dupont, qui refit l’historique des travaux et résuma la proposition. Les échanges que suscitèrent ces exposés  [73] mirent rapidement en avant l’une des préoccupations majeures des parlementaires, à savoir celle des moyens humains et financiers disponibles pour la mise en œuvre de la loi ; les représentants de l’administration furent contraints d’admettre que, dans l’état actuel des choses, ceux-ci étaient tout à fait insuffisants. La commission procéda également à quelques auditions de représentants du personnel pénitentiaire, dont des délégués syndicaux  [74]. Leurs interventions soulignèrent au moins trois éléments : l’absence de prise en compte du personnel dans la proposition (cadre, statut, formation, etc.) ; les craintes à propos de la procédure disciplinaire et du droit de plainte ; les problèmes liés à la surpopulation, qui renvoient partiellement aux questions de moyens soulevées par les parlementaires, lesquelles traversèrent d’ailleurs l’ensemble des interventions. Enfin la commission entama la discussion des articles de la proposition, discussion qui, comme nous l’expliquerons plus loin, s’arrêtera à l’article 15 relatif à la capacité pénitentiaire maximale (sur les 172 articles que comptait la proposition).

76Lors de ces premiers débats, à lire les questions posées ou les critiques formulées, le sentiment domine que nombre de parlementaires, voire certains représentants du personnel auditionnés, n’avaient pas lu très attentivement le rapport de la commission Dupont. S’agissant des représentants du personnel, la consultation organisée par l’administration pénitentiaire ayant eu lieu en 1998, il est fort vraisemblable que, trois ans plus tard, peu connaissaient encore précisément le contenu du projet  [75]. Le constat fut d’ailleurs récurrent du manque d’information du personnel, surtout de base, par exemple au long des réunions du réseau pour une réforme globale. S’agissant des parlementaires ou, du moins, de certains d’entre eux, on peut y voir la mesure de l’intérêt porté à la question, éventuellement doublée des difficultés à prendre connaissance en profondeur d’un volumineux rapport parmi d’autres à traiter. La question de la volonté politique de voir cette proposition adoptée se pose en tout cas et, à cet égard, on ne peut qu’être frappé, toujours à la lecture, de la manière dont le président de la commission de la Justice anima les débats. Pourtant fin connaisseur des questions pénales et pénitentiaires, F. Erdman s’étendit à ce point en questions naïves, voire inutiles, qu’il semble presque avoir voulu retarder au maximum les débats  [76]. Même non voulu, ce résultat fut atteint, notamment par les interférences du ministre de la Justice dans le processus. Un membre de la commission Dupont n’hésita d’ailleurs pas à écrire que « le statu quo de la proposition de loi de principes serait dû à la réticence du ministre de la Justice, relayée par H. Coveliers, chef du groupe VLD de la chambre et membre de la commission de la Justice, et acceptée également, pour des raisons différentes propres à son parti, par F. Erdman (SP.A), président de la commission. À cela s’ajouterait un malaise, perceptible du côté des agents pénitentiaires au sujet de la loi de principes, qui justifierait également les freins (…) à l’avancement des travaux  [77]. »

4.2. DE NOUVELLES INTERFÉRENCES

77Comme il l’avait annoncé fin 2000 au Parlement, le ministre entendait anticiper la future loi pour en permettre l’introduction progressive, et prit deux initiatives qui ne manquèrent pas d’interférer sur les travaux parlementaires en cours.

78En application de son plan fédéral de sécurité, M. Verwilghen déposa le 22 novembre 2001, soit un mois après le début des travaux de la commission de la Justice, un projet de loi relatif au renforcement du contrôle des détenus condamnés qui quittent la prison, à l’amélioration du statut de la victime quand l’auteur quitte la prison et à l’optimalisation de la capacité carcérale  [78]. Le lien, à première vue peu évident, entre ces trois problèmes résiderait dans le fait que « régler le statut juridique interne n’a de sens que dans un établissement pénitentiaire non surpeuplé. Cela implique l’emploi de techniques visant à contrôler la population carcérale. Le gouvernement souhaite régler cette question mais il y a un revers à la médaille. La sécurité de notre société ne peut être compromise lorsque des peines doivent être exécutées extra muros en raison de la capacité limitée ou lorsque des condamnés sont libérés provisoirement. Il convient dans ce cas de prévoir un contrôle adéquat. En outre, le gouvernement estime que (…) si un auteur est autorisé à quitter l’établissement pénitentiaire en raison de la surpopulation, sa victime doit pouvoir en être informée. Mais dès que nous acceptons ce principe, nous devons accepter la possibilité de contrôle et le devoir d’information dans tous les cas de même nature  [79]. » D’où la généralisation des mesures proposées à toutes les formes de libération provisoire et à toutes les victimes.

79Sans nous étendre sur ce projet qui ne sera jamais adopté, on relèvera, d’une part, qu’il intègre déjà une partie des propositions de la commission Dupont dont le Parlement débat au même moment  [80] et, d’autre part, qu’il anticipe sur le résultat des travaux de la commission Holsters attendus pour le 30 juin 2002 et, en particulier, qu’il confie au ministre des compétences censées être dévolues à l’avenir au tribunal d’application de peines. Le Conseil d’État ne manqua pas de relever ce problème  [81], mais le ministre répondit que, ces tribunaux n’étant pas attendus de sitôt, il fallait s’attaquer au plus vite au problème de la surpopulation afin de permettre l’application de la loi de principes en débat  [82]. Le résultat fut cependant que ni la surpopulation ne fut traitée, ni la loi de principes votée.

80En effet, après une réunion en comité restreint avec L. Dupont, S. Snacken et des membres du cabinet de la Justice (19 novembre 2002), la commission de la Justice, lors de sa réunion du 17 décembre 2002, fit le constat de l’impossibilité d’achever ses travaux avant la fin de la législature et discuta des options qui s’ouvraient dès lors à elle : soit poursuivre quand même ses travaux, soit ne reprendre que les principaux éléments de la proposition dans une loi-cadre constituant un programme de politique pénitentiaire de base (option à laquelle s’opposa L. Dupont), soit arrêter les débats et adopter une résolution reprenant les principes fondamentaux de la proposition  [83]. Cette dernière option fut retenue et une résolution, préparée avec L. Dupont, fut déposée par F. Erdman le 19 février 2003, pour être discutée le 25 février et adoptée en séance plénière de la Chambre le 20 mars  [84]. Le texte de la résolution expliquait l’impossibilité dans laquelle la commission de la Justice s’était trouvée de finaliser ses travaux en raison de la priorité donnée au projet de loi relatif au renforcement du contrôle des détenus libérés, à l’amélioration du statut de la victime et à l’optimalisation de la capacité carcérale, priorité justifiée par l’importance de la lutte contre la surpopulation (la commission commença à examiner ce projet de loi le jour même où elle adoptait cette résolution, pour abandonner cet examen quelques semaines plus tard). La résolution se terminait par l’approbation des principes fondamentaux du rapport de la commission Dupont et de la proposition, ainsi que par le souhait que celle-ci soit examinée en priorité lors de la prochaine législature. Si certains parlementaires firent part de leur déception lors des discussions sur cette résolution, ils durent se résigner à la voter. Seul intérêt potentiel d’un tel renvoi à la prochaine législature : en mai 2003, la commission Holsters déposa son rapport final, de sorte que les statuts juridiques interne et externe des détenus ainsi que la création de tribunaux d’application des peines étaient maintenant prêts à être examinés ensemble par le Parlement.

81Une partie, non discutée, de la loi de principes n’en entra pas moins en vigueur. En effet, toujours soucieux d’anticiper l’adoption de la loi, le ministre de la Justice M. Verwilghen fit adopter l’arrêté royal du 4 avril 2003 instituant le conseil central de surveillance pénitentiaire et les commissions de surveillance. Son chef de cabinet transmit l’arrêté le 16 avril aux présidents et membres des commissions administratives  [85], manière par laquelle certains d’entre eux apprirent qu’ils étaient remerciés. Cette nouvelle interférence mérite quelques développements.

82L’arrêté était motivé par la nécessité de professionnaliser les commissions administratives, mais, contrairement au rapport de la commission Dupont, il ne prévoit que l’indemnisation des frais de déplacement et de séjour et non des travaux. L’objectif, disait la lettre du chef de cabinet, était de nommer au plus vite de nouveaux présidents à la tête des commissions. L’urgence fut effectivement invoquée, mais en raison de la nécessité de créer un nouvel organe consultatif vu la fin du mandat du Conseil supérieur de politique pénitentiaire en juin 2002. Autant de raisons ne nécessitant évidemment pas la réforme complète des commissions administratives, ni du Conseil supérieur. Sur le fond, si l’arrêté s’inspire largement des dispositions proposées par la commission Dupont, tout en en précisant les éléments qui étaient laissés à l’appréciation du Roi, il diffère cependant sur un point fondamental. On se rappellera que tant L. Dupont que sa commission avaient lourdement insisté pour que, conformément aux normes internationales, ces organes de surveillance soient extérieurs au Ministère de la Justice et travaillent en toute indépendance. Or, sur ce point, l’arrêté a modifié les propositions initiales et stipule que le conseil central de surveillance pénitentiaire « est institué au sein du Service public fédéral Justice » (art. 130), peut être présidé par le ministre de la Justice lorsque celui-ci assiste aux réunions (art. 135, § 2) et « a pour mission : 1° d’exercer, pour le ministre de la Justice, un contrôle indépendant sur tout ce qui concerne le traitement réservé aux détenus (…) » (art. 131, nous soulignons), tandis que « la Commission de surveillance a pour mission : 1° d’exercer, pour le ministre de la Justice, un contrôle sur tout ce qui concerne le traitement réservé aux détenus (…) » (art. 138ter, nous soulignons), le terme « indépendant » ayant même, dans ce dernier cas, été supprimé. Par ailleurs, une autre disposition a été ajoutée qui, en cas de différend entre un directeur et une commission, donne au ministre le pouvoir de trancher, sur la base d’un avis du conseil central et de l’administration pénitentiaire (art. 137, §2). Outre que cet arrêté renouait avec la pratique, critiquée, de réformes par voie administrative, et interférait avec les travaux parlementaires (alors arrêtés, il est vrai), il jetait un sérieux doute sur la réelle indépendance de tels organes de surveillance.

5. LA DERNIÈRE LIGNE DROITE (2003-2005)

83Bien que non mentionnée dans l’accord de gouvernement, sinon en lien avec les travaux de la commission Holsters, la proposition de loi de principes fut redéposée le 29 septembre 2003 par (presque) tous les partis démocratiques  [86]. Les avant-projets de loi issus des travaux de la commission Holsters (le premier relatif à la création d'un tribunal de l'application des peines, le second au statut juridique externe des détenus) ne seront toutefois approuvés par le gouvernement que le 10 décembre 2004, de sorte que les deux dossiers ne seront finalement pas joints. Manifestement considérée comme prioritaire, la proposition de loi de principes sera examinée du 3 novembre 2003 au 9 novembre 2004 par la commission de la Justice durant 16 séances, des amendements étant déposés par les parlementaires et par le gouvernement du 1er avril au 14 juillet 2004  [87], et le rapport fait au nom de la commission de la Justice par A. Perpète (PS) déposé le 24 novembre  [88]. Par rapport à la législature précédente et au doute que l’on a pu nourrir quant à la réelle volonté politique de faire aboutir le projet, on notera qu’il aura finalement suffi d’un an et d’un nombre limité de séances (une petite dizaine en plus que lors des premiers travaux) pour faire adopter la loi, alors même, comme le fit remarquer L. Dupont, que seuls 4 membres de la précédente commission de la Justice faisaient encore partie de la nouvelle  [89].

5.1. GÉNÉRALITÉS

84C’est d’ailleurs à l’attention particulière des nouveaux membres de la commission que L. Dupont consacra son (quatrième) exposé introductif en se référant, non plus à l’historique des travaux et au résumé de la proposition, mais aux débats survenus en France à la suite de la publication du livre de Véronique Vasseur, médecin-chef à la prison de la Santé  [90]. Il entendait ainsi attirer leur attention, non seulement sur la gravité d’une situation comparable à celle de la Belgique, mais aussi sur l’importance du travail réalisé par la commission d’enquête parlementaire nommée par l’Assemblée nationale française (visite des 180 établissements pénitentiaires de la métropole et d’outre-mer, audition de quelque 80 personnes, rédaction de rapports, etc.) qui devrait inspirer le Parlement fédéral. Et de souligner que « la commission de la Justice de la Chambre devra faire preuve d’un courage suffisant pour mener à bien la proposition de loi à l’examen. La problématique du statut juridique des détenus n’est en effet pas populaire et irrite à de nombreux égards l’opinion publique  [91] ». Tous les parlementaires se dirent conscients de la gravité de la situation et de l’urgence d’y répondre par l’adoption de la loi, même si, comme on pouvait s’y attendre, B. Laeremans (VB) manifesta d’emblée son désaccord avec la philosophie qui la sous-tend, jugée laxiste. De son côté, la nouvelle ministre de la Justice, Laurette Onkelinx (PS), souligna également la nécessité d’une telle législation et le soutien du gouvernement à la proposition, tout en annonçant un certain nombre d’amendements qui seront déposés pour modifier ou améliorer le texte.

85Si la commission de la Justice ne tenta pas de rivaliser avec la commission d’enquête parlementaire française mentionnée par L. Dupont, elle visita quand même quatre prisons en Belgique (Louvain central, Louvain secondaire, Mons et Ittre) et une en Hollande (à nouveau celle de Vught), et procéda à l’audition de plus de 30 personnes d’horizons très diversifiés  [92]. Ces auditions furent l’occasion de manifester un soutien général à la proposition, mais aussi de pointer des problèmes dont la plupart l’avaient déjà été lors des travaux parlementaires de 2001-2002 : insuffisance de l’infrastructure et des moyens financiers et humains (non seulement pour les missions prévues par la proposition, mais déjà pour celles incombant aujourd’hui aux prisons, spécialement en raison du problème de surpopulation), problèmes de sélection du personnel et absence de formation, absence de dispositions sur l’organisation de l’administration et le personnel, exclusion du champ d’application de la loi de certaines catégories de détenus et en particulier des internés, problèmes d’implication des communautés, nécessité d’aborder la proposition dans un ensemble de réformes plus vaste, dont celles proposées par la commission Holsters. Par contre, du côté du personnel pénitentiaire, aux craintes initialement émises à propos de la procédure disciplinaire et du droit de plainte, se substituèrent des critiques sur les délais et le formalisme de la procédure, sans remettre fondamentalement celle-ci en cause.

86De manière générale, contrairement à l’impression donnée lors des premiers travaux parlementaires, tant les personnes auditionnées que les parlementaires apparaissent, à la lecture, beaucoup plus au fait de la proposition, de sa philosophie et de ses enjeux, et il ne fut personne, même au sein du Vlaams Blok ou Vlaams Belang, pour tenter de saboter la réforme, notamment par le dépôt d’un nombre excessif d’amendements. Unanimes quant à sa nécessité, les parlementaires semblent avoir travaillé de manière assez sereine, sans grande polémique, chacun jouant le rôle que l’on attendait de lui. Ainsi, par exemple, B. Laeremans (VB) s’attachera à vider la loi de sa substance en transformant les droits en faveurs selon le mérite, le comportement ou la gravité de l’infraction ; J.-P. Malmendier (MR), souvent avec A. Courtois (MR), à défendre la place des victimes ; M. Nagy (Écolo) à relayer les amendements proposés par les associations  [93] ; ou encore T. Van Parys (CD&V), premier rapporteur et principal signataire de la proposition, à en préserver les principes, mais aussi à faire accroître la capacité pénitentiaire. On notera encore que certains membres de la commission Dupont participèrent activement aux débats  [94], défendant parfois vivement leur proposition, notamment face à certains amendements du gouvernement.

5.2. DÉBATS

87Les discussions des articles se basèrent sur l’amendement n° 1 déposé le 1er avril par le nouveau président de la commission de la Justice, A. Borgignon (VLD), le rapporteur A. Perpète (PS) et T. Van Parys (CD&V)  [95]. Cet amendement remplace entièrement la proposition initiale et a été préparé par L. Dupont après consultation du directeur général de l’administration pénitentiaire et de certains de ses collaborateurs. Si les changements sont relativement nombreux, ils concernent essentiellement un nouveau toilettage du texte et une actualisation rendue nécessaire par les trois années écoulées depuis le dépôt du rapport de la commission Dupont. Sans les détailler ici, les modifications les plus substantielles sont la reformulation et l’ajout de dispositions sur les contacts avec les avocats ou les agents consulaires et du corps diplomatique, ainsi que la refonte des dispositions sur les soins de santé et la protection de la santé. Lors des débats qui suivront, les principales modifications seront apportées par le gouvernement  [96], soit pour préciser ou conforter certains principes ou dispositions, soit au contraire pour en limiter la portée, touchant parfois ainsi à des éléments fondamentaux de la proposition, essentiellement pour des raisons matérielles. Signalons d’ailleurs que, comme lors des premiers travaux parlementaires, la capacité pratique à appliquer la loi va hanter l’ensemble des débats. Pour présenter ceux-ci, nous reprendrons la structure en quatre points (principes et objectifs, conditions de vie, sécurité et discipline), mais, une fois de plus, sans entrer dans le détail.

5.2.1. Principes et objectifs

88En dehors des vaines tentatives de B. Laeremans (VB) pour accroître la dimension punitive de la peine privative de liberté, les grands principes et objectifs de la proposition (limitation des effets préjudiciables de la détention, participation, normalisation, réparation, réinsertion…) seront adoptés sans difficulté, leur libellé étant même quelque peu précisé pour en souligner l’importance. Les parlementaires accordèrent une attention particulière, tout au long des travaux, à l’objectif de réparation, qui constitue l’aspect le plus novateur de la réforme et qui semble ainsi de plus en plus devenir une référence dans le discours politique sur la pénalité. Les discussions sur le contenu du plan de détention furent tout à fait révélatrices de cet intérêt et d’une certaine volonté d’accorder dorénavant la priorité à un tel objectif. Ainsi, par exemple, J.-P. Malmendier (MR), afin de conforter la mission des consultants en réparation, déposa un amendement pour instituer la médiation en prison et en informer le détenu pour l’élaboration de son plan de détention ; le gouvernement prit cette proposition en compte dans un amendement plus global sur le contenu du plan, qui prévoit que les activités axées sur la réparation en constituent une partie essentielle et non plus un exemple d’activités qui pourraient y figurer, ce qui tend à donner une certaine primauté à cet objectif par rapport à celui de la réinsertion.

89Par ailleurs, les discussions sur le plan de détention remirent en avant la question des rôles respectifs que le détenu et l’administration étaient appelés à y jouer, rôles dont nous avons relevé l’ambiguïté. Ces débats sont significatifs de l’importance de certains problèmes. On se souviendra que la commission Dupont avait prévu une disposition stipulant que le plan « est intégré dans un protocole de collaboration qui doit être signé à la fois par le condamné, qui confirme ainsi son approbation à l’égard du plan, et par le directeur, qui confirme ainsi que l’administration pénitentiaire est disposée à contribuer, dans la limite de ses possibilités, à la réalisation de ce plan » (art. 38, § 4). Dans un premier temps, le gouvernement avait introduit un amendement qui remplaçait le dernier membre de phrase par « …qui confirme ainsi l’engagement de l’administration pénitentiaire à la réalisation de ce plan » (nous soulignons), afin de « donner un signal fort à l’administration pénitentiaire selon lequel elle doit apporter son aide à la réalisation du plan. Il est évident que l’administration ne peut réaliser que ce qui rentre dans ses possibilités. Les mots “dans la limite de ses possibilités” sont superflus et peuvent dès lors être supprimés  [97]. » Semblable volontarisme était donc susceptible de lever quelque peu l’ambiguïté de cette relation, mais la suite des débats amena la ministre à finalement considérer qu’il fallait tenir compte des possibilités réelles des parties, qui plus est, non pas au moment de la signature du protocole, mais durant l’élaboration du plan. Un nouvel amendement stipula donc que « le plan de détention est élaboré en tenant compte des possibilités du détenu et de l’administration pénitentiaire », et le § 4 devint : « Le plan de détention est intégré dans un protocole de collaboration qui est signé par le condamné et par le directeur  [98]. » Si ce dernier libellé reste donc en deçà non seulement du premier amendement du gouvernement, mais aussi de la proposition de la commission Dupont, on notera qu’il est compensé par l’ajout d’une disposition relative à l’aide sociale qui stipule que « le détenu a le droit à une préparation et à un suivi par le service attaché à la prison dans le cadre de l’élaboration et de la gestion de son plan de détention » (art. 102). Le gouvernement a également tenté de résoudre le problème de la collaboration contrainte du détenu à son plan de détention en prévoyant explicitement la possibilité de refuser celui-ci. La ministre n’en admit pas moins qu’un tel refus pourrait avoir des conséquences sur le cours ultérieur de la détention  [99].

90La question de l’organisation du régime pénitentiaire, ensuite, va se poser avec une acuité nouvelle, non seulement parce que les raisons de son absence dans la proposition vont disparaître et laisser un vide préjudiciable à l’effectivité de la réforme, mais aussi parce que c’est sous ce point que le gouvernement introduira une des modifications majeures de la proposition. On se souviendra que tant L. Dupont que sa commission n’avaient prévu quasiment aucune disposition à ce sujet en raison d’une importante réforme en cours, tout en en soulignant l’importance pour la mise en œuvre de la loi de principes, ce que les auditions des membres du personnel pénitentiaire avaient abondamment confirmé, de même que la plupart des parlementaires. Or, entre-temps, « arguant du risque de faire double emploi avec la réforme générale de l’administration publique en cours (la réforme Copernic), le ministre [Verwilghen] a mis fin au projet au moment où ces concepteurs travaillaient sur l’idée de réunir les moyens de l’État fédéral et des entités fédérées pour les mettre à la disposition d’une entité de gestion indépendante du ministre de la Justice. La restructuration profonde de l’administration n’a donc jamais été finalisée, mais elle a été remplacée par le plan de management du directeur général (19 avril 2004) qui n’y fait plus référence  [100]. » Et, récemment, à l’occasion de l’annonce de la démission du directeur général, la presse a évoqué le rejet de ce plan de management par la ministre de la Justice  [101]. S’il devait persister, ce vide organisationnel de l’administration ne pourra qu’entraver gravement la mise en œuvre de la loi, ne serait-ce que par l’absence de prise en compte du personnel (que celui-ci rappelle régulièrement à l’occasion de mouvements de grève) dont le concours est pourtant unanimement reconnu comme garantie fondamentale de tout changement. Autrement dit, en se limitant au statut juridique du détenu sans toucher par exemple au recrutement ou à la formation du personnel ou à l’organisation de l’administration, le gouvernement prend le risque non négligeable que les propositions novatrices se heurtent à des pratiques dont le cadre demeure largement inchangé, ne serait-ce que dans la mesure où, comme on l’a montré ailleurs  [102], pour la plupart des agents pénitentiaires, qu’il soit souple ou strict, le droit pénitentiaire apparaît comme une remise en cause plus ou moins radicale de leur manière de travailler. Qui plus est, la faible implication des personnels pénitentiaires dans l’élaboration du projet (à l’exception de la concertation de 1998 – voir point 3.2.), voire simplement l’absence d’information précise sur celui-ci, augurent mal de sa réception, spécialement dans des domaines aussi délicats que le droit de plainte, souvent considéré comme une menace pour l’autorité des agents.

91Sur un autre plan, on se souviendra aussi que la commission Dupont, désireuse de répondre au problème de surpopulation, avait introduit sous ce point des dispositions relatives à la capacité maximale des prisons. Comme la ministre l’avait laissé entendre dans son exposé introductif, le gouvernement déposa un amendement visant à supprimer cette disposition, au motif que « la surpopulation est la résultante d’une multitude de facteurs » et doit donc « être combattue sur plusieurs fronts différents », et qu’une telle disposition « ne permet pas d’influer sur le nombre d’entrées dans les prisons », c’est-à-dire sur l’exercice des poursuites ou la fixation de la peine, pas plus qu’elle ne répond aux exigences de la sécurité publique  [103]. En séance, la ministre renvoya aux propositions faites à ce sujet lors du Conseil des ministres des 30 et 31 mars consacré à la justice et à la sécurité  [104]. Réagissant apparemment le premier, L. Dupont regretta vivement une telle proposition dès lors que la surpopulation voue la loi à l’échec et que, par ailleurs, les dispositions initiales, en impliquant tous les niveaux de pouvoir, offrent les garanties nécessaires à l’application d’une telle mesure. T. Van Parys abonda plus ou moins dans le même sens, mettant en doute la capacité des mesures envisagées par la ministre à endiguer la surpopulation, mais demandant une extension de la capacité pénitentiaire et concluant sur l’obligation de supprimer l’article vu l’impossibilité de le faire appliquer. La ministre lui rappela que l’augmentation de la capacité pénitentiaire n’était pas une solution à la surpopulation et, malgré une proposition de compromis déposée par W. Muls (SP.A-Spirit)  [105], maintint son point de vue, qui l’emporta. Si l’on ne peut que suivre la ministre quand elle souligne que la surpopulation est la résultante de multiples facteurs, on sait aussi que la commission Dupont en était tout à fait consciente, qui comportait d’ailleurs en son sein la meilleure spécialiste belge de la question (S. Snacken), et qu’il est fort peu probable qu’elle ait fait une telle proposition à la légère. De plus, nombre de recherches tendent à confirmer le propos de T. Van Parys selon lequel les propositions avancées par la ministre avaient peu de chances de diminuer la surpopulation, ne serait-ce que parce qu’elles ne concernent que peu les longues peines à l’origine de ce problème. Celui-ci reste donc intact et, selon L. Dupont, compromettra durablement la mise en œuvre de la loi.

92En matière de contrôle des prisons, le souci dominant fut d’assurer aux commissions de surveillance une plus grande indépendance que celle prévue par l’arrêté royal du 4 avril 2003 de M. Verwilghen, dont la réforme fut annoncée. Un amendement fut ainsi déposé par le gouvernement, qui confie au Roi, et non plus au seul ministre de la Justice, la compétence de fixer le nombre de membres de chaque commission de surveillance et leur procédure de nomination.

93Enfin, il faut mentionner les dispositions transitoires relatives aux internés. De manière générale, les dispositions de la loi sont applicables aux personnes internées sur la base de la loi du 9 avril 1930 de défense sociale, en attendant qu’une loi détermine le statut juridique applicable à ces personnes. La loi précise, d’une part, que le plan de détention doit être établi en tenant compte de leurs besoins spécifiques et, d’autre part, que, dans le cadre d’une procédure disciplinaire, d’une procédure de plainte et d’une procédure d’appel, ces personnes seront toujours assistées par un avocat, le cas échéant commis d’office.

5.2.2. Conditions de vie

94C’est évidemment à propos des dispositions sur l’organisation du régime et les conditions de vie que la question des obstacles matériels à l’application de la loi sera le plus débattue et pèsera dans les choix qui seront finalement faits. Ainsi, les parlementaires discutèrent assez longuement de la disposition prévoyant la séparation des inculpés et des condamnés ou l’affectation de certaines prisons à certaines catégories de détenus, eu égard, à nouveau, au contexte de surpopulation rendant son application très aléatoire. Un autre débat important porta sur la proposition de prévoir un espace de séjour individuel : conséquence logique du rejet des dispositions relatives à la capacité maximale des établissements, la ministre soutint que les contraintes budgétaires actuelles rendaient impossible une telle disposition et déposa un amendement visant à supprimer le terme « individuel », amendement qui sera adopté par une écrasante majorité. Les mêmes contraintes matérielles seront également invoquées pour réduire le nombre de visites, supprimer la référence à la correspondance entre les revenus du travail pénitentiaire et ceux à l’extérieur, ainsi que l’allocation de manque à gagner pour les détenus involontairement sans travail.

95Dans ces cas comme dans d’autres  [106], un certain nombre d’amendements du gouvernement, restreignant la portée des dispositions initiales ou supprimant celles-ci, furent justifiés par la référence aux pratiques actuelles. Sans succès, L. Dupont souligna l’inertie à laquelle risquait de conduire cette tension entre normes idéales et pratiques, voire s’indigna de certains amendements, tel que celui relatif aux revenus du travail, « proposition scandaleuse qui génère un système fallacieux et hypocrite  [107] ».

5.2.3. Ordre, sécurité et recours à la contrainte

96Dans ce domaine, la plupart des amendements du gouvernement visèrent à accroître les garanties offertes en précisant diverses dispositions. Ainsi, le gouvernement introduisit une référence plus précise à la notion de « dialectique du contrôle », et précisa la question de la proportionnalité : « Le maintien de l’ordre et de la sécurité implique une interaction dynamique entre le personnel pénitentiaire et les détenus, d’une part, et un équilibre entre les moyens techniques mis en œuvre et un régime de détention constructif, d’autre part. Les obligations et restrictions de droits imposées au détenu en vue du maintien de l’ordre et de la sécurité doivent être proportionnées à ces objectifs, tant par leur nature que par leur durée (…)  [108]. » Un autre amendement interdit le cumul d’une mesure de sécurité et d’une sanction disciplinaire et, enfin, un nouvel article fut introduit, qui regroupe toutes les garanties offertes au détenu en cas de recours à une mesure de sécurité. Par contre, un amendement du gouvernement introduisit la possibilité de recourir au régime de sécurité particulier individuel en cas de danger pour la sécurité, non seulement extérieure, mais aussi intérieure, ce que regretta la représentante de la commission Dupont, S. Snacken, au motif que les questions de sécurité intérieure devaient être réglées sous l’angle de la dialectique du contrôle, l’isolement étant plus une source d’escalade lors d’un problème qu’une solution à celui-ci  [109].

5.2.4. Régime disciplinaire

97En matière disciplinaire, le premier débat à souligner fut axé sur la procédure, avec le dépôt par le gouvernement d’un amendement visant à simplifier et à raccourcir celle-ci, ainsi que l’avaient demandé plusieurs représentants du personnel lors des auditions. En particulier, les membres de la commission Dupont interviendront pour se réjouir de certaines améliorations, mais aussi pour critiquer la suppression de la possibilité de recourir à une personne de confiance qui sera finalement réintroduite.

98Un autre débat porta sur la définition des infractions disciplinaires et sur le taux des sanctions. Nous ne nous étendrons pas sur le premier aspect puisque, d’amendement en amendement, la proposition initiale ne connut finalement que peu de changements. Quant au second, il aboutit, sur proposition du gouvernement, à une diminution des taux des sanctions disciplinaires.

5.3. LE SUIVI

99Le 2 décembre 2004, la proposition de loi de principes était adoptée par la Chambre par 113 voix contre 16. Transmise le 3 décembre au Sénat, qui ne l’évoqua pas, elle devint, le 12 janvier 2005, la loi de principes concernant l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus, publiée le 1er février 2005 au Moniteur belge. Son article 180 dispose cependant que la date de son entrée en vigueur ou de certaines de ses dispositions est fixée par le Roi et, depuis lors, cette entrée en vigueur est toujours attendue.

100Le site du SPF Justice  [110] souligne à cet égard que la mise en œuvre de la loi nécessite non seulement une évaluation des besoins en personnel, infrastructures ou réglementations, mais aussi un travail préparatoire spécifique dans les domaines suivants : ordre et sécurité, moyens de contrainte et discipline ; élaboration des règlements d’ordre intérieur ; préparation de l’installation d’organes de concertation avec les détenus ; plan de détention. Pour ce faire, huit groupes de travail ont été installés : quatre pour opérationnaliser les domaines mentionnés ci-dessus, un pour proposer un plan d’action relatif aux besoins en formation des intervenants de la direction générale, un pour informer l’ensemble du personnel sur le processus de mise en œuvre de la loi, un pour rédiger les projets d’arrêtés d’exécution de la loi et, enfin, un pour développer les outils d’évaluation de l’application de la loi. Les rapports de ces groupes de travail étaient attendus pour fin 2005.

101Toutefois, diverses initiatives n’en furent pas moins prises que nous relatons ici par ordre chronologique, faute d’y avoir trouvé une autre cohérence.

102Outre la circulaire ministérielle du 21 février 2005 relative aux primes d’encouragement à l’étude pour les détenus, on notera tout d’abord la circulaire ministérielle n° 1777 du 2 mai 2005 relative à la procédure disciplinaire à l’encontre des détenus. Sans le mentionner, cette circulaire reprend et développe quelque peu les articles 144 et 145 de la loi relatifs à la procédure disciplinaire dont elle institutionnalise les principaux aspects et, renouant avec la tradition de réforme administrative qui fut pourtant l’une des motivations de la réforme législative, elle est intéressante à plus d’un titre. Premièrement, elle sélectionne les éléments de la loi à mettre en œuvre : ainsi, le choix d’une personne de confiance que le gouvernement avait voulu supprimer et qui fut finalement maintenu, est ici à nouveau supprimé ; le registre des sanctions prévu à l’article 146 n’est pas repris. Deuxièmement, la procédure est déconnectée de l’ensemble de la loi pénitentiaire : ainsi, aucune référence claire n’est faite à la dialectique du contrôle, et la circulaire porte sur les infractions et sanctions prévues, non pas par la loi, mais aux articles 81 et 82 de l’arrêté royal de 1965 qui sont particulièrement éloignés du souci de précision et d’accroissement de la sécurité juridique qui a présidé à l’adoption de la loi  [111]. Troisièmement, cette circulaire, prise le 2 mai, a été transmise aux directions le 9 mai pour une entrée en vigueur le 1er juin : un tel délai paraît particulièrement court, non pas pour les directions avec lesquelles le texte était discuté depuis plus d’un an, mais par rapport au personnel, dont on connaît les réticences devant la réforme du régime disciplinaire, ce qui appelait une information et des formations adéquates. On peut ainsi raisonnablement supposer que la lenteur mise à adopter les arrêtés d’exécution de la loi et permettre son entrée en vigueur va favoriser le recours à la pratique séculaire des circulaires.

103Par contre, certains arrêtés furent consacrés explicitement à la mise en œuvre de la loi. Ainsi, l’arrêté royal du 29 septembre 2005 réforme les dispositions introduites en 2003 à propos du conseil central de surveillance pénitentiaire et des commissions de surveillance  [112], et va s’inspirer de la nouvelle loi (art. 20 à 31), mais tout en omettant certaines de ses dispositions, dont toutes celles ayant trait au droit de plainte. Par ailleurs, le chapitre de la loi relatif aux cultes reconnues et à la laïcité organisée est entré en vigueur le 1er novembre 2005 grâce à un arrêté royal du 25 octobre 2005  [113]. On relèvera toutefois que cet arrêté ne concerne pas le dernier article du chapitre en question (art. 75), lequel n’est pourtant pas négligeable puisqu’il dispose que « le Roi complète la présente loi par des modalités relatives à la garantie du droit du détenu défini à l’article 71, en particulier les facilités dont les aumôniers, les ministres des cultes reconnus en Belgique, les conseillers moraux et les représentants des cultes non reconnus admis dans la prison peuvent disposer pour concrétiser le droit du détenu de vivre et de pratiquer librement sa religion et sa philosophie non confessionnelle ainsi que le droit connexe à l’assistance religieuse, spirituelle et morale ». De même, l’article 98 de la loi, instituant un Conseil pénitentiaire de la santé, est entré en vigueur le 1er janvier 2006 par un arrêté royal du 12 décembre 2005 fixant cette entrée en vigueur et réglant la composition, les compétences et le fonctionnement du Conseil  [114]. Deux éléments supplémentaires expliquent peut-être en partie certains retards pris dans l’entrée en vigueur de la loi. D’une part, le 29 juillet 2005, la Cour d’arbitrage a été saisie d’un recours introduit par le gouvernement flamand en annulation totale ou partielle des articles 19,35 à 40,102 et 103, § 1er, de la loi, pour violation des règles de la Constitution déterminant la répartition des compétences entre l’État, les communautés et les régions  [115]. D’autre part, au mois de novembre 2005, la loi a déjà fait l’objet de modifications, portant pour l’essentiel des corrections techniques  [116], tandis que, le 31 mai 2006, un projet de loi-programme a été déposé qui modifie sensiblement les dispositions relatives au contrôle du courrier (les lettres entrantes pouvant dorénavant être lues, même en l’absence du détenu) et à l’accès en prison des ministres des cultes non reconnus en Belgique (dorénavant, pour des raisons de sécurité, ceux-ci n’auront plus les mêmes conditions d’accès que les ministres des cultes reconnus)  [117].

CONCLUSIONS

104L’élaboration de la loi a pris dix ans, mais elle n’est pas encore entrée en vigueur un an et demi après son adoption. D’un côté, on peut considérer qu’à l’inverse de réformes menées dans la précipitation comme celle de la police, le monde politique s’est ici donné le temps de la réflexion pour finaliser le meilleur texte possible ou, plus exactement, a laissé ce temps (environ quatre ans au total) aux experts chargés de préparer le texte. D’un autre côté, on peut s’interroger sur la volonté politique d’œuvrer en la matière au vu des blocages intervenus dans le processus, en particulier de mai 2000 à septembre 2003, soit sous le ministère de Marc Verwilghen, ou au vu de la longue attente des arrêtés d’exécution. Plusieurs éléments conduisent d’ailleurs à penser que l’application de cette loi pourrait encore être retardée.

105Il faut tout d’abord souligner le rôle limité de l’administration pénitentiaire dans le processus de réforme, en particulier s’agissant des agents de base : rôle limité dans la préparation de l’avant-projet, à l’exception de la consultation menée il y a maintenant plus de six ans ; place limitée dans la loi puisque, comme on l’a vu, quasiment aucune disposition ne porte sur l’organisation de l’administration centrale, les relations entre cette dernière et les services extérieurs, l’organisation interne des prisons, ou le personnel ; enfin, on l’a vu aussi, rôle limité en raison de la répartition des compétences entre le pouvoir fédéral – dont dépend l’administration pénitentiaire – et les communautés et régions. Dans ce contexte, le risque est grand que les propositions novatrices de la loi se heurtent à des pratiques dont le cadre demeure largement inchangé, ne serait-ce parce que, pour la plupart des agents pénitentiaires, mal informés et peu formés, le droit pénitentiaire apparaît comme une remise en cause de leur manière de travailler.

106Mais, s’il est probable qu’une partie au moins du personnel pénitentiaire résistera à la réforme, il faut également souligner le contexte dans lequel l’administration pénitentiaire est amenée à remplir ses missions. En Belgique, comme dans de nombreux autres pays européens, la population carcérale continue à être largement alimentée par le recours massif à la détention préventive, l’allongement de la durée des peines et la diminution du nombre de libérations conditionnelles. Le résultat d’une telle politique est, comme on l’a vu, un accroissement sensible de la surpopulation carcérale et un problème récurrent de détérioration des conditions de détention qui déterminent en dernière instance la plupart des choix de politique pénitentiaire et risquent de réduire à néant le principe de limitation des effets préjudiciables de la détention, emportant tout l’édifice de la loi. Les débats sur la capacité maximale des prisons ou sur l’espace de séjour individuel sont emblématiques de cette situation.

107Dès lors, compte tenu du fait que l’administration pénitentiaire dépend étroitement de l’activité des instances pénales qui, de la police au juge, contribuent à l’alimenter, la question se pose de savoir si une réforme de la politique pénitentiaire est concevable sans prise en compte de l’ensemble du fonctionnement de l’administration de la justice pénale et donc, sans réforme pénale. Celle-ci paraît en tous cas être un passage obligé pour répondre à une triple « demande » qui semble figurer aujourd’hui à l’agenda politique et est partiellement contradictoire : plus de sécurité (c’est-à-dire plus de policiers en rue et donc plus d’arrestations), moins d’impunité (c’est-à-dire moins de classements sans suite et davantage de condamnations) et moins de population carcérale (c’est-à-dire moins de condamnations à une peine privative de liberté, ou une diminution de la durée de celle-ci). Bref, comme le disait L. Dupont, il semble nécessaire de concevoir « un programme politique global, aux termes duquel la question de la peine privative de liberté n'est pas uniquement abordée sous l'angle de son exécution (…), mais est redéfinie dans un arsenal pénal réformé quant à la suite à donner aux affaires pénales et aux procédures judiciaires de fixation du quantum des peines  [118] ».

Notes

  • [1]
    Moniteur belge, 25 mai 1965.
  • [2]
    Pour tenter de se retrouver dans cette nébuleuse normative, en perpétuel changement, certains ont pris l’initiative de publier les règlements disponibles (G. KELLENS, F. KEFER (dir.), Code pénitentiaire, Bruxelles, La Charte), ou de les vulgariser (P. CHARLIER, P. MARY, M. NÈVE, P. REYNAERT (dir.), Le guide du prisonnier, Labor, 2002).
  • [3]
    J. DETIENNE, « Le monde pénitentiaire : des propositions à la réalité », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1766-1767,2002.
  • [4]
    S. DE CLERCK, Politique pénale, exécution des peines. Note d’orientation, Ministère de la Justice, 1996, p. 2.
  • [5]
    Ibidem, p. 45.
  • [6]
    Adolescents assassinés par Th. Bourgard et Th. Muselle, récidivistes ayant bénéficié de mesures de libération conditionnelle.
  • [7]
    Décisions du Conseil des ministres du 30 août 1996 concernant des mesures de prévention, de répression et d'assistance aux victimes en matière de délits sexuels, p. 1.
  • [8]
    S. De Clerck, Politique pénale, exécution des peines. Note d’orientation, op. cit., p. 39.
  • [9]
    Comité européen pour les problèmes criminels, Règles pénitentiaires européennes, Conseil de l'Europe, 1987.
  • [10]
    Sur la distinction entre ces deux statuts, cf. infra.
  • [11]
    L. DUPONT, Essai d’avant-projet de loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et l’exécution des peines privatives de liberté, Instituut voor strafrecht, KUL, 1997, pp. 96 et 110 (ci-après « essai »).
  • [12]
    Ibidem.
  • [13]
    Signalons ici que la version française de ce rapport est le fruit d’une piètre traduction (« essai » traduit par « traité », « exposé des motifs » par « condensé », « pénologique » par « criminalistique », « libération » par « immunité », « réparation » par « amendement », pour ne citer que quelques exemples). Il faudra attendre la traduction française du rapport de la commission Dupont (cf. infra) en février 2001 pour disposer d’un texte correct. Ceci ne sera vraisemblablement pas sans incidence sur les concertations dont il va être question maintenant.
  • [14]
    L. DUPONT, Essai d’avant-projet de loi de principes, op. cit., p. 81.
  • [15]
    Pour alléger le texte, nous ne mentionnerons en général pas les articles de loi, dont la numérotation changera par ailleurs au fur et à mesure du processus.
  • [16]
    L. Dupont rappelle que, lors de sa visite en Belgique en novembre 1993, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) avait dû faire le constat de traitements inhumains et dégradants.
  • [17]
    Ibidem, p. 15.
  • [18]
    Justice en chiffres 2005, Bruxelles, SPF Justice, 2005, p. 20.
  • [19]
    Notamment « Analyse des mécanismes de la surpopulation pénitentiaire », in P. MARY, T. PAPATHÉODOROU (dir.), La surpopulation pénitentiaire en Europe. De la détention avant jugement à la libération conditionnelle, Bruylant, 1999, pp. 9-31.
  • [20]
    « De l’impact du prononcé de peines privatives de liberté sur l’évolution de la population pénitentiaire belge entre 1994 et 1998 », Revue de droit pénal et de criminologie, 2003, n° 2, spéc. pp. 193-198.
  • [21]
    L. DUPONT, Essai d’avant-projet de loi de principes, op. cit., p. 16 (nous soulignons).
  • [22]
    Ibidem, p. 19.
  • [23]
    Ibidem, p. 32.
  • [24]
    Ibidem, p. 36.
  • [25]
    Ibidem, p. 56.
  • [26]
    Permission de sortie, congé pénitentiaire, semi-détention, semi-liberté, libération provisoire, libération conditionnelle…
  • [27]
    À noter que l’essai confirme l’interdiction faite aux détenus de conserver de l’argent liquide sur eux.
  • [28]
    L. DUPONT, Essai d’avant-projet de loi de principes, op. cit., pp. 33-34. Introduction discrète car elle est faite en stipulant que « le Roi peut arrêter des règles particulières en ce qui concerne le fonds de réserve individuel ainsi que la détermination et la finalité des portions, ce à l’égard des condamnés qui sont autorisés en vertu d’une décision du tribunal pénitentiaire à travailler ou à suivre une formation professionnelle en dehors de l’établissement dans le cadre d’une modalité particulière d’exécution de la peine (…) » (art. 74, § 2).
  • [29]
    Arrêté royal du 25 novembre 1997, Moniteur belge, 9 janvier 1998.
  • [30]
    Arrêté ministériel, 26 novembre 1997, Moniteur belge, 7 janvier 1998.
  • [31]
    G. Kellens (ULg), vice-président de la commission, et S. Snacken (VUB). G. Smaers (université de Maastricht) fut nommée membre de la commission en mars 1999.
  • [32]
    G. Van Belle, directeur général de l’administration pénitentiaire, K. Kloeck, conseillère du ministre de la Justice, F. Pieters, magistrat délégué au secrétariat général et quatre conseillers adjoints de différentes directions générales du ministère (R. Van Nuffelen pour l’organisation judiciaire, R. Troosters et S. Corthout pour la législation pénale et les droits de l’homme, et Y. Van Den Berge pour l’administration pénitentiaire, qui sera nommé secrétaire de la commission).
  • [33]
    J. Detienne, président de la Commission royale des patronages.
  • [34]
    F. BARTHOLEYNS, J. BÉGHIN, « La loi de principes du 12 janvier 2005, vecteur de changements dans l’univers carcéral belge ? », Revue de droit pénal et de criminologie, 2005, n° 9-10, p. 867.
  • [35]
    G. KELLENS, « Dynamique et lignes directrices des projets Dupont et Holsters », Journal des procès, 28 mai 2004, p. 17.
  • [36]
    Moniteur belge, 2 avril 1998.
  • [37]
    Chambre, Compte rendu analytique, CRA 49, PLEN 106,17 octobre 1996.
  • [38]
    Exposé des motifs précédant le projet de loi relatif à la libération conditionnelle, Chambre, Doc. parl. 1070/1,16 janvier 1998, p. 5.
  • [39]
    L. DUPONT, Essai d’avant-projet de loi de principes, op. cit., p. 60.
  • [40]
    Projet de budget général des dépenses pour l’année budgétaire 2000, Chambre, Doc. parl. 198/013,19 novembre 1999, pp. 39-40.
  • [41]
    Ibidem, p. 43.
  • [42]
    Discussion générale, Budget des voies et moyens pour l’année budgétaire 2000, Rapport fait au nom de la commission des Finances et du Budget par E. Van Weddingen et D. Pieters, Chambre, Doc. parl. 0197/003,7 décembre 1999, spéc. pp. 47,57 et 68.
  • [43]
    Moniteur belge, 29 février 2000.
  • [44]
    P. Bollen et W. Van Laethem du cabinet du ministre de la Justice.
  • [45]
    W. Van Laethem, S. Snacken, G. Smaers, F. Pieters, Y. Van Den Berge et P. Bollen.
  • [46]
    Rapport final de la commission Loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus, Rapport fait au nom de la commission de la Justice par V. Decroly et T. Van Parys, Chambre, Doc. parl. 1076/001,2 février 2001.
  • [47]
    F. BARTHOLEYNS, J. BÉGHIN, « La loi de principes du 12 janvier 2005, vecteur de changements dans l’univers carcéral belge ? », op. cit., p. 868.
  • [48]
    À première vue, le nombre d’articles de l’essai et de l’avant-projet de la commission est identique, mais les quelque 40 articles que comprenait l’essai à propos du statut juridique externe ont été supprimés (ils sont repris et développés dans le projet de note mentionné plus haut).
  • [49]
    Pour alléger le propos, nous regrouperons ci-après, à l’instar du rapport de la commission Dupont, ces trois catégories sous l’appellation générique d’inculpés.
  • [50]
    Justice en chiffres 2005, op. cit., pp. 19-20.
  • [51]
    La commission Dupont a modifié un certain nombre de termes utilisés dans l’essai, sur lesquels nous ne pouvons nous étendre. En l’espèce, « effets préjudiciables de la détention » remplace « traumatisme carcéral », sans que ceci n’ait d’incidence sur le fond.
  • [52]
    Une exception est prévue concernant les membres de l’entourage, sauf s’ils sont eux-mêmes inculpés.
  • [53]
    Circulaire ministérielle n° 1719 du 4 octobre 2000.
  • [54]
    Une recherche sur le thème de la réparation en prison, réalisée en juillet 2004 au Centre de recherches criminologiques de l’ULB par Juliette Béghin avec les consultants en justice réparatrice francophones, a permis de pointer les obstacles rencontrés par ce dispositif. Tout d’abord, il fut imposé sans concertation et a suscité des résistances parmi les personnels, en particulier de direction (auxquels sont rattachés les consultants) et de surveillance, résistances largement alimentées par la prédominance de préoccupations sécuritaires peu compatibles avec les principes de justice réparatrice. Ensuite, la circulaire ministérielle ne définissant pas le contenu de la fonction, son flou a favorisé la multiplication de pratiques parfois éloignées des questions de réparation, au point de faire dire à certains consultants qu’ils risquaient de faire tout et n’importe quoi pour combler le vide de l’institution face auquel ils se sentaient isolés. Solitude d’autant moins étonnante, enfin, que ce dispositif apparaît en bout de course pénale, non seulement déconnecté de toute politique pénitentiaire et pénale, inexistante en la matière, mais dépendant aussi de réformes – ne serait-ce que dans le domaine des conditions de détention – dont la maîtrise échappe aux consultants comme aux autres personnels. Dans un tel contexte, on comprendra aisément que l’adhésion des détenus au projet n’en fut que plus malaisée. Selon plusieurs consultants, outre le fait que le contexte de détention actuel rend la justice réparatrice illusoire, les détenus y sont d’autant moins réceptifs qu’ils sont obnubilés par leur propre situation. De surcroît, si toute action réparatrice doit idéalement être le fruit d’une adhésion libre et volontaire, le contexte carcéral n’y est guère propice. Pour certains consultants, l’adhésion n’est souvent que superficielle, certaines démarches, comme la signature d’un formulaire d’engagement à indemniser les parties civiles, s’avérant purement formelles, n’ayant d’autre but pour le détenu que de préparer un dossier de libération conditionnelle le plus convaincant possible dès lors que l’attitude à l’égard de la victime constitue un des critères de décision – nous y reviendrons.
  • [55]
    L. DUPONT, Essai d’avant-projet de loi de principes, op. cit., p. 34 (nous soulignons).
  • [56]
    Rapport final de la commission Loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus, op. cit., p. 89.
  • [57]
    S. SNACKEN, « Normalisation dans les prisons : concepts et défis. L’exemple de l’avant-projet de loi pénitentiaire belge », in O. DE SCHUTTER, D. KAMINSKI (dir.), L’institution du droit pénitentiaire. Enjeux de la reconnaissance de droits aux détenus, LGDJ-Bruylant, 2002, p. 145.
  • [58]
    Rapport final de la commission Loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus, op. cit., p. 122.
  • [59]
    Ibidem, p. 124.
  • [60]
    Ibid., p. 125.
  • [61]
    Ibidem, p. 127. Par exemple, la suppression de la référence aux accords de coopération en ce qui concerne
  • [62]
    le plan de détention (art. 8), ou de la mention « en concertation et collaboration avec les autorités compétentes » dans les dispositions relatives à la formation, au travail ou à l’aide sociale (art. 74,75,79,100).
  • [63]
    Ibidem, p. 160.
  • [64]
    Ibidem, p. 177.
  • [65]
    Ibidem, p. 178.
  • [66]
    En dehors de certaines reformulations, certaines infractions ont disparu : l’absence injustifiée à des activités, l’achat, la vente, les échanges, les dons… non autorisés entre détenus, la consommation de drogue en tant que telle. La dernière incrimination (« Toute infraction à une règle de conduite… »), déjà présente dans l’essai, permet cependant de sanctionner une palette plus large de comportements.
  • [67]
    Ibidem p. 148.
  • [68]
    Projet de budget général des dépenses pour l’année budgétaire 2001, Chambre, Doc. parl. 0905/009,30 octobre 2000, p. 9.
  • [69]
    Acte constitutif d’un Réseau pour une réforme globale du régime carcéral belge, Bruxelles, 26 octobre 2000, p. 1. Parallèlement, se constitua toutefois en Communauté flamande un réseau analogue intitulé Netwerk Samenleving en Detentie, notamment justifié par les différences entre les politiques communautaires en la matière. Outre les adhésions personnelles (dont quelques membres de l’administration pénitentiaire), les associations suivantes participèrent à la création du réseau : l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture, APRES, Association syndicale des magistrats, Aumônerie catholique, Caritas catholica, Centre d’expression libre et de créativité en milieu carcéral, Commission justice et paix francophone, Commission royale des patronages, Drogues : regards et actions de parents solidaires, Fondation pour l’assistance morale aux détenus, Ligue des droits de l’homme, Organisation pour l’emploi des délinquants et Observatoire international des prisons.
  • [70]
    Proposition de loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus, Chambre, Doc. parl. 1365/001,17 juillet 2001 (erratum, 1365/002, 19 juillet 2001).
  • [71]
    Lettre du 17 juillet 2001 (réf. G/C/RD/MP/2809).
  • [72]
    Annexe. Proposition de loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus. Rapport intermédiaire fait au nom de la commission de la Justice par T. Van Parys et V. Decroly, Chambre, Doc. parl. 2317/002,13 mars 2003.
  • [73]
    Ibidem, pp. 33-41.
  • [74]
    Ibidem, pp. 56-69. Rien ne permet de connaître les critères qui ont présidé au choix des personnes auditionnées, en dehors des délégués syndicaux.
  • [75]
    Nuançons tout de suite le propos en signalant que certains représentants firent précisément référence aux articles de la proposition dans leurs interventions. Nous visons plutôt ici, à la lecture de certaines critiques, une méconnaissance de l’esprit de la proposition, de ses choix et de ses enjeux, tels que contenus dans l’exposé des motifs.
  • [76]
    Exemples : F. Erdman « constate que la proposition concerne uniquement les mesures privatives de liberté. Elle ne traite donc pas des peines complémentaires, comme les amendes… » (ibidem, p. 41), « demande pourquoi le statut du condamné doit être réglé, si nécessaire, par une loi » (ibidem, p. 42), « demande quel intérêt il y a à définir la notion d’“ordre” » (ibidem, p. 44), etc., jusqu’à l’article 15 à propos duquel il constatera qu’il « anticipe le projet de loi du ministre de la Justice dans lequel est fixé le quotas des prisons » (ibidem, p. 54), alors que, comme on va le voir, c’est exactement l’inverse.
  • [77]
    J. DETIENNE, Le monde pénitentiaire : des propositions à la réalité, op. cit., p. 59.
  • [78]
    Doc. parl. 1521/001,22 novembre 2001.
  • [79]
    Ibidem, p. 7.
  • [80]
    « Une partie » dans la mesure où toutes les dispositions ne sont pas reprises, comme la possibilité de recours contre une décision de placement, considérée comme susceptible de compliquer la mise en place d’un système de quotas (ibidem, p. 31).
  • [81]
    Avis 31.511/2 du Conseil d’État, ibidem, p.84.
  • [82]
    Ibidem, p. 21.
  • [83]
    Proposition de résolution relative au rapport final de la commission Loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus, Doc. parl. 2317/002,13 mars 2003, p. 3.
  • [84]
    Ibidem, 2317/001,19 février 2003 et 2317/003,20 mars 2003.
  • [85]
    Réf. CAB/03/7/PB/LD/GS.
  • [86]
    Chambre, Doc. parl. 0231/001,29 septembre 2003. Le fait qu’Écolo n’ait pas été invité à co-signer la proposition fut regretté par M. Nagy, à qui T. Van Parys, principal signataire, présenta ses excuses pour avoir, dans sa hâte de faire imprimer la proposition, omis cette invitation (ibidem, p.10).
  • [87]
    Chambre, Doc. parl. 0231/002,1er avril 2004 et Doc. parl. 0231/0014,20 octobre 2004.
  • [88]
    Proposition de loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus, Rapport fait au nom de la commission de la Justice par André Perpète, Chambre, Doc. parl. 0231/015,24 novembre 2004.
  • [89]
    Ibidem, p. 6. On notera toutefois que L. Dupont ne compare que les membres titulaires. Si l’on compte aussi les suppléants (dont certains participèrent activement aux travaux), il reste 13 membres de la précédente commission.
  • [90]
    V. VASSEUR, Médecin-chef à la prison de la Santé, Paris, Le cherche midi, 2000.
  • [91]
    Rapport fait au nom de la commission de la Justice par A. Perpète, Chambre, Doc. parl. 0231/015,24 novembre 2004, p. 7.
  • [92]
    Ibidem, pp. 197-267. Outre le directeur général de ce qui est entre-temps devenu la direction générale de l’exécution des peines et mesures du SPF Justice, furent ainsi entendus : un conseiller moral, un responsable d’une association d’enseignement en prison, le coordinateur du plan stratégique flamand pour les détenus, une responsable de l’aide aux victimes en maison de justice, un membre d’une association flamande active dans la justice réparatrice et un expert en cette matière, une bonne vingtaine de membres du personnel pénitentiaire ou assimilé (consultante en justice réparatrice, médecin directeur des prisons et médecins pénitentiaires, techniciens, agents pénitentiaires, chefs de quartier, directeurs, aumôniers, infirmière, assistante sociale et représentants syndicaux), ainsi que les représentants du Réseau pour une réforme globale du régime carcéral belge, de la Ligue des droits de l’homme, de la Liga voor Mensenrechten, de l’Observatoire international des prisons, et, finalement, le professeur Kelk (Université d’Utrecht).
  • [93]
    Chambre, Doc. parl. 0231/005,7 juin 2004 et 0231/006,21 juin 2004, en référence à : Réseau pour une réforme globale du régime carcéral belge, Suggestions d’amendements à la proposition de loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus, 28 avril 2004.
  • [94]
    En particulier L. Dupont, S. Snacken et F. Pieters.
  • [95]
    Chambre, Doc. parl. 0231/002,1er avril 2004.
  • [96]
    Sur 216 amendements déposés, 114 le furent par le gouvernement dont la plupart, contrairement aux autres, furent adoptés.
  • [97]
    Amendement 34, Chambre, Doc. parl. 0231/004,25 mai 2004, p. 4.
  • [98]
    Amendement 208, Chambre, Doc. parl. 0231/014,20 octobre 2004, pp. 6-7.
  • [99]
    Chambre, Doc. parl. 0231/015,24 novembre 2004, pp. 68-69.
  • [100]
    F. BARTHOLEYNS, J. BÉGHIN, « La loi de principes du 12 janvier 2005, vecteur de changements dans l’univers carcéral belge ? », op. cit., p. 869.
  • [101]
    Le Soir, 14 décembre 2005.
  • [102]
    F. BARTHOLEYNS, J. BÉGHIN, P. BELLIS, P. MARY, « Le droit pénitentiaire en Belgique : limite aux contraintes carcérales », in O. DE SCHUTTER, D. KAMINSKI, L’institution du droit pénitentiaire. Enjeux de la reconnaissance de droits aux détenus, op. cit., pp. 153-186.
  • [103]
    Amendement 6, Chambre, Doc. parl. 0231/003,11 mai 2004, p. 3.
  • [104]
    Chambre, Doc. parl. 0231/015,24 novembre 2004, p. 54. Outre la création de tribunaux d’application des peines, il s’agit de l’hébergement des internés dans des établissements distincts, du recours accru au placement sous surveillance électronique, de la réforme de la détention préventive, du transfèrement des condamnés étrangers dans des établissements de leur pays d’origine et de l’encouragement des alternatives (Note-cadre de sécurité intégrale, Bruxelles, 30-31 mars 2004, pp. 110-113).
  • [105]
    L’amendement conservait le principe de la capacité maximale, mais l’envisageait comme obligation de moyens et non de résultats.
  • [106]
    Cf. notamment infra, le régime disciplinaire.
  • [107]
    Chambre, Doc. parl. 0231/015,24 novembre 2004, p. 113.
  • [108]
    Amendement 107, Chambre, Doc. parl. 0231/008,29 juin 2004, pp. 6-7.
  • [109]
    Chambre, Doc. parl. 0231/015,24 novembre 2004, p. 132.
  • [110]
    < wwww. just. fgov. be/ index_fr. htm(Justice de A à Z >prison>loi de principe)>, consulté le 31 mai 2006.
  • [111]
    L’article 81 dispose que « la désobéissance, les actes d’indiscipline ou d’insubordination, les infractions aux règlements ou l’abus des facultés accordées par ceux-ci sont punis suivant les circonstances et la gravité du cas » ; et l’article 82, que « les punitions sont les suivantes : 1° privation de travail, de lecture, de cantine, de visites, de correspondance et des autres faveurs accordées en vertu du présent règlement ou des règlements particuliers ; 2° placement dans une cellule de punition ».
  • [112]
    Moniteur belge, 27 octobre 2005.
  • [113]
    Arrêté royal du 25 octobre 2005 fixant le cadre des aumôniers et des conseillers islamiques appartenant à un des cultes reconnus ainsi que des conseillers moraux de philosophie non confessionnelle du Conseil central laïque auprès des établissements pénitentiaires et fixant leurs échelles de traitement, Moniteur belge, 10 novembre 2005.
  • [114]
    Moniteur belge, 29 décembre 2005.
  • [115]
    Avis prescrit par l’article 74 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage, Moniteur belge 2 septembre 2005. L’article 19 concerne l’information dont bénéficie le détenu à son arrivée, notamment à propos des différents services à sa disposition, les articles 35 à 40 concernent l’enquête de personnalité et le plan de détention, et les articles 102 et 103, § 1er concernent l’aide sociale.
  • [116]
    Projet de loi portant des dispositions diverses, Chambre, Doc. parl 2020/019,24 novembre 2005, pp. 5-9, et Rapport fait au nom de la commission de la Justice par A. Perpète, Chambre, Doc. parl. 2020/015,17 novembre 2005. À cette occasion, l’intitulé de la loi fut modifié en : loi de principes concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus.
  • [117]
    Projet de loi portant des dispositions diverses, Chambre, Doc. parl. 2518/001,31 mai 2006, pp. 42-45 et 408-409.
  • [118]
    L. DUPONT, Essai d’avant-projet de loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et l’exécution des peines privatives de liberté, op. cit., p. 16.
Français

En Belgique, la prison n’a jamais fait l’objet d’une législation spécifique. Depuis toujours, c’est le gouvernement qui organise l’administration pénitentiaire par voie d’arrêtés ou de circulaires, ce qui a alimenté les critiques jusqu’au niveau international.
Une importante réforme a toutefois été entamée en 1996. Elle a abouti au vote de la loi de principes concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus (loi du 12 janvier 2005). L’élaboration de cette loi a pris dix ans, et ses arrêtés d’exécution ne sont pas encore publiés un an et demi après son adoption. Par-delà le temps donné aux experts et aux acteurs de terrain pour finaliser ce texte, et la complexité inhérente à la matière, ces délais reflètent aussi les blocages intervenus dans le processus, en particulier sous le gouvernement arc-en-ciel.
Philippe Mary relate le processus d’élaboration de cette loi. Suivant en cela les experts les plus autorisés, il montre aussi que l’application de la loi risque de buter sur la persistance du problème de la surpopulation carcérale, ainsi que sur des résistances des agents pénitentiaires, aux yeux desquels les droits des détenus peuvent apparaître comme une remise en cause de leur manière de travailler. Dans ce contexte, et en l’absence d’une réforme de l’organisation interne des prisons et de la formation du personnel, l’objectif de limitation des effets préjudiciables de la détention, pivot de la loi repris à leur compte par le gouvernement et par l’administration, risque fort de ne pas être atteint.

Philippe Mary
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En dehors de quelques articles du Code pénal et de modalités d’exécution de la peine, la prison n’a jamais fait l’objet d’une législation spécifique en Belgique. Depuis toujours, c’est le pouvoir exécutif qui a organisé l’administration pénitentiaire par voie d’arrêtés ou de circulaires, ce qui a alimenté des critiques jusqu’au niveau international. Une importante réforme fut toutefois entamée en 1996, qui a abouti au vote de la loi de principes concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus (loi du 12 janvier 2005). C’est ce long processus qui est décrit ici, en suivant ses principales phases. L’élaboration de la loi a pris dix ans, et ses arrêtés d’exécution ne sont pas encore publiés un an et demi après son adoption. Par-delà le temps donné aux experts et aux acteurs de terrain pour finaliser ce texte, et la complexité inhérente à la matière, ces délais reflètent aussi les blocages intervenus dans le processus, en particulier sous le gouvernement arc-en-ciel. Philippe Mary, suivant en cela les experts les plus autorisés, montre aussi que l’application de la loi risque de buter sur la persistance du problème de la surpopulation carcérale, ainsi que sur des résistances des agents pénitentiaires, aux yeux desquels les droits des détenus peuvent apparaître comme une remise en cause de leur manière de travailler. Dans ce contexte de surpopulation carcérale, et en l’absence d’une réforme de l’organisation interne des prisons et de la formation du personnel, l’objectif de limitation des effets préjudiciables de la détention, pivot de la loi repris à leur compte par le gouvernement et par l’administration, risque fort de ne pas être atteint.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/07/2006
https://doi.org/10.3917/cris.1916.0005
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